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DICTIONNAIRE
THEOLOGIE
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BESANÇON , IMPRIMERIE DE OUTHEIilN-CHALAKDRE FILS.
f
DICTIONNAIRE
THÉOLOGIE,
PAR L'ABBÉ BERGIER,
CHANOINE DE L'ÉGLISE DE PARIS,
liT CONFESSEUR DE IlONSIEUR, FRÈllE DU ROI
Considérablement augmentée de Notes
Extraites des plus célèbres Apologistes de la Religion.
TOME PREMIER.
OUTHENIN-CIIAL A NDRE
PARI
MEQUIGNON JUNIOR, LIBRAIRE,
Kiic (les Grands-Augustins, n, 9.
M DCCG
t;.,V>3nS^
C
-ë^ht-^'c
DE L'AUTEUR,
ÇUl SE TROUVE DANS l'ÉDITION DE PARIS DE I788.
' — ' rnv^^ftL-
^i la partie théologique de V Encyclopédie a tardé à paroître , nous
espérons que le public nous pardonnera ce retard , lorsqu'il sera
instruit des difficultés que nous avons eues à vaincre , et de l'im-
mensité du travail dont nous nous sommes trouvé chargé.
D'environ deux mille cinq cents articles dont cet ouvrage est
composé, il y en a au moins un quart qui manquoient dans l'an-
cienne Encyclopédie , ou qui n^avoient été traités que comme dos
articles de grammaire ; il a fallu les faire. Un nombre presque égal
contenoient une doctrine fausse ou suspecte; ils avoient été copiés
dans des écrivains hétérodoxes, ou faits par des littérateurs qui,
par leurs principes , favorisoient l'incrédulité; il a fallu les corriger.
Plusieurs renfermoient des discussions inutiles ; nous les avons
abrégés. D'autres étoient incomplets; nous y avons ajouté ce qui nous
a paru nécessaire. Quelques-uns ont été retranchés comnie superflus.
Nous n'avons pas vu, par exemple, où étoit la nécessité de faire vingt
articles de l'arianisme, parce que les partisans de cette hérésie
ont porté autant de noms différents ; de distinguer homoousios et
tnnsubsianliel , dont l'un est la traduction de l'autre ; de parler du
dimanche des Palmes et de celui des Rameaux; de changer une lettre
pour placer corban et korban ; chirotonie et heirotonie, au lieu de l'im-
position des mains ; purim etphurim, qui signifient les sorts; de mettre
des mots grecs ou hébreux au lieu des mots françois qui y répon-
dent. Ainsi , à presque tous les égards , notre travail doit paroître
absolument neuf.
Des trois parties qu'il embrasse, savoir, la théologie dogmatique,
la critique sacrée , et l'histoire ecclésiastique , la première est celle
qui demande le plus d'attention, et qui renferme le plus de dif-
ficultés. Comme toute autre science , elle a son langage particu-
lier, certaines expressions consacrées à exprimer les mystères, des-
quelles on ne peut se départir sans s'exposer à tomber dans l'er-
rcnr. On ne doit pas exiger d'un théologien qu'il emploie d'autre*
termes plus clairs tirés du langage ordinaire, ni qu'il fasse com-
îj AVERTISSEMENT
preiidre évidemment des vérités que Dieu a révélées pour être crues
sur sa parole, quoique nous ne puissions pas les concevoir.
Depuis prés de dix-huit cents ans que la théologie chrétienne est
formée, il ne s'est pas écoulé un seul siècle dans lequel elle n'ait été
combattue par quelque secte de mécréants; cette science est donc de-
venue trè^-contentieuse. Comme elle consiste à savoir non-seulement
ce que Dieu a révélé, mais comment cette doctrine a été attaquée,
et comment elle a été défendue, il n'est presque pas un seul article
qui ne soit un sujet de dispute; un théologien écrit donc toujours
au milieu d'une foule d'ennemis, et jamais ils ne furent en plus grand
nombre que dans notre siècle. On ne doit donc pas être étonné de
nous voir continuellement aux prises avec les sociniens, avec les
protestants, qui ont renouvelé presque toutes les anciennes erreurs;
avec les déistes et les autres incrédules qui les ont copiés tous. Nos
maîtres en théologie sont les Pères de l'Eglise; nous nous croyons
obligé de suivre leur exemple. Or, ces auteurs respectables ont écrit,
chacun dans leur temps , contre les erreurs qui faisoient du bruit
pour lors , et non contre celles dont le souvenir étoit à peu près ef-
facé ; il est de notre devoir de les imiter.
Nous ne sommes pas assez injuste pour accuser les protestants
d'avoir voulu, de propos délibéré, favoriser les ennemis du chris-
tianisme; mais il n'est pas moins vrai que, sans le vouloir, ils leur
ont fourni presque toutes leurs armes ; c'est un événement que nous
n'avons pas pu nous dispenser de faire remarquer une infinité de
fois , parce que la chose est évidente. Si les protestants se fâchent
de se trouver continuellement dans notre ouvrage associés aux in-
crédules, ce n'est pas à nous qu'ils doivent s'en prendre, mais à
leurs docteurs. Chez les luthériens, Mosheim et Brucker ; chez les
calvinistes, Beausobre, Basnage, Le Clerc, Barbeyrac; chez les an-
glicans, Chillingworth et Bingham , sont ceux dont nous avons
principalement consulté les livres , parce que ce sont les derniers qui
ont écrit , et qui paroissent avoir le plus de réputation. Ils ont cher-
ché à donner une nouvelle tournure aux anciennes objections; il«
ont eu l'art de défigurer la plupart des faits de l'histoire ecclé-
siastique ; il n'est presque pas un seul des Pères de l'Eglise , contre
lequel ils n'aient formé des accusations; ils ont donc imposé une
nouvelle tâche anx théologiens catholiques, à laquelle nos meilleurs
controversistes n'ont pas pu satisfaire : nous avons donc été obli-
gé de nous en charger; et si nous n'avons pas répondu à tout, nous
croyons du moins avoir fait le plus essentiel. En donnant une courte
notice des ouvrages des Pères, nous avons tâché de faire leur apologie.
^11 en est de même des personnages de l'ancien Testament dont
l'histoire sainte a loue les vertus, et que les incrédules, en mar-
chant sur les traces des manichéens, se sont appliqués à noircir.
DE 1/ AUTEUR. Il)
Mais loin de chercher à multiplier les articles île :ritifjuc sacrée ,
nous en avons supprimé un grand nombre. 11 nous a semblé inutile
de disserter sur des expressions que tout le monde entend, ou sur
des termes qui n'ont rien d'extraordinaire , et de copier le Diction-
naire de la Bible. Il est plus nécessaire, sans doute, d'éclaircir les
passages dont les hérétiques ou les incrédules ont abusé, ou qui font
un objet de dispute entre les théologiens.
On doit comprendre qu'un Dictionnaire Ihéologique, quelque exact
qu'il puisse être, ne pourra jamais tenir lieu d'un cours de théo-
logie complet, dans lequel on rassemble sur chaque question
toutes les preuves et les réponses aux objections; où l'on fait voir
la liaison que nos dogmes ont entre eux, de manière que l'un éclair-
cit et confirme l'autre. ' Ce seroit une erreur de croire qu'avec le
secours d'un Dictionnaire aussi abrégé, l'on peut devenir grand
théologien. Si celui-ci avoit été destiné à paroître seul, il auroit
nécessairement fallu le rendre plus étendu, y faire entrer plusieurs
articles de métaphysique, de morale, d'histoire, de discipline , de
jurisprudence canonique, que nous avons dià laisser à ceux auxquels
ils appartiennent.
Il n'auroit pas été difficile non plus de le charger de citations ;
mais il suffit d'avertir, en général, que, pour la Critique sacrée, les
Prolégomènes de la Pol/gloite d^ Angleterre , la Philosophie sacrée de
Glassius, les Dissertations et les Préfaces de la Bible à" Avignon , en 17 vo-
lumes in-4.'', sont les principales sources où l'on a puisé. Pour
V Histoire ecclésiastique, Fleury , Cave, Dupin, Tillemont, dom Cel-
lier, sont les auteurs qu'il auroit fallu citer continuellement. Nous
n'avons pas hésité de copier plusieurs observations dans les pro-
testants desquels nous venons de parler, surtout de Mosheim, lors-
qu'elles nous ont paru vraies et dignes de l'attention du lecteur. Pour
la théologie dogmatique, quand nous aurions mis à chaque article
les noms de Petau , de Tournély , de Wittasse , de Lhei-minier ,
de Juénin, ou de quelques auteurs plus modernes, le lecteur n'en
auroit pas été plus instruit; ces ouvrages sont connus de tous le»
théologiens , et les autres personnes ne sont pas tentées de les lire.
Nous n'avons pas la vanité de croire que ce Dictionnaire est tel
qu'il devroit être; un seul homme, quelque laborieux qu'il soit, ne
peut suffire à cette entreprise. Ceux qui viendront après nous pour-
ront faire mieux ; il est pins aisé de voir les défauts d'un ouvrage
déjà fait, que de les éviter en le composant.
« Un Dictionnaire théologique a d'autres avantagea que n'offre point un traité
complet : il est d'un usage plus ge'néral ; on le consulte plus commodément , plu»
agréablement ; il renferme d'ailleurs un grand nombre d'articles, dont n'est point
susceptible an cours de lliéologic.
NOTICE HISTORIQUE
SUR M. BERGIER.
M- Bergier ( Nicolas-Sylvestre ) , pieux et savant prêtre
qui consacra la grande partie de sa vie et ses rares talents
à la défense de la religion , et dont le nom passera avec
honneur à la postérité, naquit à Darney, petite ville des
Vosges, le 3i décembre 1718, d'une famille franc-comtoise
qui s'y étoit établie ^ Son père, homme religieux et inr
struit , commença son éducation et présida à ses pre-
mières études. Il l'envoya pour les hautes classes, d'abord
au collège et successivement au séminaire de Besançon ,
si avantageusement connu dans toute la France pour sa
régularité et pour son instruction. Partout le jeune Ber-
gier fit des progrès rapides et rares , partout il eut ces
succès brillants qui révèlent les dispositions les plus heu-
reuses dans un élève. Ce qui le distingua peut- être plus
particulièrement , et put faire pressentir sa vocation à
l'état ecclésiastique et les services importants qu'il y ren-
droit, c'est qu'il montra constamment l'amour de l'étude,
une piété douce et aimable, un goût prononcé et une fa-
cilité singulière pour la science de la religion, cette phi-
losophie véritable , la seule qui conduise à l'amour de la
sagesse et de toutes les connoissances utiles. Les belles
espérances qu'il donnoit furent sans doute une douce jouis-
• Le père de M. Bergier étoit originaire de Myon, près Salim. Darney, ber-
ceau du fils, appartint au diocèse de Besançon jusqu'au premier concordat entre
Pie VU et la France. C'est dans ce diocèse que M. Bergier fut élevé , reçut les saints
ordres et exerça les fonctions pastorales durant seize ans ; ce diocèse a ainsi tous les
litres pour revendiquer ce grand homme, et c'est à tort qu'onaélcvtf un doate %
cet égard.
VJ nOTICE
sance pour son premier maître. Ce bon père dut s applau-
dir alors d'avoir contribué à l'usage si honorable que son
fils faisoit de ses talents , par la première et sage direction
qu'il leur avoit donnée. Mais il dut s'applaudir bien da-
vantage , s il put voir ensuite comment ce fils savoit hono-
rer l'état saint qu'il avoit embrassé, et s'élever lui-même
à une glorieuse célébrité.
Déjà en i744» <lans sa vingt-sixième année et peu après
son élévation au sacerdoce , il concourut pour une chaire
de théologie vacante à l'université de Besançon, d'une ma-
nière très-distinguée , et en faisant preuve , à l'entrée de sa
carrière ecclésiastique , d'une instruction que la plupart
n'ont pas et ne pourroient avoir en finissant la leur. Ce-
pendant il crut devoir chercher à s'instruire davantage , et
dès l'année suivante il alla suivre les grands maîtres de la
capitale, et s'aider de ses riches bibliothèques , pour éten-
dre ses connoissances. Il ne quitta le séjour de Paris, qui
convenoit peut-être à l'intérêt de la religion plus encore
qu'à son goût , que pour rentrer dans son diocèse et venir
exercer les fonctions pastorales à Flangebouche , paroisse
de campagne, dans les montagnes de Franche-Comté. Son
mérite sembloit le rendre supérieur à ce poste; d'autres
purent avoir cette pensée; M. Bergier, trop modeste pour
la partager, ne fit attention qu'à l'appel de monseigneur
l'archevêque de Besançon , son prélat, et il se rendit sans
hésitation et sans répugnance à sa destination.
La science qui enfle ne rend pas toujours utile , et il
arrive quelquefois qu'un prêtre savant n'est pas un bon
curé; mais M. Bergier avoit, outre la science, les vertus
et toutes les qualités qui assurent des succès au ministère
pastoral. Aussi la mémoire du sien , quoiqu'il ne l'ail
exercé que l'espace de seize ans , s'est conservé à Flange-
bouche, et y est aujourd'hui en bénédiction. Un prêtre du
diocèse , qui fut comme lui curé à Flangebouche , dépose
que la foi et la piété de cette paroisse attestoient la sage
nctivité et la persuasive douceur du zèle de M. Bergier,
bien des années après qu'il en fut sorti ; que ce fut à regret ,
HISTORIQUE. vij
fcl par des considérations majeures , que ce bon pasteur
s'éloigna du troupeau qu'il aimoit et dont il étoit aimé ,
et qu'en 1786 il écrivoit encore que, sans la dureté du
climai et la difficulté de la desserte qui l'avaient forcé d'agir
contre son cœur , // aurait voulu vivre et mourir au milieu
de ses bons paroissiens de Flangebouche.
Ce fut là , malgré le peu de loisir que lui laissoit
l'exercice du saint ministère , que commença sa réputa-
tion dans le monde savant. L'académie des sciences, arts
et belles-lettres, nouvellement fondée à Besançon, ayant
proposé en 1752 deux médailles d'or pour un discours
d'éloquence et une dissertation historique, il traita l'un
et l'autre sujet dans les courts instants que lui laissoit son
ministère, et les deux médailles lui furent adjugées. Ce
premier triomphe fut pour ce laborieux écrivain le pré-
lude d'autres succès à la même académie , et , jusqu'au mo-
ment où elle le reçut dans son sein , il y obtint presque chaque
année un prix ou un accessit. Son discours sur ce sujet
proposé pour 1763 : Combien les mœurs donnent de lustre
aux talents, fut publié comme un chef-d'œuvre d'élo-
quence ; et après 1 avoir lu , on fit cette remarque flatteuse
pour l'auteur : Sans le vouloir, il s'est peint lui-mcme.
Dès qu'il occupa le fauteuil académique , il donna une
autre direction à ses talents , et , à l'exception de quelques
pièces qu'il écrivit par devoir et comme académicien , il
ne travailla plus que des sujets d'une utilité plus grande
et mieux sentie. Dieu, qui lui en inspiroit le choix pour
l'avantage de la religion, permit alors qu'il fût nommé
principal du collège de Besançon : place mieux assortie
à son goiit pour les belles -lettres et à son zèle pour en
propager l'amour , et qui lui ménageoit plus de temps
et de ressources pour les ouvrages importants qu'il mé-
ditoit.
Le philosophisme avoit déjà levé l'étendard contre la
religion de Jésus-Christ; M. Bergier étoit décidé à repousser
.ses sacrilèges attaques , et il consacra désormais à cet unique
objet le temps qu'il ne devoit pas à sa place, et les i)ro-
vil) NOTICE
(iigicusevS connoissances qu'il avoit dans les langues orien-
tales, la critique sacrée, l'histoire sainte et profane, la
philosophie, la physique, la géographie, la mythologie,
rhistoire naturelle, etc. Il donna successivenoent i." le
Déisme réfuté par lui-même; 2.° les Eléments primitifs des
langues; 3.° la Certitude des preui^es du christianisme , ou-
vrage auquel il ajouta comme supplément, la iî«]pon5«a«.r
conseils raisonnables, et la Réponse a la lettre insérée dam»
le recueil philosophique; l\° Y Apologie de la religion chré-
tienne; 5.° Y Examen du matérialisme. Il donna depuis à
ces différentes productions qu'il ne regardoit que comme
de simples essais, plus d'étendue et de perfection, en les
fondant toutes dans son Traité historique et dogmatique de
la vraie religion, Paris, i2 vol. in- 12, 1780, traduit
presque aussitôt en italien et en allemand. C'est dans ce
grand ouvrage qu'il a rassemblé les principes épars des
impies de tous les siècles, et formé de leur doctrine une
espèce de corps , pour discuter méthodiquement les re-
proches qu'ils ont faits à la religion. Il y a montré la filia-
tion des diverses erreurs des ennemis du christianisme ,
et prouvé 1° que les incrédules modernes étoient les co-
pistes de Celse , de Porphyre, de Julien, etc., et qu'ils
n'avoient fait que ressasser leurs difficultés mille fois ré-
futées; 2.° que les incrédules d'Angleterre avoient été les
précurseurs des incrédules de France ; 3.** que leurs ob-
jections contre les dogmes du christianisme leur étoient
fournies par les anciens hérétiques. Ce traité, riche en
érudition et fort en raisonnements , est une réponse solide
à tout ce qui a été écrit contre la religion.
Dans son Dictionnaire théologique, publié en 1788.
avec l'Encyclopédie méthodique , on retrouve la clarté ,
l'abondance et la force de ses autres productions ; il y at-
taque de nouveau et dans le plus grand détail tous les
raisonnements les plus spécieux des ennemis de la reli-
gion , et il montre la foiblesse de chacun avec une préci-
sion et une lucidité qui ne laissent subsister aucun nuage
d'erreur. Si des hommes qui se répètent sans cesse, le
HISTORIQUE. ix
forcenl à revenir sur des difficullés déjà résolues, il le
fait avec une variété de moyens et en déployant tant de
lecondité et d'érudition, qu'on conçoit à peine comment
un homme a pu acquérir autant de connoissances en tant
de genres. Nous devons cependant avouer que ce Diction-
naire lui a valu deux reproches assez graves : le premier ,
d'y ménager dans quelques endroits des erreurs ou des
préjugés accrédités; le second, de s'être associé aux ency-
clopédistes , et d'avoir fait beaucoup de mal , en accolant
une doctrine pure et sainte à leurs doctrines licencieuses
et impies.
Sur le premier reproche qui ne précise rien , des théo-
logiens très-orthodoxes , après avoir beaucoup lu M. Ber-
gier, demandent quelles sont ces erreurs qu'il a ménagées,
et dans quels articles de son Dictionnaire? Pour nous,
nous disons à de tels accusateurs : Pourquoi une dénon-
ciation si vague, qui n'est d'aucune utilité et qui a même
ses inconvénients , au lieu d'une révélation complète qui
n'en auroit aucun? celle-ci serviroit à nous éclairer et à
nous prémunir , et celle-là nous laisse exposés au danger
de ne pas apercevoir l'erreur. Peut-être n'a-t-on à repro-
cher à ce grand homme que d'avoir , dans des matières
laissées à la discussion des scolastiques , embrassé des
sentiments qu'on ne partage pas avec lui ; mais cela n'est
certainement pas ménager l'erreur et composer avec elle :
et pour notre compte , nous l'avouons ingénument , nous
ne pouvons croire queM. Bergierl'a ménagée réellement,
Nous repousserons aussi ce reproche odieux tant qu'il ne
sera pas mieux établi.
Quant à son association aux encyclopédistes, il est cer-
tain, disent ses censeurs, que l'aversion des hommes les
plus sages pour V JEncj^clopédie â cessé et qu'ils l'ont achetée
sans défiance aucune , dès qu'ils l'ont vue décorée du nom
de M. Bergier. Ainsi, à les entendre, parce qu'il avoit
fourni la partie théologique, les plus sages ont bonnement
cru que les autres parties étoient excellentes , quoique
travaillées par des impies; que le cynisme révoltant de
X NOTICE
leurs précédentes productions ne se relrouvoît pas daris
ceUe-ci, et qu'ils y faisoient au contraire amende hono-
rable de leurs blasphèmes ; en un mot , que le nom et le
concours de M. Bergier purifiant tout , ils pouvoient
acheter ce pernicieux ouvrage. Ceci n'est pas une simple
conjecture; il est certain, on l'a tranchément prononcé,
que les plus sages, au nom seul de M. Bergier, ont été
fascinés jusqu'à juger et à agir ainsi, c'est-à-dire, jusquà
juger sans ombre de sagesse ni de jugement , et à agir en
extravagants. Si l'on réussit, au moyen de semblables as-
sertions et en choquant toutes les vraisemblances , à flétrir
un nom si glorieux, quelle réputation restera entière?
Au reste nous sommes loin de supposer aucune mé-
chanceté à ceux qui sont si révoltés d'une association qui ,
nous le croyons du moins, révolta M. Bergier lui-même,
et pour laquelle il eut à vaincre une forte répugnance.
Nous pensons seulement qu'elle n'a pas eu la funeste in-
fluence qu'on lui prête , et voici ce qui nous le persuade :
d'abord, il étoit indubitable que \ Encjclopédie seroit pu-
bliée , quelque parti qu'il prît ; seulement la théologie ,
s'il avoit refusé de la traiter , l'auroit été par d'autres et
peut-être de la manière la plus perfide. Son association
n'a donc rien fait pour la publication de l'ouvrage, et il
seroit injuste de la lui imputer. Mais n'est-il pas vrai au
moins qu'elle lui a donné crédit et beaucoup contribué à
le répandre? Nous répondons que V Encjclopédie fut , au
commencement comme aujourd'hui , achetée par les
hommes sans principes et décidément impies , ensuite par
ceux qui ne font profession ni d'impiété ni de christia-
nisme. Les premiers vouloient cet ouvrage précisément
parce qu'il étoit mauvais , et les seconds quoiqu'il le fut ;
tous par un goût de curiosité et de dépravation , sans au-
cun égard au travail de M. Bergier, et ne se proposant
pas de le lire. Mais ses nombreux collaborateurs étoient
trop connus , la plupart s'étoient fait par de hideux écrits
une célébrité trop odieuse, pour ne pas inspirer la plus
(orte défiance aux hommes sages, et aucun d'entre eux
HISTORIQUE. xi
l'a <lû faire les frais de celte immense et coûteuse colJec-
ion encyclopédique. L'association de M. Bergier n'a donc
u et ne devoit avoir aucun mauvais effet.
Nous dirons plus encore : en surmontant sa répugnance
our cette association, il a probablement empêché que
arche sainte de la nouvelle alliance ne fût profanée; que
i science de Dieu, renfermée dans les Ecritures et les tra-
itions saintes, ne fût indignement exposée; en un mot,
u'on ne fit servir au scandale et à la perte de plusieurs,
i religion que le ciel a donnée à la terre pour Tédifica-
lon et le salut de tous. S'il n'a pu empêcher la publica-
ion de ce répertoire monstrueux où l'art le plus infernal
partout adroitement mêlé le mensonge , l'impiété et le
ice , avec l'histoire , les sciences et les arts , il a du moins
ilacé le remède à côté du poison ; et la doctrine saine et
iimineuse de son Dictionnaire en a peut-être guéri plu-
ieurs que les mauvaises doctrines des autres parties de
Encyclopédie avoient déjà mortellement blessés. Ainsi ,
3ut judicieusement pesé, son association aux encyclopé-
istes avoit des motifs plausibles , et nous ne répugnons
as à croire ( ce qui nous a été certifié ) qu'il y fut encou-
agé par les hommes les plus religieux , et en particulier
ar Mgr. l'archevêque de Paris.
On a encore de M. Bergier deux ouvrages posthumes :
2 premier composé dans sa dernière maladie, ayant pour
itre , Obserçalions sur h divorce , Besançon , 1 799 , est
ne réponse victorieuse à un écrit qui venoit d'être distri-
lué à tous les membres de l'assemblée constituante, pour
irovoquer un décret qui autorisât le divorce. M. Bergier
le se borne pas à traiter en théologien profond cette ma-
ière si intéressante pour la société , et à démontrer que
î divorce est injurieux à la religion; il prouve encore qu'il
l'est point conforme à la nature, qu'il est contraire à la
iistice et pernicieux aux mœurs , qu'il n'a jamais contribué
la population , et qu'il l'a même détruite chez les Grecs
I les Piomains.
Son second ouvrage posthume est le Tableau de la nif~
XÎJ NOTICE
sérîcorde divine, Besançon, 1821. 11 le composa pour la
consolation des âmes timides et pour les animer à la con-
fiance en Dieu, dont il puise tous les motifs dans l'Ecri-
lure sainte. « Moins il y aura du nôtre, dit-il lui-même au
» premier chapitre, plus l'instruction sera solide.... Dans
» tout ce qui vient de la main des hommes , l'erreur peul
» s'êlre glissée, et si nous donnions nos idées particulières,
» il y auroit lieu de s'en défier : mais lorsque nous nous
» bornons à exposer la conduite de Dieu envers tous les
» hommes et dans tous les temps , à répéter les expres-
» sions mêmes des auteurs sacrés , et à rapprocher leurs
» maximes , cette doctrine ne peut être suspecte. » On voil
effectivement, en lisant ce Tableau, que M. Bergier s'esl
scrupuleusement renfermé dans son plan. Rien n'est de
lui dans tout ce qu'il offre , soit aux âmes accablées pai
la crainte, soit aux pécheurs tentés de désespoir, poui
réformer leurs idées et les rappeler à l'espérance chré-
tienne. C'est toujours Dieu qui parle, toujours Dieu qui
dévoile lui-même le fond de son cœur paternel , qui étale
à nos yeux les richesses immenses de sa bonté , et les planî
admirables de cette Providence miséricordieuse quiéclain
les pécheurs, même à leur dernière heure, les converti!
et leur pardonne. Il nousparoît difficile que les personnesi
d'un tempérament triste et enclin au découragement , ou
celles qui d'un excès de présomption ou d'audace sont
tombées dans l'excès contraire, lisent cet ouvrage sans se
sentir fortement excitées à une piété tendre et à une douct
confiance en Dieu.
Nous n'avons pas parlé de l' Origine des dieux du paga
nisme, Paris, 1767, autre ouvrage de M. Bergier, qui
répudia en quelque sorte lui-même , par l'éloge qu'il fi
de Y Histoire des temps fabuleux. « Je puis assurer, di
» l'abbé Barruel , que je n'ai point vu d'admirateur plu;
» sincère et plus éclairé de cette admirable production d<
» M. du Rocher, que l'abbé Bergier. Il la louoit, la pré
» conisoit partout , et disoit hautement que le système dt
» la fable expUauée par l'histoire, étoit mieux prout'é qui
HISTORIQUE. Xll;
Je sien, et fhéritoil la préférence à tout égard. » Après ce
rait d'une modeslie rare dans un savant , on croit à la
Incérilé de M. Bergier, lorsqu'il s'clonne de sa célébrité
lans les pays étrangers et même en France ; lorsqu'il té-
noigne de la surprise à la vue des brefs de congratulation
[ue lui adressent deux pontifes romains, et à la réception
e portraits en miniature de plusieurs potentats , auxquels
litoient jointes des boîtes et médailles d'or qu'ils lui en-
l^oyèrent en signe de considération et d'estime.
Nous n'avons fait qu'indiquer plusieurs de ses ouvrages,
Darce qu'ils ont été si répandus et si bien appréciés , qu'il
lous a paru inutile de nous étendre sur l'importance des
iujets et le talent supérieur avec lequel il les a traités.
Mais nous croyons devoir révéler son courage et sa pa-
tience à soigner tout ce qu'il écrivoit , et les assujétisse-
ments pénibles qu'il s'imposoit pour le porter à un haut
legré de perfection. Il a déclaré lui-même que, avant de
ivrer au censeur les douze volumes de son Traité histo-
"ique et dogmatique, il les avoit transcrits de sa main jus-
qu'à trois fois. Son travail de tous les jours, qui duroit
luit heures au moins dans les années même de sa vieil-
esse, fut presque toujours inspiré par la religion et con-
sacré à sa défense, soutenu et sanctifié jusqu'à la fin par
lette piété noble et touchante qui respire dans tous ses écrits.
Désintéressé et sans ambition , il ne demanda rien ; et
j'il jouit de deux pensions de 2000 francs chacune , la
première , sur bénéfice , accordée par Louis XV, la seconde
jue lui fit l'assemblée du clergé de France , elles avoient
Hé sollicitées à son insçu , et il ne s'attendoit ni à l'une ni
i l'autre. Sa nomination à un canonicat de Notre-Dame de
Paris, en 1769, et le choix que Mesdames de France firent
le lui pour leur confesseur , furent encore deux événe-
[nents auxquels il ne s'attendoit pas. Mais comme il étoit
imi de la règle, et que ce dernier choix fixoit sa résidence
\ Versailles , il alla offrir à Mgr- l'archevêque de Paris
a démission de son canonicat : démission que ce prélat
'cfusa sur les instances du chapitre.
xiv NOTICE HISTORIQUE.
« A Versailles comme à Flangebouche, a dit un écrivain,
» Bergier a vécu en homme de cabinet, sans prétention
» et sans intrigue , ne voulant paroître à la Cour qu'autant
» que le devoir l'y appeloit. Il lui eût été facile de par-
» venir ; il étoit connu , on l'estimoit , il avoit le cœur ex-
» cellent et des manières franches et affables, il parloit
» avec grâce comme il écrivoit, mais il ne vouloit rien. »
Monsieur ( plus tard Louis XVIII ) , lui ayant offert une
abbaye de son apanage, il refusa en disant au prince : Je
suis assez riche.
Ami des pauvres , et accoutumé à verser dans leur sein
d'abondantes aumônes, il s'affligea pour eux des pertes
dont la révolution le menaçoit. Quoique je sois, écrivoit-il
le 19 novembre 1789, à la veille de faire une perte consi-
dérable , tant sur mes retenus que sur ce qui m'est du , Je
n'y ai de regret qu'autant que je ne pourrai plus assister les
malheureux.
Il termina sa vie sainte et laborieuse le 9 avril 1790. Un
orateur chrétien a trouvé son éloge dans le développement
de ces paroles du Sage : Sapientia justum deduxit per vias
rectas , et ostendit illi regnum Dei; et dédit illi scientiam
sanctorum, honesta^it illum in laboribus et complevit labores
illius. Sap. , c. 10, y. 10.
INTRODUCTION.
DES5HIN DE LA PROVIDENCE DANS L'ÉTABLISSEMENT DE LA RELIGION,
ORIGINE ET PROGRÉS DE l'iNCRÉDVILITÉ.
§1-
Dieu , disent les Pères de l'Eglise , donne au genre humain des
leçons convenables à ses difTérenfs âges ' ; comme un père tendre,
il a égard au degré de capacité de son élève; il fait marcher l'ou-
vrage de la grâce du même pas que celui de la nature , pour démon-
trer qu'il est l'auteur de l'un et de l'autre. Tel est le principe du-
quel il faut partir , pour concevoir le plan que la sagesse étemelle
a suivi, en prescrivant aux hommes la religion.
Ce plan renferme trois grandes époques relatives aux divers états
de l'humanité. Dans les siècles voisins de la création le genre
humain , dans une espèce d'enfance , n'avoit encore d'autre société
que celle des familles , d'autres lois que celles de la nature , d'autre
gouvernement que celui des pères et des vieillards. Dieu révéla
aux patriarches une religion domestique , peu de dogmes , un culte
simple , une morale dont il avoit gravé les principes au fond des
cœurs. Le chef de famille étoit le pontife-né de cette religion pri-
mitive. Emanée de la bouche du Créateur, elle devoil passer des
pères aux enfants , parles leçons de l'éducation. La tradition do-
mestique , les pratiques du culte journalier, la marche régrîlîâTn de
l'univers et la voix de la conscience se réunissoient pour ap-
prendre aux hommes à n'adorer qu'un seul Dieu. Ce premier lîeTî
de société , ajouté à ceux du sang , étoit assez puissant pour unir les
diverses branches d'une même famille , et pour former iasensible-
ment des associations plus étendues.
Cette idée de la religion primitive n'est pas de nous , elle est
tirée des livres saints. L'Ecclésiastique , après avoir parlé de la
création de nos premiers parents , ajoute : « Dieu les a remplis de
« TertuU., 1. (le Vircin. velandis , c, i. S. Auc, , !. de verâ Relig. , c 26
et 27, elc. T hc'odoret , Haeret. Fab. , I. 5 , c. 17; De Provid, , oral. 10 , etc.
2 IINTRODUCTION
» la lumière de rintelligence , leur a donné la science de l'espril , à
» doué leur cœur de sentiment , leur a montré le bien et le mal ; il
»» a fait luire son œil sur leurs cœurs , afin qu'ils vissent la maguifi-
>» cence de ses ouvrages , qu'ils bénissent son saint nom , qu'ils le
» glorifiassent de ses merveilles et de la grandeur de ses œuvres. Il
» leur a prescrit des règles de conduite , et les a rendus dépositaires
» de la loi de vie. Il a fait avec eux une alliance étemelle , leur a
» enseigné les préceptes de sa justice. Ils ont vu l'éclat de sa gloire ,
») ont été honorés des leçons de sa voix ; il leur a dit : fuyez toute
>> iniquité ; il a ordonné à chacun d'eux de veiller sur son prochain • . »
Mais la religion révélée de Dieu , est un joug que l'homme con-
sent difficilement à porter ; s'il n'ose le secouer absolument , il
cherche à le rendre moins incommode. La négligence des pères ,
l'indocilité des enfants , la jalousie , l'intérêt , la crainte , passions
inquiètes et ombrageuses , firent interrompre peu à peu les pratiques
du culte commun , et oublier la tradition domestique. L'homme se
fit autant de divinités qu'il y a d'êtres dans la nature ; il ne suivit
que son caprice dans le culte qu'il leur rendit. Bientôt il y eut
autant de religions que de peuplades; chacune voulut avoir ses
dieux tutélaires. Cette division fatale est une des causes qui ont le
plus retardé les progrès de la civilisation.
§n.
Après plusieurs siècles , un grand nombre d'hommes se réuni-
rent , commencèrent à suivre àes lois et des usages communs , à
former un peuple , une république , un royaume. Mais ces nations
naissantes , toujours en défiance les unes à l'égard des autres , de-
meurèrent dans un état de guerre ; elles ne s'approchoient que pour
se dépouiller et s'entre-détniire ; tout étranger étoit censé un en-
nemi. Déjà plongées dans l'erreur, comment pouvoient-elles être
corrigées ? comment faire revivre la révélation donnée à nos pre-
miers pères.'* Dieu donna aux Hébreux une religion nationale, in-
corporée aux lois et à la constitution de leur république , ou plutôt
destinée à la fonder. Relative au climat , au génie de cette nation ,
aux dangers dont elle étoit environnée , elle étoit faite non pour un
peuple déjà poHcé, mais qui alloit le devenir. C'est donc relative-
'Eecl.,c. I7,y. Setjiiir.
INTRODUCTION 3
ment à l'intérêt politique, à l'utilité nationale qu'il faut l'envisager,
l>our en voir la sagesse , et pour estimer le temps de sa durée.
Telle est encore l'idée que nous en donne le même auteur sacré :
« Dieu, dit-il , a préposé un chef à chaque nation ; mais il a réservé
» pour sa part les Israélites. Il a éclairé toutes leurs démarches,
») comme le soleil répand sa lumière sur toute la nature ; ses yeux
» n'ont cessé de veiller sur leurs actions ; leurs iniquités n'ont point
» effacé l'alliance qu'il avoit faite avec eux '. *
L'homme s'éloit égaré en prenant pour des dieux les différentes
parties de la nature ; Dieu frappa de grands coups sur la nature ,
pour faire sentir aux hommes qu'il en étoit le maître. Il effraya les
Egyptiens, les Chananéens , les Assyriens, les Hébreux, par des
prodiges de terreur. J'exercerai, dit-il, mes jugements sur les dieux
de l'Egypte; il déclare qu'il fait des miracles, non pour les Hébreux
seuls, mais pour apprendre à tous les peuples qu'il est le Seigneur.
Il les fit en effet sous les yeux des nations qui jouoient le plus grand
rôle dans le monde connu. Dieu ne révéla point de nouveaux
dogmes, mais il annonça de nouveaux desseins. La croyance de
Moïse et des Hébreux étoit la même que celle d'Adam et de Noé ;
le décalogue est le code de morale de la nature : le culte ancien fut
conservé ; mais Dieu le rendit plus étendu et plus pompeux : dans
une société policée, il falloit un sacerdoce ; la tribu de Lévi en fut
chargée à l'exclusion des autres. La tradition nationale éloit l'oracle
que les Hébreux dévoient consulter ; toutes les fois qu'ils s'en écar-
tèrent, ils tombèrent dans l'idolâtrie ; dès qu'ils voulurent frater-
niser avec leurs voisins , ils en contractèrent les vices et les erreurs.
Mais Dieu ne laissa point ignorer ce qu'il avoit résolu de faire
dans les siècles suivants. Par la bouche de ses prophètes , il annonça
la vocation future de toutes les nations à sa connoissance et à son
culte. La religion juive n'étoit qu'un préparatif à la révélation plus
ample et plus générale , que Dieu vouloit donner , lorsque le genre
humain seroit devenu capable de la recevoir
§111.
Ce temps étoit arrivé, quand le Fils de Dieu vint annoncer, sous
le nom <ï Evangile ou de bonne nouvelle , une religion unioerselie.
La révélation précédente avoit eu pour but de former un royaume
1 EcclJ. ,c, 17,^. i4cis«iv. **■
4 IINTRODUCTION.
ou une république sur la terre ; Jésus-Christ prêcha le royaume des
deux. Une grande monarchie avoit englouti toutes les autres; tous
les peuples policés étoient devenus sujets du même souverain. Les
arts , les sciences , le commerce, les conquêtes , les communications
établies, avoient enfin disposé les peuples à fraterniser et à se
réunir dans une seule Eglise. Le Fils de Dieu envoie ses apôtres
prêcher l'Evangile à toutes les nations. J'en ferai, dit-il, un seul
troupeau sous un même pasteur ' . Si ce dessein n'avoit pas été
conçu dans le ciel , il seroit le plus beau qui eût pu se former sur
la terre; et si Jésus-Christ n'étoit pas Dieu, il seroit encore le
meilleur et le plus grand des hommes.
Ceux-ci étoient moins grossiers et moins stupides que dans les
siècles précédents ; aussi les signes de la mission du Sauveur n'ont
point été des prodiges de terreur, mais des traits de bonté. Les
mœurs étoient plus douces , mais plus voluptueuses ; il falloit une
morale austère pour les corriger. Une philosophie curieuse et té-
méraire n'avoit laissé subsister aucune vérité ; il falloit des mystères
pour la confondre et pour réprimer ses attentats. Les usages de la
vie civile avoient acquis plus de décence et de dignité ; il fall'oit un
culte noble et majestueux. Les connoissances circuloient d'une
nation à une autre; la tradition unioei'selle ou la catholicité étoit
donc la base sur laquelle l'enseignement devoit être fondé. Telle
est en effet la constitution du christianisme.
Ce n'est pas le connoître que de l'envisager comme une religion
nouvelle , isolée , qui ne tient à rien , qui n'a ni titres , ni ancêtres.
Ce caractère est l'ignominie de ses rivales ; ainsi elles portent sur
leur front le signe de leur réprobation. Le christianisme est le der-
nier trait d'un dessein formé de toute éternité par la Providence , le
couronnement d'un édifice commencé à la création ; il s'est avancé
avec les siècles , il n'a paru ce qu'il est qu'au moment où l'ouvrier
y a mis la dernière main. Aussi les apôtres nous font remarquer
que le Verbe étemel qui est venu instruire et sanctifier les hommes,
est celui-là même qui les a créés ^. Saint Augustin, dans ses livres
de la Cité de Dieu, envisage la vraie religion comme une ville
sainte, dont la construction a commencé à la création, et ne doit
être finie que quand ses habitants seront tous réunis dans le ciel.
Ce plan sublime n'a pu éclore dans l'esprit d'un homme ; il em-
brasse toute la durée des siècles ; ceux mêmes qui , dans les premiers
» Fietunumovileet uniispas«or./oan. c. io,]S?. i6. — ^ Joan. , c. i; Heb., c. i.
INTRODUCTION. r,
âges, ont concouru à son exécution, ne le connoissoient pas. C'est
Jésus-Christ qui nous l'a révélé. Saint Jean , au commencement de
son évangile; saint Paul, dans sa lettre aux Galates, et dans Ig
premier chapitre de l'épître aux Hébreux , l'ont clairement déve-
loppé. Le christianisme est la religion du sage , de l'homme par-
venu à l'âge viril et à la maturité parfaite '.
L'auteur de l'Ecclésiastique , qui a si bien présenté les deux
premières époques de la révélation, ne pouvoit peindre la troisième;
il l'a précédée de plus de deux cents ans ; mais il prie Dieu d'ac-
complir ses promesses et les prédictions des anciens prophètes ;
« afin, dit-il, que l'on reconnoisse la fidélité de ceux qui ont parlé
» en votre nom , et pour apprendre à toutes les nations que tous les
•» siècles sont présents à vos yeux^. »
§ IV.
Un signe non équivoque de l'opération divine est la constance
et l'uniformité ; ce caractère brille dans la nature , il n'éclate pas
moins dans la religion. Dieu n'a point enseigné aux hommes dans
un temps le contraire de ce qu'il leur avoit dit dans un autre ; mais
à certaines époques il leur a révélé des vérités , dont il ne les avoit
pas encore instruits auparavant. La crojance des patriarches n'a
point été changée par les leçons de Moïse ; le symbole des chré-
tiens, quoique plus étendu, n'est point opposé à celui des Hébreux.
Le code de morale donné à Adam se retrouve dans le décalogue ;
celui-ci a été renouvelé , expliqué et confirmé par Jésus-Christ ;
mais la religion parfaite et immuable dès sa naissance, parce
qu'elle est l'ouvrage de la sagesse divine , a souvent été défigurée
par l'aveuglement et par les passions de l'homme. Dieu ne change
point ; l'homme varie continuellement. Plus il oublie et méconnoît
les leçons de son Créateur , plus il est nécessaire que ce père sage
et bon les renouvelle, les rende plus étendues et plus frappantes.
Dans les égarements de l'homme , rien d'uniforme ; la vérité est
une, les erreurs changent à l'infini^; un peuple nie ce que l'autre
affirme, les opinions d'un siècle sont effacées par celles du siècle
suivant. Tantôt les philosophes ont enseigné qu'il y a autant de
dieux que d'êtres dans la nature; tantôt, qu'il n'y en a point du
I Ephes. , c. 4, y . i3. -r 2 Eccli. , c. 36, >^ . i6. — 3 Thdod. , de Prov. , oral, i ,
p. 321.
6 INTRODUCTION,
tout. Dans un temps, ils ont confondu la Divinité avec l'âme du
monde ; dans un autre , ils ont cru que Dieu étoit l'artisan du
inonde, mais qu'il ne se mêloit point de le gouverner. Les uns
nous ont accordé une âme, les autres nous l'ont refusée; ceux-là
comtattoient pour la liberté humaine , ceux-ci pour la fatalité ; telle
secte croyoit à la vie future, telle autre n'y ajoutoit point de foi.
Les plus anciens enseignèrent une morale assez pure ; leurs succes-
seurs la corrompirent, ou la sapèrent par les fondements. Dans
tous les lieux du monde on raisonnoit sur la religion ; dans aucun
l'on n'osoit y toucher, de peur de la rendre pire. Le peuple suivoit
à l'aveugle les leçons de ses conducteurs et la tradition de ses an-
cêtres : fables, contradictions, dérèglement partout.
Au milieu de cette nuit profonde , im rayon de vérité brille dans
un coin de l'univers , une religion pure y subsiste ; elle descend en
droite ligne du premier homme, par conséquent du Créateur; elle
s'est perpétuée dans une seule branche de familles successives.
Lorsqu'elle est prête à s'éteindre, Dieu paroît de nouveau et se fait
entendre : il parle en maître souverain de la nature ; les Hébreux
étonnés tremblent, écoulent dans le silence. Il faut les séparer de
toutes les nations livrées à l'erreur, les assujétir par une loi sévère.
Vingt fois ils veulent en secouer le joug , autant de fois ils sont
forcés de le reprendre. Lors même qu'ils y paroissent le plus sou-
mis , ils en prennent les dogmes de travers , en corrompent la mo-
rale, altèrent le sens des promesses divines. Dieu cependant est
fidèle à les accomplir ; au moment qu'il a marqué d'avance , son
Verbe incamé paroît parmi les hommes , revêtu de tous les carac-
tères de la Divinité. Annoncé par les prophètes, attendu par les
justes , précédé par des prodiges , né du sang le plus noble qu'il y
eût dans l'univers , il reçoit le nom de Sauoeur; admirable par sa
doctrine , étonnant par ses miracles , respectable par ses vertus ,
aimable par s&s bienfaits , il prêche le royaume des cieux. Mais
cette lumière luit dans les ténèbres : il est méconnu, rejeté, con-
damné par la nation même qu'il venoit instruire et sauver. Il
meurt , ressuscite , monte au ciel , ordonne et prédit la conversion
du monde : elle s'accomplit ; le christianisme est établi ; il subsiste
depuis dix-huit cents ans , malgré les efforts renaissants des incré-
dules de tous les siècles. Voilà le tableau de la religion. On ne
peut y méconnoître la main de l'intelligence toute-puissante et éter-
INTRODUCTION. 7
nelle , qui d'un coup d'oeil embrasse tous les siècles ' , voit toutes les
révolutions que doivent subir ses créatures , trace dès le premier
instant le plan qu'elle suivra dans toute la durée des temps .
Pour en saisir l'ensemble, nous avons trois signes qu'il ne faut
pas séparer. Dans l'histoire de la religion que nous présentent les
écrivains sacrés , nous voyons :
i.° Une chaîne de faits qui se succèdent, qui ne laissent aucun
vide, où l'on ne peut rien déplacer. L'ordre des générations et des
événements nous conduit d'Adam à Noé, de Noé à Abraham, de
celui-ci à Moïse, de Moïse à Jésus-Christ. La création et la chute
de l'homme , le déluge universel et la dispersion des peuples , la
vocation d'Abraham et les prédictions qui regardent sa postérité,
sont trois grandes époques auxquelles se rappellent les faits inter-
médiaires , et qui préparent de loin la révélation donnée par Moïse.
Celle-ci nous fait envisager la venue du Messie et la conversion des
peuples , comme le terme auquel tous ces préparatifs doivent abou-
tir. Voilà un plan général , un dessein suivi , qui démontre que rien
n'est arrivé par hasard , et que rien n'a été écrit sans raison ; ce
n'est point ainsi que sont tissues les annales mensongères des autres
peuples y auxquelles les philosophes trouvent bon de donner la pré-
férence.
2.° Une chaîne de vérités prouvées par ces faits mêmes , toujoui-s
relatives aux besoins actuels et à la situation dans laquelle se trouve
le genre humain. Sous la première époque, tout concourt à incul-
quer ce dogme capital, qu'il y a un seul Dieu créateur, dont la
providence dirige tous les événements , et qu'il gouverne en maître
absolu le monde qu'il a tiré du néant. Sous la seconde, tout se
rapporte à démontrer que ce même Dieu est le fondateur de la
société civile , l'arbitre souverain de la destinée des peuples , qu'il
les place et les déplace , les élève ou les humilie , les éclaire ou les
laisse dans l'aveuglement, comme il lui plaît. Sous la troisième, le
but principal de la révélation est de nous convaincre que Dieu est
encore l'auteur de la sanctification de l'homme , que le salut n'est
point l'ouvrage de la volonté seule , mais de la grâce divine et dea
mérites du Médiateur.
' Tu es Deua conspcctor saeculorum. Eccli. , c. 36 , ^. 19.
g INTRODUCTION.
Ainsi, depuis la notion du Créateur, et la première promesse
faite à l'homme pécheur, l'étendue et la clarté de la révélation va
toujours en augmentant, à mesure que l'homme devient capable de
leçons plus amples et plus parfaites, jusqu'à la manifestation pleine
et entière de la grâce et de la vérité par Jésus-Christ. Par la révé-
lation primitive, la loi naturelle ne paroît connue qu'autant qu'il
étoit nécessaire pour la prospérité des familles , et pour engager les
hommes à se rapprocher. Dieu tolère, dans les patriarches, des
abus qui dévoient être retranchés dans la suite des temps, mais
qu'il eût été difficile d'arrêter pour lors , et qui ne pouvoient encore
produire d'aussi mauvais effets que chez les peuples mieux civilisés.
La loi de Moïse supprime ou diminue une partie de ces abus : mais
le droit des gens, ou le droit d'une nation à l'égard d'une autre , est
encore très-peu connu. Il étoit nécessaire que les Hébreux demeu-
rassent isolés et dans l'état de séparation dans lequel tous les peu-
ples vivoient pour lors. C'est seulement par l'Evangile, que les
grands principes de morale sociale, de charité universelle, d'Au-
manité , ont été enfin développés ; les anciens philosophes n'en
étoient pas mieux instruits que les autres hommes. Ici on reconnoît
encore la sagesse de la Providence, qui ne donne à s,e.s enfants que
les leçons dont ils sont susceptibles , et n'exige d'eux des vertus
que selon le degré de leurs connoissances.
3.° Une chaîne d'erreurs et d'égarements chez les hommes in-
dociles; erreurs qui viennent toujours de la même source, de leur
révolte contre l'autorité divine. Sous la loi de nature, ceux qui se
sont écartés de la tradition domestique, sont tombés dans le poly-
théisme et y ont persévéré ; ils ont adoré les ouvrages du Créateur
sans l'adorer lui-même ; leur culte n'a été qu'un chaos de profana-
tions. Tel est encore l'état des peuples chez lesquels le flambeau de
la révélation ne s'est point rallumé ; aucun progrès de la raison
humaine, pendant soixante siècles, n'a été capable de les en tirer.
Sous la loi mosaïque , lorsque les Juifs ont méconnu leur tradition
nationale, ils se sont plongés dans l'idolâtrie, comme toutes les
nations voisines ; ils ont adoré l'ouvrage de leurs mains , sont de-
venus aussi aveugles que si Dieu n'avoit jamais daigné les instruire.
Dans le sein du christianisme, quiconque abandonne la tradition
uniocrselle ou la catholicité, tombe dans l'hérésie , qui n'est qu'une
philosophie erronée ; mais s'il raisonne de suite , il n'y demeure pas
long-temps, il passe rapidement au déisme, au matérialisme, au
INTRODUCTION. 9
pyrrhonisine absolu : ou il adore le Dieu de Spinosa, ou il n'adore
rien du tout. Nous verrons dans un moment le tissu des consé-
quences qui conduisent à cet abîme ; l'enchaînement n'en fut jamais
aperçu par ceux mêmes qui s'y trouvent enlaces.
§ VI.
Parmi tous ces grands génies qui attaquent aujourd'hui la reli-
gion , en est-il quelqu'un qui ait entrepris de renverser le plan gé-
néral de la révélation , ou qui ait fait de fortes objections pour le
détruire ? Pas un seul ne s'en est seulement douté. A les entendre,
il semble que la religion soit un hors-d'œuvre dans la société , et
que l'on ne sache pas d'où elle est venue ; que Jésus-Christ soit
arrivé sur la terre sans être prévu ni attendu ; que le christianisme
soit le résultat des idées d'un homme singulier, qui a rêve qu'il
éloit destiné à changer la face de l'univers.
Ce n'est point ainsi qu'il est représenté dans nos Livres saints.
« Jésus-Christ , disent ses apôtres , n'est pas seulement d'aujour-
» d'hui, il étoit hier, et le même pour tous les siècles '. Il étoit dans
» les décrels éternels avant la naissance du monde ^. C'est l'agneau
» immolé dès la création^. L'ouvrage qu'il a consommé développe
» enfin un mystère caché dans le sein de Dieu , dès le commence-
» ment des siècles , et fait comprendre la sagesse de sa conduite et
» de ses desseins éternels *. j> Jésus-Christ a fait de l'ancien et du
nouveau Testament une seule et même alliance^, Conséquemment
saint Augustin soutient que le christianisme a existé depuis la créa-
tion^; et M. Bossuet, que la religion est la même depuis l'ori-
gine du monde?.
Entreprendre de prouver la vérité et la divinité du christia-
nisme , sans avoir égard aux deux époques de la révélation qui ont
précédé, ce seroit lui dérober la plus frappante de ses preuves,
juger du coin d'un tableau sans envisager l'ensemble , mettre
notre religion de niveau avec celles des Indiens et des Chinois.
Non , elle tient à l'origine du monde , et doit durer autant que lui.
Les autres ne sont que des excrescences ou des taches qui obscur-
cissent ou défigurent le plan général , ou tout au plus des ombres
qui ne servent qu'à mieux faire sortir les traits de lumière.
« lleb. c. 1 3 , >^. 8. — 2 I. Peir. c. i , :ji/". 20. — 3 Apoc. c. i3 , ^ . 8. — ♦ Eph.
c, 3, ^.9 et 10. — 5 Fecit utraquc unum.Eph., c. 2, yï. 14. — 6 Relract. , 1. 1,
c. i3, n. 3. Ep. I02,q.2. — 7 Discours sur rHi'st.unlv., 2. i>iirl. ^3Tt. I»
,o INTPlODUCTION.
De même que la religion domestique des patriarches n'a dû
persévérer que jusqu'au moment où les peuplades dispersées se
rassembleroient pour former des corps de nation , ainsi la religiun
nationale des Hébreux n'a dû se maintenir que jusqu'à l'époque à
laquelle les peuples mieux civilisés seroient capables de composer
une société religieuse universelle. En suivant le fil de l'histoire , on
voit que cette constitution même du christianisme a empêché les
peuples de l'Europe de retomber dans la barbarie. Une quatrième
révélation générale est donc impossible ; elle ne scroit plus ana-
logue à aucun état de la nature humaine. Tant que l'univers sera
policé , il doit être chrétien ; il ne peut être bien civilisé que par
l'Evangile. Jésus-Christ a embrassé dans son plan toute la durée
du monde , lorsqu'il a promis à son Eglise d'être avec elle jusqu'à
la consommation des siècles. Long-temps avant la mission de Moïse,
le Messie avoit été annoncé comme un législateur qui devoit ras-
sembler les peuples ; aucune prophétie ne nous parle d'un nouvel
envoyé : lorsque Dieu lui-même a daigné nous instruire en per-
sonne , quel pourroit être le maître capable de nous donner de
meilleures leçons ?
Jésus-Christ a reçu de son Père le souverain domaine sur toutes
choses ' , tout a été créé par lui et pour lui , rien ne subsiste qu'en
lui^ ; son règne dans le ciel est éternel^ , et il ne cessera sur la terre
que quand tous ses ennemis seront abattus à ses pieds *.
§VIL
Origine et progrès de rincrédulité.
D'où peut donc venir l'irréligion, qui de nos jours s'est répandue
dans l'Europe entière ? La peste noire, qui au quatorzième siècle
ravagea une partie de notre hémisphère , ne fit pas des progrès plus
rapides. Les auteurs sacrés ont constamment attribué à l'esprit de
ténèbres les erreurs des hérétiques , les superstitions des idolâtres ,
les artifices malicieux des incrédules ' , et Us nous ont appris à con-
noître les moyens dont il se sert. Disons-le hardiment , nous n'a-
vons que trop de preuves à produire; l'incrédulité est fille de l'i-
gnorance : dans un siècle qui se croit très-instruit, la religion n'est
pas connue. Mais cette ignorance même tient à d'autres causes ; il
iMaUb., c. II, f. ay. — 2 Coloss. , c. i,S. 16 et 17. — 3 II. Pet., c. i.
V.11.-4I. Cor., c. i5, f. 25. — 5Ephes.,c.5,?^. 12.
INTRODUCTION. ,,
en est de générales et de particulières ; l'histoire en est tracée dans
celle des peuples qui nous ont précédés.
Ce n'est pas la première fois que cette maladie épidémique a
paru dans le monde. Les Grecs , parvenus au comble de la pro-
spérité par leurs victoires sur les Perses , se précipitèrent dans l'é-
picuréisme ; Rome , maîtresse du monde , chargée des dépouilles
de l'Asie , fit entrer dans ses murs avec le luxe cette odieuse philo-
sophie; les Juifs, délivrés de la persécution des rois de Syrie, cl
enrichis par le commerce d'Alexandrie, virent éclorele saducéisme,
qui n'étoit qu'un épicuréisme grossier. Selon les observations
de plusieurs politiques modernes, les mêmes vaisseaux qui ont voi-
ture dans nos porls les trésors du Nouveau Monde , ont dû y ap-
porter le germe de l'irréligion , avec la maladie honteuse qui em-
poisonne les sources de la vie.
A la suite du luxe , marche la, philosophie, qui n'est elle-même
qu'un luxe de connoissances. Une nation qui s'applaudit d'avoir
quitté les mœurs agrestes de ses aïeux , se fait presque un point
d'honneur de renoncer à leur croyance. Ne seroit-il pas aussi indé-
cent de conserver l'antique religion de nos pères , que de porter les
mêmes habits? L'esprit, devenu calculateur, suppute les avantages
d'une nouvelle façon de penser, comme il estime le produit d'un
nouveau commerce , ou d'une branche d'industrie ; nos philosophes
ont porté l'exactitude jusqu'à évaluer la dépense du pain bénit et
des cierges' : bientôt l'on marchande combien coûte la vertu, et
l'on juge ordinairement qu'elle est trop chère.
Chez un peuple corrompu par l'amour effréné des plaisirs ,
plus la religion est sainte , plus elle doit devenir odieuse ; sa mo-
rale se trouve si éloignée du ton général des moeurs, qu'elle ne peut
manquer de paroître impraticable : l'esprit, énervé par les foi-
blesses du cœur, n'envisage plus cette morale qu'avec effroi. On
,est descendu de sa hauteur par une pente imperceptible ; on ne se
sent plus assez de force pour regagner le sommet. On argumente
pour prouver qu'il est inaccessible, que la tête y tourne , que l'on
ne peut y respirer : les philosophes , qui promettent de le démon-
trer, sont sûrs de trouver des auditeurs dociles. Les uns et les
autres s'applaudissent de leur sagacité, vantent les progrès des lu-
mières du siècle, donnent l'irréhgion comme le résultat des con-
noissances qu'ils ont acquises: ce n*estque l'effet des vices qu'ils
• Encyclop. , Pain Wnil.
„ INTRODUCTION.
ont contractés. Si nous pouvions nous flatter d'avoir plus de vertus
que nos pères , il nous serolt permis de penser que nous sommes
aussi beaucoup plus éclairés.
Les panégyristes même du siècle présent nous font remarquer
que « l'âge de la philosophie annonce la vieillesse des empires ,
» qu'elle s'efforce en vain de soutenir. C'est elle qui forma le der-
» nier siècle des belles républiques de la Grèce et de Rome. Athènes
M n'eut de philosophes que la veille de sa ruine , qu'ils semblèrent
» prédire. Cicéron et Lucrèce n'écrivirent sur la nature des dieux
» et du monde qu'au bruit des guerres civiles qui creusèrent le
») tombeau de la liberté'. » Triste réflexion ! Si les flambeaux de
la philosophie n'étoient que des torches funèbres destinées à éclai-
rer les funérailles du patriotisme et de la vertu , il devroit être dé-
fendu , sous peine de la vie , de les allumer jamais.
Un autre spéculateur observe que le laboureur est nécessaire-
ment superstitieux , le matelot impie , le guerrier fataliste , l'habi-
tant des villes indifi'érent^. Quelle philosophie que celle qui dé-
pend de la profession que l'on exerce, ou du séjour que l'on habite !
Mais il est bon de voir par quels progrès insensibles , par quel
enchaînement de conséquences elle est parvenue à ce point à'indij-
jcrence , que l'on veut nous faire envisager comme le comble de
la sagesse.
§vm.
Il y a un fait constant , et dont plusieurs philosophes sont con-
venus, c'est que les nations féroces qui ravagèrent l'Europe au
cinquième siècle et dans les âges suivants, auroient étouffé jusqu'au
dernier germe des connoissances humaines , si la religion n'avoit
opposé des barrières à leur fureur. Les ecclésiastiques, obligés à
l'étude par leur état , conservèrent une foible teinture des sciences
qui avoient été cultivées sous la domination des Romains. Il y eut
toujours des écoles établies dans l'enceinte des chapitres et des mo-
nastères , pour l'instruction de la jeunesse ; le nom de clerc devint
synonyme avec celui de lettré. La langue latine consacrée aux of-
fices de l'Eglise, quoique fort déchue de son ancienne pureté,
fut dans la suite un secours pour reprendre la lecture des anciens
auteurs. Dans le loisir du cloître, les moines s'occupèrent à ras-
« Hist. des êtabl. des Europ. dans tes Indes, tome VII , c. 1 3. — * Aux Mânes
de Louis XV, tome I , p. 297.
INTRODUCTION. ,3
sembler et à copier les écrits que le génie destructeur des Barbares
avoit épargnés : à la renaissance des lettres , les archives des églises
et des monastères ont été les uniques dépôts où l'on a retrouvé les
monuments des siècles précédents.
La pompe extérieure du culte divin contribuoit à entretenir un
reste de goût pour les arts ; les rapports nécessaires avec le siège
de Rome, et les pèlerinages de dévotion, furent pendant long-temps
le seul lien de communication entre les différentes nations de l'Eu-
rope ; la ireoe de Dieu, établie par un motif de religion, suspendit
par intervalles les ravages de la guerre. Un des objets de l'institu-
tion de plusieurs fêtes fut d'interrompre les travaux des serfs,
accablés sous la tyrannie féodale. Avant l'établissement des foires et
des marchés publics , les apports, ou le concours des peuples aux
fêtes et aux tombeaux des saints , furent le rendez-vous ordinaire
des négociants '.
Si donc il s'est trouvé quelques vestiges d'humanité, de mœurs ,
de police , de lumières , parmi les hommes au quinzième siècle ,
c'est incontestablement au christianisme que l'on en est redevable'.
Sans la résistance que le zèle de la religion opposa aux tentatives
réitérées des mahométans, ils auroient envahi l'Italie et les Gaules;
tout étoit perdu.
Lorsque les premiers littérateurs commencèrent à reprendre le
fil des connoissances humaines , on n'avoit pas lieu de prévoir que
leurs successeurs se serviroient bientôt , pour attaquer la religion ,
des secours marnes qu'elle leur avoit conservés , et toumeroierit
contre elle les armes qu'ils avoient reçues de sa main : la révolution
fut aussi prompte qu'elle avoit été imprévue.
Il étoit impossible qu'au milieu des ténèbres qui avoient cou-
vert la face de l'Europe pendant plusieurs siècles , il ne se fût glissé
des abus dans la religion , que les mœurs du clergé ne se sentissent
de la licence qui avoit régné dans tous les états ; c'est de là que l'on
est parti pour lancer les premiers traits contre la constitution même
du christianisme.
Ceux qui s'annoncèrent au seizième siècle, sous le titre de ré-
formateurs, sentirent ces abus ; ils crurent y remédier en détruisant
le principe auquel ils les attribuoient, savoir , l'autorité de l'Eglise.
Ils ne virent pas qu'ils faisoient une brèche par laquelle toutes les
' La première foire franche en France a commence à Saint-Denys. Hist. des eta •
hliss. des Europ. dfins les Indes, t. II, p. a. — 2 Vues philos de Prcmontval,
t. I , p, i54 ; Hume , Hist. de la maison de Tudor , tome II, p. <y
i4 INTRODUCTION.
erreurs alloient bientôt pénétrer ; que pour renverser successive-
ment tous les dogmes et les fondements même de la foi chrétienne,
il n'y avoit qu'à suivre la route qu'ils venoient de tracer. En effet,
bientôt en imitant leur méthode, les sociniens rejetèrent tous les
dogmes qui leur parurent incompréhensibles, citèrent au tribunal
de la raison les oracles de la parole divine. Instruits par cet exem-
ple , les déistes ne voulurent plus admettre aucune révélation , ré-
voquèrent en doute plusieurs vérités de la religion naturelle. Enfin
le matérialisme, armé de leurs arguments, osa lever sa tête altière,
et nier l'existence de Dieu. Les sceptiques , frappés du choc de ces
divers systèmes , conclurent qu'il n'y a rien de certain ; qu'en fait
de religion et de morale , un philosophe doit s'en tenir au doute ab-
solu. Delà est née V indifférence pour toutes les opinions , à laquelle
on donne le nom de tolérance. Dans l'excès du délire , l'esprit hu-
main ne peut aller plus loin.
§IX.
Cette progression surprenante est clairement marquée par les
époques des personnages qui ont été à la tête de ces différents par-
tis , et par la date de leurs ouvrages. Luther commença de dogma-
tiser en iSij ; Calvin en i532 ; Lelio , Socin et Grentilis, vers
i55o. Viret, l'un des réformateurs, a parlé des premiers déistes
dans son instruction chrétienne, en i563. Vanini, athée décidé,
fut exécuté en 1619. Spinosa n'a paru que quarante ans après ;
La Motte-le-Vayer et Bayle , deux sceptiques , ont écrit sur la fin
de ce même siècle ; Montagne les avoit précédés.
En Angleterre, les progrès de l'incrédulité ont été les mêmes.
Après les divers combats des différentes sectes protestantes et so-
ciniennes, le déisme y eut des prosélytes. Le lord Herbert de Cher-
bury, premier auteur anglais qui l'ait réduit en système , publia son
livre de Veritate, en iGa^.- Hobbes , ToUand, Blount, Shaftsbury,
Tindal, Morgan, Chubb, Collins, "VS^oolston, Bolingbrocke , sont
venus à la suite. Ce dernier, de même que Hobbes et Tolland, a
semé des principes d'athéisme dans ses ouvrages ; David Hume ,
plus récent, a professé le scepticisme dans les siens.
Nos incrédules Français , qui parlent aujourd'hui si haut , n'ont
été que les copistes des Anglais ; c'est un fait aisé à vérifier. Ils ont
commencé par enseigner le déisme ; insensiblement ils en sont ve-
nus au matérialisme pur ; pour achever la dégradation, le pyrrho-
INTRODUCTION. ,5
nisnie absolu se montre à découvert dans la plupart de leurs livres.
Nous citerons ci-après quelques-unes de leurs maximes'.
Ce phénomène , constamment renouvelé , ne peut être un effet
du hasard ; déjà on l'avoit remarqué chez les anciens philosophes.
Trois cents ans avant notre ère , les dogmes de la religion naturelle
et de la morale avoient été trop foiblement établis par Pythagore, par
Socrate , Platon et Aristote , qui avoient précédé cette époque ; ils
avoient mêlé des erreurs à ces vérités essentielles. Les épicuriens
et les cyniques qui parurent alors, attaquèrent, les uns l'existence
de la Divinité ou du moins sa providence ; les autres , les lois de la
morale. Leurs égarements furent remplacés par les hypothèses de
Pyrrhon et de ses descendants , qui ne vouloient admettre aucune
vérité.
Il n'en faut pas davantage pour convaincre un esprit droit , non-
seulement de la nécessité de la révélation , mais du besoin que
nous avons d'une autorité visible pour nous guider en matière de
religion : l'une de ces vérités découle évidemment de l'autre. L'au-
teur de l'article Unitaires, dans l'Encyclopédie, a très-bien mon-
tré la progression que doit faire un raisonneur, dès qu'il a franchi
la barrière de l'autorité^. Sur ce point important, les principes sont
exactement d'accord avec les faits , ils servent d'appui les uns aux
autres.
Le premier essai des novateurs fut d'attaquer l'autorité de la
tradition : ils ne virent pas qu'en renversant la tradition des dogmes,
ils sapoient du même coup la tradition des faits. Car enfin on ne
conçoit pas pourquoi il est plus difficile aux hommes de rendre té-
moignage de ce qu'ils ont entendu , que d'attester ce qu'ils ont vu :
s'ils sont indignes de croyance sur le premier chef, nous ne voyons
pas quelle confiance on peut leur accorder sur le second. Dès que
la tradition des faits est aussi caduque et aussi incertaine que la
tradition des dogmes , le christianisme ne peut se soutenir ; il est
appuyé sur des faits. Tous les arguments que l'on a rassemblés
' Les sectateurs des divers systèmes d'incre'dulité ne sont appuyés sur aucune
preuve positive , mais sur les difficultés qu'ils voient dans les opinions de leurs ad-
versaires. Des difficultés et des objections peuvent inspirer des doutes ; elles n'o-
pèrent point la conviction. En général les incrédules sont flottants , incertains, et
non persuadés. — 2 Voyez encore Bayle , DLcl. Cri/., aï\.. Acosla. Apol. pour les
cathol. t. 2 , r. 4-
i6 INTRODUCTION.
contre l'infaillibilité de la tradition dogmatique , ont donc servi à
ébranler en général toute certitude morale ou historique'. Celle-ci
étant intimement liée à la certitude physique , comme nous le fe-
rons voir, les coups portés à l'une ne pouvoient manquer de re-
tomber sur l'autre. Quand on est parvenu à douter des vérités phy-
siques , il ne reste qu'un pas à faire pour contester les principes
métaphysiques sur lesquels portent nos raisonnements. A propre-
ment parler , ces trois espèces de certitude sont appuyées sur le
même fondement , sur le sens commun ^ ; l'on ne peut donner at-
teinte à l'une, sans diminuer la force des autres.
* Voyez Daillé, de usu Patrum.
* V. Beatties, an essai on the Nature ad immutabilityof Tnith.
« A proprement parler , dit M. Bergier, ces trois espèces de certitude , c'est-à-
» dire, la certitude métaphysique, la certitude physique et la certitude moi'ale ,
» sont appuyées sur le même fondement sur le sens commun. » Cette proposition
n'est point une assertion irréfléchie delà part de l'auteur; elle s'accorde parfaite-
ment avec la doctrine qu'il a développée dans ses ouvrages , oii regardant la raison
individuelle comme incapable d'acquérir par elle-même la certitude de quelque
vérité , il établit la nécessité de la révélation pour tout ce qui intéresse l'homme
et la société.
Dans sou Traité de la vraie Religion , t. IV , p. 1 34 1 édit. de Besançon, i8ao,
il dit « qu'en dernière analyse, la certitude métaphysique se réduit, aussi-bien
» que les autres , au dictamen du sens commun. » Nous lisons dans le même ou-
vrage, 1. 1, p. 60, que « parla conduite de Dieu envers le genre humain , desl'o-
») rigine du monde, par les égarements des peuples qui ont oublié la révélation
» primitive , par les erreurs des philosophes anciens et modernes , il est prouvé
» jusqu'à l'évidence que la raison seule est très-foible, qu'elle n'a jamais su dicter
» à l'homme ce qu'il devoit croire et pratiquer. » — « A parler exactement ,
» l'homme n'a que des lumières d'emprunt ; Dieu l'a créé pour être façonné par l'é-
» ducation et la société ; abandonné à lui-même , il seroit presque réduit à l'anima-
» lité pure : il est de la nature de l'homme que la religion lui soit transmise par
» l'éducation. » (Tome IV , page 12.) — «A proprement parler , la raison n'est
u rien autre chose que la faculté d'clre instruit et de sentir la vérité, lorsqu'elle
» nous est proposée. » {Tiict. théol., art. Raison.) — Si l'on prétend que rienn'est
plus conforme aux idées généralement reçues que d'admettre une religion , une loi
naturelle, M. Bergier répond que « la religion prescrite aux premiers hommes
» étoit naturelle, dans ce sens qu'elle étoit conforme aux besoins de l'humanité,
» à la nature de Dieu et à la nature de l'homme ; que lorsque nous en sommes
» instruits, nous pouvons, par les lumières de la raison, en sentir et en dé-
» montrer la vérité ; mais qu'elle n'est point naturelle dans ce sens , qu'aucun
« homme soit parvenu , par ses propres recherches , à en décojivrir tous les dogmes
» et tous les préceptes , et à les professer dans leur pureté. Personne ne l'a connue
» que ceux qui l'opt reçue par tradition, n (^Traité de la vraie Relig. , tome IV,
pag. 72.)
IJNTRODUCTION. ,7
Dans la vue de détruire l'auiorilé de la tradition dogmatique, les
novateurs soutinrent que les pasteurs de TEglise avoient changé la
doctrine des apôtres, que la plupart de nos dogmes sont de nouvelles
inventions de la théologie. Aujourd'hui les incrédules nous appren-
nent que les apôtres mêmes ont changé la doctrine de Jésus-Christ;
que le christianisme , tel que nous le professons , a été fabriqué par
saint Paul et par ses sectateurs. Julien avoit fait celte rare décou-
verte, il l'a transmise aux docteurs modernes '.
Pour décréditer les témoins de la tradition , les critiques protes-
tants se sont déchaînés contre les Pères de l'Eglise ; ils ont sus-
pecté leur doctrine , leur morale , leur capacité , leur conduite, leur
bonne foi-. Des anciens Pères aux apôtres, la distance n'est pas
longue , les déistes l'ont franchie ; ils ont appliqué aux apôtres les
mêmes reproches que Ton avoit faits à leurs successeurs^. Il n'est
pas une seule de leurs objections contre les écrits des Pères, qui
n'ait été rétorquée contre ceux des apôtres. Les mêmes arguments
que les critiques avoient faits contre l'authenticité de certains livres
de l'Ecriture , ont été tournés par les incrédules contre tous les au-
« Vainement les déistes disent que les devoirs de la religion naturelle sont fondes
» sur des relations essentielles entre Dieu et nous, entre nous et nos semblables, et
» qu'ils sont gravés dans le cœur de tous les hommes. Si l'éducation , les leçons de
» nos maîtres , l'exemple de nos concitoyens , ne nous accoutument point à en lire
" les caractères , c'est un livre fermé pour nous. Une expérience générale , et qui
» date depuis six mille ans, doit nous convaincre que la raison humaine, privée
)) da secours de la révélation, n'est qu'un aveugle qui marche à tâtons dans le plus
.. grand jour. » (Pag. 8o.) — « Autre chose est de découvrir une vérité par la
» seule réflexion , autre est de la démontrer lorsqu'elle est connue. » {Pag. y8.)
■ — Enfin , « l'on n'établit point le pyrrhonisme en se fixant à la tradition constante ,
» uniCarme, universelle, de tous les peuples dans leur origine, qui atteste une
» révélation. C'est au contraire , en suivant une route différente, en donnant tout
» au raisonnement et rien à la tradition, que les philosophes ont fait naître le pyr-
» rhonisme. Tous ceux qui veulent retenir la même méthode, aboutiront au même
» terme; Dieu a voulu nous instruire par la tradition et par la voie d'autorité , et
» non par le raisonnement. » {Tome I, page 5i6.)
Au reste , nous aurons l'occasion de faire remarquer que les plus célèbres doc-
teurs de l'Eglise ont suivi la mome méthode , par laquelle M. Bergier combat
viclorieuscTOent tous ceux qui s'élèvent contre la science de Dieu. Koy. Ipsarticlcd
CsaxiTUDE , Foi , Loi , Religion , etc.
« Hiit. crtt. de J.-C. , Tabl. des saints. Exam. crlt. de saint Paul, etc. —
» Daillé, de usu Pùtrum. Si les apôtres eux-mêmes n'ont pas été exempts d'crrciirs
Adefoibiesses, faut-il s'étonner que leurs disciples les plus i^\és en aient été sus-
ceptibles ? Barbeyrac , Traité de la morale des Pères , c. 8 , § Sg , etc. — î Pre-
mière lettre écrite de la Montagne , p. 23 et 29 ; Troisième lettre , p. 97 , 98 , J 18.
i8 INTRODUCTION.
très livres ; les objections que l'on oppose actuellement aux miracles
du diristianisme , ont été forgées par les protestants contre les mi-
racles opérés dans l'Eglise romaine.
Lorsqu'il fut question d'examiner la mission des prétendus ré-
formateurs, les catholiques objectèrent que des hommes, qui avoient
été sujets à toutes les passions humaines , et à des erreurs dont
leurs disciples étoient forcés de rougir , ne pouvoient avoir été sus-
cités de Dieu pour réformer l'Eglise. Pour se tirer de ce mauvais
pas , les novateurs répondirent que les apôtres mêmes avoient été
sujets aux erreurs et aux passions humaines , et s'efforcèrent de le
prouver. De ces accusations, quoique fausses, les déistes concluent
que les apôtres n'ont point été envoyés de Dieu pour éclairer et cor-
riger les hommes : bientôt cette critique impie s'est jetée sur Jésus-
Christ même, a noirci sa doctrine , ses mœurs, ses intentions , ses
vertus, et a tiré contre lui la même conséquence. Les sociniens, de-
venus déistes , affectèrent de faire de pompeux éloges de Jésus-
Christ ; mais ils vomirent des torrents de biïe contre Moïse' : leurs
successeurs , moins hypocrites , ont également blasphémé contre
l'un et l'autre. Les manichéens et les marcionites , qui soutenoient
que la religion juive étoit trop grossière pour avoir été révélée par
un Dieu infiniment sage , prétendoient aussi que ce monde est trop
imparfait pour être l'ouvrage d'un Dieu infiniment bon : ainsi s'en-
chaînent les erreurs.
Si nous disons aux protestants qu'un fidèle doit user de sa raison
pour connoître quelle est la véritable Eglise , et pour peser les
preuves de son infaillibilité ; mais qu'après l'avoir connue , il doit
se laisser guider par cette autorité : absurdité ! s'écrient-ils ; il s'en-
suivroit que l'Eglise pourroit enseigner toutes sortes d'erreurs ,
sans que ses membres aient droit de consulter leur raison , pour sa-
voir s'ils doivent les admettre ou les rejeter. Est-il plus difficile à la
raison de juger quelle est la vraie doctrine , que de savoir quelle est
la véritable Eglise ? Très-bien, ont répliqué les déistes ; selon vous,
on ne peut juger de la mission de Jésus-Christ et des apôtres , ni
àc l'inspiration des livres saints , que par la raison ; donc c'est en-
core à elle de voir si leur doctrine est vraie ou fausse : autrement
Jésus-Christ , les apôtres , l'Ecriture , pourroient enseigner toutes
sortes d'erreurs, sans que nous eussions droit de consulter la rai-
son , pour savoir si nous devons les admettre ou les rejeter.
i y. Morgan , Moral Philosopher etc.
INTRODUCTION ,9
En vertu de celte rétorsion , il a fallu convenir que c'est à la rai-
son en dernier ressort de juger quelle est, dans l'Ecriture même, la
doctrine digne ou indigne de Dieu , par conséquent révélée ou non
révélée. Alors l'Ecriture ne nous impose pas plus d'obligation de
croire , que tout autre livre. C'est le déisme pur. Dans les ouvrages
faits par les protestants contre les déistes, nous n'avons vu aucune
réponse à cet argument.
Les difTérentes sectes , pour s'établir , demandèrent la tolérance,
bien résolues de ne pas l'observer lorsqu'elles auroient acquis des
forces. Selon les principes qu'elles posèrent , la tolérance doit être
illimitée ; les juifs , les mahométans , les païens , les déistes , les
athées , ont autant de droit d'y prétendre qu'un hérétique quelcon-
que. Ce point a été démontré de concert par les catholiques , par
les protestants, par les incrédules '. En effet toutes les raisons, sur
lesquelles les calvinistes avoient exigé la tolérance , ont été rétor-
quées contre eux-mêmes par les sociniens^. Les déistes, à leur
tour , s'en sont servis pour prouver qu'il leur étoit permis de dog-
matiser^. Enfin, les athées les font valoir aujourd'hui en leur
faveur, et s'en autorisent pour enseigner impunément le matéria-
lisme *. Il est ainsi démontré par le fait , aussi-bien que par le rai-
sonnement, que la tolérance universellement réclamée est l'aliment
(le toutes les erreurs et la destruction de toute religion .
§XL
Si nous suivons la progression des controverses qui se sont éle-
vées successivement , nous ne verrons pas moins l'effet que devoit
produire le principe d'où l'on est parti, et la chaîne de conséquences
qu'il a fallu parcourir. Dès que les réformateurs se furent élevés
contre l'autorité de l'Eglise , et qu'ils s'arrogèrent le droit de juger
du sens de l'Ecriture , ce livre divin , loin de concilier les opinions
et de réunir les esprits , ne servit qu'à les diviser. Les mêmes argu-
ments , par lesquels les calvinistes avoient attaqué le mystère de
l'Eucharistie , servirent aux sociniens pour combattre tous les au-
tres mystères. La plus forte objection que les premiers aient cru
faire contre la transsubstantiation , a été tournée par David Hume
' Papin, sur la tolérance des protestants. Bayle , Corn. Phil. , II. Part. , c. 7.
Traité sur la Tolérance, c. aa. Hume, Hkt. nat. de lu Relifçion , pag. 68. —
»Bo$suet, 6.« Avert. aux protest., III. part. — Î-Em*7e, t. 3, p. 172. Lettre à
M. de Beauinont , p. 'iL — 4 Syst. de la nat., t. 2 , c. 1 1 , 12 , i3.
20 INTRODUCTION.
contre tous les miracles '. D'autres sont allés plus loin. Si Dieu ne
nous a point enseigné d'autres vérités que celles qui paroissent d'ac-
cord avec la lumière naturelle , on ne voit pas pourquoi la révéla-
lion étoit nécessaire. Dès que le christianisme nous enseigne des
mystères , il y a lieu de penser qu'il n'est pas une religion révélée ,
et qu il n'est pai appuyé sur des preuves sûres. Les ennemis de la
révélation commencent par les préjuger fausses : il n'est pas be-
soin , selon eux , de preuves surnaturelles pour établir des vérités
conformes aux lumières de la nature ; preuve , selon eux , ne peut
nous obliger à croire des dogmes contraires à nos idées naturelles.
On a donc contesté les prophéties et les miracles ; on a soutenu
qu'ils sont non-seulement faux, mais impossibles : pour le prouver,
on a eu recours au système de la nécessité ou de la fatalité, qui tient
au matérialisme. Mais si les preuves du christianisme sont autant
de fables , si celte religion qui paroît si sainte n'est qu'une impos-
ture , y a-t-il une Providence qui veille sur la religion , un Dieu
qui exige de l'homme un culte , et qui lui impose des lois ? Lors-
qu'un pareil doute vient à éclore , on n'est pas loin de l'athéisme.
Les déistes ont encore attaqué la révélation , parce qu'elle n'a
pas été donnée à tous les hommes ; on leur a montré que leur pré-
tendue religion naturelle est dans le même cas , qu'elle a été mé-
connue par les païens , qu'elle est ignorée des peuples barbares :
nouvelle objection contre la Providence; les athées l'ont fait valoir.
On a démontré aux déistes , que quiconque admet un Dieu, admet
des mystères ; que plusieurs attributs de Dieu sont incompréhen-
sibles, et semblent inconciliables. Pour ne pas reculer, nos déistes
révoquent en doute tous les attributs de la Divinité que l'on ne con-
çoit pas. Il n'est pas difficile aux athées de tourner en ridicule un
Dieu dont les déistes n'osent rien affirmer.
Ceux-ci fondent leur incrédulité sur l'insuffisance des témoignages
de la révélation ; les premiers établissent la leur sur l'insuffisance
des preuves que fournit la raison. Selon les déistes, la Providence
n'a pas assez fait de bien aux hommes dans l'ordre de la grâce ; se-
lon les athées , elle n'en a pas assez fait dans l'ordre de la nature,
puisqu'il y a du mal dans le monde. Mais prendrons-nous pour me-
sure de la bonté divine l'entêtement des esprits opiniâtres et l'in-
> L'auteur d'Emile a très-bien prouve aux protestants , qu'en établissant le dëistne
il n'avoit fait que suivre les principes fondamentaux de la réforme. Deuxième
lettre de la Montagne , p. 47 i ^Q-
INTRODUCTION. 2,
gralilude des mauvais cœurs ? En comparant la justice divine h la
justice humaine , les déistes et les socinicns ont soutenu que Jésus-
Christ n'a pas pu satisfaire pour nous ; en comparant la bonté di-
vine à la bonté humaine , les athées concluent que Texistence du
niai anéantit le dogme de la Providence.
§XIL
L'axiome sacré des uns et des autres est que l'homme ne doit
écouter que sa raison , ne se rendre qu'à l'évidence , rejeter tout ce
qui lui paroît faux et absurde. Voyons les divers usages que l'on a
faits de cette maxime séduisante.
Je vois clairement que telle loi , telle discipline , tel usage reli
gieux est un abus ; que la raison , le bon ordre , le bien public en
exigent la réforme : donc je dois travailler à introduire une disci-
pline contraire , malgré tous les obstacles ; rompre , s'il le faut ,
toute société avec ceux qui s'obstineront à maintenir l'usage actuel.
Voilà le fondement de la conduite de tous les schismatiques.
Je conçois avec une évidence invincible , qu'il n'y a qu'un seul
Dieu ; la divinité de Jésus-Christ est donc une erreur : qu'un corps
ne peut pas être en dififérents lieux au même moment ; la présence
réelle de Jésus-Christ, dans toutes les hosties consacrées, est donc
un dogme absurde : que Dieu ne peut pas être un et trois ; le mys-
tère de la Trinité est donc une contradiction. Les passages de l'E-
criture qui semblent prouver la divinité du Verbe , la présence
réelle , ou la Trinité , doivent être expliqués par d'autres qui me
l)aroissent dire le contraire. Ainsi ont raisonné les ariens, les soci-
niens , les protestants , et tous les sectaires qui ont paru depuis la
naissance de l'Eglise.
Je suis intimement convaincu que Dieu ne peut pas révéler des
dogmes absurdes , inintelligibles , contradictoires , indignes de sa
sagesse et de sa véracité suprême ; je vois de pareils dogmes dans
toutes les religions qui se disent révélées : donc toutes ces préten-
dues révélations sont des chimères ; donc toutes les preuves sur les-
quelles on peut les appuyer, sont fausses ; donc il faut s'en tenir à
la religion naturelle. Tel est le système des déistes.
Il n'est pas possible de douter qu'un Dieu , qui prendroit intérêt
au culte des hommes , ne leur en révélât directement, actuellement
et sans interruption , la forme ; il ne souffriroit pas qu'ils le lui re-
fusassent par une ignorance invincible. S'il y avoit un Dieu, s'é-
aa INTRODUCTION.
crioit Toland, et un Dieu qui s'intéressât au bonheur des humains,
sans doute il prendroit pitié de l'état d'incertitude et d'ignorance
où je suis ' . C'est le langage de ceux qui soutiennent l'indifFérence
des religions , et qui n'en veulent aucune.
Il est évident qu'un être doué de qualités incompatibles, dont les
attributs sont inconciliables et contradictoires , n'existe pas : or ,
quelle que soit l'idée que l'on veut me donner de Dieu , non-seule-
ment je n'y conçois rien, mais j'y vois des contradictions formelles :
donc Dieu n'existe pas , et ne sauroit exister. Les athées ne cessent
de répéter cette prétendue démonstration'.
Un philosophe ne doit admettre que ce qu'il conçoit , et dont
l'existence lui est démontrée. Or , ce qu'on dit des esprits ou des
substances distinguées de la matière , est inconcevable ; leurs qua-
lités , leurs opérations, leur manière d'être, sont autant de mys-
tères inintelligibles , dont on ne peut avoir aucune idée claire. Je
ne conçois que des corps , mes sens ne peuvent m'attester l'exis-
tence d'un être distingué de la matière : donc tout est matière ,
les esprits sont des chimères. Voilà le grand argument des maté-
rialistes.
Puisqu'un philosophe ne doit admettre que ce qu'il conçoit , je
ne puis affirmer l'existence d'aucun êtte quelconque. L'essence de la
matière et la plupart de ses propriétés sont inconcevables. Ce que l'on
dit du temps ou de la durée , soit finie , soit infinie , de l'espace créé
ou incréé , du mouvement , de la divisibilité de la matière , du prin-
cipe intérieur des opérations de l'homme, des causes physiques, etc.,
est inintelligible ; il n'est pas un seul de ces objets sur lequel on
ne puisse faire des questions insolubles ; d'ailleurs les sens nous
trompent, ils ne nous attestent que des apparences; leur témoignage
ne doit jamais prévaloir à celui de la raison : donc il n'y a rien de
certain ; l'on doit tout au plus admettre des probabilités et des vrai-
semblances. Ainsi ont parlé les acataleptiques , les académiciens,
les sceptiques, les pyrrhoniens, souvent copiés par les philosophes
modernes '.
XIII.
Si la maxime sur laquelle se fondent les incrédules est \Taie , le
« Dial. sur l'âme, p. 64. — 2 Sysi. de la nat. , t. Il , c. 2. Truite des erreurs
populaires, p. 114 , etc. — 3 Quiconque ne se rendroit réellement qu'à révidence ,
ne seroit guère assmé que de sa propre e^iistence. De l'Esprit , 1. 1 , noie , p. 2a
INTRODUCTION 23
pyrrhonisme est donc le seul syslème raisonnable. Après avoir sup-
posé que l'évidence de nos idées doit être la seule règle de nos ju-
gements , on prouve doctement que celte évidence est réduite à
rien. Un philosophe ne la voit que dans ses propres opinions, quel-
que absurdes qu'elles soient d'ailleurs'.
Pour résumer en deux mots, les protestants ont dit : nous ne de
vons croire que ce qui est expressément révélé dans l'Ecriture , et
c'est la raison qui en détermine le vrai sens. Les sociniens ont ré-
pliqué : donc nous ne devons croire révélé que ce qui est conforme
à la raison. Les déistes ont conclu : donc la raison suffit pour con-
noître la vérité sans révélation ; toute révélation est inutile , par
conséquent fausse. Les athées ont repris : or ce que l'on dit de Dieu
et des esprits est contraire à la raison : donc il ne faut admettre que
la matière. Les pyrrhoniens viennent fermer la marche , en di-
sant : le matérialisme renferme plus d'absurdités et de contradic-
tions que tous les autres systèmes : donc il ne faut en admettre
aucun *.
Selon un déiste anglois : de même que le calvinisme a produit des
enthousiastes dans son origine , il a fait éclore enfin des athées. Un
athée n'est qu'une espèce d'enthousiaste , idolâtre de sa raison , qui
déclame contre Dieu et sa providence'.
Ainsi le premier pas dans la carrière de l'erreur a conduit nos
raisonneurs téméraires au dernier excès d'aveuglement ; ainsi la
raison livrée à elle-même ne trouve plus de borne où elle puisse
s'arrêter ; elle est entraînée par le fil des conséquences beaucoup
plus loin qu'elle n'avoit prévu. Tout homme , qui a suivi la nais-
sance et le progrès de différentes opinions , est convaincu, qu'entre
la vérité établie par la main de Dieu et le pyrrhonisme absolu , il
n'y a point de milieu où l'esprit humain puisse demeurer ferme.
Quiconque sepique de raisonner, doit être chrétien catholique, ou
enlièrementincrédule, et pyrrhonien dans toute la rigueur du terme.
' Je n'ose être d'aucun avia ; Je ne vois qu'incompréhensîbilité dans l'un et dans
Tautre système. Quest. sur l'Encyclvp., Idée, sect. i. Adorez Dieu, soyez hon-
nête homme , et croyez que deux et deux font quatre. JDict. philos. , Nécessaire.
2 En traçant celte généalogie impure, nous n'avons aucune intention de chagriner
les protestants; s'ils méconnoissent leurs descendants, ceux-ci, plus honnêtes, ne re-
nient point leurs ancêtres : ce sont les protestants, diôent-ils , qui ont commencé la
révolution; maïs ils ne sont pas allés assez loin. Enfin l'on est allé si loin, qu'il
f?iudra nécessairement reculer.
î Morgan. Moral philosopher, t. I, p. a 19.
24 INTRODUCTION.
Nos adversaires mêmes ont confirmé par leur aveu la vérité de
cette théorie : ils disent que le christianisme, une fois détruit, l'exi-
stence de Dieu et l'immortalité de l'âme ne tiennent presque plus à
rien ; mais que si l'on admet un Dieu , l'on est forcé de dévorer
toute la suite des conséquences qu'en tirent les superstitieux , c'est-
à-dire , les chrétiens ; que ceux-ci raisonnent plus conséquemment,
et sont plus d'accord avec eux-mêmes que les déistes; que le déisme
est un système où l'esprit humain ne peut pas long-temps s'arrê-
ter'. C'est donc uniquement la crainte des conséquences qui con-
duit les incrédules à l'athéisme ; de peur d'être forcés à croire trop,
ils prennent le parti de ne rien croire du tout. Leur manière de phi-
losopher, dit un encyclopédiste, n'est au fond que l'art de décroire^.
De même que les sociniens pnt démontré aux protestants qu'ils
n'avoient pas suivi leur principe jusqu'où il peut aller , et s'étoient
arrêtés sans savoir pourquoi , un déiste prouve aux sociniens qu'ils
sont coupables de la même inconséquence. Mais un athée retombe
sur les déistes , et leur montre qu'ils sont eux-mêmes des raison-
neurs pusillanimes , et qu'ils se contredisent ; enfin un pyrrhonien ,
à son tour , fait voir aux athées qu'ils déraisonnent , qu'un dogma-
tique quelconque prête le flanc à ses adversaires, et se trouve bien-
tôt percé de ses propres traits. Nous demandons si, la dispute étant
réduite à ce point , le triomphe de la religion peut encore paroître
douteux ; pour se débarrasser de ses ennemis , elle n'a qu'à leur
laisser le soin de s'entre-détruire.
§XIV.
Quand on connoît les vrais motifs qui déterminent la plupart
des déserteurs de la religion , l'on n'est plus tenté de leur prêter
l'oreille; ils ont eu la complaisance de les dévoiler eux-mêmes.
« Si nous remontons , dit l'un d'entr'eux , à la source de la pré-
» tendue philosophie de ces mauvais raisonneurs, nous ne les trou-
M verons point animés d'un amour sincère pour la vérité ; ce n'est
» point des maux sans nombre que la superstition a faits à l'espèce
» humaine , dont nous les verrons touchés { nous verrons qu'ils se
> Sysl. de la nat. , t. II , c. 7 , p. 221 et suiv. Chap. la , p. 357. Première
lettre à Sophie ^ p. 5. Deuxième lettre, p. ^i. Dial. sur l'âme, p. 14b , 146. E<
bon Sens, § 117, 118.
s Encyclop. Unitaires , p. Syg.
INTRODUCTION. a5
>> Irouvenl gênés- des entraves importunes que la religion , quelqne-
n fois d'accord avec la raison, raetloit à leurs dérèglements. Ainsi
»> c'est leur perversité naturelle qui les rend ennemis de la religion ;
w ils n'y renoncent que lorsqu'elle est raisonnable ; c'est la vertu
»» qu'ils haïssent encore plus que l'erreur et l'absurdité. La super-
« siition leur déplaît, non par sa fausseté, non par ses conséquences
" fâcheuses, mais par les obstacles qu'elle oppose à leurs passions,
» par les menaces dont elle se sert pour les effrayer , par les fan-
«» tomes qu'elle emploie pour les forcer d'être vertueux »
« Des mortels emportés parle torrent de leurs passions, de leurs
» habitudes- criminelles, de la dissipation, des plaisirs, sont-ils
» bien en état de chercher la vérité , de méditer la nature humaine,
•• de découvrir le système des mœurs , de creuser les fondements
» de la vie sociale ? La philosophie pourroit-elle se glorifier d'avoir
/» pour adhérents , dans une nation dissolue , une foule de libertins
» dissipés et sans mœurs , qui méprisent sur parole une religion
» comme lugubre et fausse , sans connoître les devoirs qu'on doit
» lui substituer ? Sera-t-eile donc bien flattée des hommages inté-
» ressés , ou des applaudissements stupides d'une troupe de débau-
» chés , de voleurs publics , d'intempérants , de voluptueux , qui ,
» de l'oubli de leur Dieu et du mépris qu'ils otit pour son culte ,
» concluent qu'ils ne se doivent rien à eux-mêmes ni à la société, et
» se croient des sages , parce que souvent , en tremblant et avec re~
n mords , ils foulent aux pieds des chimères qui les forçoient à res-
» pecter la décence et les mœurs ' ? »
Nous n'aurions pas osé dire d'aussi terribles vérités, mais il nous
est permis de les copier ; les incrédules ne peuvent être mieux défi-
nis que par les maîtres qui les ont formés.
L'auteur du Système de la nature ne s'est pas exprimé avec moins
d'énergie, en recherchant les causes qui peuvent porter à l'athéisme
et à l'irréligion. La première est, selon lui, l'indignation qu'inspire
à tout homme qui pense la vue des maux qu'ont produits dans le
monde l'idée de Dieu et la religion. La seconde est la crainte im-
portune que doit faire naître dans l'esprit de tout raisonneur consé-
quent l'idée d'un Dieu tel que ses affreux ministres le peignent ,
c'est-à-dire , d'un Dieu vengeur du crime , et rémunérateur de la
vertu. La troisième sont les passions et les intérêts des hommes
qui les poussent à faire des recherches.
' Essai si/r Ica/ireju^rs , c. 8 , p. l8i cl suir.
26 INTRODUCTION.
La question est de savoir si un esprit préoccupé par la crainte ,
par les passions, est fort en état défaire des recherches avec succès,
et de découvrir la vérité.
« Nous conviendrons, dit-il, que souvent la corruption des
j» mœurs , la débauche , la licence , et même la légèreté d'esprit ,
» peuvent conduire à l'irréligion ou à l'Incrédulité ; mais on peut
» être libertin , irréligieux , et faire parade d'incrédulité , sans être
» athée pour cela Bien des gens renoncent aux préjugés re-
» çus , par vanité et sur parole ; ces prétendus esprits forts n'ont
» rien examiné par eux-mêmes , ils s'en rapportent à d'autres qu'ils
» supposent avoir pesé les choses plus mûrement Un volup-
» tueux , un débauché enseveli dans la crapule , un ambitieux , un
») intrigant , un homme frivole et dissipé , une femme déréglée , un
>» bel esprit à la mode , sont-ils donc des personnages bien capables
y de juger d'une religion qu'ils n'ont point approfondie, de sentir la
j> force d'un argument, d'embrasser l'ensemble d'un système?..
» Les hommes corrompus n'attaquent les dieux , que lorsqu'ils les
>• croient ennemis de leurs passions. »
Cependant , selon le même auteur, « il faut être désintéressé ,
» pour juger sainement des choses ; il faut des lumières et de la
'» suite dans l'esprit , pour saisir un grand système. Il n'appartient
» qu'à l'homme de bien d'examiner les preuves de l'existence de
» Dieu et les principes de toute religion L'homme honnête et
» vertueux est seul juge compétent dans ime si grande affaire '. »
Si, avant de lire un livre écrit contre la religion, l'on commençolt
par demander : l'auteur est-il un homme de bien, vertueux, hon-
nête, sage, désintéressé? il est fort douteux qu'aucun de ces ou-
vrages fut dans le cas de faire fortune.
Un troisième dit avec franchise : « J'aime mieux être anéanti
» une bonne fois , que de brûler toujours ; le sort des bêtes me pa-
» roît plus désirable que le sort des damnés. L'opinion, qui me dé-
» barrasse de craintes accablantes dans ce monde , me paroît plus
» riante que l'incertitude où me laisse l'opinion d'un Dieu sur mon
« sort éternel — On ne vit point heureux , quand on tremble tou-
»> jours. Un Dieu, qui damne éternellement, est évidemment le
» plus odieux des êtres que l'esprit l^umain puisse inventer ^. »
Voilà donc la source dans laquelle nos philosophes ont puisé tant
• Sjrst. de la nat. , tom. Il , c. lo , pag. 36o et suiv. — i Le bon Sens, § io8,
i8a,i88.
INTRODUCTION. 27
de lumières , la crainte de brûler toujours ; mais celte crainte n'entre
point dans une âme pure, honu<îte, vertueuse : l'enfer n'est destiné
qu'aux me'chanls. Avouer que l'on est tourmenté par celle idée,
c'est reconnoître que l'on n'a pas la conscience nette. Nos adver-
saires préfèrent , non l'opinion la plus vraie et la mieux prouvée ,
mais la plus riante et la plus commode ; c'est le goût et non le rai-
sonnement qui les détermine.
L'un des derniers qui aient écrit , convient de môme qu'entre la
religion et l'athéisme , c'est le cœur, le tempérament, et non la rai-
son qui décide du choix ' .
L'auteur du livre de l'Esprit n'avoit pas trop bonne opinion de
ses confrères. « Peut-être, dit-il, nos auteurs sont-ils quelquefois
» plus soigneux de la correction de leurs ouvrages , que de celle de
» leurs mœurs, et prennent-ils exemple surAverroës, ce philosophe
» qui se permeltoit , dit-on , des friponneries , qu'il regardoit , non-
» seulement comme peu nuisibles , mais même comme utiles à sa
» réputation*. »
Un autre avoue qu'au terme de la caducité , les prinapes de la
religion reprennent l'ascendant , parce qu'alors nous n'avons plus
besoin des raisons qui nous tranquillisoient au sein des plaisirs^. Il
est donc bien décidé que l'on n'est incrédule qu'autant que l'on a
besoin de raisons pour se tranquilliser au sein des plaisirs.
§ XV.
Peut-être en est-il plusieurs qui ne méritent point ce reproche ,
et qui ont au moins des mœurs décentes. Mais ce n'est point à nous
de faire des recherches sur leur conduite; nous ne pouvons en juger
mieux que sur leur propre témoignage. Or, il est difficile d'avoir
bonne opinion de maîtres , qui , de leur aveu , ont formé tant de
disciples corrompus, et de nous fier à des principes toujours adoptés
par les cœurs vicieux et par les esprits pervers.
Selon eux , nous attribuons mal à propos à l'incrédulité les vices
qui viennent plutôt du luxe et des passions* : soit ; donc ils ont
encore plus de tort de les attribuer à la religion. Mais dans quel
» Aux niûnes de Louis XV , p. 291 . — 2 J)e l'Esprit, 2. Disc. , c. 6 , p. 142 ■
— 'iDialftf;. sur l'ârne, pag. i35 et sulv.
♦ Tenez votre âme en état de désirer toujours qu'il y ait un Dieu , et vous n'en dou-
terez jannai.s..I. J. Kousseau, JEspril et Maximes, etc. , pag. 4- — * Histoire des
BUil//iss. des Europ. dans les J rides , t. 5 , 1. t3, p. 176.
a8 INTRODUCTION.
cas les passions causeront-elles plus de ravage ? Sous le joug de la
religion qui les condamne, ou sous le règne de l'incrédulité qui
leur lâche la bride? Jamais le luxe ne fut porté à l'excès chez une
nation , sans traîner à sa suite le libertinage d'esprit et de cœur.
Que la philosophie incrédule soit fille du luxe, comme tous les
autres vices , c'est ce que nous n'ignorons pas ; un tel père ne fera
jamais honneur à ses enfants.
« L'athéisme, disent-ils, n'est point fait pour le vulgaire, ni
» même pour le plus grand nombre des hommes Des êtres igno-
» rants , malheureux et tremblants , se feront toujours des dieux —
M Les principes de l'athéisme ne sont point faits pour le peuple , ni
» pour les esprits frivoles , ni pour les hommes ambitieux et re-
.* muants , ni pour un grand nombre de personnes instruites d'ail-
» leurs, mais qui n'ont point assez de courage'. » Cependant l'on
répèle sans cesse la maxime , que la vérité est faite pour tout le
monde ; d'où il s'ensuit clairement que l'athéisme n'est pas la vérité.
« Leucippe, Démocrite, Epicure, Straton, et quelques autres
» Grecs, osèrent déchirer le voile épais du préjugé, et prêcher l'a-
» théisme; ils ne furent pas écoutés. Chez les modernes, Hobbes,
» Spinosa, Bayle, etc., ont marché sur les traces d'Epicure ; mais
» leur doctrine ne trouva que peu de sectateurs , dans un monde
») trop enivré de fables pour écouter la raison... Ceux qui ont eu le
«courage d'annoncer la vérité, ont été communément punis de
») leur témérité^. Il est fort dangereux que nos docteurs de la vérité
I» n'aient encore aujourd'hui le même sort. »
Ils demandent « quel mal on peut faire aux hommes en leur pro-
» posant ses idées? Le pis aller est de les laisser dans le doute et
» dans la dispute ; n'y sont-ils pas déjà^ ? >» Mais ils observent que ,
pour bien des gens , leur ôter les idées de Dieu , ce seroit leur arra-
cher une portion d'eux-mêmes* ; que le doute sur ce sujet n'est rien
moins qu'un oreiller commode ^ ; que le doute , en fait de religion ,
est un état plus cruel que d'expirer sur la roue^. Rendons grâce à
ces maîtres charitables qui veulent nous arracher une portion de
nous-mêmes , et nous mettre dans un état pire que d'expirer sur la
roue. Si, après des déclarations aussi précises, ils viennent à bout
de séduire quelqu'un, il a grande envie d'être séduit. Montaigne,
'Sjrst.de/anat.,l.U,c. 10,12, i3, p. Siy.SSa, 38i. Le bon Sens,^iÇ)5.
— aZc bon Sens, § 204. — î Sysi. de la nat., t. Il, c. 11 eJ i3.p.33i, 38.1.
— 1,1b., c. i3, p. 388. — 5Z-^ hon Sen\,% ia3. — fel>/û/. iurl'dme,^. iSg.
INTRODUCTION. 29
parlant d'eux, les appeloit hommes bien misérables et écervelés,
qui tachent d'i-tre pires qu'ils ne peuvent '.
§XVI.
On croit peut-être que les incrédules modernes ont fait des dé-
couvertes dont les anciens n'avoient aucune connoissance , qu'ils
ont créé de nouveaux systèmes ; erreur. Ils ont puisé leurs maté-
riaux dans àes sources abondantes , et qui ne sont point inconnues.
Pour attaquer les vérités de la religion naturelle, ils ont ramené
sur la scène les objections des épicuriens, des pyrrhoniens, des
cyniques , des académiciens rigides et des cyrénaïques ; c'est une
doctrine renouvelée des Grecs. Mais ils ont passé sous silence les
raisons par lesquelles Platon , Socrate , Cicéron , Plutarque , et
d'autres, ont réfuté toutes ces visions. Contre l'ancien Testament
et la religion juive, ils ont rajeuni les difi&cultés et les calomnies des
manichéens , des marcionites , de Celse , de Julien , de Porphyre ,
et des autres philosophes ; le plus célèbre de nos adversaires en est
convenu^. On en retrouve la plupart dans Origène, dans Tertul-
lien, dans saint Cyrille, dans saint Augustin, et dans les autres
Pères de ces temps-là; mais les incrédules ont supprimé les ré-
ponses de ces auteurs.
Lorsqu'il a fallu combattre le christianisme, nos adversaires ont
été encore mieux servis ; ils ont copié les livres des juifs et ceux
des mahométans^. Les écrits d'Isaac Orobio, le Munimen fidei,
tous les autres ouvrages compilés par Wagenseil * , sont hachés et
cousus par lambeaux dans les livres des déistes : on doit en rendre
la gloire aux rabbins. Contre le catholicisme, ils ont extrait les
reproches de tous les hérétiques , surtout des controversistes pro-
testants et des sociniens. Enfin, pour suspecter les titres de notre
croyance, ils ont fait sérieusement usage d'une méthode que le
Père Hardouin n'avoit hasardée que comme uji jeu d'esprit sur un
sujet très-indifférent. On verra dans cet ouvrage la chaîne de tra-
ditions, par laquelle ces sublimes découvertes sont venues jusqu'à
nous , et nous aurons soin de restituer à chacun ce qui lui appartient.
Les premiers incrédules françois auroient peut-être rougi de
' Essai f.nr le mérite et la vertu, iiv. i , pag. 6. — - Qiiest. sur l'Ericyclop. ,
Coniradiclion , p. I2i . — 3 V. Maracci, Prodom. adrefutat. Alcoranni. — ^Tela
i^neu Salanfe.
3o INTRODUCTION,
puiser leurs réflexions dans des sources aussi inr.pures ; ils copioient
les anglois , sans savoir d'où ceux-ci avoient emprunté tant de
richesses littéraires. Le poison étoit du moins présenté alors sous
un masque de décence. Ceux d'aujourd'hui ont eu moins de déli-
catesse ; ils ont fait couler de leur plume tout le fiel que les rahhins
ont vomi contre Jésus-Christ et contre l'Evangile , sans en adoucir
l'amertume , et toute la hile des controversistes protestants contre
l'Eglise romaine ; ils se sont même efforcés d'enchérir sur les uns
et les autres. Grâce à leur intrépidité, il n'est plus de hlasphèimes ,
de sarcasmes , d'invectives , de grossièretés , auxquels nous n'ayons
été forcés de nous endurcir.
§XVII.
Cependant ils nous accusent d'ignorance, de crédulité, d'aveu-
glement, de prévention. Selon eux, nous ne tenons à la religion
que par préjugé de naissance, par respect pour l'autorité de nos
maîtres et de nos aïeux , par négligence de réfléchir et de consulter
la raison ; nous commençons par croire avant d'examiner. Soit pour
un moment. Nous soutenons qu'il n'y a point d'écrivains plus cré-
dules , ni d'espèce plus moutonnière que les prétendus philosophes.
Déjà ils conviennent que la plupart renoncent à la religion par va-
nité., et sur parole s'en rapportent à d'autres, sont très-peu en état
d'approfondir une question , et de sentir la force ou la folhlesse d'un
argument. Ce n'est donc pas la raison, mais l'autorité, qui les
détermine. Qu'un incrédule quelconque ait avancé il y a cinquante
ans un fait bien faux , bien absurde , cent fois réfuté , il n'en est pas
moins répété par vingt auteurs qui se suivent à la file , sans qu'un
seul ait daigné vérifier la chose. Copier aveuglément Ceîse et
Julien, les juifs, les sociniens, les déistes anglois, les controver-
sistes de toutes les sectes , sans choix , sans critique , sans précau-
tion; compiler, répéter, extraire, affirmer ou nier au hasard, parce
que d'autres ont fait de même , ce n'est pas être crédule ? Lorsque
le déisme étoit à la mode, tout philosophe étoit déiste ; le plus hardi
a osé dire : Tout est matière, et a fait semblant de le prouver; à
l'instant la troupe docile a répété en grand chœur, tout est matière,
et a fait un acte de foi sur la parole de l'oracle. Voilà où ils en sont .
Les plus incrédules , en fait de preuves , sont toujours les plus cré-
dules en fait d'objections.
INTRODUCTION. 3i
Avant de voir ce que l'on peut objecter contre la religion , quelle
élude la plupart des lecteurs ont-ils faite de ses preuves ? Aucune,
Est-il étonnant que dans la force des passions , sans aucun préser-
vatif contre Terreur, un jeune homme soit aisément séduit par les
fausses lueurs des raisonnements philosophiques , par les faits qu'on
lui déguise, par le ridicule que l'on jette sur la religion? Tout lui
paroît clair, évident, démontré, dans les écrits des incrédules; il
ne soupçonne pas seulement qu'il y ait une réponse à leur faire.
Les impressions qu'il reçoit se gravent profondément; elles plaisent
à son esprit et à son cœur; à moins d'un miracle, il en tient pour
la vie. Dès qu'il a parcouru quelques brochures , il se croit un doc-
teur, ce n'est qu'un ignorant.
Après avoir lu pendant vingt ans tous les ouvrages écrits contre
la religion, après s'être rempli l'esprit d'objections, de sophismes ,
de préventions , de fausses anecdotes , un homme , qui se pique
d'impartialité , se résout enfin à lire un ou deux de nos apologistes.
S'il ne trouve pas d'abord de quoi satisfaire à toutes ses difficultés,
et calmer tous ses doutes , il en conclut que la religion n'est pas
prouvée, que les arguments de ses ennemis sont insolubles. Il
semble voir un malade qui a travaillé pendant vingt ans à se ruiner
le tempérament, et qui veut que son médecin le guérisse ou le
soulage en huit jours. L'habitude de raisonner de travers se con-
tracte aussi aisément que le dérangement d'estomac ; quand il faut
en revenir, c'est autre chose. Dès que l'on envisage la religion
comme un procès, comme une question de controverse, et que l'on
veut faire la fonction de juge, il est fort dangereux que la balance
ne penche du côté qui paroît le plus commode. Je me trouoe, dit-on
alors , dans un scepticisme nécessité. Je le crois ; après avoir pris
d'aussi bonnes mesures pour y réussir, il seroit fort étonnant que
vous n'en fussiez venu à bout.
Parmi nous, tout est mode et goût passager. Sous François 1."
et ses successeurs, il éloit du bel air de se faire huguenot et anti-
papiste; sous la minorité de Louis XIV, il falloit être frondeur
et anti-mazarin ,' pendant la régence, il étoit beau de déclamer
contre Rome et contre la bulle : aujourd'hui, c'est un mérite de
se donner pour philosophe incrédule. Quel travers nouveau le siècle
prochain verra-t-il éclore ?
32 INTRODUCTION.
§ XVIIÏ.
Celui dont nous nous plaignons seroit moins odieux, s'il n'in-
spiroît pas tant de calomnies. Les prêlres, disent nos adversaires,
ne sont chrétiens que par décence et par intérêt; leur conduite dé-
ment évidemment leur croyance ; lorsqu'on a des liaisons familières
avec eux , on s'aperçoit bientôt qu'ils ne sont pas fort chargés d'ar-
ticles de foi ' .
Avant de répondre à ce reproche, voyons si les philosophes sont
eux-mêmes exempts de toutes vues d'ambition et d'intérêt.
Plusieurs poussent très-loin les prétentions. Selon eux, tout
écrivain de génie est magistrat-né de sa patrie ; il doit l'éclairer, s'il
le peut : son droit, c'est son talent^. Voilà leur mission fondée sur
un titre authentique, sur la bonne opinion qu'ils ont d'eux-mêmes.
Les gens de lettres , disent-ils , sont les arbitres et les distributeurs
de la gloire'; il est donc juste qu'ils s'en réservent la meilleure
part. L'un nous fait observer qu'à la Chine le mérite littéraire élève
aux premières places; et, à son grand regret, il n'en est pas de
même en France*. L'autre dit que les philosophes voudroient ap-
procher des souverains ; mais que par l'ambition et les intrigues des
prêtres, ils sont bannis des cours ^. Celui-ci souhaite que les sa-
vants trouvent dans les cours d'honorables asiles , qu'ils y obtien-
nent la seule récompense digne d'eux, celle de contribuer par leur
crédit au bonheur des peuples auxquels ils auront enseigné la sa-
gesse. Mais si l'on veut, dit-il, que rien ne soit au-dessus de leur
ge'nie, il faut que rien ne soit au-dessus de leurs espérances^. Rare
modestie ! Celui-là vante les progrès qu'auroient faits les sciences ,
si l'on avoit accordé au génie les récompenses prodiguées aux
prêtres?. Tantôt ces hommes désintéressés se plaignent de ce que
les prêtres sont devenus les maîtres de l'éducation et des richesses ,
pendant que les travaux et les leçons des philosophes ne servent
qu'à leur attirer l'indignation pubhque^. Tantôt ils opinent qu'il
faut dépouiller les prêtres, pour enrichir les philosophes?. Enfin,
• Gazette littéraire de Deux-Ponts , Ï774» ^•'' 6a, art. i. — ^ Hist. des e'ta-
bliss. des Europ. dans les Indes, t. VII, c. 2, p. Sg. — 3 Encyclop. , GIour.
— illl. Dial. sur l'ame,f. 66. — 5 Essai sur les préjuges, c. 14, p. 3-8,
— 6 Œuv. deJ.J. Rousseau, 1. 1, p. 43. — 7 Sjst. delà riat.,\. II, c. S. — 8 Jbid.
1. H , c. II. — 9 Christianisme de\vile , prc'f. , p. 25.
INTRODUCTION. 33
concluent-ils , si on ne peut pas guérir les hommes de leurs préjugés
de religion , qu'ils en pensent ce qu'ils voudront ; mais que les
princes et les sujels apprennent au moins à résister quelquefois aux
passions des odieux ministres de la religion'.
Consolons-nous : ce n'est plus à la religion qu'en veulent les
philosophes ; c'est aux privilèges , au crédit , aux biens du clergé ;
s'ils peuvent réussir à s'en emparer , ils croiront en Dieu tous les
arguments seront résolus.
§ XIX.
Comment prouve-t-on que les prêtres ne sont chrétiens que par
intérêt .>* Par les fautes vraies ou prétendues qu'ils ont commises
depuis la naissance de l'Eglise. On en reproche aux papes , aux
évêques , aux ministres inférieurs ; les prolestants surtout ont
fourni là-dessus de bons mémoires.
C'est s'arrêter en beau chemin ; il falloit pousser l'induction
jusqu'où elle peut aller.
On connoît d'habiles jurisconsultes, dont la conduite n'est pas
un modèle d'équité ; des médecins qui , après avoir disserté savam-
ment sur la nécessité du régime , ne l'observent pas mieux que leurs
malades ; des philosophes dont les actions et la morale ne sont pas
toujours d'accord. « Toutes les fois, dit un écrivain très-connu,
» que je songe à mon ancienne simplicité , je ne puis m'empôcher
» d'en rire. Je ne lisoîs pas un livre de morale ou de philosophie,
» que je ne crusse y voir l'âme ou les principes de l'auteur; je re-
» gardois tous ces graves écrivains comme des hommes modestes ,
» sages, vertueux, irréprochables.... Je me formois de leur com-
» merce des idées angéliques , et je n'aurois approché de la maison
»> de l'un d'eux, que comme d'un sanctuaire. Je ne comprenois pas
» que l'on pût s'égarer, en démontrant toujours; ni mal faire en
» parlant toujours de sagesse. Enfin, je les ai vus : ce préjugé pué-
» ril s'est dissipe, et c'est la seule erreur dont ils m'aient guéri ^. »
Donc les philosophes ne croient pas plus à la morale que les prêtres
à la religion.
Voilà l'argument dans toute sa force. Que répondent les philo-
sophes ? Que , « quand un homme , entraîné par ses passions , pa-
» roît oublier ses principes, il ne s'ensuit pas qu'il n'en a point,
• «Vyj/. fie la nul. , t, II , c. lO , p.Sig. — > Prdface de Narcisse.
34 INTRODUCTION.
■ qu'il n'y croît pas , ou que ces principes sont faux ; que le tem-
»• pérament est plus fort que les systèmes , et que les passions l'em-
• portent sur la croyance ' . » Ainsi les prêtres sont justifiés ou du
moins excusés par leurs propres dénonciateurs.
Supposons que ceux-ci soient venus à bout d'en séduire quel-
ques-uns qui ont eu des liaisons trop familières avec eux ou avec
leurs écrits, il s'ensuit que ces foibles théologiens n'en savoient pas
assez pour sentir la fausseté des raisonnements des incrédules.
Cette victoire n'est pas assez brillante pour en faire trophée contre
la religion. Semblables aux païens qui insultoient aux chrétiens
apostats , nos sages philosophes ne pardonnent ni à ceux qui leur
résistent, ni à ceux qui ont succombé sous leurs sophismes. Belle
récompense de la docilité que l'on a pour eux !
§ XX.
Personne ne disconvient aujourd'hui du ressort secret qui a fait
agir les hérétiques , lorsqu'ils ont troublé le repos de l'Eglise et de
la société ; ils étoient conduits par l'enthousiasme, par le fanatisme.
Les philosophes ont éloquemment déploré les ravages de ce vice
dangereux ; ils en ont donné le nom à toute espèce d'attachement à
une religion vraie ou fausse ; les athées regardent comme des fana-
tiques tous ceux qui croient un Dieu^. Si l'on doit appeler /ana-
iisme le faux zèle allumé au foyer des passions , pouvons-nous en
méconnoître les symptômes dans ceux mêmes qui déclament contre
lui ? Un homme qui se croit né pour instruire les nations , résolu de
braver les lois et l'autorité des souverains pour établir sa doctrine ,
très-peu délicat sur le choix des moyens et des prosélytes , ennemi
déclaré de tous ceux qui s'opposent à sqs desseins, appliqué à les
rendre odieux et méprisables, toujours prêt à se porter aux der-
niers excès contre eux, à bouleverser la société, s'il le faut, pour
affermir le règne de ses opinions ; si ce n'est pas wa fanatique, nous
ne savons plus quelle idée l'on doit attacher à ce nom.
Ils disent que la liberté naturelle à l'esprit humain , l'indépen-
dance, moins amoureuse de la vérité que de la nouveauté, fait sou-
vent rejeter le christianisme dans sa vieillesse, comme elle le fit
1 iS.>5/. de la nat , t. II , c. la , p. 342. — » Lettre de Trasib. à Leucfppe^
p. aS ; S^l. de la nat. , t II , c. 7 , p. aa4.
IMTRODUCTION. 35
adopter à sa naissance'. Serons-nous encore dupes de l'amour de
la vcrità, dont nos adversaires sont cmbrase's?
Quelques-uns ont poussé la de'mence jusqu'à se faire un mérite
de leur haine contre les défenseurs de la religion. « J'ai été, dit
» l'im d'entre eux, s'adressant à Dieu même, j'ai été l'ennemi de
» ceux qui opprimoienl la société. » 11 prétend que, s'il y a un
Dieu , il doit tenir compte à un athée des invectives qu'il a vomies
contre les souverains et contre les prêtres^. Y eut-il jamais de fa-
natisme mieux caractérisé.''
Le fanatisme, dit l'oracle des incrédules, est une folie religieuse,
sombre et cruelle ; c'est une maladie de l'esprit qui se gagne comme
la petite vérole; les livres la communiquent beaucoup moins que
les assemblées et les discours*. Mettons folie antireligieuse , la
définition ne sera pas moins juste.
Y a-t-il moins de danger pour un génie ardent , de concevoir une
haine aveugle contre la religion, que de se livrer à un zèle incon-
sidéré pour elle.'' Le premier de ces deux excès trouve plus d'ali-
ment que le second dans les penchants du cœur. Si l'un mérite le
nom de fanatisme , quel titre donnerons-nous à l'autre ?
Un homme sensé qui pourra soutenir la lecture de la harangue
adressée à Dieu dans le Système de la nature'*, y reconnoîlra le vrai
langage d'un énergumène , ou d'un réprouvé condamné aux flammes
éternelles.
§XXL
Quoi, dira-t-on, vous osez taxer de fanatisme des philosophes
qui ne prêchent que la tolérance , qui ne cessent de déclamer contre
la fureur avec laquelle les hommes se sont égorgés pour des opi-
nions !
Ne soyons pas dupes d'un mot. Tolérance , dans le style de nos
adversaires , signifie la même chose que liberté dans la bouche des
séditieux. « Nom spécieux , dit très-bien un ancien ; quiconque a
» voulu se rendre le maître et asservir ses semblables , n'a jamais
» manqué de s'en décorer*. » On sait ce que les ambitieux en-
tendent par là ; ils veulent la liberté pour eux , et l'esclavage pour
les autres ; c'est précisément ce que nous voyons. Lorsque les phi-
» Hbt. des e'tabl: des Europ. dans les Indes, t. VU , c. 2. — = Syst. de la nul. ,
t. II, c. 10 , p. 3o3. — 3 Quest. sur l'Encycl. , Fanatisme. — 4 <!>yst. de ta nat.,
il)id. — 5 Tacile, liist. , 1. 4 1 "• ji-
30 INTRODUCTION.
losophcs éloicnt (K^istes, ils jugeoient rathéisme inlolérable ; Us
dccidoieijt qu'on doit le bannir de la société : depuis qu'ils sont de-
venus athées, ils disent que l'on ne doit pas souffrir le déisme,
parce qu'il est intolérant , aussi-bien que les religions révélées. Ces
docteurs pacifiques sont donc bien résolus de n'établir la tolérance
que pour leurs propres opinions, et de déclarer la guerre à toutes
les autres. S'ils ont droit d'attaquer la religion, parce qu'elle est in-
tolérante , nous ne sommes pas moins fondés à détester l'incrédu-
lité , puisqu'elle est encore moins tolérante que la religion.
« Il est peu d'hommes , dit le livre de V Esprit , s'ils en avoient
» le pouvoir, qui n'employassent les tourments pour faire géné-
» ralement adopter leurs opinions... Si l'on ne se porte ordinaîre-
w ment à certains excès que dans les disputes de religion , c'est que
» les autres disputes ne fournissent pas les mêmes prétextes , ni les
» mêmes moyens d'être cruel. Ce n'est qu'à l'impuissance , qu'on
■• est en général redevable de sa modération '. » L'auteur du Sfs-
teme de la nature avoue de même qu'il est difficile de ne pas se fâ-
cher en faveur d'un objet que l'on croit très-important*. Or, tout
philosophe regarde son système comme très-important , et nous ne
savons pas encore à quelles extrémités il est capable d'en venir ,
lorsqu'il est fâché. Mais quand nous lisons que « celui qui parvien-
» droit à détruire la notion fatale d'un Dieu , ou du moins à di-
» minuer ses terribles influences , seroit à coup sûr l'ami du genre
» humain ', » nous croyons avoir lieu de nous défier d'une pareille
amitié.
N'espérez plus de paix , nous crie un de ces bénins philosophes ,
après avoir vomi six pages d'injures et de calomnies contre les
prêtres ; n'espérez plus de paix *. Si malheureusement il faut nous
résoudre à la guerre , nous nous sentons assez de forces pour la
soutenir encore long-temps.
Dans les commencements, les sectaires du seizième siècle étoieni
des agneaux ; ils demandoient humblement la tolérance : devenus
assez forts , ils se conduisirent en lions furieux ; ils voulurent tout
détruire. Les incrédules , héritiers de leurs principes et de leur
haine, seroient-ils plus doux en pareil cas .''Ce que nos pères ont
essuyé pendant près de deux siècles , ne nous a que trop instruits
• De l'Esprit, a. dise. , c 3, note, p. io3. —^Syst. de la nat. , t. II , c. 7,
p. 024. — 3 Ibid. t. II, c. 3, p. 88 , c. 10, p. 317. — 4 Lel. à l'aut. duBiet. dei
trois Sied. , p. 86.
INTRODUCTION. 3;
«les excès auxquels le fanaiLsuie antireligieux est capable de se por-
itT. L'incrédulité , plus ou moins étendue , plus ou moins ^^h{-
ticuse dans ses prétentions , se ressemble partout ; son génie est
toujours le même'.
§ XXII.
Rassurons-nous : la discorde suffit pour faire avorter les desseins
de nos adversaires. Tant qu'ils se sont bornés à prêcher le déisme ,
ils pouvoient paroître redoutables ; ils mettoient les théologiens sur
la défensive; ils proposoient des objections souvent embarrassantes;
ils scmbloient ne donner aucune atteinte à la morale : on voyoit
toujours un Dieu , une religion , une base aux devoirs de la société.
Par cet artifice , ils ont séduit d'abord un grand nombre de lecteurs
trop peu instruits pour apercevoir les conséquences fimestes de
leurs principes ; ils ont eu la maladresse de les dévoiler. En renver-
sant le déisme pour lui substituer le matérialisme , ils ont écrasé la
vipère sur sa morsure ; ils ont rais au grand jour la discordance des
systèmes d'incrédulité , les excès où ils conduisent , la fragilité de
l'édifice qu'ils avoient construit à si grands fr3is ; ils ont donné lieu
aux théologiens de démontrer que cette nouvelle hypothèse détruit
jusqu'à la racine les fondements de la morale , de la vertu , des de-
voirs de l'homme , et tous les liens de société ; qu'en suivant le fil
des conséquences , il faut se retrancher dans le doute absolu , res-
susciter la doctrine absurde des cyrénaïques , les infamies des cy-
niques y l'entêtement révoltant des pyrrhoniens.
Il n'y en a p.is deux qui pensent de même. L'un tâche de sou-
tenir les débris chancelants du déisme ; l'autre professe le matéria-
lisme sans déguisement : quelques-uns biaisent entre ces deux opi-
nions , défendent tantôt l'une tantôt l'autre , ne savent de quel
principe partir ni où ils doivent s'arrêter. Ce que l'un établit, l'autre
le détruit ; il n'est pas une seule question de fait ou de raisonne-
ment sur laquelle ils soient d'accord*. Esl-il difficile de prévoir la
chute d'une république aussi mal réglée , où règne une anarchie et
une confusion générale ? Si les déistes se réunissent à nous pour
combattre les athées , ceux-ci empruntent nos armes pour atla-
I Annales pol. , etc. , t. 3 , n, i8, p- 81 . — » L'autour d'Emile lea a peint» d'aprè»
uatur«, t. II[,p. 25,37.
38 INTRODUCTION.
quer les déistes ; nous pourrions nous borner à être spectateurs du
combat.
Ainsi Dieu veille sur la religion qu'il a lui-môme établie , il livre
ses ennemis à l'esprit de vertige. Le psakniste a tracé leur destinée,
en parlant d'un autre objet. « Une nation bruyante de pbilosophes
» s'est rassemblée; un peuple de raisonneurs a conjuré contre leSei-
» gneuretcontre son Christ. Brisons, disent-ils, les liens qui tiennent
» notre raison captive; secouons le joug de la religion qui nous impor-
« tune. Celui qui résiste dans le ciel, se joue de leurs vains projets,
» il les couvrira de confusion, et leur parlera en maître irrité; le
» souffle de sa colère troublera leurs sens et leurs idées'. »
S'il a permis que les docteurs du mensonge jouissent pendant
quelque temps d'une réputation brillante, le jugement qu'il a exercé
sur eux doit faire trembler leurs imitateurs. Il menace de punir
avec la même sévérité ceux qui se laissent volontairement séduire
par leurs prestiges^.
I Ps. 2, V. I, — 2ll. Thess.,c. 2,3^. lo of ii.
DICTIONNAIRE
DE THÉOLOGIE.
AARON , frère, de Moïse , pre-
mier pontife de la religion juive.
On peut voir son histoire dans
l'Exode et dans les livres suivants :
ce n'est point à nous d'en rassem-
bler les traits ; mais nous sommes
obligés de justifier les deux frères
de quelques reproches que leur ont
faits les censeurs anciens et mo-
d.ernes de l'histoire sainte.
Us ont dit que Moïse avoit donné
à sa tribu et à sa famille le sacer-
doce par un motif d'anibition. S'il
avoit agi par ce motif, il auroit sans
doute assuréàsesproprcs enfants le
pontificat plutôt qu'à ceux de son
frère ; il ne l'a pas fait; les enfants
de Moïse demeurèrent confondus
dans la foule des lévites. Dans le
testament de Jacob, Lévi et Si-
mcon sont assez maltraités ; la dis-
persion des lévites parmi les autres
tribus est prédite comme une puni-
tion du crime de leur père. Gen. ,
c. 49, !J^- 5 et suiv. Qui a forcé
Moïse de conserver le souvenir de
celte tache imprimée à sa tribu ?
Nous ne voyons pas en quoi le sa-
cerdoce judaïque pouvoit exciter
l'ambition. Les lévites n'eurent
point de part à la distribution des
terres : ils étoient dispersés parmi
les autres tribus, obligés de quitter
leur famille, pour venir remplir
leurs fonctions dans le temple de
Jérusalem ; leur subsistance éloil
précaire ; ils étoient exposés à la
perdre lorsque le peuple se livroit
à l'idolâtrie. Une preuve que le sa-
I.
cerdoce n'étoit pas par lui-même
une source de prospérité , c'est que
la tribu de Lévi fut toujours la
moins nombreuse ; on le voit par
les dénombrements qui furent faits
en différents temps.
A la vérité l'auteur de l'Ecclé-
siastique , c. 45, S- Il fait un
éloge magnifique deladignitéd'^a-
ron et des privilèges qui étoient
attachés à son sacerdoce ; mais il
les envisage sous uo aspect reli-
gieux, beaucoup plus que du côté
des avantages temporels; le privi-
lège de subsister par les ofFrar.des
des prémices et par une prrtion
des victimes ne pouvoit paà com-
penser les inconvénients auxquels
les prêtres en général étoient ex-
posés aussi-bien que leur chef. Nous
ne voyons pas dans l'histoire sainte
que les pontifes des Hébreux aient
jamais joui d'une très-grande auto-
rité ni d'une fortune considérable,
et nous ne comprenons pas quel
motif auroit pu exciter l'ambition
de gouverner un peuple aussi in-
traitable et aussi mutin que l'é-
toient les Hébreux.
Les mêmes censeurs ont ajoute
qu'après l'adoration du veau d'or
le peuple fut puni, et qu'Aaron,
le plus coupable de tous, ne le fut
point ; que le gros de la nation
porta la peine du crime de son pon-
tife. C'est une calomnie. Aoron ne
fut ni l'auteur de la prévarication
du peuple, ni le plus coupable ; il
céda par foiblcsse aux cris impor-^
• I
2 AAR
tiins d'une multitude sédîtieuse.
Moïse, à la vérité, demanda au Sei-
gneur grâce pour son frère , et l'ob-
tint. S'il avoit agi autrement, on
l'auroit accusé d'inbumanité, ou
d'avoir profité de l'occasion pour
supplanter son frère. La faute d'yfa-
ron ne demeura cependant pas im-
punie. Il fut exempt de la conta-
gion qui fit périr les prévarica-
teurs ; mais il eut bientôt à pleu-
rer la mort de ses deux fils aînés ;
il fut exclu, aus-si-bien que Moïse,
de l'entrée dans la terre promise,
et subit une mort prématurée pour
une faute assez légère.
Si l'on veut faire attention à la
multitude et à la rigueur des lois
auxquelles le grand-prêtre étoit as-
sujéti , à la peine de mort qu'il
pouvoit encourir s'il péchoit dans
ses fonctions, à l'espèce d'esclavage
dans lequel il étoit retenu, on verra
que cette dignité n'étoit pas for.t
propre à exciter l'ambition. Voyez
LÉVITE , Pontife , Prêtre , Sacer-
doce.
La révolte de Coré et de ses par-
tisans, et leur punition éclatante,
ont fourni aux incrédules de nou-
veaux traits de malignité. Coré ,
chef d'une famille de lévites, ja-
loux du choix que Dieu avoit fait
d'./4aro« pour le pontificat, se joi-
gnit à Dathan, à Abiron et à deux
cent cinquante autres chefs de fa-
mille, et ils reprochèrent à Moïse
et à son frère l'autorité qu'ils exer-
çoient sur le peuple du Seigneur.
Moïse leur répondit avec modéra-
«ion que c'étoit à Dieu seul de dé-
signer ceux qu'il daignoit revêtir
du sacerdoce , et il le pria de con-
firmer, par la punition exemplaire
des rebelles, le choix qu'il avoit
fait d^Anron et de &ts enfants. En
effet, la terre s'ouvrit et engloutît
Coré avec ses complices et toute
leur famille , et un feu du ciel con-
suma les deux cent cinquante au-
tres coupables. Num., c. i6.
Reprocher ce châtiment à Moïse
AKA
comme un trait de cruauté, c'est
s'en prendre à Dieu même. Moïse
ni son frère n'avoient pas sans doute
le pouvoir de faire ouvrir la terre^
ni de faire tomber le feu du ciel ;
et ce prodige se fit à la vue de
tout le peuple assemblé. Dieu au-
roit-il approuvé par un miracle
l'ambition ou la cruauté des deux
frères ?
Vainement certains cri tiques ont
voulu trouver de la ressemblance
entre l'histoire à'Aaron et la fable
de Mercure ; tous les traits du pa-
rallèle qu'ils en ont fait sont forcés.
Homère et Hésiode ont connu la
fable de Mercure long-temps avant
que les Grecs aient pu avoir au-
cune connoissance de l'histoire des
Juifs ; Hérodote, qui a vécu quatre
cents ans après ces deux poètes ,
connoissoittrè.s-peu les Juifs. D'an-
tres ont cru que le personnage de
Mercure avoit été copié sur celui
d'Éliezer, économe d'Abraham ;
ils n'ont pas mieux rencontré. Il
est fort aisé d'abuser de ces sortes
de parallèles entre l'histoire sainte
et la fable, et nous ne voyons pas
quelle utilité il en peut résulter.
Ceux qui voudront consulter lesal-
légories orientales de M de Gcbe-
lin,pag. loo et suiv. , verront qu'il
n'a pas été nécessaire de copier
l'histoire sainte, pour forger la fa-
ble de Mercure.
AB, ABBA. Fo/ez PÈRE.
ABADDON , est le nom de l'ange
exterminateur dans l'Apocalypse;
il vient de l'hébreu .<4ôad , perdre^
détruire.
ABAILARD ou ABÉLARD
(Pierre) , docteur célèbre du dou-
zième siècle, mort l'an ii4a. Nous
n'aurions rien à en dire, si l'on
n'avoit pas travaillé de nos jours à
réhabiliter sa mémoire, à faire l'a-
pologie de sa doctrine, et à donner
au dérèglement de sa jeunesse toute
ABA
la célcbrilé possible ; ce que l'on en
a dit est tiré du Dictionnaire de
Bayle, articles Abclard, Bérenger,
Héloïse. Saint Bernard y est accusé,
«l'avoir persécuté ./ièai/ard par ja-
lousie de réputation. Mosheim ,
Brucker et d'autres protestants,
n'ont pas manqué d'adopter cette
calomnie.
Malgré les efforts de Bayle et
de ses copistes, il résulte de leurs
aveux, i.o que le dérèglement des
mœurs d'^éaiVarcî n'est point venu
de foiblesse, mais d'un fonds de
{>crversité naturelle ; il avoit formé
e dessein de séduire Héloïse avant
qu'elle fût son écolière ; c'est dans
cette intention qu'il se mit en pen-
sion chez le chanoine Fulbert et
lui offrit de donner des leçons à sa
nièce ; et il en convient lui-même
dans la relation qu'il fait de ses
malheurs.
2.0 La vanité, la présomption,
la jalousie, le caractère hargneux
(VAbailard, sont prouvés par ses
écrits et par sa conduite. Son am-
bition étnit de vaincre ses maîtres
dans la dispute, d'établir sa répu-
tation sur les ruines de la leur, de
leur enlever leurs écoliers, d'être
suivi d'une fouie de disciples. On
voit par ses ouvrages qu'il entrai-
^loit ses auditeurs, beaucoup plus
par ses talents extérieurs que par la
solidité de sa doctrine; il étoit sé-
duisant, mais il instruisoit très-
mal : il se fit des ennemis de pro-
pos délibéré, pour le seul plaisir
de les braver. Jaloux de la répu-
tation de saint Norbert et de celle
de saint Bernard , il osa les calom-
nier l'un et l'autre.
3.» Il se mit à professer la théo-
logie sans l'avoir étudiée suffisam-'
ment ; il y porta les subtilités fri-
voles de sa dialectique et un esprit
faux ; cela est évident par le pre-
mier ouvrage qu'il publia. Rien
n'étoit plus absurde que de donner
nu traité de la foi à la sainte Tri-
nité, pour servir d'introduction à
AliA 3
J/« théologie; de vouloir expliq;ier
ce mystère par des comparaisons
sensibles : s'il pouvoit être ccmparé
à quelque chose, ce ne seroit plus
un mystère ou un dogme incom-
préhensible.
4." Ses apologistes sont forcés de
convenir qu'il y a des erreurs dans
cet ouvrage et dans les autres ; ce
n'est donc pas injustement qu'il fut
condamné dans un concile de Sois-
sons, l'an 1121, et que l'auteur
fut obligé de se rétracter. Cet évé-
nement rendit avec raison les évo-
ques et les autres théologiens plus
attentifs sur sa doctrine. Vingt ans
après, Guillaume, abbé de Saint-
Thierry, crut trouver de nouvelles
erreurs dans les écrits à'Abailard ;
il en envoya le précis et la réfutation
àGeoffroi, évèque de Chartres, et
à saint Bernard, abbé de Clairvaux.
A-t-on quelque motif de prêter de
la jalousie, de la haine, delà pré-
vention à l'abbé de SaintThierry .^
Saint Bernard, loin de témoigner
ces mêmes passions contre Abai-
lard, lui écrivit pour l'engager à
se rétracter et à corriger ses livres.
Cet entêté n'en voulut rien faire :
il voulut attendre la décision du
concile de Sens, qui étoit près de
s'assembler, et demanda que saint
Bernard y fut présent. L'abbé de
Clairvaux s'y trouva en effet ; il
produisit les propositions extraites
des ouvrages à''Abailard , et 1«
somma de les justifier ou de les
rétracter.
Parmi ces propositions, que l'on
peut voir dans le Dictionnaire des
hérésies, article Abailard , il y eu
a quatre qui sont pélagiennes, trois
sur la Trinité, dont le sens littéral
est hérétique ; dans une autre, l'au-
teur enseigne l'optimisme ; dans
la quatorzième , il soutient que
Jésus-Christ n'est pas descendu aux
enfers. Qui l'empêchoit de rétrac-
ter les unes et d'expliquer les au-
tres , comme il fut obligé de le faire
dans la suite r* Sans vouloir le faire
i'
4 ABA
dans le concile de Sens, il en ap-
pela à la décision du pape, et se
retira. Par respect pour son appel ,
le concile se contenta de. condamner
les propositions et ne nota point
sa personne.
On dit, pour l'excuser, qu'il vit
bien que saint Bernard et les évè-
ques du concile de Sens étoicnt
prévenus contre lui, et que sa jus-
tification n'eût servi à rien. Mau-
vais prétexte dont un opiniâtre
peut toujours se servir quand il le
veut. S'en rapporter d'abord au
jugement du concile, en appeler
ensuite avant même qu'il soit pro-
noncé , est un trait de révolte et de
mauvaise foi : les éveques étoient
ses juges légitimes ; en refusant de se
justifier, il méritoit condamnation.
En effet, il fut condamné à Rome
aussi bien qu'à Sens. Est-ce encore
par haine oii par jalousie que le
pape et les cardinaux prononcèrent
l'anathème contre lui ? Ce n'est
qu'après cette condamnation qu'il
fit enfin son apologie et sa profes-
.çion de foi, dans laquelle il rétracta
formellement la plupart des propo-
sitions qu'on lui avoit reprochées ,
et tâcha d'expliquer les autres.
Le grand reproche que l'on fait
à saint Bernard, est de s'être ex-
primé trop durement au sujet à^A-
bailard,âans\es lettres qu'il écrivit
il Rome et aux éveques de France
à ce sujet; mais ce ne fut qu'après
le refus que fit Abaîlard de s'ex-
pliquer et de se rétracter. Cette
conduite dut persuader au saint
abbé que ce no%'ateur étoit un hé-
rétique obstiné. Mosheim et Bruc-
ker disent que saint Bernard n'en-
tendoit rien aux subtilités do la
dialectique de son adversaire ; mais
celui-ci s'entendoit-il lui-même i*
On voit, par les ouvrages du pre-
mier , qu'il étoit meilleur théo-
logien que son antagoniste, et qu'^-
bailard auroit pu le prendre pour
maître ou pour juge, sans se dé-
grader. Toujours est-il vrai que les
ABA
protestants qui reprochent à l'abbé
deClairvaux la haine, la jalousie,
la violence, l'injustice contre l'in-
nocence persécutée, se rendent eux-
mêmes coupables de tous ces vices.
5.» Ils affectent d'insinuer qu'il
fut condamné et persécuté , non
pour ses erreurs, mais pour avoir
soutenu aux moines deSaint-Denys
que leur saint n'étoit pas le même
que saint Denys l'aréopagite ; c'est
une imposture. Ce point ne fut mis
en question ni à Soissons , ni à
Sens, ni à Rome ; Abailard fut
condamné pour des erreurs qu'il
avoit enseignées sur la Trinité , sur
l'incarnation, sur la grâce, et sur
plusieurs autres chefs.
6.» Lorsque Pierre le Vénérable^
abbé de Cluni, eut donné à Abai-
lard une retraite et l'eut converti,
saint Bernard se réconcilia de
bonne foi avec lui, et ne chercha
point à troubler son repos ; il n'a-
voit donc poijit dehainecontrelui.
Mais aux yeux des incrédules, \e&
hérétiques ont toujours raison ; les
Pères de l'Église ont toujours eu
tort. Ils blâment dans les ouvrages
de saint Bernard les défauts de son
siècle, et ils les excusent dans ceux
à^ Abailard, où ils sont beaucoup
plus sensibles. Voyez Saint Bf.r-
NAUD, Hist. de VÉgl. Gallic. , tom. 8,
ann. 1117 et suiv. ; tom. 9, ann.
iiBg — 1142 , etc.
ABAISSEMENT. Les livres du
nouveau Testament nous parlent
souvent des abaissernrnis ou des hu-
miliations du Verbe incarné. « Il
» s'est anéanti, dit saint Paul, et a
» pris la forme d'un esclave ; il
» s'est humilié et s'est rendu obéis-
» sant jusqu'à mourir, et mourir
)) sur une croix : c'est pour cela
« que Dieu l'a exalté et lui a donné
» un nom supérieur à tout autre
» nom ; afin qu'au nom de Jésus,
» tout genou fléchisse dans le ciel ,
» sur la terre et dans les enfers,
' » et que toute lang:ue publie que
AiîA
t> Noire - Soigneur Jésus - fllirisl
» jouit de la gloire <lc son Pore. »
Pliilipp., c. 2,3^^. 7, 8. II ne s'en-
suit donc pas que le Fils de Dieu,
fnsc faisant homme, ait rien perdu
de sa grandeur. Rien, disent les
Pères de l'Église, n'est plus digne
de la majesté divine que d'opérer
le salut de ses créatures ; il falloit
cet excès à.^ abaissement de la part
du Verbe incarné, pour guérir
1 homme de l'orgueil excessif
qu'une fausse philosophie lui avoit
inspiré : il le falloit, pour consoler
la plus grande partie dugenre hu-
main, de l'humiliation à laquelle
elle est réduite.
ABANDON. Il y a dans l'Ecri-
ture sainte des passages qui sem-
blent prouver que Dieu abandonne
les pécheurs, et même des nations
entières ; mais il en est d'autres
qui nous assurent que Dieu est bon
à l'égard de tous, qu'il a pitié de
tous, qu'il n'a de l'aversion pour
aucune de ses créatures , que ses
miséricordes se répandent sur tous
ses ouvrages, etc. Les premiers ne
signifient donc pas que Dieu prive
absolument de toutes grâces les pé-
cheurs oulesnations infidèles, mais
qu'il ne leur en accorde pas autant
qu'à d'autres peuples, ou qu'il ne
leur fait pas autant de bien qu'il leur
en a fait autrefois. C'est un usage
commun dans toutes les langues ,
d'exprimer en termes absolus ce
c[ui n'est vrai que par comparaison.
Ainsi, lorsqu'un père ne veille pi us,
avec autant de soin qu'il le faisoit
autrefois, sur la conduite de son
fils, on dit qu'il l'abandonne; s'il
témoigne au cadet plus d'affection
qu'à l'aîné, on dit que celui-ci est
délaissé , négligé , pris en aversion ,
etc. Ces façons de parler ne sont ja-
mais absolument vraies ; ]*ersonne
n'y est trompé ; elles ne doivent pas
nous surprendre davantage dans
l'Écriture .«mainte que dans Je lan-
gage ordinaire.
Ali A 5
En effet, malgré les promesses
formelles que Dieu avoit faites aux
.Tuifs de ne jamais les abandonner,
ils ne manquoient pas de dire dana
toutes leurs calamités: le Seigneur
nous a délaissés, nous a oubliés.
Voici ce que leur répond le pro-
phète Isaïe de la part de Dieu ,
c. 49, S- i4 • " Une mère peut-
» elle oublier son enfant et man-
» quer de tendresse pour le fruit
» de ses entrailles "? Quand elle
» pourroit le faire, je ne vous ou-
» blierois point. » \Jabandon pré-
tendu dont se plaignoient les Juifs,
consistoitseulementen ce que Dieu
ne les protégeoit plus d'une manière
aussi éclatante, etne leuraccordoit
plus autant de bienfaits qu'autre-
fois.
Nous devons raisonner de même,
et entendre de même l'Écriture
sainte, à l'égard des grâces de salut
et des secours surnaturels. Dans
l'article Grâce , § 3 , nous prou-
verons, par l'Écrituie sainte, par
les Pères de l'Église, par l'efficacité
de la rédemption, qu'il n'est sous le
cielaucunecréature queDien laisse
manquer de grâces absolument
et entièrement, mais il n'en fait pas
également et en même mesure à
tous les hommes ; aux uns il en
accorde de plus abondantes et de
plus efficaces qu'aux autres, et c'est
dans ce sens seulement que ceux-ci
sont abandonnés en comparaison
des premiers.
Quelques accusateurs de la Pro-
vidence ont affecté d'alléguer un
passage du livre des Proverbes,
c. I, J^. 24, où la Sagesse dit aux pé-
cheurs : « Je vous ai appelés , et
» vous m'avez rebutée ; je vous ai
» tendu les bras, et aucîin devons
» ne m'a regardée De mon
» côté, je rirai et j'insulterai à votre
» ruine, lorsque les maux que vous
» craignez vous seront arrivés....
» Alors on m'invoquera, et je n'c-
» co:iterai point:onmechcrchera,
»> et on ne me trouvera pas... Mai >
ft ABA
M celui qui m'écoutera reposera
» sans crainte ; il sera dans Tabon-
B (lance et n'aura plus de maux
» à redouter. » Nous ne voyons
pas comment l'on peut conclure
de là qu'il y a un moment fatal au-
quel Dieu n'écoute plus les pé-
cheurs , les abandonne entière-
ment , leur refuse toute g;ràce , et
les laisse périr, i.» Il est évident
que le Sage parle de maux tempo-
rels , et non de la réprobation des
pécheurs. 2.» Ce seroit en vain
qu'il ajoute : celui qui m* écoutera ,
etc. Les pécheurs peuvent-ils en-
core écouterDieu, lorsqu'il ne leur
parle plus par la grâce ? 3." Celte
opinion estformellcmentcontraire
à la promesse que Dieu a faite par
Ézéchiel, c. 33, ^. i4 ; « Lorsque
» i'aurai dit à l'impie , tu mourras ,
M s'il fait pénitence et pratique la
» justice, il vivra et ne mourra
» point, n Or l'impie ne peut faire
pénitence, à moins que Dieu ne
lui donne la grâce.
Les Pères de l'Église ont tous
insisté sur ce passage , et sur ce qui
précède , jH. 1 1 : « Par ma vie ,
j. dit le Seigneur, je ne veux point
j) la mort de l'impie, mais qu'il se
» convertisse et qu'il vive. » Ils en
ont conclu que la miséricorde de
Dieu n'abandonne jamais entière-
ment les pécheurs. Dieu dit dans
l'Apocalypse, c. 3,^ . 19 : « Faites
» pénitence , je suis à la porte et
» je frappe ; si quelqu'un m'ouvre,
« j'entrerai chez lui. » Il ne met
point d'exceptions. Jésus -Christ
nous est représenté, non comme un
juge empressé de faire justice, mais
comme un Sauveur miséricor-
dieux, qui craint de perdre une
âme et le prix du sang qu'il a ré-
pandu pour elle.
Cependant quelques théologiens
soutiennent que ce n'est point là le
sentiment de saint Augustin. Ce
Père , di.sent-ils, a répété vingt fois
que Dieu n'abandonne point le
juste, à moins qu'il n'en soitaban-
ABA
donné ; il applique ce principe
mêmeà notre premier père, «ye/T/j./,
in Ps. 58, n. a; il dit que Dieu a
délaisse Adam, parce qu'Adam lui-
même a délaissé Dieu : donc il
suppose que quand un juste aban-
donne Dieu, il en est abandonné a
son tour. L. 3 de pecc. meritis et
reniiss. , c. i3, n. 22 , le saint doc-
teur prétend que , dans quelques
occasions, Dieu n'aide point les
justes à faire le bien, parce qu'ils
peuvent s'enorgueillir ; il pense que
Dieu leur refuse la grâce et les
laisse tomber, afin de les humilier
par leur chute. Or, s'il refuse quel-
quefois la grâce aux justes, à plus
forte raison aux grands pécheurs.
Lorsque ceux-ci veulent s'excuser
en disant'." En quoi sommes-nous
» coupables de vivre mal , dès que
»> nous n'avons pas reçu la grâce
» de bien vivre ?» Saint Augustin
répond, Epist. 194 ad Sixtum, c. 6,
n. 22. : « S'ils sont au nombre
>» des vases de colère destinés à la
» perdition , qu'ils s'en prennent
»> à eux-mêmes, parce qu'ils ont
» été faits de cette masse que Dieu
» a justement condamnée pour le
» péché d'un seul , dans lequel tous
» ont péché. » Ainsi, ce Père sup-
pose que la grâce leur est refusée
à cause du péché originel. Enfin ,
Tracl. 58, in Joan., n. 6, il dit
que Dieu aveugle et endurcit les
pécheurs, nonenlesforçantaumal,
mais en ne les secourant point, par
conséquent en les abandonnant.
Il est étonnant que ceux qui prê-
tent à saint Augustin cette doctrine
absurde n'aient pas vu qu'ils le
font tomber dans des contradic-
tions grossières. I. "Puisque le juste
a besoin de la grâce prévenante
non-seulement pour faire le bien,
mais encore poxir y persévérer, s'il
lui arrive d'abandonner Dieu ou
de pécher, parce qu'il a manqué
de la grâce, ce n'est pas lui qui a
délaissé Dieu, mais c'est Dieu qui
l'a délaissé le premier : dans ce cas.
ABA
que devienl le principe lanl répété
par saint Augustin, que Dieu n'a-
bandonne janiais le juste, à moins
qu'il n'en soit abandonné î* Lors-
qu'Adam a péché pour la première
fuis, avoit-il déjà délaissé Dieu ?
ou la grâce lui a-t-elle été refusée ,
parce qu'il ctoit né de la masse de
perdition ?2. "Lorsque les pécheurs
veulent rejeter sur Dieu la cause
de leurs crimes, saint Augustin leur
oppose ce passage de l'Ecclésias-
tique , c. i5, 'jf . II : «Ne dites
•> point , Difu me manque ; cest
» lui qui ma égaré ; Dieu n'a pas
» besoin des impies, etc. » L. de
Grat. et Lib. arb. , c. a , n. 3. Que
l'on dise , Dieu me manque , ou
Dieu me laisse manquer de grâce ,
c'est la même chose : or, selon l'au-
teur sacré et selon saint Augustin,
c'est un blasphème. 3.» Ce saint
docteur a répété vingt fois qu'il
ne faut désespérer d'aucun homme
vivant, JEnarr. 2 , in Ps. 36 , n. 11,
etc., pas même des impies, in
Ps. 5o , n. 18 ; que le démon est la
seule créature de la conversion de
laquelle il faut désespérer , in
Ps. 54, n. 4- Il dit, Confess.,Lib. 8,
c. II , n. 27 : « Jette-toi entre les
» bras de ton Dieu ; ne crains rien ;
» il ne se retirera pas afin que tu
» tombes, etc. » Que signifie tout
cela, si Dieu peut abandonner ab-
solumentnon-seulement les grands
pécheurs, mais encore les justes,
afin de les humilier ?
Cherchons donc un moyen de
décharger saint Augustin de toutes
!es absurdités qu'on lui impute ;
cela n'est pas fort difficile.
Serrn. I, in Ps. 58, n. 2, il dit
qu'Adam après son péché fut privé
de la joie et de la consolation qu'il
goiltoit auparavant à voir Dieu et
a converser avec lui , puisqu'il se
cacha ; c'est ainsi que Dieu se re-
tira de lui et le délaissa. L'Écri-
turenousl'apprendjet il nes'ensuil
rien.
L. 3 de pec merilis et reniiss ,
ABIi 7
c. i3, n. 22, saint Augustin ne dit
point que Dieu refuse quelquefois
aux justes la grâce pour faire le bien ,
mais pour le faire parfaitement,
ad per/iciendum jusiitiam; et cela
est vrai. Dieu ne donne pas tou-
jours aux âmes les plus saintes la
force de pratiquer le bien avec
autant de perfection qu'elles le
voudroient ; c'est ce qui les afUige,
les humilie, les tourmente même
par des scrupules : s'ensuit-il de là
que Dieu leur refuse les grâces né-
cessaires pour éviter le péché et
pour persévérer dans le bien ?
Epist. 194 ad Sijct. , chap. 6,
n. 21 et 22, saint Augustin parle
non de la grâce actuelle, mais de
la grâce finale , du don de la persé-
vérance, de la prédestination à la.
gloire éternelle. Nous convenons ,
d'après saint Augustin, que ce don
n'est dii à personne, que Dieu peut
le refuser à qui il lui plaît, et que
ceux auxquels il ne l'accorde point
n'ont pas droit de se plaindre ; que
cela ne peut pas excuser les pé-
cheurs, comme le prétendoit Pe-
lage. Nous traiterons cette question
aux mots Persévérance et Prédes-
tination. Voyez Grâce, § 3.
ABBAYE, ABBÉ, ABBESSE.
Un corps, une communauté quel-
conque, ne peut subsister sans sub-
ordination ; il faut un supérieur
qui commande et des inférieurs qui
obéissent: parmi des membres tous
égaux et qui font profession de
tendre à la perfection , l'autorité
doit être douce et charitable ; on
ne pouvoit donner aux supérieurs
monastiques un nom plus conve-
nable que celui de père ; c'est ce
que signifie abba : par la même
raison , l'on a nommé abbesses lea
supérieures des religieuses , et ab-
bayes les monastères. La juridic-
tion, les droits, les privilèges des
abbés et des abbesses ont été fixés
par les lois erclésiasliques ; c'est
un des articles de la jurisprudence
8 ABË
canonique. Il nous suffit d'obser-
ver que la multitude des abbayes
de l'un et de l'autre sexe n'a rien
d'étonnant pour ceux qui savent
quel étoil le malheureux état de
la société en Europe pendant le
dixième siècle et les suivants ; les mo-
nastères étoient non-seulement les
jeuls asiles où la piété pût se ré-
fugier, mais encore la seule res-
source des peuples opprimés, dé-
pouillés, réduits à l'esclavage par
les seigneurs toujours armés et
acharnés à se faire une guerre con-
tinuelle. Ce fait est attesté par la
multitude des bourgs et des villes
bâtis autour de l'enceinte des ab-
bayes. Les peuples y ont trouvé les
secours spirituels et temporels, le
repos et la sécurité dont ils ne pou-
voient jouir ailleurs.
On n'a jamais autant déclamé
que de nos jours contre les riches-
ses, la somptuosité, la magnifi-
cence des abbayes : dans nos dic-
tionnaires géographiques , on ne
manquejamais, enparlantdes villes
ou des bourgs dans lesquels il se
trouve une abbaye , de faire con-
traster l'opulence qui y règne avec
la pauvreté et la misère des peuples
du canton, et d'insinuer que c'est
ce voisinage fatal qui ruine les
colons.
L'on feroit une observation à
peu près aussi sensée, si l'on met-
toil en opposition la magnificence
du château de Versailles et le luxe
de la cour, avec la multitude des
pauvres rassemblés dans cette ville;
ou la misère répandue sur le pavé
de Paris , avec la somptuosité des
hôtels des grands seigneurs et des
financiers. Les pauvres se rassem-
blent dans ces deux villes, parce
qu'ils espèrent de trouver du se-
cours dans la charité des princes
et des grands : ainsi , les abeilles
se répandent sur les prairies dans
lesquelles il y a des fleurs à sucer,
el non dans les campagnes labou-
rées, OÙ il n'y en a point. Nous
pensons qu'il en est de Tnème àes
abbayes et des riches monastères ,
et que si les misérables n'y trou-
voient rien à gagner , ils iroient
chercher leur subsistance ailleurs.
Les réflexions de nos censeurs po-
litiques prouvent précisément le
contraire de ce qu'ils prétendent
Il vient de paroître un ouvrage
intitulé : Observations d'un solitaire
citoyen , dans lequel l'auteur a
prouvé , par des raisons très-
solides , qu'à n'envisager les ab-
bayes et les monastères que sous un
aspect politique, ces établissements
sont très-avantageux, et qu'en les
détruisant ou en changeant leur
destination, l'on produiroit beau-
coup plus de mal que de bien ; il
a répondu d'une manière très-
satisfaisante à toutes les objections
que les censeurs de l'état monasti-
que ont compilées dans leurs dis-
sertations. •
Sans entrer ici dans un grand
détail, il est évident, i.» que, dans
toutes les abbayes el les monastères
en règle, le revenu est consumé
sur le lieu même et dans le voisinage;
au lieu que s'il éloit donné à des
séculiers , il seroit dépensé à la
cour, dans la capitale, ou dans
qiielqu'autre demeure éloignée du
sol et du séjour des colons. 2.» Que,
par le moyen des commendes, il'
n'est aucune espèce de revenu qui
soit plus immédiatement sous la
main du gouvernement ; puisque le
roi en dispose à chaque mutation,
et que l'on peut les employer à l'u-
tilité publique par des réunions ,
par les économats, par des pen-
sions, etc. 3.0 Que, dans toutes les
calamités qui afiligent les cam-
pagnes, il n'est point de ressource
plus prompte el plus certaine que
celle que l'on peut trouver dans les
abbayes. Si l'on faisoit une liste
des bonnes œuvres qui se font jour-
nellement dans ce genre, les en-
nemis des moines seroient forces
de rougir de lenrs déclamations
ABD
4.0 Que CCS vastes bâtîmenls, qui
insultent, dit-on, à la niiscrc pu-
blique, ont clé élevés par les liras
des ouvriers du canton, qui y ont
ainsi gagné leur vie ; qu'en cela Ton
s'est conformé au sentiment de nos
philosophes politiques , qui sou-
tiennent que la meilleure espèce
d'aumône est de l'aire travailler le
peuple. Il y auroit bien d'autres
observations à l'aire. Voyez Moine ,
Monastère.
ABDAS. Voyez Zèle de Reli-
gion.
ABDENAGO. Voyez
dans la fournaise.
Enfants
ABDIAS, le quatrième des douze
petits prophètes, vivoit sous le rè-
gne d'Ezéchias , vers l'an 726 avant
Jésus-Christ : il prédit la ruine des
Idumécns et le retour de la capti-
vité de Juda , la venue du Messie et
la vocation des Gentils ; mais ces
dernièresprédictionsneparoissent
pas aussi claires que les premières.
Il ne faut pas le confondre avec
plusieurs ain\.TÇs Abdîas , dont il
est parlé dans l'Ecriture , savoir :
1 .0 un certain Abdias , intendant de
la maison d'Achab, qui cacha, dans
la caverne d'une montagne à la-
quelle il donna son nom , cent pro-
phètes , pour les soustraire à la fu-
reur de Jézabel ; 2.» un intendant
des finances de David ; 3.o un des
généraux d'armée du même roi ;
4." un lévite qui rétablit le temple
sons le règne de Josias.
Abdias de Babylone, auteur sup-
posé d'une histoire du combat des
apôtres. Il nous dit dans sa pré-
face qu'il avoit vu Jésus-Christ ;
qu'il étoit du nombre des soixante
et douze disciples ; qu'il suivit en
Perse saint Simon et saint Jude ,
qui l'ordonnèrent premier évêquc
deBabylonc. Mais en même temps
il citellégésippe, qui n'a vécu que
cent trente ans après l'ascension
ABE «j
de Jésus-Christ, et veut nous faire
accroire qu'ayant écrit lui-même
en hébreu, son ouvrage a été tra-
duit en grec par un nommé Eu-
trope , son disciple, et du grec en
latin,par Jules Africain, qui vivoit
en 221. Ces contradictions démon-
trent que le prétendu Abdias est
un imposteur. Wolfang Lazius ,
qui déterra le manuscrit de cet ou-
vrage dans le monastère d'Ossak ,
en Carinthie , le fit imprimer à
Bâle en i55i, comme un monu-
ment précieux. Il y en a eu plu-
sieurs autres éditions , sans que
cette histoire en ait acquis plus
d'autorité.
ABDISSI, ABDJÉSU ou ÉBEEK-
JESU. Voyez Chaldéens.
ABÉCÉDAIRES, branche d'a-
nabaptistes, qui prétendoient que
pour être sauvé il falloit ne savoir
ni lire, ni écrire. Voyez Anabap-
tistes.
ABEL , second fils d'Adam. Se-
lon l'histoire sainte , Caïn son aîné
cultivoit la terre ; Abel élevoitdes
troupeaux ; le premier ofFroit à
Dieu les fruits de l'agriculture; le
second lui présentoit la graisse ou
le lait des animaux : il étoit naturel
que , par reconnoissance , les hom-
mes fissent à Dieu l'offrande des ali-
ments qu'ils tenoient de sa bonté.
Dieu agréa les dons à^Ahcl, et n'eut
point égard à ceux de Caïn. Celui-
ci, Jaloux de la prospérité de son
frère, conçut contre lui une haine
violente, et le tua.
Les rêveries que les rabbins ont
écrites sur la conduite A'' Abel ne
méritent aucune attention ; le ré-
cit simple et naïf de l'Écriture
donne lieu à plusieurs réflexions
i.** Le sort des deux frères dut faire
sentir à nos premiers parents les
suites terribles de leur yièché ,
l'excès des misères auxquelles étoit
condamnée leur postérité. 2." La
lo ABE
destinée à^Abel démontre que les
récompenses de la vertu ne sontpas
de ce inonde. Dieu avoit dit à Gain,
pendant qu'il médiloit son crime :
« Si tu fais bien , n'en recevras-tu
» pas la récompense ? Si tu fais
» mal, ton péché s'élèvera contre
» toi. «Cependant^ie/ reçoit pour
toute récompense de sa piété une
mort violente et prématurée. Dieu
a donc accompli sa promesse dans
une autre vie. Selon saint Paul ,
Abel, par sa foi , a offert à Dieu
de meilleurs sacrifices que Caïn ;
par-là il a mérité le nom de juste;
Dieu lui-même a rendu témoignage
à ses offrandes , et par cette foi il
parle encore après sa mort, iîeèr.,
c. ii,y. 4.
Quelle a pu être la foi à^Abel ,
sinon une ferme croyance à la vie
future ? Le témoignage que Dieu
lui a rendu seroit illusoire, si la
piété à'' Abel étoit frustrée de toute
récompense. L'indulgence avec la-
quelle Dieu traite Caïn après son
crime seroit un nouveau sujet de
scandale. Voyez Gain.
Gomme saint Gyprien, X. de
bono patieniiœ , a loué Abel de ne
s'être pas défendu contre son frère,
et d'avoir ainsi donné un prélude
de la constance des martyrs et de la
patience des justes, BarbejTac ac-
cuse ce Père d'avoir détruit par-
là le droit naturel d'une juste dé-
fense de soi-même; Traité de la
morale des Pères , c. 8, § ^i.
Mais le droit de se défendre et
Vnbligaiion de le faire, est-ce la
même chose ? Barbeyrac convient
que non ; qu'il y a des cas dans les-
quels un juste peut être louable
de se laisser mettre à mort , plutôt
que de tuer l'injuste agresseur; il
donne pour exemple Jésus-Ghrist
et les martyrs. La question est donc
de savoir si Abel n'a pu avoir au-
cun motif louable de se laisser ôter
la vie : or, nous soutenons que le
dessein de laisser à son frère le
temps de faire pénitence, de donner
ABG
ksts propres enfants un exemple de
patience , de remettre à Dieu seul
le soin de la vengeance , est unmo-
tif très-louable, et que saint Gy-
prien n'a pas eu tort de le louer.
Voyez. DÉFENSE de soi-même.
ABELIENS , ABÉLOITES , secte
d'hérétiques assez obscurs et en pe-
tit nombre, qui ont subsisté pen-
dant quelques années auprès d'Hip-
pone en Afrique. Quoique mariés,
ils s'abstenoient de tout commerce
conjugal avec leurs femmes. Le mo-
tif de cette conduite bizarre étoit
Probablement d'imiter la chasteté
'Abel , que l'on suppose n'avoir
jamais eu d'enfants. Mais, outre
l'incertitude de ce fait , il auroit été
plus simple de s'abstenir du ma-
riage. Getle continence mal en-
tendue ne pouvoit manquer de pro-
duire bientôt du désordre dans un
climat tel que l'Afrique. Quels
qu'aient pu être leurs motifs , ils ne
valoient pas la peine que plusieurs
écrivains se sont donnée pour les
deviner. S. Augustin , de Hœres. ,
n. 87.
Mosheim, Hist. Ecclésiast., a.'
siècle, 2.e part. , c. 5, n. 18, a pris
lesAbéliens pour une secte de gnos-
tiques. Il nous paroît qu'il s'est
trompé. Saint Augustin parle de
ceux d'Afrique comme d'une secte
qui venoit de s'éteindre, et qui
n'avoit pas duré long-temps.
ABGABE , roi d'Edesse , ville de
la Mésopotamie, est connu dans
l'histoire ecclésiastique par ce que
Eusèbe en rapporte , liv. i , ch. i3 ;
il dit que ce roi écrivit à Jésus-
Ghrist pour le prier de venir le
guérir d'une maladie: que le Sau-
veur lui fit réponse et promit de
lui envoyer un de ses disciples ;
qu'après l'ascension, saint Thomas
envoya en effet saint Thadée, qui
guérit Abgare et convertit la ville
d'Edesse. Eusèbe rapporte la lettre
et laréponse, etprétendlesavoir ti-
ABI
récs des archives de lavilled'Edessc.
De savants critiques ont regardé
ces deux pièces comme supposées ;
Tillemont, Cave et d'autres, les
reçoivent comme authentiques , et
répondent aux difficultés qu'on
leur oppose. Mosheimn'oseroitga-
rantir l'authenticité de ces deux
lettres; mais il ne voit aucune rai-
son de rejeter l'histoire qui y a
donné lieu. D'autres prolestants
plus hardis s'inscrivent également
en faux contre l'histoire et contre
les lettres ; mais ils n'allèguent que
des preuves négatives.
Il n'est pas tort nécessaire à un
théologien de prendre parti dans
cette dispute, qui est dans le fond
très-indifférente à la religion chré-
tienne. On ne fonde sur ce monu-
ment aucun fait, aucun dogme,
aucun point de morale ; et c'est
pour cela même qu'il neparoîtpas
probable que l'on ait fait une su-
percherie sans motif. La lettre
d'Abgare pourroit fournir une
preuve de plus de la réalité de l'éclat
des miracles de Jésus-Christ; mais
nous en avons assez d'autres pour
pouvoir aisément nous passer de
celle-là. Koyez les notes Varioruni
sur VHist. Ecclésiast. d'Eusèbe, et
Tillemont, tom. I,pag. Sgoetsuiv.
ABIAT^IÎAR , fils d'Achimelech,
fut le dixième grand -prêtre des
Juifs, depuis Aaron. Il est dit, i
fleg"., c. 21, ;>^. i8et suiv., que Saiil
ayant appris qu'Achimelech avoit
fourni à David des vivres et une
épéc, fit massacrer ce sacrificateur
et tous ceux de la ville deNobé,au
nombre de quatre-vingt-cinq hom-
irics , et fil passer tous les habitants
de cette ville au fil de l'épée ; qu'un
fils d'Achimelech, nommé ^^l'a-
ifiar, se sativa axiprès de David, qui
le prit sous sa protection. De là on
a conclu qu'il y eut alors detix
grands-prêtres ; savoir: iSat/oc dans
le parti de Saiil , et Abialhar dans
relui de David. Sous le règne de
Mil ,r
Salomon , Abiaihar ^ s'étant atta-
ché au parti d'Adonia.s, fut privé
du sacerdoce et relégué à Anathot.
Mais il est dit dans saint Marc ,
c. 2,^.26, que le fait de David ar-
riva sous le grand-prêtre Abiathar.
Comment cela s'accorde-t-il avec
le premier livre des Rois qui nous
apprend que ce fut sous Achime-
lech .?
On répond ordinairement, i.c
que, sous le règne de Saiil , Abia-
thar exerçoit déjà le souverain .sa-
cerdoce conjointement avec son
père , et que cela s'est vu plus
d'une fois; qu'ainsi l'évangélistea
pu nommer l'un ou l'autre indif-
féremment. 2.0 Que comme Abia-
ihar a été revêtu de celle dignité
pendant tout le règne de David ,
et même pendantla première année
de Salomon, il étoit plus conve-
nable de le nommer que son père.
Mais un auteur anglois, nommé
Wision , a résolu autrement celte
difficulté ; il soutient qu'Achime-
lech, et son fils Abiaf7iar, dont il est
parlé dans le livre des Rois, nesont
point deux grands -prêtres , mais
de simples sacrificateurs , aussi-
bien que les autres prêtres de la
ville deNobé, que Saiil fil mourir.
En effet, ni l'un ni l'autre nesont
appelés grands -prêtres y mais seule-
ment sttcrj/?ca/eurs, et il n'est pas
probable que Saiil eiît osé faire
massacrer deux grands - prêtres.
"Wision prétend encore qu'il y a
eu deux grands-pretres nommés
Abiaihar, l'un sous Saiil , et qui
étoit frère d'Achimelech ; l'autre
sous David et sous Salomon , et qui
étôil fils d'Achimelech ; mais qu'ils
ne sont point les mêmes person-
nages que les sacrificateurs deNobé
dont il est question dans le 2i.c
chap. du i.'f livre des Rois. Voyez
la bible de Chais sur cet endroit.
ABISME, ou plutôt Abysme, for-
mé d'à privatif et de pvoao;, fond ;
i) signifie sans fond. Ce mol se
J3 ABl
prend dans TÉcrilure , i.«> pour
l 'immensité des eaux qui environ-
noient le globe de la terre au mo-
ment de la création, et avant que
Dieu les eût renfermées dans un
même lit. Gènes. , c. i , ^ . 2 et 9.
2." Pour la mer; en parlant du dé-
luge, il est dit que les sources du
grand abime furent rompues , c'est-
à-dire , que la mer sortit de son
lit. Gènes, c. 7, 5^'. 11. Au sujet
des Egyptiens submergés dans la
mer llouge. Moïse dit qu'ils ont
été couverts par les abîmes. F,ccod.,
c. i5, ^. 5, etc. 3.0 Pour les lieux
les plus profonds de la mer. £ccl. ,
CI, y/, a. 4-'* Pour l'enfer. Il est
représenté comme un gouffre placé
sous les eaux et vers le centre de la
terre, dans lequel sont renfermés
le^ impies, les géants qui ont fait
trembler les peuples, les rois de
Tyr, de Babylone, d'Egypte, tou-
jours vivants, et portant la peine
de leur orgueil et de leur cruauté.
Isaïe, parlant de la mort du roi de
Babylone, lui adresse ainsi la pa-
role : n Ton arrivée a troublé les
» enfers, a éveillé les géants; les
» rois des nations se sont levés de
» leurs sièges : ils te diront : Te
» voilà donc blessé aussi-bien que
» nous, et devenu semblable à
n nous; ton orgueil a été précipité
» aux enfers, ton cadavre est tombé ;
>» il sera la proie de la pourriture
» et des vers, etc. n Isaïe ^ c. i4,
y'. 9 et suiv. Ezéchiel ditia même
chose du roi de Tyr, chap. 28,
y. 8 ; du roi d'Egypte et de ses
sujets, ch. 32, y^ . 18 et suivants.
luabîme est aussi pris pour l'enfer
dans l'Apocalypse, c.g, 11, 20, etc.
Les conjectures des savants, sur
la manière dont les Hébreux con-
cevoient le centre de la terre ou le
fond de Vabime , la source des
fontaines et des rivières, etc., nous
importent fort peu; il nous suffit
de présenter le sens littéral et na-
tur-el des livres saints : il en résulte
que ceux qui ont assuré que les an-
ABL
cicns Hébreux n'avoicnt aucune
idée de l'enfer, se sont trompés.
Voyez Enfer,
ABISSmS. Voyez ÉTniopiENS.
ABJURATION , est le serment
par lequel un hérétique converti
renonce à ses erreurs et fait pro-
fession de la foi catholique ; cette
cérémonie est nécessaire pour qu'il
puisse être absous des censures qu'il
a encourues, et être réconciliée
l'Eglise,
Les protestants ont souvent
tourné en ridicule les conversion»
et les abjurations de ceux d'entre
eux qui rentrent dans le sein de
l'Eglise catholique ; pour prévenir
cette espèce de désertion, ils ont
posé pour maxime qu'un honnête
homme ne change jamais de reli-
gion. Ils ne voient pas qu'ils cou-
vrent d'ignominie, non-seulemejit
leurs pères, mais les apôtres de la
prétendue réforme, qui ont certai-
nement changé de religion, et qui
ont engagé les autres à en clianger ;
ils rendent suspectes les conver-
sions des juifs, des mahométans ,
des païens, qui se font protestants ;
et leur censure retombe même sur
tous ceux qui se sont convertis à
la prédication des apôtres. Leur
maxime ne peut être fondée que
sur une indifférence absolue pour
toutes les religions, par conséquent
sur une incrédulité décidée. Voyc7
Conversion,
ABLUTION. C'est l'action de. sa
laver le corps. Tous les peuples,
dans tous les temps , ont compris
que la propreté du corps étoit le
symbole de la propreté de l'àme ;
que le péché pouvoit être envisagé
comme une tache de la conscience;
qu'en se lavant le corps, un homme
témoigne le désir qu'il a de se pu-
rifier l'àme. Ainsi les ablutions ,
très-nécessaires à la santé dans les
climats chauds, où l'on ne con-
nois5oIl pas l'usage du Hngc, sont
devenues un acte religieux univer-
sellement pratiqué. A-t-on cru
pour cela que cetlecérémonieavoit
la vertu d'effacer le péché aux yeux
de la Divinité ? Si les ignorants
l'ont pensé, les sages du moins ont
senti qu'un rite extérieur ne peut
être eHlcacc qu'autant qu'il plaît
à Dieu de l'agréer et qu'il est ac-
compagné d'un sentiment intérieur
de pénitence.
II pai'oît que les ablutions ont
été eii usage chez les patriarches,
puisqu'il en est parlé dans le livre
de Job, ch. 9, y. 3o. Moïse en
prescrivit aux Juifs un grand nom-
Ère ; Jésus-Christ les a consacrées ,
en donnant au hapleme, conféré
en son nom, la force d'effacer le
péché. Vo/ez Baptême. L'Église,
animée par le même esprit, a con-
servé l'usage de l'eau bénite. On
sait que les païens pratiquoient
aussi différentes espèces d'aè/u-
iîons ; quelesmahométansse lavent
{ilusieurs fois le jour, surtout avant
la prière; que les peuples les plus
grossiers pensent sur ce sujet com-
me les nations les plus éclairées.
Est-ce une superstition générale
qui a saisi tous les esprits ? Quicon-
que se persuade que, pour effacer
le crime, il suffit de se laver le corps,
sans avoir aucun sentiment de com -
ponction et de regret, sans aucun
désir de se corriger, est sapersti-
tieuxsans doute; il abuse d'un signe
destiné à lui rappeler ce qu'il doit
faire intérieurement : mais l'abus
dans aucun genre ne prouve rien
contre un usage utile en lui-même.
11 n'est aucune institution de la-
quelle on ne puisse abuser; l'igno-
rance, la stupidité, l'hypocrisie,
ne prescriront jamais contre les
signes naturels de la piété et de la
religion. Voyez ExprAxiONS,
En terme de liturgie, l'on nomme
ablution l'eau et le vin queleprêtre
met dans le calice après la com-
munion, afin qu'il n'y reste rien
AJiO 26
du vin consacré. Il convient de
tenir dans la plus grande pro-
preté les vases destinés à contenir
l'Eucharistie.
ABNÉGATION. Renoncement à
soi-même. Jésus-Christ dit dans
l'Évangile : « Si quelqu'un veut
» venir après moi, qu'il renonr e
» à lui-même, qu'il porte sa croix
» et me suive. » Par-là le Sauveur
nous ordonne-t-il d'étouffer l'a-
mour de nous-mêmes et de notre
bonheur , de renoncer à notre
intérêt bien entendu i* Non, sans
doute, puisqu'il nous invite à la
verluparl'attrait de la récompense
et du bonheur qu'il nous promet,
conséquemment par un motif d'in-
térêt très-solide. Il veut donc que
nous renoncions à l'amourdenous-
mêmes, aveugle et mal réglé, à nos
passions, à nos inclinations vi-
cieuses, que nous confondons mal à
propos avec notre intérêt. Un juste
s'aime plus véritablement, et en-
tend mieux ses intérêts qu'un pé-
cheur ; le premier cherche le vrai
bonheur et le trouve ; le second le
cherche où il n'est pas, et ne le
trouve ni en ce monde ni en l'au-
tre. Koycz Renoncement.
ABOMINABLE , ABO>nNA-
TION. Il est dit dans l'histoire
sainte que les pasteurs des brebis
étoient en abomination aux Egyp-
tiens. Moïse répond à Pharaon ,
leur roi, que les Hébreux doivent
immoler au Seigneuries abomina^
lions des Egyptiens, c'est-à-dire,
leurs animaux sacrés, les bœufs,
les boucs , les agneaux , les béliers ,
dont Vi sacrifice devoit paroître
abominable aux Egyptiens. L'Écri-
ture donne ordinairement le nom
iH' abomination à l'idolâtrie et aux
idoles, tant à cause que le culte
des idoles est en lui-mêmeunechose
abominable , que parce qu'il étoit
presque toujours accompagné de
dissolutions et d'actions iufàines.
i4 ABIV
Moïse donne aussi le nom d'aio-
mînables aux animaux dont il in-
terdit l'usage aux Hébreux.
U' abomination de la désolation,
ou plutôt V abomination désolante
prédite par Daniel, ch. 9, |){^. 27,
marque, selon plusieurs interprè-
tes , l'idole de Jupiter Olympien
qu'Antiochus-Epiphane fit placer
dans le temple de Jérusalem. La
même abomination dont il est parlé
dans saint Matthieu, ch. 24, ^ï^. i5 ,
dans saint Marc, ch. 6, ^. 7, et
que l'on vit à Jérusalem pendant
le dernier siège de cette ville par
les Romains, sont les enseignes de
l'armée romaine, chargées des figu-
res de leurs dieux et de leurs empe-
reurs, qui furent placées dans la
ville et dans le temple, lorsque
Tite s'en fut rendu maître.
ABRA, dans l'Écriture, signifie
une fille d'honneur, une suivante,
la servante d'une femme de condi-
tion. Ce nom est donné aux filles
de la suite de Rébecca , à celles de la
fille de Pharaon, à celles de la
reine Esther, à la servante de Ju-
dith. Ce n'est ni une simple esclave,
ni une fille de peine, mais plutôt
une femme de chambre ou une
fille d'atour.
ABRAHAM. Les divers événe-
ments de la vie de ce patriarche ,
les discussions chronologiques sur
son âge, appartiennent à l'histoire ;
nous ne devons parler que des cir-
constances qui peuvent donner lieu
à des objections théologiques ; les
autres ont été éclaircies de nos
jours par plusieurs savants.
Pourquoi Dieu a-t-il choisi un
Chaldéen pour se faire connoître à
lui et à sa postérité, pour en faire
la tige de son peuple chéri, plutôt
qu'un Grec, un Romain, un Chi-
nois FParce queDieuétoit lemaître
de son choix ; quel que fût le per-
sonnage qu'il eût préféré , la même
objection reviendroit. Ceux qui
ABR
disent que c'est un trait de partia-
lité, une injuste prédilection de la
part de Dieu , n'entendent pas les
tenues. Dieu ne doit à personne
telle ou telle mesure de bienfaits
naturels ou surnaturels, de faveurs
spirituelles outemporelles; ce qu'il
accorde à l'un ne diminue pas la
portion qu'il veut donner à un
autre , et ne lui porte aucun pré-
judice ; la distribution inégale de
biejifaits purement gratuits n'est
donc ni une injustice, ni une par-
tialité. Voyez Acception de per-
sonnes , Justice de Dieu , Partia-
lité.
Quelques auteurs ont avancé
(IvC Abraham , avant sa vocation ,
étoit idolâtre ; ils ont cité en preuve
ce passage de Josué, ch. s^tJ^- 2 :
>> Vos pères ont habité au-delà du
» fleuve , Tharé , père A'' Abraham ,
» et Nachor ; et ils ont servi des
» dieux étrangers. » Mais cette ac-
cusation ne peut tomber que sur
Tharé et sur Nachor. Abraham
est disculpé dans le livre de Ju-
dith , c. 5 , ;)^. 6 ; il y est dit : « Les
» Hébreux sont un peuple origi-
» naire delà Chaldée; ils ont dc-
» meure d'abord dans la Mésopo-
» tamie , parce qu'ils n'ont pas
» voulu suivre les dieux de leurs
» pères, qui étoient dans le pays
» des Chaldéens. Ainsi, en renon-
» çantàla religion de leurs pères,
» qui admettoient plusieurs dieux ,
» ils ont adoré le Dieu du ciel ,
» qui leur a commandé de sortir de
» làet d'aller demeurera Charan. »
Cela ne peut s'entendre que à'A-
braham, puisque c'est à lui que
Dieu ordonna de quitter son pays
et sa famille ; et il est probable que
dès ce moment son père Tharé,
qui le suivit, cessa d'être idolâtre.
La fidélité d!! Abraham à n'adorer
que le seul Dieu du ciel peut être
une des raisons pour lesquelles Dieu
l'a choisi pour être la tige de son
peuple.
Dans plusieurs endroits de l'É-
AT5R
criluTP., Dieu est nommé le Dieu
<V Abraham ; les auteux's sacrés out-
ils voulu insinuer par-là que Dieu
abandonnoit les autres hommes
pour ne protéger que le seul Abra-
ham. ; que c'est un Dieu local dont
la Providence ne s'étendoit que sur
une seule famille ?Non sans doute.
Cela signifie seulement que le vrai
Dieu étoit seul adoré par ce pa-
triarche,pendant que la plupart des
peuplades déjà formées offroient
leur encensa des dieux imaginaires.
Lorsqu'un chrétien dit au Sei-
gneur: vous êtes mon Dieu, il sait
bien que Dieu est aussi le créateur ,
le père et le bienfaiteur des au-
tres hommes.
Il semble d'abord c^n'Abraham
se rendit coupable de mensonge,
en disant au roi d'Egypte et au roi
deGérare, que Sara étoit sa sœur,
pendant qu'elle étoit son épouse. Ce
soupçon n'a plus lieu lorsqu'on fait
attention qu'en hébreu le même
terme désigne une sœur et une pro-
che parente, une nièce ou une cou-
sine i les Hébreux n'avoient pas ,
comme nous, des termes propres
pour désigner les divers degrés de
parenté. Voyez Frère , SœuR.
Plusieurs interprètes ont pensé
que Sara , épouse à^ Abraham, étoit
véritablement sa sœur, issue d'un
même père, mais non d'une même
mère ; ce sentiment n'est pas pro-
bable. Dans le temps où vivoit
Abraham, de pareils mariages
étoient déjà censés incestueux ; ils
ne pouvoient plus être excusés par
la nécessité, parce que le genre
humain étoit déjà suffisamment
multiplié. D'ailleurs, la conduite
et' Abraham ^ qui , pour cacher son
mariage avec Sara , l'appelle sa
sœur, semble prouver que les peu-
ples au milieu desquels il vivoit
ne croyoient pas qu'un frère pût
épouser sa sœur. Ainsi nous pen-
sons que Sara n'étoit que la nièce
i!* Abraham ; il a pu dire néanmoins
qu'elle étoit fille de son père, puis-
AliR ,5
qu'elle en étoit la petite-fille. Il y a
sur cette question une dissertalion
dans les mémoires de Trévoux ,
an 1710, juin, pag. io53.
Barbeyrac soutient que le dis-
cours d^ Abraham eloit du moins
une équivoque équivalente à un
mensonge, puisque ce patriarche
en faisoit usage afin de tromper les
Egyptiens et de leur cacher que Sara
étoit son épouse. A cela nous ré-
pondons que taire la vérité à des
gens qui n'ont aucun droit de la
demander, n'est point un men-
songe, lorsqu'on no leur dit rien
de faux ; autrement il ne scroit
jamais permis de se débar-
rasser des questions d'une indis-
crète curiosité. II est fort étonnant
que Barbeyrac, qui d'ailleurs est
d'une morale si relâchée touchant
le mensonge officieux, soit si sé-
vère censeur de la conduite ^Abra-
ham et de celle des Pères qui ont
voulu disculper ce patriarche.
Mais n'étoit-ce pas exposer la pu-
dicilé de Sara que de dire, en pays
étranger, qu'elle étoit sa nièce ou
sa parente, au lieu d'avouer que
c'étoit son épouse î* Abraham du
moins ne le pensoit pas ainsi ; il
craignoil que, s'il déclaroit son
mariage, les Égyptiens ne fussent
tentés de se défaire de lui pour en-
lever Sara; au lieu qu'en disant
qu'elle étoit sa parente, il espéroit
de trouver un moyen d'écarter leur
recherche S'il se trompoit, son er-
reur n'étoit pas un crime. Dieu eut
égard à l'intention des deux époux;
il ne permit point que le roi. d'E-
gypte ni celui de Gérare attentas-
sent à la pudicité de Sara. Les cri-
tiques téméraires qui ont osé affir-
mer qu'Abraham, avoit prostitué
sonépouse, afin d'être mieux traité ,
l'ont calomnié par pure malignité.
Saint Jean-Chrysostôme semble
louer Sara d'avoir exposé volon-
tairement sa chasteté, afin de con-
server la vie à son mari ; et trouver
bon que celui-ci y ait consenti. 11
,6 AIÎR
suppose que tous deux but agi avec
l'intention la plus pure, et dans la
confiance que le Seigneur, dont ils
avoient éprouvé si souvent la pro-
tection, les secourroitdans une cir-
constance aussi périlleuse ; il n'y a
donc pas lieu à la censure amére
que Barbeyrac a lancée contre ce
Père.
Sara, stérile et avancée en âge,
engage son époux à prendre Agar,
sa servante, afin d'en avoir des
enfants: alorscenefutpasuncrime.
Dans l'état des familles encore iso-
lées et nomades, la polygamie n'é-
ioit pas défendue par le droit na-
turel. Les Pères de l'Église ne se
sont point trompés lorsqu'ils ont
soutenu tyyC Abraham n'avoit point
péché en cela contre la loi natu-
relle ; à plus forte raison contre la
loi positive, qui n'existoit pas en-
core. Nous ne voyons pas sur quoi
se sont fondés plusieurs critiques
modernes pour décider qu'Agar
n'étoit point femme légitime à^A-
braham ; nous prouverons le con-
traire au nnot Polygamie.
Vainement Barbeyrac fait re-
marquer qu'' Abraham , par cette
conduite, sembloit se défier des
promesses que Dieu lui avoit faites
d'une postérité nombreuse. Ce re-
proche est injuste. Dieu , en faisant
ces promesses, Gcn., c. 12 et i5,
n'avoit pas dit que cette postérité
naîtroit de Sara , et non d'une au-
tre femme ; Dieu ne s'expliqua sur
ce point que treize ans après la
naissance d'Ismaèl. Gcnes. , c. 17 ,
S- 16 et a5.
Cet enfant étoit né d'Agar lors-
que Sara devint féconde et mit au
monde Isaac ; bientôt la désobéis-
sance d'Agar et le caractère fé-
roce d'Ismaël firent craindre à Sara
pour les jours de son fils Isaac.
Elle exigea que la mère et l'enfant
fussent éloignés de la tente pater-
nelle, et Abraham y consentit. Ce
procédé a paru diiP et injusteà ceux
qui n'ont pas examiné les circon-
ABR
stances et pesé la valeur des termes.
Il est dit x^WAbraham donna du
pain et de Veau à ces deux bannis.
Gen.^ c. 21, "^ . 14. Or, dans le
style de l'Écriture, le pain signifié
la nourriture, la subsistance, les
choses nécessaires à la vie. Dans
notre langue même , lorsqu'un
homme sans fortune dit à son pro-
tecteur : Donnez-moi du pain, il
entend , procurez-moi une sub.sis-
tance honnête. D'ailleurs, dans
cette circonstance, ./iôra^a/nobcis-
soit à l'ordre de Dieu, beaucoup
plus qu'au désir de Sara, et Dieu
lui avoit promis de protéger Agar
et son fils. Gen., c. 21, jl^. 12
et i3. Aussi ne voyons-nous au-
cune inimitié entre Ismaël et Isaac ,
soit pendant la vie, soit après la
mort à^ Abraham, ni aucune di-
vision entre leurs descendants.
Pour juger sensément de la con-
duite des patriarches, il faut se pla-
cer dans les mêmes circonstances,
se mettre au ton des mœurs et des
usages qui régnoient dans les pre-
miers âges du monde.
Isaac étoit âgé de près de vingt-
cinqans,lorsqueDieu, pour éprou-
ver-(4ôrrt/ia77i, lui ordonna de l'im-»
moler en sacrifice. Il semble d'abord
que cet ordre soit indigne de Dieu :
mais le souverain maître de la vie
et de la mort peut abréger ou pro-
longer nos joursccnameilhii plaît;
si, par un accident ou par unema-
ladie, il avoit tranché ceux d'Isaac,
Abraham auroit-il été en droit dô
murmurer l'A la vérité , un sacrifice
du sang humain auroit été un très-
mauvais exemple ; aussi Dieu ne
permit point qu'il fût accompli ; il
se contenta de la disposition dans
laquelle étoit Abraham d'obéir, et
redoubla ses bienfaits envers ce
patriarche.
On dira que Dieu, qui connoît
le fond des cœurs, qui prévoit nos
sentiments futurs avec autant de
certitude qu'il voit nos dispo-
sitions présentes, n'avoit pas be-
AJilV
soin de mettre Abraham à l'é-
preuve. Cela est vrai ; mais Abra-
ham avoit besoin d'être éprouvé,
et le genre humain avoit besoin de
cet exemple pour concevoir que
Dieu est en droitd'exiger de nous,
quand il lui plaît , des sacrifices
héroïques , parce qu'il est assez
puissant pour les récompenser.
( Note I, p.i.)
C'est donc avec raison que les
écrivains sacrés ont fait l'éloge de
" la foi et du courage à^ Abraham , et
le proposent pour modèle ; il crut,
dit saint Paul , que Dieu, qui a le
pouvoir de ressusciter les morts ,
feroit plutôt un miracle que de
manquer à ses promesses. Heb.^
c. II , ^\ 19.
Lorsque Dieu dit à Abraham :
Toutes les nations de la terre
seront bénies dans votre race , Gen.^
c. 22, 26, 28, nous soutenons ,
après saint Paul , Galat. , 3 , jj!^. 16,
avec les Pères de l'Eglise , que race
désigne un seul descendant à''A-
braham , qui est Jésus-Christ ,
comme dans la prédiction faite au
serpent, Gen., c. 3 , ^. i5 : Larace
de la femme t'écrasera la tête.
Mais en quoi consiste cette béné-
dictionPS'iln'étoit question que de
bienfaits temporels et d'une pro-
tection particulière de Dieu à l'é-
gard des descendants A'' Abraham,
enquelsens cettebénédictionpour-
roit-elle' s'étendre à toutes les na-
tions de la terrée La prospérité des
Juifs ne pouvoit intluer en rien sur
celle des autres peuples. Il est donc
évident que Dieu promet, dans cet
endroit et ailleurs , parles mêmes
paroles, les grâces de salut ou les
bénédiclionsspirituelles qu'il vou-
Joit répandre par le Messie sur
^ tous les hommes qui croiroient en
lui, et qui deviendroient ainsi les
enfants d^ Abraham. , en imitant sa
foi. Saint Paul , qui les explique
ainsi , Galat., c. 3 et 4 , n'en a pas
seulement donné le sens mystique
et allégorique, comme certains cri-
I.
AlJS i;
tiques le prétendent, mais le sens
littéral et naturel. Ainsi les Juifs,
qui prennent ces promesses dans
un sens grossier et qui les res-
treignent à leur nation seule , sont
dans l'erreur.
ABR AH AMIENS. Ko/ez Samo-
SATIENS.
ABRAHAMITES, moines ca-
tholiques qui souffrirent le mar-
tyre pour le culte des images sou*
Théophile, au neuvième siècle.
Vojrez Iconoclastes.
ABSOLU, adject. ABSOLU-
MENT, adv. Absolu se ait, i.» par
opposition à ce qui est relatif. Nous
soutenons qu'il n'y a dans le monde
aucun mal absolu , mais seulement
des maux relatifs ; la condition des
créatures n'est bonne ou mauvaise,
un bien ou un mal, que par com-
paraison. Le bien absolu , c'est l'in-
fini ; le mal absolu est le néant :
entre ces deux extrêmes il y a une
infinité de degrés ou de manières
d'être qui sont censés un mal en
comparaison d'un plus grand bien,
et un bien si on les compare à uii
état plus mauvais. L'oubli de ces
notions a rendu plus obscure la
question de l'origine du mal. Voyez
Bien et Mal.
Dans le même sens , certaines
propositions , énoncées en termes
absolus, ne sont vraies que par
comparaison ou dans un sens re-
latif. Quand on dit que Dieu aban-
donne les pécheurs, cela n'est pas
absolument vrai, puisqu'il n'en est
aucun à qui Dieu ne donne des grâ-
ces; mais il ne leur en accorde pas
autant qu'aux justes. Voyez Grâce,
§ 3. Saint Paul répète ce que Dieu
a dit par un prophète : J^ai aimé
Jacob, et fai haï JEsaii. Cependant
Dieu n'a pas cessé absolument de
répandre des bienfaits sur Esaiiet
sa postérité ; mais il ne les a pas
traités aussi favorablement que Ja-
i8 ABS
cob et ses descendants. L'auteur du
livre de la Sagesse dit à Dieu : Vous
ne haïssez, Seigneur , rien de ce que
vous avezfait. Cette proposition est
absolument vraie ; Ja précédente
n'est vraie que par comparaison.
Il faut distinguer encore les ar-
guments absolus d'avec les argu-
ments relatifs personnels, que l'on
nomme arguments ad hominem :
ceux-ci ne sont solides que rela-
tivement aux opinions et aux prin-
cipes de l'adversaire contre lequel
on dispute ; ils ne prouvent rien
contre ceux qui ont des principes
ou des opinions contraires.
2.0 Absolu se dit par opposition
à ce qui est conditionnel ; ainsi l'on
distingue en Dieu la volonté ab-
solue^ par laquelle il opère immé-
diatement par lui-même tout ce
qu'il lui plaît, et la volonté con-
ditionnelle, par laquelle il nous
laisse la liberté de résister. Dieu
veut notre salut, non absolument,
mais sous condition que nous le
voudrons nous-mêmes, et que nous
obéirons à ses grâces.
3.0 L'on distingue l'impossibilité
absolue ou métaphysique , d'avec
V impossibilité morale, qui signifie
seulement une très-grande dif-
ficulté.
4." Absolu, se prend dans un
sens opposé à déclaratif. Dans ce
sens les catholiques soutiennent
que le prêtre a le pouvoir de re-
mettre les péchés absolument ; les
protestants, au contraire, préten-
dent qu'il peut seulement déclarer
que Dieu a remis les péchés.
5.» On nomme le jeudi de la se-
maine sainte \e jeudi absolu, parce
que dans plusieurs églises on fait
l'absoute avant la cérémonie de la
cène ; c'est un reste de l'ancienne
discipline ou de l'usage de récon-
cilier ce jour-là les pénitents pu-
blics, avant de les admettre à la
communion.
ABSOLUTION, rémission des
ABS
péchés faite par le prêtre au nom
de Jésus-Christ dans le sacrement
de pénitence. Voyez Pénitence.
Absolution se prend encore pour
la levée des censures et l'action
deréconcilier un excommuniée l'É-
glise:dansce sens elle tient audroit
canonique plus qu'à la théologie.
Enfin l'on nomme absolution
une prière qui se dit à la fin de cha-
que nocturne de l'office divin, à la
fin des heures canoniales, et une
prière qui se fait pour les morts.
ABSOUTE. Cérémonie qui se .
pratique dans l'Église romaine le ^
jeudi de la semaine sainte, pour
représenter l'absolution qu'on don-
noit vers le même temps aux pé-
nitents de la primitive Église.
L'usage de î'Éjjlise de Rome et de
la plupart des Eglises d'Occident,
étoit de donner l'absolution aux pé-
nitents le jour du jeudi saint, nom-
mé pour cette raisonle jeudi absolu.
Dans l'Église d'Espagne et dans
celle de Milan , cette absolution
publique se donnoit le jour du
vendredi saint ; et dans l'Orient
c'étoit le même jour ou le samedi
suivant, veille de Pâques. Dans les
premiers temps , l'évêque faisoit
Vabsoute , et alors elle étoit une
partie essentielle du sacrement de
pénitence; parce qu'elle suivoit la
confession des fautes , la répara-
tion des désordres passés et l'exa-
men de la vie présente. « Le jeudi
» saint, dit M. l'abbé Fleury, les
» pénitents se présentoient à la
» porte de l'église; l'évêque, après
» avoir fait pour eux plusieurs
» prières, les faisoit entrer, à la
» sollicitation de l'archidiacre qui
n lui représentoit que c'étoit un ^
» temps propre à la clémence
» Il leur faisoit une exhortation
» sur la miséricorde de Dieu, et le
» changement qu'ils dévoient faire
» paroître dans leur vie, les obli-
» géant à lever la main pour signe
» de cette promesse; enfin selai»'
ABS
1» sanl fléchir aux prièrps de Vh-
» glise, et persuadé de leur coii-
» version il leur donnoit l'ab-
»> solutioa solennelle. i> Mœurs des
chrétiens, tit. xxv.
A présent, ce n'est plus qu'une
cérémonie qui s'exerce par un sim-
ple prêtre et qui consiste à réci-
ter les sept psaumes de la péni-
tence, quelques oraisons relatives
au repentir que les fidèles doivent
avoir de leurs péchés. Après quoi
le prêtre prononce les formules
Misereaiw et Indulgentiam; mais
tous les théologiens conviennent
qu'elles n'opèrent pas la rémission
des péchés; et c'est la différence
de ce qu'on appelle absoute , d'avec
l'absolution proprement dite.
ABSTEME, du latin absiemius.
On nomme ainsi les personnes qui
ont une répugnance naturelle pour
le vin et ne peuvent en boire. Pen-
dant que les calvinistes soutenoient
de toutes leurs forces que la com-
munion sous les deux espèces est
de précepte divin, ils décidèrent
au synode de Charenton que les
abstèmes pouvoient être admis à la
cène , pourvu qu'ils touchassent
seulement la coupe du bout des lè-
vres, sans avaler une seule goutte
de vin. -Les luthériens leur repro-
chèrent cette tolérance comme une
prévarication sacrilège.
De cette contestation même on
a conclu contre eux qu'il n'est
pas vrai que la communion sous
les deux espèces soit de précepte
divin, puisqu'il y a des cas où l'on
peut s'en dispenser. Voyez Com-
munion sous les deux espèces , Coupe.
ABSTINENCE. Le motif général
de l'abstinence est de mortifier les
sens et de dompter les passions :
l'on connoît assez les suites natu-
relles de la gourmandise. Selon
M. de BufFon, la mortification la
Îlus efficace contre la luxure est
'abstinence tt le jeûne. Histi iVo/.,
AliS 19
tom. 111, in-ia, c. 4, pag. io5.
Dieu , après avoir créé nos pre-
miers parents, leur accorda pour
nourriture les plantes et les fruits
de la terre; il ne leur parla point
de la chair des animaux. Gen. ,
c. 1 ,y/'. 29. Mais vu les excès aux-
quels se livrèrent les homtnes an-
térieurs au déluge , il n'est guère
probable qu'ils se soient abstenus
d'aucun des aliments qui pouvoient
flatter leur goût.
Après le déluge. Dieu permit à
Noé et à ses enfants de manger la
chair des animaux ; mais il leur dé-
fendit d'en manger le sang. Gen. g,
^. 3 et suiv. Par les termes dans
lesquels cette défense est conçue ,
il paroît que le motif étoit d'in-
spirer aux hommes l'horreur du
meurtre. L'habitude d'égorger les
animaux et d'en boire le sang
porte infailliblement l'homme à la
cruauté.
Moïse par ses lois défendit aux
Juifs la chair de plusieurs ani-
maux qu'il nomme impurs; il ex-
clut nommément tous ceux dont
la chair pouvoit être malsaine ,
relativement au climat , et causer
des maladies. Quelques philoso-
phes ont rapporté au même motif
l'usage des Egyptiens , de s'abstenir
de la chair de plusieurs animaux.
L'usage du vin étoit interdit aux
prêtrespendanttout le temps qu'ils
étoient occupés au service du tem-
ple, et aux nazaréens pour tout le
temps de leur purification.
A la naissance du christianisme ,
les Juifs vouloient que l'on assu-
jétît les païens convertis à toute.^
les observances de la loi judaïque,
à toutes les abstinences qu'ils pra-
tiquoient. Les apôtres assemblés
à Jérusalem décidèrent qu'il suf-
fisoit aux fidèles convertis du pa-
ganisme de s'abstenir du sang, des
viandes suffoquées, de la fornica-
tion et de l'idolâtrie, ^cl., c. i5.
Saint Paul dans ses lettres a
donné sur ce point des règles très-
3
20 ABS
sages. Bientôt même cette absti-
nence se trouva sujette à des incon-
vénients; TertuUiennous apprend
que les païens , pour mettre les
chrétiens à l'épreuve , leur pré-
sentoient à manger du sang et du
boudin. Apol. , c. 9. Mais les abs-
iinences prescrites à Noé, aux Juifs,
aux premiers fidèles, démontrent
Tabus que les protestants ont fait
de la maxime de l'Evangile , que
ce n'est point ce qui entre dans la
bouche qui souille l'homme. ikZbW.,
Les manichéens faisoient déjà
cette objection pour prouver que
les abstinences prescrites par Moïse
étoient absurdes , et saint Augus-
tin a réfuté plus d'une fois ce so-
phisme. L. contra Adim., c. i5,
n. I ; L. 16 contra Faust. , c. 6 et
3i. Est-il donc permis de manger
de la chair humaine , sous prétexte
qu'aucune nourriture ne souille
l'homme ? La pomme mangée par
Adam le souilla sans doute, puis-
qu'il en fut puni , lui et toute sa
postérité. Dès que les apôtres ont
eu le droit de défendre aux chré-
tiens l'usage du sang et des viandes
suffoquées , pourquoi leurs suc-
cesseurs n'ont - ils pas eu celui
d'interdire l'usage de toute viande
dans certains jours et dans un cer-
tain temps ï
Ce qu'il y a de singulier , c'est
que les manichéens , qui tour-
noient en ridicule les abstinences
prescrites par Moïse , ordonnoient
eux-mêmes à leurs élus de s'abste-
jiir du vin et de la chair des ani-
maux. Pour justifier cette disci-
pline, ils disent que ceux d'entre
les catholiques qui faisoient la
même chose , passoient pour être
les plus parfaits. Saint Augustin
leur répond que ceux-ci prati-
quent Vabstinence pour mortifier
les passions , au lieu que les ma-
nichéens croyoient que la chair
en soi étoit impure , parce que
c'étoit l'ouvrage du mauvais prin-
ABS
cipe. Beausobre, qui veut à toute
force disculper les manichéens ,
passe sous silence leur contradic-
tion touchant les abstinences ju-
daïques , et soutient qu'ils rai-
sonnent plus conséquemment que
les catholiques. Il abuse d'une
équivoque , en appelant nourriture
saine, celle qui n'est ni infecte ni
corrompue , et celle qui ne nuit
point d'ailleurs à la santé. Est-ce
donc la même chose i* Avec de pa-
reils sophismes , on peut prouver
tout ce que l'on veut. Hist. des ma-
nich., 1. 9, c. II.
Lorsque l'Eglise nous a com-
mandé V abstinence t\ le jeune, elle
n'a envisagé que le motif général
de la mortification ; elle ne s'est
fondée ni sur les défenses faites
aux Juifs, ni sur les rêveries de
quelques hérétiques; elle se. re-
lâche même de la sévérité de ses
lois , toutes les fois qu'il se pré-
sente des raisons d'user d'indul-
gence. Quelques philosophes sont
convenus qu'en bonne politique il
est très-utile de suspendre le car-
nage des animaux pendant quel-
ques jours et quelques semaines de
l'année.
Quantaux aôs/i/iencespratiquées
par quelques sectes de philosophes,
par les pythagoriciens, par les or-
phiques , etc. , elles ne nous re-
gardent point; les motifs pour les-
quels Vabstinence est observée par
les chrétiens n'ont rien de com-
mun avec ceux qui dirigeoient la
conduite de ces philosophes.
Quelques protestants ont soutenu
que , dans les premiers siècles de
l'Eglise , Vabstinence de la viande
ne faisoit pas partie essentielle du
jeûne du carême ; qu'il étoit dé"
fendu seulement d'user d'une nour-
riture délicate et recherchée, soit
qu'elle fût grasse ou maigre ; qu'il
n'y avoit rien de prescrit sur le
genre des aliments , pourvu que
l'on y observât la sobriété et la
mortification. Le Père Thomassin
ABS
a fait voir le contraire par des
preuves solides. Traité des Jamts ,
I." part., c. lo et II ; a.*^ part. ,
c. 3, etc. Comme il n'y avoit point
de loi positive et formelle touchant
le jeûne, il n'y en avoit point non
plus concernant Vabstinence; c'est
donc à l'usage établi qu'il a fallu
s'en tenir dans tous les temps. Or,
dès le troisième siècle , Origène
nous apprend que plusieurs chré-
tiens fervents s'abstenoient pour
toujours de la viande et du vin ,
non par les mêmes raisons que les
pythagoriciens , mais pour réduire
leur corps en servitude et répri-
mer les passions. L. 5 contra Cels. ,
n. 49 ) ^t homil. ig in Jerem. , n. y .
Nous voyons la même chose par
le 5i.* canon des apôtres. A plus
forte raison , le commun des chré-
tiens devoient-ils le faire les jours
de jeûne.
Quand même cet usage n'auroit
pas été établi dès l'origine parmi
les Orientaux, il auroit encore été
nécessaire de l'introduire à mesure
que le christianisme a pénétré dans
nos climats septentrionaux. Dans
ces contrées les viandes ont tou-
jours été les aliments les plus déli-
cats et les plus succulents , pour
lesquels tout le monde se sent le
plus d'attrait et dont l'apprêt
peut être le plus varié ; ce sont
donc ceux dont la privation a dû
paroître la plus dure les jours de
jeûne. Si les peuples du Nord
avoient été moins carnassiers , ils
auroient été moins empressés d'a-
dopter la morale des prétendus ré-
formateurs touchant Vabstinence et
le jeûne.
Barbeyrac , protestant très-peu
modéré, reproche à saint Jérôme
d'avoir condamné absolument l'u-
sage de la viande , d'avoir jugé
qu'il est aussi mauvais en lui-même
que l'usage du divorce. « Jésus-
» Christ, dit ce Père, a remis la
» fin des temps sur le même pied
» que le commencement; de sorte
AÎÎS 2 1
» qu'aujourd'hui il ne nous est
» permisniderépudierunefemme,
» ni de nous faire circoncire , ni
» de manger de la chair, selon ce
» que dit l'Apôtre : Il est bon de ne
» point boire de vin et de ne point
» manger de la chair; car l'usage
)> du vin a commencé avec celui
n de la chair , après le déluge. »
Adi>. Jovin., 1. i.", page 3o. Saint
Jérôme , selon Barbeyrac , abuse
ici du passage de saint Paul ; et
dans tout ce qu'il dit de Vabsti-
nence et du jeûne , il copie Ter-
tullien devenu montaniste. Traité
de la morale des Pères , c. i5, § 12
et suii>. Tout cela est-il vrai?
En premier lieu, le texte de saint
Jérôme n'est pas fidèlement ren-
du ; il porte : « Depuis que Jésus-
» Christ a remis la fin des temps
» sur le même pied que le com-
» mencement , il ne nous est pas
» permis de répudier une femme;
n nous ne recevons plus la circon-
)> cision et nous ne mangeons
n point de chair. » Saint Jérôme
ne dit point que ce dernier usage
ne nous est pas permis : remarque
essentielle. Son intention est évi-
demment de dire : Nous ne man-
geons pas /ous de la chair, et dans
tous les temps.
En second lieu, ce Père écrivoit
contre Jovinien qui soutenoil ,
comme les protestants, qu'il n'y a
aucun mérite à s'abstenir de la
viande, parce que c'est un usage
indifférent ; puisque Dieu , qui
l'avoit défendu avant le déluge ,
le permit ensuite. Or, ce raison-
nement est évidemment faux. L'E-
criture approuve les nazaréens ,
qui faisoient vœu de s'abstenir du
vin et de ne point se raser la tête
pendant un certain temps. Num.,
c. 6 , ^. 3. Les réchabites sont
loués d'avoir observé la défense
que leur père leur avoit faite de
boire du vin et d'habiter dans des
maisons. Jerc/n. , c. 35, ^. 16. Jé-
sus-Christ a loué saint Jean-Bap-
aa ABS
tisle qui vivoit de sauterelles el
de miel sauvage. Les apôtres dé-
tendirent aux premiers fidèles l'u-
sage du sang et des chairs suffo-
quées , quoique cet usage fût en
lui-même indifférent. Il y a donc
du mérite à s'abstenir de choses
indifférentes , lorsque le motif de
cette abstinence est louable.
En troisième lieu, saint Jérôme
ne compare point l'usage de la
viande a celui du divorce , quant
à leur nature et à leurs effets , mais
relativement à la défense et à la
permission de Dieu, sur lesquelles
Jovinien argumentoit. Celui - ci
disoit: Dieu a permis après le dé-
luge la chair qu'il avoit défendue
auparavant ; donc cet usage est
indifférent en lui-même , donc il
n'y a aucun mérite à s'en abstenir,
S aint Jérôme attaque ces deux con-
séquences l'une après l'autre , et
voici le sens de sa réponse. Votre
raisonnement pèche par trois en-
droits, 1 .0 Dieti a permis par Moïse
le divorce qu'il avoit défendu au-
paravant; il ne s'ensuit pas néan-
moins que le divorce soit indiffé-
rent enlui-même. 2 .<> Quand l'usage
de la chair seroit indifférent en
soi-même , il suffiroit que Jésus-
Christ , qui a voulu rétablir la
perfection primitive, nous eût dé-
conseillé cet usage , comme il a
défendu le divorce , pour nous
faire abstenir de l'un et de l'autre.
3.° Qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas
une défense positive , saint Paul
dit, RoTU.^c. 14, S. 21 : « Jlvaut
i> n2Îeu.rne point manger de viande,
» ne point boire de vin et s'abs-
1) tenir de tout ce qui peut faire
» tomber le prochain , le scanda-
« User ou affoiblir sa foi, » Donc
il peut y avoir de bonnes raisons
de s'abstenir de ce qui est indif-
férent en soi-même , et alors
c'est un mérite ; donc votre ar-
gument ne vaut rien. Barbeyrac ,
qui sentoit le poids de ces trois
réUexions , les a confondues et a
ABS
tout brouillé pour déraisonner à
son aise.
Que l'on dise , si l'on veut,qne
la réponse de saint Jérôme n'est
pas assez développée , soit ; il ne
s'ensuit pas qu'elle est mauvaise,
et que sa morale est fausse.
Il n'est pas vrai non plus qu'il
ait mial entendu le passage de saint
Paul : il a rendu mot à mot les
premières paroles ; et en lui don-
nant le même sens que Barbeyrac ,
le raisonnement de saint Jérôme
conserve toute sa force.
En quatrième lieu, qu'importe
que ce Père ait copié Tertullien
devenu montaniste, pourvu qu'il
ne soit pas tombé dans le même
excès i' Les raisonnements que ce
dernier a faits depuis sa chute ne
sont pas tous des hérésies , et un
raisonnement mal appliqué n'est
pas toujours une erreur. 11 y a sur
V abstinence deux excès à éviter, et
un milieu à suivre. Le premier
excès est celui des hérétiques
encratites , montanistes , mani-
chéens, etc., qui soutenoient que
l'usage de la viande est impur ,
défendu , mauvais en lui-même ;
saint Paul les a combattus , i Tint. ,
c. 4, "$'• 3- Le second est celui de
Jovinien et des protestants qui
prétendent que Vabstinence de la
viande est sans aucun mérite ,
superstitieuse , judaïque , absur-
de , etc. Le milieu est suivi par
l'Eglise catholique qui décide que
cette abstinence peut être louable,
méritoire, comruandée même pouï
de bons motifs et en certains cas.
Tel est l'esprit du 43-* ou Si.*^ ca-
non des apôtres : « Si un clerc
» s'abstientdumariage,delaviandc
» et du vin, non par mortifica-
» tion , mais par horreur et eu
» blasphémant contre la créa -
» tion , qu'il se corrige ou qu'il
» soit déposé. »
II est donc absurde d'alléguer
aujourd'hui , contre Vabstinence
pratiquée par mortification , ce que
AJiS
Tes apôtres cl les anciens Pères ont
dit contre celle des hérétiques.
Si ou nous demande pourquoi
il est louable de se mortifier par
V abstinence , nous répondrons avec
saint Paul, Galat. , c. 5 , 3i^. 24 •
" Ceux qui sont à Jésus-Christ ont
» crucifié leur chair avec ses vices
» et ses convoitises. » i Corinih. ,
c. 9 , ^. 27 : « Je châtie mon corps,
» et je le réduis en servitude , de
» peur d'être réprouvé après avoir
» prêché aux autres. »
Comme on a eu de nos joui-s
l'ambition de réformer toutes les
lois , on a proposé fort sérieuse-
ment de retrancher un bon nom-
bre des jours à'' abstinence et de
jeune, parce que la loi qui les or-
donne n'est plus respectée et de-
vient une occasion continuelle de
transgression; l'on a cité à ce su-
jet le passage de saint Paul, Rom.^
c. y, ^". 10 : « Le commandement
» qui devoit me donner la vie a
» servi à me donner la mort. »
Si cette raison étoit solide, il
ne faudroit pas seulement conclure
à retrancher quelques jours d'aés-
iinence , mais à supprimer toute
loi à'' abstinence quelconque. On
n'a pas vu que saint Paul parloit
du précepte de la loi naturelle :
Tu ne convoiteras point ^ etc. Faut-il
aussi abolir la loi naturelle, parce
qu'elle est souvent violée ? Lorsque
les mœurs publiques sont licen-
cieuses, on ne respecte plus aucune
loi ; ce n'est point alors le cas d'a-
bolir les lois, mais de les renforcer
si on le peut. FbrezCARÈME, Jeune.
ABSTINENTS, secte d'hérétiques
qui parurent dans les Gaules et en
Espagne sur la fin du troisième
siècle. On croit qu'ils avoient em-
prunte unepartiede leurs opinions
(les gnostiques et des manichéens,
parce qu'ils décrioient le mariage,
condamnoient l'usage des viandes
et mettoient le Saint-Esprit au
rang des crcalurcs. Baronius sem-
ABU 23
ble les confondre avec les hiéra-
cites; mais ce qu'il en dit, d'après
saint Philastre , convient mieux
aux encratites dont le nom se
rend exactement par ceux d'aôs/j-
nenis et de continents. Fo^CiENCRA-
TITES et HiÉRACITES.
ABUS en fait de Religion . Vu la
manière dont l'homme est consti-
tué , il abuse souvent de la reli-
gion, comme il abuse des lois, des
coutumes, du langage, de l'ami-
tié, des signes d'affection, des ta-
lents, des arts, etc. Il n'abuseroit
de rien, s'il étoit sans passions et si
la droite raison étoit toujours la
règle de sa conduite; mais cette per-
fection est au-dessus de ses forces.
Les pratiques du culte primitif
étoient simples et pures; l'homme,
devenu polythéiste , s'en servit
pour honorer les divinités imagi-
naires qu'il s'étoit forgées : ce fut
un abus et une profanation. Ces
pratiques étoient destinées à exci-
ter en lui des sentiments intérieurs
de respect, de soumission, de re-
connoissance , de pénitence , de
confiance à l'égard de Dieu ; il se
persuada que les signes seuls suf-
tisoient , pouvoient tenir lieu de
piété, plaire à Dieu et mériter ses
grâces, sans être accompagnés des
sentiments du cœur. Dieu n'avoit
pas défendu d'employer à son cullc
les signes de la joie, le chant, la
danse , les repas de fraternité ;
l'homme voluptueux en abusa ,
pour satisfaire sa sensualité. Les
signes du repentir sont utiles pour
nous humilier et nous corriger ;
des esprits ardents peuvent les
poussera l'excès et les rendre nui-
sibles. La religion est destinée à
réprimer l'orgueil , l'inlcrêt, l'am-
bition, la jalousie, la haine; sou-
vent des hommes, dominés par ces
passions impérieuses, se sont per-
suadés qu'ils agissoienl par motif de
religion, elc.Voïlà d'énormes aAus.
Si nous remontons à la source
ai ABU
première de tous les abus, nous la
trouverons toujours dans les pas-
sions humaines; sans elles l'igno-
rance stupide n'auroit pas pu agir :
mais les passions inquiètes suggé-
rèrent de faux raisonnements et
une fausse science, bien plus re-
doutables que l'ignorance. Ainsi
l'avidité pour les biens de ce
monde et la crainte de les perdre,
firent inventer la multitude des
dieux ou génies chargés de les dis-
tribuer; et le culte insensé qu'on
leur rendit; la vanité des impos-
teurs leur suggéra des fables et des
pratiques prétenduesmerveilleuses
pour tromper les hommes; l'a-
mour impudique, la haine, la ja-
lousie, la vengeance, invoquèrent
les puissances infernalesjla curiosité
effrénée voulut pénétrer dans l'a-
venir e t forger l'art de la d ivination ;
la mollesse trouva son compte dans
le culte purement extérieur , etc.
Quel remède y apporta la philo-
sophie ? Aucun. Loin d'attaquer
de front toUs ces abus , elle les con-
firma par son suffrage; elle les étaya
par des sophismes et les rendit
ainsi plus incurables.
La lumière du christianisme en
fit disparoître le plus grand nom-
bre ; jnais elle n'étouffa pas toutes
les passions prêtes à les repro-
duire. Plusieurs sectes d'hérétiques
s'obstinèrent à en conserver une
partie, et les éclectiques du qua-
trième siècle firent tous leurs efforts
pour remettre en crédit toutes les
superstitions du paganisme. Au
cinquième , les Barbares du Nord
nous apportèrent celles qui étoi ent
nées dans leurs forêts , et ils en
consacrèrent plusieurs par leurs
lois. L'Eglise ne cessa de faire des
décrets et de prononcer des ana-
thèmes pour les extirper; mais que
peuvent les leçons, les lois, les
menaces, les censures, contre des
Barbares ? Aujourd'hui de faux rai-
sonneurs accusent l'Église même
d'avoir fomenté les superstitions,
ABU
en y attachant trop d'importance:
C'est parla physique, disent-ils,
et par l'histoire naturelle qu'il
faut instruire les peuples; et cette
grande révolution étoit réservée à
notre siècle qui est celui de la
philosophie.
Nous voudrions savoir d'abord
quels progrès la physique a faits
dans les vallées des Pyrénées, des
Cévennes , des Alpes , des Vosges
et du Mont- Jura; dans les campa-
gnes du Berri , de la Bretagne , de
la Champagne et de la Picardie. Ce
ne sont pas des livres d'histoire
naturelle que nos philosophes s'at-
tachent à répandre panni le peu-
ple, mais des livres d'athéisme et
d'incrédulité. Or, noussavonspar
une longue expérience que. l'incré-
dulité ne guérit ni les passions, ni
la superstition qui en est l'effet,
et que l'on peut très-bien croire
à la magie sans croire en Dieu. Si
le peuple, affranchi du joug de la
religion, pouvoit donner un libre
cours à ses vices , seroit-ce la phi-
losophie qui le retiendroit ?
Nous avouons sans difficulté
qu'aujourd'hui comme autrefois
toute passion quelconque peutabu-
ser de la religion : ainsi , l'on en
abuse par orgueil, lorsqu'on se
glorifie des grâces de Dieu, que
l'on montre de lahaineou du mé-
pris pour ceux à qui Dieu n'a pas
fait les mêmes faveurs; c'étoit le
défaut des Juifs : on en abuse par
ambition, lorsque, sous prétexte
de zèle , on se croit fait pour rem-
plir toutes les places , pour obtenir
toutes les dignités de l'Eglise; par
avarice , lorsque l'on trafique des
choses saintes, que l'on emploie
des impostures et des fraudes pieu-
ses pour extorquer les aumônes
des fidèles ; par envie ou par ja-
lousie, lorsque l'on ne rend pas
j ustice aux talents , aux vertus , aux
travaux, aux succès d'un ouvrier
évangélique; par violence de ca-
ractère, quand on voudroil faire
ABU
loinbcr le. feu «lu ciel sur les Sa-
maritains ou exterminer tous les
mécréants; par paresse, lorsque ,
par une fausse humilité , l'on
refuse de travailler au salut des
âmes, etc.
Mais ne sont-ce pas ces mêmes
passions qui font naître l'incrédu-
lité ? On l'embrasse par orgueil ,
parce «{u'elle donne un relief d'es-
prit fort aux yeux des ignorants, et
que l'on se pique de mieux penser
que les autres hommes ; par ambi-
tion et par cupidité, lorsqu'on l'en-
visage comme un moyen de plaire
aux grands , de se donner du cré-
dit, de parvenir aux honneurs lit-
téraires et aux récompenses des ta-
lents ; par lubricité, parce que
c'est un moyen de séduire les fem-
mes et de les débarrasser du joug
de la religion ; par jalousie contre
le clergé, parce que l'on est fâché
du crédit et de la considération
dont il jouit; par emportement
d'humeur , lorsque l'on déclame
et que l'on invective contre lui ,
sans garder aucune bienséance ; par
mollesse, parce que les pratiques
de religion sont incommodes, etc.
De quoi servent donc aux incré-
dules leurs dissertations conti-
nuelles touchant les abus en fait
de religion ? Il y aura des vices tant
qu'il y aura des hommes, vitia
erunt donec hnmines ; ce n'est pas
l'incrédulité qui guérira les imper-
fections de l'humanité.
Que faire pour prévenir tous les
abus ? Les lois , les défenses , les
menaces, les peines, sont souvent
inutiles ; l'homme passionne les
esquive ou les brave. L'Église, qui
ne peut infliger que des peines spi-
rituelles , qui craint d'aigrir le mal
par des remèdes violents , gémit ,
exhorte, instruit, se borne à des
réprimandes et à des menaces; elle
lolère des abus qu'elle ne peut ni
empêcher ni réformer. L'expérien-
ce des maux causés par les réfor-
mes imprudentes , la résistance
ACA 2^
qu'elle a souvent éprouvée de la
part de ceux qui étoient intéressés
à perpétuer les aèas , la jalousie et
les alarmes que produit presque
toujours l'usage de son autorité ,
la retiennent et l'empêchent de
sévir. Ceux qui la blâment seroient
peut-être les premiers à maintenir
les abus qu'elle voudroit corriger ,
et ils abusent eux-mêmes de la
simplicité des hommes , souvent
dupes de ce zèle hypocrite.
ABYSSINS. Voyez Ethiopiens.
ACACIENS. Acace , surnomme
le Borgne , fut disciple et succes-
seur d'Eusèbe dans le siège de Cé-
saréc et eut comme lui une grande
part aux troubles de l'arianisme.
11 avoit de l'érudition et de l'élo-
quence, maisbeaucoup d'ambition;
et ce vice lui fit faire un très-mau-
vais usage de ses talents. C'étoit un
de ces hommes inquiets , intrigants
et ardents, qui se mêlent de toutes
les affaires, veulent avoir du cré-
dit à quelque prix que ce soit , et
qui n'ont de religion qu'autant
qu'elle peut servir à leur intérêt.
Acace fut arien déterminé sous
l'empereur Constance; il redevint
catholique srms Jovicn et rentra
dans le parti des ariens sous Va-
lens. On ne peut pas savoir quelle
étoit la croyance de ceux qui se
laissoient conduire par lui et qui
furent nommés -(4caci'cns. Il fit dé-
poser saint Cyrille de Jérusalem,
qu'il avoit ordonné lui-même ; il
eut part au bannissement du pape
Libère et à l'intrusion de l'anti-
pape Félix : il fut déposé .i son tour
par le concile de Séleucie en SSg ,
et par celui dcLampsaque en 365 ;
elilmourutprobablement sans sa-
voir ce qu'il croyoit ou necroyoit
pas. VoyezT'iWcmoni^ Mém. ^ t. 6,
p. 3o4 et suiv.
Il y a eu plusieurs autres évê-
ques du même nom, qu'il ne faut
pas confondre avec lui. yicacc de
26 ACC
Berce, en Palestine, fut ami de
saint Epiphaneet se fit long-temps
respecter par ses vertus ; mais il
déshonora sa vieillesse en se met-
tant à la tête des persécuteurs de
saint Jean Chrysostôme. Acace,
évêque d'Amide, se rendit célèbre
par sa charité envers les pauvres.
Acace de Constantinople fut un
des partisans d'Eutychés, etc.
ACCEPTION DEPERSONNES.
L'Écriture nomme ainsi la faute
d'un juge qui favorise un parti au
préjudice de l'autre , qui a plus
d'égard pour un homme puissant
que pour un pauvre : Dieu le dé-
fend, Dch/., c. i,^. 17, et ailleurs :
c'est un crime contraire à la loi
naturelle: Job en témoigne de l'hor-
reur, c. 24et 3i.Tl est dit dans l'an-
cien et le nouveau Testament que
Dieu ne fait point accep/1'0/2 de per-
sonnes \ que quand il est question
de justice , de bonnes œuvres , de
récompenses, il traite de même les
Juifs et les païens. 11 ne s'ensuit pas
de là que Dieu ne puisse , sans bles-
ser sa justice , accorder plus de
bienfaits naturels ou surnaturels à
une personne , à une famille , à une
nation qu'à une autre. Quand il
s'agit de grâces ou de dons pure-
ment gratuits, ce n'est plus une
affaire de justice; ce que Dieu donne
à un homme ne porte aucun pré-
iudiceàun autre. Il peut donc accor-
«1er à l'un la grâce de la foi, le bap-
tême . tel ou tel moyen de salut , et
ne pas l'accordera l'autre. 11 peut
punir un pécheur en ce monde ,
différer le châtiment d'un autre
jusqu'après la mort : dès qu'il ne
rend au coupable que ce qu'il a
mérité , la justice est observée ;
personne n'a droit de se plaindre ;
Dieu ne demande compte à per-
sonne que de ce qu'il lui a donné.
Voyez Justice de Dieu , Partialité.
ACCIDENTS EUCHARISTI-
QUES. Selon la croyance catho-
ACE
lique, après les paroles de la con-
sécration , la substance du pain et
du vin est détruite; elle est changée
au corps et au sang deJésus-Christ;
mais les qualités sensibles du pain
et du vin, lagrandeur, la couleur,
le goût, etc., demeurent: ces qua-
lités sensibles sont nommées par
les théologiens , accidents, espèces ,
apparences. Comme la substance
des corps abstraite ou séparée par
notre esprit d'avec les qualités sen-
sibles n'est point une idée claire ,
les accidents séparés de la substance
ne nous présentent pas non plus
une idée fort nette; il est donc inu-
tile d'argumenter contre ce dogme
de foi sur des notions philoso-
phiques. Si le mystère de l'Eu-
charistie pouvoit être clairement
conçu, ce ne seroit plus un mys-
tère. Voyez Eucharistie.
ACCOMPLISSEMENT DES
PROPHÉTIES, ro/ez Prophéties.
ACCORD DE LA RAISON ET
DE LA FOI. Voyez Foi , Raison.
ACEPHALES, sans chef. L'his-
toire ecclésiastique fait mention de
plusieurs sectes nommées acépha-
les. De ce nombre sont , i .° ceux
qui ne voulurent adhérer ni à Jean,
patriarche d'Antioche , ni à saint
Cyrille d'Alexandrie , au sujet de
la condamnation de Nestorius au
concile d'Éphèse. 2. ** Certains hé-
rétiques du cinquième siècle , qui
suivirent d'abord les erreurs de
Pierre Mongus, évêque d'Alexan-
drie , et l'abandonnèrent ensuite ,
parce qu'il avoitfeint de souscrire à
la décision du concile de Chalcé-
doine;c'étoient des sectateurs d'Eu-
tychés. Voyez EuTTCHiBNS. 3.° Les
partisans de Sévère, évêque d'An-
tioche, et tous ceux qui refusoient
d'admettre le concile de Chalcédoi-
ne; c'étoient encore des euty chiens.
On a aussi nommé acéphales les
prêtres qui se soustraient à la juri-
diction de leur évêquc , lesévêques
qui refusent de se soumettre à celle
deleur métropolitain, leschapitres
et les monastères qui se prétendent
indépendants de la juridiction des
ordinaires. Ce point de discipline
regarde les canonistes.
ACHIAS, Voyez A.m\s.
ACHIMËLECH. Vo/. Abiathar.
ACŒMETES , c/ui ne dorment j
point. Nom de certains religieux
fort célèbres dans les premiers siè-
cles de l'Église , surtout dans l'O-
rient , appelés ainsi , non qu'ils
eussent les yeux toujours ouverts
sans dormir un seul moment, com-
me quelques auteurs l'ont écrit ,
mais parce qu'ils observoient dans
leurs églises une psalmodie perpé-
tuelle , sans l'interrompre ni jour
ni nuit. Ce mot est grec, composé
d'o privatif, et de Koifiàu, dormir.
Les acœmèles étoient partagés
en trois bandes, dontchacunepsal-
modioit à son tour et relevoit les
autres ; de sorte que cet exercice
duroit sans interruption pendant
toutes les heures du jour et de la
nuit. Suivant ce partage chaque
acœmèie consacroit religieusement
tous les jours huit heures entières
au chant des psaumes, à quoi ils
joignoient la vie la plus exemplaire
et la plus édifiante: aussi ont-ils il-
lustré l'Église orientale par un
grand nombre de saints, d'évêques
et de patriarches.
Nicéphore donne pour fonda-
teur aux acœméics un nommé jNIar-
cellus , que quelques écrivains
modernes appellent Marcellus d'A-
pamée ; mais Bollandus nous ap-
prend que ce fut Alexandre, moine
de Syrie , antérieur de plusieurs
années à Marcellus. Suivant Bol-
landus, celui-là mourut vers l'an
33o. Il fut remplacé dans le gou-
vernement des aca-Turtcs par Jean
ACO a;
Calybe , et celui-ci par Marcellus.
On lit dans saint Grégoire de
Tours etplusieurs autres écrivains,
que Sigismond, roi de Bourgogne,
inconsolable d'avoir, à l'instigation
d'une méchante princesse qu'il
avoit épousée en secondes noces ,
etquiéloit fille de Théodoric, roi
d'Italie, fait périr Géséric son fils,
prince qu'il avoit eu de sa première
femme , se retira dans le monastère
de Saint-Maurice, connu autrefois
sous le nom d'Agaune , et y établit
les acœmèies , pour laisser dans l'É-
glise un monument durablc.de se
douleur et de sa pénitence.
II n'en fallut pas davantage pour
que le nom à^acœmète et la psal-
modie perpétuelle fussent mis en
usage dans l'Occident, et surtout
en France. Plusieurs monastères ,
entr'autres celui de Saint-Denys ,
suivirent l'exemple de Saint-Mau-
rice. Quelques monastères de filles
se conformèrent à la même règle .
II paroît par l'abrégé des actes de
sainte Saleberge, recueillis dans un
manuscrit de Corapiegne cité par
le Père Ménard , que cette sainte ,
après avoir fait bâtir un vaste mo-
nastère et y avoir rassemblé trois
cents religieuses , les partagea en
plusieurs chœurs difTcrents, de ma-
nière qu'elles pussent faire retentir
nuit et jour leur église du chant
des psaumes.
On pourroit encore donner
aujourd'hui le nom à^ acœmèies à
quelques maisons religieuses, où
l'adoration perpétuelle du saint
Sacrement fait partie de la règle;
en sorte qu'il y a jour et nuit quel-
ques personnes de la communauté
occupées de ce pieux exercice.
Voyez Psalmodie.
On a quelquefois appelé les sty-
lites , acœrtictes , et les acœmèles ,
studites. Voy. Stylite et Studite .
ACOLYTE , c'est-à-dire , sui-
vant, celui (jui accompagne. Dan.»
les auteurs ecclésiastiques , ce nom
28 ACO
est spécialement donné aux jeunes
clercsqui aspiroientau saint minis-
tère , et tenoient dans le clergé le
premier rang après les sous-diacres.
L'Église grecque n'avoit point d'a-
colytes , au moins les plus anciens
monuments n'en font aucune men -
tion ; mais l'Eglise latine en a eu
dès le troisième siècle ; saint Cy-
prien etlepapeCorneilleenparlent
dans leurs épîtres , et le quatrième
concile de Carthage prescrit la ma-
nière de les ordonner.
Les acolytes ctoient de jeunes
hommes entre 20 et 3o ans , des-
tinés à suivre toujours l'évêque et
à être sous sa main. Leurs princi-
pales fonctions , dans les premiers
siècles de l'Eglise, étoient de porter
aux évèques les lettres que lesEglises
étoient en usage de s'écrire mutuel-
lement, lorsqu'elles avoient quel-
que affaire importante à consulter;
ce qui dans les temps de persécu-
tion , où les Gentils épioient toutes
les occasions de profaner nos mys-
tères, exigeoit un secret inviolable
et une fidélité à toute épreuve. Ces
qualités leur firent donner le nom
à^ acolytes, aussi -bien que leur as-
siduité auprès de l'évêque , qu'ils
étoient obligés d'accompagner et de
servir. Ils faisoient ses messages ,
fiortoientles eulogies, c'est-à-dire,
es pains bénits que l'on envoyoit
en signe de communion : ils por-
toient même l'eucharistie dans les
premierstemps;iIsservoientà l'au-
tel sous les diacres ; et avant qu'il
y eiit des sous-diacres, ils en te-
noient la place. Le martyrologe
marque qu'ils tenoient autrefois
à la messe la patène enveloppée ,
ce que font à présent les sous-
diacres ; et il est dit dans d'au-
tres endroits qu'ils tenoient aussi le
chalumeau qui servoità la commu-
nion du calice. Enfin , ils servoient
encore les évêques et les officiants
en leur présentant les ornements
sacerdotaux. Leurs fonctions ont
changé ; le pontifical ne leur en as-
ACl'
signe point d'autre que de porter les
chandeliers , allumer les cierges ,
et préparer le vin et l'eau pour le
sacrifice : ils servent aussi l'encens,
et c'est l'ordre que les jeunes clercs
exercent le plus. Thomass. Discipl.
de VÈglise. Fleury, Insiit. au Droit
ecclés. ,tom. I , part, i, chap. 6;
Grandcolas, Ancien Sacrant. , i."
part. , p. 124.
Dans l'Eglise romaine, il y avoit
trois sortes à^acolytes : ceux qui
servoient le pape dans son palais
et qu'on nommoit palatins; les sta-
tionnaires qui servoient dans les
églises , et les régionnaires , qui
aidoient les diacres dans les fonc-
tions qu'ils exerçoient dans les
divers quartiers de la ville. Koyez
Ordres mikeurs.
ACTE , ACTION . Les théolo-
giens emploient ces deux termes à
l'égard de Dieu et à l'égard de l'hom-
me , mais dans un sens différent.
Us disent que Dieu est un acte pur ,
c'est-à-dire , que l'on ne peut pas
supposer en Dieu une puissance d'a-
gir qui ait réellement existé avant
Vaetion\i\ est éternel et parfait; il
ne peut lui survenir , comme à
l'homme, une nouvelle modifica-
tion , un nouvel attribut, ou une
nouvelle ac/zon, qui change son état,
qui le rende autre qu'il n'étoit.
Cependant, comme nous ne pou-
vons concevoir ni exprimer les at-
tributs et les actions de Dieu que
par analogie aux nôtres , nous
sommes forcés de distinguer en
Dieu comme en nous, 1.0 deux
facultés ou deux puissances actives,
savoir, l'entendement et la volonté,
et les actes qui sont propres à i'un
et à l'autre.
2. Des ac/es intérieurs ou adi«/ra,
et des actes extérieurs ou ad extra,
comme s'expriment les scolasti-
ques.Dieuse connoît et s'aime :ce
sont là des actes purement inté-
rieurs qui ne produisent rien au d e-
hors. Dieu a voulu créer le monde;
ACT
cet acte de volonté n'cloit qu'inté-
rieur, avant que le monde existât;
depuis que les créatures existent ,
cet acte est censé extérieur ; il a
produit un effet réellement dis-
tingué de Dieu; Vacie ou le décret
est éternel , mais son e£Fet n'a com-
mencé qu'avec le temps. De même ,
dans l'homme, une pensée, un dé-
sir, sont des actes intérieurs ; une
parole, un mouvement, une prière,
une aumône , sont des actes exté-
rieurs et sensibles: les premiers sont
nommés par les scolastiques, acius
immanens ou eliciius;\es seconds,
actus iransiens ou imperatus.
3." L'on distingue les actes né-
cessaires jd'avec les actes libres :
Dieu se connoît et s'aime nécessai-
rement, mais il a voulu librement
créer le monde , il auroit pu ne pas
vouloir et ne pas créer. Le senti-
ment intérieur nous convainc que
nous sommes capables nous-mêmes
de ces deux espèces d'ac/es, et qu'il
y a une différence essentielle entre
les uns et les autres. Fb/e;: Liberté.
4.° La nécessité d'exposer le mys-
tère de la sainte Trinité a obligé les
théologiens d'appeler en Dieu actes
essentiels les opérations communes
aux trois Personnes divines, telles
que la création, et actes nationaux
ou notions, les actions qui servent
à caractériser ces Personnes et à les
distinguer; ainsi, la génération ac-
tive est Vacte national du Père , la
spiratian active est propre au Père
et au Fils , la procession , au seul
Saint-Esprit, etc. Voyez ces mots.
On demandera sans doute à quoi
servent toutes ces distinctions sub-
tiles : à donner au langage théolo-
gique la précision nécessaire pour
éviter les erreurs et pour prévenir
les équivoques frauduleuses des
hérétiques.
5. "Nous distinguons en nous les
actes spontanés , c'est-à-dire , in-
délibérés et non réfléchis, comme
Y action d'étendre le bras pour nous
empêcher de tomber ; les actes vo-
ACT 2g
lantaircs et non libres, comme le
désirdemanger, lorsque nous som-
mes pressés par la faim , l'amour
du bien en général , etc. ; les actes
libres que nous faisons avec ré-
ilcxion et de propos délibéré : ces
derniers sont les seuls imputables,
les seuls moralement bons ou mau-
vais, dignes de récompense ou de
châtiment. Ils sont nommés par les
moralistes actes humains , parce
qu'ils sont propres à l'homme seul;
les actes spontanés sont appelés
actes de Vhomme, parce que c'est
lui qui lesproduit, quoiqueles ani-
maux en paroissent capables. Quant
aux actes purement volontaires ,
nous les appelons mouvements, sen-
timents, plutôt qa^aciians.
6.° Les actes humains ou libres
sontprincipalementconsidéréspar
les théologiens relativement à la loi
de Dieu, qui les commande ou les
défend , qui les arpprouve ou les
condamne; etc'est sous cet aspect
qu'ils sont censés bons ou mau-
vais, péchés ou bonnes œuvres.
Mais on demande s'il peut y avoir
des actions indifférentes , qui ne
soient moralement ni bonnes ni
mauvaises. Il nous paroît difficile
d'en admettre de telles à l'égard d'un
chrétien , parce qu'il n'est jamais
indifférent au salut de perdre le
mérite d'une ac//on quelconque: or,
il n'en est aucune qui ne puisse être
méritoire par le motif et par le se-
cours de la grâce. En second lieu,
laloideDieu ne nous laisse la liber-
té de perdre le fruit d'aucune action,
puisqu'elle nous commande de
tout faire pour la gloire de Dieu ,
ICar.,c. I o,^. 3 1. En troisième lieu,
lagràce est, pour ainsi dire, prodi-
guée au chrétien , et donnée avec tant
d'abondance, qu'il n'est jamais in-
nocent lorsqu'il n'agit pas par son
secours. Une peut doncyavoirpour
]uià' actions indifférentes, sinon par
le défaut d'attention et de réflexion.
7.° Parmi les actions bonnes et
louables , les unes sont naturelles,
3o ACT
les autres «urnaturelles. Un païen
qui fait Taumône à un pauvre , par
compassion , fait une bonne œuvre
naturellement ; il n'est pas besoin
de la révélation , ni d'une lumière
surnaturelle de la grâce, pour sen-
tir qu'il est bon et louable de se-
courir nos semblables quand ils
souffrent ; la nature seule nous in-
spire de la pitié pour eux. Un
chrétien, qui fait l'aumône parce
que le pauvre tient à son égard la
place de Jésus-Christ , parce que
Dieu a promis à cette bonne œuvre
la rémission des péchés et une ré-
compense éternelle , agit surnatu-
rellement; la raison seule n'a pas
pu lui suggérer ces motifs , et il
ne peut agir ainsi que par le se-
cours d'une grâce intérieure et
prévenante. Ces sortes de bonnes
œuvres sont les seules méritoires
et les seules utiles au salut éternel.
Quant à celles que font naturelle-
ment les païens , nous prouverons,
au mot Infidèle , que ce ne sont
pas des péchés et que Dieu les a
souvent récompensées.
Mais un chrétien péche-t-il ,
lorsqu'il fait une bonne œuvre par
un motif purement naturel ? Nous
ne le pensons pas et nous ne
voyons pas par quelle raison l'on
pourroit le prouver ; il nous pa-
roît même à peu près impossible
qu'un chrétien fasse une bonne
œuvre , sans que les motifs qui lui
sont suggérés par la foi y entrent
pour quelque chose.
8.° Entre les actions surnatu-
Telles on distingue les actes des
différentes vertus. Un acte de foi
est une protestation que nous fai-
sons à Dieu de croire à sa parole;
par un acte d'espérance , nous lui
témoignons la confiance que nous
avons à ses promesses ; un acte d&
charité e&lun témoignage de notre
amour pour lui.
Nous sommes obligés sans doute
de produire de temps en temps ces
sortes d'actes ; mais, pour prévenir [
ACT
les scrupules et les inquiétudes des
âmes simples , il est bon de les
avertir que la récitation du sym-
bole est un acte de foi; que quand
elles disent, Je crois la vie éternelle ,
c'est un témoignage d'espérance;
qu'en disant à Dieu, dans l'oraison
dominicale , Que voire nom soit
sanctifié , que votre volonté soit
faite , etc. , elles font un acte d'a-
mour de Dieu. La prière , en gé-
néral , est un acte de religion , de
confiance en Dieu , de soumission
à sa providence, etc.
ACTES DES APOTRES. Livre
sacré du nouveau Testament, qui
contient l'histoire de l'Église nais-
sante pendant l'espace de 29 ou
3o ans, depuis l'ascension de No-
tre-Seigneur Jésus -Christ jusqu'à
l'année 63 de l'ère chrétienne. Saint
Luc est l'autexir de cet ouvrage , au
commencement duquel ilse désigne,
et il l'adresse à Théophile , auquel
il avoit déjà adressé son Evangile.
Il y TA'p'poTi^Xc^s actions des apôtres ,
et presque toujours comme témoin
oculaire : de là vient que , dans le
texte grec , celivreestintitulé-4c/es.
Ony voit l'accomplissement deplu-
sieurs promesses de Jésus-Christ,
sonascension, la descente du Saint-
Esprit , les premières prédications
des apâtres et les prodiges par les-
quels elles furent confirmées; un
tableau admirable des mœurs des
preraiers chrétiens; enfin tout ce
qui se passa dans l'Église jusqu'à la
dispersion des apôtres, qui se par-
tagèrent pour porter l'Évangile
dans tout le monde. Depuis lepoint
de cette séparation, saintLuc aban-
donna l'histoire des autres apôti'es
dontilétoittrop éloigné, pour s'at-
tacher particulièrement a celle de
saint Paul, qui l'avoit choisi pour
son disciple et pour compagnon de
ses travaux. Il suit cet apôtre dans
toutes ses missions, et jusqu'à Ro-
me même,où ilparoît que les Actes
ont été publics la seconde a'nnée du
Acr
séjour f|u'y fil saint Paul , c'csl-à-
dirc , la soixante-troisième année
de l'ère chrétienne , et les neuvième
et «lixième de l'empire de Néron.
Au reste le style de cet ouvrage
qui a été composé en grec , est plus
pur que celui des autres écrivains
canoniques; et l'on remarque que
saint Luc , qui possédoit beaucoup
mieux la langue grecque que l'hé-
braïque , s'y sert toujours de la
version des Septante dans les cita-
tions de l'Écriture. Ce livre est cité
dans l'épître de saint Polycarpe aux
Philippiens , n. i . Eusèbe le met au
rang des écrits du nouveau Testa-
ment , de l'authenticité desquels
on n'a jamais douté ; il est placé
comme tel dans le canon dressé par
le concile de Laodicée, et il n'y a
jamais eu là-dessus de contestation.
Saint Epiphane, Hccr. 3o , c. 3 et
6 , dit que ces Actes ont été traduits
en hébreu ou dans la langue syro-
hébraïque des Églises de la Pales-
tine; ils ont donc été très-connus
dès le moment de leur publication.
On ne peut pas non plus révo-
quer en doute la vérité de l'his-
toire qu'ils renferment. i.° L'as-
cension de Jésus-Christ , la descente
du Saint-Esprit , la prédication
de saint Pierre , ses miracles, la
formation d'uneÉgliseà Jérusalem,
la persécution des premiers fidèles,
la conversion de saint Paul , ses
voyages , ses travaux , etc. , sont des
faits qui se tiennent; l'un ne peut
pas être faux sans que tout le reste
ne soit renversé. Ces faits sont trop
publics et en trop grand nombre,
la scène est en trop de lieux diffé-
rents, pour que toute cette narra-
tion soit fabuleuse. Les fidèles de
la Judée, ceux d'Antiocheet d'A-
lexandrie, n'ont pas pu ignorer ce
qui s'étoitpasséà Jérusalem depuis
la mort de Jésus-Christ; leur con-
version même prouve la vérité de
ce qui est rapporté par saint Luc ;
a'iU'avoitaltéréeen quelque chose,
les fidèles de Jérusalem se seroient
ACT 3i
inscritsenfauxconlreson histoire;
ceux d'Antioche, d'Éphèse, de Co-
rinthe, etc., auroientfaitdemème,
si ce qui s'étoit passé chez eux n'a-
voit pas été fidèlement rapporté.
2.° Les lettres de saint Paul con-
firment la plupart de ces faits, et
les supposent. 3.° Leschismearrivé
à Jérusalem entre les disciples des
apôtres et les ébionites ou judaï-
sants, démontre qu'il n'a pas été
possible d'en imposer à personne
sur des faits qui intéressoient les
deux partis. Dans la suite , les
ébionites cherchèrent à décrier
la doctrine et la conduite de
saint Paul ; ils forgèrent de faux
actes pour le rendre odieux; mais
ils n'ont pas osé s'inscrire en faux
contre les actes écrits par saint Luc :
d'ailleurs leur témoignage est venu
trop tard pour afFoiblir celui d'un
témoin oculaire. 4-° Le Juif que
Celse fait parler , avoue ou suppose
la naissance d'une Église à Jérusa-
lem , telle que saint Luc la ra-
conte. L'apôtre saint Jean a vécu
jusqu'au commencement dusecond
siècle : tant qu'il a subsisté, a-t-il
été possible de forger une fausse
histoire des travaux des apôtres et
del'établissementde l'Église r'5.°Ce
que l'on a noT[ivD.é faux Actes des
apôtres , composés par les héréti-
ques , ne sont pas des histoires qui
contredisent celle de saint Luc,
mais de prétendues relations de ce
qu'ont fait les apôtres , desquels
saint Luc n'a pas parlé: tels sont
les Actes de saint Thomas , de saint
Philippe , de saint André , etc. ;
pièces apocryphes, inconnues aux
anciens Pères, qui n'ont paru que
fort tard, dont on ne peut fixer la
date ni nommer les auteurs.
Le premier livre de cette nature
qu'on vit paroître, et qui fut inti-
tulé Actes de Paul et de Thè-
cle , avoit pour auteur un prêtre ,
disciple de saint Paul. Son impos-
ture fut découverte par saint Jean;
et quoique ce prêtre ne se fCït porté
32 ACT
à composer cet ouvrage que par
un faux zèle pour son maître, il
ne laissa pas d'être dégradé du sa-
cerdoce. Ces Actes ont été rejetés
comme apocryphes par le pape Gé-
iase. Depuis, les manichéens sup-
posèrent des Actes de saint Pierre
et saint Paul, où ils semèrent leurs
erreurs. On vit ensuite les Actes de
saint André, de saint Jean et des
apôtres en général, supposés par les
mêmes hérétiques , selon saint!
Épiphane, saint Augustin et Phi-
lastre ; les Actes des apôtres faits
par les ébionites ; le Voyage de saint
Pierre , faussement attribué à saint
Clément; V Enlèvement et le raoisse-
ment de saint Paul, dont les gnos-
tiques se servoient ; les Actes de
saint Philippe et de saint Thomas ,
forgés par les encratites et les
apostoliques; la Mémoire des apô-
tres, composée par les priscillia-
nistes ; V Itinéraire des apôtres, qui
fut rejeté dans le concile de Nicée;
et divers autres dont nous ferons
mention sous le nom des sectes
qui les ont fabriqués. Voyez Hie-
ronym., De Vins illust., c. 7; Chry-
sostom., In Act.; Dupin, Dissert,
prélimin. sur le nouveau Testam.;
TertuU. , De Baptism.; Épiphan.
Hœres. 8,n.°47 et6i : Saint Aug.,
De Fide contra Manich., et Tract.
in Joan. ; Philast., iferes. 48; Du-
pin , Biblioih. des Auteurs ecclésias-
tiques des trois premiers siècles.
ACTES DES CONCILES.
C0NCII.ES.
Voyei
ACTES DES MARTYRS. Voy.
Martyre et Martyrologe.
ACTES DE PILATE. VoyezV\-
LATE.
ACTUEL. Les théologiens dis-
tinguent la grâce actuelle et la
grâce habituelle , le péché actuel et
le péché originel.
La grâce actuelle est celle qui
ADA
nous est accordée par manière
d'acte ou de motion passagère. On
pourroit la définir plus clairement,
celle que Dieu nous donne pour
nous mettre en état de pouvoir
agir ou de faire quelque action.
C'est de cette grâce que parle saint
Paul quand il dit aux Philippiens,
ch. I : « Il vous a été donné non-
» seulement de croire en Jésus-
» Christ, mais encore de souffrir
» pour lui. n Saint Augustin a dé-
montré, contre les pélagiens, que
la grâce actuelle est absolument
nécessaire pour toute action méri-
toire dans l'ordre du salut.
La grâce habituelle est celle qui
nous est donnée par manière d'ha-
bitude, de qualité fixe et perma-
nente, inhérente à l'àme, qui nous
rend agréables à Dieu et dignes
des récompenses éternelles. Telle
est la grâce du baptêm edans les en-
fants. Voyez Grâce.
Le péché actuel est celui que
commet, par sa propre volonté et
avec pleine connoissance, une per-
sonne qui est parvenue à l'âge de
discrétion. Le péché originel est
celui que nous contractons en ve-
nant au monde, parce que nous
sonunes enfants d'Adam. VoyezVé-
CHÉ. Le péché actuel se subdivise
en péché mortel et péché véniel.
Voyez Mortel et Véniel.
ADi\M,nom du premier hom-
me que Dieu a créé pour être la tige
du genre humain. J4da/ra est aussi
en hébreu le nom appellatif de
l'homme en général ; il paroît for-
mé d'à augmentatif et de la racine
dam, dom, élevé, supérieur; il
désigne le principal et le plus fort
individu de l'espèce.
On peut voir dans les premiers
chapitres de la Genèse toute l'his-
toire à^Adam, la loi que Dieu lui
imposa, sa désobéissance , la peine
à laquelle il fut condamné avec, sa
postérité. Cette narration , qui est
fort courte,a fourni une ample ma-
ADA
tière aux conjectures des commen-
tateurs , aux disputes des théolo-
giens, aux erreurs des hérétiques,
el aux ohjectious des incrédules.
Il est d'abord évident que le pre-
mier homme n'a pu exister que par
création. (N." II, p- i-) Les anciens
athées, qui disoient queleshommes
etoientfor lui tement sortis du sein de
la terre , comme les champignons ;
les matérialistes modernes , qui
pensent que la naissance de l'hom-
me a été un effet nécessaire du dé-
brouillement du chaos ; les savants
f>hysiciens, qui ont calculé et fixé
es époques de la nature , îans nous
apprendre comment les hommes ,
les animaux et les plantes , ont pu
cclore d'un globe de veri"e enilam-
raé dans son origine, sont aussi
peu sages les uns que les autres.
Leurs rêves sublimes disparoissent
devant le récit simple et naturel
de l'auteur sacré : « Au comraen-
» cernent Dieu créa le ciel et la
» terre Il dit : Que la lumière
V soit, et la lumière fut Il dit:
:>Faisons V homme à notre image eià
V notre ressemblance , et l'homme
» fut fait à l'image de Dieu. » Gen,,
c. I. Par ce peu de paroles l'hom-
me apprend ce qu'il est , ce qu'il
doit à Dieu et à soi-même , ce qu'il
a lieu d'attendre de la bonté de son
Créateur.
Dieu est-il donc corporel aussi-
bien que l'homme ï On a répondu
aux marcionites , aux manichéens,
aux philosophes du quatrième siè-
cle, aux incrédules du dix-huitiè-
me, qui ont fait cette question, que
la partie principale de l'homme
n'est pas le corps, mais l'àme. Or,
cette âme est douée d'intelligence,
de réflexion, de volonté, de liberté,
d'action; elle a le pouvoir de ré-
primer les appétits déréglés du
corps, de penser au présent, au
passé et à l'avenir , de communi-
quer aux autres par la parole ce
qu'elle pense, de commander aux
animaux, défaire servir à son usage
X.
ADA 33
la plupart des ouvrages du Créa-
teur, de le connoître, de l'adorer
et de l'aimer ; c'est par-là que
l'homme ressemble à Dieu. Préfc-
rerons-nous , comme certains phi-
losophes , de res.sembler aux ani-
maux, plutôt qu'à Dieu qui nous
a faits f
La manière dont la formation de
la femme est racontée dans l'his-
toire sainte a donné lieu à quel-
ques railleries froides et à des
imaginations bizarres qui ne valent
pas la peine d'être réfutées ; mais
c'est une grande leçon donnée au
genre humain. Dieu a voulu par-là
iaire connoître à la femme la supé-
riorité de l'homme de qui elle a
été formée; à l'homme, combien
sa compagne doit lui être chère,
puisqu'elle est une partie de sa
propre substance; à tous les deux,
qu'ils doivent conserver entre eux
l'union la plus étroite , de laquelle
dépend leur bonheur et celui de
leurs enfants.
Mais en quel état se trouvoient
ces deux créatures au moment de
leur naissance , quelle étoit leur
félicité dans l'état d'innocence ,
quelle auroit été leur destinée et
celle de leurs enfants , si les uns
ni les autres n'avoient pas péché !*
Questions intéressantes, mais sur
lesquelles l'Ecriture sainte ne s'est
expliquée qu'avec beaucoup de ré-
serve.
Elle nous apprend que Dieu a
créé Vhomme droit , Eccli. , c. 7 ,
'}^. 3o, et dans la justice , Éphes.,
c. 4 , y- 24 , par conséquent non-
seulement exempt de vice, mais
encore doue de la grâce sanctifiante
qui le rendoit agréable à Dieu.
Elle nous dit qu'il a été créé im-
mortel , dans ce sens qu'il pouvoit
s'exempter de la mort en ne pé-
chant pas ; la mort n'étant entrée
dans le monde que par la jalousie
du démon, Sap. , c. 2, ^. 23, et
par le péché , Bom. , c. 5, jl'. la.
Nous voyons aussi , Eccli. , c. 171
3
34 ADA
y. 6, que Dieu sVtoit plu à don-
ner à nos premiers parents toutes
sortes de connoissances , en créant
dans eucc la science de Vesprit , en
remplissant leur cœur de sentiment ,
et leur faisant voir les biens et les
maux. D'où il suit que Tétat du
premier homme avant son péché
étoit un état très-heureux, quoi-
que son bonheur ne fut pas com-
plet, puisqu'il pouvoit perdre par
sa désobéissance la justice dans la-
quelle il avoit été créé, et tous les
dons qui y étoicnt attachés. JJn
bonheur plus parfait devoit être
le fruit de sa persévérance libre
dans le bien. Nous ne savons pas
combien il auroit fallu qu'elle du-
rât pour qu^Adam fût confirmé
dans la justice et nepût désormais
la perdre.
S'il eût persévéré , ses enfants
auroient eu en naissant la justice
originelle dans laquelle il avoit été
créé ; mais chacun de ses descen-
dants auroit été peut-être assujéti
à des lois, exposé au danger de les
violer, etdeperdre, coTameAdam,
tous les privilèges de l'innocence:
c'est le sentiment d'Estius d'après
■saint Augustin, I.2, Sentent.^ I)ist.
2ù, § 5. On pourroit encore agi-
ter bien d'autres questions ; mais,
puisque l'Écriture se tait, n'imi-
tons pas la curiosité téméraire de
notre premier père : n'approchons
pas de l'arbre de la science pour y
chercher un fruit qui nous est
défendu.
Pourquoi , demandent les in-
crédules après les manichéens ,
Îiourquoi imposer à l'homme une
ci, et lui faire une défense, lors-
que Dieusavoit bien qu'elle seroit
violée? Parce que l'homme créé
libre étoit capable d'obéissance, et
qu'il la devoit a sonCréateur. C'est
par son libre arbitre, autant que
par son intelligence , que l'hom-
me est distingué des animaux ; il
étoit juste que Dieu exigeât de loi
un témoignage de soumission , en
ADA
reconnoîssance de la vie et des au-
tres bienfaits qu'il lui avoit accor-
dés. Dans tous les états possibles,
il est de l'ordre que le bonheur
parfait ne soit pas un don de Dieu
purement gratuit , mais une ré-
compense réservée à l'obéissance
de l'homme et à la vertu : aucun
argument des incrédules ne peut
prouver le contraire; laprévoyance
que Dieu avoit de la désobéissance
future d'yi-ia/n , ne devoit déroger
en rien à cet ordre éternel, infi-
niment juste et sage.
En effet , dit saint Augustin ,
pourquoi Dieu ne devoit-il pas
permettre t[u'Adam fût tenté et
succombât ?I1 savoit que la chute
de l'homme et sa punition seroient
pour ses descendants un exemple
qui serviroitàles rendre plus obéis-
sants ; que de cette race même pé-
cheresse naîtroit un peuple de
saints qui , avec la grâce divine ,
remporteroient à leur tour sur le
démon une victoire plus glorieuse.
Si donc cet esprit malicieux a sem-
blé prévaloir pour un temps par la
chute de l'homme, il a été vaincu
pour l'éternité par la réparation de
l'homme. L. i contra advers. leg.
et proph., n. 21 et 23. De Cil) Dei ,
1. i4, c. 27. De Catech. rudib. ,
c. 18.
Lorsque les incrédules deman-
dent encore pourquoi Dieu a in-
terdit à notre premier père le fruit
qui donnoit la connoissance du bien
et du mal, ils affectent de ne pas
entendre de quelle connoissance il
est question. Adam connoissoit
déjà le bien et le mal moral ; l'É-
criture nous apprend que Dieu la
lui avoit donnée, jEcc/t., c. 17,^.6.
autrement il auroit été aussi in-
capable de pécher que les enfants
qui n'ont pas encore atteint l'âge de
discrétion : mais il n'avoit point
encore la connoissance du niai
physique , puisqu'il n'en avoit
éprouvé auctin; il n'avoit aucune
idée de la honte et du remords que
ADA
cause la conscience d'un crime. Il
les sentit après son péché ; il fui
en étal (le comparer lcl)iea-èlre et
la douleur : telle est la connois-
sance expérimentale de laquelle
Dieu vouloit le préserver. 11 ne
s'ensuit donc pas qu'il y ait eu un
arbre dont le Iruit avoit la vertu
de faire connoître le bien et le
mal.
C'est une nouvelle témérité, de
la part des incrédules , de soutenir
qu'il y a eu de l'injustice à rendre
Adam maître du sort de sa posté-
rité. C'est la condition naturelle
de l'humanité ; et tel est l'ordre
établi dans toutes les sociétés po-
litiques. Un père , par sa mauvaise
conduite, peut réduire à la mi-
sère ses enfants nés et à naître ; il
peut les déshonorer d'avance par
un crime ; il peut , dans les pays
où l'esclavage est établi , les ré-
duire à cette condition en vendant
sa liberté. Il est du bien de la so-
ciété que cela soit ainsi , afin d'in-
spirer aux pères plus d'horreurdes
crimes qui peuvent avoir pour
leurs enfants des suites si terribles,
et plus de reconnoissance aux en-
fants envers un père qui , par la
sagesse de ses mœurs , les a mis à
couvert de ce malheur.
Dieu , continuent nos adversai-
res, pouvoit prévenir le péché de
l'homme par une grâce efficace,
sans nuire à son libre arbitre ; s'il
oe devoit pas cette grâce à l'hom-
me, du moins il la devoit à lui-mê-
me et à sa bonté infinie. Ne donner
à l'homme dans celte circonstance
qu'un secours inefficace dont Dieu
prévoyoit l'inutilité , c'étoit plutôt
lui faire du mal que du bien.
Ce raisonnement , s'il étoit soli-
de , prouveroit que Dieu, en vertu
de sa bonté infinie, ne peut don-
ner à aucun homme une grâce dont
il prévoit l'inefficacité , et ne peut
permettre aucun pécfié ; mais il
porte sur trois ou quatre suppo-
sitions fausses. La première, qu'un
ADA 35
moindre bienfait, comparé à un
plus grand, n'est plus un bien,
mais un mal. La deuxième, que de
deux bienfaits inégaux , Dieu se
doit à lui-même d'accorder tou-
jours le plus grand , ce qui va droit
à l'infini. La troisième, que pluj
Dieu prévoit de résistance de la
part de l'homme , plus il est obli-
gé d'augmenter la grâce; comme
si la malice de l'homme étoit un
titre qui lui donne droit aux grâ-
ces de Dieu. La quatrième, qu'il
faut raisonner de la bonté de Dieu
jointe à une puissance infinie ,
comme de la bonté de l'homme,
qui n'a qu'un pouvoir très-borné.
Toutes CCS absurdités n'ont pas
besoin d'une plus longue réfuta-
tion.
Une grâce inefficace , ou de la-
quelle Dieu prévoit l'inefficacité,
est sans doute un moindre bienfait
qu'une grâce dont il prévoit l'ef-
ficacité; mais il est faux que la pre-
nxière soit un mal , un don inutile
ou pernicieux , un piège tendu à
l'homme , etc. Un secours , qui
donne à l'homme toute la force
nécessaire pour le rendre maître
de son choix et de son action , ne
peut sous aucune face être envi-
sagé comme un mal.
Ce que l'historien sacré dit de
la tentation d'Eve et de ses suites
a fourni aux incrédules de quoi
exercer leur malignité. Cette nar-
ration leur paroît renfermer plu-
sieurs absurdités : que le serpent
soit le plus rusé de tous les ani-
maux , qu'il ait eu une conversa-
tion suivie avec la femme , et
qu'elle se soit laissé tromper ;
qu'il soit plus maudit que les au-
tres animaux , pendant qu'il y a
des peuples qui l ui rendent un culte;
qu'il n'ait rampé sur son ventre
que depuis ce temps- là; qu'il mange
la terre , etc.
Par ces réflexions mêmes , les
censeurs de l'histoire sainte prou-
vent, ou que Moïse étoit un in-
36
ADA
sensé , ou qu'il y a un sons caclié
soiisl'écorcede cette histoire. C'est
ce que nous soutenons, et un cé-
lèbre incrédule l'a reconnu. <e De
M la manière , dit-il , dont l'his-
j) torien raconte ce funeste événc-
» ment , il paroît bien que son
» intention n'a pas été que nous
j> sussions comment la chose s'é-
» toit passée ; et cela seul doit
>» persuader à toute personne rai-
»> sonnable que la plume de Moïse
» a été sous la direction particu-
» lièrc du Saint-Esprit. En effet ,
» si Moïse eût été le maître de ses
» expressions et de ses pensées , il
» n'auroit jamais enveloppé d'une
» façon si étonnante le récit d'une
» telle action ; il en auroit parlé
» d'un style un peu plus humain
» et plus propre à instruire la
» postérité : mais une force ma-
» jeure, une sagesse infinie le di-
» rigeoit de telle sorte qu'il n'écri-
» voit pas selon ses vues, mais
n selon les desseins cachés de la
w Providence. » Bayle , Nouv. Juin
1686, art. 2, p. 592.
Est-ilvrai d'ailleurs que sonrécit
renferme des absurdités!* i.° Nous
ne connoissons pas assez les diffé-
rentes espèces de serpents, pour sa-
voir jusqu'à quel point ces ani-
maux sont rusés et industrieux;
ceux qui entendent parler des cas-
fors pour la première fois , sont
tentés de prendre pour des fables
ce que l'on en raconte. 2.° Il est
constant que ce fut le démon qui
emprunta l'organe duserpent pour
converser avec Eve , et cette fem-
me n'avoit pas encore assez d'ex-
périence pour savoir si un anima]
étoit capable ou incapable de par-
ler. 3.° Il n'est pas moin^ vrai
qu'en général nous avons horreur
des serpents , et qu'il n'y a qu'une
longue habitude qui puisse accou-
tumer des peuples à demi sauva-
ges à se familiariser avec quelques
espèces de ces animaux. 4 " Si l'on
en croit les voyageurs et les natu-
ADA
ralistes, il y a des serpents ailés qui
s'élèvent dans les airs ; il n'est donc
pas certain que toutes les espèces
aient toujours rampé sur leur ven-
tre. On dit encore qu'il y en a qui
sont d'une beauté singulière , et
l'on en a vu de très-apprivoisés.
Enfin , si les serpents ne mangent
pas la terre , ils semblent du moins
avaler la poussière et les ordures
en cherchant les insectes dont ils
se nourrissent. Il n'y a donc rien
d'absurde ni de ridicule dans la
narration de Moïse.
Une question plus importante
est de savoir si Dieu a puni trop
rigoureusement le péché i^Adam ,
comme le supposent les incré-
dules. La faute , disent-ils , fut lé-
gère , et le châtiment est terrible :
être condamné , pour toute cette
vie , au travail et aux souffrances ;
éprouver sans cesse la révolte de
la chair contre l'esprit , et des pas-
sions contre la raison ; avoir con-
tinuellement sous les yeux la mort
qu'il faut subir, et un supplice
éternel dont nous sommes mena-
cés , et cela pour un prétendu
crime , qui n'est , dans le fond ,
qu'une légère désobéissance ; y a-
t-il de la proportion entre le pé-
ché et la peine ?
Nous répondons , en premier
lieu , qu'il est absurde de vouloir
juger de la grièveté de la faute
à^Adani autrement que par le châ-
timent que Dieu en a tiré ; avons-
nous assisté au conseil de Dieu, ou
avons-nous vu ce qui s'est passé
dans l'âme à' Adam, pour savoir
jusqu'à quel point il a été crimi-
nel ou excusable Y La facilité de
l'obéissance , dit saint Augustin ,
est précisément ce qui, dans les
circonstances, aggrave la faute à^A~
dam. En second lieu , les misères
de cette vie , la concupiscence
même , sont une suite de notre na-
ture : l'exemption de la mort, la
soumission entière de la chair à
l'esprit, étoit une grâce que Dieu
ADA
ne (lovoit point à nos premiers
parents, ainsi que nous le prouve-
rons à l'arlicle Nature puke ; il a
donc pu , sans injustice , en pri-
ver l'homme coupable et ses des-
cendants. En troisième lieu , l'on
u'est ])as obligé de croire , puis-
que l'Eglise ne l'a pas décidé ,
que les enfants souillés du péché
originel sont tourmentés par des
supplices. Ils n'entreront pas dans
le royaume du ciel ; mais il n'est
pas dit que le lieu où ils seront
sera pour eux un lieu de tour-
ments.Nous discuterons celte ques-
tion au mot Baptême.
Les péchés actuels , qui font per-
dre la grâce, seront punis , il est
vrai , par des supplices éternels ;
mais ces péchés ne sont pas des
châtiments de la faute d'Adam , ce
sont des maux que nous nous faisons
volontairement à nous-mêmes par
des vices et des habitudes que nous
avon.s contractées très-librement ,
et dont il ne tiendroit qu'à nous
de nous préserver. Enfin, quand
on parle de la faute d'Adam et de
la punition, il faudroit ne pas ou-
blier la manière dont Jésus-Christ
l'a réparée par la grâce de la ré-
demption.
C'est en démontrant, par l'Écri-
ture sainte , l'excellence, la pléni-
tude, l'universalité de cette grâce,
que les Pères de l'Eglise ont ré-
j)ondu aux objections des marcio-
niles et des manichéens , qu'ils ont
prouvé aux ariens la divinité de
Jésus-Christ, qu'ils ont réfuté les
pélagiens, qui, dans leur système,
réduisoient à rien la rédemption,
comme font encore aujourd'hui les
sociniens.
Ils nous font remarquer d'abord
que la promesse de la rédemption
est aussi ancienne que le péché.
Avant de condamner Adam aux
souffrances et à la mort, Dieuavoit
déjà lance la malédiction contre le
serpent, et lui avoit dit : La race
tie la femme f écrasera la tcfc. C'est ,
ADA 37
disent les Pères, en vertu de cette
promesse et des mérites du Ré-
dempteur, que Dieu n'a condamné
Adam etsa postérité qu'aune peine
temporelle ; ainsi la rédemption
future a commencé d'opérer son
effet, au moment même qu'elle a
été promise. Fb/cz Prot-évangile,
RÉDEMPTION.
2.0 Ils nous représentent queles
souffrances et la mort sont l'expia-
tion du péché et un sujet de mérite
en vertu de la passion du Sauveur ;
d'où ils concluent que la condam-
nation de l'homme a été sous ce
rapport un acte de miséricorde de
la part de Dieu. Jésus-Christ, dit
saint Paul , a été les amertumes de
la mort, en nous assurant une ré-
surrection semblable à la sienne.
I Cor., c.iS,y/.55. Voyez Mort,
Souffrance.
3. «Ils observent que la grâce, ré-
pandue avec abondance par Jésus-
Christ, nous rend victorieux de la
concupiscence; que par ce combat
la vertu devient plus méritoire, et
digne d'une récompense aussi gran-
de que celle qui étoit destinée à no-
tre premier père. Par ces différentes
considérations, nos saints docteurs
font comprendre la dignité à la-
quelle notre nature a été élevée par
son union avec le Verbe divin; ils
montrent la grandeur du mal par
La puissance du remède.
Selon l'histoire sainte , la pé-
nitence à'' Adam a été fort longue :
il avécu neuf cent trente ans. Ge/?.,
c. 5,5'. 5. Dieu lui accorda cette
longue vie, afin de perpétuer parmi
ses descendants la certitude des
grandes vérités dont il avoit été
témoin, ou qu'il avoit reçues de
la propre bouche de Dieu même :
les hommes pouvoient-ils avoiruu
maître plus respectable et plus di-
gne de foi? Mais, sans la promesse
qui lui avoit été faite d'un répa-
rateur, il auroit été souvent tenté
de se livrer au désespoir, en voyant
le déluge de maux de toute espèce
8 ADA
que sa faute avoit t'ait tomber sur
la terre.
Aucun des pères de l'Eglise n'a
douté du salut à'' Adam; tous ont
été persuadés qu'il a été sauvé par
Jésus-Christ. Saint Augustin dit
que c'est la croyance de l'Eglise, et
l'on a taxé d'erreur Tatien et les
encratites, qui ne vouloienl pas
admettre cette vérité.
On a même cru, dans les pre-
ïniers siècles , cyn^Adam avoit été
enterré sur le Calvaire , et que
Jésus-Christ avoit été crucifié sur
sa sépul ture , afin que le sang versé
pour le salut du monde purifiât les
restes du premier pécheur. Quoi-
que cette tradition ne paroisse fon-
dée que sur un passage de l'Écri-
ture mal entendu, elle atteste tou-
jours la haute idée qu'avoient nos
anciens maîtres de l'étendue etde
l'efficacité de la rédemption.
Il paroît que certains théolo-
giens l'avoient profondément ou-
bliée , lorsqu'ils ont dit que le
péché originel ou la chute à' Adam
est la clef de tout le système du
christianisme, le premier anneau
auquel tient toute la chaîne de la
révélation; il auroit fallu dire au
moins : Le pèche originel effacé et
pleinement réparé par Jésus-Christ.
Sans le dogme fondamental de la ré-
demption , celui du péché originel
pourroit nous inspirer de la ci'ain-
te,des regrets, de la douleur, peut-
être le désespoir; il n'exciteroit en
nous ni reconnoissance, ni con-
iiance, ni amour de Dieu, senti-
ments dans lesquels consiste la
religion. Au mot Péché originel,
nous ferons voir que la croyance
de l'un de ces dogmes ne peut pas
subsister sans celle de l'autre.
Quelques auteurs ont pensé que
Platon avoit eu connoissance de la
chute à'' Adam , et qu'il l'avoit
apprise par la lecture des livres de
Moïse. Eusèbe , dans sa Préparation
évangélique ., liv. 12, c. 11, cite
une fable tirée des Symposiaqucs
ADA
de Platon , dans laquelle celle his-
toire semble être rapportée d'une
manière allégorique ; mais cette
allusion n'est ni fort sensible, ni
absolument certaine. Au temps de
Platon, les livres deMoïsen'étoient
pas encore traduits en grec, et ce
philosophe n'avoit point de con-
noissance de rhcbreu. On sait
d'ailleurs que les Juifs ne mon-
troient pas aisément leurs livres
aux païens. Il faut juger de même
de la fable de Pandore , que quel-
ques-uns ont prise pour une alté-
ration de l'histoire de la chute
à'' Adam.
ADAMITES ou ADAMIENS ,
secte d'anciens hérétiques, qu'on
croit avoir été un rejeton des basi-
lidiens et des carpocï^atiens , sur
la fin du second siècle.
Selon saintÉpiphane, ils prirent
le nom à''adamiies, parce qu'ils
prétendoient avoir été rétablis dans
l'état de nature innocente, être tels
qu'Adam au moment de sa création,
et par conséquent devoir imiter sa
nudité. Ils détestoient le mariage,
soutenant que l'union conjugale
n'auroit jamais eu lieu sur la terre
sans le péché, et regardoient la
jouissance des femmes en commun
comme un privilège de leur pré-
tendu rétablissement dans la justi-
ce originelle. Quelque incompati-
bles que fussent ces dogmes infâmes
avec une vie chaste , quelques-uns
d'eux ne laissoient pas de se vanter
d'ètrecontinenls, et assuroient que
si quel qu'un des leurs tomboit dans
le péché de la chair, ils 1 e chassoien t
de leur assemblée, comme Adam
et Eve avoient été chassés du para-
dis terrestre pour avoir mangé du
fruit défendu; qu'ils se regardoient
comme Adam etÉve, et leur tem-
ple comme le paradis. Ce temple,
après tout, n'étoit qu'un souter-
rain, une caverne obscure, ou un
poêle dans lequel ils entroient tout
nus, hommes et femmes; et là, tout
ADA
liMir ^lolt permis, )usqu\\ l'adul-
tcre et à l'incesle , dès que l'ancien
ou le chef de leur sociclc. avoit
prononce ces paroles de la Genèse ,
c I , Jl'^. 23, Crescile et midliplica-
rnini. Théodoret ajoute que , pour
commettre de pareilles actions,
ils n'avoient pas même d'cf^ard à
rhonnêleté publique , et imitoient
l'impudence des cyniques du pa-
ganisme. TertuUien assure qu'ils
uioient, avec Valentin, l'unité de
Dieu, la nécessité de la prière, et
traitoîent le martyre de folie et
d'extravagance. Saint Clémentd'A-
lexandrie dit qu'ils se vantoient d'a-
voir des livres secrets deZoroastre;
ce qui a fait conjecturer à M. deTil-
lemont qu'ils étoient livrés à la
magie. Tom. 2 , pag. 280.
Cette secte infànie fut renouvelée
dans le douzième siècle par un
certain Tendème, connu encore
sous le nom deTanchelin,quisema
ses erreurs à Anvers, sous le règne
de l'empereur Henri V. Les prin-
cipales étoient, qu'il n'y avoit point
de distinction entre les prêtres et
les laïques , et que la fornication
et l'adultère étoient des actions
saintes et méritoires. Accompagné
de trois mille scélérats armés, il
accrédita cette doctrine par son
éloquence et par ses exemples ;
sa secte lui survécut peu , et fut
éteinte par le zèle de saintNorbert.
D'autres adamiics reparurent
encore dans le quatorzième siècle ,
sous le nom de lurlupîns et de /jaw-
iTcsyrèrcs, dans le Dauphiné et la Sa-
voie. Ils soutenoient que l'homme ,
arrivé à un certain état de perfec-
tion, étoit affranchi de la loi des
])assions , et que , bien loin que la
liberté de l'homme sage consistât
à n'être pas soumis à leur empire ,
elle consistoit au contraire à se-
couer le joug des lois divines. Us
alloient tout nus, et commeltoient
en plein jour les actions les plus
brutales. Le roi Charles V en fit
périr plusieurs par les llammes :
ADA 39
on brilla aussi quelques-uns de
leurs livres à Paris, dans la place
du marché aux Pourceaux , hors
de la rue Saint-Honoré
Un fanatique, nommé Picard,
natif de Flandre, ayant pénétré
en Allemagne et en Bohême au
commencement du quinzième siè-
cle , renouvela ces erreurs, et les ré-
pandit surtout dans l'armée du fa-
meux Zisca. Malgré la sévérité de ce
général,Picardtrompoit les peuples
par ses prestiges, et se qualifioit
/ils de Dieu. Il prétendoit que, com-
me un nouvel Adam, il avoit été
envoyé dans le monde pour y ré-
tablir la loi dénature, qu'il faisoit
surtout consister dans la nudité de
toutes les parties du corps et dans
la communauté des femmes. Il or-
donnoitàses disciples d'aller nus
parles ruesetlesplaces publiques;
moins réservé à cet égard que les
anciens adamites qui ne se permet-
toient cette licence que dans leurs
assemblées. Quelques anabaptistes
tentèrent en Hollande d'augmen-
ter le nombre des sectateurs de
Picard ; mais la sévérité du gou-
vernement les eut bientôt dissipés.
Cette secte a aussi trouvé des par-
tisans en Pologne et en Angleterre ;
ils s'assembloient la nuit, et l'on
prétend qu'une des maximes fon-
damentales de leur société étoit
contenue dans ce vers :
Jura , perjura , secrelutn prodere noli,
Mosheiro , qui a examiné de près
l'histoire de ces fanatiques, pense
que le nom de Picards ne leur ve-
noit pas d'un chef ainsi appelé,
mais que c'étoit une corruption du
nom de begghards ou bigghards.
Vojfez ce mot. Leur maxime capi-
tale étoit que , quiconque use d'ha-
bits pour couvrir sa nudité , et
n'est pas capable de voir sans émo-
tion le corps nu d'une personne
d'un sexe différent du sien, n'est
pas encore //ôrc, c'est-à-dire, suffi-
4o ADI
samment dégagé désaffections cor-
porelles. 11 étoit impossible qu'a-
vec un pareil principe, suivi dans
la pratique, il ne se passât rien de
criminel dans leurs assemblées.
Aussi Mosheim n'est point de l'avis
de Basnage, qui a voulu iustifier
les Tpicards ou adarnitesAe Bohême,
et qui lésa confondus avec les vau-
dois. Trad. de VHistoire ecclésiast.
de Mosheim, t. 3, pag. 472.
Quelques savants sont dans l'o-
pinion que l'origine des adamiies
remonte beaucoup plus haut que
l'établissement du christianisme :
ils se fondent sur ce que Maacha,
mère d'Asa , roi de Juda , étoit
grande-prêtresse de Priape, et que,
dans les sacrifices nocturnes que
les femmes faisoient à cette idole
obscène , elles paroissoient toutes
nues. Le motif des adamiies n'étoit
pas le même que celui des adora-
teurs de Priape ; et l'on a vu , par
leur théologie, qu'ils n'avoient pris
du paganisme que l'esprit de dé-
bauche, et non le culte de Priape.
ADESSENAIRES , nom formé
par Pratéolus du verbe latin adesse,
etreprésent, et employé pour dé-
signer les hérétiques du seizième
«iècle, qui reconnoissoient la pré-
sence réelle de Jésus-Christ dans
l'eucharistie , mais dans un sens
différent de celui des catholiques.
Ces hérétiques sont plus connus
sous le nom à^Jmpanateurs ; leur
secte étoit divisée en quatre bran-
ches: les uns soutenoient que le
corps de Jésus-Christ est dans le
pain, d'autres qu'il est alentour
du pain, d'autres qu'il est sur le
Î>ain, et les derniers qu'il est sous
e pain. Ko/ez Impanation.
ADIAPHORISTES, nom formé
du grec , âiîiaipipoç, indifférent.
On donna ce titre, dans le sei-
zième siècle, aux luthériens miti-
gés, qui adhéroient aux sentiments
de Mélanclhon, dont le caractère
ADO
pacifique ne s'accommodoit point
de l'extrême vivacité de Luther.
Conséquemment , l'an i348 , l'on
appela ainsi ceux qui souscrivi-
rent à Vintérim que l'empereur
Charles-Quint avoitfait publier a
la diète d'Ausbourg. ?'o/&s Luthé-
riens.
Cette diversité de sentiments
parmi les luthériens causa entre
leurs docteurs une contestation
violente: il étoit question de savoir
i.os'il est permis de céder quelque
chose aux ennemis de la vérité
dans les choses purement indiffé-
rentes , et qui n'intéressent point
essentiellement la religion ; 2.° si
les choses que Mélancthon et ses
partisans jugeoient indifférentes
l'étoient véritablement. Ces dis-
puteurs, qui appel oient cnweni/s de
la vérité tous ceux qui ne pensoient
pas comme eux , n'avoient garde
d'avouer que les opinions, ou les
rites auxquels ils étoient attachés ,
éloient indifférentes au fond de
la religion. Voyez Mélanctho-
NIENS.
ADJURATION. Commande-
ment que l'on fait au démon , de la
part de Dieu , de sortir du corps
d'un possédé, ou de déclarer quel-
que chose.
Ce mot est dérivé du latin ad-
jurare, conjurer, solliciter avec
instance; et l'on a ainsi nommé
les formules d'exorcisme, parce
qu'elles sont presque toutes con-
çues en ces termes : Adjuro te ,
spiriius immunde,per Heumvivum,
ut, etc.
Dans le Dictionnaire de Juris-
prudence, l'on a blâmé les curés
qui font des adjurations ou des
exorcismes contre les orages et
contre les animaux nuisibles ; nous
en parlerons au mot Exorcisme.
ADONAI , est parmi les Hé-
breux un des noms de Dieu; il
signilie mon Seigneur. Les masso-
ADO
rôles onl irvis sous le nom que l'on
iitaiijoiird'lmi , Jchovuh^ les points
qui conviennent aux consonnes rlu
mot Adonai ^ parce qu'il éloil dé-
fendu, chez les Juifs, de pronon-
cer le nom propre de Dieu, et
qu'il n'yavoit que le grand-pretre
qui eût ce priviléjçe, lorsqu'il en-
troit dans le sanctuaire. Les Grecs
ont aussi mis le nom Adona'i à
tous les endroits où se trouve le
nom de Dieu. Le mot Adona'i est
tiré de la racine don , qui , dans
toutes les langues , signifie éléva-
tion , grandeur, au propre et au
figuré. Les Grecs l'ont traduit par
KvptoSjCt les Latins par Dominus.
Il s'est dit aussi quelquefois des
hommes, comme dans c« verset
du ps. io4, ConsiUuit eum domi-
num dormis suœ, en parlant des
honneurs auxquels Pharaon éle-
va Joseph. Voyez Génébrard, Le
Clerc , Cappel ^ De nomine Dei ie-
iragrani .
ADOPTIENS , hérétiques du
huitième siècle, qui prétendoient
que Jésus-Christ, en tant qu'hom-
me, n'étoit pas fils propre ou fils
naturel de Dieu, mais seulement
son fils adoptif. C'étoit renouveler
l'erreur de Nestorius.
Cette secte s'éleva sous l'empire
de Charlemagne, vers l'an 778,
à cette occasion. Élipand, arche-
vêque de Tolède, ayant consulté
Félix, évéque d'Urgel, sur la filia-
tion de Jésus-Christ, cet évéque
répondit que Jésus-Christ, en tant
que Dieu, est véritablement et
proprement fils de Dieu, engendré
naturellement par le Père; mais que
Jésus-Christ, en tant qu'homme
ou fils de Marie, n'est que fils
adoptif deDieii; décision à laquelle
Élipand souscrivit. Le pape Adrien,
averti de cette erreur , la condam-
na dans une lettre dogmatique
adressée aux évêques d'Esj)agne.
On tint, en 791, un concile à
Narbonne, où la cause dos deux,
ADO
4i
eveques espagnols fut discutée ,
mais nondecidée. Félix se rétracta
puis revint à ses erreurs; et Éli-
pand de son côté, ayant envoyé
à Charlemagne une profession de
foi qui n'étoit pas orthodoxe , ce
prince fit assembler un concile
nombreux à Francfort , en 794 , où
la doctrine de Félix et d'Élipand
fut condamnée , de même que dans
celui deForli, de l'an 798, et peu
de tempsaprès dans le concile tenu
à Rome sous le pape Léon IlL
Félix d'Urgel passa sa vie dans
une alternative continuelle d'abju-
rations et de rechutes, et la termina
dans l'hérésie; il en fut de même
d'Élipand.
Geoffroi de Clairvaux impute la
mémeerreur à Gilbert de laPoirée;
Scot et Durand semblent ne s'être
pas assez éloignés de cette opinion,
qui paroît retomber dans celle de
Nestorius.
L'erreur dont nous parlons fut
réfutée avec succès par saintPaul in,
patriarche d'Aquiléc, et par AI-
cuin. Dans ia vie que Madrissi a
donnée du premier, il a discuté
plusieurs faits concernant Élipand
et Félix d'Urgel, qui n'avoient
pas encore été suffisamment éclair-
cis. Histoire de VEgUse gallic, t. 5,
an. 797) 799-
ADOPTION , dans le sensthéo-
logique , est la grâce que Dieu nous
a laite par le baptême; ce sacre-
ment nous imprime le caractère
d'enfants adoptifs de Dieu, de
frères de Jésus-Christ, d'héritiers
du bonheur éternel : droit pré-
cieux duquel sont privés ceux qui
ne sont pas baptisés. «■ Voyez, dit
» aux fidèles l'apôtre saint Jean ,
» quelle bonté Dieu le Père a eue
)) pour nous, de nous accorder le
» nom et les droits d'enfants de
» Dieu. J. Joan.^ c.Z.S- i- Or,
» continue saint Paul , si nous
» sommes enfants, nous sommes
» aussi héritiers de Dieu, cohc-
/^î ADO
») rî tiers tle Jésus-Christ. » Rorn. , |
c. 8, y/'. 17. Dieu est le père de
tous les hommes , puîsfju'il est le
créateur et le bienfaiteur de tous,
uon-seuleraent dans l'ordre de la
nature , mais dans celui de la grâce ;
il ne refuse à aucun les secours
nécessaires et suffisants dont il a
besoin pour parvenir au salut.
Dieu est néanmoins plus particu-
lièremient le père des chrétiens ,
puisqu'il leur donne, par le bap-
tême, une nouvelle naissance, et
qu'il leur accorde des grâces de sa-
lut plus puissantes et plus abon-
dantes qu'au reste des hommes.
Voyez Enfant de Dieu.
ADORATION, ADORER. Ce
terme, pris dans sa signification
littérale, signifie porter la main à
la bouche , baiser sa main par un
sentiment de vénération. Dans tout
l'Orient ce geste est une des plus
grandes marques de respect et de
soumission : il a été en usage à
l'égard de Dieu et à l'égard des
hommes. Il est dit dans le livre de
Job, c. 3i , }^'. 17 : « Si j'ai re-
» gardé le soleil dans son éclat, et
j) la lune dans sa clarté; si j'aibaisé
j> ma main avec une joie secrète,
j> ce qui est un très-grand péché,
» et une manière de renier le Dieu
}> très-haut. » Dans le troisième
livre des Rois, c. 19, j^. 18: « Je
» me réserverai sept millehommes
»> qui n'ont pas tlechi le genou de-
» vant Baal, et toutes les bouches
>) qui n'ont pas baisé leurs mains
» pour Vadorer. » Minutius-Félix
dit que Cécilius passant devant la
statue de Sérapis, baisa sa main,
comme c'est la coutume du peuple
superstitieux. Ceux qui adorent ,
dit saint Jérôme, ont coutume de
baiser la main et de baiser la terre;
les Hébreux, selon le génie de leur
langue, mettent le baiser pour
Vadoraiion : il est dit, Ps. 2, 3^. 12,
« Baises le fils, de peur qu'il ne
o s'irrite, » c'est-à-dire, adorez-
ADO
le, et soumettez-vous à son empire.
Pharaon parlant à Joseph , lui
àit:« Tout mon peuple baisera la
» main à votre commandement. Il
» recevra vos ordres comme ceux
» du roi. » Abraham adore leptui-
pic d'Hébron, Gen., c. 23, ^'. 7
et 12. La SunamitearforeÉHsée qui
avoit ressuscité son fils, VJ. Reg.^
c. 4, S- 37, etc. Dans ces divers
passages, le terme adorer ne signi-
fie certainement pas la même chose
ni la même espèce de culte.
Lorsqu'il est emplo} é à l'égard
de Dieu, il signifie le culte suprême
qui n'est dû. qu'a Dieu seul; lors-
qu'il est mis en usage à l'égard des
idoles, c'est un acte d'idolâtrie; si
l'on s'en sert à l'égard des Kommes,
ce mot n'exprime qu'un culte pu-
rement civil. La même équivoque
a lieu dans l'hébreu comme dans
les autres langues.
Baiser la main, fléchir les ge-
noux , se prosterner, sont des si-
gnes extérieurs, dont le sens varie
selon l'intention de ceux qui les
emploient.
C'est donc mal à propos que les
protestants se sont élevés contre
notre croyance; parce que nous di-
sons adorer la croix ^ et que nous
donnons des marques de respect
à la vue de ce signe de notice ré-
demption. Il est évident que nous
ne prenons pas alors le terme d'a-
doration dans le même sens que par
rapport à Dieu; que ce culte se
rapporte à Jésus-Christ Homme-
Dieu ; qu'il ne se borne ni à la
matière, ni à la figure de la croix.
Voyez VExposUion de la Foi co'
tholique , par M. Bossuet.
Vainement ils disent que DieU;
seul doit être adoré ; si par-là ils
entendent honoré comme Etre su-
prême, cela est vrai; s'ils enten-
dent honoré comme cire respec-
table, c'est une fausseté. Le culte,
l'honneur, le respect, doivent être
proportionnés à la dignité des per-
sonnages auxquels ils sont adre^séf^
ADR
et il scroitaLsurde de soutenir que
le respect n'est du qu'à Dieu. Kojrcz
Cor.TE,
Us disent et répètent sans cesse
que nous adorons les saints, leurs
images, leurs reliques. C'est tou-
jours la même équivoque. Nous
honorons les saints, et nous leur
témoignons du respect, mais non
le même respect qu'à Dieu; nous
respectons leurs images, à cause
de cequ'elles représentent, et leurs
reliques, parce qu'elles leur ontap-
partenu ; mais nous ne les adorons
pas , si par adorer l'on entend le
culte suprême. Quand quelques
auteurs catholiques , peu exacts
dans leurs expressions, auroient
mal appliqué le terme à'adoralion,
cela ne prouveroit encore rien ;
puisque notre croyance est claire-
ment exposée dans tous nos caté-
chismes. Voyez Paganisme , § XI.
Une autre grande question entre
les protestants et nous, est de sa-
voir si l'on doit adorer l'Eucha-
ristie; cela dépend de savoir si
Jésus-Christ y est véritahlement,
ou s'il n'y est pas. Voyez Eucha-
ristie , § IV.
On nomme encore adoration
l'hommage que les cardinaux ren-
dent au pape après son élection ,
et une manière extraordinaire d'é-
lection , qui se lait lorsque la foule
des cardinaux va subitement se
prosterner devant l'un d'entr'eux
et le proclame pape. Ces termes
équivoques ne peuvent induire en
erreur que ceux qui ne l'ont pas
attention aux bizarreries du lan-
gage, ou qui veulent se tromper
eux-mêmes par l'abus des termes.
Au mot Paganisme , § XI, nous
réfuterons la notion que quelf[ues
protestants ont voulu donner de
Yadoralion , afin de persuader que
les catholiques adorent les saints
et les images.
ADRAMÉLEC. Voy. Samaritains.
ADRIANISTES. Théodoret met
ADU l,■^
Xesadriani'stes AU. nomhrt des héré-
tiques qui sortirent de la secte de
Simon le magicien; mais aucun
autre auteur n'en parle. Théodo-
ret , Iwre I des Fables hérétiques ,
c. 1.
Les sectateurs d'Adrien Hams-
tcdius, l'un des novateurs du sei-
zième siècle, lurent appelés de ce
nom. 11 enseigna premièrement
dans la Zélande, et ensuite en
Angleterre, que l'on étoit libre de
garder les enfants durantquelques
années sans leur conférer le bap-
tême ; que Jésus-Christ avoit été
formé de la semence de la femme,
et qu'il n'avoit fondé la religion
chrétienne que pour certaines cir-
constances. Outre ces erreurs et
quelques autres pleines de blas-
phèn'ies, il souscrivoit à toutes
celles des anabaptistes. Pratéol ,
S ponde, Lindan.
ADVERSITÉ. Fo/ez Affliction,
ADULTÈRE, crime de ceux
qui violent la foi conjugale. Les ju-
risconsultes ne donnent ordinaire-
ment ce nom qu'à l'infidélité d'une
personne mariée; mais les théo-
logiens appellent aussi adultère le
crime d'une personne libre qui
pèche avec une personne mariée ;
parce que l'une et l'autre coopèrent
à la violation de la foi jurée; si tous
deux sont mariés, c'est alors un
double adultère. Aussi la loi de
Moïse, qui condamne à la mortier
adultères de l'un et de l'autresexe,
Levit.', c. 20, }(^. 10; Veut., c. 22,
y. 22, n'exempte point de la peine
le coujiable non marié : la loi du
décalogue, quidéfend àtouthomme
de convoiter la femme de son pro-
chain , n'excepte personne , non
plus que la décision portée par Jé-
sus-Christ, Matt. , c. 5, J. 28,
que celui qui regarde une femme
pour s'exciter à de mauvais désirs,
a déjà commis Vadultère dans son
cœur. Saint Paul s'exprime d'une
44
ADU
manière aussi géncrale, en disant
que si une femme, pendant la vie
de son mari , habite avec un autre
homme , elle sera coupable d'a-
duliére. Rom., c. 7 , y. 3.
La sévérité de ces lois et de cette
morale est évidemment fondée sur
l'intérêt de la société. S'il y a un
crime capable de troubler l'ordre
public et de faire commettre d'au-
tres forfaits, c'est celui dont nous
parlons. Plus les devoirs qu'impose
l'état du mariage sont grands , plus
il importe que cet engagement soit
sacré et inviolable. Les droits des
ceux conjoints sont égaux; quel
que soit celui des deux qui les foule
aux pieds, il est, aux yeux de
Dieu et de la religion , coupable
du même crime. A la vérité, l'in-
fidélité de la femme entraîne des
conséquences plus fâcheuses , puis-
qu'elle l'expose à placer dans sa
famille un enfant adultérin , qui
enlèvera injustement aux enfants
légitimes une partie de leur héri-
tage, et qui sera pour le mari une
charge de plus. Mais , d'autre part,
un mari infidèle, quelle que soit
la personne à laquelle il s'attache,
fait à son épouse l'injure la plus
sensible , et à ses enfants un tort
irréparable; il n'est pas rare de
voir des pères perfides témoigner,
pour les fruits de leur débauche ,
plus d'attachement que pour ceux
de l'union conjugale,
Ce crime une fois commis, il ne
reste plus d'estime, plus de con-
fiance, plus de tendresse mutuelle
entre les époux; le lien qui devoit
faire leur bonheur leur devient
insupportable. De là naissent les
divisions éclatantes, les sépai-a-
tions scandaleuses, les diffamations
réciproques , les haines déclarées
entre les familles. A quels excès ne
sont pas capables de porter la ja-
lousie , la vengeance , la fureur ?
Quels exemples pour des enfants
qui auroient dû trouver des mo-
elles de vertu dans ceux de qui ils
ADU
ont reçu le jour! Quelle recon-
noissance, quel respect peuvent-
ils avoir pour eux ï
Lorsque les mœurs d'une nation
sont dépravées, que l'irréligion, le
luxe, l'épicuréisme ontétouffé tous
les sentiments et perverti tous les
principes, ce désordre ne peut pas
manquer de devenir commun; l'on
n'en rougit plus , et l'on ferme les
yeux sur toutes les conséquences.
L'on disserte alors et l'on déclame
contre l'indissolubilité du mariage;
on soutient la justiceet la nécessité
du divorce. Un crime peut-il donc
rendre nécessaire un autre crime r
C'est augmenter le mal , au lieu d'y
remédier, f'bjei. Divorce.
Jésus-Christ , plus sage que tous
les dissertateurs, a pris le seul
moyen efficace de le prévenir , en
fermant toutes les avenues qui peu-
vent y conduire , en condamnant
le simple désir de l'impudicité;
pour conserver les corps chastes ,
dit saint Jean Chrysostôrae, il
s'est attaché à purifier les âmes ,
i. 7 , Honiil. 17, in Matih. En ré-
tablissant le mariage dans sa sain-
teté primitive, il a voulu bannir
les désordres qui le rendent mal-
heureux.
Le sentiment commun des théo-
logiens protestants, est que ce divin
maître a permis le divorce ou la
rupture du mariage , en cas d^adui-
ière; nous prouverons le contraire
au mot Divorce.
Certains critiques ont été scan-
dalisés de ce que Jésus-Christ ne
voulut pas condamner la femme
adultère. Joan., c. 8, y. 3. S'il
l'avoit condamnée , ces censeurs
téméraires déclanieroient encore
plus fort. I. «Le Sauveur n'étoit ni
juge ni magistrat; il ne voulut pas
seulement en faire les fonctions
pour accorder deux frères qui con-
testoienl sur leur héritage. Luc. ,
c. 12, y/'. 14. 2.0 Les scribes et les
pharisiens, qui accusoient cette
femme, ne l'cloientpas non plus;
ADU
•e n'élolt point le zclc pour l'ob-
ervation tic la loi qui les faisoil
igir,maislr ilésirdc tendre un piojço
lu Sauveur. Dés qu'ils virent que
eur hypocrisie étoit démasquée ,
Is se retirèrent tout confus. 3." En
isant d'indulgence envers l'accu-
ée, il n'ôloit pas aux magistrats
e pouvoir de la punir, si elle étoit
/éritablement coupable, et ce
l'étoit point à lui de poursuivre
ia condamnation : il étoit venu ,
ion pour perdre les pécbcurs ,
nais pour les sauver. 4-° En disant
lUX accusateui's : Que celui d'enlrc
ous qui est sans péché jette la prc-
nicrc pierre, il ne décidoit pas
{u'il iaut être sans péché pour
uger un criminel , puisqu'encore
inc lois il n'y avoit point là de
uges, et que cette femme n'avoit
'té ni convaincue ni condamnée.
Vi tel avoit été le sens de sa ré-
)onse , les scribes et les pharisiens
le se seroient pas tus; mais elle
eur fit sentir que Jésus-Christ
:onnoissoit leurs motifs et leur
lessein; c'est ce qui les couvritde
confusion, et les fit retirer l'un
iprès l'autre.
Cette histoire manquoit autre-
"ois dans plusieurs exemplaires de
'évangile de saint Jean; saint Au-
gustin et d'autres au leurs ont pense
qu'elle avoit été omise exprés par
les copistes , qui craignoient que
'on n'en tirât des conséquences fâ-
cheuses comime font auj ourd'hui les
incrédules. Fausse prudence, mais
"(ui heureusement n'a pas eu de suc-
cès. Celte narration nous fait ad-
mirer la sagesse et la charité du
Sauveur; elle ne peut inspirer une
fausse confiance aux pécheurs, mais
ieulement leur apprendre que s'ils
se repentent, Jésus-Christ est tou-
(ours prêt à leur pardonner. C'est
encore une bonne leçon pour les
zélateurs hypocrites qui déclament
contre la négligence et la douceur
<lfe.s magistrats , pendant qu'ils se-
roienl eux-inêtnes en danger d'être
punis, si les loiséloient observée*
à la rigueur.
AÉRIENS. Sectaires du qua-
trième siècle, qui furent ainsi ap-
pelés d'Aérius, prêtre d'Arménie,
leur chef. Les aériens avoient à
peu près les mêmes sentiments sur
la Trinité que les ariens ; mais ils
avoient de plus quelques dogmes
qui leur étoient propres et parti-
culiers ; par exemple, que l'épis-
copat n'est point un ordre diffé-
rentdusacerdoce, et qu'ilnedonne
aux évêques le pouvoir d'exercer
aucune fonction qui ne puisse être
faite par les prêtres. Ils fondoient
ce sentiment sur plusieurs passages
desaintPaul, et singulièrement sur
celui de la première épître à Ti-
mothée, c. 4î S- i4î où l'apôtre
l'exhorte à ne pas négliger le don
qu'il a reçu par l'imposition des
mains des prêtres. Sur quoi Aérius
observe qu'il n'est pas là question
d'évêques , et qu'il est clair par ce
passage que Timothée reçut l'or-
dination par la main des prêtres.
Saint Epiphane , Hœres. yS ,
s'élève avec force contre les aériens ,
en faveur de la supériorité des évê-
ques. Il observe judicieusement que
le moi presbjterii , dans saint Paul ,
renferme les deux ordres d'évêques
et de prêtres, tout le sénat, toute
l'assemblée des ecclésiastiques d'un
même endroit, et que c'étoit dans
une pareille assemblée que Timo-
thée avoit été ordonné. Voyez Pres-
bytère, ÉviÈQUE.
Les disciples d'Aérius soutenoient
encore, après leur maître, que les
prières pour les morts étoient inu-
tiles; queles jeiines établis par l'E-
glise , et surtout ceux du mercredi ,
du vendredi et du carême, étoient
superstitieux; qu'il falloit plutôt
jeûner le dinnanche que les autres
jours, et qu'on ne devoit plus cé-
lébrer la pàque.Us appeloient par
mépris antiquaires , les fidèles at-
taciiés aux cércmonies prescrites
4(» AER
p ai l'Église et aux traditions ecclé-
siaslif[ue.s. Les aériens se réunirent
aux catholiques pour combatti'e les
rêveries de celte secte, qui ne sub-
sista pas long-temps. Tillcmont,
Hist. ecclés., t. g, p. 87.
Comme la plupart des erreurs
soutenues par Aérius ont été re-
nouvelées par les protestants , il
est de leur intérêt de justifier cet
hérétique. Ils disent que son prin-
cipal but étoitde réduire le chris-
tianisme à sa simplicité primitive.
« Ce dessein , dit Mosheim , est
» sans doute louable; mais les prin-
» cipes qui y portent et les moyens
» que l'on emploie sont souvent ré-
» préhensibles à plusieurs égards,
» et tel peut avoir été le cas de ce
>> réformateur. y>Hist. ecclésias., 4-'
siècle, 2.e part., c. 3, §21. Ainsi , se-
lonMosheim, Aérius pouvoitavoir
tort pour la forme , mais il avoit
raison pour le fond." Son opinion,
» dit-il encore, plut beaucoup à
» plusieurs bons chrétiens qui
» étoient las de la tyrannie et de
» l'arrogance de leurs évéques. »
Mais nous soutenons que ce ré-
formateur, très-semblable à ceux
du seizième siècle, étoit répréhen-
sible et condamnable à tous égards.
i.o Étoit-ce à un simple prêtre ,
sans autorité et sans mission, de
vouloir réformer la croj'ance et la
pratique de l'Église universelIei'S'il
croyoit y apercevoir des innova-
tions et des abus, il pouvoit faire
des représentations modestes etres-
pectueuses aux pasteurs auxquels
il appartenoit d'y pourvoir; mais
se révolter contre son évêque, lui
débaucher ses diocésains, se sépa-
rer de l'Église pour devenir chef
de secte et de parti, c'est une con-
duite condamnée par les apôtres,
et que rien ne peut excuser. 2. «Le
motif qui faisoit agir Aérius étoit
connu : c'étoit la jalousie contre
son évêque et le dépit de ne lui
avoir pas été préféré pour remplir
le siège de Sébaste ; on en étoit con-
AJ<T
vaincu par ses discours et par tou-
te sa conduite^ 3." Cet hérétique
n'attaquoit point des abus nouvel-
lement introduits, mais des usages
aussi anciens que le christianisme,"
Saint Épiphane , en le réfutant ,
lui oppose la tradition primitive,
constante et universelle de toute
l'Église chrétienne. Jftrres.yS.Vou-
loir supprimer ou changer ces no-
tions et ces usages, ce n'étoit pas
réduire le christianisme à sa sim-
plicité primitive, mais créer un
nouveau christianisme. Au qua-
trième siècle il étoit aisé de savoir
quel avoit été le christianisme de-
puisles apôtres. 4.<'Unepreuveque
ceux qui s'attachèrent à Aérius n'é-
toient pas de èo72ScAr^//ens, c'est que
cet hérétique n'admettoit pas la
divinité de Jésus-Christ; aussi ses
sectateurs et lui furent-ils chassés
de toutes les églises, réduits à s'as-
sembler dans les campagnes et dans
les forêts. 5. «Aucune secte héré-
tique n'a jamais manqué de regar-
der les pasteurs légitimes comme
des tyrans et des arrogants ; mais
aucun chef de secte n'a jamais man-
qué non plus de s'arroger une auto-
rité plus absolue et plus tyrannique
que celle des évêques ; témoins
Luther et Calvin. Il est fâcheux
qu'Aérius, un de leurs précurseurs,
ait été universellement condamné
comme novateur; cet exemple au-
roit dû les rendre plus sages. Fbj'cr
Novateurs.
AÉTIENS. Voyez Anoméens,
AFFINITÉ, parenté par allian-
ce. On trouvera dans le Diction-
naire de jurisprudence la distinction
des différentes espèces à^ affinité ,
et des divers degrés dans lesquels
c'est un empêchement dirimantdu
mariage.
Affinité SPiRrruELLE. Espèce d*al'
liance que contractent avec leur
filleul ceux qui lui servent de par-
AFF
raîn cl de marraine au Baptême ;
ils la conlractcjit encore avec le
père et la mère du baptisé; de même
celui qui baptise est censé contrac-
ter une alliance ou affinité spiri-
tuelle avec le baptisé et avec ses pcre
et mère. C'est un empêchement de
mariage sur lequel il laut consul-
ter les canonistes.Fb/es aussi V An-
cien >5«crar7icA7/a/rcparGrandcolas,
2.* part., p. 23. Lamême affinité se
contracteroit par le sacrement de
Confirmation, si c'étoit encore l'u-
sage d'y prendre des parx'ains et des
marraines.
AFFLICTION. Nous laissons
aux philosophes les réflexions que
la raison peut nous suggérer sur
l'utilité des afflictions^ et dontnous
nous servons pour répondre aux
blasphèmes des athées contre la
Providence et contre la bonté di-
vine. Notre travail doit se bornera
montrer ce que la révélation nous
enseigne sur ce point.
Déjà, du temps de Job, les af-
flictions des justes étoient un sujet
de scandale pour ceux qui se pi-
quoicnt de raisonner. Ses amis lui
soutenoient que Dieu ne l'àuroit
point affligé , s'il n'avoit pas été
pécheur; le saint homme leur ré-
pond et justifie la providence : c'est
le plus ancien exemple de dispute
philosophique dontl'histoire nous
donne connoissance. i." Job fait
parler le Seigneur pour apprendre
aux hommes que sa conduite et ses
desseins sont impénétrables , et
qu'il n'en doit compte à personne,
c. 9 , '^ .Z^. Nous ne connoissons
ni l'intérieur des hommes, ni ce
que Dieu fera pour eux dans la
suite; il y a donc bien de la témé-
rité à juger de sa providence par
le mon.ent présent.
2.0 II nosc pour principe que
l'homme n'est jamais exempt de
tout péché aux yeux de Dieu, ï'AzW.,
"^ . 2. Les afflictions qu'il éprouve
pt-uvent donc toujours être le chà-
AFF /,7
liment de ses fautes. 3.° Job sou-
tient queDieu dédommage ordinai-
rement en cemonde le juste affligé^
cap. 21, 24, 27; et il en est lui-
même un illustre exemple . l^." 11
compte surune vieàvenir. «Quand
» Dieu Tn'ôteroit la vie, dit-il, j'es-
» pérerois encore en lui Les le-
» viers de ma bière porteront mon
» espérance, elle reposera avec moi
» dans la poussière du tombeau.»
C. i3, 3k7'.i5; c. \q,1i . 16, Hebr.
Après avoir déploré la brièveté de
la vie de l'homme , il dit au Sei-
gneur: <f Accordez-lui donc quel-
» ques moments de repos, jusqu'à
» celui auquel il attend, comme le
)> mercenaire, le salaire de son tra-
» vail. » C. i4, 'S • 6.
Mais ces vérités capitales , qui
faisoient déjà la désolation des pa-
triarches,ont été mises dans un plus
grand jour par Jésus-Christ; c'est
lui qui , par ses leçons et par son
exemple , a fait comprendre aux
hommes qu'il faut acheter le bon-
heur éternel par les souffrances ,
et qui a su apprendre aux justes à
remercier Dieu des afflictions.
D'ailleurs, l'Écriture sainte nous
fait sentir que cette vie ne peut pas
être le temps de récompenser la
vertu et de punir tous les crimes.
1 .0 Cette conduite ôteroitaux justes
le mérite de la persévérance et de
la confiance en Dieu , banniroit
au monde \çs vertus héroïques ,
rendroit l'homme esclave et merce-
naire. Elle ôteroit aux pécheurs le
temps et les moyens de faire péni-
tence et de se corriger. Un être
aussi foible, aussi inconstant que
l'homme, doit-il être ainsi traité?
2. "Souvent une action qui paroît
louable , a été faite par un motif
criminel , elle est plus digne de pu-
nition que de récompense; souvent
un délit, qui paroît mériter des
supplices, est pardonnable, parce
qu'il a été commis par surprise ,
par foible.sse , par erreur . Est-il
utile à la société que tous les cri-
48
AFR
mes secrets soient dévoilés par un
châtiment éclatant ? Qui oseroit
souhaiter pour lui-même cette
Providence rigoureuse? 3.° Il fau-
droit que notre vie fût éternelle
sur la terre ; quand les peines de
ce monde pourroient suffire pour
punir tous les crimes , la félicité
de cette vie est trop iniparfaite
pour être le salaire de la vertu. 4.°
Il faudroit des miracles continuels
pour mettre les justes à couvert
des lléaux qui sont universels, et
pour empêcher les pécheurs de
prospérer par leur industrie etpar
leurs talents naturels. Ceux qui ac-
cusent la Providence sont donc des
insensés.
Dès qu'il est établi par la révé-
lation que, quand Dieu nous afflige,
c'est par miséricorde ; qu'il veut
par-là nous purifier en ce monde,
afin de nous pardonner et de nous
récompenser dans l'autre ; nous
sommes encore plus obligés de le
bénir dans les ajjliciians que dans
la prospérité.
AFFRANCHI, en latin libcriinus.
Ce terme signifie proprement un
esclave mis en liberté. Dans les
Actes des apôtres il est pai'lé de la
synagogue des affranchis , qui s'éle-
vèrent contre saint Etienne , qui
disputèrent contre lui, et qui mon-
trèrent beaucoup de chaleur à le
faire mourir. Les interprètes sont
partagés sur ces libertins ou affran-
chis : les uns croient que le texte
grec , qui porte liberiini , est fautif,
et qu'il faut lire libyslini, les Juifs
de la Lybie voisine de l'Egypte. Le
nom liberiini n'est pas grec ; et les
noms auxquels il est joint dans les
Actes , font juger que saint Luc a
voulu désigner les peuples voisins
des Cyrénéens et des Alexandrins;
mais cette conjecture n'estappuyée
sur aucun manuscrit ni sur aucune
version que l'on sache. Joan.
Drus., Cornel. à Lapid.,Mill.
D'autres croient que les affran-
AFR
clùs dont parlent les Actes éloienl
des Juifs que Pompée et Sosius
avoient emmenés captifs delà Pa-
lestine en Italie, lesquels ayant ob-
tenu la liberté, s'élablirentàRome,
et y demeurèrent jusqu'au temps
deTibère,qui les en chassa souspré-
textc de superstitions étrangères
qu'il vouloit bannir de Rome et
d'Italie. Ces affranchis purent se
retirer en assez grand nombre dans
la Judée , et avoir une synagogue à
Jérusalem , où ils étoient lorsque
saintEtienne fut lapidé. Les rabbins
enseignent qu'il y avoit dans Jéru-
salem , jusqu'à quatre cents syna-
gogues , sans compter le temple.
Œcuménius , Lyran , etc. Mais il
pouvoit y avoir en Afrique une co-
lonie nommée liberiina , puisqu'à
la conférence deCarthage, c. 116,
deuxéveques, l'un catholique, l'au-
tre donatiste , prirent tous deux
le titre à''Episcopus Ecclesiœ liber-
tinensis.
AFRICAINS , AFRIQUE. On ne
sait pas certainement qui est celui
des apôtres, ou de leurs disciples,
qui a prêché le premier la religion
chrétienne sur les côtes de 1' J(/rj-
9«e. Quelques auteursont écrit que
c'étoit l'apôtre saint Simon; d'au-
tres soutiennent que le christianis-
me ne s'est établi dans cette partie
du monde que vers l'an 120 de no-
tre èi'e. Il y avoit fait en peu de
temps de très-grands progrès, puis-
qu'au cinqiiième siècle on y comp-
toit plus de quatre cents évêques.
Les Vandales , qui pour lors se
rendirent maîtres de VAfrique y
établirent l'aiianisme; mais ils en
furent chassés sous Justinien, l'an
533. Dans le siècle suivant, les Sar-
rasins ou Arabes mahométans l'ont
subjuguée, et en ont banni le chris-
tianisme. Voyez Fabricius , Salut,
lux Baang.^ c. 44 ) F- 702.
Pour comprendre jusqu'à quel
point le christianisme avoitcbangé
le génie et le caractère àQsAfri~
eains , il n'y a qu'à comparer les
mœurs des anciens Carthaj^inois et
celles des Barbaresques d'aujour-
d'hui avec celles qui rc'gnoient dans
ce même climat du temps de Tcr-
tullien, de saint Cyprien , de saint
Augustin. Le même phénomène se
voyoit en Egypte, et subsiste encore
aujourd'hui chez les Abyssins;c'est
bien une preuve qu'il u'y a dans l'u-
nivers aucune contrée où le chris-
tianisme ne puisse s'établir et se
conserver, et que la sainteté de
cette Religion peut triompher dans
tous lesclimats.
A la vérité , lorsque l'on fait at-
tention à l'excès du rigorisme de
TertuIIien, à l'obstination avec la-
quelle les évêques à.''Ajrii]ue refu-
sèrent pendant long- temps de
reconnoîtrecomme valide le baptê-
me donné par les hérétiques, aux
fureurs atroces des donatistes et de
leurs circoncellions,'«aux mœurs de
la plupart de leurs évêques , à la
dureté avec laquelle s'expriment
plusieurs conciles de ce pays-là , on
voit qu'en général le caractère o/r/-
cain ne gardoit point de mesure ,
et donnoit presque toujours dans
l'excès. Salvien,<ie Provid. , 1. 8 ,
n. 2 et suiv. , fait des mœurs de
cette partie du monde un affreux
tableau; il soutient que l'irruption
des Vandales est une juste punition
des crimes des Africains. On est
tenté de croire que, pour conserver
long-temps le christianisme dans ce
pays-là , il falloit un miracle aussi
grand que celui que Dieu avoit fait
pour l'y établir. Cependant il y a
subsisté pendant près de six cents
ans, en y comprenant le siècle en-
tier pendant lequel l'arianisme des
Vandales y a dominé;notreReligion
n 'y a été entièrement détruite qu'en
]'an 709 , lorsque les mahométans,
pour achever la conquête de V Afri-
que^ passèrent tous les chrétiens au
fil de l'épée. Hist. de VAcad. des
Inscript. , t. 10, in-12 , p. sofi.
Aujourd'hui même une très-
I.
AGA 4f)
grande partie de V Afrique seroit
chrétienne , s'il étoit possible de
vaincre plusieurs obstacles qui
s'opposent au succès des missions,
i.o Dans plusieurs contrées de ce
vaste continent le climat est meur-
trier pour les Européens; plusieurs
des tentatives que l'on a faites pour
y établir des missions, n'ont abouti
qu'à faire périr les missionnaires ;
comme à Madagascar , au Congo ,
à Loango dans la Guinée , etc. Il
faudroit des naturels du pays pour
y établir solidement la Religion
chrétienne. 2." Les relations que les
missionnaires européens sont forcés
d'entretenir avec la nation qui les
protège, les rendent suspects aux
Africains^ qui redoutent beaucoup
le génie conquérant , l'ambition, la
rapacité et le ton impérieux des
nations de l'Europe. 3. °La politique
détestable de celles-ci les a souvent
portées à croiser le succès des mis-
sions ; parce que si les Africains
cmbrassoientie christianisme, ils ne
vendroient plus leurs compatrio-
tes, et l'on n'auroit plus de nègres
pour cultiver les colonies de l'A-
mérique. 4-° Le caractère de laplu-
part de ces peuples méridionaux
est extrêmement léger , et à peu
près semblable à celui des enfants ;
ils sont très-sensibles au moindre
intérêt temporel ; ils renoncent à
la Religion aussi aisément qu'ils
l'embrassent , dès qu'ils y trouvent
lemoindreavantage. JÉ/a//?re.se/j^Jc
la Religion, etc., pag. 222 et suiv.
Mosheim, qui n'a négligé aucune
occasion de déprimer les travauxet
les succès des missionnaires catho-
liques , a cependant été forcé de
rendre justice au zèle héroïque avec
lequel les capucins se sont livrés aux
missions de V Afrique. Hist. eccl. ,
17.*^ siècle, sect. i."^*, § 18.
AGAG, roidesAmalécites. Saiil,
vainqueurdece roi, l'avoit épargné
contre l'ordre exprès du Seigneur ;
Samuel indigné le mit à mort de-
4
5o AGA
vantle tabernacle. J, Bci;. ,c. i5 , i
y^. 33 . On reproche à Samuel ce !
ineurtre,non -seulement comme un
acte de cruauté, mais comme un
sacrifice de sang humain offert à
Dieu.
Il n'étoit point là qu-eslion desa-
crifice , miais d'exécuter l'ordre de
Dieu, et de ti-aiter un ennenxi dans
toutelarif^ueurdu droit delà guer-
re,tel qu'il étoitconnu et suivipour
lors. Loin d'agir par un motif de
cruauté, Samuel veut punir Agag
de ses cruautés. « De même , lui
» dit-il , que ton épée a privé les
» mères de leurs enfants , ainsi la
» mère sera privée de toi. » Saiil
lui-même reconnut qu'il avoit eu
tort d'épargner Agag. Ibid., _y.3o.
Maisles incrédules forment con-
tre Samuel une accusation plus
grave , c'est d'avoir été la cause de
cette guerre: rien ne leur paroi t
plus injuste que d'avoirengagé Saiil
à exterminer entièrement les Ama-
lécites , sous prétexte que , quatre
cents ans auparavant , leurs ancê-
tres avoient refusé aux Israélites ,
sortant dé l'Egypte le passage sur
leurs terres.
Est-ce là véritablement tout le
crime des Amalécitesi^ Non-seule-
ment ils avoient refusé le passage,
mais ils étoient tombés sur ceux des
Israélites qui étoient restés en ar-
rière, épuisés de faim et de fatigues,
et les avoient massacres sans rai son
etsanscrainte de Dieu. Voilà pour-
quoi Dieu donna aux Israélites
l'ordre suivant : « Lorsque le Sci-
» gneur vous aura donne le repos
» dans la terre qu'il vous a promise,
» vous exterminerez de dessous le
» ciel lenom d'Amnlec. » Dealer. ,
G. aS, y. 17. Ce même ordre avoit
déjà été donné au moment que les
Amalécites vinrent attaquer les
Israélites. Exod. , c. 17 , jl^. 8 el
i4- Sous les juges, ils se joignirent
deux fois aux Moabites et aux Ma-
dianites, pour mettre les posses-
sions des Israélites a feu elà san».
AGA
,/HJ.,c.4,!)i^i3;c.6,^.3.Ilsavoient
donc mérité la vengeance qui fut
exercée contre eux, et Samuel étoit
bien fondé à demander que l'ordre
du Seigneur fiit exécuté à la rigueur.
Mais pourquoi , disent nos cen-
seurs , exterminer non-seulement
les hommes ,mais les animauxi'Par-
ce que Dieu l'avoil ainsi ordonné ;
parce que les Amalécites avoientagi
de même envers les Israélites, Jud. ,
c. 6, ^ . 4 ; parce qu'en épargnant
le bétail, les Israël itesauroient paru
agir par cupidité, et non par obéis-
sance à l'ordre de Dieu.
AGAPES, du grec àyâ-nvi ^
amour : repas de charité que fai-
soient entre eux les premiers chré-
tiens dans leurs assemblées , pour
cimenter la concorde et l'union
entre les membres du même
corps , et pour rétablir du moins
au pied des autels la fraternité dé-
truite dans la société civile parla
trop grande inégalité des condi-
tions.
Dans les commencements , ces
agapes se passoient sans désordre
et sans scandale ; il le paroît par ce
que saintPaul en écrivit aux Corin-
thiens, Fpist. J, c. II. Les païens,
qui n'en connoissoient ni la police
ni la fin, en prirent occasion de
faire aux premiers fidèles les repro-
ches les plus odieux. On les accusa
d'égorger des enfants, d'en manger
la chair , de se livrer dans les té-
nèbres à l'impudicité ; le peuple
crédule ajouta foi à ces calomnies.
MaisPline, après des informations
exactes, en rendit compteàTi'ajan,
et assura que , dans les agapes ,
tout respiroit l'innocence et la
frugalité.
L'empereur Julien , quoic'u'en-
nemi déclaré des chrétiens , conve-
noit que leur charité envers les
pauvres, leurs agapes, le soin que
leurs prêtres prenoicnt des misé-
rables , étoient un des principaux
attraits par lesquels ilsengageoienl
AGA
lospaïcnsà embrasser lourreli^^ion.
Œiiv. de Julien fédit. dcSpanhcIni,
p. 3o5.
Les j)aRlC)irs, pour bannir loiilc
ombre de licence, dclondircnt que
le baiser/de paix par lequel s'uuis-
soit l'assemblée , se donnât entre
les personnes de sexe différent, et
q u'on d ressà t des 1 i ts dans les égl ises
pouryinanger plus commodément;
mais divers autres abus engagèrent
insensiblement à supprimer les
agapes. SAini Ambroisey travailla
si efficacement, que, dans l'Eglise
de Milan, l'usage en cessa entiè-
rement. Dans celle d'Alrique , il
ne subsista plus qu'en laveur des
clercs, etpour exercer l'hospitalité
envers les étrangers; mais ce ne tut
pas sans peine que saintAugustin
vint a bout de taire supprimer à
Hippone cette coutume de majiger
dans l'église , abus qui avoit été
détendu parle concile de Laodicée,
can . i8; il tut obligé de prendre
toutes les précautions et d'user
de tous les ménagements possibles.
Mcm.de Tilleni., tom.i3, pag.206.
Il y a eu entre les savants plu-
sieui's contestations pour savoir si
la communion de l'eucharistie se
faisoit avant ou après le repas des
agapes ; il paroît que dans l'origine
elle se laisoil après, afin d'imiter
yjlus exactement l'action de Jésus-
Christ , qui n'institua l'eucharistie
et ne communia ses apôtres qu'a-
près la cène qu'il venoit' de taire
avec eux. Cependant l'on comprit
bientôt qu'il étoit mieux de rece-
voir reucharistieàjeun,etil paroît
i\nQ cet usage s'établit des le second
siècle; mais le troisième concile de
Carthage , en l'ordonnant ainsi ,
excepta le jour du jeudi saint, au-
i|uel on continua de taire les agapes
avant la communion. L'on en con-
<lut que la discipline, sur ce point,
ne l'ut pas d'abord uniforme par-
tout, liingham. Orig,Eccles.^\. i5,
Quebiuos écrivains prelendcnt
AGA
5i
que ces rt^a/7Csétoienlunc coutume
empruntée du paganisme ; c'étoit
un des reproches de Fauste le ma-
nichéen.
Ils ne font pas attention que les
Juifs étoient dans l'usage de manger
des victimes qu'ils immoloient au
vrai Dieu , et qu'en ces occasions
ils rassembloient leurs parents et
leurs amis. Le christianisme , qui
avoit pris naissance parmi eux ,
en prit cette coutume, indifférente
en elle-même, mais bonne et loua-
ble par le motif qui la dirigeoit.
Les premiers fidèles , d'abord en
petit nombre , se considéroient
comme une famille de frères , et
vivoient en commun : l'esprit de
charité institua ces repas, où ré-
gnoitlatempérance; multipliés par
la suite , ils voulurent conserver
cet usage des premiers temps; les
abus s'y glissèrent , et l'Église fut
obligée de l'interdire.
Saint Grégoire le Grand permit
aux Anglois nouvellement conver-
tis de faire des festins sous des ten-
tes ou des feuillages, au jour de la
dédicace de leurs églises ou des fêtes
des martyrs , auprès des églises ,
mais non pas dans leur enceinte.
On rencontre aussi quelques traces
des agapes dans l'usage où sont
plusieurs églises cathédrales ou col-
légiales , de faire, le jeudi saint,
après le lavement des pieds et celui
des autels , une collaiicn dans lu
chapitre , le vestiaire , et même
dans l'église. St. Grég., i'p. 71, I.
9; Baronius, ad c/î/î. Sy, 877,384;
Fleury, Hisl. ccc/es., t. i, p. 64, l-i.
AGAPÈTES. C'étoient, dans la
primitive Église , des vierges qui
vivoient en communauté , et qui
servoient les ecclésiastiques par
pur motif de piété et de charité.
Ce mot signifie bien-aimée , et,
comme le précédent, il est dérivé
du grec.
Dans la première ferveurde l'E-
glise naissante, ces pieuses sociétés,
4.
52 AGA
loin d'avoir rien de criminel ,
étoicnt nécessaires à bientles égards.
Le petit nombre de vierges qui fai-
soient, avec la mère du Sauveur,
partie de l'Eglise, etdontlaplupart
étoient parentes de Jésus-Christ ou
deses apôtres, ontvécu en commun
avec eux comme avec tous les autres
fidèles. Il en lut de même de celles
que quelques apôtres prirent avec
eux en allant prêcher l'Evangile
aux nations; outre qu'elles étoient
probablement leurs proches pa-
rentes , et d'ailleurs d'un âge et
d'une vertu hors de tout soupçon,
ils ne les retinrent auprès de leurs
personnes que pour le seul intérêt
de l'Evangile, afin de p(5uvoir par
leur moyen, comme dit saint Clé-
ment d'Alexandrie , introduire la
foi dans certaines maisons , dont
l'accès n'étoit permis qu'aux fem-
mes. On sait que chez les Grecs
leur appartement étoit séparé , et
qu'elles avoient rarement commu-
nication avec les hommes du
dehors. Onpeutdire la mêmechose
des vierges dontlepèreétoitpromu
aux ordres sacrés , comme des
quatre filles de saint Philippe ,
diacre, etde plusieurs autres. Mais,
hors de ces cas privilégiés et de
nécessité, il ne paroît pas que l'E-
glise ait jamais souffert que des
vierges, sous quelque prétexte que
ce fut, vécussent avec des ecclé-
siastiques autres que leurs plus
proches parents. On voit par ses
plus anciens monuments qu'elle a
toujours interdit ces sortes de so-
ciétés. Tertullien, dans son livre
sur le Voile des (^ierffes,j)ein t leur état
comme un engagement indispen-
sable à vivre éloignées des regards
des hommes; à plus forte raison,
à fuir toute cohabitation avec eux.
Saint Cyprien , dans une de ses
Epitres, assure aux vierges de son
temps , que l'Eglise ne pouvoit
souffrirnon-seulemenl qu'on les vît
loger sous le même toit avec des
hommes, mais encore manger à la
AGA
même table: le même saint évcque
instruit qu'un de ses collègues vc
noitd'excommunierundiacrepour
avoir logé plusieurs fois avec une
vierge, félicite ce prélat de cette ac-
tion comime d'un trait digne de la
prudence et de la fermeté épisco-
pale ; enfin les Pères du concile ùp.
Nicée détendent expressément à
tous les ecclésiastiques d'avoir chez
eux de ces femmes qu'on appeloit
subintroductœ, si ce n'étoit leur mè-
re, leur sœur, ou leur tante pater-
nelle, à l'égard desquelles , disent-
ils, ce seroit une horreur de penser
que des ministres du Seigneur fus-
sent capables de violer les droits de
la nature.
Par cette doctrine des Pères, et
par les précautions prises par le
concile de Nicée , il est probable
que la fréquentation des agapètts
et des ecclésiastiques avoit occa-
sionné des désordres et des scanda-
les. C'est ce que semble insinuer
saint Jérôme , quand il demande
avec une sorte d'indignation: Undè
agapefarum peslis in Ecclesiani in-
troii>it? C'est à cette même fin que
saint Jean-Chrysostôme, après sa
promotion au siège de Constanti-
nople, écrivit deux petits traités
sur le danger de ces sociétés ; et
enfin le concile général deLatran,
sous Innocent Ili , en iiSg , les
abolit entièrement.
Les protestants et tous ceux qui
on t écrit contre le célibat des clercs,
ont fait grand bruit des scandales
qui naquirent de la fréquentation
des agapètes avec les ecclésias tiques;
il semble, à les entendre, que cet
abus étoit très-commun , que les
lois de l'Eglise ne furent pas suffi-
santes pour le déraciner , et qu'il
fallut pour cela recourir à l'auto-
rité des empereurs ; ils ont répété
vingt fois le mot de saint Jérôme
que nous venons de citer
C'est ainsi ([ue , par des exagé-
rations ridicules , on trompe les
lecteurs, i." Ces déclamateurs ne
AGA
font pas allciUioii que la fréquen-
tation dont nous pavions avoil lieu
avant qu'il y eût une !oi générale
du célibat pour les ecclésiastiques;
cette loi ne lut pas même portée
dans le concile de Nicée, qui dé-
iendi taux clercs promus aux ordres
sacrés de retenir chez eux des per-
sonnes qui ne lussent pas leurs
proches parentes : ce n'est donc pas
la loi du célibat qui donna lieu à
leur société avec les ai;ufièfcs , ou
femmes sous-iniroduUes. 2..° Tous
les exemples que l'un a pu citer de
rc scandale de réduisentà deux ou
lrois,à celui de Paul deSamosatequi
retexioit chez lui deux jeunes per-
sonnes , et ce lut une des causes de
sa déposition •, ei à deux diacres
dont parle saint Cyprien dans ses
lettres , et qui furent excommuniés
par leur évéquc. Ces châtiments
exemplaires n'étoientpas fort pro-
pres à persuader aux clercs qu'ils
pouvoient être scandaleux impu-
nément. Les autres scandales que
saint Cyprien reprochoit à des
vierges ne regardoient pas les ec-
clésiastiques; du moins il n'y a rien
dans ses expressions qui le témoi-
gne. 3." Quand il ne serolt arrivé
dans toute l'Eglise à ce sujet qu'un
seul scandale dans cinquante ans ,
c'en a été assez pour donner lieu
aux lois qui ont été faites pour le
[) révenir , soit par les conciles , soit
par les empereurs ; et il ne s'ensuit
point pour cela que le désordre
ait été commun. Ne sait-on pas
que le moindre soupçon , formé
contre la conduite d'un ecclésias-
tique connu, suffit pour exciter
une grande rumeur et faire parler
tout le monde i* /^.° Lorsque saint
Jérôme s'est élevé contre les héré-
tiques et leur a reproché leurs dés-
ordres, nos adversaires le regar-
dent comme un déclamaleur,et lui
refusent toute croyance; ici , parce
qu'il tonne contre les ecclésias-
tiques de son temps, ils argumen-
tent sur ses expressions comme
AGG
53
sur des paroles sacramentelles. Et
voilà comme les protestants et les
incrédules, leurs élèves , ont traité
l'histoire ecclésiastique; un seul
fait désavantageux au clergé, qu'ils
peuvent citer , est pour eux un
triomphe ; vingt exemples de vertu
ne leur paroissent mériter aucune
attention.
Le nom d'agapètes fut encore
donné , vers l'an SgS , à une secte
de gnosti({ues qui étoit principa-
lement composée de femmes. Colles-
ci s'attar.hoient les jeunes gens ,
en leur enseignant qu'il n'y avoit
rien d'impur pour les consciences
p ures. Une de leurs maximes « étoit
» de jurer et de se parjurer sans
» scrupule, plutôt que de révéler
» les secrets de la secte. On a vu
» régner le même esprit parmi
» tous les hérétiques débauchés. »
Saint Ang. , Hœr. 70.
Il ne faut pas confondre les aga~
pcics avec les diaconesses. Voyez
Djaconesse.
AGGÉE , le dixième des douze
petits prophètes , naquit pendant
la captivité des Juifs à Babylone ;
et après leur retour, il exhorta vive-
ment Zorobabel , prince de Juda ,
le grand-prêtre Jésus , fils de Jo-
sédech, et tout le peuple, au réta-
blissement du temple ; il leur re-
pi-oche leur négligence à cet égard,
leur promet que Dieu rendra ce
second temple plus illustre et plus
glorieux que le premier, non par
l'abondance de l'or et de l'argent,
mais par la présence du Messie.
C. 2, ^'. 7 et suiv.
Cette prophétie est formelle ; les
termes ne peuvent pas être plus
clairs. « Encore un peu de temps,
» et j'ébranlerai le ciel, la terre,
» la mer et tout l'univers , je met-
» trai en mouvement tous les peu-
» pies , et le désiré de toutes les
» nations viendra. Je remplirai
» ainsi de gloire celle maison, dit
» le Seigneur des armées : l'or «1
54 AGN
» l'argent sonlàinoi;in;iis!a {gloire
V de cette maison sera plus grande
» que celle de la première , et je
» donnerai la paix en ce lieu. »
Le désiré de toutes les nations ne
peutpas être un autre que leMessie.
Selon la prophétie de Jacob, il
doit rassembler les nations ; selon
les promesses faites à Abraham ,
toutes les nations de la terre doi-
vent être bénies en lui ; selon les
prédictions d'Isaïe, les nations es-
péreront en lui , et les îles atten-
dront sa loi, etc. Tacite, Suétone
et Josèphe nous apprennent qu'à
l'avènement de Jésus-Christ, tout
l'Orient étoit persuadé qu'unper-
sonnagc sorti de la Judée seroit le
maître du monde. A la venue du
Sauveur , le ciel , la terre , la mer
ont été ébranlés par les prodiges
qui ont paru; le concert des anges
qui ont annoncé sa naissance, l'é-
toile qui l'a indiquée aux mages ,
le ciel ouvert à son baptême , les
ténèbres qui ont couvert la Judée
à sa mort , son ascension, la des-
cente du Saint-Esprit, ont été au-
tant de prodiges opérés dans le ciel;
il a calmé les tempêtes, et a rem-
pli toute la Judée de ses miracles.
Avant sa naissance, les guerres des
Juifs contre les rois de Syrie; après
sa mort , la conquête de la Judée
par les Romains, ont mis tous les
peuples en mouvement. Le second
temple étoit beaucoup moins riche
que le premier ; mais il a été sanc-
tifié et honoré par la présence du
Messie , qui y a opéré plusieurs
miracles, et qui y a prêché l'Evan-
gile de la paix.
Aussi les auteurs du Talmud ont
entendu comme nous cette pro-
j)hétie de l'avènement du Messie.
Galatin^ 1. 8, c. g,
AGIOGRAPHE. Kofcz IIagio-
GRAPHE.
AGNEAU PASCAL. C'est la
victime qu'il est ordonné aux Juifs
AGN
d'immoler en mémoire de leur
sortie miraculeuse de l'Egypte.
Voyez Paque. Saint Paul dit aux
chrétiens que Jésus-Chrisl a été
immolé pour être notre agneau
pascal^ ou notre Pàque. J. Cor.,
c. 5, S ' 1 ' L'Eglise répète dans hç^s
prières ce que saint Jean-Baptiste
a dit de Jésus-Christ, qu'il est VA-
gneau de Dieu , qui ôte les péchéa
du monde. Joan. , c. i, ^. 26.
AGNOETES, AGNOITES, secte
d'hérétiques qui sulvoient l'erreur
de Théophrone de Cappadoce, le-
quel attaquoit la science de Dieu
sur les choses futures , présentes
et passées. Les eunomicns, ne pou-
vant souffrir cette erreur, le chas-
sèrent de leur communion , et il
se fit chef d'une secte à laquelle on
donna le nom à''eunomisphroniens .
Socrate, Sozomène et Nicéphore,
qui parlent de ces hérétiques, ajou-
tent qu'ils changèrent aussi la
forme du baptême usitée dans l'E-
glise, ne baptisant plus au nom de
la Trinité, mais au nom de la mort
de Jésus-Christ. Cette secte com-
mença sous l'empire de Valens ,
vers l'an du salut Syo.
Agnoïtes ou Agnoètes , secte
d'eutychiens dont Thémistius fut
l'auteur dans le sixième siècle. Jls
soutenoient que Jésus-Christ , en
tant qu'homme, ignoroit certaines
choses, et particulièrement le jour
du jugement dernier.
Ce mot vient du grec àyvo-r,:iiç ,
ignorant, dérivé d'à/voeTy, ignorer.
Eulogius, patriarche d'Alexan-
drie, qui écrivit contre les agno'iies
sur la fin du sixième siècle, attri-
bue cette erreur à quelques soli-
taires qui habitoient dans le voi-
sinage de Jérusalem, et qui, pour
la défendre, alléguoient différents
textes dunouveau Testament, entre
autres celuidesaintMarc,chap. i3,
y. 32, que nul homme sur la terre
ne sait ni le jour ni l'heure du
jugement , ni les anges qui sont
AGN AGN 55
ilaiis le ciel, ni même le Fils, mais
le Père seul. Les sociiiiens se ser-
vent aussi de ce passage pour at-
taquer la divinité de Jésus-Christ,
Les théolof^iens catholiques ré-
pondent, i.° que, dans saint Maïc,
il n'est pas question du jour du
jugement dernier, mais du jour au-
<|uel Jésus-Christ devoit venir jm-
nir la nation juive par Tépee des
Romains ; 2.° que Jésus-Christ ,
même comme homme, n'iguoroil
pas le jour du jugement, puisqtj'i!
en avoit prédit l'heure, iuc, c.ôy.
j. 3i ; le lieu, Maiih., c. -^^ , > .
28; les signes et les causes, Luc. ,
C.21 ,y. 25. Maisque par ces paroles
le Sauveur vouloit réprimer la
curiosité indiscrète de ses disciples,
en leur faisant entendre qu'il n'é-
toit pas à propos qu'il leur révélât
ce secret. Sa réponse a le même
sens que celle d'un père qui dit à
un entant trop curieux : Je ncn
sais rien.
Ainsi l'ont entendu saint Basile,
saint Augustin, et d'autres Pères
de l'Eglise.
En effet, Jésus-Christ dit de lui-
même , Jnan. , c. 12 , jy, 49 : « Je
» ne parle pas de moi-même , je
j) ne dis que ce qui m'a été ordonné
» par mon Père qui m'a envoyé. »
JLl,Act., c. i,^ . 7, il répond à une
autre question que lui faisoient ses
apôtres : « Ce n'est point à vous de
» connoître les temps ni les mo-
)> ments que le Père lient en sa
» puissance .» SaintPaul dit d'ail-
leurs qu'en Jésus-Christ sont ca-
chés tous les trésors de la sagesse
et delà science. Co/os5., c.2,y.3.
hesagnoi'ies oLjectoient encore ,
aussi-bien que les ariens, le passage 1 cierge pascal, prenoit d'autre cire,
de l'évangile selon saint Luc, c. 2 , j sur laquelle il versoit de l'huile,
3ï^.52,où ilestditque Jésus crois- en faisoit divers morceaux défigure
soit en sagesse , en âge et m grâce, | d'agneaux, les bénissoit et les dis-
devantDieuct devant leshommes. ' tribuoit au peuple. Telle estl'ori-
yi . i^: " Nous avons vu sa gloire ,
» telle qu'elle convient au Fils
» unique du Père , rempli de grâce
» et de vérité, par conséquent de
» science et de sagesse. «Pétau, Je
Incarn. ,1, 1 1 , c. 2.
Par cette contestation et parla
plu[)art des autres disputes, il est
évident que l'on ne pourroit jamais
terminer aucune question avec les
hérétiques , si l'on s'en tenoit à
l'Ecriture toute seule , et qu'il taut
nécessairement recourir à la tradi-
tion, pour en prendrele vrai sens.
Aussi plusieurs prolestants sont
tombés dans la même erreur que
les sociniens touchant la science
de Jésus-Christ. Noie de Feuardent
sur saint Jrénée, l. 2, c. 49-
AGNUS DEI, est un nom que
l'on donne aux pains de cire em-
preints de la figure d'un agneau
portant l'étendard de la croix, et
que le pape bénit solennellement
ledimanchem«/è/s,aprèssa consé-
cration, et ensuite de sept ans en
sept ans , pour être distribués au
peuple.
L'origine de cette cérémonie
vient d'une coutume ancienne dans
l'Eglise de Rome. On prenoit au-
trefois, le dimanche m albis, le reste
du cierge pascal béni le jour du
samedi saint, et on le distribuoit
au peuple par morceaux. Chacun
les briàloit dans sa maison, dans les
chamjjs , les vignes , etc. , comme
un préservatif contre les prestiges
du démon , et contre les tempêtes
et les orages . Cela se pratiquoit
ainsi hors de Rome; mais dans la
ville , l'archidiacre , au lieu du
I/esPères répondoient que cela doit
s'entendre tout au plus des appa-
rences extérieures , puisque saint
Jean dit dans son évangile, c. i ,
gine «les Agnus Vei, que leS papes
ont depuis bénis avec plus de cé-
rémonies. Le sacristain les prépare
long-lemps avant la bénédiction.
56 AGO
Le pape, revêtu de ses habits ponti-
ficaux, les trempe dans l'eau bénite,
et les bénit après qu'on les en a
retirés. On les met dans une boîte
qu'un sous-diacre apporte au pape
a la mes.se, après Vagnus Dei , et
les lui présente en répétant trois
fois ces paroles : Ce sont ici de jeunes
agneaux qui vous ont annoncé Z'al-
leluid ; voilà qu'ils viennent à la
fontaine, pleins de charité, a\\ç\\i\2i.
Ensuite le pape les distribue aux
cardinaux, éveques , prélats, etc.
On croit qu'il n'y a que ceux qui
sont dans les ordres sacrés qui
puissent les toucher ; c'est pour-
quoi on les couvre de morceaux
d'étoffe proprement travaillés ,
pour les donner aux laïcs. Quel-
ques écrivains en rendent plusieurs
raisons mystiques , et leur attri-
buent plusieurs effets. Voy. l'Or-
dre romain , Amalarius , Valafrid,
Strabon , Sirmond dans ses Noies
sur Ennodius , Théophile Ray-
naud , etc.
Agnus Dei, partie de la liturgie
de l'Eglise romaine, ou prière de
la messe entre le Pater et la com-
munion.C'est l'endroit de la messe
où le prêtre, se frappant trois fois
la poitrine, répète autant de fois à
voix intelligible : Agneau de Dieu ,
qui ôtez les péchés du monde, par-
donnez-nous. C'est une profession
de foi de l' universalité de la ré-
demption, qui est tirée de l'Evan-
gile. Jba/2., c, I , ^. 29.
Isaïe avoit déjà dit dans le même
sens, c. 53 , }^'. 6 : « Nous nous
» sommes tous égarés comme des
» brebis..., et Dieu a mis sur lui
» l'iniquité de nous tous. »Lebrun,
Explic. des Cérém. , tom. 1 1 , p. 577.
AGOBARD, archevêque deLyon
dans le neuvième siècle , est au
nombre des écrivains ecclésias-
tiques. Il prouva , contre Félix
d'Urgel , que Jésus-Christ n'est pas
seulement fils de Dieu par adop-
tion, mais par nature : il écrivit
AGO
contre les duels, les épreuves su-
perstitieuses du feu et de l'eau ,
l'abus des biens ecclésiastiques ,
et contre plusieurs erreurs popu-
laires. Il mourut en 840. La meil-
leure édition de ses ouvrages est
celle de Baluse , faite en i666 , en
2 vol. in-^.°
Les protestants ont voulu mettre
cet archevêque au nombre de ceux
qu'ils nomment les témoins de la
vérité^ parce qu'il attaqua les su-
perstitions de son siècle : preuve
frivole et qui ne mérite aucune
attention. Basnage a voulu aussi
faire douter de la foi à'' Agobard
touchant l'Eucharistie ; mais il est
constant que cet écrivain a pro-
fessé formellement la croyance de
l'Eglise sur ce point dans plusieurs
endroits de ses ouvrages.
AGONIE , AGONISANT . Ce
terme vient du grec àyàv , com-
bat. Les censeurs de la religion
chrétienne ont poussé la préven-
tion jusqu'à faire un crime à l'E-
glise catholique de la charité qu'elle
témoigne aux fidèles prêts à sortir
de ce monde, et des secours spiri-
tuels qu'elle s'efforce de leur pro-
curer : ils ont dit que c'est une
cruauté de faire envisager à un
mourant sa fin prochaine , et de
mettre déjà sous ses youx une par-
tie de l'appareil de sa pompe fu-
nèbre. Cette réflexion de leur part
dénaontre sans doute que ce dernier
moment est terrible pour eux; mais
il ne l'est point pour un chrétien
qui croit en Dieu , qui espère en
Jésus-Christ, qui attend avec con-
fiance une vie éternelle. Les confré-
ries des agonisanls , les prières que
l'on y récite, celles que l'on dit
auprès d'un malade , les derniers
sacrements , sont une consolation
pour lui ; il les demande, il se tran-
quillise sur l'intercession del'Eglise
et sur les vœux de ses frères ; il les
regarde comme la dernière marque
d'amitié que l'on peut lui donner.
AGO
l-n père 411! bénit ses enfants ras-
semblés, prosternés et fondant en
Jarines , est certainement nn grand
spectacle. Souvent il a fait rentrer
en eux-mêmes des pécheurs qui
n'y étoient guère disposés; et, si le
philosophe le plus intrépide avoit
de temps en temps cet objet sous
les yeux , ce seroit peut-être la
meilleure réponse à toutes ses ob-
jections.
Agotsie T)E Jésus-Christ. Quel-
ques moments avant d'être saisi
par les Juifs , Jésus-Christ , priant
au jardin des Olives, est tombe en
l'oiblesse et à Vagonie; il a conjuré
son Père d'écarter de lui le calice
des souffrances ; il a sué sang et eau.
Celse , dans Origène, liv.2,n. 28;
les juifs, dans le Munimen fidd ^
sec. partie , c. 24 ; les incrédules
modernes, ont insisté à l'euvi sur
cette circonstance. « L'Homme-
» Dieu , disent-ils, aux approches
» de la mort, montre une foiblesse
» dont un hommie courageux rou-
» giroit en pareil cas.»
Nous les prions de considérer ,
1.° que Jésus-Christ avoit prédit
plus d'une fois à %e% disciples sa
passion et sa naort; il venoit encore
de leur en parler après la dernière
cène. Il nommoit !iç.& soufFra'nces
le moment de sa gloire ; il avoit
constamment annoncé sa résurrec-
tion. 2." Il ne lenoit qu'à lui de
tromper le dessein de Judas et des
Juifs ; s'il étoit allé passer la nuit
ailleurs, s'il s'étoit éloigné de Jéru-
salem, ses ennemis auroient man-
qué leur proie. 3.° Au moment
qu'il sait leur approche, il se lève,
éveille ses disciples, va au-devant
des soldats, se présente à eux d'un
air intrépide, les renverse par terre
d'un seul mot, leur fait sentir qu'il
est le maître de les exterminer ou
de se livrer entre leurs mains.
Par son agonie , Jésus-Christ
vouloit nous apprendre que la ré-
pugnance naturelle de souffrir et
de mourirn'est pasun crime, lors-
AIII «;7
qu'elle est jointe à une parfaite
soumission à Dieu. 11 vouloit in-
struire les martyrs, leur apprendre
qu'il faut attendre la mort et non
la pi'ovoquer. 11 finit sa prière par
ces paroles : ISlon Père , que votre
volonté se fasse et non la mienne.
Un philosophe moderne est con-
venu qu'il y a un extrême courage a
marcher à la mort en la redoutant.
Voyez Dissertât, sur la sueur de
sang , etc. Bible d'Ai^ignon, t. i3,
p. 468.
AGONISTIQUES , nom par le-
quel Donat et les donatistes dé-
signoient les prédicateurs qu'ils
envoyoient dans les villes et dans
les campagnes pour répandre leur
doctrine , et qu'ils regardoient
comme autant de combattants pro-
pres à leur conquérir des disciples.
On lesappeloit ailleurs ci'rcz/i/eur^,
circellions, circoncellions , catropites,
coropiles , et à Rome montenses.
L'histoire ecclésiastique est pleine
des violences qu'ils exerçoient con-
tre les catholiques. Voyez Circon-
cellions , Donatistes, etc.
AGONYCLITES , hérétiques du
huitième siècle qui avoient pour
maxime de ne prier jamais à ge-
noux , mais debout.
Cemot est composé d'aprivatif,
de yovy , genou , et du verbe xh'vco ,
incliner , plier , courber.
AGYlSfNIENS, hérétiques nom-
més aussi agioniies , ou agionois ,
qui parurent environ l'an de Jé-
sus-Christ 694. Ils ne prenoient
point de femmes, et prétendoienf
que Dieu n'étoit pas auteur du
mariage ; leur nom vient d'à pri-
vatif et de yvvY), femme. Cette secte
paroît avoir été un rejeton des ma-
nichéens.
AIIIAS , prophète du Seigneur,
dont il est parlé, JII. Ecg.,c. 11 .
X- 29. C'est lui qui , sous le règne
B8 AHI
de Salomon , annonça à Jéroboara
qu'après la mort de ce roi , il rè-
gneroit lui-même sur dix des tribus
d'Israël ; sa prophétie s'accomplit
en effet sous Roboara , fils de Sa-
lomon , parce que ce jeune roi
traita avec dureté le peuple qui
lui dcmandoit d'être déchargé
d'une partie des impôts.
De là les incrédules modernes
ont pris occasion d'assurer que ce
prophète lut la cause du schisme
de ces dix tribus , de toutes les
guerres et de tous les maux qui
s'ensuivirent ; que ce fut lui qui
inspira à Jéroboam l'ambition et
le projet de parvenir à la royauté.
Ils en ont conclu qu'en général
les prophètes étoient des rebelles
fanatiques, quisoulevolent les su-
jets contre leur roi, qui souflloient
le feu de la discorde , et qui , par
leurs prétendues prophéties , tou-
jours crues par le peuple, furent
enfin la cause de la ruine de leur
nation.
Ce reproche est grave ; niais a-
t-il quelque fondement dans l'his-
toire ?
i." Nos censeurs supposent que
la prédiction à'Ahias fut faite à
Jéroboam après la mort de Sa-
lomon ; c'est une fausseté, Salomon
vivoit encore : si ce prophète n'é-
toit qu'un fanatique , comment
put-il prévoir que Roboam , monté
.su rie trône, rebuteroit le peuple;
que le peuple se mutineroit ; que
dix tribus , ni plus ni moins , se-
coueroient le joug, et se donne-
roient un autre roi ? Jéroboam
conçut alors si peu le dessein de
parvenir à la royauté , qu'il se
sauva eu Egj-^ple, et qu'il n'en re-
vint qu'après la mort de Salomon.
2.° Nous ne voyons point qu'^-
hias ait eu aucune part au soulè-
vement du peuple , ni qu'il y ait
contribué en rien. La seule cause
de cette révolte fut la réponse dure
et menaçante que fit Roboam aux
plaintes de cette multitude assem-
AIII
blée. Dieu lui-même avoit révélé
à Salomon ce qui arriveroit après
sa mort; Ahias ne fit que confir-
mer la prédiction. Si Salomon n'en
profita pas pour donner de salu-
taires leçons à son fils, il fut cou-
pable; ce n'est point au prophète
qu'il faut en attribuer la iaute.
III. Beg., c. li ,f. II.
3.° Jéroboam lui-même ne pa-
roît être entré pour rien dans la
sédition. Il est dit que les tribus
mécontentes s'en retournèrent cha-
cune chez elle; que Roboam ayant
envoyé un de ses officiers pour les
ramener à l'obéissance , elles le
lapidèrent; que le roi lui-même
s'enfuit de Sichem à Jérusalem ;
qu'ensuite les tribus ayant appris
que Jéroboam étoit de retour d'E-
gypte, elles lui envoyèrent des dé-
putés , le firent venir dans leur
assemblée, et l'établirent roi d'Is-
raël. Ce fut donc de letir propre
mouvement qu'elles le choisirent,
et non point par l'instigation du
prophète. Ibid. , c. 12, "^ . 16. Si
elles avoient eu connoissance de
sa prédiction, sans doute elles au-
roient commencé par m.ettre Jé-
roboam à leur tête, avant de mettre
à mort l'officier de Roboam.
4.° Les prophètes , loin de souf-
fler le feu de la discorde à cette
occasion , empêchèrent la guerre
et l'effusion du sang. Lorsque Ro-
boam eut fait prendre les armes
aux tribus de Juda et de Benja-
min , pour forcer les dix tribus
rebelles à rentrer sous le joug, le
prophète Séméïas leur défendit de
la part de Dieu de combattre contre
leurs frères; ils n'allèrent pas plus
loin , et la guerre n'eut pas lieu.
Ibid., c. 12, y. 22. Quelques in-
crédules ont encore trouvé bon de
reprocher à ce prophète qu'il avoit
confirmé les rebelles dans leur
schisme. Mais nous les défions de
citer un seul prophète du Seigneur
qui ait excité le peuple à se sou-
lever contre son souverain, soit
AIN
lîans le royaume d'Israël, soit dans
celui de Juda.
5.° Nous lie voyons pas qncJé-
roboam ait reconnu par aucun
bicnl'ait le service que lui avoil
rendu le prophète AJnas ; loin de
suivre ses leçons , il engagea les
Israélites dans l'idolâtrie. Aussi ,
lorsqu'il envoya son épouse dé-
{^uisée pour consulter Ahios sur
la maladie de son fils, ce prophète,
quoique devenu aveugle de vieil-
lesse , la reconnut avant inéme
qu'elle eut parlé ; il lui annonça
sans ménagement la mort pro-
<:haiiie de cet enfant, et les châti-
ments terribles queUieuexerceroit
sur la race de Jéroboam en puni-
tion de son idolâtrie. Jô/rf. , c. i!^.
Des prophètes imposteurs et fa-
natiques auroient cherché sans
doute à faire leur cour et à mé-
nager les rois ; nous voyons au
contraire les prophètes juifs tou-
jours prêts à reprocher aux rois
tous leurs crimes, à leur prédire
des châtiments et à braver la mort ,
pour s'acquitter des ordres qu'ils
avoient reçus de Dieu. Leur attri-
buer les miaux qui sont arrivés ,
c'est vouloir qu'ils aient été la
cause de la perversité des princes
qui n'ont jamais voulu profiter de
leurs leçons. Peut-on citer un seul
roi qui se soit mal trouvé de les
avoir suivies ?
AINE, AINESSE. Il est naturel
qu'un père conçoive une tendre
affection pour le premier fruit de
son mariage, pour l'enfant qui lui
a fait éprouver les premiers mou-
vements de l'amour paternel. Ce
sentiment étoit plus vif dans les
prenfiiers âges du monde, lorsque
chaque famille étoit une petite ré-
publique isolée. Le cœur étoit
moins partagé par la multitude
des affections sociales; les enfants
étoient la force et la richesse de
leur père. Uainé étoit destiné par
la nature à être le chef de famille,
AIN 5q
si le père venoit à manquer. C'est
ce qui rendoit le droit d'aînesse
si sacré et si précieux chez les pa-
triarches. Moïse l'avoit conservé
en entier par ses lois. Mais à me-
sure que les peuplades se sont aug-
mentées et civilisées, le pouvoir
paternel a diminué , et le droit
d'aînesse a perdu son prix ; nous
en sommes venus au point de re-
garder aujourd'hui cedroit comme
injuste.
Il faut donc se rapprocher des
mœurs antiques pour sentir l'é-
nergie de plusieurs expressions de
l'Ecriture sainte. Dieu promet à
David qu'il le rendra Vaine de tous
les rois. Saint Paul nomme Jésus-
Christ Vaine de toutes les créatures,
parce qu'il a été engendré du Père
avant la création ; dans l'Apoca-
lypse , il est appelé le preniier-né
db entre les morts , parce qu'il est le
prenaicr qui soit ressuscité par sa
propre vertu. Isaïe nomme pre-
miers-nés des pauvres , ceux qui
souffrent le plus ; dans le livre de
Job , primogenita mors signifie la
plus cruelle de toutes les morts.
Il paroît par l'histoire sainte que
le droit d'aînesse a été établi dès
la création , mais il n'étoit pas
inaliénable; Dieu, pour de bonnes
raisons, l'a souvent transporté aux
puînés. Ainsi Caïn , fils aine d'A-
dam , fut privé de ses droits en
punition de son crime; Seth lui
tut substitué. Japhet, fils aîné de
Noé, fut moins privilégié que Sem;
Isaac fut préféré à Ismaé'l son aîné ,
mais qui étoit né d'une étrangère ;
Jacob acheta le droit d'aînesse de
sou frère Esaii; il l'ètaà son propre
fils Ruben , pour le donner à Jo-
seph ; et en bénissant les deux fils
de Joseph , il accorda la préfé-
rence à Ephraïm sur Manassc.
Nous voyons par le chap. 21 ,
y 12, du Deutéronomc , que Vaine
avoit une double portion dans
l'héritage paternel; et après la mort
du père, il dcvenoit le chef, par
6o AliN
conséquent le prêtre de sa famille.
Les incrédules ont censuré avec
beaucoup d'aigreur la conduite de
Jacob , qui profita de la lassitude
de son frère pour acbeter de lui
le droit à'aînesse à très-vil prix ,
et qui trompa son pèrelsaac pour
extorquer de lui la bénédiction
destinée à Vatné. Nous examine-
rons ce trait d'histoire au mot
Jacob.
Depuis que Dieu eut fait mourir
tous les premiers-nés des Egyptiens
par l'épée de l'ange exterminateur,
et qu'il eut préservé ceux des Is-
raélites , il ordonna que ceux-ci
lui fussent offerts et consacrés ;
cette loi ne regardoit que les mâles,
soit des hommes , soit des ani-
maux. Exod.,c. i3. Si le premier
enfant d'une femme étoit une fille,
le père n'étoit obligé à rien , ni
pour cet enfant , ni pour les sui-
vants ; si un homme avoit deux
femmes, il étoit obligé d'offrir au
Seigneur les premiers-nés de cha-
cune. En les offrant dans le tem
pic, les parents les rachetoient pour
la somme de cinq sicles. Jésus
Christ fut offert et racheté par ses
parents comme les autres premiers
nés ; mais il étoit destiné à être
lui-même le prix de la rédemption
du monde.
Les premiers -nés des animaux
purs , tels que le veau , l'agneau ,
le chevreau , dévoient être offerts
dans le temple , immolés en sacri
fice, et non rachetés; quant à ceux
des animaux impurs qui ne pou
voient pas servir de victimes, ils
étoient ou rachetés ou tués.
Cette loi étoit un monument ir-
récusable du miracle opéré en
Egypte en faveur des Israélites ; elle
fut observée d'abord par ceux
même qui avoient été témoins ocu-
laires du prodige. Auroient - ils
voulu se soumettre à cette loi
onéreuse , s'ils n'avoient pas été
convaincus par leurs propres yeux
de la vérité du fait ? Il leur fut
ALB
ordonné d'instruire soîgneuseînïnt
leurs enfants du sens et du molii
de la cérémonie. Exod. ^ c. i3 ,
y. 14. Ce témoignage, ainsi trans-
mis de génération en génération
avec l'observance de la loi , étoit
une preuve à laquelle l'incrédulité
la plus hardie ne pouvoit rien op-
poser. Un incrédule quelconque
voudroit-il ainsi attester, par ses
paroles et par son obéissance, un
fait public et très-éclatant de la
fausseté duquel il seroit intime-
ment convaincu.'' Le conduite des
Juifs dans tous les temps démontre
qu'ils n'étoient pas plus disposés
que les mécréants d'aujourd'hui,
à croire des choses dont ils n'au-
roient pas eu la preuve.
ALBANOIS , hérétiques qui
troublèrent dans le septième siècle
la paix de l'Eglise, et qui parurent
principalement dans l'Albanie, ou
dans la partie orientale de la Géor-
gie. Ils renouvelèrent la plupart
des erreurs des manichéens et des
autres hérétiques qui avoient vécu
depuis plus de trois cents ans. Leur
première rêverie consistoit à éta-
blir deux principes : l'un bon ,
père de Jésus-Christ, auteur du
bien et du nouveau Testament; et
l'autre mauvais, auteur de l'ancien
Testament , qu'ils rejetoient en
s'inscrivant en faux contre tout ce
qu'Abraham et Moïse ont pu dii'e.
Ils ajoutoient que le monde est de
toute éternité; que le Fils de Dieu
avoit apporté un corps du ciel ;
que les sacrements, à la réserve du
baptême , sont des superstitions
inutiles; que l'Eglise n'a point le
pouvoir d'exconaniunier , et que
l'enfer est un conte fait à plaisir.
Praiéoïe. Gautier^ dans sa Chron,
ALBIGEOIS, nom général donné
aux hérétiques qui parurent en
France dans les douzième et trei-
zième siècles , et qui furent ainsi
nommes , parce qu'ils se multi, -
ALIÎ
()liiTcnt non -seulement ilans la
ville d'Albi , mais encore dans le
l]a.s-Lan£;ueiloc, dont les habitants
sont nommés par les auteurs de
ce temps-là Albigciiscs.
Le tond de leur doctrine étoil
le manichéisme , mais différem-
ment modifié par les visions des
différents chefs qui Tavoient prê-
ché en France , tels que Pierre de
Bruis, Henri son disciple, Arnaud
de Bresse , etc. : c'est ce qui fit
nommer ces sectaires péirobru-
siens , henriciens , arnaldistes , ou
arnaudistes ; mais ils portèrent en-
core plusieurs autres noms tirés
de leurs mœurs , dont nous parle-
rons ci-après. Nous ne devons donc
pas être étonnés de ce que les au-
teurs qui ont exposé leurs erreurs ,
ne les ont pas rapportées unifor-
mément ; jamais aucune secte d'hé-
rétiques ne fut constante dans ses
opinions; chaque docteur se croit
le maître de les entendre et de les
arranger comme il lui plaît. Les
albigeois étoient un amas confus de
sectaires, la plupart très-ignorants
et très -peu en état de rendre
compte de leur croyance ; mais
tous se réunissoient à condamner
l'usage des sacrements et le culte
extérieur de l'Eglise catholique, à
vouloir détruire la hiérarchie et
changer la discipline établie. C'est
à ce titre que les protestants leur
ont fait l'honneur de les regarder
comme leurs ancêtres.
Alanus, moine de Cîteaux , et
Pierre, moine de Vaux - Cernay ,
qui ont écrit contre eux, leur re-
prochent , i.° d'admettre deux
principes ou deux créateurs , l'un
bon, l'autre méchant; le preniier,
créateur des choses invisibles et
spirituelles; le second , créateur
des corps, auteur de l'ancien Tes-
tament et de la loi judaïque, pour
lesquels ces hérétiques n'avoient
aucun respect : voilà le fond
de Vancien manichéisme. 2.° De
supposer deux christs, l'un me-
ALB Gi
chant, qui avoit paru sur la terre
avec un corps fantastique , qui
n'étoit mort et ressuscité qu'en
apparence; l'autre bon, mais qui
n'avoit pas été vu en ce monde :
c'étoit l'erreur de la plupart des
gnostiques. 3.° De nier la résur-
rection future de la chair, d'en-
seigner que nos âmes sont des dé-
mons, qui ont été logés dans nos
corps en punition des crimes qu'ils
avoient commis; conséquemmient
ils nioient le purgatoire et l'uti-
lité de la prière pour les morts; ils
traitoient même de fol ie la croyance
des catholiques touchant les peines
de l'enfer. Ces rêveries sont em-
pruntées de différentes sectes d'hé-
rétiques. 4-° De condaminer tous
les sacrements de l'Eglise, de re-
jeter le baptême comme inutile ,
d'avoir en horreur l'eucharistie ,
de ne pratiquer ni la confession,
ni la pénitence , de croire le ma-
riage défendu , ou du moins de
regarder la procréation des en-
fants comme un crime. C'étoit en-
core l'opinion des manichéens.
Enfin ces auteurs rapportent que
les albigeois détestoient les minis-
tres de l'Eglise , ne cessoient de
les décrier et de déclamer contre
eux ; qu'ils n'avoient aucun res-
pect pour la croix, pour les ima-
ges , pour les reliques; qu'ils les
détruisoient et les briiloienl par-
tout où ils étoient les maîtres.
Ils étoient divisés en deux or-
dres ; savoir , les parfaits et les
croyants. Les premiers menoient
une vie austère en apparence , vi-
voient dans la continence , fai-
soient profession d'avoir en hor-
reur le jurement et le mensonge.
Les seconds vivoient comme le
reste des hommes , et plusieurs
avoient des mœurs très-déréglées;
ils croyoient être sauvés par la foi
et par l'imposition des mains des
parfaits. C'étoit l'ancienne disci-
pline des manichéens
Leconciled'AIbi , qnequelques-
G 2 ALB
uns nomment concile de Lornbez ,
tenu Tan 1176, dans lequel les
albigeois furent condamnés sous le
nom de bons-Jiommes , et dont les
actes sont cités par Fleury , Hist.
ccclés., I. 72, n. 61 , leur attribue
les mêmes erreurs d'après leur
propre confession. Rainérius, dans
l'histoire qu'il a donnée de ces
mêmes hérétiques sous le nom de
cathares, expose leur croyance à
peu prés de même. M. Bossuet ,
Hist. des variai., 1- 9 , a cité encore
d'autres auteurs qui confu'ment
toutes ces accusations.
A la vérité, la plupart des pro-
testants qui auroient voulu per-
suader que les albigeois soutenoicnt
la même doctrine qu'eux , ont ac-
cusé les écrivains catholiques d'a-
voir attribué à ces sectaires des
erreurs qu'ils n'avoicnt pas , afin
de les rendre odieux, et de justi-
fier la rigueur avec laquelle on les
a traités. Mosheim, mieux instruit,
n'a pas osé faire de même; il n'a
rien dit de leurs dogmes ni de leur
conduite, parce qu'il a bien senti
qu'il n'éloit pas possible de justi-
fier ni l'un ni l'autre, iï/s^. ecclés. ,
treizième siècle , deuxième partie,
c. 5 , § 2 et suiv.
Le nom de bons -hommes leur
fut donné d'abord , parce qu'ils
affectoient un extérieur simple ,
régulier et paisible, et ils se don-
noient eux-mêmes le nom de ca-
thares, qui signifie purs ; mais leur
conduite leur en fit bientôt donner
d'autres ; on les appela pifres et
patarins , c'est-à-dire , rustres et
grossiers ; piiblicains on poplicains ,
parce qu'on supposa que les femmes
étoient communes entre eux ; pas-
sagers, parce qu'ils envoyoient des
émissaires et des prédicantsde tou-
tes parts pour répandre leur doc-
trine et faire des prosélytes.
Leur condamnation, prononcée
au concile d'Albi , l'an 11 76, fut
confirmée dans celui de Latran ,
l'an II 79, et dans d'autres cou-'
ALB
elles provinciaux; mais la protec-
tion que leur accorda Raimond VI,
comte de Toulouse, leur fit mé-
priser les censures de l'Eglise , les
rendit plus entreprenants, et em-
pêcha le fruit des prédications de
saint Dominique et des autres mis-
sionnaires que l'on envoya pour
les instruire et les convertir. Les
violences qu'ils exercèrent , enga-
gèrent les papes à publier une
croisade contre eux l'an 1210. Ce
ne fut qu'après dix -huit ans de
guerres et de nfiassacres , qu'aban-
donnés par les comtes de Toulouse
leurs protecteurs, affoiblis par les
victoires de Simon de Montfort ,
poursuivis dans les tribunaux ec-
clésiastiques et livrés au bras sé-
culier, les albigeois furent entière-
ment détruits. Quelques-uns s'é-
chappèrent et se joignirent aux
vaudois dans les vallées du Pié-
mont , de la Provence , du Dau-
phiné et de la Savoie ; c'est pour
cela que quelques auteurs ont quel-
quefois confondu ces deux sectes ,
mais elles étoient très- différentes
dans l'origine; les vaudois n'ont
jamais été manichéens. Ko/. Vau-
dois.
A la naissance de la pre'tendue
réforme, les uns et les autres chcr-
chèrentà se joindre auxzuingliens,
etils s'unirent enfinaux calvinistes
sous le règne de FrançoisL*^"^. Fiers
de ce nouvel appui , ils se per-
mirent des violences qui attirèrent
sur eux l'exécution sanglante de
Cabrière et de Mérindol ; depuis
ce moment ils ont disparu , et ii
n'en reste plus que le nom.
La croisade entreprise contre
les albigeois, les supplices auxquels
on les condamna , l'inquisition
que l'on établit contre eux , ont
fourni une ample matière de dé-
clamations aux protestants et aux
incrédules leurs copistes. Les uns
et les autres ont répété cent fois
que cette guerre fut une scène
continuelle de barbarie ; qu'il y
ALB
avoit »!»■ la (lémoncc à vouloir con-
vertir des hérétiques par le fer et
par le leu ; que le vrai motif de
cette guerre fut l'ambition du
comte de Montfort , qui vouloit
s'emparer des états du comte de
Toulouse, et de la fausse politique
de nos rois, qui ont été bien aises
d'en partager les dépouilles.
Nous n'avons aucun dessein de
justifier les excès qui ont pu être
commis de part ou d'autre par des
gens armés , pendant une guerre
de dix-huit ans ; nous savons assez
que dés que l'on a tiré l'épée, l'on
se croit tout permis ; qu'un trait
de cruauté commis par l'un des
deux partis devient un motif ou
un prétexte de représailles san-
glantes : c'est ce que l'on a vu dans
nos guerres civiles du seizième siè-
cle ; l'on n'étoit silrement pas plus
modéré au treizième. Nous ne pré-
tendons pas soutenir non plus qu'il
est louable ou permis de poursui-
vre à feu et à sang des hérétiques,
dont la doctrine n'intéresse en rien
l'ordre et la tranquillité publique,
et dont la conduite est paisible
d'ailleurs ; toute la question est de
savoir si les albigeois étoient dans
ce cas. C'est une discussion dans
laquelle nos adversaires n'ont ja-
mais voulu entrer.
i.° Enseigner que le mariage ou
la procréation des enfants est un
crime; que tout le culte extérieur
de l'Eglise catholique est un abus,
et qu'il faut le détruire ; que tous
les pasteurs sont des loups ravis-
sants, et qu'il faut les exterminer:
est-ce une doctrine f[ul puisse être
suivie et réduite en pratique sans
que Tordre et le repos public en
souffrent ? Les pasteurs de l'Eglise
peuvent-ils se croire obligés en
conscience de la tolérer ;'Lc comte
de Toulouse, quels que fussent ses
motifs, éloit-il sage , et avoit-
il raison de la proléger î'ISous sa-
vons bien qu'à la réserve du pre-
mier article les protestants ont
ALB G.3
été de cctavis; mais nousappelle-
rons toujours au tribunal du bon
sens , de leur décision. Il est fort
singulier que les catholiques aient
dû tolérer des opinions qui ne ten-
doient à rien moins qu'à les faire
apostasier et à les faire blasphémer
contre Jésus-Christ, et que \e& al-
bigeois aient été dispensés de tolé-
rer la doctrine catholique , parce
qu'elle ne s'accordoit pas avec la
leur.
2.° Quoi qu'en puissent dire les
protestants , les albigeois avoient
commencé par des insultes , des
voies de fait et des violences con-
tre les catholit[ues et contre le cler-
gé , dès qu'ils s'étoient sentisasscz
forts. L'an ii4.7î plus de soixan-
te ans avant la croisade , Pierre
le Vénérable, abbé de Cluni, écri-
voit aux évèques d'Embrun, de Die
et de Gap : <t On a vu , par un
« crime inouï chez les chrétiens ,
» rebaptiser les peuples , profaner
» les églises, renverser les autels,
)> brûler les croix, fouetter lesprê-
» très, emprisonner les moines , les
u contraindre à prendre des fem-
» mes par les menaces et lestour-
» mcnts. » Parlant ensuite à ces
hérétiques , il leur dit : « Après
» avoir fait un grand biàcher de
» croix entassées, vous y avez mis
» le feu; vous y avez fait cuire de
)) la viande , et en avez mangé le
» vendredi saint , après avoir in-
» vite publiquement le peuple à
» en manger.» Fleury,iï/A7; ecc/t's. ,
I. 6g, n, 24. C'est pour ces belles
expéditions que Pierre de Bruis
fut brûlé à Saint-Gilles quelque
temps après. Nous aurions peine
à les croire, si les protestants n'a-
voient pas renouvelé ces excès au
seizième siècle.
3.° L'on ne peut pas douter que
tous les libertins et les malfaiteurs
de ces temps-là, connus sous le
nom de routiers, coitereaux elrnai-
riades y ne se soient joints aux al-
bigeois tlès qu'ils virent que sons
6i ALB
prétexte de religion l'on pouvoit
pilier , violer , brûler et saccager
impunément. C'est ainsi qu'à la
naissance de la réforme , l'on vit
tous les ecclésiastiques libertins,
tous les moines dyscoles et déréglés,
tous les mauvais sujets de l'Europe,
embrasser le calvinisme , afin de
satisfaire en liberté leurs passions
criminelles.Unhuguenot,quiavoit
un ennemi catholique , s'en ven-
geoit à son aise et avec honneur:
les enfants révoltés contre leurs
parents les menaçoient d'aposta-
sier; un paysan, qui en vouloit à
son seigneur ou à son curé, pou-
roit exercer contre eux toute sa
haine : les prédicants sanctifioient
tous les crimes commis par zèle con-
tre le papisme ; leurs successeurs
les excusent encore aujourd'hui.
4.° Avant de sévir contre les al-
bigeois, l'on avoit employé pendant
plus de quarante ans les missions,
les instructions et toutes les voies
que la charité chrétienne pouvoit
suggérer. L'on n'en vint aux armes
et aux supplices, que quand ces
hérétiques intraitables et furieux
ne laissèrent plus aucune espérance
de conversion. Lorsque saint Ber-
nard alla en Languedoc pour les
combattre, l'an 1 147, il n'étoitarmé
que de la parole deDieu et de ses ver-
tus.L'an 1 179, leconcile général de
Latrandit anathcme contre eux, et
il ajouta: i^Quant aux Brabançons,
» Arragonnois,Navarrois, Basques,
» cottereaux et tria\ierdins, qui ne
i> respectent ni les églises,ni les mo-
i> nastères,etn'épargnentni orphe-
» lins, ni âge, ni sexe, mais pillent et
» désolent tout comme des païens,
» nous ordonnons à tous les
» fidèles, pour la rémission de leurs
» péchés, de s'opposer courageuse-
» ment à ces ravages, et de défendre
» les chrétiens contre ces malheu-
» reux. » Can. 27. Voilà le motif
de la guerre contre les albigeois
clairement exprimé, et c'est pour
cela que le légat Henri marcha
ALB
contre eux avec une armée , l'an
n8i. Cen'étoit donc pas pour les
convertir que l'on employoit con-
tre eux la violence, mais pour ré-
primer leurs ravages.
Les excès auxquels ils s'étoienl
livrés , sont prouvés , i.° par la
confession même que le comte de
Toulouse fit publiquement au lé-
gat, l'an 1209, pour obtenir son
absolution ; 2.° par le vingtième
canon du concile d'Avignon tenu
la même année ; 3.° par le témoi-
gnage des historiens du temps, té-
moins oculaires. Que penser des
albigeois, lorsque l'on voit le comte
de Toulouse , leur protecteur ,
pousser la barbarie jusqu'à faire
étrangler son propre frère, parce
qu'il s'étoit réconcilié à l'Eglise
catholique i*Le comte de Foixétoit
un monstre encore plus cruel. JÎ15/.
de TEgl. gall. , t. 10 , 1. 29 et 3o.
Mosheim a déguisé les faits avec
sa prudence ordinaire ; il dit que
toutes les sectes hérétiques du trei-
zième siècle convcnoient unanime-
ment que la religion dominante
n'étoit qu'un composébizarre d'er-
reurs et de superstitions, l'empire
des papes une usurpation , et leur
autorité une tyrannie. Ces sectai-
res, selon lui, ne se bornèrent pas
à répandre ces opinions: ils réfu-
tèrent encore les superstitions et
les impostures du temps par des ar-
guments tirésderEcrituresainte;ils
déclamèrent contre la puissance,
les richesses et les vices du clergé.
avec un zèle d'autant plus agréable
aux princes et aux magistrats ci vils,
que ceux-ci étoient las des usur-
pations et de la tyrannie des gens
d'église. Treizième siècle, 2.* part.,
ch. 5, § 2.
En eflFet, les tisserands, les ma-
nouvriers , les laboureurs de la
Provence et du Languedoc, étoient
des docteurs fort habiles dans l'E-
criture sainte; au concile d'Albi,
l'an II 76, l'evêque de Lodève leur
opposa l'Ecriture sainte,et ils fu-
AlJi
rcnt confondus , los actes on font
loi. Leurs seuls arf^uiiients étoienl
les déclamations, les railleries, les
insultes, les calomnies, les voies
de lait, comme ceux des huguenots.
L'on sait d'ailleurs quel usage les
manichéens savoient faire de l'E-
crituresainte; nous le voyons dans
les disputes que saint Augustin
soutint contre eux.
Quand il seroit vrai que la reli-
gion dominante au treizième siècle
étoit un amas d'erreurs et de su-
perstitions, celle des a/6/^eo75valoit
encore moins ; puisque c'étoit un
chaos de rêveries de deux ou trois
sectes différentes. Quand celle-ci
auroit été plus pure, il n'apparte-
noit pas à de simples particuliers,
sans mission, de l'établir, encoi'e
moins d'employer la violence , le
meurtre, le brigandage, pour en
venir à bout. Parce que les pro-
testants ont fait de même , ce n'est
pas une raison d'approuver cette
étrange manière de réformer l'É-
glîse.
Si les princes étoient las de la
tyrannie des gens d'église , com-
iTient ont-ils pu soutenir à main
armée les efforts que faisoient le
pape et les évêques pour réprimer
les albigeois?
Nous ne prendrons pas la peine
de réfuter les motifs odieux pour
lesquels on prétend que nos rois ,
et surtout saint Louis, sont entrés
dans la guerre contre le comte de
Toulouse et contre les albigeois.
A la vérité, le traité par lequel ce
seigneur fît sa paix avec saint Louis,
;mi228,futtrès avantageux à la cou-
ronne , puisqu'il y fut stipulé que
l'héritière du comte de Toulouse
e.pouseroilun des frères du roi, et,
<{u'au défaut d'enfants mâles , ce
<;omté reviendroit au roi. Mais
lorsque la croisade contre les al-
bigeois fut résolue, dix-huit ans
auparavant, on ne pouvoltpaspré-
voir cette clause, et il nous paroît
que le comte de Toulouse dut se
ALB 65
tenir forthonoré de cette alliance.
II se révolta quatorze ans après ,
trait qui ne lui fait pas honneur;
mais la victoire de saint Louis à
Taillebourg força ce vassal rebelle
de se soumettre; dès-lors les albi-
geois, privés de toute protection,
lurent aisément détruits,
Basnage , dans son Histoire de
V Eglise^ '-24, a fait tous ses efforts
pour réfuter l'histoire des albigeois
tracée par M. Bossuct ; voici ce
qui résulte de toutes ses recherches.
I .° Avant que les manichéens l'é-
pandus dans laLombardie au dou-
zième siècle eussent pénétré en
France , il y avoit déjà dans nos
provinces méridionales des secta-
teurs de Pierre et de Henri de
Bruis, qui y dogmatisoient et y te-
noient des assemblées. Quoiqu'ils
n'eussent point les mêmes opinions
que les manichéens, ils ne laissèrent
pas, lorsque ceux-ci arrivèrent, de
se joindre à eux et de faire cause
commune avec eux, de même qu'au
treizième siècle ils s'associèrent en-
core aux vaudois. Telle a toujours
été la politique des sectaires , afin
de faire nombre et de tenir tête
aux catholiques. Par la même rai-
son les vaudois se sont ensuite
joints aux calvinistes , quoiqu'ils
n'eussent pas la même croyance.
2.° De là même il résulte qu'au
treizième siècle \es albigeois étoient
un ramas de manichéens, d'ariens,
depétrobrusicns, de henricicns et
de vaudois, très-peu d'accord sur
le dogme, mais réunis par intérêt
et par la haine contre l'Eglise ro-
maine et son clergé; que la plupart
très-ignorants ne savoient pas trop
ce qu'ils croyoient ou ne croyoient
pas. De là vient la variété des
récits que les historiens du temps
ont laits de la doctrine de ces sec-
taires.
3.° Dans les interrogatoires que
l'on fit subir à leurs chefs, et dans
les conciles où ils furent condam-
nés, il ne fut pas aisé de découvrir
5
66 ALC
et de distinguer leurs différentes
opinions , soit parce que ces prc-
dicants n'avoient aiicune doctrine
fixe, soit parce qu'ils cachoient
avec soin celles de leurs erreurs
qui pouvoienl inspirer le plus
d'horreur aux catholiques.
4.° Par-là même on voit le ridi-
cule de Basnage et des protestants,
qui veulent faire passer les albigeois
pour leurs ancêtres ; aucun de ces
hérétiques n'auroit voulu signer
une profession de foi luthérienne
ou calviniste, et aucun protestant
sincère ne voudroit adopter toutes
les rêveries des différentes sectes
^albigeois.
5.° Basnage a eu grand soin de
dissimuler les véritables raisons
pour lesquelles on fut obligé de
sévir contre ces mécréants, savoir:
leurs violences, leurs voies de fait,
leur fureur contre le culte exté-
rieur de l'Eglise catholique et con-
tre le clergé. Il veut persuader qu'on
les punissoit uniquement pour
leurs erreurs , ce qui est faux. Si
quelquefois on a condamné au
supplice des novateurs,avant qu'ils
eussent eu le temps de se former
un parti redoutable , c'est que
leur doctrine et leurs principes
tendoient directement à la sédition
et à troubler la tranquillité pu-
blique. Voyez HÉRÉTIQUE.
ALCORAN. Voy. Mahométisme.
ALCUIN , diacre de l'Église
d'Yorck, fut appelé en France par
Charlemagne, et eut l'avantage de
donner des leçons à cet empereur,
«t de contribuer au rétablissement
des lettres ; il mourut dans son ab-
baye de Saint-Martin de Tours ,
en 804. Il a fait plusieurs ouvrages
théologiques qui se sentent de la
rudesse du huitième siècle ; mais
la doctrine en est pure. L'auteur
doit être rangé parmi les écrivains
ecclésiastiques et les témoins de la
tradition. L'on attend la nouvelle
ALE
édition de ses œuvres, promise par
un savant bénédictin de la congré-
gation de Saint- Vannes ; elle sera
plus exacte et plus complète que
celle d'André Ijuchesne , en 3 vo-
lumes in-fol.
Basnage a voulu persuader qu',^?-
cuin n'étoit pas du sentiment ca-
tholique touchant l'Eucharistie ;
le contraire est prouvé dans la
Perpétuité de la foi, tom. i,l. 8,c.4'
ALEXANDRIE. Nous n'avons
à parler que de l'Eglise fondée dans
celte ville célèbre. Selon tous lejs
monunients anciens de l'histoire
ecclésiastique , c'est saint Marc ,
disciple de saint Pierre, qui a prê-
ché l'Évangile àans Alej:andrie, et
y a fondé une Église. M. de Valois
pense que ce fut la neuvième année
de l'empereur Claude, environ dix-
sept ans aprè^ la nnort de Jésus-
Christ : d'autres placent cet événe-
ment dix ans plus tard.
Quoi qu'il en soit , l'on ne pou-
voit ignorer dans Alexandrie, ville
remplie de Juifs , ce qui s'étoit
passé en Judée dix-sept ans aupa-
ravant : il y avoit un commerce
habituel entre Alexandrie et Jéru-
salem, et une synagogue dans cette
dernière pour les Alexandrins.
Act., c. 6 , ^. 9. Si saintMarc avoit
raconté des faits imaginaires dans
l'Evangile ([u'il écrivit pour l'in-
struction des nouveaux fidèles , il
leur auroit été très-aisé d'en con-
stater la fausseté. Apollo , disciple
de saint Paul , étoit d'Alexandrie.
Ad., c. 18, y!'. 24. Les troubles
qui causèrent la ruine de Jérusalem
ne se firent point seJitir en Egypte;
l'Eglise naissante put y jouir d'une
longue tranquillité. SaintMarc eut
une suite non interrompue de suc-
cesseurs dont Eusèbe a donné la
liste; la tradition apostolique a dû
se conserver long-temps sans al-
tération dans cette Église patriar-
cale. On sait ({u' Alexandrie étoit
unedes villesoùlessciences éloient
ALE
le plus ctillivées ; il y avoit une
école de philosophie. Panthaeniis,
Clémenl à"" Alexandrie , Origciie ,
y furent instruits et y donnèrent
ensuite des leçons. Ce n'est donc
pas dans les ténèbres , ni sous le
voile de l'ignorance que le chris-
tianisme s'est établi dans Alexan-
drie. Ceux qui ont cru en Jésus-
Christ, ne l'ont pas fait sans s'être
informés de la vérité des faits pu-
bliés par les apôtres. Il n'est pas
douteux que cette Eglise n'ait eu
une liturgie qui lui étoit propre,
et il est très-probable que c'est
celle qui a paru dans la suite sous
le nom de saint Marc. Nous en
parlerons au mot Liturgie.
II n'est aucune des anciennes
Eglises qui ait été aussi agitée que
celle à^ Alexandrie ; cette ville ,
grande, riche et très-peuplée, étoit
partagée en trois religions, le pa-
ganisme , le judaïsme et le chris-
tianisme , et ses habitants étoient
naturellement .séditieux et vio-
lents. Pour cette raison , les em-
pereurs furent obligés d'accorder
beaucoup d'autorité à l'évêque ;
sa juridiction s'étendit bientôt sur
toute l'Egypte. La célébrité de l'é-
cole à'Alcxandrie contribua en-
core à lui donner beaucoup de
considération parmi les autres
évêques ; mais plus cette place
étoit importante , plus elle étoit
exposée à de fréquents orages. Dés
le commencement du troisième
siècle, l'ordination d'Origène, qui
parut irrégulière à deux évêques
à' Alexandrie y leur fournit nu. su-
jet de troubler le repos de ce grand
homme ; d'autres le protégèrent ,
en particulier Denys, qui occupa
ce siège vers l'an aSo : mais celui-
ci à son tour fut accusé d'avoir
préparé les voies à l'erreur d'A-
rius. L'an 3o6, le schisme de Mé-
lece divisa cette Eglise, et l'an Sac
Arius commença d'y publier son
hérésie. On sait combien elle causa
de désordres dans tonte l'Eglise,
AI.E G;
et .i quelles persécutions saint
Athanase fut exposé , parce qu'il
soutenoit avec zèle la divinité de
Jésus-Christ. Théophile , «n de
ses successeurs en 385, fut ennemi
de saint Jean-Chrysostôme , et
augmenta les brouilleries qui ré-
gnoientdéjà entre les évêques d'^-
lexandrie et ceux de Constanti-
nople. L'épiscopat de saint Cyrille,
neveu et successeur de Théophile,
fut très-orageux; Nestorius, qu'il
condamna dans le concile d'E-
phèse, en 43 1 , et contre lequel il
écrivit , eut beaucoup de partisans
qui accusèrent saint Cyrille d'eu-
tychianisme. Dioscore qui lui suc-
céda , embrassa ouvertement le
parti d'Eutychès ; il résista aux
décisions du concile de Chalcé-
doine , tenu l'an 4^1 » et entraîna
toute l'Egypte dans son schisme.
Lorsqu'on voulut mettre sur ce
siège des évêques catholiques , les
Alexandrins en massacrèrent un et
en chassèrent un autre. Pendant
près d'un siècle , les empereurs
employèrent vainement toute leur
autorité pour rétablir la paix ;
leurs efforts n'aboutirent qu'à ai-
grir les Egyptiens contre le gou-
vernement. L'an 63o, le patriarche
Cyrus fut le premier auteur du
monothélisme, et quatre ans après,
les mahométans conquirent et ra-
vagèrent l'Egypte.
Basnage , dans son Histoire de
VEglise , liv. a , s'est beaucoup
étendu sur ce tableau; son dessein
étoit de prouver que les évêques
à'' Alexandrie n'ont jamais reconnu
la juridiction du pontife romain,
et ne lui ont jamais été soumis. Ce
n'estpas ici le lieu de discuter tous
les faits dont il veut tirer avan-
tage ; mais quand l'indépendance
de ces évêques seroit encore mieux
prouvée, qu'en résulteroit-il ? Les
tristes effets qu'elle a produits
suffiroient pour démontrer contre
les protestants la nécessité d'un
centre d'unité dans la foi , et d'un
5.
C8 ALL
chef dans l'ëpiscopat ; puisque ,
faute d'en reconnoître un , les
fiatriarches d'Alexandrie ont vu
eur Ejçlise sans cesse agitée par
des schismes et par des hérésies ,
jtisqu'à ce qu'enfin le christianisme
y ai tété presque entièrement aboli;
il n'y en a plus qu'un foible reste
parmi les cophtes , et encore y
est-il très-défiguré par l'ignorance
et par l'erreur. Voyez Cophtes ,
Egypte.
L'abbé Renaudot a donné une
histoire des patriarches d'Alexan-
drie , depuis la fondation de cette
Eglise jusqu'au treizième siècle.
ALLÉGORIE, discours dont le
sens est détourné , ou qui , sous le
sens littéral , cache un autre sens
moins facile à saisir. Ce mot vient
du grec a).>lyj âyoptuo) , je parle au-
trement., c'est par conséquent une
métaphore continuée.La différence
entre une allégorie el une parabole,
est que la première renferme un
sens historique ou littéral vrai ,
au lieu que la seconde est une es-
pèce de fable , dont les person-
nages ou les faits n'ont jamais
existé. Ainsi saint Paul , Galat. ,
c. ^,yf. 22, nous apprend que ce
quiest ditdes deuxfils d'Abraham,
dont l'un étoit né d'une esclave ,
Vautre d'une épouse, est une allé-
gorie qui signifie les deux alliances
que Dieu a faites avec les hommes ,
dont l'une produisoit des esclaves ,
l'autre faitnaître des enfants libres;
que la loi qui déiendoit aux Juifs
de lier le mufle du bœuf qui fou-
loit le grain, signifioit que les fi-
dèles dévoient fournir la substance
aux ouvriers évangéliques , etc.
Cela n'empêche pas que l'histoire
des deux enfants d'Abraham ne
soit vraie , et que la loi imposée
aux Juifs n'ait du être exécutée à
la lettre. Au contraire , les para-
boles dont se servoit Jésus-Christ
pour instruire le peuple , comme
celle de l'enfant prodigue, de la
ALL
brebis perdue, etc. , ne sont point
des narrations historiques , mais
des fictions , dont le but est de
peindre la bonté et la miséricorde
de Dieu envers les pécheurs. Voyez
Parabole.
Outre le sens allégorique de l'E-
criture sainte , les interprètes y
distinguent encore un sens tropo-
logique , qui regarde les mœurs , et
un sens anagogique , qui concerne
les récompenses que Dieu nou."»
promet dans l'autre vie. Voy. Ecri-
ture SAINTE, § 3.
De là quelques incrédules ont
pris occasion de conclure que les
auteurs sacrés ont écrit exprès
dans un style énigmatiqu-e , afin
de tromper les auditeurs et les
lecteurs : conséquence très - peu
réfléchie. Quand nous disons que
l'Ecriture sainte a souvent un sens
allégorique ou figuratif, nous ne
prétendons pas que les écrivains
sacrés ont eu toujours en vue un
double sens. Il n'est pas certain
que Moïse , en parlant des deux en-
fants d'Abraham, a compris que
l'un étoit une figure du peuple
juif, l'autre du peuple chrétien ;
ni qu'en portant la loi dont nous
avons parlé, il pensoit à pourvoir
à la subsistance des prédicateurs
de l'Evangile. Il peut avoir ignoré
le dessein que Dieu avoit en lui
faisant écrire cette histoire et por-
ter cette loi ; et Dieu s'est réservé
de le révéler aux écrivains du nou-
veau Testament. Moïse n'a donc
péché ni contre la sincérité d'un
historien , ni contre la sagesse
d'un législateur. Il en est de niême
des prophètes et des autres histo-
riens sacrés ; tous peut-être n'ont
eu en vue que le sens littéral ; mais
cela n'empêche pas que Dieu n'ait
pu nous découvrir , sous l'écorce
de la lettre, un autre sens , ou par
Jésus-Christ, ou par les apôtres,
ou par les docteurs de l'Eglise. Il
ne s'ensuit pas de là que Dieu a
trompé les écrivains sacrés , ni
ALL
qu'il a voulu induire, en erreur les
Juifs, dépositaires des Ecrilures;
tl s'ensuit seulement qu'il n'a pas
révélé à ces anciens tout ce qu'il
se proposoit de faire dans la suite
des siècles.
Nous lisons dans l'Evangile ,
Joan. , c. II , ]5i!^. 49, que Caïphe
dit aux prêtres et aux pharisiens
rassemblés , en parlant de Jésus-
Christ: «Vous n'y entendez rien;
») vous ne voyez pas qu'il est ex-
» pédient pour vous que cet homme
i> meure pour le peuple , et pour
» que toute la nation ne périsse
« point. » L'Evangile ajoute :
« Caïphe ne dit point cela de luî-
» même ; mais , comme il étoit
» pontife , il prophétisa que Jé-
)) sus mourroit non - seulement
» pour le peuple, mais pour ras-
» sembler tous les enfants de Dieu. »
Caïphe fit donc une prédiction
sans le savoir ; son discours fut
une allégorie dont il ne compre-
noit pas tout le sens. Mais, soit
que les écrivains de l'ancien Tes-
tament aient compris tout le sens
de ce qu'ils disoient, ou qu'ils n'en
aient vu qu'une partie, ils n'ont
été ni trompeurs ni trompés.
C'est une question de savoir si,
dans le dessein de Dieu , toute la
loi de Moïse étoit figurative ; si l'on
peut et si l'on doit donner à tous
les événements de l'ancien Testa-
ment un sens allégorique , et les
e uvisager comme autant de types
e de figures de ce qui arrive dans
le nouveau. Nous examinerons
c ette question au mot Figure et
F/GURISME,
Non-seulement plusieurs incré-
dules, mais quelques auteurs chré-
tiens , ont pensé que les anciennes
prophéties ne pouvoient être ap-
pliquées à Jésus-Christ que dans
un sens allégorique ; que dans le
sens littéral elles regardoient d'au-
tres personnages et d'autres évé-
nements. Nous prouverons le con-
traire a» mot Prophétie,
ALJL G9
De même que les anciens, sur-
tout les Orientaux , aimoient à
parler en paraboles , ils avoienï
aussi du goût pour les allégories-^
ils se plaisoieut à trouver dans un
événement quelconque la figure
d'un autre événement. Un de nos
philosophes , très-appliqué à tour-
ner en ridicule les livres saints ,
est convenu qu'une ancienne cou-
tume de l'Orient étoit non-seu-
lement de parler en allégories , mais
d'exprimer, par des actions sin-
gulières, les choses qu'on vouloit
signifier , et de peindre aux yeux
des auditeurs les objets dont on
vouloit leur frapper l'imagination.
Rien n'étoit, dit-il , plus naturel;
car les hommes n'ayant écrit long-
temps leurs pensées qu'en hié-
roglyphes , ils dévoient prendre
l'habitude de parler comme ils
écrivoient. Nous ne devons donc
pas être étonnés de ce que Dieu a
souvent ordonné aux prophètes
des actions qui sembloient ridi-
cules , mais qui éloient très-capa-
bles d'exciter l'attention des spec-
tateurs, et qui renfermoient beau-
coup de sens.
Ainsi, le prophète Isaïe marche
au milieu de Jérusalem avec la nu-
dité des esclaves , pour annoncer
aux Juifs leur sort futur, Isaï. ,
c. 20 ; Jérémie met un joug sur ses
épaules, pour leur montrer d'a-
vance celui qui leur sera imposé
par Nabuchodonosor ; il envoie
des chaînes aux rois de l'Idumée,
de Moab et de Tyr , symbole de
celles dont ils étoient menacés.
Dieu ordonne à Osée d'épouser une
prostituée , de l'abandonner pen-
dant quelque temps , et de la re-
prendre ensuite , pour peindre la
conduite de Dieu à l'égard de la
nation juive , etc. G'étoient des
allégories très-frappantes , et l'on
en trouve quelques exemples dans
l'histoire profane.
Puisque telle étoit la tournure
des mœurs antiques , il n'est i)a5
7©
ALL.
surprenant que les Juifs aient sou-
vent donné, un sens allégorique aux
laits de l'histoire sainte. Saint Paul
l'a fait plus d'une fois ; les Pères
de r Eglise les plus anciens l'ont
imité. , parce que cette manière
d'instruire étoit du goût de leurs
auditeurs. Mais les protestants leur
en font un crime ; ils disent que
cette méthode , ridicule en elle-
même , n'est bonne qu'à pallier
l'ignorance du prédicateur , à faire
passer des visions pour des vérités
importantes, à donner aux audi-
teurs un goût faux, à les détourner
de la recherche du sens littéral et
naturel de l'Ecriture sainte. Tel
est le jugement qu'en a porté Bar-
beyrac , Traité de la morale des
Pères, c. 7, § 6 et suiv. Il sou-
tient que l'exemple des apôtres ne
peut pas servir à justifier les Pères.
i.° Les apôtres, dit-il , ont fait
rarement usage des allégories , et
les Pères s'en servent continuelle-
ment ; les premiers y ont recours,
plutôt pour montrer, dans l'an-
cien Testament , les mystères de
Jésus-Christ, que pour en tirer
des leçons de morale ; à peine en
trouve-t-on deux ou trois exem-
ples dans saint Paul, au lieu que
les Pères n'en donnent presque
point d'autres.
Cependant saint Matthieu a pris
dans un sens allégorique au moins
vingt prophéties de l'ancien Tes-
tament : c'est un reproche que lui
font les incrédules ; et Barbeyrac ,
sans le savoir , a pris la peine de
le confirmer. Saint Paul a tourné
en leçon de morale, non -seule-
ment la loi duDeutéronome, dont
nous avons parlé, et celle qui dé-
♦endoit de se servir de pain levé
dans la célébration de la pâque ,
mais encore la loi de la circonci-
sion , celle du sabbat , celle des
ablutions, celle des abstinences,
les promesses faites à Abraham ,
les reproches et les menaces adres-
sés aux Juifs par Isaïe, etc. Les
ALL
Juifs modernes en font un crime
à saint Paul ; ils disent que c'est
un expédient imaginé par cet apô-
tre , pour exempter ses prosélytes
de l'observation de la loi cérémo-
nielle. Il est fâcheux que Barbeyrac
n'ait pas vu qu'il autorisoit l'en-
têtement des Juifs.
Saint Pierre , epist. i, cap. 2,
"^ . 6, tourne en leçon de morale
la prophétie d'Isaïe, c. 8,3i^. i4,
concernant la pierre angulaire qui
écrase les incrédules ; celle d'Osée,
c. 2 , S • 24 , qui regarde les Juifs
rentrés en grâce avec Dieu ; l'exem-
ple des pécheurs exterminés par le
déluge , et il compare le baptême
à l'arche de Noé , c. 3 , ^. 29, etc.
Ces sortes de leçons ne sont donc
pas aussi rares dans les écrits des
apôtres que Barbeyrac le prétend.
2." Il dit que, comme les écri-
vains sacrés étoient inspirés , nous
devons les croire, lorsqu'ils nous
découvrent un sens allégorique ,
dans un fait ou dans une loi , où
nous ne l'aurions pas aperçu ; mais
qu'ils n'ont commandé à personne
de faire de même , et qu'ils n'ont
donné aucune règle pour décoii-
vrir ces sortes de sens; qu'ainsi ce
sont des explications arbitraires
et de vaines imaginations.
Nouvelle imprudence : comment
n'a-t-il pas vu que les incrédules
se prévaudroient encore de cette
remarque et la tourneroient contre
les apôtres mêmes ? En e£Fet , les
incrédules disent que l'inspiration
prétendue ne peut pas rendre réel
ce qui est imaginaire, ni respec-
table ce qui est ridicule, ni J!isli-
fier un sens auquel il est évident
que le législateur des Juifs et leurs
prophètesn'ont jamais pensé : c'est
à Barbeyrac de prouver le con-
traire. Il s'ensuit seulement de son
observation que les explications
allégoriques données par les Pères
ne sont pas des articles de foi ; et
qui l'a jamais prétendu? Les apô-
tres n'ont pas commandé ces ex-
ALI.
plicalions, mais ils ne les ont pas
défendues non plus , puisque saint
Barnabe et saint Clément en ont
fait grand usage ; nous devons
présumer qiie ces deux disciples
immédiats des apôtres connois-
soient pour le moins aussi-bien
les intentions de leurs maîtres ,
que les critiques protestants du
17.* ou du 18.* siècle.
3.° Les apôtres, continue le cen-
seur des Pères, ont donné des sens
allégoriques à l'Ecriture sainte ,
par condescendance pour les Juifs
qui avoient du goût pour ce genre
d'instruction ; mais ce n'est pas
un exemple à suivre : ce goilt est
pernicieux en lui-même , parce
qu'il nous détourne de la recherche
du sens littéral et vrai de la parole
de Dieu,
Nous n'avouerons jamais qu'un
genre d'instruction duquel les
apôtres se sont servis, soit perni-
cieux en lui-memê ; mais nous
soutenons que les Pères l'ont mis
en usage par le même motif, par
condescendance pour leurs audi-
teurs. En effet, après saint Bar-
nabe et saint Clément de Rome ,
les deux Pères de l'Eglise qui y ont
été le plus attachés , sont saint
Clément d'Alexandrie et Origène;
l'un et l'autre instruisoient et écri-
voienl en Egypte : or, les Juifs
d'Alexandrie étoient 1res -accou-
tumés aux explications a/Z^^g'on'^Mes
de l'Ecriture sainte , témoin les
ouvrages de Philon. Les Egyptiens
en général n'y étoient pas moins
habitués par l'usage de leurs hié-
roglyphes.
Une autre preuve du motif qui
a conduit les Pères, c'est qu'ils ne
se bornent point au sens mystique
ou allégorique de l'Ecriture sainte.
Origène, avant d'y avoir recours,
donne assez souvent l'explication
liltérale du texte, et l'on connoîl
les travaux entrepris par ce savant
homme pour confronter le texte
fiébreu avec les versions. Saint
ALL
7»
Grégoire de Nysse , après avoir
tiré de la loi de Moïse un grand
nombre à'' allégories ^ conclut ainsi:
n Ce que nous venons de propo-
» ser , se réduit à des conjectures-,
M nous les abandonnons au juge-
» ment des lecteurs : s'ils les re-
» jettent , nous ne réclamerons
» point; s'ils les approuvent, nous
» n'en serons pas pour cela plus
» contents de nous-mêmes. » L.de
Vitâ Mosis , pag. 223. Saint Au-
gustin, peu de temps après sa con-
version , avoit écrit deux livres
sur la Genèse contre les mani-
chéens , où il avoit donné des rai-
sons allégoriques de la plupart des
faits , parce que je ne vojrois pas ,
dit-il , comment on pouvait les en-
tendre dans le sens propre. Mieux
instruit dans la suite, il fit un
autre ouvrage sur la Genèse, prise
dans le sens littéral , de Genesi ad
litteram. La bonne foi auroit exigé
que Beausobre fit cette remarque,
avant de censurer saint Augustin,
Hist. du Manich. , tom. 1 , I. i.
c. 4 5 pag> 283.
C'est donc très -mal à propos
que l'on blâme les Pères de l'E-
glise; voudroit-on qu'ils eussent
pris une autre méthode d'in-
struire, qui auroit déplu à leurs
auditeurs , et qui n'auroit pas été
écoutée ? Juger du goiàt du second
et du troisième siècle de l'Eglise
par celui du dix-huitième , c'est
une absurdité. En second lieu, les
Pères ne pensoient point à former
des savants , mais des chrétiens
vertueux: ils vouloient les accou-
tumer à chercher dans les livres
saints, non de l'érudition ou des
connoissances profanes, mais des
leçons de morale et des sujets d'é-
dification; nous soutenons qu'ils
n'avoient pas tort. Grâces à l'en-
têtement des hérétiques et des In-
crédules, ce n'est plus là ce qu'on
veut aujourd'hui; il faut des re-
marques grammaticales, critiques,
historiques, philosophiques, de
72 ALL
la chronologie, de la géographie,!
de la physique et de l'histoire na-j
turelle, pour expliquer les livres
saints. Nous sommes sans doute ,
dans tous les genres, plus habiles
que nos pères, en sommes-nous
meilleurs chrétiens ? Ces savantes
discussions sont-elles à portée du
peuple ?
Or, c'est principalement lepeu-
f»le que les Pères dévoient et vou-
oient instruire. L'événement suf-
fit pour nous convaincre qu'ils
ont mieux réussi que leurs accu-
sateurs. Les sas'ants commentaires
des protestants n'ont abouti qu'à
multiplier parmi eux les disputes,
les sectes , les erreurs ; ceux des
Pères de l'Eglise formoient des
hommes vertueux et des saints.
Ce qu'il y a de plus singulier ,
c'est que les protestants , qui cen-
surent avec tant d'aigreur le goût
des anciens Pères pour les allégo-
ries , sont cependant très-attentifs
à profiter des explications allégo-
riques que saint Clément d'Alexan-
drie, Origène et Tertullien ont
données quelquefois aux paroles
de Jésus-Christ touchant l'Eucha-
3'istie.
Mais il est bon de voir combien
leur prévention contre les Pères a
donné d'avantage aux incrédules.
C'est mal à propos, dit l'un d'entre
eux , que les apologistes du chris-
tianisme ont voulu prouver aux
païens l'absurdité de leur religion
par la nécessité de recourir à des
allégories pour dissiper le scandale
de leurs fables ; ne sommes-nous
pas dans le même cas à l'égard de
la plupart des faits de l'ancien
Testament i' Les Pères de l'Eglise
l'ont senti , puisque tous ont allé-
gorisé , et sont convenus que sans
cette méthode il étoit impossible
d'entendre l'Ecriture sainte. Il
cite en preuve saint Clément d'A-
lexandrie, Origène, Tertullien et
saint Augustin. La fureur pour les
allégories a fait diviniser le can-
ALL
tique de Salomion ; les mahomé-
lans font de même pour pallier les
absurdités de l'alcoran.
Vainement nous demanderions
aux censeurs des Pères une ré-
ponse solide à cette objection; ce
n'est pas chez eux que nous irons
la chercher. Les actions infàm«s
et scandaleuses racontées dans les
fables étoient attribuées aux dieux ;
pouvoit-on les condamner ou les
blâmer ? S'il y en a dans l'histoire
sainte , elles sont attribuées à des
hommes, elles ne sont point ap-
prouvées, souvent même elles sont
punies ; cela est fort différent. Les
hommes ne sont pas impeccables ,
mais les dieux dévoient l'être ;
toutes les actions des premiers ne
sont pas des exemples à suivre ;
mais pouvoit-on être coupable en
imitant les dieux ? Nous n'avons
donc pas besoin A'' allégories pour
expliquer l'ivresse de Noé , l'in-
ceste de Loth avec ses filles, le
mensonge que Jacob dit à son père
pour avoir sa bénédiction , l'adul-
tère et l'homicide de David, etc. ,
puisque nous ne sommes pas obli-
gés de les justifier.
Nous avons vérifié les citations
des Pères que l'on nous oppose ;
la plupart sont fausses : voici tout
ce qu'il y a de vrai.
Saint Clément d'Alexandrie ,
Sirom. , 1. 2, c. 19, pag. 4^i ^ dit
que la manière dont Dieu en a agi
à l'égard d'Adam , de Noé , d'A-
braham , de Jacob et d'Esaii , étoit
prophétique et typique; c'est aussi
le sentiment de saint Paul à l'égard
des deux derniers. Saint Clément
conclut par les paroles de Jacob :
Parce que Dieu a en pitié de moi ,
il n\a donné tout ce que je possède^
1. 6, c. i5, p. 8o3. Il observe que,
selon l'Evangile, Jésus-Christ ne
parloit qu'en paraboles ; il conclut
que, puisque Jésus-Christ est aussi
l'auteur de la loi et des prophètes,
il y a parlé de même en paraboles.
Saint Clément en donne pour rai-
AU.
«on, I .° riuc par-là ])icu a voulu
fxcilcr noire vigilance et notre cu-
riosité ; 2.° parce que jjlusicurs
auroienl abusé d'un style plus
clair; 3.° parce que c'étoit la ma-
nière d'enseigner la plus ancienne
et la plus générale; 4-° parce que
le style des Hébreux est ordinaire-
ment figuré. Riais il ajoute que
les bommes vraiment intelligents
sont ceux qui entendent l'Ecri-
ture sainte' *"e/o/2 la rrgle ecclésias-
tique. 11 n'admeltoit donc pas les
explicalionsarbitraires, et il ne s'en-
suit pas de là que tout est parabole
oxx allégorie dans l'Ecriture sainte.
Origcne, parlant de la distinc-
tion des animaux purs et impurs,
Horn. 7 in LevU. , n.° 5 , dit que si
on l'entend comme les Juifs et
comme le peuple, les lois que Dieu
a portées sur ce sujet paroîtroiit
moins raisonnables et moins res-
j)ectables que celles des Atbéniens,
des Spartiates ou des Romains ;
mais que si on les entend selon le
sens qu enseigne V Eglise, elles pa-
roîtront vraiment divines et su-
périeures à toutes les lois humai-
nes. L. 2 , in JEpisi. ad Rom. , n. g.
il demande que peuvent avoir de
commun avec la loi naturelle celles
qui ordonnent la circoncision, qui
défendent de faire un tissu de lin
et de laine, ou de manger du pain
levé à la fête de Pâques. Il dit
qu'ayant demandé à des Juifs la
raison et l'utilité de ces lois, ils ne
lui en ont point donné d'autre que
le bon plaisir du législateur. Il ne
s'ensuit pas de là qu'Origéne vou-
loit que l'on prît aussi dans un sens
allégorique les autres lois dont la
raison étoit claire et sensible , et
les lois morales contenues dans le
Décalogue. Il nous paroît que l'on
a jugé ce Père un peu trop sévè-
rement, quand on a conclu delà
qu'il détruisoit souvent le sens
littéral de l'Ecriture sainte ; ce
n'étoitpas le détruire que d'avouer
qu'il ne le voyoit pas.
ALL 73
Tertullicn ,1.5, contre Marcion.,
c. 5, dit que rien ne paroît plus
ridicule ni plus méprisable que
les sacrifices sanglants, les puri-
fications, la loi du talion, la cir-
concision, les abstinences ; qu'aussi
tout hérétique tourne en dérision
l'ancien Testament dans son en-
tier: mais que Dieu a voilé sous
ces énigmes et sous ces figures une
sagesse qui devoit être révélée par
Jésus-Christ. Cependant Tertul-
lien, dans ce même ouvrage, donne
de très-bonnes raisons des absti-
nences prescrites aux Juifs, de la
distinction des animaux purs et
impurs , de la multitude des sacri-
fices et des offrandes. Lors donc
qu'il a dit que tout cela pris à la
lettre étoit ridicule et méprisable ,
il a entendu que cela paroissoit tel
aux hérétiques , et non aux fidèles
instruits par Jésus-Christ. Quand
même il auroit voulu dire de toute
la loi cérémonielle ce que les in-
crédules lui attribuent, il ne s'en-
suivroit pas encore qu'il a pensé
de même de tout l'ancien Testa-
ment.
Saint Augustin , L. contra Men-
dacium , ad consent. , c. 10, n. 23
et 24 , soutient qu'Abraham et
Isaac n'ont pas menti, en disant
que leurs épouses étoient leurs
sœurs , non plus que Jacob , en
disant à Isaac qu'il étoit Esaii son
aîné , parce que c'étoient des figu-
res, des types ou des métaphores.
Nous ne pensons pas que cette ex-
cusesoltsolide ; parce qu'une équi-
voque , employée pour tromper
quelqu'un , est un vrai mensonge :
mais on n'en peut pas conclure
que , selon saint Augustin , toute
l'histoire sainte est figurative ou
allégorique, et que sans le secours
des allégories, il seroit impossible
de l'entendre.
Il n'a pas été difficile de réfuter
Woolston, qui prétendoit que les
miracles de Jésus-Christ dévoient
être pris dans un sens purement
74 ALL
allégorique , et qu'ils avoieut été
ainsi envisages par les Pères. Voyez
le sens littéral de VEcriture sainte
défendu par Stakhouse, etc.
Ce n'est point le goût pour les
allégories <\\i\ a fait diviniser le can-
tique de Salomon ; c'est au con-
traire l'habitude du style allégo-
rique, usité de tout tenips chez les
Orientaux, qui a fait écrire ainsi
cet ancien ouvrage , monument
original de.s mœurs simples et in-
nocentes qui régnoient pour lors.
L'Eglise chrétienne l'a reçu comme
un livre divin , sur la foi de la tra-
dition constante des Juifs, trans-
mise par les apôtres, et leur témoi-
gnage n'a pas besoin d'un autre
garant.
Il n'est pas vrai que les maho-
métans recoururent aux allégories
pour pallier les absurdités et les
turpitudes renfermées dans l'al-
coran ; ils font profession de les
croire à la lettre, telles que leur
prétendu prophète les a écrites; et
quand ils voudroient user de ce
palliatif, ils ne viendroient jamais
à bout de leur donner la moindre
apparence de bon sens. Voyez Ma-
RACCi, Prodomus ad refut. Alcoran-
ni, et Mahométisme,
ALLELUIA ou ALLELU-IAH,
deux mots hébreux qui signifient ,
louez le Seigneur.
Saint Jérôme est le premier qui
aitintroduit le raotalleluia dans le
service de l'Eglise; pendant long-
temps on ne l'employoit qu'une
seule fois l'année dans l'Eglise la-
tine; savoir, le jour de Pâques ;
mais il étoit plus en usage dans
l'Eglise grecque, où on le chantoit
dans la pompe funèbre des saints,
comme saint Jérôme le témoigne
expressément en parlant de celle
de sainte Fabiole : cette coutume
s'est conservée dans cette Eglise ,
où l'on cha nte même l'a/Ze/uj'a quel-
quefois pendant le carême.
Saint. Grégoire le Grand ordon-
ALL
na qu'on le chanteroil de même
toute l'année dans l'Eglise latine;
ce qui donna lieu à quelques per-
sonnes de lui reprocher qu'il étoit
trop attaché aux rits des Grecs , et
qu'il introduisoit dans l'Eglise de
Rome les cérémonies de celle de
Constantinople; mais il répondit
que tel avoit été autrefois l'usage à
Rome, même lorsque le pape Da-
mase , qui mourut en 384 > intro-
duisit la coutume de chanter V allé-
luia dans tous les offices de l'année.
Ce décret de saint Grégoire fut tel-
lement reçu dans toute l'Eglise
d'Occident , qu'on y chantoit Yal-
/c/«/a,même dans l'office des morts,
comme l'a remarqué Baronius
dans la description qu'il fait de
l'enterrement de sainte Radegonde.
On voit encore dans la messe moz-
arabique , attribuée à saint Isidore
de Séville , cet introït de la messe
des défunts : Tu es portio mea , Do-
mine , alléluia , in terra viventium ,
alléluia.
Dans la suite , l'Eglise romaine
supprima le chant de ra//c/uîa dans
l'office et dans la messe des morts,
aussi-bien que depuis la septuagé-
sime jusqu'au graduel de la messe
du samedi saint, et elle y substitua
ces paroles, Laus tibi, Domine, Rex
ceternœ gloriœ , comme on le pra-
tique encore aujourd'hui. Le qua-
trième concile de Tolède, dans le
onzième de ses canons , en fit une
loi expresse, qui a été adoptée par
les autres Eglises d'Occident.
Saint Augustin , dans son épîlre
119 ad Januar. , remarque qu'on
ne chantoit alléluia que le jour de
Pâques. Il n'a fait que rapporter
l'usage de son siècle. Dans la messe
mozarabique, on le chantoit après
l'évangile , mais non pas en tout
temps ; au lieu que dans les autres
Eglises on le chantoit, comme on
le fait encore, entre l'épître et
l'évangile , c'est-à-dire, au graduel .
Sidoine Apollinaire remarquoit
qtie les forçats ou rameurs chan-
ALL
toient à haute voix Valleluia ,
comme un signal pour s'exciter et
s'cncouraf^cr à leurs manœuvres.
C'étoit en effet la coutume des
premiers chrétiens de sanctifier
leur travail par le chant des hym-
nes et des psaumes. Bingham ,
Orig. Ecoles. ,lom. 6, lib. i4 , cap.
",§4-
ALLEMAGNE. Cette partie de
l'Europe , à la prendre dans toute
l'étendue qu'on lui donne aujour-
d'hui, n'a pas été convertie à la
foi chrétienne en même temps.
Saint Boniface , archevêque de
Mayence , né en Angleterre , et re-
ligieux bénédictin , est regardé
comme l'apôtre de V Allemagne \
c'est par ses travaux, continués de-
puis l'an 7 1 5 , i usqu'à sa mort , ar-
rivée l'an 755 , que les Germains ,
voisins du Rhin , c'est-à-dire , les
habitants de la Thuringe , de la
Hesse , de la Frise , et même de la
Bavière , furent solidement conver-
tis au christianisme , et que les
premiers évêchés de cette partie
occidentale de V Allemagne furent
fondés : son apostolat fut cou-
ronné par le martyre ; il fut mas-
sacré par les Barbares avec cin-
quante-deux de ses compagnons ,
soit missionnaires, soit chrétiens;
leur sang fut une semence qui pro-
duisit d'autres apôtres.
Les protestants mêmes n'ont pas
osé contester son zèle , ses travaux ,
son courage , ses succès ; mais ,
comme ce saintmissionnaire apre-
ché le christianisme catholique, et
non le protestantisme , il a bien
fallu en déprimer l'éclat et en em-
poisonner au moins le motif. «Bo-
» niface , dit Mosheira , obtint ,
» par ses travaux et par ses pieux
» exploits, le titre honorable d'a-
» poire de la Germanie , et il le
» mérita certainement par les ser-
» vices signalés qu'il rendit au
» rlirislianisine ; mais celéminent
» prélat fut un apôtre à. la façon
ALL 75
» moderne; il s'écarta à plusieurs
» égards de l'excellent modèle qu'il
X avoit dans la conduite et le mi-
» nistère des premiers et vrais
» apôtres. Indépendamment deson
» zèle pour la gloire et l'autorité
» du pontife romain, quiégaloit,
» s'il ne surpajssoit point , celui
» qu'il avoit pour le service du
« Christ et pour la propagation de
» sa religion , on lui reproche plu-
» sieurs autres choses indignes d'u n
» vrai ministre chrétien. En com-
» battant les superstitions païen-
)> nés , il n'employa pas toujours
» les armes dont les anciens hé-
» rauts de l'Evangile se servirent
n pour faire triompher la vérité,
» mais souvent la violence et la
)i terreur , quelquefois même l'ar-
» tifice et la fraude , pour multi-
» plier le nombre des chrétiens.
» J'ajouterai que ses lettres annon-
)> cent un caractère impérieux et
» arrogant , un esprit fourbe et
» trompeur, un zèle excessif pour
» accroître les honneurs et les pré-
» tentions de l'ordre sacerdotal ,
n et une profonde ignorance de
» plusieurs choses dont laconnois-
» sance est absolument indispen-
» sable à un apôtre, et surtout de
» celles qui ont pour objet la vraie
» nature et le véritable génie de la
» religion chrétienne.» Hist. ec-
clés. 8.° siècle , i." part,, c. i , § 4-
Instruits par ce tableau , nos in-
crédules François n'ont pas hésité
de dire q'ue les missionnaires de
V Allemagne prêchèrent le papisme
et non le christianisme ; qu'ils fu-
rent les émissaires, les satellites ,
les esclaves des papes, plutôt que
les esivoyés de Jésus-Chri.^t ; d'où
nous devons conclure que les Bar-
bares ne firent pas si mal de les
massacrer : mais il ne nous paroît
pas fort difficile de les justifier.
1° Il est absurde de vouloir que
saintBonifaceailprêché dans \ Al-
lemagne un autre christianisme,
une autre religion que celle dnn.>
yS ALL
laquelle il avoit été élevé et instruit,
et de la vérité de laquelle il étoit
très-persuadé ; qu'il ait établi le
prétendu christianisme de Luther
et de Calvin, huit cents ans avant
(jue celui-ci eût été forgé. Il y a
donc aussi du ridicule a trouver
mauvais qu'il ait cru fermement à
l'autorité du pape, et qu'il l'ait
établie dans les Eglises à! Allema-
gne, dés quec'étoit pour lors la foi
et la croyance universelle de tout
l'Occident. S'il avoit fait autre-
ment, c'est alors qu'il faudroit
l'accuser d'infidélité à son minis-
tère et de mauvaise foi. La seule
preuve que l'on allègue de l'excès
de son zèle sur ce point, c'est que,
selon les auteurs de V Histoire liitér.
de la France^ « saint Boniface ,
» dans ses lettres , exprime son
» dévouement pour le saint siège,
» en des termes qui ne sont pas as-
» sez proportionnés à la dignité du
» caractère épiscopal. » Mais ces
termes n'étonnoient personne dans
ce temps-là, parce que l'autorité des
papes étoit plus grande au huitième
siècle qu'elle n'est aujourd'hui; cl
nous verrons au mot Pape , que
cela étoit ainsi par nécessité et par
le besoin des circonstances.
2." C'est encore une absurdité
de conclure de là que le zèle de
saint Boniface étoit plus grand
pour l'autorité du pontife romain
que pour la gloire de Jésus-Christ
et pour la propagation de sa reli-
gion.Puisque cesaint missionnaire
croyoit fermement que l'autorité
du pape avoit été établie par Jé-
sus-Christ lui-même, qu'elle étoil
nécessaire pour la propagation de
la foi et pour maintenir l'unité de
l'Eglise , que l'on ne pouvoit pas
être sincèrement soumis à Jésus-
Christ sans obéir à son vicaire sur
terre; son zèle pour cette autorité
étoit un vrai zèle pour la gloire et
pour le service de Jésus-Christ.
Quand saint Boniface auroit été
dans l'erreur, ce qui n'est cas, elle
ALL
lui auroit été commune avec tout
son siècle , et sa conduite étoit
parfaitement d'accord avec sa
croyance.
3.° Quelle preuve peut-on don-
ner , pour faire voir qu'il a em-
ployé la violence et la terreur pour
subjuguer les païens et faire triom-
pher la vérité i* Aucune; on nous
tait seulement remarquer qu'il fut
secondé par la puissante protec-
tion et encouragé par les libéra-
lités de Charles Martel , de Carlo-
raan et de Pépin ses enfants. Il en
avoit besoin sans doute , pour fon-
der des évèchés , des monastères et
des écoles; mais ces princes le fi-
rent-ils escorter par des soldats,
pour imprimer la terreur aux Bar-
bares , et pour les forcer à se faire
chrétiens i* Il ne voulut pas seule-
ment que ses compagnons fissent
aucune résistance, lorsque les Fri-
sons vinrent le massacrer; sa dou-
ceur, sa patience, sa résignation
à la mort , sont attestées par ses
lettres. Vies des Pères et des Mar-
tyrs, tom. V, p. i33.
4-° On ne donne point de preu-
ves non plus de son caractère
fourbe et trompeur, des artifices
et de la fraude qu'il employa pour
multiplier le nombre des chré-
tiens. Si \)dLT fraudes les protestants
entendent les reliques , les indul-
gences, le purgatoire, la confes-
sion, même les miracles, nous
avouerons que saint Boniface les
mit en usage ; mais il faut com-
mencer par prouver que tout cela
sont des fraudes , et que saint Bo-
nilace lui-même n y avoit aucune
foi. Ces prétendues fraudes sont
un peu différentes des mensonges ,
des impostures , des calomnies ,
dont les prédicants du protestan-
tisme se sont servis pour l'établir.
5." Nous avons beau chercher
dans les lettres de ce saint évêque,
ou ailleurs, des vestiges du carac-
tère impérieux et arrogant qu'on
lui attribue; nous n'y trouvons que
ALL
tics témoignages du contraire.
INT.TÎ.s il éloit zélé poiir l'honneur
cl los prétentions (le l'ordre sacer-
i1 () lai ; assurément, et ce crime lui
«■si commun avec saint Paul, qui
«lisoit : « Tant que je serai l'apôtre
)' (les nations , j'honorerai mon
» luinistère. j» Jîo^ra,, c. ii, }('^. i3;
il à Tiie, c. 2. ,S- i5 : « Que per-
» sonne ne vous méprise. » Saint
Boniface ne s'est pas attribué au-
tant d'autorité sur les Eglises qu'il
avoit fondées , que Luther et Cal-
vin sur celles qu'ils avoient per-
verties. Avant sa mort il se donna
un successeur sur le siège de
Mayence, et lui laissa le soin de
gouverner cette Eglise, pour aller
continuer ses missions chez les
idolâtres; il n'attribua aux évêques
point d'autre autorité que celle
dont ils jouissoient dans tout l'Oc-
cident.
6.° Enfin , quand les mission-
naires de VAîlemagne auroient
donné quelque sujet aux préven-
tions des protestants , ce qui n'est
point , ces derniers seroient encore
injustes, et pour ainsi dire bar-
bares, de chercher à ternir la gloire
des ouvriers évangéliques qui ont
instruit et civilisé leurs ancêtres :
sans leurs travaux, Luther auroit-
il établi dans ces contrées sa pré-
tendue réformalion ? Aucun des
prédicants n'est allé prêcher l'E-
vangile chez les Barbares ; et nous
connoissons le succès qu'ont eu
leurs successeurs , quand ils ont
voulu faire le personnage d'apô-
tres. Ils ne savent que noircir et
calomnier comme leurs prédéces-
seurs.
"Nous ne nous arrêtons point à
relever le ridicule deBrucker,qui
reproche à saint Boniface de n'a-
voir pas assez rendu de services
aux lettres et à la philosophie, en
portant le christianisme en Alle-
magne; il se lâche contre les béné-
dictins, parce qu'ils lui ont attri-
bué de l'érudition et de la capa-
ALL
77
cité, cl qu'ils l'ont loué d'avoir
établi des écoles dans les monas-
tères de Fulde et de Fritzlar. Il
en prend occasion de confirmer ce
que les auteurs protestants ont dit
de l'ignorance de ce missionnaire,
et il eu apporte pour preuve, non-
seulentent ses lettres , mais ce que
rapporte Aventin , que ce fut saint
Boniface qui dénonça au pape
Zacharie Virgile de Saltzbourg
comme hérétique , pour avoir
avancé qu'il y a des antipodes.
Nous ne pensons point que l'in-
tention des bénédictins ait été de
persuader que saint Boniface étoit
un grand philosophe, et qu'il éta-
blit en Allemagne des écoles de
philosophie pour des Germains
qui ne savoient pas lire. Ce zélé
missionnaire étoit instruit autant
que l'on pouvoit l'être au 8.^ siè-
cle ; il avoit fait les études que l'on
faisoit pour lors ; et il s'étoit at-
taché aux sciences ecclésiastiques,
les seules dont il eût besoin pour
prêcher l'Evangile. Il établit des
écoles pour ces mêmes sciences, el
contribua , autant qu'il le put, à
tirer les peuples de V Allemagne de
l'ignorance grossière dans laquelle
ils étoient plongés. Que devoit-il
faire de plus ?et n'est-ce pas là un
service réel rendu aux lettres ?
Ne savons-nous pas ce que veut
dire Mosheim , lorsqu'il refuse à
saint Boniface la connaissance des
choses qui ont pour objet la vraie
nature et le véritable génie de la
religion chrétienne ? S'il entend par-
là que ce missionnaire ne connois-
soit pas le christianisme tel qu'il
a plu aux protestants de le forger,
nous en sommes déjà convenu ;
il suffit, selon leur opinion, de
lire et d'étudier l'Ecriture sainte:
or, saintBoniface l'avoit étudiée et
la lisoit constamment , il l'avoit
même enseignée aux autres dans
son monastère ; mais il eut le mal-
heur de n'y pas voir, non plus
que nous, ce quelesprolcslanisont
78 ALI.
prétendu y voir huit cents ans
après.
Quant à la prétendue hérésie
touchant les antipodes , voyez ce
mot. Mosheim et les autres pro-
testants n'ont pas parlé d'une ma-
nière plus équitable des missions
faites au neuvième siècle chez les
Saxons , par ordre de Charle-
magne. Vo/ez Missions.
ALLIANCE. Dans les saintes
Ecritures , on emploie souvent
le nom iesiamentum , et en grec
SixO-hx^ j P o^^ exprimer la valeur du
mot héhreu bérith , qui signifie a^
liance : d'où viennent les noms
d'ancien et de nouveau Testament,
pour marquer l'ancienne et la nou-
velle alliance. La première alliance
de Dieu avec les hommes est celle
qu'il fit avec Adam au moment de
sa création , lorsqu'il lui défendit
l'usage du fruit de la science du
bien et du mal. Gen. , c. z^'f . 16.
Cette défense est une espèce de
contrat entre Dieu et l'homme;
c'est ainsi qu'elle est appelée. Ec-
cîi. , c. i4 , '^. 12.
La seconde alliance est celle que
Dieu a faite avec l'homme après
son péché, en lui promettant un
rédempteur. En considération de
cette promesse , Dieu n'a point
condamné Adam à la peine éter-
nelle qu'il méritoit, mais seule-
ment à une peine temporelle, au
travail , aux souffrances , à la mort.
« Si notre vie, dit saint Augustin,
» est souffrante et suj ette à la mort,
» c'est un effet de la colère de Dieu,
» et une punition du premier pé-
» ché.... Mais Dieu ne nous a pas
j» traitée comme nos péchés le mé-
» ritoient ; il a eu pitié de nous
» comme un père a compassion de
» ses enfants; ce que nous souf-
» frons est un remède et non une
» vengeance , c'est une correction
» et non une damnation, etc. Il a
»» envoyé son Fils , parce qu'il a eu
» pitié de nous. » Enarr. in Ps.
ALL
loa, n. 17 et suiv. ; Enchir. ad
Laur., c. 27, n. 8. Voyez Adam.
Saint Paul a souvent relevé les
avantages de cette alliance par la-
quelle le second Adam , qui est
Jésus-Christ , a pleinement réparé
le préjudice que le premier homme
avoit porté à sa postérité. « De
» même que tous meurent en
» Adam, ainsi tous seront vivifiés
» par Jésus-Christ. » I. Cor., ci 5,
yt. 22. « De même que par la dés-
» obéissance d'un seul , la multi-
» tude des hommes sont devenus
» pécheurs, ainsi par l'obéissance
» d'un seul, la multitude des hom-
» mes deviendront justes. » Rom.^
c. 5 , j)^. 12 , 19. « Par sa mort,
» Jésus-Christ. à détruit celui qui
» avoit l'empire de la mort, c'est-
» à-dire, le démon, n Hebr.^c. a,
y/'. 14. Voyez RÉDEMPTION.
Une troisième alliance est celle
que le Seigneur fit avec Noé, lors-
qu'il lui dit de bâtir une arche ou
un grand vaisseau pour y sauver
les animaux de la terre, et pour y
retirer avec lui un certain nombre
d'hommes, afin que par leur moyen
il pût repeupler la terre après le
déluge. Gènes. , 6. 18.
Cette alliance fut renouvelée cent
vingt-un ans après , lorsque les
eaux du déluge s'étant retirées, et
Noé étant sorti de l'arche avec sa
femme et ses enfants, Dieu lui dit:
» Je vais faire alliance avec vous
» et avec vos enfants après vous ,
» et avec tous les animaux qui sont
» sortis de l'arche; en sorte que je
» ne ferai plus périr toute chair
» par les eaux du déluge: et l'a rc-
>» en-ciel que je mettrai dans les
» nues, sera le gage de V alliance qae
» je ferai aujourd'hui avec vous.»
Gen., c. g, y. 8, 9, 10 et 11.
Toutes ces alliances ont été gé-
nérales entre Adam et Noé et toute
leur pastérité ; mais celle que Dieu
fit dans la suite avec Abraham ,
fut plus limitée ; elle ne regardoit
que ce patriarche et la race qui
dcvoil naître de lui par Isaac. Les
autres descendants d'Abraham par
Ismaël et par les enfants de Célhura
n'y dévoient point avoir de part.
La marque ou le sceau de cette al-
liance fut la circoncision , que tous
les mâles de la famille d'Abraham
dévoient recevoir le huitième jour
après leur naissance. Les effets et
les suites de ce pacte sont sensibles
dans toute l'histoire de l'ancien
Testament ; la venue du Messie en
est la consommation et la fin. L'«/-
liance de Dieu avec Adam forme
ce que nous appelons la loi de na-
ture ; Vaillance avec Abraham, ex-
pliquée dans la loi de Moïse, forme
la loi de rigueur ; Vaillance de Dieu
avec tous les hommes, par la mé-
diation de Jésus-Christ , fait la loi
de grâce. Gen. , 12, S- ^ -, 2; et
c. \i l'S ' 10, II 1 12.
Dans le discours ordinaire, nous
ne parlons guère que de l'ancien
et du nouveau Testament : de Vai-
llance du Seigneur avec la race
d'Abraham, et de celle qu'il a faite
avec tous les hommes par Jésus^
Christ ; parce que ces deux alliances
contiennent éminemment toutes
les autres qui en sont des suites ,
des émanations et des explications;
par exemple , lorsque Dieu renou-
velle ses promesses à Isaac et à
Jacob , et qu'il fait alliance à Sinaï
avec les Israélites et leur donne sa
loi •, lorsque Moïse , peu de temps
avant sa mort renouvelle V alliance
que le Seigneur a faite avec son
peuple , et qu'il rappelle devant
leurs yeux tous les prodiges qu'il
a faits en leur faveur ; lorsque Jo-
sué , se sentant près de sa fin , jure
avec les anciens du peuple une fi-
délité inviolable au Dieu de leurs
pères : tout cela n'est qu'une suite
de la première alliance faite avec
Abraham.Josias,Esdras,Néhémie,
renouvelèrent de même en diffé-
rents temps leurs engagements et
leur alliance avec le Seigneur; mais
ce n'est qu'un renouvcliemcnf de
ALL
79
ferveur, et une promesse d'une fi-
délité nouvelle à observer des lois
données à leurs pères. Exod., c. 11.
y/.24;c.6,f.4-j;c.i^,f.h.Veut.,
c. 29. Jos. , c, 23 et 24. IV^- Beg. ,
c. 18. Paralip., c. z^jH. 22.
La plus grande , la plus solen-
nelle, la plus excellente et la plus
parfaite de toutes les alliances de
Dieu avec les hommes , est celle
qu'il a faite avec nous par la mé-
diation de Jésus-Christ : alliance
éternelle qui doit subsister jusqu'à
la fin des siècles , dont le Fils de
Dieu est le garant , qui est cimen-
tée et affermie par son sang, qui a
pour fin et pour objet la vie éter-
nelle, dont le sacerdoce, le sacri-
fice et les lois sont infiniment plus
parfaites que celles de l'ancien
Testament. Voyez saint Paul, dans
ses Epitres aiuv Galates et aux Hé-
breux.
Vainement les Juifs soutiennent
que Dieu n'a pas pu établir une
nouvelle alliance , après leur avoir
ordonné d'observer celle de Moïse
à perpétuité. On leur prouve le
contraire, 1.° parce que Dieu l'a
ainsi déclaré, Jerem. , c. 3i, X- 3i
et suiv. ; et c'est l'argument que
leurfaitsaintPaul,Jfeèr.,c.8,;j?".8.
2.° Ils conviennent eux - mêmes
([ue , selon les prophètes , le Messie
doit être législateur ajissi-bien que
Moïse. Deut. , c. 1^ ^^ . i5 ; Isaï. ,
c. 42, S- 4 ; Munimen fidei, i."
part. , c. 20. Cette fonction seroit
superflue, s'il ne devoit point éta-
blir de nouvelles lois. 3.° Dieu
a rejeté les anciens sacrifices etpro-
mis un nouveau sacerdoce. Ps. 49,
S- 7. Isaï. , c. 1 , S • i^ et suiv. ;
c. 66, S- 2. Jerem., c. 7, ^. 21,
Ezech. , c. 20 , y . 5 et suiv. Mich. ,
c. 6,if. 6. Malach., c. i , }^. 10.
C'est encore un argument de saint
Paul,ffc6r.,c. 7,^. i2;c. 8, :j;^. 8.
4.° L'ancienne alliance mettoit un
mur de séparation entre les Juifs et
les autres nations; la loi de Moïse
n'étoif praticable que dans la Judée;
8o
ALO
sous le Messie, au contraire, tou-
tes les nations doivent se réunir et
devenir le peuple du Seigneur; les
Juifs en conviennent : donc il faut
une loi nouvelle qui soit praticable
dans toutes les parties du inonde.
5." Dieu a rendu la loi de Moïse
impraticable aux Juifs mièmes par
leur dispersion, par la destruction
du temple , par la confusion des
généalogies, par rincompatibilité
de leurs lois avec le droit public de
toutes les nations : donc Dieu en a
établi une nouvelle par le Messie ;
elle subsiste depuis près de dix-
huit cents ans. Voyez Philippi à
'Lirnborch arnica collai, cum erudiio
Judœo , etc.
ALOGES ou ALOGIENS , secte
d'anciens hérétiques, dont le nom
est formé d'à privatif, etide ^oyoç,
parole ou verbe , comme qui diroit
sans verbe ; parce qu'ils nioient
que Jésus-Christ fiit le Verbe é-
ternel. Ils rejetoient l'évangile de
saint Jean , comme un ouvrage
apocryphe , écrit par Cérinthe ;
quoique cet apôtre ne l'eût écrit
que pour confondre cet hérétique,
qui nioit aussi la divinité de Jésus-
Christ.
Quelques auteurs rapport ent l'o-
rigiiie de cette secte à Théodote de
Bysance, corroyeur de son métier,
et cependant homine éclairé, qui ,
ayant apostasie pendant la persé-
cution de Sévère, répondit à ceux
qui lui reprochoient ce crime, que
ce n'étoit qu'un homme qu'il avoit
renie, et non un Dieu : et que de
là ses disciples, qui nioient l'exis-
tence du Verbe , prirent le nom
({''alôyoi : « Ils disent , ajoute
i> M.Fleury , que tous les anciens
»» etmemeles apôtres, avoient reçu
»> et enseigné cette doctrine , et
» qu'elle s'étoit conservée jusqu'au
i> temps de Victor, quiétoit le trei-
u zième évêque de Rome depuis
» saint Pierre ; mais queZéphirin
» son successeur avoit corrompu
AMA
" la vérité. «Mais on leur opposoit
les écrits de saint Justin, de Mil-
tiade, de Tatien, de Clément, d'I-
rénée, de Méliton et d'autres an-
ciens,qui disoient que Jésus-Christ
étoit Dieu et homme ; Victor avoit
excommunié Théodote ; comment
l'eût-il excommunié , s'ils eussent
été du même sentiment ? Hist. eccl. ,
tom. I, liv. IV, n.° 33.
D'autres avancent que ce fut
saint Epiphane qui , dans sa liste
des hérésies, leur donna ce nom ;
mais d'autres Pères et grand nom-
bre d'autres ecclésiastiques par-
lent des alogiens, comme sectateurs
de Théodote de Bysance. Voyez
Tertul. , livre des Prescr. , chap.
dernier; saint August. de ifœr. cap.
33;Eusèbe , liv. 5 , chap. 19 ; Ba-
ronius , ad ann. 196 ; Tillemont ,
Dupin, Bibtioth. des auteurs ecclés. y
premier siècle.
ALPHA et OMÉGA, A et Q,
première et dernière lettres de l'al-
phabet grec. Jésus-Christ dit dans
l'Apocalypse : « Je suis Valpha et
» Voméga , le commencement et la
» fin. »C. 1,^.8; C.21, Jii'. 6 ; c. 23,
y^. i3. Il est en effet le Verbe divin
qui a créé toutes choses ; il en est
la dernière fin, puisque c'est en lui
seul et par lui que nous pouvons
trouver le souverain bonheur. Voy.
Coloss,, c. I , ^. i5 et suiv.
ALPHABET grec et latin , ca-
ractères ou lettres à l'usage des
Grecs et des Latins , que , dans la
consécration d'une église, le prélat
consécrateur trace avec son doigt
sur la cendre dont on a couvert le
pavé de la nouvelle église.
Celte cérémonie nous donne à
entendre que l'Église est la vraie
mère des fidèles ; qu'elle leur don-
ne les éléments de la vraie science,
de la science du salut , et qu'elli"
réunit tous les peuples.
(\]NIALÉCITES. rorez Agag.
AMB
\JVIA.URI , théologien de Paris ,
parut au commencenient du trci-
tiéme siècle. Il enseigna que Dieu
étoitla matière première; que la loi
de Jèsua-Christ devoit finir l'an
I200 , et faire place à la loi du
Saint-Esprit , qui «anctifieroit les
hommes sans sacrements et sans
aucun acte extérieur ; que les pé-
chés commis par charité étoient
innocents. Il nioit la résurrection
des morts et l'enfer, rejetoit le culte
des saints , déclamoit contre le
pape, etc. Il eut des sectateurs opi-
niâtres. On pardonna aux femmes;
mais dix de leurs séducteurs su-
birent le dernier supp lice l'an 1 2 1 o.
Le concilede Latran,tenu en i2i5,
confirma la condamnation de leur
doctrine. Amauri eut pour succes-
seur David de Dinant , qui prêcha
la même doctrine. Hist. de VEgl.
gallic, liv. 3o, an. 1210-1212.
AMBITION , désir excessif des
honneurs. Plusieurs philosophes
de notre siècle ont fait l'apolo.'^ic
de V ambition , parce que l'Evangile
la réprouve et commande l'humi-
lité. Ils disent qu'un homme est
louable lorsqu'il recherche les di-
gnités et les places importantes,
dans le dessein de se rendre utile à
ses semblables. Cela seroit fort bien,
si c'étoit là le motif des ambitieux;
mais on sait trop par expérience
que leur intention est de jouir des
privilèges attachés aux grandes pla-
ces, sans se mettre beaucoup en
peine d'en remplir les devoirs , et
que les sujets les plus ineptes sont
ordinairement les plus avides et les
plus empressés de parvenir. « N'i-
» mitez point, dit Jésus-Christ ,
» ceuxqui recherchent lespremiè-
>» res places , les respects et les
» hommages des hommes. » Il re-
proche ce vice aux pharisiens , et
tâche d'en préserver ses disciples.
Malth. , c. 23 , >^. 6. Cette morale
»era toujours plus sage que celle
des philosophes. Avec des palliatifs
I.
AMD 8i
il n'est point de passion que l'on
ne vienne à bout de justifier.
AMBROISE ( S. ) , docteur de
l'Église et archevêque de Milan ,
mort l'an 397. La ineilleureédition
de ses ouvrages est celle des béné-
dictins , en deux volumes in-folio.
Le fait le plus honorable à saint
Ambroise est d'avoir eu saint Au-
gustin pour disciple. On peut voir
ses autres actions dans le Diction-
naire historique; nous nous bornons
à examiner les accusations formées
contre sa doctrine. On lui reproche
d'avoir poussé trop loin l'étendue
de la patience chrétienne, le mérite
de la virginité et du célibat; d'avoir
dit qu'avantMoïse il n'y avoit point
de loi qui défendît l'adultère;
d'avoir voulu justifier , dans les
saints personnages dont parle l'E-
criture, des actions qui ne doivent
être ni louées, ni excusées.
Ces reproches empruntés de
Daillé et de Barbeyrac , deux pro-
testants . ne valoient pas la peine
d'être répétés par les incrédules.
Les premiers chrétiens ont poussé
la patience jusqu'à l'héroïsme ; il
le falloit, afin de convaincre les
persécuteurs de l'inutilité des sup-
plices pour exterminer le christia-
nisme, et de montrer aux païens la
supériorité des maximes de l'Evan-
gile sur la morale de leurs philo-
sophes. Aujourd'hui des censeur»
téméraires osent soutenir que cette
patience n'a pas été poussée asses
loin-
Dans les articles Célibat et Vir-
ginité , nous ferons voir que les
Pères n'ont rien dit de plus que
saint Paul ; que cette doctrine est
sage et irrépréhensible ; qu'il n'est
pas vrai qu'elle déroge àla sainteté
du mariage, ni qu'elle soit nuisible
au bien de la société.
Saint Arnbroise a. eu raison d'a-
vancer qu'avant Moïse il n'y avoit
point de loi/;os/7tWqui défendît l'a-
dultère ; mais il n'a pas prétendu
82 AMB
iju'il fût permis parla loi naturelle.
Le commerce d'Abraham avec
Agar n'étoit ni un adultère ni un
concubinage, mais une polygamie ;
etalors elle n'étoit point réprouvée
par le droit naturel. Voyez Poly-
gamie.
C'est donc très-improprement
que saint Ambroise nomme adultère
ce second mariage d'Abraham ;
mais il n'a pas tort de prétendre
qu'en cela ce patriarche n'a point
péché. 11 est évident, par ce qu'il
dit de Pharaon, à''Abrahanij liv. 2,
r. 2, qu'il n'a jamais pensé que l'a-
dultère proprement dit piit être
permis ; et quoi qu'en dise Barbey-
rac, ce n'est point là une contradic-
tion. Traité de la Morqle des Pères,
c. i3, § 12.
Quant aux autres actions des
patriarches que les Pères de l'Eglise
ont excusées , voyez Patriarche ,
Abraham , etc.
D'autres critiques ont accusé
.sa/n/^TTïèroise d'avoir enseigné que
l'âine humaine est matérielle, parce,
f^u'il dit qu'il n'y a rien d'exempt
de composition matérielle que la
substance de la Trinité , qui est
d'une nature simple et sans mé-
lange. De Abraham , liv. 2 , c. 8 ,
n. 58. Mais, dans cetendroitmême,
il dit que l'àme humaine est indivi-
sible et unie à la Sainte Trinité, qui
est simple. D'ailleurs il professe
formellement l'iramatérialité et
l'immortalité de l'àme dans plu-
sieurs autres ouvrages. In Psalm.
1 18, «CTTre. 10, n. i5, 16, i%;Hexam.,
liv. 6, c. 7, n. 10, etc.
Le Clerc , dans ses notes sur les
Confessions de saint Augustin , pré-
tend que l'invention des reliques
de saint Gervais et de saint Protais
fut une fraude pieuse de saint Am-
broise, qui se servit de cet expé-
dient pour augmenter sonautorité,
pour réprimer les ariens, pour en
imposer à l'impératrice Justine
qui les favorisoit. Il prouve ce
soupçon, i.° parce que saint A.n-
AMB
gustin rapporte que saint Ambroise
fut instruit par une vision ou une
révélation du lieu où étoient ces
reliques, au lieu que saint Am-
broise neparle'pointde cette vision
en racontant cet événement. Epist .
22 , lib. I. 2.° Saint Ambroise dit :
Nous trouvâmes deux corps d'une
grandeur étonnante , lels quils
étaient dans les anciens temps. 'VeuX-
il parler des temps héroïques , ou
veut- il faire ejitendre que les mar-
tyrs devenoient plus grands que
les autres hommes .•* 3.° Il rapporte
que les possédés, ou plutôt les dé-
mons , tourmentés par ces reli-
ques , confondirent les ariens.
4.° En effet , cet événement servit
à humilier et à contenir ces héré-
tiques. Ce fut donc un stratagènae
imaginé à propos. Le Clerc pense
qu'il en est de même de toutes les
autres inventions de même espèce.
Sont-ce donc là des preuves as-
sez fortes pour accuser de fourbe-
rie un personnage aussi respectable
que saint Ambroise? S'il avoit parlé
de la révélation qu'il avoit eue, Le
Clerc lui auroit reproché de l'avoir
forgée par orgueil. Ce n'est pas un
prodige que deux martyrs aient été
de haute stature , tels que les poètes
nous peignent les hommes des
temps héroïques ; il n'y a rien de
ridicule dans cette remarque de
saint Ambroise. Il se fit d'autres
miracles , à cette occasion , que des
guérisons de possédés. Saint Au-
gustin raconte qu'un aveugle re-
couvra la vue, et il paroît l'attes-
ter comme témoin oculaire. Pour
commettre une fraude, il auroit
fallu avoir un trop grand nombre
de complices, les fossoyeurs et les
témoins, les miraculés, tout le
clergé de Milan, et même tous les
catholiques environnés des ariens;
croirons -nous qu'aucun de ces
derniers ne fut témoin des faits .'*
Saint Ambroise se seroit exposé à
la dérision des hérétiques, au dis-
crédit de la foi catholique , au res-
AMB
sentiment de l'impcratrice Just ine;
il n'étoit pas assez imprudent pour
courir un aussi grand danger.
Etoit-il indigne de Dieu de confir-
mer par des miracles la foi à la di-
vinité du Verbe, et le culte des re-
liques contre lequel Vigilance s'é-
leva pendant ce temps-là ? Mais Le
Clerc, qui ne croyoit ni l'un ni
l'autre de ces dogmes , aime mieux
accuser toute l'Eglise catholique de
fourberie , que de démordre de ses
opinions. Par un effet du même en-
têtement , il a reproché à saint Au-
gustin d'avoir feint les prétendus
miracles opérés par les reliques de
saint Etienne, et d'avoir aposté les
miraculés.
AMBROSIEN ( rit ou office ).
Manière particulière de faire l'of-
fice dans l'Eglise de Milan , qu'on
appelle aussi quelquefois VÈglise
Ambrosienni. Ce nom vient de
saint Ambroise , docteur de l'E-
glise et évêque de Milan , dans le
quatrième siècle. Walafrid Stra-
bon a prétendu que saint Ambroise
étoit véritablement l'auteur de l'of-
fice qu'on nomme encore aujour-
d'hui a/nèros/e« , et qu'il,le disposa
d'une manière particulière , tant
pour son église cathédrale que
pour toutes les autres de son dio-
cèse. Cependant quelques-uns
pensentque l'Eglise de Milan avoit
un office différent de celui de
Rome, quelque temps avant ce
saint prélat. En effet, jusqu'au
temps de Charlemagne. , les églises
avoient chacune leur office pro-
pre ; dans Rome même il y avoit
une grande diversité d'offices; et, si
l'on en croit Abailard , la seule
église de Latran conservoit en son
entier l'ancien office romain ; et
lorsque , dans la suite , les papes
voulurent faire adopter celui-ci à
toutes les Eglises d'Occident, afin
d'y établir une uniformité de rit,
l'Eglise de Milan se servit du nom
du grand Ambroise et de l'opinion
AMIi
83
où l'on étoit qu'il avoit composé
ou travaillé cet office, pour être
dispensée de l'abandonner; ce qui
l'a fait nommer rit ambrosien , par
opposition au rit romain. La litur-
gie ambrosienne a été publiée par
Pamélius , en 1 56o : lePère Le Brun
l'a tirée de divers missels anciens ,
imprimés ou manuscrits ; il note
exactement en quoi elle étoit dif-
férente de celle de Rome, ce que
saint Ambroise y avoit ajouté , et
ce qui existoit avant lui. Il rap-
porte les tentatives qui ont été
faites , soit par le pape Adrien 1
sous Charlemagne, soitpar les suc-
cesseurs de ce pontife dans les
siècles suivants, pour introduire
dans l'Eglise de Milan la liturgie
romaine et le rit grégorien, et la
résistance constante du clergé de
Milan. Saint Charles lui-même fut
très-zélé pour la conservation du
rit ambrosien ; et ce rit subsiste en-
core dans la cathédi'ale et dans
la plupart des églises du dio-
cèse de Milan. Explication des
Cérémonies de la messe ^ tom. 3,
pag. 175.
Ambrosien ( chant). Il est parlé
dans les rubricaires du chant am-
brosien , aussi ustté dans l'Eglise de
Milan et dans quelques autres , et
qu'on distinguoit du chant ro-
main, en ce qu'il étoit plus fort et
plus élevé; au lieu que le romain
étoit plus doux et plus harmo-
nieux. Vojr. Chant et Grégorien.
Saint Augustin attribue à saint
Ambroise d'avoir introduit en
Occident le chant des psaumes , à
l'imitation des Eglises orientales ;
et il est très -probable qu'il en
composa ou revit la psalmodie.
August. , Confess. 9 , cap. 7.
AMBROSIENS ou PNEUMATI-
QUES , nom que quelques-uns
ont donné à des anabaptistes dis-
ciples d'un certain Ambroise qui
vantoit ses prétendues révélations
divines, en comparaison desquel
84 AIME
les il méprisoit les livres sacrés
de l'Ecriture. Gautier , De hcer. ,
au seizième siècle.
AME, substance spirituelle, qui
pense et qui est le principe de la
vie dans Thoninie. C'est aux philo-
sophes d'exposer les preuves de la
spiritualité et de l'immortalité de
Vâme humaine , que la lumièi'e
naturelle peut fournir ; le devoir
des théologiens est de faire voir
que ces deux dogmes essentiels ont
été révélés aux hommes dès le
commencement du monde ; que
Dieu n'a pas attendu les spécula-
tions de la philosophie, pour leur
enseigner ces deux importantes
vérités ; que les philosophes mê-
mes n'ont jamais pu les démontrer
invinciblement, faute d'avoir été
éclairés par la révélation. (N;*I1I,
p. ni.) Nous ajouterons quelques
réflexions touchant l'origine de
Vâme.
I. De la spîrUualiié de rame. La
première vérité que nous enseigne
l'histoire sainte, est que Dieu est
créateur, qu'il a tout fait par sa
parole ou par un simple acte de
sa volonté; donc il est pur esprit.
Au mot Création , nous ferons
voir que cette conséquence est
incontestable. Or , cette même
histoire nous apprend que Dieu a
fait l'homme à son image et à sa
ressemblance. Gen., c. i,'^. 26 et
37; c. 9, y. 6. Donc l'homme
n'est pas seulement un corps; il
est intelligent, actif, libre dans
ses volontés comme Dieu.
Il est dit qu'après avoir formé
un corps de terre. Dieu souffla
sur le visage de l'homme; que,
dès ce moment, ce corps fut vi-
vant, animié,doué du mouvement
et de la parole. En effet, c'est sur
le visage ou sur la physionomie
de l'homme que brillent la vie ,
l'intelligence, l'activité, les désirs,
les sentiments de son âme. Rien
de semblable dans les animau.x.
AME
Uâme, l'esprit, ne sont point sen-
sibles par eux-mêmes, mais par
leurs effets; ils ne peuvent donc
être désignés que par là : le plus
sensible de ces effets est le soujfle
ou la respiration ; tout ce qui res-
pire est censé vivant. Il est donc
naturel d'exprimer par le souffle
le principe même de la vie. Mais
il est écrit que le souffle du Tout-
Puissant donne l'intelligence. Job,
c. 32, '^. 8. Jamais nos auteurs
sacrés n'ont attribué l'intelligence
à la matière. Les philosophes qui
ont dit que le souffle désigne ici
quel que chose dematériel, ont bien
peu réfléchi sur l'énergie du lan-
gage. (N.« IV, p. IV.)
Dieu dit : « Faisons l'homme à
» notre image et ressemblance ,
» pour qu'il préside aux animaux,
» à tout ce qui vit sur la terre ,
» à toute la terre elle-même. »
Gen. , c. I , ;)^. 26. Et Dieu lui
donne en effet cet empire, "^ . 28;
l'homme est donc d'une nature
bien supérieure à celle des ani-
maux, puisqu'il est créé pour être
leur maître.
En effet , Dieu ne parle point
aux êtres matériels, il n'adresse
pointla parole aux animaux; mais
il parle à l'homme, il converse avec
lui, il lui accorde des droits, lui
impose des devoirs; il agit avec lui
comme avec un être intelligent ,
libre , maître de ses actions, digne
de récompense ou de châtiment*:
est-ce ainsi que l'on traite un au-
tomate ou un animal ? Des spécu-
lations métaphysiquessurlanature
de l'esprit et de la matière, des
dissertations grammaticales sur la
signification des termes, sont bien
froides en comparaison des leçons
que nous donne l'histoire sainte.
Il n'est donc pas étonnant qu'il
ne se soit encore trouvé sur la
terre aucun peuple assez stupide
pour confondre l'esprit avec la
matière, et l'homme avec les ani-
maux j la plupart ont inieux aimé
AME
donner une âme iulelligente el
spirituelle aux animaux que de la
refuser à l'homme.
Faudra-t-il parcourir toute lasui—
le de l'histoire et des livres saints,
pour montrer la même croyance
toujours subsistante chez les Hé-
breux ? Vainement on y cherchc-
roit des vestiges de matérialisme ,
ou des expressions capables de
prouver que les Juifs ont mis
l'homme au rang des animaux.
Le reproche le plus sanglant que
les auteurs sacrés font aux hom-
mes corrompus et livrés à des
passions brutales, est de leur dire
qu'ils ont oublié leur propre na-
ture, qu'ils se sont dégradés jus-
qu'au rang des animaux , et se
sont rendus semblables aux bru-
tes. Ps. 48, S- i5 et 21; Isaï. ,
c. 1 , ]^. 3, etc.
On a voulu tourner Moïse en
ridicule , parce qu'en défendant
aux Israélites de manger le sang
des animaux , il a dit que Vâme
de toute chair est dans le sang ,
et que le sang est Vâme des ani-
maux. Levit., c. 18, y. II et i4 ;
Deuf., c. 12, yî . 23. Et l'on a
conclu que les auteurs sacrés, en
parlant de Vdme en général , n'ont
entendu rien autre chose que le
souflle ou la respiration.
Quand Moïse auroitvoulu don-
ner à entendre que le principe de
la vie des animaux est dans leur
sang, nous ne voyons pas par
quelle raison démonstrative nos
plus habiles physiciens pourroient
prouver le contraire, et il ne s'en-
suivroit pas que Moïse a pensé de
même à l'égard de Vâme de l'hom-
me. Mais ce législateur ne faisoit
pas une dissertation philosophi-
que sur Vâme des betes; il don-
noit aux Hébreux une raison sen-
sible de la loi qu'il leur imposoit.
Il leur défend de nnanger le sang
des animaux, parce que ce sang,
sans lequel les animaux ne peuvent
vivre a été donné de Dieu aux
AME 85
Israélites pour expier leurs ârnes,
lorsqu'il est offert sur l'autel-
C'est donc dans ce stns qu'il dit,
Levit., c. \'j , "^ . \i : « Le sang
» est pour l'expiation de l'aine, »
et Deui. , c. 12 , j!/ . 23: « Leur
» sang est pour Vâme. » Mais cela
ne signifie point que le sang tient
lieu (ï'âmc aux animaux.
Comme l'ame signifie en général
le principe de la vie, les Hébreux
ont pu dire , comme nous , Vârm
des brutes , puisqu'elles ont en ef-
fet un principe de vie. Quel est-
il .'' Nous ne le savons pas mieux
qu'eux. Mais ils n'ont jamais pen-
sé, non plus que nous, que ce
principe fût le même en nous et
dans les brutes. Ils se servent du
mot âme pour désigner l'homme,
et non les animaux qujind ils disent:
toute âme qui ne recevra point la
circoncision , toute âme qui péchera
mourra, toute àme quine s^ajfligera
point, etc. Ils attribuent a l'ame
et non au corps les fonctions spiri-
tuelles. Lorsque David dit : Mon
âme se réjouit dans le Seigneur ;
mon âme est affligée; mon âme ,
bénissez le Seigneur , etc. , cela ne
peut s'entendre du souflle , de la
respiration, du principe de vie
matérielle.
Nous prouverons dans un mo-
ment que les Israélites ont cru
constamment l'immortalité de
Vâme humaine; il en résultera
qu'ils ne l'ont point confondue
avec le souftle ou la respiration.
Personne ne nous obligera, sans
doute , à montrer que Jésus-Christ
a confirmé par ses leçons divi-
nes la croyance primitive de la
spiritualité de Vâme, et qu'il a
pleinement dissipé les doutes
qu'une philosophie contentieuse
avoit répandus sur celte impor-
tante question. « Dieu est esprit ,
» dit-il , et ceux qui lui rendent
» un culte doivent l'adorer en cs-
» prit et en vérité. » Joan., 0.4^
J?. a4- Mais c'est surtout en éla-
86 AME
blissant d'une manière invincible
l'immortalité de r«me, que notre
divin Maître en a démontré la spi-
ritualité; nous le verrons ci-
après.
Les incrédules , qui ne savent
argumenter que sur des mots, ont
cependant objecté que souvent ,
dans l'Evangile, Vàme ne signifie
rien autre chose que la vie. Cela
n'est pas étonnant , puisque c'est
Yâme qui est le principe de la vie;
mais lorsque Jésus-Chrit a dit :
« Celui qui perdra son âme pour
» moi, la retrouvera; celui qui
» hait son âme en ce monde la
» garde pour une vie éternelle , »
Matih. , c. lo , S • Sg ; Joan. ,
c. 12 , ^. a5 ; n'est-il question là
que de la vie du corps i'
Dans l'impossibilité de faire de
Jésus-Christ'un matérialiste , nos
savants dissertateurs ont du moins
voulu imprimer cette tache aux
Pères de l'Eglise. Ils ont soutenu
que , comme aucun des anciens
philosophes n'a eu l'idée de la par-
faite spiritualité, les Pères de l'E-
glise ne l'ont pas mieux conçue ;
qu'ils ont seulement entendu par
V esprit une matière subtile ; que
selon leur opinion Dieu, les an-
ges, les âmes humaines, sont fon-
cièrement des corps, mais légers,
ignés ou aériens.
Nous n'avons certainement au-
cun intérêt à justifier les anciens
philosophes ; mais nous ne pou-
vons nous résoudre à croire que
des hommes, qui ont combattu de
toutes leurs forces contre le maté-
rialisme des épicuriens , sont tontv-
bés cependant dans la même er-
reur.Cicéron, dans ses Tusculanes,
a prouvé la spiritualité de Vâme
aussi solidement que Descartes ,
et il fait profession de répéter les
leçons de Platon, de Socrate et
d'Aristote. Nos littérateurs mo-
dernes se sont moqués de celui-
ci , parce qu'il a dit que Yâme est
nue eniéléchie; ils n'ont pas vu que
AME
ivTCAextîa chez Ics Grecs signifie la
même chose que intelligentia chex
les Latins. Voilà des dissertateurs
fort en état de juger de la doctrine
des anciens philosophes.
Nous croirons encore moins que
les Pères de l'Eglise ont préféré les
leçons du portique ou de l'acadé-
mie à celles de l'Écriture sainte ,
et qu'en admettant un Dieu créa-
teur, ils ont supposé un Dieu cor-
porel : ces deux dogmes sont in-
compatibles. Laplupart ont insisté
sur ce qu'il est dit dans la Genèse,
que Dieu a fait l'homme à son ima-
ge; et ils n'ont jamais pensé qu'un
corps , tant subtil qu'il pût être ,
pouvoit ressembler à un pur es-
prit. Enfin , tous ont attribué à
l'a/ne humaine l'intelligence, la li-
berté et l'immortalité : propriétés
qui ne peuvent appartenir à un
corps.
A la vérité les Pères, obligés de
s'assujétir au langage ordinaire ,
ont été dans le même embarras
que les philosophes ; ils ont été
forcés d'exprimer la nature , les
propriétés, les opérations de r«7i7«
par des termes empruntés des cho-
ses corporelles; parce qu'aucune
langue de l'univers ne peut en
fournir d'autres. Ainsi , les uns
ont pris le mot de corps dans un
sens synonyme à celui de substance,
parce que celui-ci n'étoit pas em-
ployé chez les Latins dans la même
signification que chez nous ; les
autres ontaopelé la manière d'être
des esprits une forme^ et leur action
un mouvement \ d'autres ont dési-
gné la présence de Yâme dans tou-
tes les parties du corps par le terme
de diffiisîen , d'égalité ou. dc'quan-
tité ; autant de métaphores sur les-
quelles il est ridiculed'appuyerdcs
arguments Au troisième siècle de
l'Eglise, Plotin, disciplede Platon,
dans sa quatrième Ennéade; saint
Augustin , dans son livre De quan-
fitaieanimœ; au cinquième, Clau-
dien Mamert , dans son traité De
AME
slaiu animœ, ont démontré l'im-
matcrialité de Vâme par les mêmes
preuves que Descartes. Il est donc
ridicule de leur attribuer le maté-
rialisme par voie de conséquence,
ou sur quelques expressions qui
ne sont pas parfaitement exactes ,
pendant qu'ils font une profession
formelle de la doctrine contraire.
Le comble de la témérité a été
d'affirmer, comme on l'a fait de
nos jours , que saint Augustin est
le premier qui, après blendes ef-
forts , est venu à bout de concevoir
la spiritualité et l'essence de Vâme;
que cependant il a toujours rai-
sonné en parfait matérialiste sur
les substances spirituelles. Non-
seulemient dans l'ouvrage que nous
venons de citer, mais dans le li-
vre lo , De Trinitaie ^ c. lo, ce
Père donne de la spiritualité de
l'aine une démonstration à laquelle
aucun matérialiste n'a jamais ré-
pondu.
On attribuoit autrefois à saint
Grégoire Thaumaturge une dis-
pute dans laquelle l'auteur prouve
contre Tatien que Vâme humaine
est une substance immatérielle ,
simple et non composée, par con-
séquent immortelle. Cet ouvrage
est sans doute d'un écrivain plus
récent, mais qui raisonne très-so-
lidement. Gérard Vossius observe
que la même doctrine est formel-
lement professée par saint Maxime
dans une dissertation sur Vrlme ,
par saint Athanase, par saint Jean-
Chrysostôme et par saint Gré-
goire de Nazianze. Nous aurons
soin de justifier les autres dans
leur article particulier.
Parmi les passages allégués par
les incrédules pour calomnier les
Pères, il y en a plusieurs qui sont
forgés, d'autres que l'on a tirés
d'ouvrages qui ne sont point des
auteurs auxquels on les attribue ,
d'autres dans lesquels on force le
.sens des expressions; mais nos
adversaires ne sont pas scrupuleux
AME 87
sur le choix des armes dont ils se
sei'vent.
Us disent que les anciens étoicnt
fort embarrassés à expliquer l'ori-
gine de l'ame, surtout Tertullien,
1. De anima ^ c. 19, et saint Au-
gustin, 1. De origine animœ. Mais
avons-nous besoin de l'expliquer
mieux que ne fait l'Écriture
sainte ? Saint Augustin n'a traité
cette question que parce qu'il au-
roit voulu concevoir comment le
péché d'Adam est transmis à ses
descendants. Cela n'est pas fort né-
cessaire ; il suffit de croire le dog-
me du péché originel tel qu'il
est révélé. Tertullien, dans ce li-
vre même, soutient de toutes ses
forces la simplicité , l'indivisibi-
lité et l'indissolubilité de Vâme ,
c. 14. Cependant l'on s'obstine à
dire qu'il a cru Vâme corporelle.
II. De Vimmortalilé de Vâme.
(N/ V, p. IX.) On demande si ce
dogme est clairement révélé, s'il
a été cru par les patriarches et
par les Juifs : il n'en est rien , se-
lon nos philosophes matérialistes ;
ils disent qu'avant la captivité de
Babylone les Juifs n'en ont eu
aucune notion , qu'ils l'ont em-
pruntée des Chaldéens ou des Per-
ses; mais on ne nous dit point à
quelle école ces derniers en avoient
été instruits.
Nous répondons d'aboi'd que le
soultle de la bouche du Seigneur
ne meurt point; mais nous ne
sommes pas réduits à cette seule
preuve. Après le péché d'Adam ,
avant de le condamner à la mort.
Dieu lui promet un rédempteur.
En quoi cette promesse pouvoit-
elle l'intéresser, si elle ne devoit
pas être accomplie pendant sa vie,
et s'il devoit mourir tout entier!
Dieu dit à Caïn : « Si tu fais bien,
» n'en recevras-tu pas la récom-
» pense ? Mais si tu fais mal, ton
» fléché s'élèvera contre toi. »
Gen. , c. ^,y .']. Cependant Abel,
loin de recevoir la récompense de
88 AME
ses vertus en ce inonde, a péri
par une mort violente et pré-
maturée. Dieu , qui faisoit alors
la fonction de législateur et de
juge , a-t-il pu le permettre . s'il
n'y a ni récompenses à espérer,
ni châtiments à craindre après
la mort.
Abraham entend de la bouche de
Dieu ces paroles consolantes : « Je
» serai moi-même ta grande récom-
» pense. » Gen. , c. i5, J/'. i. Elle
étoit bien foible , si elle devoit se
borner à la vie présente. Que fai-
soient à ce patriarche les bénédic-
tions queDieuluipromettoitderé-
pandre sur sa postérité ? Abraham
achète une caverne pour servir de
tombeau à Sara son épouse ; il la
laisse pour héritage à ses enfants.
Jacob veut y être enterré et dormir
avec ses pères. Gen. , c. 4/ , ^^ 3o.
Lamortnepeutetrecenséeun som-
meil, qu'autant qu'il y a un réveil
a espérer. Ce patriarche , près de
mourir, assemble ses enfants : <t Je
M meurs, dit-il ; enterrez-moi dans
» le tombeau d'Abraham et d'I-
» saac ; » et s'adressant à Dieu , il
ajoute ; « J'attends de vous , Sei-
» gneur , ma délivrance et mon
» salut. » Gen., c.48, S. 21; c.49,
^. 18 et 29. Il n'étoit point ques-
tion là de guérison ; Jacob savoit
bien qu'il ne relèveroit pas de sa
maladie.
Joseph son fils , dans la même
circonstance , dit à ses frères :
M Après ma mort , Dieu vous visi-
» tera et vous conduira dans la
>» terre qu'il a promise à nos pères
» Abraham , Isaac et Jacob
» Transportez mes os avec vous, »
c. 5o , yi. 23. Cet ordre fut exécuté.
JExod. , c. i3., yj'. 19, Si on nous
demande où est gravé le dogme
de l'immortalité, nous répondrons
hardiment : Sur le tombeau des
patriarches.
Job , réduit au comble du m^al-
heur,ne perdpoint courage; il dit:
« Quand Dieu m'ôteroit la vie ,
AiVIE
» j'espérerois encoreenluî,>»c. i3,
y. i5. « Les leviers de ma bière
» porteront mon espérance ; elle
u reposera avec moi dans la nous-
» sière du tombeau, » c. 16,^. 17,
Hebr. Sur ce sujet , Salomon dit
dans les Proverbes, c. i4, y. 3a ,
que le juste espère même dans sa
mort. Que peut-il espérer , s'il
nrieurt pour toujours ."*
Il est incontestable que les Égyp-
tiens croyoient non-seulement l'im-
mortalité de Vdme, mais encore la
résurrection future ; c'est pour cela
qu'ils embaumoient les corps. Les
Israélites ont demeuré plus de deux
cents ans parmi les Égyptiens, et
ils ont imité leur coutume d'em-
baumer ; seroit-il possible qu'ils
n'eussent pas adopté la même
croyance, si déjàilsnel'avoientpas
eue par la tradition de leurs pères?
Mais nous en avons des preuves
trop positives pour pouvoir en
douter.
I ."Moïse leur défend d'interroger
les morts , pour apprendre d'eux
les choses cachées, comme faisoient
les Chananéens.Dt;u/.,c. 18, y. 11.
Malgré la défense , cette supersti-
tion fut pratiquée. Saûl fit évoquer
par une python isse Y âme de Sa-
muel , qui lui dit : « Demain vous
» et vos fils serez avec moi. »
I. Reg. , c. 28 ,yj'. II. Isaïc parle
encore de cet abus , c. 8 , y . 19 ;
c. 65 , y. 4- Il n'auroit pas eu lieu
chez une nation persuadée que les
morts ne subsistent plus. C'est
pour cela même que tout homme
qui avoit touché un mort étoit
censé impur.
2.° En offrant à Dieu les pré-
mices des fruits de la terre , un
Israélite étoit obligé de protester
<[u'il n'en avoit rien employé à un
usage impur , et qu'il n'en avoit
rien donné au mort. Deut. , c. 26 ,
y^. iS.L'usage défaire desoffrandes
aux mânes, ou aux âmes des morts,
de se couper les cheveux et la barbe,
et de les mettre dans leur cercueil^
AME
de répandre du sang à leur hon-
neur , suppose évidemment la
croyance de T immortalité de Vànie;
toates ces superstitions sont dé-
fendues aux Juifs , parce qu'ils
éloient enclins à y tomber. Lecit. ,
c. 19 , yî. 27 ; J)eut. , c. i4 , ^. I.
Cela n'auroit pas été nécessaii-e
s'ils n'avoient eu aucune notion
d'une autre vie.
3.° Le prophète Balaam dit ,
Num. , c. 23 , y. 10 : « Que mon
M âme meure de la mort des justes,
» et que mes derniers moments
» soient semblables aux leurs. »
Quelle différence peut-il y avoir
entre la mort des justes et celle des
pécheurs , s'il n'y a rien à espérer
ni à craindre après la mort. Les pre-
miers, sans doute, sont tranquilles
et n'ontpoint de remords; etpour-
quoi les seconds en auroient-ils , si
tout finit avec cette vie?
4.° Pour avertir Moïse de sa
mort prochaine, Dieu lui dit: «Tu
»> dormiras avec tes pères. » Deut. .
c. 3i ,y/. 16. « Monte sur la mon-
» tagne de Nébo ; tu y seras réuni
» à tes proches , comme ton frère
» Aaron est mort sur la montagne
» de Hor , et a été réuni à son
» peuple. »Ib.,c. 32, ^.49. Mais les
parents deMoïse et d' Aaron avoient
été enterrés en Egypte ; ces deux
frères , morts dans le désert , ne
poùvoient donc pas être réunis ,
par la sépulture , à leur famille.
Ces expressions nous indiquent
évidemment un séjour des morts
différent du tombeau.
5.° David , étonné de la prospé-
rité des pécheurs, de leur insolence,
de leur impiété, avoit été tenté de
désespérer des récompenses de la
vertu, et de regarder les justes com-
me des insensés. «J'ai voulu, dit-il,
» comprendre ce mystère; j'y ai eu
» de la peine, jusqu'à ce que je suis
» entré dans le secret de Dieu , et
» que j'ai considéré leur dernière
» fin. »Ps. 72, yî. 16. Ce scandale
ne scroît pas dissipé , si les uns et
AME 89
les autres avoient la mort pour
dernière fin.
6.°Salomon son fils fait lamême
chose dans l'Ecclésiaste il tient
d'abord le langage d'un épicurien,
qui juge que tout se termine au
tombeau , que les bons et les mé-
chants ont la même destinée. « Qui
» sait, dit-il, si l'esprit des enfants
» d'Adam monte en haut, et si celui
» des animaux descend dans la
» terre?... Tousmeurentde même;
» les morts ne sentent ni ne con-
» noissent plus rien ; il n'y a plus
» de récompense pour eux, et leur
» mémoire tombe également dans
» l'oubli : bornons-nous donc à
» jouir du présent, etc. »Maisbien-
tôt il réfute ce langage impie. « Ne
» ditespoint : Jl ny a point dePro-
» vidence, de peur que Dieu, irrité
•> de ce discours, ne confonde tous
» vos projets. ..Craignez Dieu, c.5,
» ^i'. 5. Il vautmieux aller dans une
» maison où règne le deuil, que
» dans celle où l'on prépare un fes-
» tin : dans la première , l'homme
» est averti de sa fin dernière , et ,
» quoique plein de vie , il pense à
» ce qui doit lui arriver, c. 7,^.3.
» Parce que les méchants ne sont
» pas punis d'abord, les enfants
» des hommes font le mal sans
» crainte; cependant, puisque l'im-
j) pie a péché cent fois impunément,
» je suis certain que ceux qui
n craignent Dieu prospéreront à
» leur tour,c. 8, y. 1 1. Ré jouissez -
» vous pendant votre jeunesse , a
)) la bonne heure ; mais sachez que
» Dieu sera Totre juge sur tout
» cela, c. ii^yi . ^. Souvenez-vous
» de votre Créateur dans ce temps-
» là même , avant que n'arrive le
» moment auquel la poussière re-
» tombera dans la terre d'où elle a
» été tirée , et auquel l'esprit re-
» tournera à Dieu qui l'a donné ,
» c. 12, yi . 1 et 7. Craignez Dieu et
» observez ses commandements :
1) c'est l'essentiel pour l'iiomme ;
»> Dieu entrera en jugement avec
go AME
M lui pour tout le bien et le mal
1) qu'il aura fait, Cl 3. "Comment
les épicuriens de nos jours ont-ils
osé affirmer que Salomon pensoit
comme eux;
^."Elievoulantressusciterun ea-
fant dit à Dieu : « Seigneur , faites
« que Vâme de cet enfant revienne
» dans son corps. » L'historien a-
)Oute que rame de cet enfant revint
en lui et qu'il ressuscita. JJI.JReg.,
CI 7,1)!^. 20. Ce n'est pas le seul prodi-
ge ds cette espécerapporté dans les
livres saints. Les matérialistes ont-
ils jamais cru aux résurrections .''
8.°Isaïenousassureque les justes
morts se reposent dans le lieu de
leur sommeil, parce qu'ils ont mar-
ché droit , c. 57 , ^. I et 2. Il sup-
pose , c. i4 , y. 9 , que les morts
parlent au roi de Babylone lors-
qu'il va les rejoindre, et lui repro-
chent son orgueil.
Tous ces écrivains sacrés que
nous citons ont vécu avant la cap-
tivité de Babylone ; ils tiennent ce-
pendant le même langage que ceux
qui sont venus après , comme Da-
niel , Esdras , les auteurs des livres
de la Sagesse, de l'Ecclésiastique et
des Machabées. Cette uniformité
d'expressions, de conduite, de lois,
d'usages , nous paroît plus capable
de constater le fait de la croyance
constante des patriarches et des
Juifs, qu'une dissertation philoso-
phique sur la nature et la destinée
de Vâme humaine , quand même
elle auroit été faite par l'un des en-
fants d'Adam.
Le« Egyptiens , l^Chananéens ,
les Chaldéens , les Perses , les In-
diens, les Chinois, les Scythes, les
Celtes , les anciens Bretons , les
Gaulois , les Grecs et les Romains ,
les Sauvages même, ont cru de tout
temps l'immortalité de Vdme. C'est
sur cette tradition universelle que
Platon, Cicéron et les autres philo-
sophes fondoient l'opinion qu'ils
en avoient, beaucoup plus que sur
leurs démonstrations. Et, des dis-
AME
serta leurs modcmesavoîent entre-
pris denous persuader que, par une
exception unique sous le ciel , les
Juifs ignoroient profondément
cette vérité , et qu'il n'en est pas
fait mention dans leurs livres !
Nous convenons que chez les
païens la croyance de l'immortalité
de Vdme n'a jamais fait partie de
la religion publique ; aucune loi ne
rendoit sacré ce dogme important;
on pouvoit l'admettre ou le nier
sans conséquenceetsanscourirau-
cun danger. C'est ce qui démontre
combien la religion païenne étoit
incapable de contribuera la pureté
des mœurs, et combien les peuples
avoient besoin d'une religion plus
sage et plus sainte.
Lorsque Jésus-Christ parut sur
la terre , la philosophie épicu-
rienne, les fables des poètes sur les
enfers, et la corruption des mœurs,
avoient presqu'entiérement détruit
chez les païens la croyance de l'im-
mortalité de Vâme. Malgré les ar-
guments de Platon et de Cicéron,
Juvénal nous apprend que , chez
les Romains, personne, excepté les
enfants , ne croyoit plus à la fable
des enfers. Par une vieil le habitude,
on honoroit encore les mânes ou
les âmes des morts , et l'on faisoit
des apothéoses ; mais personne ne
savoit ce qu'il falloit penser de l'é-
tat de ces âmes. La- foi à la vie à
venir n'entroit pour rien dans la
morale ; il ne restoit à la vertu ,
pour se soutenir, que l'instinct de
la nature et un foible pressentiment
des peines et des récompenses fu-
tures. Cettemêmefoiétoit ébranlée
chez les Juifs par les sophisraes des
saducéens ; l'on sentoit le besoin
d'un maître plus imposant que
les docteurs de la loi et que les
philosophes.
Le Fils de Dieu annonça la vie
éternelle pour les justes, et le feu
éternel pour lesméchants;il fonda
ce dogme , non sur des arguments
philosophiques, mais sur sa parole,
AME
qui élolt celle île Dieu son Père ;
il le prouva non-seulement par les
résurrections qu'il opéra, mais par
sa propre résurrection ; il assura
non-seulement la vie éternelle de
Yâme, mais la résurrection future
des corps. Il fit de ce dogme capital
la base de toute sa morale ; par-là
il consola et encouragea la vertu ,
il fit trembler le crime, il forma des
disciples capables de mourir com-
me lui en bénissant Dieu, et il im-
posa plus d'une fois silence aux
frivoles objections des saducéens.
Lorsqu'ils voulurent argumenter
contre le dogme de la résurrection
future , il leur dit : « N'avez-vous
)» pas lu ce que Dieu vous a dit, Je
» suis le Dieu d'Abraham. , d^Isaoc
» et deJacob ?\\n'tsi pas le Dieu
» des morts , mais des vivants. »
Maith. , c. 22, f.3i. En effet, ces
patriarches n'ont pas été récom-
pensés dans cette vie de leurs vertus
et du culte qu'ils ont rendu con-
stamment à Dieu ; il faut donc que
Dieu les récompense dans une autre
vie; et s'ils vivent, pourquoi ne res-
susciteroient-ils pas?
Jésus-Christ , dit saint Paul , a
mis en lumière la vie et l'imnYorta-
lité par l'Evangile. /J. Tim., c. i,
y. lo. S'il n'a pas dit de la vie
future tout ce que voudroient les
philosophes , pour satisfaire leur
curiosité, il nous en a suffisamment
appris pour confirmer la foi desjus-
tes et pour effrayer les pécheurs.
Celse et les autres philosophes
ennemis du christianisme , ont
tourné en ridicule le dogme de la
résurrection des corps ; mais ili
n'ont osé rien affirmer sur l'état
desdmcsaprés la mortàls ont mieux
aimé demeurer dans une ignorance
qui favorisoit leurs vices, que d'em-
brasser une doctrine qui les auroit
excités à la vertu. Il est trop tard ,
après dix-sept centsansdelumière,
de vouloir ramener les anciennes
ténèbres touchant la nature et la
destinée de Vâme humaine.
AME 91
III. De Vorigine de Vâme. La
croyance générale de l'Eglise chré-
tienne est que les àrnes humaines
sont l'ouvrage immédiat de la puis-
sance divine, et queDieu leur donne
l'être par création. Cesentimentest
fondé tout à la fois sur l'Ecriture
sainte , qui dit que Dieu a créé tou-
tes choses sans exception , et sur la
notion claire que nous avons de la
nature des esprits. Puis([ue ce sont
des êtres simples , sans étendue et
sans parties, un esprit ne peut être
détaché de la substance d'un autre
esprit; il nepeutdonc en sortir par
émanation, comme un corps sort
d'un autre corps dans lequel il étoit
renfermé. Ou il faut que les âmes
soient éternelles et sans commen-
cement comme Dieu , ou il faut
qu'elles aient commencé d'être par
création.
Cependant de savants critiques
protestants prétendent que ce n'a
point étélàlesentimentdes anciens
Pères de l'Eglise; que la plupart ont
cru, comme le grand nombre des
philosophes, que les dmes sont une
partie de la substance divine , et
qu'elles en sont sorties par émana-
tion. Bcausobre , en particulier ,
dans son Histoire du Manichéisme,
1. 6, c. 5 , § g , s'est attaché à
prouver ce fait, et il s'en est servi
pour réfuter ou pour éluder les
arguments par lesquels les Pères
ont attaqué les manichéens. Comme
cette erreur seroit grossière et
donneroit lieu à des conséquences
très-fa usses, il est bon desavoir si
les Pères y sont réellement tombés.
i.° Il est difficile de croire que
les Pères , qui ont formellement
enseigné que Dieu a créé les corps
ou la matière, aient douté s'i l a aussi
créé les esprits ; l'un lui a-t-il été
plus difficile que l'autre ? Les an-
ciens philosophes n'ont admis les
émanations que parce qu'ils reje-
toient le dogme de la création; dès
qucIesPèrcs ont professé ce dogme,
quelle raison auroienl -ils pu avoir
93 AME
de croire l'émanation des esprits .
2.° Beausobre, après avoir cité un
passade de Mânes , qui porte que
la prcraiére àme émana du Dieu de
la lumière , dit qu'il ne faut pas
presser ces mots, qu'ils pcuventsi-
gnifier seulement que l'a/?!* fut en-
voyée de la part de Dieu ; mais dans
les passages des Pères qu'il cite, il
presse tous les mots, ou les prend
dans le sens le plus rigoureux.
3." Il ne veut pas que l'on impute
aux manichéens les conséquences
qui suivoient de leur doctrine ,
parce que ces hérétiques les nioient;
mais il a grand soin de relever
toutes les conséquences des opi-
nions fausses qu'il attribue aux
Pères, quoique ceux-ci ne les aient
jamais admises. Telle est sa mé-
thode dans tout son livre. Mais
voyons les passages qui lui servent
de preuves.
Dans !e dialogue de saint Justin
avec Tvy'phon , n. 4 ? ce Juif lui
demande si Vâme de l'homme est
divine et immortelle ; si c'est une
partie de l'Esprit souverain, reg^/cc
mentis particula ; si , de même que
cetEsprit voit Dieu, nous pouvons
espérer de voir en esprit la Divi-
nité, et d'être ainsi heureux. As-
surément, répond saintJustin.Mais
ce qui précède prouve clairement,
i.°queparr£s/7nÏ5ouc^erai«quivoit
Dieu, saint Justin entend le Saint-
Esprit ; 2. "que la seule question
étoit de savoir si Vâme peut voir
Dieu. Ainsi, la réponse affirmative
de saint Justin tombe directement
sur cette partie de la question, et
non sur ce qui précède. Beausobre
a tronqué le passage, pour persua-
der le contraire. 6° Saint Justin
déclare , ibid. , n. 4 , qu'il ne croit
point, comme Platon, que Vâme
est incréée , àj'/wioTOî , et indes
tructible par sa nature, non plus
que le monde. « Je ne pense pas
» néanmoins, dit-il, qu'aucuneamg
» périsse. » S'il avoil pensé que
Vâme est une portion de Dieu ,
AME
auroit - il cru qu'elle peut être
anéantie ?
Dans le fragment d'un ouvrage
sur la résurrection future, n.° 8,
saint Justin reprend ceux qui di-
soient que Vâme est incorruptible,
parce que c'est une partie et un
souffle de Dieu ; mais qu'il n'en est
pas de même de la chair. « Seroit-ce
» donc, dit cePère, une preuve de
» puissanceou de bonté de la pari
» deDieu,de sauver ce qui doit être
» sauvé par sa propre nature , qui
j) est une portion de lui-même et
» son souffle "^ Ce seroit se conserver
» soi-même. » Je croirois , dit
Beausobre, que ce raisonnement de
Justin est un argument ad homi-
776771, s'il ne s'étoitpas expliqué clai-
rement dans sa dispute avec Try-
phon. Or, nous venons de voir que
cette explication est absolument
contraire au sentiment de Beau-
sobre ; donc le seul but de saint
Justin , dans le passage que nous
examinons, estdeprouverque ceux
qui nient la résurrection de la chair
raisonnent mal.
Talien , son disciple, contra
Grœcos , n. 7 , dit : « Le Verbe
» divin a fait l'homme image de
j) l'inamortalité ; de manière que ,
» comme Dieu est immortel , ainsi
» l'homme, fait participant d'une
» portion de Dieu , a aussi l'im-
» mortalité ; mais avant de créer
» l'homme , le Verbe a créé les
» anges. » Il est constant que, par
celte portion de Dieu, Tatien, com-
me saint Justin son maître, entend
le Saint-Esprit; si cette portion
étoit Vâme de l'homme , il seroit
absurde de dire que l'homme en a
été fait participant. N." 12. « Nous
» connoissons , dit Tatien , deux
» espèces d'esprit: l'une estappelce
nVâme; l'autre, plus excellente,
» est l'image et la ressemblance de
» Dieu. Les premiers hommes
» avoient l'une et l'autre, de ma-
» nicre qu'ils ctoientcn partie ma-
» ticre et en partie supérieurs à la
AME
«matière. » Bcausobre , liv. 7,
c. 1 , n. I , conclut de ce passage
que les Pères, aussi-bien que les
manichéens , admettoient deux
«îme^dans l'homme. Notivelle faus-
seté : jamais les Pères n'ont pensé
que le Saint-Esprit fut une partie
de Vâme humaine.
Saint Clément d'' Alexandrie ,
Stroin. , liv. 6, pag. 663 , et saint
Ircnée, liv. 5, c. 12, n. 2 , se sont
exprimés de même ; tous ont pensé
que Vâme est rendue immortelle
par la vertu du Saint-Esprit , et non
par sa nature , parce qu'elle a été
créée : or, si c'étoit une portion
de la substance divine, elle seroit
immortelle par sa nature même, et
seroit incréée.
Saint Méthode , Sympos. Vîrg. ,
pag. 74 , dit que la semence hu-
maine contient, pour ainsi dire,
une partie divine de la puissance
créatrice. Beausobre a supprimé
ces mots pour ainsi dire , qui font
voir qu'il ne faut pas prendre à la
lettre ce passage; il signifie seule-
ment que l'homme a reçu de Dieu
le pouvoir de procréer des enfants.
L'auteur des Fausses Clémen-
lines , Homil. i5, n. 16, dit que
Vâme procédant de Dieu est de
même substance que lui , quoique
les âmes ne soient pas des dieux :
c'est-à-dire, que Vâme est esprit
comme Dieu ; mais l'auteur ne dit
pas qu'elle est une partie de sa sub-
fitance.
Suivant Lactance, liv. 2, c. i3,
« Dieu , ayant formé le corps de
» l'homme , lui souffla une âme de
n la source vivifiante de son esprit
» qui est immortel Uâme par
n laquelle nous vivons vient du ciel
» et de Dieu, au lieu que le corps
» vient de la terre. » Si cela prouve
que Vâme est une émanation de la
nature divine, il faut attribuer
cette erreur à Moïse : Lactance ne
fait que répéter son expression.
TertuUien est plus obscur : selon
sa coutume, en parlant de Vâme ,
AME 93
il prodigue les métaphores ; si l'on
veut tout prendre à la lettre , il n'y
a pas d'erreur que l'on ne puisse lui
imputer. XïA. de anima, c. 11, il
dit que Vâme n'est pas proprement
l'esprit de Dieu , mais le souffle de
cet esprit. Il distingue l'esprit ou
l'entendement d'avec Vâme; il l'ap-
pelle le siège naturel de Vâme , ce
qu'il y a en elle de principal et de
divin, c. 12. « Cet entendement,
» dit-il , peut être obscurci , parce
» qu'il n'est pas Dieu; mais il ne
» peut être éteint , parce qu'il vient
» de Dieu.... Dieu l'a fait sortir de
» lui par son propre souffle. nAdv.
Praxeam , c. 5. Il dit que l'animal
raisonnable n'a pas seulement été
faitpar un ouvrier intelligent, mais
qu'il a été aninxé. de sa propre sub-
stance. Rien n'est plus formel...
Mais il est de l'équité naturelle de
juger des sentiments d'un auteur
par ses raisonnements plutôt que
parses expressions. Or, TertuUien,
dans son livre contre Hermogène ,
qui soutenait la matière éternelle
et incréée, prouve que Dieu est
créateur , seul éternel , que tout ce
qui existe a été créé de rien ; c'est la
conclusion de son ouvrage. Ainsi ,
par le souffle de- ï esprit de Dieu , il
entend l'effet d'un souffle créa-
teur; autrement cette expression
seroit inintelligible. Dans son livre
de anima, c. i , il dit qu'il a traité
contre Hermogène de l'origine de
Vâme, de Censu animœ; qu'il a
prouvé qu'elle n'est point tirée du
sein de la matière , mais du souffle
de Dieu : puisque ce souffle est
créateur, il faut que l'amc ait com-
mencé d'être par création. C'est
aussi ce que prouve Tertullien ,
c. 4' « Puisque nous soutenons ,
» dit-il , que Vâme vient du souffle
» de Dieu , nous devons par consé-
» quent lui attribuer un commen-
» cément ; aussi enseignons-nous
» contre Platon qu'elle est née ci a
» étéfaite, parce qu'elle a commen-
» ce... Il est pcrraisd'expriraer par
94 AME
» le même terme , être fait , être tn-
» gendre, receooirVétre, puisque tout
» ce qui a commencé d'être reçoit
» la naissance ; et l'on peut appeler
»> un ouvrier le père de ce qu'il a
» fait. Ainsi , selon notre foi , qui
» enseigne que Vdme est née ou a
» été faite, l'Ecriture prophétique
» a réfuté le sentiment de Platon. »
Or, Platon admettoit les émana-
tions des esprits, parce qu'il reje-
toit la création.
Ibid., c. lo etsuîo. Loin de dis-
tinguer deux substances, ou deux
parties dans Vâme , il réfute cette
opinion commeune erreur des phi-
losophes. aUdme, dit-il, c. i4,
» est une et simple , toute entière
» en soi , desuoioia es/; elle ne peut
» pas plus être composée, que di-
» visible et destructible , etc. n
Après une profession de foi aussi
claire , nous ne concevons pas com-
ment on peut accuser Tertullien
d'avoir cru Vâme corporelle , et
cependant émanée de la substance
de Dieu , et d'avoir distingué Vâme
de l'esprit ou de l'entendement. Il
a seulement distingué dans Vdme
les facultés et les opérations, com-
me la vie ou la respiration , la
puissance de mouvoir ou de sentir,
l'intelligence ou l'entendement, et
la volonté : nous faisons encore de
même.
Que prouve donc ce qu'il a dit
en passant , dans le livre contre
Praxéas , où il s'agissoit de tout
autre chose que de la nature de
Vdme ? Rien du tout. On peut dire
sans erreur que l'homme a été ani-
mé par le souffle de Dieu , souffle
créateur, émané de la propre sub-
stance de Dieu ; mai» ce souffle a été
la cause efficiente de Vdme , et non
Vdme elle-même. Cent fois l'on a
dit que Vdme est un souffle divin ,
parce qu'elle en est l'effet , et non
parce que c'est une émanation de
la substance de Dieu. Nous lisons
dans Job, c. 33 , ')^. ^ : « Le souf-
» fle du Toul-Pnissant m'a donné
AME
» la vie. » Les Pères n'ont rien dit
déplus.
Enfin Beausobre a cité Synésius,
qui appelle Vdme de l'homme , ta
semence de Dieu; une étincelle de
son esprit , la fille de Dieu , une
partie de Dieu : mais c'est dans
des poésies que Synésius s'exprime
ainsi, et les métaphores chez les
poètes ne sont pas des arguments
de métaphysique. Il est absurde de
les prendre à la rigueur, pendant
que Beausobre ne veut pas que l'on
en agisse ainsi à l'égard des héré-
tiques.
Nous convenons que la question
de l'origine de Vdme est très-obs-
cure, surtout lorsqu'on s'en tient
aux notions philosophiques : il y a
eu sur ce point trois ou quatre opi-
nions différentes chez les anciens.
Les uns ont cru la préexistence des
dmes , Comme Origène , mais il
supposoit que Dieu les a tirées du
néant toutes ensemble ; les autres
ont pensé que Dieu les a créées en
détail , à mesure que les corps hu-
mains sont engendrés : plusieurs
ont imaginé que Vdme d'Adam fut
tirée du néant , et que toutes les
autres naissent de celle-là par voie
de propagation , ex traduce. Quant
au système de l'émanation des am«
hors de la substance de Dieu , c'a
été celui des philosophes , et non
des docteurs de l'Eglise, qui tous
ont admis la création. Aussi saint
Augustin qui, dans sa lettre i43 à
Marcellin, et dans sa lettre à Op-
tât , compte quatre opinions tou-
chant l'origine de Vdme, ne fait
aucune mention des émanations.
Au reste , il est faux que l'une de
ces opinions soit plus commode que
les autres pour résoudre les diffi-
cultés que l'on fait sur l'origine du
mal moral. Les critiques protes-
tants ne se sont obstinés à prêter
aux Pères de l'Eglise le système des
émanations, qui a été celui des phi-
losopheset des anciens hérétiques »
que pour avoir la satisfaction de
AME
les dëprimcr, et ou diroit qu'ils
ont cherché à faire leur cour aux
sociiiiens. Voyez Emanation.
Ame i)u monde. Le système de
Pythagorc, des stoïciens et d'autres
philosophes , étoit que le monde
e«t un grand tout dont Dieu est
Y âme , et duquel les différents
corps, comme les astres, la terre,
la mer, etc., sont les membres ;
que Dieu est répandu dans toutes
ces parties et les anime , comme
notre âme vivifie et fait mouvoir
toutes les parties de notre corps.
Cette opinion supposoit que lama-
tière est éternelle; que Dieu ne l'a
point créée, mais seulement arran-
gée , et qu'il a ainsi formé son
propre corps , qui est le monde.
Quelques stoïciens poussoient l'ab-
surdité jusqu'à dire que le monde
aunea/nc, qui s'est faite elle-même
et a fait le monde : Habere meniem
quœ et se et ipsumfabricatasil. Cic,
Acad. Quœst. , 1. 2 , c. 87. On pré-
tend que c'étoit aussi le sentiment
des Egyptiens. Dans cette hypo-
thèse, toutes les parties de la na-
ture sont animées aussi-bien que
l'homme et que les brutes ; toutes
les âmes particulières sont des por-
tions détachées de la grande âme
qui meut le tout ; elles vont s'y
réunir, lorsque le corps particulier
qu'elles animent vient à se dissou-
dre. Combien d'erreurs les anciens
philosophes ont soutenues, faute
d'admettre le dogme de la création !
Les athées modernes et les ma-
térialistes, afin de tourner notre
croyance en ridicule , ont dit que ,
50US le nom de Dieu, nous n'en-
tendons rien autre chose que Vâme
du monde , ou l'univers animé ;
qu'ainsi nous retombons dans l'er-
reur des stoïciens ; que , comme
eux, nous adorons la nature et rien
de plus : c'est ce qu'ils appellent le
panthéisme.
S'ils vouloient être de bonne foi,
ilsconviendroicnlaucontraire que
la révélation sape celte erreur x»ar
AMK 95
le fondement, en nous enseignant
que Dieu a créé le monde : le pan-
théisme est absolument incompa-
tible avec le dogme de la création.
I .° Les pythagoriciens et les stoï-
ciens supposent, les uns, l'éternité
du monde; les autres, l'éternité de
la matière : dans l'hypothèse de la
création, rien n'est éternel que
Dieu ; tous les autres êtres ont
commencé, et Dieu les a tirés du
néant par son seul vouloir. Il a
dit , et tout a été fait.
2.° Selon la doctrine des stoï-
ciens , Dieu , identifié avec le
monde, n'étoitpas libre d'en diri-
ger les mouvements à son gré; il
étoit soumis aux lois éternelles et
immuables du destin : la provi-
dence n'étoit autre chose que la
chaîne successive et nécessaire de
ces mêmes lois. C'est par-là que ces
philosophes se ilattoient d'absou-
dre la providence des maux de ce
monde. Vainement des critiques
anciens ou modernes ont cru adou-
cir la roidenr du destin , en disant
que Dieu a commandé une fois ,
qu'ensuite il obéit toujours : sem-
perparet, semel jussit. S'il a com-
mandé librement une fois, il est
responsable des conséquences de
sa propre loi ; s'il l'a fait néces-
sairement, c'est plutôt une obéis-
sance qu'un commandement. Sui-
vant la doctrine de nos livres saints,
Dieu gouverne le monde aussi li-
brement qu'il l'a créé ; il suspend ,
quand il veut, l'effet des lois qu'il
a lui-même établies ; il pourroit
anéantir le monde, sans rien perdre
de son être ; et avec un peu de ré-
flexion , il est , aisé de justifier sa
providence.
3.° Dans l'hypothèse de Vâme du
monde , Dieu n'est point un être
simple; non-seulement il est com-
posé d'un corps et d'une âme^mais
toutes les âmes des hommes , des
animaux, des éléments, ne sont que
des parties de la grande âme qui
donne la vie au tout. De là il ré-
96 AME
suite que tous les êtres en mouve-
ment sont autant de dieux parti-
culiers, aussi dignes d'être adorés
les uns que les autres. C'est le fon-
dement philosophique de l'idolâ-
trie. Aussi dans le Traité de Cicé-
ron, de Ifat. Deor., 1. 2, le stoïcien
Balbus s'efforce de prouver que
chaque partie du monde est Dieu ;
qu'elle est animée, douée d'intelli-
gence et de sagesse , adorable par
conséquent.
4.° De là il s'ensuit que Dieu est
corporel, qu'il est le sujet de tous
les changements qui surviennent
dans la nature , que l'un des mem-
bres de Dieu périt lorsqu'un corps
se dissout , etc. C'est l'objection
que l'épicurien VelléiTis fait aux
stoïciens, ibid., 1. i , et qu'Origène
répète contre Celse ,1. i , n. 20.
Vainement Beausobre observe que
Pythagore nioit cette conséquence ;
qu'il soutenoil que la natxire divine
est une et indivisible : l'opiniâtreté
d'un philosophe à soutenir des con-
tradictions, ne l'excuse point. Au-
cun de ces inconvénients n'a lieu
dans l'hypothèse de la création.
5.° Dans celle de Pythagore et
des stoïciens , on ne conçoit pas
mieux la spiritualité des dmes^que
celle de Dieu ; toutes sont des par-
ties de la grande CTTzc, de laquelle
elles ont été détachées , dont elles
sont sorties par émanation , et à
laquelle elles doivent se réunir et
s'y confondre, comme une goutte
d'eau qui retombe dans l'Océan.
Les eàprits ont-ils donc des par-
ties , etc. ? Beausobre emploie inu-
tilement toute son industrie pour
sauver encore cette absurdité. II
peut avoir raison de soutenir que
ce n'estpointlàlespinosisme; mais
c'est du moins une erreur qui en
approche beaucoup.
6.° Les âmes réunies , après la
mort du corps, à la grande âme de
l'univers , n'ont plus d'existence
individuelle et personnelle ; elles
sont incapables de plaisir et de
AME
douleur , de récompense et de pu-
nition : supposé le destin, elles sont
dans tous les temps privées de la
liberté,; ce système détruit donc
toute morale raisonnée.
Le dogme de la création fait di»-
paroître toutes ces absurdités.
Dieu , pur esprit , est un être sim-
ple; il a créé les âmes aussi-bien
que les corps , il les a douées de li-
berté, et leur a donné des lois ; il
les punit ou les récompense éter-
nellement, selon leurs mérites.
L'aine du monde est donc une
rêverie philosophique qui n'a rien
de commun avec la doctrine révé-
lée; c'est une erreur inévitable ,
dès que l'on n'admet point la créa-
tion. Mais le peuple n'a jamais eu
connoissance de cette absurdité ;
aucun peuple n'a élevé des autels
à l'orne du monde. Les païens sup-
posoient autant à''âmes particu-
lières dans l'univers qu'il y a d'êtres
qui paroissent animés ; ils ado-
roient ces intelligences particuliè-
res , parce qu'ils les croyoient
douées de connoissances et de for-
ces supérieures à celles de l'homme,
et ils nommoient ces esprits les
immortels. Les patriarches et les
Juifs ont adoré le Créateur du
monde , et l'ont adoré seul ; ils lui
ont attribué une providence géné-
rale sur tous les êtres, et une pro-
vidence particulière à l'égard de
l'homme; nous l'adorons comme
eux , nous avons la même foi que
Dieu a daigné enseigner à notre
premier père.
Quelques déistes ont voulu jus-
tifier l'opinion des stoïciens : danS
ce système, disent-ils, il n'y a qu'un
seul Dieuauquel serapportoit tout
le culte que les païens rendoient
aux différentes parties de la na-
ture ; on a donc tort de les accuser
de polythéisme. Fausse réflexion.
En premier lieu, ilétoit absurde
d'adresser un culte à un être assu-
jéti aux lois suprêmes du destin :
lois immuables, auxquelles lesbon-
AME
nés ni les mauvaises actions des]
hommes ne pouvoient rien clian-
eer. Les stoïciens disoient que les
dieux d'Epicure étoient absolu-
ment nuls; qu'il étoit ridicule de
les honorer, puisqu'ils ne se me-
loient point des choses d'ici-bas ;
niais les épicuriens pouvoient leur
rendre le change , en soutenant
qu'il étoit ridicule d'adorer des
dieux soumis à la fatalité , puis-
qu'ils nepouvoient faire de bien ni
de mal aux hommes que ce qui
étoit déterminé par un inimuable
destin. Si Dieu n'est pas libre dans
les décrets de sa providence, toute
religion est superflue.
En second lieu , il n'est pas vrai
que le culte rendu aux différentes
parties de la nature fut adressé à
la grande âme de l'univers. Un
païen qui adoroit le soleil et qui
le croyoit animé, étoit persuadé
que Yâme de cet astre voyoit et
connoissoit le culte qu'il lui ren-
doit, lui ensavoitgré, et pouvoit
lui faire du bien ou du mal. En
général les dieux n'ont été adorés
que parce qu'on les supposoit in-
telligents et puissants, susceptibles
d'amitié ou de colère. C'est donc à
Vdme ou à l'esprit logé dans le so-
leil que le culte se terminoit, sans
remonter plus haut ni sans aller
plus loin. On n'a jamais cru que le
soleil ou tel autre dieu attendoit
les ordres de la grande àme de l'u-
nivers, pour faire du bien ou du
mal aux hommes. Il y avoit donc
réellement autant de dieux indé-
pendants les uns des autres , qu'il y
avoit d'êtres animés dans la nature.
Si ce n'est pas là le polythéisme ,
comment doit-on nommer cette
croyance ?
En troisième lieu , Vdme d'un
homme n'étoit pas moins une por-
tion de la grande ànie de l'univers,
que Vàr/ic du soleil, de la lune, d'un
fleuve ou d'une fontaine ; on devoit
donc lui rendre un culte aussi-bien
qu'à toas les autres êtres : nous ne
I.
AMK
97
voyons pas pour<iuoi un héros, on
homme puissant et bienfaisant ne
méritoit pas un culte religieux pen-
dant sa vie, aussi-bien qu'après sa
mort. Ce même système ne tendoit
pas à moins qu'à justifier les hon-
neurs divins que les Egyptiens ren-
doient aux animaux. Il seroit inu-
tile de pousser plus loin le détail
des absurdités qui en résultoient.
Ce n'est pas sans raison que l'Ecri-
ture sainte condamne avec tant de
rigueur le polythéisme et Vidolâtrie ;
de quelque côté qu'on les envisage,
ils sont inexcusables. Fojes ces deux
mots. Noui>. Démonst. évang. de
J. Leland, tom. 2, pag. aSo.
AMEN, mot hébreu, usité dans
l'Eglise à la fin de toutes les prières
solennelles, dont il est la conclu-
sion ; il signifie y7rt/, ainsi soit-il.
Les rêveries des cabalistes sur ce
terme ne méritent pas de nous oc-
cuper. Le mot amen se trouvoit
dans la langue hébraïque , avant
qu'il y eût au monde ni cabale ni
cabalistes. Deuferonom. , c. 27 ,
La racine du mot amen est le
verbe aman , lequel au passif signi-
fie être vrai , fidèle , constant , etc.
On en a fait une espèce d'adverbe
affirmatif , qui, placé à la fin d'une
phrase ou d'une proposition, signi-
fie qu'on y acquiesce , qu'elle est
vraie, qu'on en souhaite l'accom-
plissement, etc. Ainsi dans le pas-
sage que nous venons de citer du
Deutéronome , Moïse ordonnoit
aux lévites de crier à haute voix au
peuple : Maudit celui qui taille ou
jette en fonte aucune image, etc. ,
et le peuple devoit répondre flmeA7;
c'est-à-dire, oui, qu'il le soit, je
le souhaite , j'y consens. Mais au
commencementd'unephrase, com-
me il se trouve dans plusieurs pas-
sages du nouveau Testament , il
signifie vraiment , véritablement ;
quand il est répété deux fois, comme
il l'est toujours dans saint Jean , il
7
cjS AME
a l'efifet d'un superlatif, confor-
niément au génie de la langue hé-
braïque et des deux langues dont
elle est la mère , la chaldaïque et la
syriaque. C'est en ce sens qu'on
doit entendre ces paroles : ainen ,
amen,dicovobis.Ijes évangélistes ont
conserve le mot hébreu amen, dans
leur grec , excepté saint Luc, qui
l'exprime quelquefois par àkfôSç ,
véritablement , ou , vei , certaine-
ment.
AMÉRICAINS , AMÉRIQUE.
Quelques incrédules avoient sou-
tenu qu'il étoit impossible de con-
cevoir comment l'Amérique s'est
peuplée après le déluge; d'où ils coii-
cluoientque ce fléau n'a pas été uni-
versel,et qu'il n'apas submergé cette
partie du monde. Mais , depuis les
nouvelles découvertes qui ont été
faites par les navigateurs , il est dé-
montré que depuis le nord-est de la
Tartarie le passage en Amérique
n'est ni long ni difficile. La ressem-
blance que l'on a remarquée entre
les habitants de ces deux continents
achève de nous convaincre qu'ils
ont une origine commune , que les
Américains septentrionaux sont ve-
nus des extrémités orientales de
l'Asie. M. de Guignes , dans son
Histoire des Huns , a prouvé qu'au
cinquième siècle les Chinois ont
commercé avec l'Amérique, et l'on
atrouvé des débris de vaisseaux chi-
nois et japonois sur les côtes de la
Californie et de la mer du Sud. Au
dixième siècle , les Norwégiens dé-
couvrirent l'Amérique septentrio-
nale , et y envoyèrent une colonie
qui fut oubliée dans les siècles sui-
vants : ce qui arriva pour lors a pu
se faire de même dans les siècles
précédents.
L'auteur des Etudes de la Nature,
tome 2, p. 621 , a rassemblé plu-
sieurs observations qui concourent
à prouver que la population de
l'Amérique méridionale s'est faite
par les îles delà mer du Sud; que
AME
les habitants des extrémités méri-
dionales de l'Asie ont pu , d'île en
île , pénétrer aisément en Amé-
rique, hts Noirs que l'on y a trou-
vés en petit nombre ne sont donc
pas indigènes; ils y ont été trans-
portés par hasard ou autrement
des côtes méridionales de l'Afrique.
(N.e\I,p.xv.)
La question de la population de
l'Amérique n'est plus une difficulté
parmi les savants ; lorsque les in-
crédules affectent de la renouveler,
ils ne font pas honneur à leur éru-
dition.
Ils n'ont pas parlé avec plus de
prudence des missions qui ont été
faites dans cette partie du monde ,
et des effets qui en ont résulté. De
nos jours on a peint ces missions
sous les couleurs les plus noires ;
on a soutenu et l'on a essayé de
prouver que le fanatisme ou le zèle
aveugle de la religion a été la vraie
cause des cruautés que les Espa-
gnols ont exercées sur les Indiens ;
que douze ou quinze millions d'.4-
méricains ont été égorgés , le cru-
cifix à la main , pour établir ie
christianisme en Amérique.
Pour réfuter complètement cette
calomnie, il suffit d'établir un cer-
tain nombre de faits incontesta-
bles, et tous avoués par les écri-
vains mêmes qui l'ont avancée.
i.° Il est constant que les pre-
miei'S Espagnols qui ont découvert
V Amérique, et ont commencé à y
pénétrer , étoient la lie de leur na~
tion , des aventuriers , des cri-
minels échappés des prisons., des
scélérats qui avoient mérité le
supplice ; ils étoient conduits au-
delà des mers par la soif de l'or,
par l'attrait du brigandage , par
l'espoir de l'impunité. Il est ab-
surde d'attribuer à de pareils
hommes un zèle bien ou mal réglé ;
la plupart n'avoient pas plus de
religion que de mœurs. Quelques
moines qui les suivirent en qualité
d'aumôniers de vaisseaux, n'étoient
AME
ni assez puissants , ni assez habiles
pour réprimer la cruauté de ces
malfaiteurs.
2." Après avoir exercé, leur ca-
ractère féroce sur les Américains ,
les Espagnols ont fini par se faire
la guerre , par se décliirer et se dé-
vorer les uns les autres ; ils ont
traité les hommes de leur propre
nation avec la même barbarie dont
ilsavoientusé à l'égard des Indiens.
Ce n'est donc pas un zèle fanatirjue
de religion qui a été le principe de
leurs crimes.
3.° Loin d'avoir envie de con-
tribuer à la conversion de ces mal-
heureux peuples, les conquérants
ont traversé tant qu'ils ont pu les
travaux des missionnaires. Ceux-ci
n'avoierit pas plus tôt rassemblé un
certain nombre d'Indiens, que les
Espagnols venoient les enlever pour
les faire travailler aux mines. Ils
ont donc tourmenté les Améri-
cains, non pour les obliger à se
convertir, mais pour les forcer à
fouiller les métaux , à découvrir
leurs trésors, à fournir de l'or.
4.° Le gouvernement d'Espagne
a ignoré d'abord ces cruautés ; loin
de les autoriser par aucun ordre ,
il avoit recommandé de traiter les
Indiens avec douceur; il fut enfin
éveillé par les plaintes que Barthe-
lemi de Las Casas , évèque de
Chiapa , vint porter au nom des
Américains ; l'on envoya des offi-
ciers et des magistrats en Amérique
pour réprimer le brigandage des
Espagnols; mais le mal étoil fait ,
il n'étoit plus possible de le ré-
parer.
5.° Aucun tribunal ecclésiastique
n'a justifié, approuvé, ni excusé la
conduite des Espagnols. Lorsque
le vertueux Las Casas la rendit pu-
blique et en informa sa nation ,
lin seul docteur, nommé Sépul-
veda , payé par les grands qui
avoient des possessions en Amé-
rique, osa soutenir que la violence
étoit permise contre les Indiens.
AIMJi:
99
Son ouvrage fut censuré par les
universités de Salamanquc et d'AI-
cala ; le conseil des Indes s'étoit
opposé à l'impression , et le roi
d'Espagne en fit saisir tous les
exemplaires. Il est donc démontré
que la soif insatiable de l'or, l'or-
gueil qui veut tout obtenir par la
force, le ressentiment contre les
Indiens dont on avoit provoqué la
cruauté , l'habitude de répandi'e
le sang , ont été les seules causes
des crimes commis en Amérique
par les Espagnols , et que le zèle
fanatique de religion n'y est entré,
pour rien. Voyez Histoire d''Amé~
r/^J/e, parM. Robertson.
Des voyageurs désintéressés, des
militaires , des navigateurs , ont
rendu justice dans plusieurs ou-
vrages aux travaux , à la sagesse ,
au zèle pur et véritable de ceux
qui ont établi les missions de la
Californie , du Paraguay , des
Moxes , des Chiquites , du Brésil ,
du Pérou : les calomnies des pro-
testants et des incrédules, qui les
ont copiées , ne feront pas oublier
l'éloge qu'en a fait l'auteur de
y Esprit des Lois , 1. iv, c. 6. Il est
fâcheux que la révolution arrivée
en Europe, qui a rappelé les mis-
sionnaires, ait entraîné la chute de
la plupart de ces établissements
aussi honorables .à l'humanité qu'à
la religion.
Mosheim, quoique luthérien ,
avoit parlé des missions faites par
les jésuites dans l'intérieur de VA'
mérique, avec une certaine modé-
ration; il avoit niême applaudi au
moyen que ces missionnaires em-
ployoient pour convertir les Sau-
vages. Rien , selon lui , n'étoit plus
sage que de commencer par les ci-
viliser avant de les instruire, et
que d'en faire des hommes avant
de vouloir en faire des chrétiens.
Il avoit cependant cherché à eni-
poisonner le motif des mission-
naires, en disant que ces prétendus
apôtres avoient moins pour but la
^0'vers;(as
BIBLIOTHECA
loo AME
propagation du christianisme, que
le désir de satisfaire leur avarice
insatiable et leur ambition déme-
surée; et il citoit pour preuve les
sommes prodigieuses d'or qu'ils
tiroient des différentes provinces
de V Amérique. Hist. ecclés. du dix-
septiéme siècle, sect. i , § 19. Mais
son traducteur , mécontent de
cette modération , soutient que
Mosheiia n'étoit pas assez instruit ;
que depuis ce temps - là il a été
prouvé que les jésuites n'avoient
point d'autre dessein que de se
former au Paraguay une souve-
raineté indépendante des cours
d'Espagne et de Portugal , de do-
miner despotiquement sur les In-
diens sous prétexte de religion ; que
ce sont eux qui ont armé les In-
diens , et qui les ont engagés à se
révolter contre l'échange que ces
deux cours avoient fait entre elles
d'une partie de ces colonies ; que
telle a été l'origine de la disgrâce
que les jésuites ont éprouvée en
Espagne et en Portugal. Il cite en
preuve une relation publiée par la
cour de Lisbonne en lySS. Selon
lui, Montesquieu, le savant Mu-
ratori , et d'autres qui ont fait l'a-
pologie de ces missionnaires, ont
trahi la vérité , ou ils étoient mal
informés.
Pour rendre croyables les rela-
tions publiées contre la conduite
des missionnaires, il auroit fallu
éclaircir plusieurs doutes qu'elles
ont naturellement fait naître ; nous
les proposons avec d'autant plus
de confiance, que nous en avons
puisé la plupart dans l'ouvrage
d'un militaire que l'on ne peut pas
accuser de prévention, soit en fa-
veur de la religion catholique, soit
à l'égard des missionnaires et des
missions. De V Amérique et des Amé-
ricains , par le philosophe Ladou-
ceur, Berlin, 1771.
i." Il est difficile de comprendre
comment des jésuites alleniands
avoient le courage de se dévouer
AME
aux missions de VAmériqtu, par
l'attrait d'y établir une souverai-
neté temporelle de laquelle ils ne
jouissoient pas, et dont tout l'a-
vantage revenoit à leur ordre ou à
leur société en Europe. Car enfin
on ne les accuse pas d'avoir eu au
Paraguay , ou ailleurs ,un train de
souverains , d'y avoir étalé le faste,
la magnificence, les commodités de
la vie, et les plaisirs d'une cour
européenne ou asiatique. Ils y
étoient pasteurs , catéchistes , pères
spirituels et temporels des Indiens;
ils supportoient tous les travaux du
ministère ecclésiastique ; souvent
ils s'exposoient à être massacrés par
les nouveaux Sauvages qu'ils vou-
loient apprivoiser. On n'en a vu
aucun revenir en Europe, pour y
jouir de la récompense que la so-
ciété devoit accorder par recon-
noissance à ceux de sçs membres
qui la rendoient souveraine en
Amérique. Les officiers de la com-
pagnie angloise des Indes, après
avoir exercé en son nom la souve-
raineté sur les bords du Gange , se
sont empressés de venir dépenser
en Angleterre le fruit de leurs con-
cussions ; pas un seul jésuite n'a
rapportéen Allemagne, ou ailleurs,
la moindre partie des monceaux
d'or qu'il avoit amassés en Améri-
que pour le con\pte de la société.
Ou ces missionnaires étoient con-
duits par des motifs de religion, ou
c'étoient les plus vrais insensés qu'il
y eût au inonde.
2.° Si leur gouvernement étoit
absolu, dur et tyrannique, com-
ment les Sauvages, originairement
accoutumés à l'indépendance, con-
sentoient-ils à le supporter ? Com-
ment ne désertoient- ils pas, comme
font lesNegres marrons rebutés de
l'esclavage, pour retourner dans
les forêts i* Les missionnaires n'a-
voient pas à leurs ordres une armée
d'Européens , pour retenir les In-
diens sous le joug malgré eux. Si au
contraire ce gouvernement éloil
AMF.
»loux et paternel , nous ne voyons
plus quel crime commettoient les
missionnaires, en tirant les Indiens
lie rétat sauvage pour leur faire
goûter les avantages de la société
civile, et en les amenant par ce
bienfait au christianisme. Il n'est
défendu nulle part aux prédica-
teurs de l'Evangile de réunir ,
«juand ils le peu>ent, le bien tem-
porel d'un peuple à son salut éter-
nel.
3.° Oïl ne prouve point le droit
qu'avoient les rois d'Espagne et de
Portugal d'assujétir à leurs lois des
peuplades d'Indiens originaire-
ment indépendants, de les échan-
ger et d'en disposer comme d'un
troupeau de bétail ; on ne dit point
pourquoi des jésuites allemands
étolent obligés en consci-ence de
soumettre à l'un ou à l'autre de ces
rois, les Sauvages qu'ils avoient ci-
vilisés , et qui n'avoient reçu de
Madrid ni de Lisbonne aucun se-
cours , aucun bienfait, aucune
marque de protection. La manière
dont ces souverains ont traité
leurs sujets, dans cette partie du
monde, étoit-elle propre à exciter
l'ambition de leur appartenir ? En
supposant même que ce sont les jé-
suites qui ont armé les Indiens , et
les ont excités à défendre leur li-
berté, nous ne voyons pas encore
enquoi ilssesont rendus coupables
de sédition , de révolte, de trahi-
son. Ou il faut accuser de ce crime
les peuples des Etats-Unis de l'A-
mérique , ou il faut en absoudre
les Indiens du Paraguay, la cause
de ceux-ci estméme plus favorable,
puisque jamais ils n'ont été sujets
de l'Espagiie ni du Portugal.
4.° Puisque les jésuites , selon
l'opinion de leurs accusateurs , ont
toujours été aveuglément souTnis et
dévoués à la cour de Rome, nous
ignorons pourquoi celles de Lis-
bonne et de Madrid , mécontentes
de ces missionnaires, n'ont pas
porté d'abord leurs jilaintcs au
AME 101
pape, et n'en ont pas obtenu un
ordre positif qui enjoignît à ce-s der-
niers de soumettre leurs nouvelles
peuplades à la domination de l'un
ou de l'autre de ces rois. Ce parti
n'eùl-il pas été plus sage que de
mettre des armées en campagne, et
de dissiper le troupeau en lui ôtant
ses pasteurs i* On sait que le mé-
moire publié en lySS par la cour
de Lisbonne , fut l'ouvrage du mar-
quis dePombal, despote le plus
absolu qui fut jamais, et dont la
mémoire est aujourd'hui en exé-
cration. Cette pièce n'est pas assez
respectable pour opérer la con-
damnation des accusés, sans autre
preuve.
5.° Une nouvelle énigme à expli-
quer est la conduite des mission-
naires. Ils ont armé les Indiens pour
la défense de leur liberté naturelle;
mais ils n'ont pas eu recours aux
armes pour se maintenir en pos-
session de leur prétendue souverai-
neté ; ils ont obéi sans résistance
au premier ordre qui leur a été
donné de quitter leurs missions ;
ils sont revenus en Europe, où
ils étoient bien sûrs d'être mal-
traités , comme ils l'ont été eu ef-
fet. Puisqu'on leur suppose des
trésors , s'ils avoient gagné les co-
lonies angloises, qu'auroit-on pu
leur faire?
6.° Nous ne demandons pas où
sont aujourd'hui ces monceaux
d'or que les jésuites tiroient de
V Amérique, ce qu'ils sont devenus,
comment ils ont disparu ; mais s'il
est vrai, comme on l'assure, que
les Indiens, désolés d'être privés de
leurs pasteurs, se sont séparés et
sont retournés dans leurs forêts ;
nous demandons ce qu'ont gagné
les deux puissances qui ont fait cette
destruction , et quel avantage elles
peuvent tirer d'un pays désert ,
dont les habitants ont mieux aimé
redevenir sauvages que de subir
leur joug?
Que des protestants cl des incré-
I02 AMI
d aies applaudissent à celle brillan le
expédition , nous n'en sommes pas
étonnés : c'est un effet de leur fu-
reur antichrétienne; mais lorsque
des hommes , qui affectent du zèle
pour la religion , semblent se ré-
jouir de la destruction de plusieurs
missions très - nombreuses , on
est tenté de leur demander s'ils
croient en Dieu.
Disons-le hardiment : il n'est que
trop prouvé par l'événement que
les accusations formées contre les
fondateurs de ces missions sont de
pures visions et des calomnies ;
l'on sent à présent la faute énorme
que l'on a faite en y prêtant l'o-
reille : mais le mal est fait, et il ne
sera pas réparé. Voyez Jésuites ,
Missions.
AMITIÉ. Plusieurs de nos mo-
ralistes incrédules ont enseigné
qu'il n'y a point d'a/wiVi'è' désinté-
ressée; que Y amitié ne fait que des
échanges ; qu'il est impossible d'ai-
mer quelqu'un , à moins que l'on
n'en espère quelque avantage. Ils
ont consul té sans doute leurpropre
cœur ; et comme ils se sont sentis
incapables d'un sentiment à''amitié
pure, ils ont conclu qu'il en est de
même de tous les hommes. Jésus-
Christ , qui connoissoit mieux
qu'eux l'humanité, nous a prêché
une morale très-opposée à la leur :
« Si vous n'aimea , dit-il , que
» ceux qui vous aiment, quelle ré-
» compense aurez-vous ? Les pu-
» blicainsenfont autant. » Maith.,
c. 5, S' 4^- Il se donne lui-même
pour exemple d'une amitié par-
faite : «Personne, dit-il, ne peut
» témoigner un plus grand amour
» que celui qui donne sa vie pour
» ses amis. » Joan. , c. i5, y. i3.
Dans ce cas , il ne peut y avoir au-
cun lieu à l'intérêt.
Quelques censeursse sontplaints
de ce que l'Evangile ne recom-
mande pas Vamitié. Ils dévoient
faire allenlion que c'est un senti-
AMM
ment naturel qui ne se commande
point; les lois prescriroient vaine-
ment à un homme d'avoir desamis,
s'il n'a pas reçu de la nature les
qualités propres à lui gagner l'af-
fection de ses semblables. Mais l'E-
vangile nous commande certaine-
ment toutes les vertus capables de
nous concilier ra/ziiV/e de ceux avec
lesquels nous vivons : la charité,
la douceur, l'indulgence pour les
défauts d'autrui , la commisération
pour ceux qui souffrent , l'empres-
sement à faire du bien à tous , l'ou-
bli des injui'es, l'amour même des
ennemis. Un chrétien , doué de
toutes ces qualités , pourroit-il ne
pas avoir des amis? Jésus -Christ
en a eu plusieurs ; Lazare et ses
sœurs étoient de ce nombre ; il a eu
une afiFeclion particulière pour
saint Jean; cet apôtre se nomme
lui-même le disciple que Jésus ai-
mait : souvent le Sauveur appelle
ses disciples ses amis. Luc. , c. 12 ,
y. 4- 11 dità ses auditeurs : «Faites-
» vous des amis avec les richesses
» périssables de ce monde, » c. 16,
y/. 9. Il ne s'est donc pas borné à
nous montrer, par ses paroles et
par ses exemples, que Vamitié est
un sentiment louable ; mais il nous
a appris à la sanctifier , à la fonder
sur sa vi'aie base, sur la vertu.
AMMON, AMMONITES. Am-
mon , né de l'inceste de Lot avec
sa fille puînée, a été la tige des Am^
monites , peuple placé à l'orient de
la Palestine. Certains critiques ont
écrit que Moïse avoit inventé cette
origine obscure des Ammonites ,
afin de persuader à son peuple
qu'il pouvolt sans scrupule s'em-
parer de leur pays. Voyez Lot.
Au contraire , Moïse déclare aux
Israélites que Dieu ne leur don-
nera pas un seul pouce du terrain
possédé par les Ammonites , par les
Moabites ; ni par les descendants
d'Esaii; il leur défend d'y toucher,
parce que c'eat Dieu qui a placé
AMO
• es peuples sur le sol qu'ils occu-
jieiit, coninic il veut établir le sien
ùaaslepays desChananéeiis.XJcu/.,
r. 2, y. 5 ctsuw. Trois cents ans
après, Jephté, bien instruit des
intentions de Moïse, soutient aux
Ammonites (\iic les Hébreux ne leur
ont pas enlevé un seul coin de terre,
non plus qu'aux INIoabites. Jud. ,
c. II , 'Sf . i5. Lorsque Moïse dé-
cide que ces deux peuples n'en-
treront jamais dans l'Eglise du
Seifçneur , il n'allègue point leur
oi-igine, mais le relus qu'ils ont
fait de laisser passer les Israélites
sur leurs frontières en sortant de
l'Egypte. Deut., c. aS, y. 3. Il ne
parle de cette origine que pour
rendre raison à son peuple de la
délensc qu'il lui fait de la part de
Dieu ; il n'avoit pas tort de regar-
der les Ammonites comme des en-
nemis irréconciliables , ils le furent
en effet. Lorsque David les vain-
quit et les subjugua, ils avoient
j)rovoqué la guerre par une insul te
laite à ses ambassadeurs. II. Heg. ,
c. lo et suif. Et c'est mal à propos
i[ue l'on accuse ce roi d'avoir traité
cepeupleavec cruauté. Fb/. David.
AMORRHÉENS, peuple. Lors-
que Dieu promet à Abraham de
donner à sa postérité le pays des
Chananéens , il lui dit que cette
promesse ne s'accomplira que dans
(juatre cents ans, parce que les ini-
f{uités des Aniorrhéens ne sont pas
encore parvenues au comble. Gen.,
c. i5,y. i6. Dieu accordoit donc
quatre siècles de délai à ce peuple
pervers pour rentrer en lui-même
et desarmer la justice divine. Bel
exemple de la patience de Dieu à
l'égard des pécheurs ! On peut voir
les observations de M. de Gébelin
sur les Ammonites , les Moabites
el les Amorrhcens. Monde prim.it. ,
lonj.6, pag.2i.
AMOS , l'un des douze petits
prophcles, ctoil un pasteur de Jn
AMO io3
ville de Thécué : il prophétisoit à
Réthel,où Jéroboam adoroit des
veaux d'or ; il prédit que la maison
de ce prince scroil menée en capti-
vité, s'il persistoit dans son ido-
lâtrie. Amasias, prêtre des veaux
d'or, choqué de la liberté (ÏAmos ,
l'accusa devant Jéroboam, le trai-
tant de visionnaire et d'homme
dangereux , propre à soulever le
peuple contre son roi ; ce qui obli-
gea le prophète à sortir de Béthel,
après avoir prédit à Amasias que
sa femme seroit prostituée au mi-
lieu de Samarie, et que ses fils et
ses filles périroient par l'épée. Du
reste, on ignore le temps et le genre
de sa mort.
Le principal objet de ce pro-
phète est de reprocher aux Juifs
des deux royaumes d'Israël et de
Juda leurs infidélités et leur ido-
lâtrie, de leur annoncer les châti-
ments qui tomberont sur eux et
sur les plus voisins; mais il finit
par prédire que les Juifs seront ré-
tablis dans leur terre natale, et que
le trône de David sera relevé ,0.9,
y. II- Les Juifs modernes abusent
de cette prophétie , en se flattant
qu'un jour Dieu les rétablira dans
la Palestine , et y renouvellera le
règne de David. Il suffit de lire at-
tentivement le texte, pour voir que
le prophète a seulement prédit le
rétablissement des Juifs après la
captivité de Babylone , et que ce
qu'il a dit s'est accompli pour lors,
La Bible fait mention d'un autre
Amos , père du prophète Isaïe : on
en trouve un troisième dans la gé-
néalogie de notre Sauveur , rap-
portée dans l'évangile selon saint
Luc.
AInIOUR de DIEU. Moïse dit
aux Juifs : « Vous aimerez le Sei-
» gncur votre Dieu de toute votre
)) âme et de toutes vos forces. »
Deut., c. 6, ^'. 4- " Dieu fait mi-
» séricordc à ceux qui l'aiment et
-> qui gardent ses lois; il punit
jo4 AMO
)i ceuxqui le haïssent ou qui violent j
« ses commandements. » Exod. ,
c. 20 , '^' . 5. Cependant il y a eu des
philosophes assez mal instruits
pour affirmer qu'il n'y avoit, dans
les tables de l'ancienne loi , aucun
coramandementd'aimerDieu.Nous
convenons qu'en général les Juifs
accomplissoient assez mal ce pré-
cepte ; que le motif de leur obéis-
sance à la loi étolt plutôt l'espé-
rance des biens temporels qu'un
attachement sincère à Dieu. Ce
défaut fut encore plus sensible,
lorsque le saducéisme eut in-
fecté une grande partie de la na-
tion.
Jésus - Christ a renfermé toute
sa morale dans le commandement
d'aimer Dieu sur toutes choses, et
le prochain comme soi-même :
Dans ces deux commandements ,
dit-il, sont contenus toute la loi
et les prophètes. Maiih. , c. 22,
"y . ?>']\Marc. , c. 12; Luc, c. 10. Il
jie nous laisse pas ignorer en quoi
consiste Vamour de Dieu: « Celui
i> qui retient mes commandements
» et les observe , m'aime vérita-
5> blement; celui quinem'aime
» point , ne les observe point. »
Joan. , cap. i4 , ^. 21 , 24. Il n'est
donc point ici question de senti-
ments affectueux, souvent sujets
à l'illusion, mais d'obéissance et
de fidélité à remplir tous nos de-
voirs.
Les motifs qui nous portent à
aimer Dieu sont sa bonté infinie ,
lesbienfaits dont il nous a comblés
dans l'ordre de la nature et dans
l'ordre de la grâce , les promesses
qu'il nous fait, le bonheur éternel
qu'il nous prépare, l'amour qu'il a
pour nous. Voyez Reconnoissance.
11 n'est pas vrai que Jésus-Christ
nous ait défendu de rien aimer que
Dieu ; cela seroit contradictoire
au précepte d'aimer le prochain
comme nous-mêmes; mais il nous
défend de rien aimer plus que lui.
Maith., c. 10, 5"'. 37. Il veut que
AMO
nous soyons prêts à tout quitter,
lorsque cela est nécessaire pour le
service de Dieu et pour le salut du
prochain ; c'est le sens de ces pa-
roles : « Si quelqu'un vient à moi,
» et ne hait pas son père , sa mère .
» son épouse , ses enfants , ses
» frères et sœurs , et miome sa
» propre vie, il ne peut être mon
» disciple. » Luc.,c. i^^'^.zf). Ce
courage étoit nécessaire aux apô-
tres , il l'est encore aux hommes
apostoliques ; ont-ils cessé pour
cela d'aimer leur famille ? En se
confiant à Jésus-Christ, ils assu-
roient à leurs proches la protec-
tion du meilleur et du plus puis-
sant de tous les maîtres. Aucune
morale ne tend plus directement à
resserrer les liens de la nature et
de la société que la morale de
l'Evangile.
Nous ne nous arrêterons point
ici à discuter s'il peut y avoir un
amour de Dieu pur et désintéressé,
sans aucun rapport à nous-mêmes;
il nous suffit de savoir que notre
plus grand intérêt pour ce monde
et pour l'autre est d'aimer Dieu ,
et qu'un cœur assez ingrat pour ne
pas aimer Dieu , n'est pas fort dis-
posé à aimer les hommes. Voyez
Charité.
AMOUR DU PROCHAIN. Lors-
que Jésus-Christ nous commande
dans l'Evangile d'aimer notre pro-
chain comme nous-mêmes, il ex-
plique très-clairement en quoi doit
consister cet amour. « Faites aux
» autres , dit-il , ce que vous vou-
» lez qu'ils vous fassent. » Maiih.,
c. 7, ^. 12 ; Xz/c. , c. 6, }?'. Sa. 11
ne nous ordonne point d'avoir
pour tous les hommes les senti-
ments tendres et affectueux que
nous avons pour nos amis , mais
de leur témoigner de la bienveil-
lance par des effets. La douceur,
la complaisance, l'indulgence, la
commisération , les secours , les
conseils, les services : voilà ce que
AMO
nous cxi{i;con.s tic nos semblables ,
et ce que nous leur devons.
Comme les .luils cntendoient as-
sez mal ce commandement de la
loi, et ne comprenoient , sous le
nom de prochain , que les hommes
de leurnalion, Jésus-Christ les dé-
trompe par la parabole du Samari-
tain qui soulage un Juif blessé ,
dépouillé, abandonné; il leur ap-
prenoit par cet exemple qu'ils dé-
voient regarder comme prochain
les hommes même qu'ils détes-
loient davantage, les Samaritains.
Luc. , c. lo , y . 3o.
Le commandement qu'ajouteJé-
sus-Christ d'aimer nos ennemis ,
dans ce sens, n'a donc rien d'in-
juste ni d'impossible. Ce sont des
hommes, ils ont droit à tous les de-
voirs d'humanité. Les anciens phi-
losophes regardoient la vengeance
comme un droit naturel ; notre di-
vin Maître la réprime , en nous as-
surant que Dieu ne nous pardon-
nera point nos fautes, si nous ne
les pardonnons nous-mêmes à
ceux qui nous offensent. Maiih. ,
c. 6, y. i4 Pt i5. Si cette leçon
ii'étoit pas assez claire, que pou-
vons-nous opposer à l'exemple de
Jésus-Christ mourant , qui de-
mande pardon à son Père pour
ceux qui l'ont crucifié ^.
AMOUR-PROPRE , amour de
nous-mêmes. Un peu de réflexion
.suffit pour nous faire comprendre
le vrai sens des maximes de l'E-
vangile, qui condamnent Vamour-
propre , qui nous ordonnent de re-
noncer à nous-mêmes et de nous
haïr nous-mêmes. Quoi qu'en di-
sent les incrédules, ces maximes
ne sontniabsurdes ,ni impossibles
à suivre. \j arnour propre , pour
peu qu'on le llatte , est nécessaire-
mentaveugleet injuste, et il trouve
tôt ou tard sa punition en lui-
même. Un homme qui s'aime k
l'excès, qui rapporte tout à son
propre intérêt , f[ui veut une pré-
AMU io5
fcrence exclusive , qui ne sait
rendre justice à personne, devient
l'ennemi de tous; plus il est sen-
sible et chatouilleux , plus il est
aisé de le mortifier et de le chagri-
ner. Combien d'hommes célèbres
se sont rendus malheureux par là!
Ils avoient beau s'enivrer d'encens
et d'éloges, la moindre censure, le
plus léger trait de satire suffisoit
pour les mettre en fureur , pour
troubler leur repos, pour empoi-
sonner leur vie. S'ils avoient su
réprimer et modérer Vamour-pro-
pre , ils auroient été heureux.
Il n'y a rien d'outré dans le ta-
bleau que saint Paul a tracé de cet
odieux caractère : « Il viendra,
» dit-il , des hommes amoureux
» d'eux-mêmes, ambitieux, hau-
» tains, superbes, violents , enne-
» mis de leur propre famille , in-
» grats et méchants, sans affection,
» incapables d'amitié , calomnia-
» teurs , débauchés , querelleurs ,
» durs envers tout le monde , per-
» fides, insolents, orgueilleux , en-
1) nemis de Dieu et de leurs sem-
.. blables. » II. Tim., c. i,f. 2.
L'on pourroit peut-être en citer
un plus grand nombre d'exemples
dans notre siècle que dans aucun
autre. Ko/ez Abnégation , Haine.
AMSDORFIENS. Secte de pro-
testants du seizième siècle , ainsi
nommés de leur chef Nicolas Ams-
dorf, disciple de Luther, qui le fif
d'abord ministre de Magdebourg,
et, de sa propre autorité, éveqne
de Nuremberg. Ses sectateurs
étoient des confessionnistes rigides,
qui soutenoient que non-seulement
les bonnes œuvres étoient inutiles,
mais naême pernicieuses au salut:
doctrine aussi contraire au bon
sens qu'à l'Ecriture, et qui fut im-
prouvée par les autres sectateurs
de Luther. Voy. Luthériens
AMULETTE, préservatif. On
appelle ainsi certains remèdes su-
io6 AMU
persli lieux que l'on porte sur soi,
ou que l'on s'attache au cou, pour
se préserver de quelque maladie ou
de quelque danger.
Pour remonter à l'origine de cet
usage , il faut se souvenir que , se-
lon la croyance des païens , les en-
chanteurs, les magiciens, les sor-
ciers, par de certains charmes,
par des paroles ou par des carac-
tères, pouvoient envoyer des ma-
ladies ou d'autres malheurs aux
personnes aux([uelles ils vouloient
nuire; que, par d'autres paroles
ou par d'autres ligures , on pou-
voil arrêter leur pouvoir etrendre
leur malice inutile; qu'ainsi des
médailles, des morceaux de vélin
ou de parchemin , empreints de
certains caractères, étoient un re-
mède ou un préservatif assuré
contre toute espèce de maladie et
d'accidents. Lucien, dans son Plii-
Inpseudès , a fait de sanglantes rail-
leries de cette absurdité. Voyez
ChapcIme. Les Grecs les nommoient
phylactères, préservatifs; les La-
tins , amolimen'um , ou amoleium ,
du verbe amoliri , détourner : d'où
nous avons fait amuMle, qui a le
même sens. Les Orientaux les ap-
pellent talisman, et, selon l'opi-
nion commune des Arabes , un
magicien , par son talisman , peut
opérer des prodiges.
C'est quelquefois une pierre pré-
cieuse, une pierre tirée du corps
de quelque animal, ses os réduits
en poudre, le signe d'une planète
ou d'une constellation , une langue
de parchemin, de plomb ou d'é-
tain sur laquelle sont écrites cer-
taines paroles , une figure ob-
scène, etc. Sur ce point, les hom-
mes, dans tous les temps et dans
tous les lieux , ont poussé la foi-
blesse et la crédulité à un excès in-
croyable. Les anciens avoient sur-
tout grand soin de pendre une
amulette au cou des enfants , pour
leur servir de pi-éservatif contre
les regards des envieux; l'on sup-
AMU
posoit qu'à cet âge îla étoient plus
sujets aux maléfices et aux enchan-
tements que les adultes; que le sim-
ple regard d'un ennemi jaloux, ou
d'une vieille, pouvoit les fasciner.
Comme cette erreur vient d'un
attachement excessif à la vie, et
d'une crainte puérile de tout ce qui
peut nous nuire, le christianisme
n'est pas venu à bout de la détruire
universellement. Des les premiers
siècles , les conciles et les Pères de
l'Eglise défendirent aux fidèles ces
pratiques du paganisme, sous peine
d'anathème.lls représentèrent que
l'usage des amulettes étoit un reste
d'idolâtrie, ou de la confiance que
l'on avoit aux prétendus génies
gouverneurs dumonde.une espèce
d'apostasie de la foi chrétienne, un
défaut de confiance en Dieu , un
préjugé aussi ridicule que celui des
païens, qui attendoient du secours
d'une statue muette et insensible.
Thicrs , dans son Traité des Su-
perstitions, 1.^^ part., liv. 5, c. i,
a rapporté un grand nombre de
passages des Pères à ce sujet , et les
canons de plusieurs conciles.
C'est aux médecins de décider si
des poudres, des plantas, des pré-
parations chimiques , renfermées
dans des sachets et portés sur la.
chair , peuvent ou ne peuvent pas
étie des préservatifs contre cer-
taines maladies. Une vaine con-
fiance à ces sortçs de remèdes ne
tire à aucune conséquence contre
la religion ; il n'y a point de su-
perstition, lorsqu'on ne leur attri-
bue qu'une vertu naturelle, vraie
ou fausse. Il n'en est pas de même
lorsqu'on porte sur soi des choses
qui par leur nature ne peuvent
avoir aucune vertu , et que l'on se
persuade cependant qu'elles pro-
curent du bonheur ou détournent
quelque danger ; c'est le cas de ceux
qui espèrent de gagner au jeu,
lorsqu'ils ont sur eux de la corde
d'un pendu, etc. Cette confiance
est non-seulement une absurdité,
AMD
mais une iiiipu'lé, puis<iii\'lle sup-
pose qu'il y a sur la lerre un autre
pouvoir surnaturel que celui de
Dieu , <[ui peut nous faire du bien
ou du mal. On pourroit excuser
cette erreur par la i'oiblesse d'esprit
de ceux qui y tombent, si elle n'é-
toit pas ordinairement accompa-
gnée d'opiniâtreté,
Une autre question est de savoir
si c'est une superstition de porter
sur soi des reliques des saints, une
croix , une image , une chose bé-
nite par les prières de l'EjjHse,
comme VAgnusDci , etc., et si l'on
doit mettre ces choses au rang des
amulettes, comme le prétendent les
protestants. Nous convenons que
si l'on attribue à ces choses une
vertu surnaturelle de nous préser-
ver d'accident, de niort subite, de
mort dans l'état du péché , etc. ,
c'est une superstition. Elle n'est
pas du même genre que celle des
amulettes , dont le prétendu pou-
voir ne peut pas se rapporter à
Dieu; mais c'est ce que les théolo-
giens appellent vaine observance ,
parce que l'on attribue à des cho-
ses saintes et respectables un pou-
voir que Dieu n'y a point attaché.
Un chrétien bien instruit ne
les envisage point ainsi; il sait
que les saints ne peuvent nous se-
courir que par leurs prières et
par leur intercession auprès de
Dieu ; c'est pour cela que l'Eglise a
décidé qu'il est utile et louable de
les honorer et de les invoquer. Or,
c'est un signe d'invocation et de
respect à leur égard , de porter sur
soi leur image ou de leurs reliques;
de même que c'est une marque
d'affection et de respect pour une
personne que de garder son por-
trait ou quelque chose qui lui ait
appartenu. Ce n'est donc ni une
vaine observance, ni une folle con-
fiance d'espérer qu'en considéra-
lion du respect et de l'affection
que nous témoignons à un saint ,
il intercédera et priera pour nous.
AMU 107
De même une croix n'a par elle-
même aucune vertu , mais c'est le
signe du christianisme et de notre
rédemption par Jésus-Christ ; por-
ter ce signe sur nous , est un té-
moignage de notre foi et de notre
confiance aux mérites du Sauveur;
ne sommes-nous pas fondés à espé-
rer qu'en récompense de ces senti-
ments il nous accordera des grâces?
C'est une prière muette dont l'E-
glise nous donne l'exemple; par ce
signe ,Iespremlers chrétiens se dis-
linguoient des païens ; aujourd'hui
il nous distingue des hérétiques et
des incrédules.
En portant sur nous un Agnus
Dci, ou une autre chose bénite par
les prières de l'Eglise, nous attes-
tons notre confiance à ces mêmes
prières ; qu'y a-t-il là de supersti'
tieux ? U Agnus Dci est le symbole
de Jésus-Christ rédempteur du
monde; il est donc louable de le
respecter et de l'aimer. Par vanité
l'on étale des bijoux et des pierres
précieuses ; il nous paroît mieux de
montrer des signes de religion et de
piété : plus l'incrédulité affecte de
mépris pour ces signes extérieurs,
plus nous devons braver ses folles
erreurs et ses railleries absurdes.
On nous objectera qu'il est bien
difficile de faire comprendre au
peuple le véritable esprit de ces
usages , le degré de vertu qu'il doit
leur attribuer , et de confiance
qu'il doit y donner, qu'il s'y
trompe aisément, qu'il ne manque
presque jamais de tomber dans
l'excès et dans quelques abus. Soit.
Nous répliquerons toujours que,
s'il falloit retrancher tout ce dont
on peut abuser, il faudroit renon-
cer à toute religion et à toute pra-
tique de piété. Quand même les
erreurs du peuple seroient inévita-
bles , il vaudroit encore mieux
qu^il excédât dans des choses res-
pectables que dans des choses ab-
surdes et détestables; il vaut mieux
qu'il donne sa confiance à la croix
io8 ANA
qu'à une figure obscène , à l'image
•l'un saint qu'au signe d'une con-
stellation , à une relique qu'au
membre d'un animal , au pouvoir
des saints qu'à la puissance des dé-
mons. Ceux qui déclament le plus
liant contre les superstitions, en
sonrt-ils exempts? Tel qui se joue
du pouvoir des saints, admet les
înlluences de la fortune ; tel qui
dédaigneroit d'avoir sur soi une
relique , porte de la corde de pendu;
de graves philosophes qui ne
croyoient pas en Dieu, ont cru à
la magie. Voyez Magie.
ANABAPTISTES. Secte d'hé-
rétiques qui soutiennent qu'il ne
faut pas baptiser les enfants avant
l'âge de discrétion , ou qu'a cet âge
on doit leur réitérer le baptême ,
parce que, selon eux, ces enfants
doivent être en état de rendre rai-
son de leur foi pour recevoir vali-
dement ce sacrement.
Ce mot est composé d'àvà de re-
chef, et de /5aTTTeÇù) , ou /SâirTw ,
baptiser, laver, parce que l'usage
des anabaptistes est de rebaptiser
ceux qui ont été baptisés dans leur
enfance. Dans les commencements,
ils rebaplisoient aussi tous ceux qui
embrassoient leur secle , et qui
avoient reçu le baptême ailleurs.
Les nova tiens , les cataphriges
et les donatlstes , dans les premiers
siècles , ont été les prédécesseurs
des nouveaux anabaptistes , avec
lesquels cependant il ne faut pas
confondre les évéques catholiques
d'Asie et d'Afrique , qui , dans le
troisième siècle, soutinrent que le
baptême des hérétiques n'étoit pas
valide , et qu'il falloit rebaptiser
ceux des hérétiques qui rentroient
dans le sein de l'Eglise. Voyez
Rebaptisants.
Les vaudois , les albigeois , les
pétrobrusiens , et la plupart des
sectes qui s'élevèrent au treizième
siècle, passent pour avoir adopté
la même erreur ; mais on ne leur
ANA
a pas donné le nom à^ anabaptistes;
et il paroîl d'ailleurs qu'ils ne
croyoient pas je baptême fort né-
cessaire.
Les anabaptistes , proprement
dits, sont une secte de protestauls
qui parut d'abord vers l'an iSaS
en quelques contrées d'Allemagne ,
et particulièrement en "Westphalie,
où ils commirent d'horribles excès,
surtout dans la ville de Munster,
d'où ils furent nommés Monasté-
riens c\ Munstéricns. Ils ensei-
gnoient que le baptême donné aux
enfants étoit nul et invalide; que
c'éloit un crime que de prêter ser-
ment et déporter les armes; qu'un
véritable chrétien ne sauroit être
magistrat : ils inspîroient de la
haine pour les puissances et pour
la noblesse; vouloientque tous les
hommes fussent libres et indépen-
dants, et promettoienl un sort heu-
reux à ceux qui s'attacheroient à
eux pour exterminer les impies ,
c'est-à-dire , ceux qui s'opposoient
à leurs sentiments.
On ne sait pas au juste quel fut
le premier auteur de cette secte:
les uns en attribuent l'origine à
Carlostad, d'autres à Zuingle, etc.;
mais l'opinion la plus commune
est qu'elle doit son origine à
Thomas Muncer, de Zwickau , ville
de Misnie, et à Nicolas Storchon
Pélargue , de Slalberg, en Saxe,
qui avoient été tous deux disciples
de Luther , dont ils se séparèrent
ensuite, sous prétexte que sa doc-
trine n'étoit pas assez parlai te ; qu'il
n'avoit que préparé les voies à la
réformation , et que , pour par-
venir à établir la véritable religion
de Jésus- Christ, il falloit que la
révélation vînt à l'appui de la lettre
morte de l'Ecriture : conséquem-
ment ces enthousiastes se préten-
dirent inspirés , et communi-
quèrent le même fanatisme à leurs
prosélytes.
Sleidan observe que Luther avoit
prêché avec tant de force pour ce
ANA
qu'il appcloil la liberté éi^angélir/iie ,
<{ue les paysans de Souabe se liguè-
rent ensemble, sous prétexte de dé-
tendre la doctrine évangélique et
de secouer le joug de la servitude.
Ils commirentdcgrands désordres:
la noblesse , qu'ils se proposoient
d'exterminer, prit les armes contre
eiix, et cette guerre fut sanglante.
Luther leur écrivit plusieurs fois
pour lesengageràquitter lesarmes ,
mais inutilement : ils rétorquèrent
contre lui sa propre doctrine , sou-
tenant que , puisqu'ils avoient été
rendus libres par le sang de Jésus-
Christ, c'étoit déjà trop d'outrages
au nom chrétien , qu'ils eussent
été réputés esclaves parla noblesse ,
et que , s'ils prenoient les armes,
c'étoit par ordre de Dieu. Telles
étoient les suites du fanatisme où
Luther lui-même avoit plongé
l'Allemagne. Il crut y remédier en
publiant un livre dans lequel il
invitoit les princes à prendre les
armes contre ces séditieux. Le
Comte de Mansfeld , soutenu par
les princes et la noblesse d'Alle-
magne , défit et prit Muncer et
Pliffer, qui furent exécutés à Mul-
hausen l'an i525; mais la secte ne
fut que dissipée et non détruite.
Luther , suivant son caractère in-
constant , désavoua en quelque
sorte son premier livre par un se-
cond, à la sollicitation des gens de
son parti , qui trouvoient sa pre-
mière démarche dure et même un
peu cruelle.
Cependant les anabaptistes se
multiplièrent et se trouvèrent as-
sez puissants pour s'emiparer de
Munster, en i534, et y soutenir
un siège sous la conduite de Jean
de Leyde, tailleur d'habits , et qui
se fit déclarer leur roi. La ville fut
reprise sur eux par Tévèque de
Munster, le 24 juin i535. Le pré-
tendu roi et sou confident Knis-
perdolliii y périrent pnr les sup-
5 lices ; et depuis cet échec la secte
es anhbaplislcs n'a plus osé se
ANA I of)
montrer ouvertement en .\lle-
magne.
Vers le même temps , Calvin
écrivit contr'eux un traité. Comme
ils fondoient surtout leur doctrine
sur cette parole de Jésus-Christ ,
Marc. , c. 16, y . 16: « Quiconque
» croira et sera baptisé , sera
» sauvé , » et qu'il n'y a que les
adultes qui soient capables d'avoir
la foi actuelle , ils en inféroient
({u'il n'y a qu'eux non plus qui
doivent recevoir le baptême, qu'il
n'y a aucun passage dans le nou-
veau Testament où le baptême des
enfants soit expressément ordonné;
d'où ils tiroient cette conséquence,
qu'on devoit le réitérer à ceux qui
l'avoient reçu avant l'âge déraison.
Calvin et d'autres auteurs , fort
embarrassés de ce soph isme , eurent
recours à la tradition et à la pra-
tique de la primitive Eglise. Us op-
posèrent aux anabaptistes Origène,
c[iii fait mention du baptême des
enfants ; l'auteur des questions at-
tribuées a saint Justin; un concile
tenu en Afrufue, qui, au rapport
de saint Cyprien , ordonnoit qu'on
baptisât les enfants aussitôt qu'ils
seroient nés:, la pratique du même
saint docteur à ce sujet; les con-
ciles d'Autun , de Màcon , de Gi-
ronne, de Londres, deVienne, etc. ;
une foule de témoignages des Pères,
tels que saint Irénée , saint Jérôme ,
saint Ambroise , saint Augus-
tin , etc.
Ainsi Calvin et ses sectateurs,
après avoir décrié la tradition,
furent forcés d'y revenir; mais ils
avoient appris à leurs adversaires
à la mépriser. D'ailleurs Calvin ,
en soutenant la validité et l'utililé
du baptême des enfants, contredi-
soitson propre système , puisfiue,
selon lui , toute la vertu des sa-
crements consiste à exciter la foi.
On oppose aux anabaptistes que
les enfants sont jugés capables d'en-
trer dans le royaume des cieux.
Marc.,c. 9, '^ . i^; Luc, c. t8 ,
iio AÏS A
y. i6. Le Sauveur luî-même en
fit approcher quelques-uns de lui
et les bénit. Or, ailleurs, c. 3, ^.5,
saint Jean assure que quiconque
n'est pas baptisé ne peut entrer
dans le royaume de Dieu ; d'où il
s'ensuit qu'on doit donner le bap-
tême aux entants.
Ce que répondent les anabap-
tistes , que les enfants dont parle
Jésus-Christ étoient déjà grands ,
est faux ; dans saint IVIatlhieu et
dans saint Marc ils sont appelés de
jeunes enfants iracô.a ; dans saint
Luc , ^pi<fn ; de petits enfants: le
mêmeévangéliste dit expressément
qu'ils furent amenés à Jésus-
Christ; ils n'étoient donc pas en
état d'y aller tout seuls.
Une autre preuve se tire de ces
paroles de saint Paul aux Romains ,
c.b ,S • 1 7 : « Si , à cause du péché
» d'un seul , la mort a régné par
» ce seul homme , à plus forte
» raison ceux qui reçoivent l'abon-
» dance de la grâce et du don de
») la justice régneront-ils dans la
» vie par un seul homme qui est
» Jésus-Christ. » Or, si tous sont
devenus criminels par un seul , les
enfants sont donc criminels ; et de
même si tous sont justifiés par un
seul , les enfants sont donc aussi
justifiés par lui : on ne sauroit
être justifié sans la foi ; les enfants
ont donc la foi nécessaire pour re-
cevoir le baptême , non pas une
foi actuelle , telle qu'on l'exige dans
les adultes , mais une foi suppléée
par celle de l'Eglise , de leurs pères
et mères , de leurs parrains et mar-
raines. C'est la doctrine de saint
Augustin, serm. 176, De verb.
Apost., lib. 3 , De libero arb., c. 23,
n.° 67.
A cette erreur capitale les ana-
baptistes en ont ajouté plusieurs
autres des gnostiques et des anciens
hérétiques : quelques-uns ont nié
la divinité de Jésus-Christ et sa
descente aux enfers-; d'autres ont
sojitenu que les âmes des morts
ANA
dormoient jusqu'au jour du juge-
ment, et que les peines de l'enfer
n'étoient pas éternelles. Leurs en-
thousiastes prophétisoient que le
jugement dernier approchoit, el
en fixoient même le terme.
Le sommaire de leur doctrine
étoit « que le baptême des enfanta
» est une invention du démon ; que
» l'Église de Jésus-Christ doit être
» exempte de tout péché ; que
)) toutes choses doivent être com-
» munes entre tous les fidèles ; qu'il '
» faut abolir entièrement l'usure ^
» la dîme , et toute espèce de tri-
j) but ; que tout chrétien est en
» droit de prêcher l'Evangile; que
» par conséquent l'Eglise n'a pas
» besoin de pasteurs ; que les ma-
» gistrats civils sont absolument
» inutiles dans le royaume de
)> Jésus-Christ: que Dieu continue
)) de révéler sa volonté à des person-
» ms choisies, par des songes, des
» visions , des inspirations , etc. »
Mais il ne pouvoit y avoir une"
croyance uniforme parmi une
troupe de fanatiques ignorants ,
dont chaque membre étoit en droit
de se prétendre inspiré.
Aussi à mesure que le nombre
des anabaptistes augmenta , les
sectes se multiplièrent parmi eux,
et on leur donna différents noms,
tirés ou de leurs chefs , ou de leurs
demeures, ou de leurs opinions par-
ticulières , ou de leur conduite.
Outre les noms de monastjériens ,
munstériens et muncériens, ils ont
été appelés enthousiastes, catha-
ristes, silencieux, adamistes, géor-
giens ou davidiques , hutites ,
indépendants, rnelchioristes, nudi-
pédaliens , mennonites, bockhol-
diens , augustiniens , libertins ,
dérélictiens, polygamites, sempéro-
rants , ambrosiens , clanculaires ,
mani-festaires, pacificateurs, pas-
toricides, sanguinaires, waterlan-
diens , etc. Les partisans de l'une
de ces sectes prétendirent que ,
pour être sauve, il ne faut savoir
ni lire ni écrire, pas même con-
iioîlrc les premières lettres de l'al-
phabet, ce qui les fit nommer abé-
cédaires ou abécédariens. On pré-
tend que Carlostad finit par em-
brasser ce parti, qu'il renonça à
sa qualité de docteur, se fit porte-
faix , et se nomma frère André.
Mais la distinction la plus com-
mune est celle des anabaptistes ri-
gides et des anabaptistes mitigés.
Ces derniers ont été connus sous
les noms de gabriélitcs , de hutté-
rites ou frères de Moravie , enfin
sous celui de menniles. Voici l'ori-
gine -de ces noms.
Lorsque les anabaptistes eurent
été délaits et proscrits en Alle-
magne, à cause de leur conduite
sanguinaire , Gabriel et Hutter ,
deux de leurs principauxchcfs, se
retirèrent en Moravie : ils rassem-
blèrent le plus grand nombre qu'ils
purent de leurs partisans. Hutter
donna un symbole et des lois; il
leur enseigna, i.° qu'ils étoient la
nation sainte que Dieu avoit choisie
pour la rendre dépositaire du vrai
c\ilte ; 2." que toutes les sociétés
qui ne mettent pas leurs biens en
commun sont impies, qu'un chré-
tien ne doit rien posséder en par-
ticulier; 3.° que les chrétiens ne
doivent point reconnoître d'autres
magistrats , que les pasteurs ecclé-
siastiques ; 4'° ^}^^■ Jésus-Christ
n'est pas Dieu , mais prophète ;
5.0 que presque toutes les marques
extérieures de religion sont con-
tra ires à la pureté du christianisme,
«jui doit être dans le cœur; 6." que
fous ceux qui ne sont pas rebap-
tisés sont des infidèles , et que le
nouveau baptême, annule les ma-
riages contrac es auparavant; 7.°
que le baptême n'est point admi-
nistré pour effacer le péché originel
nî pour donner la grâce, mais que
c'est un signe par lequel un fidèle
s'unit à l'Eglise; 8." que Jésus-
Christ n'est point réellement pré-
sent dans l'Eucharisfie ; que lésa-
ANA , , ,
crificedelamesse, le culte des sain (s
etdes images, le purgatoire, etc.
sont des suj)erstitions et des abus.
Ainsi les opinions des protestants
étoient toujours la base de celles
des anabaptistes.
Hutter ne conserva parmi ses
sectateurs point d'autre pratique
de religion que le baptême des
adultes ; il ne leur fit célébrer la
cène que deux fois l'année ; il leur
persuada de mettre en commun
tous leui's biens, même les enfants ,
afin que tous fussent élevés de
même. Cette république singulière
forma d'abord une société d'ex-
cellents cultivateurs, laborieux,
sobres, paisibles, très-réglés dans
leurs niœurs ; mais la discorde, la
corruption et l'irréligion ne tar-
dèrent pas de s'y introduire. Hutter
et Gabriel ne purent pas s'accorder
long-temps; le premier ne cessoit
d'invectiver contre les magis-
trats et contre toute espèce d'au-
torité ; le second , plus modéré ,
vouloit que l'on se conformât aux
lois du pa)s où l'on étoit. II se
forma ainsi deux partis , l'un de
Gabriélites , et l'autre de Huilé -
rites , qui s'excommunièrent mu-
tuellement. Après la mort de
Hutter, qui fut piini du dernier
supplice , comme hérétiqne sédi-
tieux , les deux sectes se réunirent
sous le gouvernement de Gabriel ;
mais il ne put y rétablir l'ordre
ni la régularité des mœurs: il de-
vint odieux à toute la secte , qui
le fit chasser de la Moravie. Retiré
en Pologne, il finit sa vie dans la
misère. Après la mort de ces deux
hommes , ies frères de Moravie se
dispersèrent , et la plupart se
réunirent aux sociniens, qui ont
à peu près la même croyance.
Catrou , Hist. des anabaptistes.
Vers l'an i536, Menno Simon ,
oti Simon Menno, j)rêtre apostat,
né dans la Frise, entreprit de faire
en Hollande ce queGabriel et Hutter
a voient lai l en Moravie. 11 entreprit
112 ANA
Je réunir les différentes sectes d'a-
nahaptisles. Par ses prédications ,
par ses écrits , par ses voyages con-
tinuels , il en vint à bout, du moins
iusqu'à un certain point, et il leur
inspira des sentiments plus modé-
rés que ceux de leurs chefs précé-
dents. Il leur fit comprendre la
nécessité de retrancher de leur
doctrine non-seulement toutes les
maximes licencieuses que plusieurs
avoient enseignées touchant le di-
vorce et la polygamie, mais encore
toutes celles qui tendoient à dé-
truire le gouvernement civil et
à troubler l'ordre public, et les
prétendues inspirations qui ren-
doient leur secte ridicule. S'il en
retint le fond, il trouva du moins
le secret de proposer ses opinions
sous des expressions moins révol-
tantes.
Gonséqueniment , l'on prétend
que la croyance actuelle des men-
nonites se réduit aux points sui-
vants. Ils n'administrent point le
baptême aux entants, mais seu-
lement aux adultes capables de
rendrecomptcde leur foi; sur l'Eu-
charistie, ils ont embrassé le sen-
timent des calvinistes. A l'égard de
la grâce et de la prédestination , ils
ne suivent point les opinions rigi-
des de Calvin , mais plutôt celles
de Mélancthon et d'Arminius, qui
se rapprochent du pélagianisme.
Ils s'abstiennent du serment; leur
simple parole leur en tient lieu de-
vant les magistrats. Ils regardent
laguerre et la profession des armes
comme illicites; mais ils contri-
buent de leurs biens à la défense de
leur patrie. Ils ne condamnent plus
absolument les charges de la ma-
gistrature ; ils s'abstiennent seule-
ment d'en exercer aucune. Grands
partisans de la tolérance , par be-
soin plutôt que par conviction,
ils souffrent parmi eux toutes les
opinions qui ne leur paroissenlpas
attaquer l'essentiel du christia-
nisme, et l'on conçoit que, selon
Ai\A
leurs principes , cet essentiel se ré-
duit à fort peu de chose.
Ondit qu'en général leurs mœurs
sont douces et pures; comme plu-
sieurs néanmoins se sont enrichL»
par la culture et par le commence,
ils se sont beaucoup relâchés de la
morale sévère de leurs ancêtres ,
et ils ne se font plus de scrupule de
jouir des commodités de la vie. Il y
en a dans plusieurs parties de l'Alle-
magne , un très-grand nombre en
Hollande, et plusieurs en Angle-
terre, où ils sont appelés ôa^//s/e.'î.
Quoique leur doctrine ressemble
beaucoup à celle des quakers, ils
ne fraternisent cependant pas en-
semble.
Mosheira, quia donné l'histoire
des anabaptistes et des rnennoniles,
a fait son possible pour répandre
de l'obscurité sur l'origine de cette
secte ; il ne veut pas avouer que ces
deux premiers fondateurs étoient
deux disciples de Luther ; il a rougi
sans doute de celte postérité du lu-
théranisme. Histoire ecclésiast. du
i6.^ siècle , sect. 3 , 2.* part. , c. 3.
Mais comment méconnoître une
généalogie aussi claire i' C'est Lu-
ther qui a ouvert la voie àMuncer
et à Storck , par son livre de la li-
berté chrétienne, par ses déclama-
tions fougueuses contre les pasteurs
de l'Eglise, contre les puissances
séculières qui les soutenoient,
contre l'autorité et les revenus du
cierge ; par le principe qu'il a éta-
bli , que la seule règle de notre foi
est le texte de l'Ecriture sainte , en-
tendu selon le sens de chaque par-
ticulier, et que Dieu donne à tous
la grâce ou l'inspiration nécessaire
pour le bien entendre. Avec dépa-
reilles armes, le fanatisme peut-
il être arrêté par quelqu'une des
barrières que l'onvoudroit lui op-
poser?
INIoshelm ne dissimule aucun des
excès ni des crimes que se permi-
rent les chefs des anabaptistes de
Westphalie; il avoue que l'on ne
ANA
poiivoit pas se dispenser d'em-
ployer contre eux les armes et les
supplices : la bonne foi sembloit
exiger qu'il reconnût de même la
première cause de tout le sang qui
a été répandu. Il étoit fort inutile
de remonter aux vaudois, aux pé-
trobrusicns, aux -wicléfites, aux
hussites, pour en faire descendre
les anabaptistes ; leur vrai père est
Luther : il n'a pas pu méconnoî-
tre en eux son ouvrage; il a tâché
vainement d'éteindre un feu qu'il
avoit allumé lui-même.
Mosheim ne paroîtpasavoir trop
bonne opinion des mennonites ,
même tels qu'ils sont aujourd'hui ;
il prétend que, dans leurs différentes
confessions de foi , les articles qui
regardent l'autorité des magistrats
et l'ordre de la société civile , sont
proposés avec beaucoup plus d'a-
dresse que de sincérité , sous des
termes captieux qui font disparoî-
Ire ce que ces articles peuvent avoir
de choquant ; ces confessions , se-
lon lui, sont plutôt des apologies
que des déclarations naïves de ce
que chacun doit croire. Ibîd. , § 12
et i3. Cependant il observe que les
mennonites exposent la plupart
des articles de leur croyance dans
les propres termes de l'Ecriture
sainte. Comment cette Ecriture ,
qui est si claire, au jugement des
protestants , peut-elle fournir à
tous les hérétiques des termes cap-
tieux pour envelopper et dissimu-
ler leur vraie foi t Voilà ce que
nous ne concevons pas.
Il y auroit bien d'autres obser-
vations à faire sur l'embarras dans
lequel se trouvent les protestants ,
lorsqu'ils ont à traiter avec les dif-
férentes sectes qui sont sorties de
leur sein.
Les incrédules qui ont vanté la
douceur, la régularité, la simpli-
cité des mœurs actuelles des men-
nonite.s , afin de rendre odieuses
Icri rigueurs ({ue l'on a exercées
contre leurs pères en Wealphalie,
ANA ixS
et les édils sanglants queCliarles-
Quint fit publier contre eux, ont
montré bien peu de bonne fol dans
leurs déclamations. Qu'avoient de
commun les mœurs et la conduite
des anabaptistes séditieux et san-
guinaires , avec celles des menno-
nites , tels qu'on nous les peint
aujourd'hui P Les édits furent pu-
bliés et les exécutions furent faites
immédiatement après les ravages
que les premiers avoient commis à
main armée à Munster et dans la
Westphalie. Si leurs descendants
les imitoient, ils mériteroient d'être
traités de même. Il a fallu toutes
ces rigueurs pour faire cesser le
fanatisme destructeur dont la secte
étoit animée pour lors. S'il y a
quelque chose d'odieux dans ce
procédé , il doit retomber tout en-
tier sur les premiers auteurs du
mal. Les anabaptistes avoient exer-
cé leur fureur , non-seulement en
Allemagne , mais en Suisse , en
Flandre et dans la Hollande : les
protestants sévirent contre eux
avec autant de violence pour le
moins que les catholiques ; ils n'ont
été tolérés que depuis qu'ils sont
devenus paisibles.
Si nous en croyons Mosheim, il
s'en faut beaucoup que la tolérance
soit l'esprit général des mennoni-
tes, ou des anabaptistes modernes.
En Angleterre , sous le règne de
Cromwel,ils eurent des chefs qui
n'étoient rien moins que modérés;
aujourd'hui même ils sont divisés
en deux sectes principales, savoir:
celle des anabaptistes grossiers oifc
modérés,qui, à propren^ient parler,
n'ontaucunecroyance fixe et qui ne
se font aucun scrupule de fraterni-
ser avec les sociniens; et celle des
anabaptistes riç^'iAcs , ou mennonites
proprement dits, qui font profes-
sion de retenir la doctrine de Men-
no , et de ne s'en écarter en rien.
Ceux-ci exercent l'excommunica-
tion la plus rigoureuse non-seule-
ment contre tous les pécheurs pu-
8
ii4 ANA
hlics, mais encore contre tous ceux
qui s'éloignent de la simplicité des
manières de leurs ancêtres, ils lonl
profession de mépriser les sciences
humaines , etc. On ne peut pas
pousser l'intolérance plus loin ,
puisque parmi eux un excommunié
ne peut plus espérer aucune mar-
que d'afiection ni aucun secours
de son épouse, de ses enfants, ni
de ses parents les plus proches.
Il est bon de savoir que les soci-
niens, chassés de Pologne, profi-
tèrent de la tolérance accordée aux
mennonites en Hollande, pour s'y
introduire et s'y établir sous ce
nom. Ainsi, la plupart des hom-
mes lettrés qui prenoient en Hol-
lande et ailleurs le nom de menno-
niles, sont de vrais sociniens; c'est
ce qui a rendu cette secte si nom-
breuse , et qui lui a valu la pro-
tection de nos incrédules moder-
nes. Mosheim , Hist. ecclesiast. ,
du 17. « siècle, sect. 2, 2.* part. ,
chat}) .S;Hist.duSoc} nfam'sme, i* p. ,
c. 18 et suiv.
ANACHORÈTE, ermite ou so-
litaire, homme retiré du monde
par motif de religion, qui vit seul ,
afin de ne s'occuper que de Dieu
et de son salut. Ce mot vient du
grec àvaxwpEîv , se retirer , de même
que emn'le est dérivé d'É'pvîfxo; , so-
litude, lieu désert. Dans l'origine,
on a encore donné aux solitaires
Je nom de moines, tiré de fiovoç,
seul, isolé.
Ce genre de vie a toujours été
connu dans l'Orient. Saint Paul ,
Hebr., c. 11, S- 38, dit que les
prophètes onterré dans les déserts
et sur les montagnes; qu'ils ont
demeuré dans les antres et les
cavernes de la terre. Saint Jean-
Baptiste, dès son enfance , se re-
tira dans le désert et y vécut jus-
qu'à l'âge de trente ans; Jésus-
Christ lui-même fit l'éloge de. sa vie
austère et de ses vertus Matth. ,
c. Il, y. 7. Mais saint Paul de
ANA
Thébes en Egypte est regardé
comme le preniier ermite ou ana-
chorète du christianisme. Il se
retira dans le désert de laThébaïde
l'an aSo, pendant la persécution
de Dece et de Valérien; bientôt il
y fut suivi parsaint Antoine et par
d'autres qui voulurent menerle mê-
me genre de vie. Plusieurs se réu-
nirent ensuite pour vivre en com-
mun, et furent nommés cénobites.
Cet exemple fut même suivi par les
femmes : quelques-unes s'enfoncè-
rent dans les déserts pour faire pé-
nitence et pour éviter les dangers
du siècle , d'autres se renfermèrent
dans des cloîtres pour y vivre en-
semble sous une même règle. Telle
a été l'origine de l'état monastique.
Voyez Moine , Cénobite , Reli-
gieuse , etc.
Sur la fin du quatrièmie siècle ,
la vieérémitique passa de l'Egypte
en Italie, et bientôt après dans les
Gaules; on y vit des anachorète.^!
et des cénobites. L'irruption des
Barbares , arrivée au commence-
ment du cinquième siècle, contri-
bua à les rnultiplier; pour se sous-
traireaubrigandage,un grandnom-
bre d'hommes se retirèrent dans
des lieux déserts ; plusieurs guer-
riers, tourmentés par des remords
et par la crainte de retomber dans
de nouveaux désordres , allèrent
expier leurs crimes dans la soli-
tude : on admira leur courage et
leur vertu. Les mêmes raisons qui
faisoient'augmenter le nombre des
monastères, servirent aussi à mul-
tiplier les ermites ou anachorètes ,
et le goût pour ce genre de vie
s'est conservé jusqu'à nous; de là
le grand nomhre d'ermitages que
l'on voit d'un bout du royaume à
l'autre. Mais les supérieurs ecclé-
siastiques ontreconnu depuis long-
temps, qu'il étoit mieux de réunir
plusieurs ermites dans une même
habitation, que de les laisser vivre
absolument seuls.
Cette manière de vivre singulière
AN A
ne pouvoit manquer d'exciter la
bîle des ennemis de la religion ;
aussi a l-elle été blâmée avec au-
tant d'aigreur par les protestants
que par les incrédules. Ils en ont
censuré l'origine , les motifs , les
pratiques; ils en ont relevé les in-
convénients et les pernicieuses con-
séquences. Le Clerc, Mosheim ,
Brucker et la foule desprotestants
ont déclamé à l'envi sur ce sujet ;
et nos philosophes moutonniers
ont enchéri encore sur leurs in-
vectives.
Les uns ont dit que le goiit pour
la vie solitaire étoit, dans l'Orient
et surtout en Egypte, un vice du
climat, un effet de la mélancolie et
de la paresse que la chaleur in-
spire; d'autres ont jugé qu'il a été
augmenté chez les chrétiens par
les notions de la philosophie de
Pythagore et de Platon, selon les-
quelles on croyoit que plus l'àme
se détachoit du corps et des sens ,
plus elle s'approchoit de Dieu.
Quelques-uns ont deviné que, dans
les premiers siècles du christia-
nisnae , on renonçoit au monde
parce que l'on croyoit qu'il alloit
finir. Presque tous ont décidé que
l'estime pour la vie austère est née
d'une notion fausse et absurde de
la Divinité. Les chrétiens, disent-
ils, se sont persuadés que Dieu ,
non content d'exiger le sang de son
Fils pour apaiser sa justice , se
plaisoit encore aux tourments de
ses créatures.
A toutes ces réflexions il ne man-
que que du bon sens. Si tous ces
savants dissertaleurs avoîent passé
la plus grande partie de leur vie à
la campagne, et loin du tumulte
des villes, ils auroient éprouvé
par eux-mêmes que l'on contracte
très-aisément le goiît de la soli-
tude absolue, sans penser à la fin
du monde, sans connoître la phi-
losophie de Pythagore , et sans
avoir des notions absurdes de la
Divinité. Unepreuvc qu'il nevienf
A.NA II-
point du climat, c'est qu'il a été
pour le moins aussi commun et
aussi vif dans les contrées du Nord
que dans les régions du Midi. Mais
bornons-nous à des considération*
religieuses.
Il est fâcheux d'abord que les
protestants aient condamné avec
tant de hauteur un genre de vie
que Jésus -Christ a daigné louer
dans son saint précurseur, et que
saint Paul a proposé pour modèle
dans les prophètes. Dirons -nous
des uns ou des autres ce que Mos-
heim a osé dire de saint Paul , pre-
mier errmïe, que retiré danslc dé-
sert, il mena une vie plus digne
d'une brute que d'un homme ;
Hisf. ecclé3. du iroisième siècle ,
2.* part. , c. 3, § 3 POu penserons-
nous qu'Elie, les autres prophètes
et saint Jean - Baptiste avoient
puisé le goiit de la solitude dans les
écrits de Pythagore ou de Platon,
dans la crainte de la fin du mon-
de, etc. i* Voilà comme les protes-
tants respectent l'Ecriture sainte.
En second lieu, nous les dé-
fions de faire contre les solitaires
aucun reproche qui n'ait été fait
aux premiers chrétiens par les
païens. Nous voyons, par V Apolo-
gétique de Tertullien, que ceux-ci
appeloient les chrétiens insensés ,
hommes inutiles aumonde, misan-
thropes ou ennemis du genre hu-
main ; on tournoit en ridicule leur
air austère et pénitent, leur goiît
pour la solitude, la société particu-
lière qu'ils formoiententr'eux, etc
Les protestants semblent n'avoir
fait que copier tous ces sarcasmes
en faisant la satire des moine.s et
des anachorètes.
Aussi les incrédules n'ont pas
manqué de tourner , contre le
christianisme même , la censure
que les protestants ont faite de la
vie monastique ou érémitique. Ils
disent que les maximes de l'Evan-
gile tendent à séparer l'homme
d'avec ses semblables, et à le dé-
8.
ii6 AN A
tacher absolument du monde; que
c'éloil déjà la morale des esséniens
et des thérapeutes, et que Jésus-
Christ avoit puisé sa doctrine
parmi eux. Ils soutiennent que
les premiers chrétiens furent de
vrais nioines, puisque saint An-
toinene prétenditl'aire autre chose
que suivre l'Evangile à la lettre ;
d'où ils concluent que la morale
évangélique n'esr faite que pour
des moines. En effet, c saint An-
» toine, dit M Fleury , saint Hi-
» larion , saint Pacôme, et les au-
i> très qui les imitèrent, ne pré-
» tendirent pas introduire une
M nouveauté ou renchérir sur la
» vertu de leurs pères ; ils voulu-
» rent seulement conserver la tra-
» dition de la pratique exacte de
» l'Evangile qu'ils voyoient se relà-
» cherdejour enjou^.Ilssepropo-
» soient toujours pour modèles les
» ascètes ou chrétiens fervents qui
» les aveient précédés. » Mœurs des
Chrét. , § Sa. Bingham lui-même,
quoique protestant , avoue qu'à
l'exception de la solitude absolue,
la vie des ascètes étoit la même que
celle des anacAorè/cs et des moines.
Orig. ecclésiast. , 1. 7, c. i. Voyez
Ascètes.
Nous prions les protestants de
vouloir bien justifier , contre la
censure des incrédules, les pre-
miers chrétiens formés par les
leçons de Jésus-Christ et des apô-
tres; ce qu'ils diront nous servira
de même à faire l'apologie des so-
litaires qui ont renoncé au monde.
Mais ils n'en feront rien; peu leur
importe de livrer le christianisme
au mépris des incrédules, pourvu
qu'ils satisfassent leur propre hai-
ne contre l'Eglise romaine.
On ne sait que penser, quand
on lit leurs lamentations sur la
multitude des erreurs qu'a fait
naître dans l'Eglise la philosophie
de Pythagore et de Platon : De là
est née, disent-ils, cette folle idée
que l'on pouvoitmenerunevieplus
ANA
sainte que celle de Jésus-Christ
et des apôtres , et pratiquer des
vertus plus parfaites que celles qui
sont commandées dans l'Evangile;
de là l'estime insensée pour les
austérités corporelles, pour l'abs-
tinence et le jeiàne, pour le cé-
libat et la virginité ; de là la con-
damnation des secondes noces , le
mépris pour l'état du mariage , etc.
Brucker, Hist. Philos., tome 3,
p. 363. On croit entendre raison-
ner des déistes ou des épicuriens.
En parlant de ces différents articles
de la discipline chrétienne , nous
leur ferons voir que tous sont
fondés sur l'Ecriture sainte , sur
les leçons formelles de Jésus-Christ
et des apôtres, et nous les mettrons
à couvert de leur folle censure. Il
s'ensuit déjà que les platoniciens
et les pythagoriciens, qui ont fait
cas de toutes ces pratiques, étoient
plus raisonnables que les proles-
tants et les incrédules modernes.
Ajoutons que la vie des soli-
taires de la Thébaïde , qui nous
f)aroît si terrible, étoit à peu près
a même que celle des pauvres et
du peuple en Egypte. Selon le ré-
cit des voyageurs , le seul habit
des deux sexes est une chemise ou
un morceau de toile, et les jeunes
gens , jusqu'à l'âge de quinze ou
seize ans , sont absolument nus.
Tous couchent sur la dure , dans
la rue', ou sur les toits des mai-
sons, et avec deux poignées de riz
un homme peut, vivre pendant
vingt-quatre heures, sans avoir
besoin d'autre nourriture. Il en est
de même dans les Indes ; et telle y
fut toujours la vie des brachmanes,
ou des philosophes de ce pays-là.
Mais des épicuriens septentrionaux
sont effrayés de ce genre de vie :
gâtés par un luxe désordonné, ils
regardent les austérités comme un
suicide lent et comme une folie;
ils s'emportent contre les anacho-
rètes , parce que ceux-ci étoient
plus robustes et plus sobres qu'eux.
AJNA
Ecoulons néanmoins leurs dc-
clamalions. Si saint Paul , disent-
ils , et saint Pacôme ont bien fait
«le renoncer au monde , et de se
retirer dans les déserts , tout
homme qui fera comme eux sera
aussi lounble qu'eux ; il faudra
donc rompre toute société avec
nos semblables , et vivre comme
les animaux sauvages , pour être
chrétiens parfaits. Dés que Dieu a
créé l'homme pour la société, il
est absurde d'imaginer un état
plus saint et plus respectable que
l'état social, ou des devoirs plus
sacrés que ceux du sang et de la
nature. Se détacher du monde et
s'en séparer, c'est dans le fond
renoncer à l'humanité et se sous-
traire à l'ordre général de la Pro-
vidence , se rendre inutile aux
autres ; c'est un travers , un at-
tentat punissable; il ne peut venir
c[ue d'un fonds de m.isanthropie ,
de paresse ou de vanité ; le cano-
niser et l'ériger en vertu, c'est un
trait de démence.
Réponse. Si les anachorètes , en
cherchant la solitude , avoient
manqué aux devoirs du sang et de
la nature , violé les engagements
d'homme et de citoyen , résisté à
l'ordre de la Providence , nous
avouons qu'ils n'auroienl été ni
.sjints ni louables. Mais c'est à leurs
détracteurs de prouver, i." qu'ils
ont abandonné leurs parents et leur
famille dans des circonstances où
elle pouvoit avoir besoin de leurs
secours ; 2.» qu'ils n'avoient pas
reçu de la nature un goiit décidé
pour la retraite, pour la prière ,
pour un travail auquel ils pou-
voient vaquer seuls ; 3.° qu'il
n'y avoit aucun danger pour eux
à demeurer dans le monde ; 4-°
qu'ils n'ont été d'aucune utilité
pour leurs semblables. Autrement,
nous soutenons qu'ils n'ont man-
qué ni à la nature qui les portoit
au genre de vie qu'ils ont embras-
•é, ni à leurs parents qui pouvoient
ANA
117
se passer d'eux, ni à leurs conci-
toyens auxquels leur retraite ne
portoit aucun préjudice, ni aux
emplois publics pour lesquels ils
ne se sentoient pas faits , ni à la
voix de Dieu , puisqu'au contraire
ils croyoient lui obéir. Avant de
conclure que tout homme fera
bien de les imiter, il faut savoir
si tout homme est dans les mêmes
circonstances qu'eux.
Mais si tout homme prenoît ce
parti , que deviendroit la société ?
Folle supposition. Dieu y a pour-
vu ; il a tellement varié lés goiits ,
les caractères, les talents, les be-
soins des hommes, qu'il est im-
possible que tous embrassent le
même état de vie, dès qu'ils seront
les maîtres de choisir. C'est pour
cela que toutes les conditions se
trouvent toujours à peu près éga-
lement remplies , et qu'aucune ne
demeure vacante : le choix que font
les solitaires, loin de gêner celui
des autres, leur laisse une place de
plus.
11 n'est donc pas vrai qu'ils aillent
contre l'ordre de la Providence ,
puisque la Providence veut que
chacun choisisse l'état qui lui con-
vient le mieux ; ni contre le bien
de la société , puisqu'elle est inté-
ressée à ce que personne ne soit
gêné dans son choix; ni contre le
droit de leurs semblables, puisque
ceux-ci n'en reçoivent aucun pré-
judice : les solitaires nuisent moins
au public que les honnêtes fai-
néants , qui surchargent la société
du poids et de l'ennui de leur
oisiveté.
Il n'est pas vrai non plus qu'ils
soient inutiles au monde. Dans les
temps de calamité, de dévastation
ou de contagion , lorsque la reli'-
gion s'est trouvée en danger , lors-
que les peuples ont manqué de se-
cours spirituels, lorsque le clergé
séculier a été à peu près anéanti ,
on a vu les solitaires quitter leur
retraite, accourir au secours de
ii8 AxNA
leurs frères, exercer la cbarilc d'une
manière héroïque ; souvent les rois
aont allés les chercher au désert
pour leur confier les affaires les
plus importantes. Ceux de la Thé-
baïde travailloient , non-seulement
pour se procurer la subsistance ,
mais encore pour aider les pauvres
du prix de leur travail. D'ailleurs ,
plus les hommes sont vicieux, plus
les mœurs publiques sont corrom-
pues, plus il est utile et nécessaire
de leur donner des exemples de fru-
galité, de désintéressement, de
mortification , de patience , de
piété, de soumission à Dieu, de mé-
pris des choses de ce monde. Quoi
que l'on puisse en dire , les soli-
taires l'ont fait dans tous les temps,
et les peuples ne les ont respectés
qu'autant qu'ils le méritoient par
leurs vertus.
Un homme , fatigué du tumulte
de la société, rebuté par les vices
de ses semblables, dégoûté des ob-
jets qui excitent les passions , n'a-
t-il pas droit d'aller chercher dans
la solitude la paix, le repos, l'in-
nocence, la liberté, le calme de la
conscience? Celui qui fuit le danger
de la corruption, qui s occupe à
prier , à méditer, à travailler; qui
s'accoutume à retrancher à la na-
ture tout ce dont elle peut se pas-
ser, n'est-il pas louable? Il donne
aux autres une grande leçon , sa-
voir, que l'on peut trouver avec
Dieu un repos, des consolations,
un bonheur , que le monde ne peut
pas donner.
ANAGOGIE, ANAGOGIQUE.
Voyez Ecriture sainte , § 3 .
ANALYSE DE LA FOL Voyez
Foi.
ANAIVIÉLECH. Voyez Samari-
tain.
ANAME et SAPHIRE. Ces deux
époux furent frappés de mort à la
ANA
parole de saint Pierre, pour avoir
menti au Saint-Esprit. Act. , c. 5 ,
S • 3. Les censeurs de la révéla-
tion n'ont pas manqué d'observer
qu'un simple mensonge n'étoit pas
un crime assez grave pour mé-
riter la peine de mort ; que saint
Pierre agit dans celte circonstance
avec une cruauté peu digne d'un
apôtre.
Si cette observation étoitiuste,
ce serolt à Dieu même qu'il fau-
droit s'en prendre: la parole de
saint Pierre n'a certainement pas
eu par elle-même la force de faire
mourir subitement deux person-
nes; il faut donc que Dieu les ait
punies^ lui-même. IVIais il est faux
que le crime à^Ananie et de ^a-
phire ait été un simple mensonge.
Comme les fidèles de Jérusalem
avoient mis leurs biens en com-
mun, personne n'avoit droit de
subsister aux dépens de cette com-
munauté, que ceux qui s'étoient
réellement dépouillés de leurs pos-
sessions. Ananie et Saphire , après
avoir vendu un champ , donnèrent
une partie du prix et gardèrent le
reste ; c'étoit une fraude : ilfalloil
un exemple de sévérité pour pré-
venir cet abus. Act. , c. Z^^')^. 34
et 35.
D'ailleurs , selon le sentiment de
plusieurs Pères de l'Eglise, Dieu
punit ces deux époux en ce monde
pour leur faire miséricorde en l'au-
tre ; ainsi en ont jugé Origène ,
tom. 5, in Maiih. , n. i5 ; saint
Augustin, liv. 3, contra Epîst. ad
Parmen. , c. i , n. 3 , Serm. 149,
n. i; saint Jérôme, Epist. 8, ad
Démet. , et d'autres. Ils se sont fon-
dés sur les paroles de saint Paul.
I. Cor., c. Il, y. 3o : « Lorsque
» Dieu nous juge, il nous corrige ,
» afin que nous ne soyons pas dam-
)) nés avec ce monde. » A la vérité,
il y en a aussi quelques-uns qui
craignent que ces deux coupables
n'aient été damnés ; mais ils sup-
posent dans le mensonge dont il
ANA
fsl ici question , dos circonstan-
Cfs cl dos molils qui ue sont ni
certains ni approuvas par TEcri-
turo sainte.
ANATIIÈME. Ce mot, tiré du
grec â»a'0£jia, signifie, à la letlre ,
placé en /i/iul : Von nommoit ainsi
les offrandes laites à la Divinité ,
et que l'on suspendoit à la voùlo
ou aux murs des temples pour les
exposer à la vue ; de la anat/n-rne a
sij^nifié chose consacrée. Comme
Ton exposoit aussi dos objets
odieux, la tote d'un coupable ou
d'un ennemi , ses armes, ses dé-
pouilles, anai/iènie a exprimé chose
exécrée ou exécrable , dévouée à la
haine publique ou à la destruction;
et ce dernier sens est devenu plus
commun.
Ainsi l'Eglise dit anaihème aux
hérétiijues , à ceux qui corrompent
la pureté de la foi; plusieurs décrets
ou canons des conciles sont conçus
en ces termes : Si quelqu'un dit ou
soutient telle erreur, qu'il soit anu-
ihème , c'est-à-dire, qu'il soit re-
tranché de la communion des fidè-
les, qu'il soit regardé comme un
homme hor.s de la voie du salut et
en état de damnation; qu'aucun
6dole n'ait de commerce avec lui.
C'est ce que l'on nomme anaihème
judiciaire ; il ne peut être prononcé
que par un supérieur qui ait au-
torité et juridiction, par un con-
cile, par le pape, par un évoque.
Lorsqu'un hérétique voutse con-
^ertir et se réconcilier à l'Eglise,
on l'oblige de dire anaihème à ses
erreurs, c'est-à-dire, de les ab-
jurer et d'y renoncer.
SaintPaul dit, ïiom. , c. g , y . 3 :
«Je désirois moi-mom.e d'être
» anaihème de la part de Jésus-
» Christ pour mes Iréros, qui sont
» nos parents selon la chair. »
Parmi les interprètes, les uns pen-
sent que dans ce passage analhcrne
signifie être maudit ou réprouvé
par Jésu.s-Christ; les outres sou-
ANA 119
tiennent qu'il faut entendre ; Je
souhaitois d'êtie mis à part , et
dévoué j)ar Jésus-Christ au salut
de mes frères.
Nous trouvons, dans l'ancien
Testament , dos exemj)Ies de cette
double signification: il est dit que
Judith offrit au Soigneur les armes
d'Ilolojjherne pour anaihème d'ou-
bli , ou pour monument contre
l'oubli. Judilh, c. 16, S. 23.
Moïse veut que l'on dévoue à
Vannlhcnie ou a la destruction les
villes dos Chananéons qui ne se
rendront pnsaux Isiaoliles, et ceux
qui adoreront les faux dieux.
Lient. , c. g , y. 2.6 ; Exod. , c. 22 ,
S • ig- Le i)ouple assemblé à Mas-
pha , dévoua a V anaihème f\n\con-
que ne prendroit pas les armes
contre les Benjamites, pour venger
l'outrage fait a la femme d'un lé-
vite. Jtid. , c. ig e/ 21. Saiil pro-
nonça Vanalhémc contre quicon-
que mangoroil quelque chose avant
le coucher du soleil , dans la pour-
suite des Philistins. I, Heg. , c. 14,
S- 24. Alors Vanaihème est ex-
primé par le mot cherem , dévas-
tation , destruction. Quiconque s'y
trouvoit enveloppé devoit être mis
à mort.
De là quelques censeurs de l'E-
criture ont conclu que les Hé-
breux offroient à Dieu des sacri-
fices de sang humain. Selon leur
opinion, il est dit, Levil., c. 27,
y. 28 et 2g : « Tout ce qu'un pos-
» sesseur a voué à Vanaihème , soit
» homme, soit animal, soit pièce
» de terre, sera consacré au Sei-
» gneur, ne pourra être racheté,
)i maisscia misa mort. « Nous sou-
tenons que cette version est fau-
tive. i.° 11 est absurde d'ordonner
(ju'une pièce de terre, ou ce qui
en provient , soit mis à mort, a.*" Il
y auroit contradiction entre cette
loi et celle du '^ . 2 de ce morne
chay)itre, où il est dit <jue toute
[lersonne vouée au Soigneur sera
rachetée. 3. "Dans leDeutéronomc,
120 ANC
c. 12, y. 3o, il est sévéremenl <lé-
l'eudu d'offrir aucun sacrilice de
sang humain , et il n'y en a aucun
exemple certain dans l'Ecriture.
4.° Cherem signifie constamment
Vanaihéme prononcé et exécuté
contre les ennemis de l'état ; il y
auroit eu de la folie à un Israélite
de le prononcer contre ce qu'il
possédoit, pendant qu'il pouvoit
en faire un don ou une oblatiou^
au Seigneur.
Il faut donc traduire ainsi à la
lettre : « Tout anaihème qu'un
» homme aura juré au Seigneur ,
» hors de ce qu'il possède , en
» hommes , en animaux , en terres
» qui lui appartiennent, ne sera
« ni vendu ni racheté; parce que
» tout anathème est sacré devant
» le Seigneur. Tout anaihème aijisi
n juré, ne sera point racheté, mais
)» mis à mort. » Dieu permettoità
un homme de racheter ce qu'il
£voit voué et qui lui appartenoit,
mais non dé racheter ce qui étoit
aux ennemis et ne lui appartenoit
pas.. Il est certain que la préposi-
tion mi ou min du texte hébreu ,
que l'on traduit ordinairement par
de ou ex , signifie aussi hormis ,
excepté. V. Glassii Philolog. Sacra,
col. ii58, iiSg, 1166
ANCIEN. Le gouvernement le
plus naturel et le plus sage est ce-
lui des anciens. Chez les patriar-
ches, toute l'autorité étoit entre-
les mains des chefs de famille.
Moïse, par le conseil de Jéthro, en
choisit un nombre dans chaque
tribu pour rendre la justice et faire
observer la police parmi le peuple.
Exod. , c. 18, ^. 18 etsuiv. Chez
les Romains, le sénat étoit l'as-
semblée des vieillards, senes. Les
apôtres établirent cette forme de
gouvernementpourmain tenir l'or-
dre dans l'Eglise de Dieu. Saint
Paul , qui ne pouvoit pas aller à
Ephése, fait venir les anciens de
cette Eglise, et leur dit: « Ayez
A.M)
» attention sur vous-mêmes et sur
» tout le troupeau dont le Saint-
n Esprit vous a établis surveil-
» lants, pour gouverner l'Eglise de
» Dieu qu'il s'est acquise par son
» sang. » Act. , c. 20, ^. 17, 28,
Les apôtres délibèrent avec les
anciens au concile de Jérusalem ,
et décident ensemble, c. i5,5^.6,
22 , 23 , 4 1 • Saint Jean , qui a re-
présenté dans l'Apocalypse l'ordre ,
des assemblées chrétiennes ou de k
l'office divin , place le président f
sur un trône , et vingt -quatre
vieillards sur des sièges autour de
lui. Apoc. , c. 4 c*^ 5- Ces anciens
ont été nommés prêtres , itpcaë-i-ctpot ,
vieillards; le président , évêque ,
£7rc'axo7ro; , surveillant. Ainsi s'est
formée la hiérarchie.
Il ne s'ensuit pas de là que le
gouvernement de l'Eglise, dans son
origine, a été purement démocra-
tique , comme le soutiennent les
calvinistes ; que les évéques ne dé-
voient et ne pouvoient rien décider
sans avoir pris l'avis des anciens.
Nous voyons, par lesletlres de saint
Paul à Timothée et à Tite , qu'il
leur attribue l'autorité et le pou-
voir de gouverner leur troupeau ,
sans être obligés de consulter l'as-
semblée, si ce n'est dans les cir-
constances où il étoit besoin de
témoignages Vojez Eveque, Hié-
rarchie .
ANDRÉ ( saint ) , apôtre , frère
de saint Pierre , né à Bethsaïde , fut
disciple de saint Jean-Baptiste , et ' -
ensuite de Jésus-Christ. On croit
communément qu'après la des-
cente du Saint-Esprit il prêcha
l'Evangile en Achaïe , et fut mar-
tyrisé à Patras. Il ne reste aucun
écrit de ce saint apôtre; les actes
de son martyre, écrits sous le nom
des prêtres d'Achaïe , sont con-
testés par les savants. Tillemonl ,
dans ses Mémoires sur THist. eccl. ,
lom. I , p. 320, les regarde comme
apocryphes ; le P. Alexandre , Hist.
ANG
ecclés., lom. i, soulifiilqu'ils sont
aiillioiitlciucs. M. Woop , profes-
seur d'histoire cl d'anti((uilés à
Lcipsick, a suivi le inômc souli-
meul dans de savantes d isscrlations
({u'il a j)iil)lices en 1748 ft ly^i. Ce
n'est point à nous à terminer celle
contestation.
Les Moscovites sont persuadés
([ue saint André a porté l'Evangile
dans leur pays. Comme plusieurs
anciens disent que cet apôtre a
prêche dans la Scythie, si on doit
l'entendre de la Scythie euro-
péenne, celle tradition seroil fa-
vorable à l'opinion des Moscovites;
mais il n'y a rien de certain sur
tout cela. t"abricius , Salut, lux
Evang. , eic. , p. 98.
Celle incertitude, dans laquelle
la plupart des apôtres nous ont
laissés louchant le lieu, la durée
et le succès de leurs travaux, dé-
montre qu'ils n'agissoient ni par
intérêt, ni par vanité: des prédi-
cateurs jaloux de leur gloire , ou
conduits par quelque motif hu-
main, auroient pris plus de soin
de laisser des monuments de leurs
actions.
ANGE , substance spirituelle ,
intelligente, la première en dignité
entre les créatures.
Ce mol est formé du grec a-/7£>o; ,
qui signifie messager o\iem>oyé ; et
c'est, disent les théologiens, une
dénomination , non de nature ,
mais d'office, prise du ministère
<iu'exercent les anges, et qui con-
siste à porter les ordres de Dieu ,
ou à révéler aux hommes ses vo-
lontés. C'est l'idée qu'en donne
saint Paul , Hebr. , c. i , "jï . i4 :
« Tous les anges ne sont-ils pas des
M esprits chargés d'une adminis-
>» Iration, et envoyés pour l'utilité
» de ceux qui ont part à l'héritage
« dusaluti'»(N.WlI,p.xvn.)C'esl
par la même raison que ce nom
est quelquefois donnéaux hommes
dans l'Ecriture ; comme aux prè- [
AING 121
1res dans le propliéle Malachic
c. i I ; par saint Matthieu à saint
Jean-Baptisle, c. 11, '^ . 10; et
par saint Jean , dans l'Apocalypse,
aux éveques de plusieurs Eglises.
Selon les septante, le Messie est
appelé dans Isaïe, c. 9, y. 6,
Vange du grand conseil, nom qui
exprime son ministère et non sa
nature; il en est de même de l'hé-
breu, mc/ec, ange ou envoyé. Ce-
pendant, l'usage a prévalu d'atta-
cher à ce terme l'idée d'une nature
incorporelle, intelligente, supé-
rieure à l'àme de l'homme, mais
créée et inférieure à Dieu.
Quoique l'existence des anges nt
puisse se prouver par la raison,
toutes les religions l'ont admise
en vertu de la révélation. A l'excep-
tion des saducéens , les Juifs la
croyoienl , même les samaritains et
les caraïtes , selon le témoignage
d'Abusaïd , auteur d'une version
arabe du Pentateuque , et selon le
commentaire d'Aaron,iuif caraïte,
sur le même livre ; ouvrages qui
sont en manuscrit dans la biblio-
thèque du roi.
Les chrétiens ont suivi la même
doctrine ; mais les Pères ont été
partagés sur la nature desawg-es.Les
uns , comme Tertullien , Origène ,
saint Clément d'Alexandrie, etc.,
ont cru qu'ils étoienl toujours re-
vêtus d'un corps très-subtil. Les
autres, comme saint Basile, saint
Alhanase, saint Cyrille, saint Gré-
goire de Nysse , saint Jean-Chry-
sostôme , etc. les ont regardés
comme des êtres purement spiri-
tuels. C'est le sentiment de toute
l'Eglise; mais l'Ecriture sainte at-
teste que souvent les ang'es ont paru
revêtus d'un corps ; ainsi , nous ne
voyons pas en quoi le sentiment de
Tertullien et des autres pouvoit
être dangereux
Ala vérité, plusieurs ontcru que
îesa/îg-esavoient eucommerce avec
les filles des hommes , et avoient
engendré les géants. C'étoit le seu-
122 ANG
timent commun des philosophes, ]
que les démons, c'est-à-dire les gé-
nies ou intelligences supérieures à
l'humanité , n'étoient pas des es-
prits purs, mais revêtus d'un corps
.suhlil et aérien ; conséquemment
ils croyoient qu'un grand nombre
de ces génies recherchoient le com-
merce des femmes, aimoient l'odeur
des sacrifices, et se plaisoient sou-
vent à faire du mal aux hommes :
Lucien , Plutarque , Porphyre et
d'autres , étoiént dans cette opi-
nion ; nous ne voyons pas en quoi
Ie5 Pérès sont si répréhensibles de
l'avoir suivie. Elle leur paroissoit
confirniéc par la version des sep-
tante , Gen., c. 6 , }?". 2 , dont plu-
sieurs exemplaires portent : Les
anges de Dieu , voyant la beauté des
filles des hommes, etc. , au lieu qu'il
y a dans l'hébreu, le samaritain ,
le syriaque et la vulgate, les enfants
de Dieu ; dans le chaidéen et dans
l'arabe, /es enfants des grands ou des
princes. Il n'a donc pas été néccs-
.saire que les Pérès prissent cette
opinion dans le livre apocryphe
d'Enoch.
Mais quelle pernicieuse consé-
quence péut-on tirer de là ? II s'en-
suit, dit-on, ({ue les Pères n'avoient
pointdenotlon de la parfaite spiri-
tualité. Ils l'admetloient du moins
en Dieu, puisqu'ils le supposoient
créateur. Quand ils auroient cru
qu'elle ne pouvoit avoir lieu dans
aucune créature , ce ne seroit pas
un juste sujet de les blâmer avec
autant d'aigreur que le font les pro-
lestants. <( Voilà , dit Barbeyrac ,
» les Pères des premiers siècles par-
« faitement d'accord entre eux sur
») une erreur grossière, puisée dans
w uife mauvaise philosophie , dans
» un livre apocryphe , ou dans la
» fausse supposition que la version
>> des septante étoit inspirée. Que
» l'on vienne encore nous donner
j> le consentement desPères comme
» une marque siire de la tradition. »
Traité de la morale des Pères , c. s.
ANG
§ 3. Ce ton triomphant est bien
mal fondé.
i.°Nous voudrions savoir par
quelle démonstration ou par quel
texte formel de l'Ecriture sainte on
peut prouver que l'opinion des
Pères élo\l une erreur grossière; nous
défions Barbeyrac et tous ses pa-
reils de prouver la parfaite spiri-
tualité desa/îg^fsaulrement quepar
la tradition et par la croyance
universelle de l'Eglise.
2.° Il est faux que tous les an-
ciens Pères aient été d'un sentiment
vinanime sur la nature des anges :
des le commencement du quatrième
siècle , le très-grand nombre en ont
soutenu la parfaite spiritualité. Le
P. Pétau , Dogm. theol. , loin. 3 ,
1. I , c. 3 , a cité parmi les Grecs
Tite évoque de Bostres , Didyme ,
saint Basile , saint Grégoire de
Nysse, saint Grégoire deNazianze,
Eusébe de Césarée, saintEpiphane,
saint Jean-Chrj'soslôme, Théodo-
ret, et plusieurs au très plus récents;
parmi les Latins, Marins Victorin ,
Lactance, saint Léon, Jum il ius l'A-
fricain, saint Léon, saint Grégoire
le Grand et ceux qui l'ont suivi.
L'on a répété cent fois aux protes-
tants, que la tradition n'est censée
règle de foi , que quand elle est
constante et à peu près unanime.
3." Il n'y a aucune preuve que
les Pères aient été trompés par le
livre apocryphe d'Enoch, et que la
plupart l'aient consulté ; il paroît
même que les plus anciens ne l'ont
pas connu.
4-° Quand les anciens Pères n'au-
roient pas cru la version des sep-
tante inspirée, de quelle autre tra-
duction pouvoient-ils se servir ? Il
est fort singulier qu'on leur fasse
un crime de n'avoir pas lu le texte
hébreu f[uelos juifs cachoientavec
soin , et de n'avoir pas su l'hébreu
que les juifs ne vouloient enseigner
à personne. A entendre raisonner
les protestants , il semble que l'on
ne ptiisse jias être bon clircticn
ANG
sans avoir appris l'Iichreu , et que
Dieu ait mal jiourvu au salut des
premiers fidèles en ne leur don-
nant qu'une version grec([ue.
Selon le sentiment commun des
Pères et des théologiens , les anges
sont distribués en trois hiérarchies,
etchaquehiérarchieen trois ordres
ou chœurs. La première est celle
des séraphins, des chérubins et des
Irônes ; la seconde comprend les
dominations , les vertus , les puis-
sances; la troisième, les principau-
tés, les archanges et les anges. Ce
dernier nom est devenu commun
à tous en général.
L'Eglise chrétienne croit que
tous les anges ont été créés en état
de grâce et destinés à la lelicité ,
mais que plusieurs sont déchus de
cet état par leur orgueil ; qu'ils ont
été précipités en enter et condam-
nés à un supplice éternel , pendant
que les autres ont été confirmés en
grâce , et sont heureux pour tou-
jours. Ceux-ci sont nommés les
bons anges , ou simplement les
anges ; les autres sont appelés les
mauvais anges , les diables ou les
démons.
Ce dogme de la chute des anges
est fondé* sur la 2.* épître de saint
Pierre , c. 2 , y . 4, où il est dit que
« Dieu n'a point pardonné aux
» ang-esquiontpéché, mais qu'il les
» a précipités dans l'abîme , où ils
» sont rétenus par des liens , tour-
» menlés et réservés jusqu'au juge-
» ment , ou pour le jugement ; » et
sur celle de saint Jude ^. 6, où
nous lisons que « Dieu retient liés
»> de chaînes éternelles dans depro-
» fondes ténèbres , et qu'il réserve
n pour le jugement du grand jour,
» les anges qui n'ont pas conservé
» leur première dignité , mais qui
» ont quitté leur propre demeure.»
Un autre article de la croyance
chrétienne , est que Dieu a donné
a chacun de nous un ange gardien;
on conclut celte vérité de plusieurs
passages de l'Ecriture sainte. Gen.,
ANG ,23
c 48, X'. 16; Matt., c. 18, >^. 10;
Jet., c. la , y. i5 , etc. C'est une
tradition constante.
Quelques Percs de l'Eglise ont
même pensé que chaque homme ,
dès sa naissance, étoit accompagné
de deux anges , l'un bon qui le
p,'orle au bien , l'autre mauvais et
qui le porte au mal ; ils se fondent
sur un passage du Pasteur d'Her-
nias , qui l'enseigne ainsi : mais
cette opinion n'a pas eu un grand
nombre de partisans.
Il y auroil de la témérité à former
sur le nombre des anges , sur leur
état , sur leur pouvoir , sur leurs
fonctions, des questions qui ne peu-
vent pas être résolues parl'Ecriture
sainte ni par la tradition.
Une dispute plus importante que
nous avons avec les protestants, est
de savoir s'il est permis de rendre
aux anges un culte religieux , de les
invoquer , de compter sur leur se-
cours et leur intercession. C'est le
sentiment de l'Eglise catholique ;
mais SCS ennemis le lui reprochent
comme une erreur ; ils y opposent
les mêmes objections qu'ils font
contre le culte des saints.
Ils disent que saint Paul a for-
mellement défendu ce culte aux
Colossiens ; c. 2 , 5!^^. 18 , après les
avoir détournés du judaïsme et des
cérémonies légales , il leur dit :
<c Que personne ne vous séduise
» par une humilité apparente et un
)) culte religieux des anges , choses
» qu'il ne connoît point, et sur les-
» quelles il se conduit selon les
» vaines imaginations d'un esprit
» charnel, ne demeurant point at-
» taché au chef, duquel tout le
» corps reçoit l'union, lasoliditéet
» la croissance queDieu lui donne.»
Ils ajoutent que, quand saint Jean
voulut se prosterner devant Vange
du Seigneur et l'adorer, cet ange
lui dit: Ne le faites pas, adorez
Dieu , Apoc. , c. ig,i)^. 10 ; que le
concile de Laodicée, tenu l'an 364,
can . 35, porte : « Il ne faut pas que
124 ANG
3) les chrétiens quittent l'Eglise de
»• Dieu , pour aller invoquer des
» anges, et faire des assemblées dé-
>• fendues. Si donc on trouve quel-
» qu'un attaché à cette idolâtrie
» cachée, qu'il soit analhéme, parce
» qu'il a laissé Notre-Seigneur Jé-
» sus-Christ fils de Dieu , pour se
» livrera l'idolâtrie. » Enfin, disent
les prolestants, une preuve que les
Juifs ont toujours regardé comme
superstitieux , criminel et idolà-
trique , tout culte qui n'étoit pas
adressé à Dieu seul , c'est que ja-
mais ils n'ont rendu aucun culte
aux anges; la secte des caraïtes , la
plus scrupuleusement attachée au
texte de l'Ecriture , enseigne for-
mellement qu'il ne faut leur en
rendre aucun.
Nous répondons aux protes-
tants , que s'ils vouloient convenir
une fois avec nous du sens qu'il faut
attacher au mot culte ou culte reli-
gieux, la contestation seroit bien-
tôt terminée entre eux et nous.
Mais tant qu'ils s'obstinerontàsou-
tenir que tout culte religieux est un
culte divin et suprême , nous ne
serons jamais d'accord, parce que
cette prétention est évidemment
fausse; et nous prouverons le con-
traire au mot Culte.
Les savants ont remarqué que
déjà , du temps de saint Paul , la
doctrine de Zoroastre avoit péné-
tré dans l'Asie et dans la Grèce, or ,
nous voyons par le Zend-Aoesta
que Zoroasti'e admet un nombre
infini à^anges ou d'esprits média-
teurs , auxquels il attribue non-
seulement un pouvoir d'interces-
sion subordonné à la providence
continuelle de Dieu , mais un pou-
voir aussi absolu que celui que les
païens pretoient à leurs dieux.
D'où il suit que le culte rendu
à cette espèce de dieux secondaires
ne pouvoit , en aucune manière ,
se rapporter à Dieu ; que c'étoit
par conséquent un véritable poly-
théisme et une idolâtrie pure. Vcjez
ANG
Parsis. C'est dans cette source
empoisonnée que Simon, Ménau-
dre , Valentin , Cérinthe et les
gnostiques avoient puisé la notion
de leurs éons ou dieux secondaires,
auxquels ils attribuoient , aussi-
bien que Platon , la formation et
le gouvernement du monde ; selon
leur opinion, ces esprits ou génies
étoient chargés de tous les soins
de la Providence ; le Dieu suprême
ne se méloit de rien, et aucun cuite i
ne lui étoit du.
Dans cette hypothèse, saint Paul
avoit très-grande raison de dire,
que les partisans de cette erreur n'y
connoissoient rien , qu'ils étoient
séduits par leur imagination, qu'ils,
ne demeuroient point attachés
au chef; et le concile de Lao-
dicéc a été bien fondé à décider
qu'ils abandonnoient Jésus-Christ
pour se livrer à l'idolâtrie ; puis-
que le culte qu'ils rendoient aux
anges ou aux esprits ne pouvoit
pas plus se rapporter à Dieu , que
celui des païens.
Mais quand on commence par
croire que les anges ne sont que
les envoyés de Dieu et les exécu-
teurs de ses ordres , qu'ils n'ont
aucun pouvoir que celui que Dieu
leur donne , qu'ils ne font rien
que ce que Dieu leur commande,
l'honneur , le respect , le culte
qu'on leur rend , ne s'adresse-t-il
pas principalement à Dieu? Jésus~
Christ a dit à ses envoyés : « Celui
» qui vous écoute, m'écoute; celui
» qui vous méprise , me méprise ;
» et celui qui me méprise , mépx'îse
» celui «lui m'a envoyé. » Liic. ,
c. lo, y. i6. « Celui qui vous
» reçoit, me reçoit. nMatth.,c, lo,
S • 4°' " Ce que vous avez fait au
» moindre de mes frères , est fait
» à moi-même , » c. 24, y • 4°'
Rien n'est donc plus frivole que
le sophisme des protestants. Selon
saint Paul , disent-ils , en rendant
un culte aux a/îg-es on se sépare di)i
chef, selon le concile de Laodicée.
ANG
on abandonne Jcsas-Chrisl et l'on
tombe dans l'iilolàlrie ; donc tout
culte rendu aux anges est une ido-
lâtrie. Oui, lorsque l'on se fait des
anges la même idée (pi'en avoient
Zoroastre , les f^nosliques et les
païens; puisqu'alors on en fait des
dieux, e'est-à-dire, des êtres puis-
sants par eux-mêmes et indépen-
dants : mais lorsqu'on les envisage
comme de simples ministres ou
envoyés de Dieu , il est absurde
de dire qu'en les honorant l'on
n'honore pas Dieu ; puisque Jésus-
Christ témoigne le contraire.
Autre chose est, répliquent nos
adversaires , de rendre honneur
aux anges , et autre chose de leur
rendre un culte religieux. Fausse
distinction. Culte, honneur, res-
pect, vénération, sont synonymes;
tout culte, tout honneur, rendu
directement à Dieu, est un acte de
religion : or, le culte, l'honneur
rendu à un envoyé de Dieu, et par
respect pour Dieu , se rapporte à
Dieu ; pourquoi ne l'appelleroit-on
pas culte religieux?
Que Vange de l'Apocalypse n'ait
pas voulu être adoré comme Dieu,
cela n'est pas étonnant , et il ne
s'ensuit rien.
Est-il vrai qu'il n'y a dans l'Ecri-
ture sainte aucun vestige de culte
rendu aiix anges ? Gen. , c. 32 ,
y. 26 , Jacob demanda à Vange ,
contre lequel il avoit lutté , sa bé-
nédiction ; c. 48, S- ïSj le même
patriarche bénissant les enfants de
Joseph, dit: « Que Dieu, qui me
» nourrit depuis ma naissance, que
» Vange qui m'a délivré de tous
»> maux, bénisse ces enfants. » Quoi
qu'en disent les protestants , voilà
une invocation ; ils l'ont si bien
sentie, que plusieurs de leurs com-
mentateurs, pour esquiver les con-
séquences , ont dit que par cet
ange il faut entendre le Verbe divin
ou le Messie ; mais il n'y a rien
dans le texte qui autorise ce com-
mentaire. Si nous parlions comme
ANG ,2.';
Jacob, ils diroient que nous man-
quons de respect à Dieu, en mettant
un ange sur la même ligne , et en
associant ses bénédictions à celles
de Dieu.
Exod. , c. 23 , yî. 10, Dieu dit
aux Israélites : « J'envoie mon
» ange devant vous , respectez-
» le, écoutez sa voix, ne le mépri-
» sez point, parce qu'il ne vous
» épargnera pas lorsque vous pé-
» cherez , et que mon nom est en
» lui. n Les commentateurs pro-
testants prennent encore cet ange
pour le Fils de Dieu ; mais sont-ils
bien assui'és qu'il faut l'entendre
ainsi ? Au lieu de traduire par res-
pectez-le , ils mettent, prenez garde
à lui : aucun passage de l'Ecriture
sainte ne les incommode. Num. ,
c. 22 ,^. 3i , Balaam se prosterna
devant Vange du Seigneur qui lui
apparoissoit.
Josué,c. 5, y^. i4, voit un per-
sonnage armé, qui lui dit : Je suis
le prince des armées du Seigneur.
Josué se prosterne , pénétré de res-
pect, et dit: Que mon Seigneur
veut-il de son serviteur ? Li'ange
répond : Déchaussez-vous ; la terre
où vous êtes est sainte. Josué obéit.
C'est la marque de respect que Dieu
avoit exigée deMoïse en lui appa-
roissant dans le buisson ardent.
Exod., C.3 , ^. 5. Soutiendra-t-on
encore que ce n'est pas là un
culte?
Dans le livre des Juges, c. i3 ,
^. 21 , Manué, convaincu que le
personnage qui lui avoit parlé étoit
Vange du Seigneur , dit à son
épouse : « Nous mourrons , parce
» quenousavons vuDieu. » Il étoit
donc persuadé que cet ange tenoit
la place de Dieu; lui auroit-il re-
fusé des respects?Daniel,c. 10, ^. g,
demeure prosterné devant Vange
qui lui parloit; J/ . 16 et 27 , il lui
dit : <( Mon Seigneur, comment
j> votre serviteur peut-il parler au
» Seigneur ? il ne me reste point de
» force. )>Le prophète croyoit par-
1 26 ANG
1er à Dieu on parlant à son ans;c ;
la frayeur dont il étoil saisi ctoit
certainement un respect religieux.
Zachar. , c. i ,y'. 12 , un ange
prie Dieu pour la délivrance des
Juifs, et pour leur rétablissement
dans la Judée.
Un ange dit à Tobie , c. 12 ,
jH. 12 : « Lorsque vous faisiez des
» prières , je les ai présentées au
» Seiiçneur. » Saint Jean , dans l'A-
pocalypse, vit en esprit un ange
qui offroit devant le trône de
Dieu les prières des saints, c. 8,
j.3et4.
C'est sur ces passages que les
Pères de l'Eglise se sont fondés pour
soutenir qu'il est non-seulement
permis, mais juste et louabled'ho-
norer , de prier , d'invoquer les
anges et les saints.
Celse disoit : Puisque les chré-
tiens rendent un culte , non-seule-
ment à Dieu, mais encore à son
Fils, ils doivent donc aussi le ren-
dre à ses ministres, par conséquent
aux génies ou aux esprits. Origrne ,
1. 8, n. i3, répond : « Si Celse
» avoit compris qui sont après le
» Fils unique de Dieu ses vrais
» ministres, comme Gabriel , Mi-
» cbel , les autres anges et les ar-
» changes, et qu'il soutînt qu'il
» faut leur rendre un culte, peut-
>» être qu'en épurant le sens du
» mot culie , et les pratiques de ce-
» lui qui le rend, je dirois ce qui
j> convient à ce sujet autant que je
» puis le comprendre. Mais comme
» il entend par ministres de Dieu ,
» les démons que les païens ado-
» rent, nous ne pouvons nous ré-
j> soudre à honorer ces esprits que
» l'Ecriture nous apprend être les
» ministres de l'esprit malin, qui
» détourne tant qu'il peut les hom-
»> mes du culte de Dieu. N. 60,
» combien ne vaut-il pas mieux
» nous confier au Dieu souverain ,
j) par Jésus-Christ qui nous l'a
I) ainsi enseigné , lui demander
» non-seulement toute espèce de
ANG
>) secours , nxais encore l'assislancf
» des saints anges et des justes ,
» afin qu'ils nous délivrent des dé-
» mons ? N. 64, si Celse soutient.
» qu'après Dieu il nous faut encore
» d'autres amis , qu'il sache que
» comme l'ombre suit le corps , la
» bonté de Dieu pour nous nous
» assure aussi la bienveillance des
» anges ses amis , des âmes et des
» esprits; car ils connoissent qui
» sont ceux qui méritent les bien-
» faitsde Dieu , et non-seulement
» ils leur veulent du bien , mais
» ils aident à ceux qui veulent ado-
» rer le Dieu souverain , ils le leur
» rendent propice , prient avec
» eux , et forment les mêmes
j) vœux. »
Origène lui-même invoque son
a/îg-e gardien, Honiil. I , in Ezech.,
n. 7. Sur le premier de ces passa-
ges , Grotius et Spencer ont eu la
bonne foi d'avouer que le culte
rendu aux anges n'est point con-
traire au premier commandement
du Décalogue, et ne déroge point
à ce qui est dit dans l'Apocalypse,
c. 19,^. 10. Quelques théologiens
anglicans ont été de même avis.
Des martyrs du troisième siècle
écrivent à saint Cyprien,£^7's/. 77:
« Prions afin que Dieu , Jésus-
» Christ et les anges nous soient
» favorables dans toutes nos ac-
» tions. »
Saint Jérôme, Comm. inPs. i5;
saint Augustin, liv. i , locut. in
Gènes. , se servent des paroles de
Jacob, Gen. , c. 48, '^'. 16, pour
prouver qu'iLest permis d'invo-
quer d'autres êtres que Dieu. Le
PèrePétau,t. 3 , de angelis , 1. 2,
c. 8 et 9 , a cité un grand nombre
d'autres Pères de l'Eglise; mais les
protestants nous abandonnent sans
difficulté tous ceux du quatrième
siècle et des suivants; ils avouent
que dès lors le culte des anges et
des saints a été établi dans l'Eglise.
Quand nous ne pourrions pas
prouver qu'il l'a été plus tôt, il
AN(;
nous paroît que doux cents ans
après la mort des apôtres onpou-
voit savoir mieux qu'au seizième
siècle quelle avoit clé leur <ioc-
Irine. JJissert. sur les hans et les
mauvais anges. Bible d^Ai'ig., toni.
XIll, p. 255. Thoniassin, Traité
des F êtes , liv. 2, c. 22. Vies des
Pires et des Martyrs, tom. IV,
p. 198-, tom. IX, p. 29G
ANGÉI.ITES , hérétiques secta-
teurs de Sabellius , qui s'assem-
bloient à Alexandrie, dans un lieu
nommé Ageliiis ou Angelius. Vny.
Nicéphore,!. 18, c. 49;Pratéole,
au mot angélites. L'uu et l'autre
auroient besoin de garant. Il est
plus probable que les angélites
etoient des sectaires qui rendoient
\\\x\anges un culte superstitieux ,
comme les gnostiqucs.
ANGELUS , prière que récitent
les catholiques romains, surtout
en France, où l'usage en lut établi
par Louis XI, cjui ordonna que
trois lois par jour, le matin, à
midi , et le soir , on sonneroit une
cloche, pour avertir les fidèles de
reciter cette prière à l'honneur de
la sainte Vierge, et pour remer-
cier Dieu dumystère de l'Incarna-
tion.
Elle est composée de trois ver-
sets , d'autant d'Ave , Maria , et
d'une oraison par laquelle on de-
mande à Dieu sa grâce et le salut
éternel par les mérites de Jésus-
Christ. Le nom de cette prière vient
du premier verset, Angclus Do-
mini , etc. Elle se nomme aussi le
Pardon, parce <jue plusieurs sou-
verains pontifes y ont attaché des
indulgences. Ceux qui regardent
celte pratique et plusieurs autres
semblables comme des dévotions
populaires , sont persuadés sans
doute que le peuple seul doit se
souvenir qu'il est chrétien. Remer-
cier Dieu du mystère de l'Incarna-
tion ctde Ja rédemption dumonde,
ANG 127
adorer le Verbe divin dans le sein
de Marie, implorer le secours de
cette sainte Mère de Dieu , est cer-
tainement une dévotion très-so-
lide, de laquelle aucun chrétienne
devroit rougir.
ANGLEIERRE. On ne doute
plus que les Bretons , anciens habi-
tants de r Angleterre , n'aient été
convertis au christianisme sous le
pontificat du pape Eleuthère, sur
la fin du second siècle, ou vers l'an
182. On peut en voir les preuves.
Vies des Pères et des Martyrs ,
t. 4 , P- 595 , et t. 9 , p. 607. Ceux
d'entre les protestants qui contes-
tent ce lait n'agissent que par pré-
vention. Mais au cinquième , les
Saxons, les Angles, les Juttes ,
peuples idolâtres de la Basse-Ger-
manie , ayant fait une irrup.tion
en Angleterre , s'en rendirent les
maîtres, et l'an 4^4» i'^ forcèrent
les Bretons chrétiens à se retirer
dans les montagnes du pays de
Galles.
On ne voit pas que ceux-ci aient
fait aucune tentative pour conver-
tir lueurs vainqueurs; mais sur la
fin du sixième siècle , vers l'an SgG,
saint Grégoire le Grand envoya
en Angleterre le moine Augustin
avec plusieurs autres missionnai-
res , pour amener à la foi chré-
tienne les peuples de cette île, et
cette mission eut le plus grand
succès. Hist. de l'Egl- Gallic. , t. 3,
an. 595 , 596.
11 ne paroît pas que les Bretons
fussent engagés pour lors dans au-
cune erreur contraire à la foi ca-
tholique prechée par Augustin et
par ses collègues ; ceux-ci ne leur
en reprochèrent aucune dans les
conférences qu'ils eurent avec eux.
Augustin les exhortoil seulementà
se conformer à l'usage de l'Eglise
catholique dans la célébration de
la Pàque , dans l'administration du
baptême , et à se joindre à lui pour
prêcher l'Evangile aux Angio-
128 ANG
Saxons encore idolâtre^. Mais la
haine qui régnoit entre les deux
peui>les depuis cent cinquante ans,
rendit les Bretons inilexibles ; ils
refusèrent de se lier avec les mis-
sionnaires. Cette opiniâtreté n'em-
pêcha pas le fruit de la mission ; j de FEgl. Gallic, ibid.
peu a peu V Angleterre se convertit 2° Ils prétendent que les Bre-
ct redevint chrétienne; elle a per- tons ne voului'ent pas adopter les
ANG
que : or cette communion ne peu»
subsister sans reconnoître l'auto-
rité de son chef. Il est certain d'ail-
leurs que saint Grégoire avoit con-
çu le projet de convertir les Anglo-
Saxons , avant d'être pape. Hist.
sévéré dans la foi catholique jus-
qu'au .schisme d'Henri VIII , en
i533.
Avant cette dernière époque, les
travaux, les succès, les vertus , les
miracles de l'apôtre de V Angleterre
y avoient rendu sa mémoire véné-
rable ; il y étoit honoré comme
saint à très-juste titre. Depuis que
les Anglais ont cessé d'être catho-
liques , plusieurs de leurs écrivains
se sont appliqués à calomnier la
mission de saint Augustin ; et les
incrédules modernes n'ont pas
manqué d'enchérir sur leurs accu-
sations.
Ils disent , i .° que cette mission
fut un effet de l'ambition de saint
Grégoire, plutôt que de son zèle
pour la foi chrétienne; que son
principal motif étoit d'étendre sur
V Angleterre sa juridiction pontifi-
cale et sa suprématie , qui jusqu'a-
lors n'y avoient pas été reconnues.
Mais il est faux que les Bretons
chrétiens eussent jamais méconnu
la juridiction despapes. SelonBède
et d'autres auteurs, Lucius, pre-
mier roi chrétien des Bretons, s'a-
dressa au pape Eleuthere pour ob-
tenir les moyens d'instruire ses
sujets et de les convertir au chris-
tianisme. En 429 , lorsque saint
Germain d'Auxerreet saint Loup
de Troyes passèrent en Angleterre
pour y étouffer le pélagianisme ,
le premier étoit légat du pape saint
Célestin. Voyez la Chronique de
saint Prosper. Gildas et Bède té-
moignent que, jusqu'à l'arrivée de
saint Augustin et de ses collègues ,
les Bretons avoient persévéré dans
la communion de l'Eglise cathoii-
nouveaux dogmes introduits dans
l'Eglise romaine, etenseignés parle
moineAugustin, le culte dessaints,
le purgatoire, la confession auri-
culaire, etc. La fausseté de ce fait
est prouvée par le témoignage de
Bède et de Gildas; le premier at-
teste formellement que les Bretons
reconnurent l'orthodoxie de la
doctrine de saint Augustin : tous
deux assurent que, depuis la con-
version des Bretons , leur foi n'a-
voit reçu aucune atteinte , sinon
par l'arianisme et le pélagianisrae ;
mais ces deux hérésies firent peu
de progrès parmi eux , et furent
promptcment étouffées.
3.° Quelques-uns ont dit que
le missionnaire Augustin auroit
beaucoup mieux fait d'inspirer aux
Anglo-Saxons des remords de leurs
usurpations , et de les engager à
restituer aux Bretons ce qu'ils leur
avoient enlevé. A cela nous répon-
dons qu'une conquête, faite de-
puis cent cinquante ans , ne pou-
voit pas donner aux Anglo-Saxons
des remords fort efficaces ; que
quand ils en auroient eu , ils ne
pouvoient pas ressusciter les Bre-
tons que leurs pères avoient mas-
sacrés , ni leur rendre ce qui leur
avoit été pris. Par la même raison,
ceux qui convertirent les Francs
ne les engagèrent point à restituer
les Gaules aux Bomains , et ceux
qui avoient converti les Romains ,
ne leur imposèrent point l'obliga-
tion de faire des restitutions à
toutes les nations de l'univers.
Mais nos moralistes sévères de-
vroient prouver aux Anglais ac-
tuels la nécessité de dédommager
ANG
l«J Américains des torts qu'ils leur
ont faits , et surtout de réparer les
cruautés horribles que l'avarice
leur a fait commettre dans les
Indes.
4." Pour exténuer le mérite des
travaux de saint Augustin , l'on a
supposé que rien n'étoit plus aisé
que de convertir au christianisme
les Anglo-Saxons , puisque la reine
Berthe , épouse d'Ethelbert , roi
de Kent, étoit chrétienne; que
tous les succès d'Augustin se bornè-
rent à convertir ce petit royaume.
Malheureusement ce reproche est
contredit par un autre que l'on fait
encore à ce saint missionnaire : on
dit qu'il se laissa intimiderd'abord
par le récit que lui firent les évê-
3ues des Gaules de la difficulté
e convertir les Anglo-Saxons , de
leur férocité, de leur perfidie, de
leurs mœurs. Ces évcqufs dévoient
en savoir quelque chose , et ces
obstacles sont prouvés par les té-
moignages de Gildas et de Bède. Il
est cependant certain que le chris-
tianisme transforma les Anglo-
Saxons, les civilisa, leur donna
d'autres mœurs, leur inspira les
plus grandes vertus : dans la suite,
V Angleterre fut appelée Vile des
saints. Si saint Augustin ne con-
vertit que le royaume de Kent , ses
collègues réussirent de même dans
le reste de V Angleterre.
5.0 L'onaécrit qu'au lieu de don-
ner aux Angl o-Saxons de vraies ver-
tus, Augustin et ses coopérateurs
ne leur avoient inspiré que la bi-
goterie, les dévotions minutieu-
ses , le goût du monachisme , etc. ;
que jusqu'à la réformation les
Anglais avoient été le peuple le
plus superstitieux de l'univers.
Mais il y a encore lieu de douter
81, depuis la bienheureuse réforma-
tion , les Anglais sont radicalement
guéris de toute superstition. Ceux
qui les ont observés de près n'en
conviennent point ; nous n'avons
pas moins sujet de douter si leurs
X.
ANG
I2()
mœurs «ont plus pures et leurs
vertus plus héroïques que sous le
catholicisme ; de l'aveu de leurs
propres écrivains , ils ont égalé
dans le Bengale les cruautés dont
les Espagnols s'étoient rendus cou-
pables en Amérique , et il ne pa-
roît pas qu'ils soient fort scrupu-
leux observateurs du droit des gens.
Voyez V Etat civil , politique et com'
merçant du Bengale , par M. Bolts;
le Zend-Avesta, t. I, i .^^ partie ,
p. 12 ; les Voyages de M. Sonnerai,
1. I , CI. Nous voudrions pou-
voir oublier que, par les exploit»
des réformateurs, les plus riches
bibliothèques de V Angleterre ont
été réduites en cendres, afin d'a-
néantir tous les monuments du
papisme.
Le docteur Leland , quoique an-
glican zélé, prétend que tous le»
vices se sont introduits parmi
ses compatriotes avec l'irréligion.
L'auteur de VHistoire des établis-
sements des Européens dans les
Indes reconnoît que tous les prin-
cipes de probité , d'honneur , d'a-
mour du bien public , sont étouffés
chez les Anglois par l'avidité
qu'inspire l'esprit de commerce ;
Richard Steele , dans une épître
satirique au pape Clément XI,
soutient que leur fanatisme est
toujours le même. « Il est vrai,
» dit-il, que nous n'avons pas au-
» jourd'hui le pouvoir de briller
» les hérétiques, conime les pre-
» miers réformateurs ; notais à cela
» près nous employons toujours
» les mêmes violences ; nous per-
» sécutons , nous tourmentons,
» nous emprisonnons et nous rui-
» nons tout homme qui prétend
» en savoir plus que ses supérieurs ;
» et plus cet homme est d'un ca-
» ractère irréprochable , plus nous
» croyons qu'il est nécessaire de se
» servir de ces sortes de rigueurs
» contre lui.... Sur la fin dejan-
» vier et au commencement de
» février, on nous anime cxtraordi -
i3o ANG
» naîrement les uns contre les au- 1
M très, parce qu'il est arrivé , il y a
» plus de soixante ans , que nos
» ancêtres étoient de grands scélé-
» rats, et l'on croit qu'on ne sau-
» roit trop insister sur un sujet si
» beau de génération en généra-
» tion , et que l'on devroit même
» en parler depuis le commence-
» ment de l'année jusqu'à la fin.
» Un autre sujet d'enthousiasme
» est le danger de la pauvre Eglise,
» danger qui s'accroît toujours à
» mesure que le crédit et les es-
>» pérances des catholiques aug-
» mentent. J'ai vu le temps que
•j) la figure d'une église faite de car-
» ton , plantée si artificieusement
» au bout d'un bâton qu'elle pa-
» roissoit chanceler , représentoit
)» le danger de noire pauvre Eglise ;
n portée d'un air triste et lugubre
» devant un vénérable ecclésiasti-
» que , aux élections des membres
M du parlement, elle passoit pour
•k> un remède souverain contre ses
M ennemis , elle avoit la vertu de
» les chasser du champ de bataille
» tout confus. J'ai vu même que le
» nom à^ Eglise ou de Haute-Eglise ,
» prononcé avec emphase, et ré-
» pété un certain nombre de fois,
)> a pu changer l'air et la voix d'une
» naultitude innombrable, luidon-
« ner un aspect hideux etfarouche,
» agiter les cœurs, faire enfler les
» veines comnie par une espèce de
» frénésie. J'ai vu en même temps
» que ce nonni prononcé d'un air
» touchant et pathétique , les yeux
» et les mains vers le ciel, a pu
» changer les mensonges en véri-
» tés , un scélérat en un saint , et
» un perturbateur du repos public
» en une divinité tutélaire. JPar un
» privilège singulier , les hommes
» attaqués de cette maladie/)nt ac-
» quisle droit de pénétrer lesju-
» gements de Dieu , et de les appli-
» quer à leur prochain ; s'il arrive
» tin fléau de la nature, ou un autre
» malheur public , ils savent à
ANG
» point nommé pourquoi Dieti
i> l'envoie, quel est le crime qu'il
» a dessein de punir; et ce n'est
» jamais contre leurs propres
» crimes qu'il est irrité , c'est
» toujours contre ceux des au-
n très, etc. »
Si quelqu'un s'est laissé séduire
par les tableaux pompeux que nos
écrivains modernes nous ont faits
des heureux effets que la réforme a
produits en Angleterre , nous l'in-
vitons à lire un ouvrage intitulé :
La Conversion de ^Angleterre au
christianisme , comparée avec sa
prétendue Reformations in-8.°,
Paris, 1729.
Les historiens protestants ont
abusé de la crédulité de leurs lec-
teurs , lorsqu'ils ont voulu persua-
der que la cause du schisme de
Y Angleterre ^ en i533 , fut l'auto-
rité excessfvc , ou plutôt la tyran-
nie que le pape exerçoit sur ce
royaume ; cette prétendue cause
n'avoit pas lieu en France ni dans
les pays du Nord, et l'hérésie ne
laissa pas de s'y établir. Il est de
toute notoriété que la cause de la
rupture fut le refus que fit Clément
"VIII de déclarer nul le mariage
d'Henri VIII avec Catherine d'A-
ragon , et d'accorder à ce prince la
liberté d'épouser Anne de Boleyn ,
de laquelle il étoit épris ; puisqu'a-
vant d'avoir conçu cette passion,
Henri VIII avoit écrit lui-même
contre Luther en laveur de la ju-
ridiction et de l'autorité du pape.
Les moyens dont on se servit en-
suite pour détruire la religion ca-
tholique en Angleterre , ne furent
pas plus légitimes ni plus honnêtes
que le motif : on y employa l'im-
posture, la calomnie, la violence
et les supplices. M. Bossuet dans
son Hist. des Variai. , tom. 2, 1. 7,
a mis ce fait dans la dernière évi-
dence , et l'a prouvé par le propre,
aveu des protestants ; aucun d'eux
ne sera jamais en état de le con-
vaincre de faux. lAuteur de la
ANG
Conversion de V Angleterre , etc. , a
fait de même.
Mosheim , dans l'impuissance
de contester cette vérité , est cofn-
venu que les auteurs de cette ré-
volution agirent souvent d'une
manière violente , téméraire et
précipitée; que plusieurs de ceux
qui y eurent part , agirent plus par
passion et par intérêt que par
ïèle pour la véritable religion.
Hist. ecclés. du seizième siècle ,
sect. I , c. 4» § i4- David Hume,
dans son Histoire des maisons de
Tudor et de Stuart , a posé pour
principe que, si la superstition
est le caractère de la religion ro-
maine, le fanatisme a été celui de
la prétendue réformation. Le tra-
ducteur de Mosheim , fâché de cet
aveu, a voulu prouver le con-
traire, tom. 4 ? P- ^^^ ^l suiv.
Mais, au lieu de détruire ce fait, il
l'a plutôt confirmé, puisqu'il a été
forcé d'avouer que \e fanatisme eut
beaucoup de part à la conduite de
plusieurs de ceux qui embrassèrent
la réformation , pag. i44 '■> <I^^ l'on
abusa souvent de la liberté qu'elle
introduisit ; que l'ardeur des pre-
miers réformateurs fut plus ou
moins violente , plus ou mioins
mêlée avec la chaleur et la vivacité
des passions humaines, p. r46;
que le zèle des réformateurs fut
quelquefois excessif, p. i5o; que
peut-être les emportements de
Luther furent l'effet de son ressen-
timent et de l'ardeur de son carac-
tère, etc. , p. i53. Ce n'étoitdonc
Ëas la peine de disputer contre
lavid Hume , puisque l'on se
trouve réduit à lui accorder ce
qu'il a dit.
La question est de savoir si des
hommes conduits par le fanatisme,
par la chaleur des passions, par
l'amour de la nouveauté, et non
de la vérité, étoient fort propres
à réformer l'Eglise de Dieu , et s'il
est probable que Dieu ait voulu se
servir de pareils instruments. Nous
ANG i-it
verrons dans l'article suivant que.
la religion anglicane porte encore
l'empreinte des mains qui l'ont
formée, des motifs dont ses fon-
dateurs furent animés , et des
moyens dont ils se servirent. Une
preuve que les Anglois n'étoient
pas fort zélés pour la vérité , c'est
qu'ils changèrent trois fois de re-
ligion en douze ans. A la mort
d'Henri VIII, ils tenoient encore a
la foi catholique; en i547, sous
Edouard VI , ils dressèrent une
profession de foi , moitié luthé-
rienne, moitié calviniste ; sous le
règne de Marie, en i554, ils rede-
vinrent catholiques ; en i SSg , sous
le règne d'Elisabeth , le protestan-
tisme fut rétabli.
Quoique l'on ait répandu des
torrents de sang pour cimenter
cette religion nouvelle, il s'en faut
beaucoup qu elle ait été générale-
ment adoptée en Angleterre ; pen-
dant que le gouvernement , les
grands du royaume et une partie de
la nation embrassoient ce mélange
de luthéranisme et de calvinisme,
avec quelques foibles restes de ca-
tholicisme , que l'on nomme la re-
ligion anglicane , une autre partie
s'attachoit aux sentiments de Cal-
vin, rejetoit tout le reste, et for-
moit la secte de ceux que l'on
nomme presbytériens et puritains :
ces deux factions se sont fait pen-
dant long-tempsuneguerre cruelle;
et si l'une des deux s'étoit trouvée
assez forte, elle auroit exterminé
l'autre. Après bien des combats ,
elles se sont reposées par lassitude,
et elles ont été forcées de se tolérer
mutuellement.
Dans le sein de ces deux sectes,
il s'en est formé une infinité d'au-
tres , comme les quakers ou trein-
bleurs, les hernhutes ou frères
moraves , les méthodistes , les ana-
baptistes,les sociniens, les brownis-
tes ou indépendants, etc. Ainsi le
christianisme, en Angleterre, est
divisé en deux partis principaux .
9-
,3i ANG
l'un est celui des épiscopaux , que
l'on &^-çt\\e.aiass\V Eglise anglicane,
ou la Haute-Eglise ; l'autre , celui
des non-conformistes ou sépara-
tistes, qui comprend les presbyté-
riens, puritains ou calvinistes ri-
gides, et toutes les autres sectes
dont nous venons de parler, sans
en exclure même les catholiques ,
qui sont encore en assez grand
nombre.
En 1716, plusieurs Anglois et
quelques Ecossois avoient formé
un concordat entre eux pour s'unir
à l'Eglise grecque; mais ce projet
n'eut aucune suite. Les Grecs n'y
auroient certainement pas con-
senti, à moins que les anglicans
n'eussent changé leur croyance sur
un très-grand nombre d'articles.
Quoique nos écrivains aient
beaucoup vanté la tolérance établie
dans ce royaume, la religion catho-
lique y a toujours été gênée par des
lois très-sévères. Jusqu'à nos jours
un catholique ne pouvoit posséder
aucune charge, ni entrer au par-
lement, sans avoir prêté le serment
Au.test, par lequel on abjuroit le
dogme de la transsubstantiation et
de la juridiction spirituelle du
pape. Ce serment a été aboli de-
puis peu par un décret du parle-
ment , et changé en un simple ser-
ment de fidélité, qui n'a aucun
rapport à la religion ; mais cette
condescendance du gouvernement
anglois a échaufiFé la bile des pu-
ritains, surtout en Ecosse, où ils
sont la secte dominante.
Mosheim, dans son Hist.' eccl.
du dix-huitième siècle , déplore le
nombre des incrédules qui ont paru
en Angleterre, et les effets perni-
cieux de leurs ouvrages ; il prédit
que cette contagion pénétrera
bientôt dans toutes les contrées
de l'Europe , surtout dans celles
où la réformation a introduit un
esprit de liberté : il étoit aisé en
effet de le prévoir. Ce sont les
Jéistes anglois qui ont été les
A]SG
précepteurs de nos philosophes
antichrétiens , et c'est un mauvais
service que nous ont rendu nos
voisins ; il ne fait pas plus d'hon-
neur à V Angleterre qu'à la pré-
tendue réformation.
ANGLICAN. On appelle reli-
gion anglicane, celle qui est au-
torisée en Angleterre par les lois,
pour la distinguer de celles qui
y sont seulement tolérées. De toutes
les communions chrétiennes non
catholiques , les anglicans sont
ceux qui s'écartent le moins de
la croyance de l'Eglise romaine ;
ils en rejettent cependant un grand
nombre d'articles essentiels. Aussi
les autres protestants leur repro-
chent de pencher toujours au pa-
pisme, d'en avoir conservé de trop
grands restes , et de n'avoir fait
la réforme qu'à moitié. Il n'est
pas toujours aisé aux théologiens
anglicans de se défendre, de mon-
trer pourquoi ils se sont arrêtés
en chemin, pourquoi ils ont re-
tranché tel article et en ont retenu
tel autre.
Dans la révolution qu'a subie
la religion en Angleterre, il faut
distinguer quatre époques princi-
pales. La première sous Henri
VIII, lorsque ce prince, pour se-
couer le joug du saint siège et de
l'Eglise romaine , se déclara chef
souverain de l'église anglicane ,
et défendit de reconnoître aucune
autorité spirituelle ou temporelle
que la sienne. Il ne toucha néan-
moins ni aux autres points de doc-
trine, ni au culte extérieur établi
dans l'Eglise catholique.
La seconde sous Edouard VI ,
son fils et son successeur. Après que
les partisans de Luther et de Calvin
eurent semé leurs erreurs parmi les
Anglois , il fut décidé par acte
du parlement, en i547 , que l'on
réformeroit la discipline ecclé-
siastique et la forme du cul te; c'est
ce qui fut exécuté ea 1 548 ; mai»
ANG
on ne convint pas encore d'un
formulaire de doctrine, ou d'une
profession de foi.
La troisième, sous la reine Ma-
rie , sœur d'Edouard , et qui lui
succéda ; cette princesse, zélée ca-
tholique , fit casser , en 1 553 , l'acte
f (recèdent, et fit rétablir le catho-
icisme.
Enfin, sous la reine Elisabeth ,
autre fille de Henri VIII, quiavoit
étéélevée dans les opinions des pro-
testants, le parlement, l'an i559,
renouvela tout ce qui avoitété fait
sous Edouard VI, et proscrivit de
nouveau le catholicisme. Mais la
confession de foi anglicane ne fut
dressée que trois ans après , dans
un synode tenu à Londres en i562.
On la trouve dans le recueil des
confessions de foi des églises réfor-
mées, p. 99 ; elle contient trente-
neuf articles. Dans les cinq pre-
miers, l'onfait profession de croire
la Trinité , l'Incarnation , la des-
cente de Jésus-Christ aux enfers ,
sa résurrection , la divinité du
Saint-Esprit. Dans les trois sui-
vants , on reçoit comme canoni-
ques tous les livres du nouveau
Testament ; l'on exclut de l'ancien
les livres de Tobie , de Judith ,
une partie de celui d'Esther , la
Sagesse, l'Ecclésiastique, Baruch,
quelques chapitres de Daniel , et
les deux livres desMachabées; l'on
décide que tout ce qui n est pas
contenu dans l'Ecriture sainte
n'est point nécessaire au salut.
Dans le huitième article , on re-
çoit le symbole des apôtres, celui
du concile de Nicée , et celui de
saint Alhanase.
Déjà l'on peut demander aux an-
glicans pourquoi ils rejettent ces
livres dans l'ancien Testament ,
pendant qu'ils admettent l'Epître
de saint Jacques , celle de saint
Jude et l'Apocalypse, que les cal-
vinistes regardent comme apocry-
phes, précisément pour les mêmes
raisons, Lessocinieus leur soutien
ANG i33
nent que ce qui est contenu dans
le symbole de saint Athanase , ne
peut pas être prouvé par l'Ecri-
ture sainte.
Aussi, dans la Gazette de France
du vendredi 7 mars 1786, on nous
annonce qu'une bonne partie des
Américains anglicans ont retran-
ché de leur office le symbole de
saint Athanase , et ont ôté de ce-
lui des apôtres : il est descendu aux
enfers.
Dans le neuvième article et les
suivants , il est décidé que tous les
hommes naissent souillés du péché
originel ; qu'ils ont cependant un
libre arbitre , mais qu'ils ne peu-
vent faire aucunebonneœuvresans
le secours prévenant de la grâce ;
que l'homme est justifié ;7ar lajoi
seule. Ce dernier dogme est néan-
moins formellement contraire à ce
que dit saint Jacques, c. a ; et les
deux articles précédents ne sont
point admis par les socinicns.
Nous ne savons pas par quel
texte de l'Ecriture sainte on peut
prouver que toutes les œuvres fai-
tes sans la foi en Jésus-Christ sont
des péchés , article 1.^ ; saint Paul
décide le contraire, Rom. , c. a ,
S- i4- O" rejette, article i4, les
œuvres de surérogation comme une
impiété, en donnant un sens faux
et absurde à ce terme. Vojrez Sur-
érogation.
L'article 16 porte que l'on peut
obtenir la rémission des péchés par
la pénitence , et il condamne l'o-
pinion de l'inamissibilité de la jus-
tice soutenue par les calvinistes.
Le 17.* admet la prédestination;
mais il avertit qu'il n'y faut pas
penser, de peur detomber dans la
présomption ou dans le désespoir.
Le 18.' décide que l'on ne peut pa»
être sauvé sans connoître Jésus-
Christ.
Selon le 19.* , l'Eglise est l'as-
semblée des fidèles où la pure pa-
role de Dieu est prcchée , et où lea
sacrements sont bien administrés;
ï34 ANG
d'où l'on conclut que l'Eglise ro-
maine est dans l'erreur, quant au
dogme, à la morale et au culte ex-
térieur. Cet article est-il fort es-
sentiel au salut ? est-il clairement
révélé dans l'Ecriture sainte ? Sui-
vant le 20.' et le 21.^, l'Eglise ne
peut rien décider ni rien établir
que ce qui est porté dans l'Ecri-
ture sainte ; les conciles , même
généraux , peuvent se tromper,
et se sont souvent trompés en
effet.
Le 22.^ rejette la doctrine de
l'Eglise romaine touchant le pur-
gatoire, les indulgences, la véné-
ration et V adoration des images,
des reliques, et l'invocation des
saints. On voit bien que le terme
à^adoraiion est affecté là par ma-
lignité.
Il est décidé , dans le aS.^ , que
la mission est nécessaire pour prê-
cher et pour administrer les sacre-
ments ; que la mission est légitime ,
quand elle est donnée par ceux qui
en ont le pouvoir ; mais on ne dit
point à qui cepouvoir appartient ,
si c'est au roi comme chef de l'é-
glise anglicane, ou si c'est au cler-
gé. Cet article étoit délicat , il est
demeuré indécis. Le 2>^.^ veut que
la liturgie soit célébrée en langue
vulgaire.
Les sacrements , selon le 25.* ,
sont les signes efficaces de la grâce ,
parlesquelsDieu excite etconfirme
notre foi en lui ; il n'y en a que
deux, savoir, le baptême et la cène.
On rejette les autres, parce que
ce ne sont pas , dit-on, des signes
visibles institués deDieu; et cepen-
dant l'on avoue que quelques-uns
sont une imitation de ce qu'ont fait
les apôtres ; il faut donc que les
apôtres aient fait ce que Jésus-
Christ ne leur avoit pas comman-
dé. Il est évident que cette défini-
tion des sacrements est louche et
captieuse , imaginée dans le des-
sein de concilier , s'il étoit pos-
sible, l'opinion des protestant?
ANG
avec la croyance de l'Eglise ro-
maine.
Conséquemment il est dit, arti-
cle 27 , que le baptême n'est pas
seulement un signe de la profession
du christianisme , mais un signe de
régénération , le sceau de notre
adoption , par lequel la foi est
confirmée et la grâce augmentée ,
par la vertu de l'invocation divine.
Mais si la grâce est augmentée, elle
étoit donc déjà dans l'âme dufidèle
avant le baptême ; en quel sens le
baptême est-il une régénération ?
Ce même article veut que l'on bap-
tise les enfants.
Le 28.^ est encore plus inintelli-
gible. Il porte que , pour ceux qui
reçoivent la cène avec foi , le pain
que nous rompons est la communi-
cation du corps de Jésus-Christ: ei
que le calice bénit est la communi-
cation du sang de Jésus-Christ ; ce
sont les paroles de saint Paul ; mais
on ajoute que le corps de Jésus-
Christ est donné , reçu et mangé
seulement d'une manière céleste et
spirituelle ; que le moyen par le-
quel cela se fait est un objet de
foi ; que ceux qui n'ont pas une
foi vive ne sont pas participants de
Jésus-Christ en aucune manière ,
article 29. Voilà ce que saint Paul
n'a pas dit. Ce même article ré-
prouve la transsubstantiation , et
l'usage de garder, de porter, d'é-
lever et d'adorer le sacrement de
l'Eucharistie; et le 3o.* décide qu'il
faut communier sous les deux es-
pèces.
Les rédacteurs de ces articles au-
roient voulu trouver un milieu
entre l'opinion des luthériens et
celle des calvinistes : on voit com-
ment ils y ont réussi ; à la vérité
les luthériens s'expriment aujour-
d'hui de même. Fb/es Eucharistie.
Dans le 3i.', ils rejettent la doc-
trine catholique touchant le sa-
crifice de la messe , comme un
blasphème.
Dans le 32.* } il est décidé qne
ANG
les évcques , les prêtres cl les
diacres peuvent se marier ; dans
le 33.*, que les excommunications
sont valides ; dans le 34.' , que
pour le bon ordre il faut se con-
former aux usages et aux céré-
monies établies par autorité pu-
blique , mais que chaque Eglise
peut les instituer, les changer ou
les abolir à son gré.
Le 35.^ donne la sanction aux
homélies publiées sous Edouard VI,
et le 36.* au pontifical pour les
ordinations , rédigé sous le même
règne. Le Sy." déclare que le roi
d'Angleterre jouit de l'autorité su-
prême sur tous ses sujets; que tous,
même les ecclésiastiques , doivent
lui être soumis dans iouies les
causes, et qu'il n'est soumis lui-
même à aucune juridiction étran-
gère ; que le pape n'a aucune ju
ridiction en Angleterre. On ajoute
cependant que l'on ne prétend pas
attribuer au roi l'administration
de la parole de Dieu ni des sacre-
ments ; soit , on lui attribue du
moins le privilège d'accorder, de
limiter, ou d'ôter ce pouvoirà qui
il juge à propos.
Les articles suivants condamnent
la doctrine des anabaptistes tou-
chant les peines capitales, la guerre
et la profession des armes , la
communauté des biens et les ser-
ments.
Pour peu qu'un théologien soit
instruit et sente la valeur des
termes, il voit que cette confession
de foi, dans la plupartdes articles,
est captieuse, équivoque, dictée
par l'intérêt politique et par les
circonstances, plus propre à per-
pétuer les disputes qu'à les éclair-
cir. Aussi s'en faut-il beaucoup que
la doctrine , les usages , la disci-
pline des anglicans , soient d'ac-
cord avec leur confession de foi ;
et cette contradiction leur est
continuellement reprochée par
ceux qu'ils appellent non-confor-
mistes. Il est aisé d'ailleurs de la
ANG
i35
prouver en comparant cette con-
fession de foi avec le plan de la
religion anglicane, tel qu'il est
tracé dans un livre intitulé : Begni
Angliœ sub imperio jReginœ Elisa-
bethœ religio ci gubernaiio ecclesias~
iica , in 4-°, Londini^iji^, et dé-
dié à Georges II , pièce authentique,
s'il en fut jamais.
En effet , suivant les 20 et 21.*
chapitres de la confession , l'Eglise
ne peut rien décider et rien établir
que ce qui est enseigné dans l'E-
criture sainte; les conciles même
généraux peuvent se tromper, et
se sont trompés en effet; et dans le
plan de religion , i." partie, cha-
pitre I, on fait profession de re-
cevoir comme authentiques, ou
comme faisant autorité , les trois
symboles, les quatre premiers con-
ciles , les sentiments des Pères des
cinq premiers siècles ; c. 4? on
dit que les décrets de ces conciles
ont été acceptés et confirmés par
les états du royaume d'Angleterre.
Ces états ont donc accepté et con-
firmé des décrets de conciles qui
ont pu se tromper, et qui se sont
trompés en effet.
Chapitre 5 de ce même plan ,
on reconnoît que ce sont les Pères
des cinq premiers siècles qui nous
ont désigné les livres canoniques
de l'Ecriture, qui nous ont trans-
mis l'histoire ecclésiastique , et qui
ont réfuté les hérésies de leur temps.
Mais si ces Pères se sont trompés,
comment sommes -nous sûrs du
jugement qu'ils ont porté touchant
le nombre des livres canoniques ?
Lescalvinistes les chargentde mille
erreurs , et les anglicans n'ont pas
pris la peine de les justifier ; ils ont
laissé ce soin aux catholiques. Cha-
pitre 6, on déclare que les héré-
tiques doivent être punis par les
censures ecclésiastiques et par les
supplices que leur infligent les lois
civiles. Mais qui a droit de juger
que tel homme est hérétique ?
On ne le dit pas , et nous dcman-
i36 ANG
dons vainemeut comment cela s'ac-
corde avec la prétendue tolérance
des Anglois.
Dans le chapitre 7 , les catho-
liques sont accusés de se dévouer à
Dieu par une foi non écrite : d'a-
dorer ce qu'ils ignorent dans les
reliques , dans les hosties , dans les
images , de prier dans une langue
inconnue ; de prier les saints plus
souvent que Jésus-Christ ; de se
prosterner devant les images ; de
retrancher la moitié de l'Eucha-
ristie ; d'avoir inventé la trans-
substantiation , le purgatoire , le
mérite des bonnes œuvres ; de re-
nouveler le sacrifice de Jésus-
Christ pour les vivants et pour les
morts ; de prétendre que l'Eglise
romaine a de droit divin la juri-
diction sur toutes les autres. Sans
relever la manière captieuse dont
plusieurs de ces articles sont repré-
sentés ou travestis , il n'enestaucun
que nous ne prouvions par le sen-
timent des conciles et des Pères des
cinq premiers siècles : les luthé-
riens et les calvinistes n'en dis-
conviennent pas , mais ils disent
que cela ne suffit pas sans l'Ecri-
ture sainte. Voilà un point de dis-
pute sur lequel nos adversaires ne
s'accorderont jamais.
Cependant , chapitre 8 , les an-
glicans font profession d'être unis
à toutes les églises protestantes et
à toutes les églises chrétiennes ;
nous voudrions savoir en quoi
peut consister cette union, quand
on n'a ni la même foi , ni le même
culte , ni la même discipline.
Outre la liturgie a/?g-/ica«e, que
l'on peut voir dans lePère Lebruu ,
Explicat. des cérém. de la Messe ,
tom. 7 , p. 53 , les anglicans ont
conservé l'office ecclésiastique du
raiatin et du soir , les psaumes , les
cantiques , les leçons , la confes-
sion générale des péchés et l'abso-
lution , la doxologie , les alléluia ,
le TeDeurn , le symbole des apôtres
et celui de saint Athanase les lita-
ANG
nies , desquelles ils ont retranché
les noms des saints , c. la et suiv.
Ils administrent le baptême comme
dans l'Eglise romaine , mais sans
exorcismes et sans onctions ; leurs
éveques donnent la confirmation
par l'imposition des mains avec
une prière. Dans l'office des morts,
ils demandent à Dieu de ne pas
nous livrer aux supplices éternels ,
et d'accorder à tous les fidèles la
félicité du corps et de l'âme ; ils
disent la prière, Kyrie , eleïson.
Dans la seconde partie de ce
plan , le gouvernement ecclésias-
tique d'Angleterre est représenté
en seize tables. La première attribue
au roi l'autorité suprême dans
toutes les matières ecclésiastiques ,
et beaucoup plus de pouvoir que
nous n'en donnons au pape. La
seconde et les suivantes règlent le
pouvoir , les fonctions , la juri-
diction des archevêques et des
évêques ; il y est question de bé-
néfices en titre et des différentes
espèces de biens ecclésiastiques.
La troisième partie établit la dis-
cipline qui regarde les simples fi-
dèles , les fêtes, les jeûnes, l'abs-
tinence. Nous y voyons PàqvLcs ,
la Pentecôte, la Trinité, tous les
dimanches , la Circoncision de
Notre - Seigneur , l'Epiphanie ,
l'Annonciation , l'Ascension ,
Noël , la Toussaint , les fêtes des
apôtres , des évangélistes , de saint
Jean-Baptiste , de saint Etienne ,
des Innocents. On nous avertit que
tous ces jours sont consacrés à
Dieu seul , comme si quelqu'un
avoit jamais enseigné le contraire.
On y conserve le carême, les jeii-
nes des vigiles , l'abstinence des
vendredis et samedis , les quatre-
temps , les rogations ; mais l'on
comprend que les anglicans ne
sont pas fort scrupuleux sur tou-
tes ces observances; l'exemple des
autres sectes qui les méprisent a
prévalu sur la règle. Dans les ca-
thédrales il y a des lecteurs , àts^
AJNG
chantres , àes vicaires , des cha-
noines, un sous-doyen, un tréso-
rier, un chancelier, un préchan-
tre , un doyen. Mais les synodes
provinciaux ne peuvent rien sta-
tuer que sous l'autorité du roi.
Ainsi , en conservant un certain
extérieur de religion , et en défigu-
rant la doctrine catholique , les
réformateurs anglicans ont fasciné
les yeux du peuple, et l'ont en-
traîné dans le schisme ; les enne-
mis du clergé d'Angleterre ne
cessent de lui insulter à ce sujet.
Si d'un côté les anglicans sou-
tiennent que l'Ecriture sainte est
la seule règle de foi, de l'autre ils
s'attribuent le droit de l'interpré-
ter et d'en fixer le vrai sens. « Il
i> n'y a , dit Richard Steele à Clé-
» ment XI, d'autre différence en-
» tre vous et nous , par rapport
» aux fondements de la doctrine ,
» de la hiérarchie, du culte et de
» la discipline , que celle-ci : c'est
»> que vous ne sauriez errer dans
» vos décisions , et que nous n'er-
» rons jamais; c'est-à-dire, en
» d'autres termes, que vous êtes
» infaillible , et que nous avons
» toujours raison.... Ainsi, le sy-
» nodedeDordrecht (dont les dé-
» cisLons sûres et certaines sont
» célébrées tous les trois ans dans
» ce pays-là par un jour solennel
i) d'actions de grâces ) ; ainsi , les
M synodes nationaux des églises
» réformées en France, l'assemblée
» générale de l'église presbyté-
»> rienne en Ecosse , et , si j'ose la
M nommer , la convocation du
» clergé d'Angleterre , ont tous eu
» également cette autorité incon-
» tcstable que votre Eglise s'attri-
» bue , et les peuples ont été obli-
»> gés d'obéir à leurs décrets avec
» autant de soumission que l'on en
i> a parmi vous pour ce qui part
I) d'une infaillibilité absolue... En
» même temps que nous soutenons
» avec chaleur , contre vos con-
V. trovcrsistes , que les peuples ont
ANG 137
» droit d'examiner et d'éplucher
» eux-mêmes les Ecritures, nous
» avons soin de leur inculquer,
» dans nos instructions particu-
» Hères , qu'ils ne doivent pas
» abuser de ce droit , qu'ils ne
» doivent pas prétendre être plus
» sages que leurs supérieurs , et
» qu'il faut qu'ils s'étudient à en-
» tendre les textes particuliers
» dans le même sens que l'Eglise
» les entend , et que leurs guides,
» qui ont Vautorité interprétative,
» les expliquent. Nous réussissons
» aussi-bien par cette méthode, que
» si nous défendions la lecture de
» l'Ecriture sainte Et quoique,
» par nos paroles , nous conser-
» vions à l'Ecriture sainte toute sa
» dignité , nous avons cependant
» l'adresse d'y substituer réelle-
» ment nos propres explications
» et des dogmes tirés de nos ex-
» plications , etc. » Ainsi en agis-
sent toutes les sectes protestantes.
Thomas Gordon leur fait le mê-
me reproche , Esprit du Clergé ,
p. 42.
En second Heu, selon le même
principe , les anglicans n'admet-
tent point l'autorité de la tradi-
tion ; mais , dans leurs disputes
avec les puritains et avec les soci-
niens, ils sont forcés d'employer
le témoignage des Pères ou la tra-
dition , pour montrer le sens des
passages que ces sectaires enten-
dent comme il leur plaît. Un théo-
logien anglican a très-bien réfuté
le livre deDaillé, De vero usu Pa~
irum. C'est principalement par la
tradition qu'ils soutiennent l'in-
stitution divine de l'épiscopat , la
supériorité des évêques sur les sim-
ples prêtres , l'usage apostolique
du carême, etc. Ainsi , ils se fon-
dent sur la tradition lorsqu'elle
leur est favorable; ils l'abandon-
nent lorsque nous nous en servon»
our leur prouver les dogmes ca-
oliques auxquels ils ont re-
noncé.
pOi
fh(
i38 ANG
En troisième lieu, il en est de
même de la mission et de la suc-
cession des pasteurs. Vous nepou-
vez, leur dit- on , tenir cette suc-
cession et cette mission que des
pasteurs de l'Eglise romaine; s'ils
ont été capables de vous la trans-
mettre , à plus forte raison l'ont-
ils conservée pour eux : les fidèles
leur doivent donc la même doci-
lité que vous exigez pour vous-
mêmes; ils sont donc aussi assurés
de leur salut en écoutant les pas-
teurs catholiques , qu'en vous
écoutant vous-mêmes. Où étoit
donc pour eux la nécessité de
faire un schisme pour vous suivre?
Vous dites que la doctrine des
pasteurs catholiques est fausse ;
mais ils soutiennent que c'est la
vôtre: le simple fidèle doit plutôt
les croire que vous ; il doit pré-
sumer que la mission est plutôt
chez eux qui sont le tronc que
chez vous qui n'êtes que les bran-
ches , et que la vérité réside dans
la source plutôt que dans le ruis-
seau qui en vient. C'est encore
l'objection que leur fait Gordon ,
pag. Sa. Aujourd'hui les mécréants
anglois font à leur clergé les mê-
mes reproches que les réforma-
teurs ont faits à celui de l'Eglise
romaine , lorsqu'ils lui ont con-
testé le droit d'enseigner , et qu'ils
s'en sont séparés.
En quatrième lieu , Gordon
prouve, parles actes les plus so-
lennels du parlement d'Angleterre,
que l'Eglise anglicane , sa consti-
tution , son clergé , tous les ■pou-
voirs et les privilèges de celui-ci ,
sont l'ouvragede la puissance civile,
et qu'il tient tout d'elle; que tous ses
membres l'ont ainsi reconnu, et se
sont obligés par serment à le sou-
tenir ainsi ; que ces mêmes actes
attribuent au roi iout pouvoir
ft toute autorité tant ecclésiastique
que civile , le droit de réformer
et de corriger toutes les erreurs ,
les hérésies et les abus ; qu'en con-
ANG
séquence c'est la puissance civile
qui a donné la sanction au livre
de la liturgie , au rituel et à la for-
mule d'ordination pour les minis-
tres de l'Eglise. Il dit que, dans le
temps de la réforme , l'archevêque
Cranmer avouoit que l'ordination
des éveques n'étoit qu'une insti-
tution civile , par laquelle on
parvenoit à un office ecclésias-
tique ; aucun membre du clergé
anglican n'auroit alors osé soute-
nir le contraire. Tous furent for-
cés de jurer et de signer cette doc-
trine , p. 52 et 106; autrement,
en vertu de l'arrêt du parlement
de i547 , ils auroient été punis
comme criminels de lèse- majes-
té. David Hume , iFfii'/. de la mai-
son de Tudor , an i547 5 Heylin,
Burnet, etc.
C'est donc contre toute vérité
qu'il est dit dans la confession de
foi anglicane que l'on n'attribue
point au roi le pouvoir d'admi-
nistrer la parole de Dieu et les
sacrements. Si le roi n'a pas ce
pouvoir, comment peut-il le don-
ner ? Corriger les erreurs et les
hérésies, approuver la liturgie et
le rituel, prescrire les formules de
prières et d'ordinations, n'est-ce
donc pas administrer la parole de
Dieu ? C'est encore une absurdité
de nommer mission une institution
purement civile , et hiérarchie ou
pouvoir sacré , un pouvoir émané
de l'autorité civile. Les apôtres
ont prétendu tenir leur mission
et leurs pouvoirs, non des puis-
sances de la terre, mais de Jé-
sus-Christ ; par l'imposition des
mains , ils ont voulu donner
une grâce et une autorité spiri-
tuelle et surnaturelle, et non un
office civil. Saint Paul dit aux
évêques qu'ils ont été établis, non
par les princes et les magistrats ,
mais par le Saint-Esprit, pour
gouverner l'Eglise de Dieu. ^ct. ,
c. 20, y/'. 28. Le pouvoir de re-
mettre les péchés , de lier et de
ANG
délier dans le ciel et sur la terre,
nue Jésus-Christ a donné à ses
apôtres, n'est certainement pas
un pouvoir civil. Le^ théologiens
anglicans nomment avec emphase
les droits divins de l'épiscopat, et
ils font dériver ces droits et cette
dignité de la puissance royale :
ces droits ne sont donc pas plus
divins que ceux d'un juge, d'un offi-
cier militaire ou d'un financier ;
tous ces droits sont de mênie na-
ture , puisqu'ils sont émanés de
la même source.
Aussi le concile de Trente a dé-
cidé que ceux qui ont été appelés
et institués au ministère ecclésias-
tique par le peuple, par la puis-
sance séculière , ou qui s'y sont
ingérés d'eux-mêmes, ne sont point
de vrais ministres de l'Eglise, mais
des voleurs et des usurpateurs ,
sess. 23, c. 4-
Si le Père LeCourrayer, géno-
véiain , réfugié en Angleterre ,
a voit été mieux instruit, probable-
ment il n'auroit pas entrepris, en
1723 et 1726 , de soutenir la vali-
dité des ordinations anglicanes.
Cette question en renferme deux ,
l'une de fait , l'autre de droit. La
question de fait est de savoir si
Matthieu Parker , prétendu ar-
chevêque de Cantorbéry, et tige de
tout l'épiscopat d'Angleterre, a
reçu ou n'a pas reçu l'ordination
épiscopale, par conséquent s'il a
pu ou n'a pas pu ordonner vali-
dement d'autres évêques. La ques-
tion de droit est de savoir si la
forme d'ordination , prescrite par
le rituel anglican dressé sous
Edouard VI , et encore actuelle-
ment suivie, est valide ou non.
Sur la première question, il faut
savoir que , depuis l'an iSSg ,
époque de la consommation du
schisme de rAnglelcrre, sous la
reine Elisabeth, non- seulement
les Anglois catholiques , mais les
presbytériens et les autres non-
conformistes ont constamment
ANG ,3<)
soutenu aux anglicans, que l'épis-
copat ne subsistoitplus parmieux,
que Parker n'a jamais été valide-
ment ordonné , puisque Barlow ,
évêque de Saint-David , et ensuite
de Chichester , prétendu consé-
crateur de Parker , ne l'avoit pas
été lui-même. Plusieurs ont posé
des faits , desquels il résulte qu'il
n'a pu l'être ; quelques-uns ont
avancé qu'il avoit ordonné Parker
dans une auberge de Londres. On
sait d'ailleurs que, selon la doc-
trine établie pour lors, le brevet
de la reine donnoit le pouvoir
épiscopal , sans qu'il fût besoin
d'ordination.
Pour prouver le contraire , Le
Courrayer a soutenu , i.° que
Barlow avoit été réellement sacré
évêque , puisqu'il avoit assisté en
cette qualité aux assemblées du
parlement sous Henri VIII; mais
cela prouve seulement que l'on
présumoit son ordination. D'ail-
leurs un homme simplement
nommé à un évêché pouvoit as-
sister au parlement sans avoir en-
core été ordonné. 2.° Qu'il n'est
pas vrai que Barlow ait été ab-
sent et en Ecosse dans le temps
auquel on suppose qu'il a été or-
donné; que , quoique l'on n'ait
pas pu retrouver l'acte de son or-
dination,ce n'estqu'une preuve né-
gative. Mais cette preuve est deve-
nue très-positive , par l'affirmation
constante de ceux qui ont pu sa-
voir s'il avoit été sacré ou non •
3.° Que la prétendue consécration
de Parker dans une auberge est une
fable. Cela peut être; mais le fait
est très-analogue à la manière de
penser des auteurs qui regardoient
le sacre des évêques comme une
momerie. 4-° Que Parker a été
réellement sacré à Lambeth le 17
décembre iSSg , par Barlow, as-
sisté de Jean Scory , élu évêque
d'IIéreford , de Miles Coverdale ,
.'incic4i évêque d'Excestcr , et de
Jean Iloogskins , suffragant de
i4o ANG
Bedfford. On produit l'acte de
cette consécration.
Mais en 1727 lePèreHardouin,
et en 1730 le Père Le Quien , do-
minicain , ont réfute Le Cour-
rayer; ils ont fait voir que la plu-
part des actes et des titres qu'il a
cités , en particulier l'acte de la
E rétendue ordination de Parker à
ambelh, sont faux, supposés ou
altérés ; qu'ils ont été forgés pos-
térieurement à l'an i55g, pour sa-
tisfaire aux reproches que les catho-
liques faisoient aux anglicans tou-
chant la nullité de leur épiscopat;
que Le Courrayer a tronqué de
mauvaise foi les passages de plu-
sieurs auteurs. Us ont prouvé ,
par de nouveaux témoignages , que
ni Barlow ni Parker n'ont jamais
été ordonnés évêques ; que l'un et
l'autre étoient trés-persuadés qu'ils
n'avoient pas besoin d'ordination.
Le Courrayer n'a rien eu à répli-
quer de solide.
Sur la question de droit, ou sur
la validité de l'ordination pres-
crite par le rituel d'Edouard VI,
Le Courrayer a soutenu qu'elle est
bonne et suffisante , i.° parce
qu'elle consiste dans l'imposition
des mains jointe à une prière ;
3 ° qu'il y est fait mention du sacer-
doce et du sacrifice , du moins in-
directement ; 3.° que les erreurs
particulières , soit du consécrateur
soit de l'élu , ne font rien à la va-
lidité de la cérémonie ; 4-° ^^le
V ordinal on le rituel d'Edouard VI
a été dressé par des éveques et par
des théologiens , et qu'il a été seu-
lement autorisé par le roi.
Pour savoir à quoi nous en tenir,
il faut examiner la cérémonie telle
qu'elle est prescrite par ce rituel,
i.o L'on commence par lire le
brevet du roi, qui porte : Nous
nommons , faisons , ordonnons ,
créons et établissons un tel , évêque
de tel siège. 2.° L'on fait prêter à
l'élu un serment conçu en ces ter-
me* : « J'atteste et je déclare sur
AJNG
» ma conscience que le roi est le
» seul gouverneur suprême de ce
» royaume , tant dans les choses
» spirituelles ou ecclésiastiques que
» dans les temporelles, et qu'au-
» cuu autre prince ou prélat
» étranger n'y a aucune juridic-
» tion , pouvoir , ni autorité ec-
» clésiastique ou spirituelle. »
3.0 L'évêque consécrateur demande
à l'élu s'il a été appelé à l'admi-
nistration de l'épiscopat suivant
la volonté de Jésus -Christ, et
suivant les constitutions du royau-
me , et s'il est dans la volonté
d'en remplir les devoirs. 4.°Après
les réponses de l'élu , le consé-
crateur lui met la main sur la tête ,
et prononce celte prière : « Que
» Dieu tout-puissant , qui vous a
» donné cette volonté , vous ac-
» corde encore les forces et la fa-
» culte de faire efficacement toutes
» ces choses , de manière qu'il
» achèveenvous son ouvrage, qu'il
>> vous trouve innocent et sans
» tache au dernier jour, par Jé-
» sus-ChristNotre-Seigneur. Ainsi
» soit-il. »
Or , on a soutenu contre Le
Courrayer, et nous soutenons en-
core que cette formule est nulle et
insuffisante. i.° Loin de faire au-
cune mention directe ou indirecte
du sacrifice ni du sacerdoce, elle
a été faite exprès pour en exclure
formellement ces notions, puisque
l'art. 3i de la confession de foi
anglicane les rejette comme un
blasphème. 2.° Que demande le
consécrateur pour l'élu ï Que Dieu
lui donne la volonté de remplir les
devoirs de l'épiscopat , selon les
constitutions du royaume ; vaine-
ment il ajoute, selon la volonté de
Jésus-Christ, puisque la constitu-
tion du royaume touchant l'épis-
copat, est formellement contraire
à la volonté de Jésus-Christ : l'une
de ces choses exclut l'autre. 3.° Il
n'est pas une fonction civile pour
laquelle on ne puisse faire la même-
ANG
brîère en faveur de celui qui y est
installe : elle n'a donc rien de sacré
ni de sacramentel. 4-° Les erreurs
particulières du consécrateur ou
de l'élu ne leroient rien à la vali-
dité de la cérémonie, si d'ailleurs
elle n'exprimoit pas formellement
ces erreurs ; mais ici les erreurs
anglicanes sont formellement ex-
primées par le brevet du roi ,
par le serment de l'élu , par les
interrogations du consécrateur, et
par la prière qui y est relative :
c'est le total de la cérémonie qui
détermine le sens de la formule.
5.° Il n'est pas question de savoir
quia dressé le rituel d'Edouard VI,
mais qui lui a donné la sanction,
l'autorité, la force de loi: or, selon
la déclaration formelle de tout le
clergé d'Angleterre , c'est le roi et
le parlement. Les évêques et les
théologiens qui y ont travaillé ,
étoient de simples commission-
naires , incapables de donner à
leur ouvrage aucune autorité; ils
étoient d'ailleurs hérétiques , et ils
y ont expressément professé leur
hérésie. 6.» Ceux qui ont réfuté
Le Courrayer , ont fait voir qu'en
soutenant la validité de cette for-
mule , il est tombé dans plusieurs
erreurs grossières et dans des hé-
résies proscrites par le concile de
Trente et par l'Eglise catholique.
En effet, trente-sept de ses propo-
sitions ont été condamnées par
l'assemblée du clergé de France ,
le 22 août 1727, comme fausses,
erronées et hérétiques. 7.° Le
Courrayer a posé en fait que , dans
l'Eglise grecque , l'ordination des
prêtresse fait par la seule imposi-
tion des mains , avec la prière ; il
cite le Traité des ordinations du Père
Marin, et le PèreHardouinl'avoit
supposé ainsi ; mais il est certain
que , chez les Grecs , l'éveque , assis
devant l'autel , met la main sur la
tcte de l'ordînand, et lui applique
le front contre l'autel chargé des
vases pleins , en récitant la for-
ANG ,/f,
mule ; ainsi la porrection des in-
struments est réunie à l'imposition
des mains , et détermine la formule
à désigner le double pouvoir du
sacerdoce. Traité sur les formes des
sacrements , par le Père JMorin , jé-
suite, c. 26. Aujourd'hui les savants
conviennent que le Père Morin n'a
pas rapporté assez exactement les
rits des Orientaux. 8.° Avant
d'être ordonnés évêques , Barlow
et Parker n'étoient pas prêtres :
or, on ne peut citer , dans toute
l'histoire ecclésiastique , aucun
exemple certain d'une pareille or-
dination reconnue pour valide.
En ivSo, un théologien luthé-
rien, dans une thèse soutenue sous
la présidence du docteur Mosheim ,
a examiné de nouveau cette ques-
tion , tant sur le fait que sur le
droit. Dans le premier chapitre ,
il fait l'histoire de la dispute et
des ouvrages qui ont été faits pour
ou contre la validité des ordina-
tions anglicanes. Dans le second ,
il compare les arguments qui ont
été allégués de part et d'autre. Dans
le troisième, il porte son jugement
sur le fond et sur la forme. On
conçoit bien qu'il a pris parti pour
Le Courrayer ; il n'approuve pas
néanmoins tous ses raisonnements,
mais il témoigne beaucoup de mé-
pris pour tous ses adversaires. Il
seroit inutile de nous arrêter à
l'histoire des faits ; il vaut mieux
nous attacher au fond.
Chap. 2, § i3 , l'auteur con-
vient que le capital de la dispute
est de savoir si la forme de l'ordi-
nation des évêques anglicans est
valide et suffisante ; il soutient
l'affirmative par les mêmes ar-
guments que Le Courrayer; mais
il ne satisfait point à ceux que
nous lui opposons Suivant les
meilleurs théologiens , dit - il ,
le rit essentiel de l'ordination
épiscopale consiste dans l'imposi-
tion des mains et dans une prière;
l'Ecriture sainte n'exige rien de
1^2 ANG
plus : or, l'une et l'autre se trouvent
dans îe rituel anglican.
Nous soutenons que toute prière
ne suffit pas ; que si le sens n'en
est point relatif aux fins du sacre-
ment, aux devoirs et aux fonctions
qui y ont été attachés par Jésus-
Christ , à plus forte raison si les
circonstances déterminent les pa-
roles à un sens contraire , cette
forme est absolument nulle. Or,
nous avons fait voir que telle est
la formule anglicane.
Les Anglois eux-mêmes ont si
bien senti qu'elle étoit défectueuse,
que , sous Charles II , ils l'ont
changée. Ils y ont ajouté pour les
éveques : <t Recevez le Saint-Esprit
j» pour exercer les devoirs et lesfonc-
» lions d'évêque dans TEglise de
» Dieu , et souvenez-vous de réveiller
» la grâce de Dieu qui est en vous
» par Vimposition des mains; » et
pour les prêtres : « Recevez le Saint-
» Esprit pour exercer les devoirs et
» les fondions de prêtre dans VE-
» glise de Dieu. Recevez le pouvoir
n de prêcher la parole de Dieu et
» ^administrer les sacrements. Les
» péchés seront remis à celui à qui
» vous les remettrez , et ils seront
n liés à celui auquel vous les lierez. »
Ibid. , n. 22 , 23 , 28. Quand cette
addition rendroit la forme valide ,
elle n'a pas eu lieu dans l'ordina-
tion de Barlow et de Parker : ils
étoicnt morts 80 ans auparavant;
des éveques ordonnés sans cette
addition n'ont pas pu en ordonner
d'autres validement. L'apologiste
a beau dire que ces paroles ajoutées
ne font point partie de la forme,
qui consiste dans la prière ; les An-
glois ont compris qu'elles étoient
nécessaires pour déterminer le sens
de la prière; donc avant l'addition
le sens n'étoit pas assez déterminé ;
il l'étoit même , par les circon-
stances , à signifier le contraire ,
commenous l'avons observé. Qu'ils
aient cru , ou n'aient pas cru
que la forme étoit déjà valide sans
ANG
cette addition, cela ne nous fait
rien.
Il n'est pas nécessaire, dit notre
auteur , que la formule exprime la
fin principale et l'effet du sacre.-
ment ; elle n'est point telle pour le
baptême, pour la confirmation,
pour l'extreme-onction , ni pour le
mariage ; cela est faux. Ces paroles :
Je te baptise , au nom du Père , etc. ,
signifientcertainement , non la pu-
rification du corps, mais celle de
l'àme , qui est l'cfFet principal du
baptême. Dans la confirnïation, la
formule : Je te marque du signe de la
croix , et je te confirme par le chrême
dusalut,etc. , exprime très-distinc-
tement l'effet du sacrement. Il en
est de même de la prière de l'ex-
trême-onction : Que par cette onc-
tion , et sa grande miséricorde , le Sei-
gneur vous pardonne les péchés , etc.
Pour le mariage , la bénédiction
du prêtre , qui dit : Je vous unis
en mariage , au nom du Père , etc.,
n'est pas moins expressive, non
plus que l'absolution dans la pé-
nitence: à plus forte raison, dans
l'Eucharistie , les paroles de Jésus-
Christ : Ceci est mon corps , ex-
priment l'effet de la consécration.
Le Courrayer en avoit imposé
à ses lecteurs , en disant que les
anglicans ne rejettent pas absolu-
ment la notion du sacrifice dans
l'Eucharistie, qu'ils y admettent au
moins un sacrifice commémoraiif
et représentatif , qu'entre eux et les
théologiens catholiques , il n'y a
qu'une dispute de mots ; que la
notion de sacrifice n'est point fon-
dée sur le dogme de la présence
réelle. Ibid. , § 27. Son apologiste,
plus sincère , convient , c. 3,
§ 19, qu'un sacrifice commémo-
raiif et représentatif , dans le sens
anglican , n'est qu'une ombre ou
une figure de sacrifice ; que ce n'est
point ainsi que l'a entendu le con-
cile de Trente. En effet , ce concile a
évidemment fondé la notion du sa-
crifice sur le dogme de la présence
ANG
réelle, sess. 22 , c. i et 2; et au
TOOl Eucharistie , § 5 , nous avons
fait voir que cette notion ne peut
pas être fondée autrement. C'est
une des principales raisons qui ont
attiré à Le Courrayer sa condam-
nation prononcée par le clergé de
France, et approuvée par le sou-
verain pontife.
Quand ce critique ajoute qu'il
n'est pas nécessaire qu'un homme
soit prêtre pour pouvoir être or-
donné évêque, qu'on ne le pense
pas, même dans l'Eglise romaine,
il se trompe encore ; le sentiment
contraire a été condamné , comme
nous l'avons observé ailleurs.
Voyez EvKQUE.
Il avoue , c. 3, § 16, que le rituel
d'Edouard VI a reçu du roi toute la
sanction et toute l'autorité qu'il a
pu avoir; que les évêques et les théo-
logiens, chargés de le rédiger, n'ont
été que les mandataires et les dé-
putés du roi ; que l'on ne recon-
noît en Angleterre point d'autre
source de l'autorité ecclésiastique.
De tout cela il résulte que l'E-
glise romaine est très-bien fondée
à regarder les ordinations angli-
canes comme absolument nulles ,
et à réordonner ceux qui ont été
ainsi promus au sacerdoce ou à
l'épiscopat , lorsqu'ils rentrent
dans le sein de l'Eglise.
Le même auteur soutient, contre
Le Courrayer, que, si les éveques
d'Angleterre sont ordonnés valide-
mcnt , ils le sont légUîmement , et
qu'ils ont droit d'exercer leurs
fonctions , malgré les anathémes
de l'Eglise romaine ; nous n'avons
aucun intérêt d'examiner lequel
des deux a raison. Nous verrons
ailleurs les autres reproches que
ce critique fait contre la doctrine
catholique : suivant la coutume de
tous les protestants , il la défigure
pour avoir droit de la censurer ;
il prend pour doctrine de l'Eglise
les opinions particulières des théo-
logiens les plus décriés.
ANl 143
Nous avons déjà dit que la li-
turgie anglicane se trouve dans
le Père Lebrun ; mais elle a été
changée au moins quatrefois avant
d'être mise dans l'état où elle est
aujourd'hui. Quoique l'on en ait
retranché tout ce qui pouvoit don-
ner l'idée de la présence réelle de
Jésus-Christ dans l'Eucharistie et
du sacrifice , elle déplaît encore
beaucoup aux puritains ou calvi-
nistes rigides.
L'archevêque de Cantorbéry ,
primat d'Angleterre, jouit encore
de la même juridiction et des mê-
mes privilèges dont jouissoient
les évêques dans le treizième siècle ;
mais le clergé anglican ne peut
fairesurla doctrine, surlesmœurs ,
sur la discipline , aucun décret ,
sans commiission spéciale du roi, et
ses décrets n'ont de force qu'autant
qu'ils sont confirmés par l'autorité
royale. Les fonctions des évêques
sont de p rêcher , de donner la con-
firmation et les ordres ; celle des
recteurs de paroisse ou des curé^,
sont de prêcher , de baptiser , de
marier , d'enterrer les morts. Les
trois dernières fonctions se paient
très-chèrement , et tous les An-
glois, sans distinction de religion,
y sont assujétis ; mais en général
le clergé est très-peu respecté en
Angleterre.
Vu l'indifférence que les angli-
cans affectent pour le dogme , on
ne doit pas être surpris du peu de
zèle qu'ils ont pour la conversion
des infidèles ; ils ont même sou-
vent tourné en ridicule celui de
nos missionnaires. La religion ne
leur paroît pas une affaire de très-
grande importance , et c'est pour
cela qu'ils ont été tant loués par
nos philosophes ; la plupart de
leurs théologiens ont passé de l'a-
rianisme aux opinions des soci-
niens.
ANIMAUX. Dieu dit à l'homme
en le créant ". « Dominez sur les
i44 AM
n poissons delamer, sur lesoiieaux
» du ciel , et sur tous les animaux
M qui se meuvent sur la terre. »
Gen. , c. I , y. 28. Il le répète à
Noé après le déluge : « Que tous
» les animaux vous craignent et
» vous redoutent, » c. 9, y. 2.
Le psalniiste bénissoit Dieu de cet
empire qu'.il a donné à l'honfiniè
sur tous les animaux. Ps. 8, ^'. 8.
Les philosophes qui ont observé
la nature avec un sens droit , nous
font remarquer que cet ordre du
Créateur s'exécute sur toute la face
du globe. Le très-grand nombre
des animaux sont dociles, s'ac-
coutument aisément avec l'homme,
semblent souvent rechercher sa
compagnie et implorer sa protec-
tion ; les autres fuient devant lui,
ils ne l'attaquent point , à moins
que des besoins extrêmes ne les
jettent , pour ainsi dire , hors de
leur naturel. L'éléphant , tout
monstrueux qu'il est , se laisse
conduire par un enfant ; le lion
s'éloigne de tous les lieux habités
par les hommes , et l'immense
baleine, au milieu de son élément,
tremble et fuit devant le petit ca-
not d'un Lapon. Etud. delà Nal. ,
t. 2, p. 289, etc.
Boilcau a pu douter en plaisan-
tant,
S! , vers les antres sourds ,
L'ours a peur du passant , ou le passant de
l'ours ,
Et si , sur un édit des pâtres de Nubie
Les lions de Barcavlderoient la Lybie.
L'ours n'attaque jamais le pas-
sant, à moins qu'il ne soit provo-
qué , ou qu'il ne craigne pour ses
petits ; et si les déserts de Barca
pouvoient être habités par des
hommes , les lions n'y demeure -
roient pas long-temps. Mais nos
philosophes incrédules nous ob-
jectent fort sérieusement que cet
empire prétendu de l'homme sur
les animaux est chimérique: le re-
quin , disent-ils, engloutit le mate-
AjSI
lot qui tremble à sa vue ; le cro-
codile dévore le vil Egyptien qui
l'adore ; toute la nature insulte à
la majesté de l'homme. Les mani-
chéens faisoient déjà cette objec-
tion. Saint Augustin , I. i^ de Gen.,
c. 18.
Cela prouve seulement que le
roi de la nature trouve quelquefois
des rebelles parmi ses sujets ; mais
il ne s'ensuit pas de là que sa do-
mination soit injuste ou chimé-
rique. Pour un matelot englouti
par les requins, il y a mille requins
harponnés par les hommes ; pour
un Egyptien dévoré par les croco-
diles, il y amille crocodiles éventrés
par les Egyptiens. L'empire de
l'homme sur les animaux n'est
point illimité ni affranchi des
règles de la prudence ; lorsque les
forces lui manquent , l'industrie
y supplée et le rend enfin le maître.
La férocité de plusieurs animaux
est une des raisons qui forcent les
hommes à se rassembler et à vivre
en société.
D'autres ontprétendu, avec aussi
peu de raison, que l'Ecriture sainte
semble attribuer aux animaux de
l'intelligence , de la réilexion , et
les mettre au niveau de l'homme.
Gen. , c. 9 , jd. 5, Dieu dit à Noé
et à ses enfants : « Je vengerai vo-
» tre sang sur tous les animaux et
» sur l'homme qui l'aura répandu;
" y • 9 » j* vais faire alliance avec
» vous et avec les animaux, n Mais
ley^. 5 est plus clair dans le texte
samaritain ; il y a : <c Je redeman-
» derai votre sang à la main de tout
» vivant , de tout homme , etc. »
Il n'estpas question là des a/ïïmaujc.
On sait que dans l'Ecriture sainte
le mot alliance signifie souvent une
simple promesse : Dieu promet ,
y^ . ^ et suiv. , de ne plus détruire
les hommes ni les animaux par un
déluge universel. C'est à quoi se
borne cette alliance.
A la vérité, la plupart des peu-
ples ont été dans la fausse per-
AJNl
suasion '|uc les animaux ont une
âme iulcllif^cntc et raisounahlc ,
qu'ils ont même plus de prévoyance
el <le saf;acilc que l'homme , cl
qu'ils coiuioissenl l'avenir ; plu-
sieurs pliilosophes eu ont eu cette
opinion. Ce.lse soutient fort sérieu-
sement que les animaux ont plus
«le raison , plus de sagesse , plus
de vertu que l'homme, et sont dans
un commerce plus intime avec la
Divinité. Dans Origène, 1. 4, "• 88.
De là est venu le culte que les
Egyptiens rendoient à plusieurs
espèces A^animaux.
Mais les adorateurs du vrai Dieu
n'ont jamais adopté cette erreur ,
et l'Ecriture sainte n'y donne au-
cun lieu ; elle met une différence
trop marquée entre l'homme et
les animaux, pour que l'on ait pu
s'y tromper. Voyez Ame. Comme
nous sommes éclairés par la révé-
lation , il nous semble qu'il n'y
a voit rien de si aisé que de pré-
venir toute illusion sur ce point
essentiel ; mais enfin les philo-
sophes n'étoient pas stupides , et
cependant ils pensoient comme
le peuple , et comme font encore
aujourd'hui les Nègres et les Sau-
vages. Nous ne devons donc pas
attribuer à une supériorité de rai-
son naturelle les réllexions que
nous faisons sur ce sujet , et par
lesquelles nous démontrons la dif-
férence infinie qu'il y a entre
l'homme et les brutes.
Les Egyptiens rendoient un culte
religieux à plusieurs espèces d'a-
nimaux , parce qu'ils les suppo-
soient animés par un dieu, par un
génie bienfaisant, ou par un esprit
redoutable ; ils les consul toient
pour connoître l'avenir. Les Grecs
consacrèrent aux dieux certains
animaux , par des raisons bizarres.
Les Romains n'entreprenoient au-
cune expédition sans avoirconsulté
le vol des oiseaux ou l'appétit des
poulets sacrés. Pendant qu'ils don-
iioienl les invalides aux animaux
i.
ANI ,45
qui leur avoient rendu de bons
services, ils faisoient , pour leur
plaisir , combattre des hommes
contre des animaux féroces, et ils
se jouoient de la vie des esclaves.
Telle a été la démence des peuples
qui ont été regardés comme les
plus sages.
Animaux purs ou impurs. D'où
est venue cette distinction ? Elle
est aussi ancienne que le monde ,
puisqu'elle se trouve déjà observée
par Noé , dans le choix qu'il fit
des animaux qui dévoient entrer
dans l'arche. Gen., c. 7, ^. 2. Dans
les climats plus chauds que le nôtre,
l'usage trop fréquent ou excessif
de la chair des animaux cause
infailliblement des maladies, et il
en est plusieurs dont il faut s'abs-
tenir entièrement . Comme les
hommes ont offert de tout temps
à Dieu les aliments dont ils se
nourrissoient , ils ont jugé qu'il
ne convenoitpas d'offrir à la Divi-
nité des chairs dont ils ne pou-
voient pas se nourrir, et pour les-
quelles ils avoient de l'aversion.
Les animaux exclus des offrandes
et des sacrifices ont donc été regar-
dés comme impurs, comme indignes
d'être offerts à Dieu. Cependant
Moïse non-seulement s'est réglé
sur cette connoissance pour dé-
signer les victimes dont les Juifs
pouvoient faire usage, et dont ils
pouvoient manger la chair , mais
il a été inspiré de Dieu pour leur
intimer ce précepte. Il n'y avoit
en cela ni superstition, ni allusion
à aucune fable. Si dans la suite
les nations idolâtre-s ont imaginé
de fausses raisons de cette distinc-
tion, cela ne déroge en aucune ma-
nière à la sagesse du législateur
des Juifs. On sait avec quelle exac-
titude les prêtres égyptiens avoient
réglé le régime diététique qui de-
voit être observé par le peuple,
quels inconvénients résultent de la
malpropreté, de la paresse, de la vo-
racité des Egyptiens mahomélans.
10
i/,6 ANN
La plupart des animaux que
Moïse avoit ordonné d'immoler
en sacrifice, étolcnt honorés d'un
cul le superstitieux par les Egyp-
tiens. Spencer , De legib. Hebr.
ritual. , 1. 2 , c. 4 5 sect. i". C'est
pour cela que quand Pharaon dit
a Moïse : <« Offrez, si vous voulez,
» des sacrifices à votre Dieu dans
w ce pays-ci ; Moïse lui répondit:
» Cela ne se peut pas ; nos sacri-
» fices seroient une abomination
w aux yeux desEgiyptiens ; ils nous
» lapideroient, s'ils nous voyoicnt
» immoler les fln/wzai^.r qu'ils ado-
» rent. » Exod. , c. 8, y. 25.
Lorsque l'Evangile s'est étahli ,
la distinction des amn,.aux purs
et impurs est devenue très-inutile;
les sacrifices sanglants on tété abolis
par Jésus-Christ , et les nations
étoient assez policées pour n'avoir
plus besoin qu'on leur défendît
par religion les nourritures mal-
saines. Comme le christianisme
est destiné à tous les peuples et à
tous les climats, les institutions
locales ne doivent point y avoir
lieu. Lorsque l'Eglise défend de
manger de la viande, ce n'est pas
par régime de santé , mais par
mortification. Voyez Abstinence.
ANNEAU , ornement affecté aux
évèques pour marquer l'étroite al-
liance qu'ils ont contractée avec
l'Eglise par leur ordination, l'atta-
chement et l'affection qu'ils lui
doivent, etc. Voyez V Ancien Sacra-
Tnentaire par Grandcolas, première
partie, page 149.
ANNIVERSAIRES (les). Jours
anniversaires, chez nos ancêtres ,
étoient les jours où les martyres
des saiTits etoient annuellement
célébrés dans l'Eglise, comme aussi
les jours où, a chaque fin d'année,
l'usage étoit de prier pour lésâmes
des parents et amis trépassés.
Dan3 ce dernier sens, V anniver-
saire est le jour où , d'année en
ANN
année , on rappelle la mémoire
d'un défunt , en priant pour le
repos de son âme. Quelques au-
teurs en rapportent la première
origine au pape Anaclet, et depuis
à Félix L", qui instituèrent des
anniversaires pour honorer avec
solennité la mémoire des martyrs.
Dans la suite , plusieurs particu-
liers ordonnèrent par leur testa-
ment , à leurs héritiers , de leur
faire des anniversaires et laissèrent
des fonds tant pour l'entretien des
églises que pour le soulagement
des pauvres , à qui l'on d istribuoit
tous les ans, ce jour-là de l'argent
et des vivres. Le pain et le vin qu'on
porte encore aujourd'hui à l'of-
frande dans ces anniversaires ,
peuvent être des traces de ces dis-
tributions. On nomme encore les
anniversaires obits et services.
ANNONCL\DE , nom com-
mun à plusieurs ordres , les uns
religieux , les autres militaires ,
institués pour honorer le mystère
de l'Annonciation ou de l'incar-
nation.
Le prennier ordre religieux de
cette espèce fut établi en laSa, par
sept marchands Florentins ; c'est
l'ordre des servîtes ou serviteurs
de la Vierge. Voyez Servîtes.
Le second fut fondé à Bourges
l'an i5oo , par sainte Jeanne de
Valois , reine de France , fille de
Louis XI et femme de Louis XII ,
qui fit casser son mariage par le
pape Alexandre VI , du consente-
ment de cette vertueuse reine. Ces
religieuses ont un habit brun, un
scapulaire rouge, un manteau blanc
et un voile noir. Leur règle est
établie sur douze articles, qui re-
gardent douze vertus de la sainte
Vierge ; elie fut approuvée par
Aleianilre VI , Jules II, Léon X ,
Paul V et Grégoire XV. Le couvent
de Popiacourt à Paris est de cet
ordre.
Le troisième , qu'on appelle des
ANN
annoncindcs célestes ou filhs bleues ,
fut fonJé l'an i6o4, paruno. pieuse
veuve de Gènes , nommée Marie-
Victoire Fornaro , qui mourut
en 1617. Cet ordre a été approuvé
par le saint siège, et il y en a quel-
ques maisons en France. Leur
règle est beaucoup plus austère que
celle des annonciades fondées par
la reine Jeanne. Elles ont un habit
blanc, un sca[)ulaire et un manteau
bleu ; elles gardent la plus sévère
clôture.
ANNONCiAniî. Société fondée a
Rome dans l'église de Notre-Dame
de la INlinerve, Fan i46o, par le
Cfirdinal Jean de Turrecremala ,
pour marier des pauvres filles.
Elle a été depuis érigée en arclii-
confraternitè , et est devenue si
riche par les grandes aumônes et
legs qu'on y a faits , que tous les
ans , le aS de mars , fête de l'An-
nonciation de la sainte Vierge ,
elle donne des dots de soixante écus
romains chacune à plus de quatre
cents filles , une robe de serge
blanche , et un florin pour des
pantoufles. Les papes ont fait tant
d'estime de cette œuvre de piété ,
qu'ils vont en cavalcade, accom-
pagnés des cardinaux et de la no-
blesse de Rome , distribuer les
cédules de ces dots à celles qui
doivent les recevoir. Celles qui
veulent être religieuses ont le
double des autres , et sont distin-
guées par une couronne de fleurs
qu'elles portent sur la tête. Voyez
l'abbé Piazza, Riiratlo di Bnrtia
vioderna.
ANNONCIATION , est la nou-
velle que l'ange Gabriel vint donner
à la sainte Vierge , qu'elle conce-
vroit le Fils de Dieu par l'opération
du Saint-Esprit. Foj. Incarnation.
Les Grecs l'appellent £ua-/-/£Àt'cr/j.o;,
bonne nouvelle, et j^atptTitrfjo; , sa-
lutation .
Annonciation , est aussi le nom
d'une fête qu'on célèbre dans l'E-
ANN i/,7
glisc romaine , communément le a5
de mars , en mémoire de l'incar-
nation du Verbe divin. Le peuple
appelle celte fête Notre-Uai/ic de
Mars , à cause du mois ou elle
tombe.
Il paroît que cette fête eut de
très-ancienne institution dans 1 £-
glise latine: parmi les sermons de
saint A ugustin, qui mourut en 4^0,
nous en avons deux sur VAnnon-
dation , savoir, le dix-septième et
le dix-huitième de sanctis. Le Sa-
cramenlaire du pape Gélase I."
montre que c?tte fêleétoit établie
à Rome avant l'an 469 ; mais l'Eglise
grecque a des monuments d'un
temps en cote plus reculé. Proculu.s,
qui mourut en 44^5 ^^ saint Jean-
Chrysostôme en 4°? ■> ont dans
leurs ouvrages des discours sur ]<■
même mystère. Rivet, Petkins et
quelques autres écrivains protes-
tants ont à la vérité révoqué en
doute l'authenticité des deux ho-
mélies de ce dernier Père sur ce
sujet ; mais Vossius les admet, et
prouve qu'elles sont véritablement
de ce saint docteur.
Ainsi , Ringham s'est trompé ,
en reculant l'urigine de cette fêle
jusqu'au septième siècle. Origin.
ecclés., tom. g, 1. 20, c. 8, § 4-
Il est assez probable qu'elle fut
célébrée d'abord en mémoire de
l'incarnation du Verbe, et que l'u-
sage d'y joindre le nom de la sainte
Vierge est plus récent. Il en est
de même de la coutume de la so-
lenniser le 28 de mars. Les Grecs
la font comme nous ce jour-là ;
mais plusieurs Eglises d'Orient
l'ont placée au mois de décembre,
avant la fêle de Noël. Les Syriens
l'appellent Buscarahé , informa-
tion, et leur calendrier l'a fixée au
I." décembre. Les Arméniens la
font le 5 janvier , afin qu'elle
n'arrive pas en carême. Selon l'an-
cienne discipline , les fêtes elle
jeûne étoient regardés comme in-
compatibles,
10.
i48 ANIN
En Occident , mcmc variation.
L'on prétend que l'Eglise du Puy-
en^Vélay a conservé l'usage de cé-
lébrer cette fête pendant la semaine
sainte, lorsqu'elle y tombe, même
le vendredi saint : celle de Milan et
les Eglises d'Espagne la mettent au
dimanche avant Noël ; mais ces
dernières la font aussi en carême.
En 636 , le dixième concile de
Tolède ordonna que la fête de
V Annonciation de Notre-Dame et
de l'Incarnation du Verbe divin se
célèbreroit huit jours avant Noël,
parce que le 25 de mars, jour au-
quel ce mystère a été accompli ,
arrive ordinairement en carênae,
quelquefois dans la semaine sainte
ANO
appellent Zliaygadu, qui signifie
Annonciation.
ANNOTINE , pâquc annotine.
C'est ainsi qu'on appeloit l'anni-
versaire du baptême , ou la fête
qu'on célébroit tous les ans en
mémioire de son baptême, ou,
selon d'autres, le bout de l'an
dans lequel on avoit été baptisé.
Tous ceux qui avoient reçu le
baptême dans la même année ,
s'assembloient , dit -on, au bout
de cette année, et célébroient l'an-
niversaire de leur génération spi-
rituelle.
ANNUELLES ( offrandes ). Ce
ou pendant la solennité de Pâques, j sont celles que faisoient ancienne-
temps auquel l'Eglise est occupée ment les parents des personnes
d'autres mystères et de cérémionies décédées , le jour anniversaire de
différentes. Saint Ildefonse con
firma ce décret, et nomma cette fête
Y attente des couches de Notre-Dame.
Elle fut encore appelée la. fête des
o , ou de l'ô ; parce que , durant
cette octave on chant* chaque jour
pour le Magnificat une antienne
solennelle qui commence par ô ,
comme, o Rex geniium, ô Emma-
nuel, etc. C'est une exclamation de
joie et de désir.
Dans l'Eglise de Rome et dans
celles de France , celte dernière
fête ne se fait point , si ce n'est
dans quelques monastères d'an-
nonciades ou d'autres religieiises ;
mais depuis le i5 décembre jus-
qu'au 23, l'on chantetous les jours
à vêpres, au son des cloches, une
de ces antiennes , que le peuple
nomme les o de Noël, et que les
rubricaires appellent les grandes
antiennes, aniiphonce majores; elles
expriment les différents titres sous
lesquels les prophètes ont annoncé
le Messie.
Les Juifs donnent aussi le nom
èi' Annonciation à une partie de la
cérémonie de Pâques , celle où ils
exposent l'origine et l'occasion de
celle solennité, exposition qu'ils
leur raiort.
On appeloit ce jour un jour d'an,
et l'on y célébroit la messe avec
une grande solennité.
On nomme encore à Paris an-
nuel, une fondation de messes pour
tous les jours de l'année, à l'in-
tention d'un défunt : Fonder un
annuel. Y oytzV Ancien Sncramen-
taire par Grandcolas, i.'"®part. ,
pag. 529.
ANOMÉENS , ou dissemblables.
On donna ce nom, dans le qua-
trième siècle , aux purs ariens ,
parce qu'ils enseignoient que Dieu
le Fils étoit dissemblable , âvo^oaov,
à son Père, en essence et dans tout
le reste.
Ils eurent encore différents noms,
comme aéiiens , eunomiens , etc. ,
qu'on leur donna à cause d'Aétius
et d'Eunomius , leurs chefs. Ils
étoient opposés aux semi-ariens,
qui nioient , à la vérité, la con-
substantialité du Verbe avec le
Père, mais qui lui altribuoient une
ressemblance en toutes choses avec
lePère. Voyez Ariens, Semi-Arieîîs.
Ces variations firent que ces hé-
rétiques ne s'attaquèrent pas moins
ANS
vivement onlre. eux, qu'ils avoienl
altaqué les catholiques ; car les
semi-ariens condamnèrent les ano-
niécns dans le concile de Scleucie,
cl les anoniéens à leur tour con-
damnèrent les semi-ariens dans
les conciles de Constantinople et
d'Anlioche; ils effacèrent le mot
cfAoouatoç de la formule de Rimini
et de celle d'Antioche , en protes-
tant que le Verbe avoit non-seule-
ment une différente substance,
mais encore une volonté diffé-
rente de celle du Père, Socrate ,
livre 2 ; Sozomène, liv. 4; Théo-
doret, liv. 4-
ANOMIENS. Fo/czAntinomiens.
ANSELME (saint) , archevêque
de Cantorbéry , mort l'an i log, est
compté parmi les docteurs de l'E-
glise. Il a laissé plusieurs ouvrages
de théologie et de piété, dont le
PèreGerberon, bénédictin, a donné
une bonne édition in-folio. Ce saint
a été plus instruit et meilleur écri-
vain que son siècle ne sembloit le
comporter,
Mosheim convient qu'il excella
dans la dialectique , la métaphysi-
que et la théologie naturelle; qu'il
est l'auteur de l'argument dont on
a faussement attribué l'invention à
Descartes, c'est-à-dire de la dé-
monstration de l'existence de Dieu,
tirée de l'idée innée qu'ont tous les
hommes d'un être infiniment par-
fait. Il ajoute que ce saint arche-
vêque et Lanfranc , son prédéces-
seur et son maître, sont les vrais
fondateurs de la théologie scolas-
lique, mais qu'ils la traitèrent avec
plus de sagesse, de discernement
et de solidité que leurs successeurs.
Il dit enfin que saint Anselme fut
le meilleur moraliste de son temps ;
qu'il est le premier qui ait donné
un système général ou un corps
comj>let de théologie , mais que
cet ouvrage fut surpassé par celui
que coraviosa sur la fin de te même
ANT ,49
siècle llildobert , archevêque de
Tours. Hisi. ecclés. du onzième
siècle , a.*^ part., c. i , § 7 ; c. 3 ,
§ 5 et 6.
Cet éloge est confirmé par le
suffrage du traducteur anglois de
Mosheim, et par Brucker, Hist.
de la Philos., tom. 3, p. 664. H
n'est pas ordinaire aux protestants
de parler si avantageusement des
Pères de l'Eglise. Il y a une bonne
notice des ouvrages de sainl An-
selme dans les Vies des Pères et des
martyrs, tom. 3, p. 573.
ANTÉCÉDENT. Ce terme est
usité en théologie, où l'on dit, en
parlant de Dieu, décret antécédent,
volonté antécédente.
Un décret antécédent est celui
qui précède, ou un autre décret,
ou quelqueaction de la créature, ou
la prévision même de cette action.
Les théologiens sont fort jiar-
tagés pour savoir si la prédestina-
tion à la gloire est un décret
antécédent ou subséquent à la pré-
vision de la foi et des mérites d«
ceux qui sont appelés ; c'est une
opinion qu'on agite librement pour
et contre dans les écoles catho-
liques , et toutes deux sont fondées
sur des autorités et des raisons
très-fortes. Voyez Prédestination.
Volonté antécédente, dans un
sens général, est celle qui précède
quelque autre volonté , désir ou
prévision. On dit qu'il y a en Dieu
une volonté antécédente de sauver
tous les hommes ; mais, consé-
quemment à la prévision des crimes
de plusieurs , il ne veut plus les
sauver, mais les damner.
On dispute beaucoup dans les
écoles sur la nature de cette vo-
lonté : les uns prétendent que ce
n'est qu'une volonté de signe, une
volonté métaphorique, inefficace,
un simple désir qui n'a Jamais d'ef*
fct ; les autres , mieux fondés, sou-
tiennent que c'est une volonté de
bon plaisir , volonté sincère cl
i5o AM'
réelle, qui n'est privée de son der-
nier effet que par la faute des hom-
mes , qui n'usent pas, ou qui usent
mal des moyens que Dieu leur ac-
corde pour opérer leur salut. Cette
volonté est donc prouvée par son
effet immédiat, qui est d'accorder
des grâces. Voyez Grâce , § 3 ;
Salut.
Il est bon de remarquer que ce
terme antécédent n'est appliqué à
Dieu que relativement à notre ma-
nière de concevoir. En effet, Dieu
voit et prévoit en même temps et
sans diversité dans la manière ,
tant l'objet de sa prévision, que
les circonstances inséparables de
cet objet : de même il veut en même
temps tout ce qu'il veut, sans suc-
cession et sans inconstance : ce qui
n'empêche pas que Dieu ne puisse
vouloir ceci à l'occasion de cela ,
ou qu'il ne puisse avoir un désir à
cause de telle prévision. C'est ce
que les théologiens appellent ordre
ou priorité de nature , prioritas
naturœ , par opposition à l'ordre
ou à la priorité du temps, prioritas
iemporis.
ANTECHRIST. Ce terme est
formé de la préposition grecque
àv-zi , contra , et de XpiSTO; Chris-
tus. Il signifie en général un enne-
mi de Jésus-Christ , un homme qui
nie que Jésus-Christ soit venu, et
qu'il soit le Messie promis. C'est
la notion qu'en donne l'apôtre saint
Jean dans sa première épitre , c. 2.
En ce sens, on peut dire des Juifs
et des infidèleii que ce sont des
antechrists.
Par antechrist, on entend plus
ordinairement un tyran impie et
cruel à l'excès, qui doit régner sur
la terre lorsque le monde touchera
à sa fin. Les persécutions qu'il exer-
cera contre les élus , seront la der-
nière et la plus terrible épreuve
qu'ils auront à subir. Selon l'opi-
nion de plusieurs commentateurs ,
Jésus-Christ même a prédit que
ANT
les élus y auroient succombé, si
le temps n'en eût été abréjjé en
leur faveur : c'est par ce lléau que
Dieu annoncera le jugement der-
nier et la vengeance qu'il doit pren -
dre des méchants.
L'Ecriture et les Pères parlent
de Vantechn'si comme d'un seul
homme, auquel, à la vérité, ils
donnent un grand nombre de pré-
curseurs. Suivant saint Irénée,
saint Ambroise , saint Augustin
et presque tous les autres Pères,
Vantechrist doit être , non un
homme engendré par un démon,
comme l'a prétendu saint Jérôme,
ni un démon revêtu d'une chair
apparente et fantastique , moins
encore un démon incarné , comme
l'ont imaginé d'autres ; mais un
homme de la même nature et conçu
par la même voie que tous les au-
tres , qui ne différera d'eux que
par une malice et une impiété plus
digne d'un démon que d'un hom-
me. Comme les traits du tableau
qu'ils ont tracé ne sont que des
conjectures et n'ont aucun fonde-
ment solide , il est assez inutile de
nous y arrêter.
On sait que plusieurs écrivains
protestants ont trouvé bon d'appli-
quer au pape et à l'Eglise romaine
tout ce que l'Ecriture , et surtout
l'Apocalypse , dit de Vantechrist.
L'absurdité de cette idée n'a pas
empêché que les prolestants du
dernier siècle ne l'aient adoptée
comme un article de foi dans leur
dix-septième synode national, tenu
à Gap en i6o3. Us affectèi-entmême
de publier que Clément VIII, qui
décéda quelque temps après, étoit
mort de chagrin de celte décision ;
mais ce pontife , aussi-bien que le
roi Henri IV , qu'ils avoient déclaré
en plein synode race de Vante-
christ, n'opposèrent à leurs excès
que la modération , le mépris et le
silence.
Quoique le savant Gi'otius et le
docteur Hammond se fussent alla-
ATST
chés à détruire ces rêveries, ou a
vu, sur la fin ilu siècle dernier,
Joseph Mode en Angleterre, et le
ministre Juricu eu Hollande , les
présenter sous une nouvelle forme,
<jui ne lésa pas accréditées davan-
tage. Les catholiques ont démon-
tré le fanatisme des explications de
l'Apocalypse, par lescjuelles ces
écrivains s'efForçoient de montrer
que Vanteclirisi devoit paroître et
sortir de l'Eglise romaine vers
l'an 1710. Ou peut consulter sur
celte matière VHist.dcs Van'allons,
par INl. Bossuel, tom. 2,liv. i3,
depuis l'art. 2 jusqura. la fin du
même livre.
Il est fâcheux que cette idée bi-
zarre des protestants ait été consa-
crée à Genève par une inscription
qui fait pitié aux voyageurs sensés.
Pour en pallier l'absurdité, qucl-
quesprotestajitsontdit que, quand
ils soutiennejit que le pape est
Vanfechn'st, ils n'entendent point
parler de 53 personne, mais de son
autorité; r^uecelasignifie seulement
que sa domination est un règne
antichrétien, ou contraire à l'es-
prit du christianisme. Mais out-
ils prévu les conséquences de celte
prétention même? Jésus -Christ
avoil promis à son Eglise qu'il se-
roilavec elle justiu'a la consom-
mation des siècles, et que les portes
de l'enfer ne prévaudroient point
contre elle; il a si mal tenu sa pa-
role , que pendant plus de mille
ans, selon le calcul des protestants
mêmes, cette Eglise a reconnu pour
son pasteur légitime et pour vicaire
d e Jesus-Ch rist un personnage an li-
chrétien, et lui a constamment
attribué une autorité an tic h re-
tienne : ainsi, le royaume de Jé-
sus-Christ est devenu un roy-iume
anticVi rélien. Autant vaudroit dire
(ju'il n'y a pas eu de vrai christia-
nisme sur la terre depuis le cin-
quième siècle jusqu'au seizième , et
que l'anticlirislianisme en avoil
pris la place. Il faudroit même sup-
A.M i5i
poser que cet antichrlstianisme a
commencé immédialementaprès la
mort des apolres, si le portrait que
les protestants ont fait des pasteurs
de l'Eglise dans tous les siècles
étoit vrai; il nous paroît que de
toutes les opinions, il n'y en a
point de plus antichrétienne que
celle-là.
On trouve parmi les écrits de
Rabau-Maur, d'abord abbé de
Fulde, puis archevê(|ue de Mayen-
ce, auteur fort célèbre du neu-
vième siècle , un traite sur la vie et
les mœurs de Vanicclirist. I^ous n'en
citerons qu'un endroit singulier;
c'est celui où l'auteur, apresavoir
prouvé par saint Paul que la ruine
totale de l'empire romain, qu'il
suppose être celui d'Allemagne,
précédera la venue de Yantechrist ,
il conclut de la sorte : « Ce terme
» fatal pour l'empire romain n'est
» pas encore arrivé. Il est vrai que
» nous le voyonsaujourd'huiextre-
» memenl diminué, et pour ainsi
» dire détruit dans sa plus grande
» étendue : mais il est certain que
)) son éclat ne sera jamais entière-
» ment éclipsé; parce que , tandis
» que les rois de France, qui en
» doivent occuper le trône, subsis-
» teronl, ils en seront toujours le
» ferme appui. Quelques-uns de
n nos docteurs assurent que ce sera
» un roi de France qui , a la fin du
» monde, dominera sur loulTem-
» pire romain. »
11 ne paroîl pas que nos rois
aient jamais compte beaucoup sur
cette prédiction.
Maivenda , théologien espagnol,
a donné un long et savant ouvrage
sur VanfechrisL Son traité esl di-
visé en treize livres. Il expose dans
le premier les différentes opinions
des Pères touchant Vaniechrisl. Il
détermine, dans le second, le
temps au(juel il doit paroître, et
prouve que tous ceux qui ont assuré
que la venue de Yantechrist étoil
proche ontsupposéenmêmetcmps
i52 ANÏ
que la fin du monde n'éloit pas
éloignée. Le troisième est une dis-
sertation sur l'origine de Vanie-
christ , et sur la nation dont il doit
être. L'auteur prétend qu'il sera
juif et de la tribu de Dan, et il se
fonde sur l'autorité des Pères et
sur le^. 17 du chap. 49 de la Ge-
nèse , où Jacob mourant dit à ses
fils : Dan est un serpent dans le
chemin , et un céraste dans le sen-
tier; et sur le chap. S, S- 16 de
Jércmie, où il est dit que les ar-
mées de Dan dévoreront la terre ;
et encore sur le chap. 7 de V Apo-
calypse, où saint Jean a omis la
tribu de Dan , dans l'énumération
qu'il fait des autres tribus. Il traite,
dans le quatrième et le cinquième,
des caractères de Vantechrist. Il
parle dans le sixième de son règne
et de ses guerres ; dans le septième ,
de ses vices; dans le huitième, de
sa doctrine et de ses miracles ;
dans le neuvième , de ses persécu-
tions ; et dans le reste de l'ouvrage,
de la venue d'Enoch et d'Elie, de
la conversion des Juifs, du règne
de Jésus-Christ et de la mort de
Vantechrist, qui arrivera après un
règne de trois ans et demi. Il ne
manque à toutes ces belles choses
que des preuves et du bon sens.
Ceux qui voudront prendre la
peine de lire la longue dissertation
sur Vantechrist, que l'on a placée
dans la Bible d'Avignon, t. 16,
p . 39, n'en seron t pas plus instruits.
S'il nous est permis d'en dire
notre avis, nous pensons que c'est
une mauvaise manière d'expliquer
l'Ecriture sainte , que de rappro-
cher l'une de l'autre des prédictions
qui ont un objet tout différent, de
prendre à la lettre des expressions
qui sont évidemment figurées et
hyperboliques, desupposer au con-
traire des figui'es où il n'y en a point,
et où l'on trouve un sens littéral
très-clair et très-simple. Il n'est
pas sûr queMalachie, en annonçant
le retour d'Elie , ait voulu parler
AINT
de cet ancien prophète, puîs({ue
Jésus-Christ a fait à saint Jean-
Baptiste l'application de cette pré-
diction. Voyez Eue. Il n'est pas
certain que Jésus-Christ lui-même
ait prédit la fin du monde , pu isque
tout ce qu'il dit peut s'entendre
de la ruine de Jérusalem, et delà
fin de la république juive; plusieurs
interprètes catholiques l'ont ainsi
entendu. Voyez Fin du monde. Il est
fort douteux si , dans la seconde
épître aux Thessaloniciens , saint
Paul , par Vhomme de péché , a
voulu désigner l'an/ec^m/, ou un
des persécuteurs qui avoiententre-
pris la ruine du christianisme.
Nous n'avons aucune preuve cer-
taine que saint Jean, par Vante-
christ, ait entendu un seul homme,
puisqu'il dit qu'il y a eu plusieurs
antechrists , etc. Enfin, l'on ne peut
pas prouver qu'il est question de
ce personnage dans l'Apocalypse.
Que peut-il donc résulter de la
comparaison de quatre ou cinq
prophéties dont le sens n'est pas
clair, sur l'explication desquelles
les interprètes ne sont point d'ac-
cord , et qui peut-être n'ont aucun
rapport entre elles PNotre religion
n'a pas besoin de conjectures , de
vains systèmes , de figurisme ar-
bitraire , pour se soutenir ; la fu-
reur de lui donner de pareils ap-
puis ne peut que lui nuire et donner
prise à ses ennemis. Voyez Figu-
risme.
ANTÉDILUVIENS , hommes
qui ont vécu avant le déluge. L'E-
criture nous les représente comme
une race d'impies et d'hommes
pervers ; elle dit que leur malice
étoit extrême et toutes leurs pen-
sées tournées vers le mal , que
toute chair avoit corrompu sa
voie. « Dieu dit , ajoute la vujgate,
» Mon esprit ne demeurera point
» avec l'homme pour toujours ,
» parce qu'il est charnel ; je ne le
» laisserai plus vivre que cent vingt
ANT
» a»s. » Gcn. , c. 6, y . 3. A ce sii-
jcl, saint Jérôme lait une oLser-
valioii remarquable. « Il y a, selon
»> rhébreii , jnon esprit ne jugera
» pas CCS Juminics pour Vélcrnilc ,
» parce qu^ils sont de clinir ; c'est-à-
*> (lire , je ne les réserverai pas à
» des châtiments éternels , parce
» que la nature de l'homme est fra-
M gile ; mais je leur rendrai ce qu'ils
» méritent. Ainsi ce verset n'cx-
»> prime point la sévérité de Dieu,
» comme dans nos versions ; mais
» sa clémence , lorsque le pécheur
» est puni en ce monde pour ses
» crimes. » In Gcn. , c. 6. En effet,
le texte hébreu et le samaritain
portent littéralement le sens qu'y
a vu saint Jei'ôme. De là les Pères
ont conclu que par le déluj^e Dieu
a puni les pécheurs en ce monde,
pour leur faire miséricorde en
l'autre. Origène, Hom. i , inEzech.,
11. 2. Tertuli. , X(. deBapt., c. 8.
Saint Jean - Chrysostôme , in Ps.
I lo , n. 3. Saint Jérôme , Epist. ad
Océan., tom. 4, 2.^ part. , p. 65o.
Saint Augustin, in Ps. 58, serm. 2,
n.6; serin. 171, cfe vcrbis apost. ,
n. 5, etc. Ils ont présumé que,
comme le déluge n'arriva pas tout
•à coup et dans un seul instan t, mais
peu à peu, les pécheurs curent le
temps de demander pardon à Dieu,
et que le Seigneur se servit de la
crainte de la mort pour leur inspi-
rer le repentir.
ANTHOLOGE, du grec à^Ooloy^ov,
que nous rendrions en latin par
/Inrilegium , recueil de Heurs
C'est un recueil des principaux
ofllces qui sont en usage dans l'E-
glise grecque. Il renferme les offices
propres des fêtes de Jésus-Christ,
de la sainte Vierge et de quelques
saints ; de plus , des offices pour
les prophètes , les apôtres , les
martyrs, les confesseurs , les vier-
ges , etc. Léon Allatius , dans sa
première Dissertation sw les livres
ecclésiastiques des Grecs , en parle ,
ANT ,53
mais avec peu d'éloge Ce n'etoil
d'abord qu'un livret, que l'avidité
ou la fantaisie de ceux qui l'ont
augmenté , a beaucoup grossi ; mais
qui , à quelques nouveautés prés ,
ne contient rien qui ne se trouve
dans les menées et dans les autres
livres ecclésiastiques des Grecs.
Outre cet anihologe , qui est à
l'usage des Eglises grecques , An-
toine Arcudius en a publié un nou-
veau sous le titre de nouvel Antho'
loge ou Florilège, imprimé à Rome
en iSgS: c'est un abrégé du pre-
mier, une espèce de bréviaire rac-
courci et commode dans les voyages
pour les prêtres et les moines grecs,
qui ne peuvent porter le premier,
à cause de son extrême grosseur ;
mais il est encore moins que celui-
ci du goût d'Allatius, qui accuse
l'abbréviateur de plusieurs altéra-
tions et infidélités considérables.
Allât. , de libr. Eccl. Grœc. R.; Si-
mon , Suppl. aux cérém. des Juifs.
ANTHROPOLOGIE , mot formé
du grec œv0p&)7toi;, homme, et ).oyoç,
parole ; c'est une manière de s'ex-
primer par laquelle les écrivains
sacrés attribuent à Dieu des mem-
bres , des actions ou de-s affections
qui ne conviennent qu'à l'homme;
et cela pour s'accommoder à la
foiblesse de notre intelligence.
Ainsi il est dit dans la Genèse, que
Dieu marchoit dans le paradis ter-
restre , qu'il appela Adam, qu'il se
repentit d'avoir fait l'homme; dans
les psaumes , que les cieux sont
l'ouvrage des mains de Dieu , que
ses yeux sont ouverts et veillent sur
l'indigent, etc.
Vainement les manichéens se sont
scandalisés autrefois de ces expres-
sions , et ont accusé d'erreur les
écrivains de l'ancien Testament ;
plus vainement encore , d'autres
hérétiques les ont prises à la lettre,
et en ont conclu que Dieu a une
forme humaine. 1/Ecriture nous
enseigne assez ( lairemcnl que Dieu
i54 ATST
est un être purement spirituel ,
simple , sans composition et sans
parties. Mais pour faire compren-
dre aux hommes les opérations de
Dieu, il a fallu se servir du lanj^age
humain ; et ce langa^^e ne peut
fournir, pour exprimer les actions
de Dieu, d'autres termes que ceux
qui désignent les actions des hom-
mes. Ces termes, à l'égard de Dieu,
sont des métaphores qui nous ap-
prennent seulement que Dieu agit,
produit,par un simple acte de sa vo-
lonté, les mêmes effets que s'il a voit
des pieds , des mains, des yeux, etc.
Kous tombons dans le même
inconvénient à l'égard des opé-
rations de notre àme. Comme les
organes du corps sont les instru-
ments par lesquels nous exerçons
nos facultés spirituelles , il est
naturel d'exprimer celles-ci par
les fonctions corporelles. Nous
disons d'un homme de génie que
c'est une bonne tète, d'un esprit
pénétrant qu'il a de bons yeux,
d'un homme puissant qu'il a le
bras long , etc. Ce langage ne
trompe personne. Ainsi, par ana-
logie, les yeux de Dieu sont la
oonnoissance qu'il a de toutes
choses; sa main, son bras, est
sa puissance; sa bouche , sa pa-
role, sont les signes qu'il donne
de sa volonté, etc. Le psalmiste
dit que les cieux sont l'ouvrage
des doigts de Dieu, afin de nous
faire comprendre que Dieu les a
faits sans y employer toutes ses
forces, mais avec autant de facilité
que ce que nous faisons du bout des
doigts. K.lesdeuxarticlessuivants.
ANTHROPOINIORPHISME,
ANTHROPOMORPlilTES, termes
formé d'av6j3to7ro; , homme , et
de iioftfT, ,* forme. \j anthropomor-
phisme est l'erreur de ceux qui
attribuent à Dieu une figure hu-
maine, un corps humain. D'an-
ciens hérétiques prirent à la lettre
les anthropologies de l'Ecriture ,
ANT
et ce qu'elle nous dit que Dieu a
fait l'homme à son image et à sa
ressemblance. Ils en conclurent
que Dieu a réellement des pieds,
des mains , des yeux et un corps
comme le nôtre; que les patriar-
ches avoient vu Dieu , non sous
une figure empruntée, mais dans
sa propre substance divine. Us
nommoient origenisien , ceux qui
l«ur soutenoient que Dieu est un
être purement spirituel: Us allé-
gorisent, disoient-ils, comme Ori-
gene, les paroles de l'Ecriture qui
prouvent que Dieu a un corps
comme nous.
Saint Epiphane appelle les an-
ihropomorphiies,audiens, d'un cer-
tain Audius , que l'on croit avoir
été leur chef, et qui a vécu dans
laMésopotamie; il éloit à peuprés
contemporain d'Arius : saint Au-
gustin les nomtnç vadienSyVadiani.
Mosheiro qui croit sur des preu-
ves assez légères que Vanihropo-
morphisme éloit une erreur très-
commune dans les premiers siè-
cles de l'Eglise, non-seulement
parmi les fidèles , mais parmi
les èveques, avoue néanmoins que
ceux qui le soutenoient, n'attri-
buoient pas à Dieu un corps
grossier et charnel, mais un corps
subtil et délié, semblable à la lumiè-
re , organisé comme le corps hu-
main , non par nécessité , mais
pour l'ornemejit et pour se rendre
visible aux bienheureux.
Tertullien semble être tombé
dans VanlfiropomorpJiisme ; mais
on peut aisément l'en disculper,
puisqu'il a démontré, contre Her-
mogène, que Dieu est créateur
de là matière ; il auroit donc
fallu que Dieu créât son propre
corps , absunlité qui n'est jamais
venue dans l'esprit de Tertullien.
Ce Père pense que , quand Dieu
est apparu aux patriarches, ce
n'étoit pas Dieu le père, mais
son Fils , qui , en prenant une
figure humaine , prcludoit, pour
AiNT
ainsi dire, à rincarnalion. Adf.
Marcion., 1. 2, c. 27. Il cloit donc
hicn persuadé, que Dieu n'a point
de corps.
Mosheim rapporte qu'au dixième
siècle cette erreur fut renouvelée
en Italie par des gens du com-
mun , et même par des ecclésias-
tiques, et qu'ils y furent induits
par l'habitude de voir des imafçes
dans les églises. Quand cela sercit ,
il ne s'ensuivroit rien contre le
culte des images : les anlhropo-
morphiies du quatrième siècle
avoient été induits en erreur par
plusieurs passages de l'Ecriture
sainte grossièrement entendus. Ce-
pendant les protestants veulcntque
les hommes les plus ignorants li-
sent l'Ecriture sainte.
Aujourd'hui, parmi les incré-
dules modernes , les uns accusent
àH anihroponinrphisine tous ceux qui
admettent un Dieu; parceque nous
ne pouvons penser à Dieu sans
nous en former une image. Mais
cette illusion de l'imagination ne
prouve rien , dès que nous faisons
profession de croire que Dieu est
un pur esprit. Toutes les fois que
nous entendons nommer un objet
que nous n'avons jamais vu , nous
nous en formons une image , et
cette image est toujours très-diffé-
rente de ce qu'est l'objet eu lui-
même : il ne s'ensuit rien.
D'autres reprochent aux théo-
logiens V anthropomorpJiIsrne s/)iri-
iuel, c'est-à-dire, d'attribuer à
Dieu toutes les qualités humai-
nes, l'entendement, la volonté, la
science, la sagesse, etc. De ce
langage, disent-ils, il s'ensuit
que Dieu est de même nature que
nous, un homme comme nous,
quoiqueplusp;irfait peut-être que
nous. Quand cela seroit vrai,
faudroit-il embrasser l'athéisme,
parce que nous ne pouyOJis avoir
de Dieu des idées dignes desa gran-
deur et de ses perfections infinies ?
OU faut-il nous abstenir de penser
AINT
i55
à Dieu et d'en parler, parce que
le langage humain n'est pas assez
parlait;' Mais le reproche des
athées est mal fondé. Nous croyons
et nous déclarons qu'en Dieu toute
perfection est infinie, exempte de
Ions les défauts de riiomme , mais
que notre esprit borné ne peut
rien concevoir d'infini : il n'y a
donc là aucun danger d'erreur.
I^ny. Attributs, et l'article sui-
vant.
ANTHROPOPATHIE ; figure ,
expression, discours par lesquels
on attribue à Dieu les passions
humaines , comme l'amour, la
haine, la colère, la jalousie , etc.
Ce n'est pas la même chose qu'a/?-
Ihropolngie : celle-ci a lieu lors-
qu'on attribue à Dieu quelque
chose que ce soit qui convient à
l'homme, commedesmerabres, etc.
AnihropapalJiie ne se dit que
quand on lui prête des passions
ou des affections humaines.
Puisque Dieu f-St immuable et
souverainement parfait, il est
évident qu'on ne peut lui attri-
buer des passions , non plus que
des membres corporels , sinon
dans un sens méta[)horique. On
dit que Dieu est irrité, lorsqu'il
punit , qu'il hait les impies, par
la même raison qu'il est jaloux
de son culte , parce qu'il défend
de le rendreà d'autres qu'à lui, etc.
Voyez Glassii PJiilolog. Sacra ,
col. i53o et suiv.
Tertullien disoit aux marcio-
niles, qui se scandalisoient de ce?
expressions de l'Ecriture sainte ;
« Je vous répète que Dieu n'a pu
') converser avec les hommes , à
') moins qu'il ne daignât parler
» comme eux, s'attribuer leurs
» sentiments et leurs affections.
» Il falloitcelangage humain, pour
» mettre à portée de notre foi-
» blesse les grandeurs de la majesté
>) suy)r?me. Si cela paroît indigne
)) de Dieu , cela est nécessaire à
i56 ANT
» rhomme : or, rien n'est pjus di-
» gne de Dieu que rinslruction et
)> le salut de ses créatures. » Adv.
Marcion. , 1. 2 , c. 27. Origène ,
contie Celse, 1. 4, «• 71 clsuiv. ;
saint Cyrille, contre Julien, 1. 5,
p i5i — i54, répondent de même.
ANTHROPOPHAGES , peuples
qui mangent delà chair humaine;
leur nom vient d'avOpuiro; , hom-
me, et de ipaisvv, mangei-. Avant
que les hommes , devenus sauva-
ges , eussent été adoucis par la
culture des arts et civilisés par
des lois, il paroît que la plupart
des peuples mangeoientdela chair
humaine: les Sauvages en mangent
encore; les Grecs et les Romains
attribuoient à Orphée la réforme
de cet horrible usage. Croiroit-
on qu'il a plu à un philosophe
de notre siècle d'accuser les Juifs
d'avoir été anthropophages ? Nous
lisons dansEzéchiel, c. 3i et suiv. :
« Dites aux oiseaux du ciel et aux
» bêtes de la campagne : Venez,
» accourez à la victime que je vais
» immoler sur les montagnes d'Is-
3> raël , pour vous en faire manger
)> la chair et boire le sang. Vous
)) mangerez la chair des guerriers ,
» vous boirez le sang des grands
» de la terre , des béjiers et des
» taureaux, etc. » Selon le phi-
losophe dont nous parlons, les
oiseaux du ciel et les bêtes de la
campagne sont les Juifs,
Nous ne relèverions pas cette
ineptie, si nous ne savions jus-
qu'à quel point les disciples des
philosophes portent l'incrédulité.
ANTI-ADIAPHORISTES,c'est-
à-dire , opposés aux adiaphoristes
ou indifférents. Voyez Adiapho-
ristes.
Dans le seizième siècle , ce nom
fut donné à une secte de luthé-
riens rigides, qui refusoient de
reconnoître la juridiction des évê-
qucs, et improuvoicnt plusieurs
ANT
cérémonies de l'Eglise observées
par les luthériens mitigés. Voyez
Luthériens .
ANTIDlCOMARIATES,anciens
hérétiques qui ont prétendu que
la sainte Vierge n'avoit pas con-
tinué de vivre dans l'état de vir-
ginité; mais qu'elle avoit eu plu-
sieurs enfants deJoseph son époux,
après la naissance de Jésus-Christ.
Voyez Vierge.
On les appelle aussi antidico-
mariies , et quelquefois antima-
rianiles et antimariens. Leur
opinion étoit fondée sur des pas-
sages de l'Ecriture , où Jésus fait
mention de ses frères et de ses
sœurs ; et sur un passage de sainU
Matthieu, oùil est dit que Joseph
ne connut point Marie jusqu'à ce
qu'elle eut mis au monde notre
Sauveur. Mais on sait que chez
les Hébreux, les frères et les sœurs
signifient souvent les cousins et
les cousines.
Les antidicomarianites étoient
des sectateurs à'Helvidius et de
Joeinien , qui parurent à Rome
sur la fin du quatrième siècle.
Us furentréfutés par saint Jérôme.
ANTIENNE , en latin aniipho-
na , du grec àvTc , contre , et (ftavh ,
voix, chant.
Les antiennes ont été ainsi nom-
mées , parce que dans l'origine on
les chantoit à deux chœurs , qui
se répondoient alternativement ;
et l'on comprenoit sous ce titre
les hymnes et les psaumes que
l'on chantoit dans l'église. Saint
Ignace , disciple des apôtres , a
été, selon Socrate, l'auteur de
cette manière de chanter parmi
les Grecs ; et saint Ambroise l'a
introduite chez les Latins. Théo-
dore en attribue roriginc à Dio-
dore et à Flavien.
Quoi qu'il en soit, on comprenoit
sous ce titre tout ce qui se chantoit
par deux chœurs dans l'église aller-
AINT
nalivomcnt. AnjoaitVluii la signi-
ficalioii (le ce leriiic eslrcslreiuteà
certains passages courts lires tle
l'EcritTire, qui conviennent au
mystère, à la vie ou à la dignité
du saint dont, on célèbre la lé.te ,
et qui, soit dans le chant, soitdans
la l'écitation del'otfice, précèdent
les psaumes et les cantiques. Le
nombredes antiennes variesulvant
la solennité plus ou moins grande
des offices. L'intonation de Van-
tienne doit toujours régler celle des
psaumes. Les premiers mots de
Vanliennc sont adressés par un
choriste à quelque personne du
clergé , qui la répète ; c'est ce qui
s'appelle imposer et entonner une
antienne. Dans l'office romain ,
après l'imposition de Vantiennc,
le chœur poui'suit et la chante
toute entière avant le psaume , et
après le psaume tout le chœur
la repète.
On donne aussi le nom à^ an-
tienne à quelques prières particu-
lières que l'Eglise romaine chante
à l'honneur de la sainte Vierge ,
et qui sont suivies d'un verset et
d'une oraison, telles que le Salve,
Rcgina , Regina cœli , etc.
ANTILUTHÉRIENS ou SACRA-
MENT AIRES, hérétiques du sixiè-
me siècle, qui, ayant rompu de
communion avec l'Eglise, à l'imita-
tion deLuthcr, n'ont cependant pas
suivi ses opinions, et ont formé
d'autres sectes, telles que les cal-
vinistes, les zuingliens, etc.
ANTIMENSE, est une sorte de
napjie consacrée, dont on use en
certaines occasions dans l'Eglise
grecque, dans les lieux où il ne
se trouve point d'autel convenable.
Le Père Goar observe , qu'eu
égard au peu d'églises consacrées
qu'avoient les Grecs, et à la diffi-
culté du transport des autels con-
.sacrés , cette Eglise a fait durant
des siècles entiers usage de cor-
ANT 15;
tailles étoffes consacrées , ou de
linges appelés antimensia , pour
suppléer à ces défauts.
ANTINOMIENS ou ANO-
MIENS , ennemis de la loi. Plu-
sieurs sectes d'hérétiques ont été
ainsi appelées.
1.° Les anabaptistes, qui soutin-
rent d'abord que la liberté évan-
gélique les dispensoit d'être sou-
mis aux lois civiles , et qui prirent
les armes pour secouer le joug
des princes et de la noblesse. En
cela, ils prétendirent suivre les
principes que Luther avoit établis
dans son livre de la liberté évan~
gélique. Voyez Anabaptistes.
2.° Les sectateurs de Jean Agri-
cola, disciple deLuther, né comme
lui à. Islcbe , ou Aisleben , dans la
Basse -Saxe, d'où ces sectaires
furent aussi nommés Islébiens.
Comme saint Paul a dit que
l'homme est justifié par- la foi,
sans les œuvres de la loi ; que la
loi est survenue de manière que
le péché s'est augmenté; que si
l'on peut être juste par la loi ,
Jésus-Christ est mort en vain, etc.
Luther et ses disciples en pri-
rent occasion de soutenir que
l'obéissance à la loi et les bonnes
œuvres ne servoient de rien à la
justification ni au salut. Ils ne
vouloient pas voir que , dans tous
ces passages , saint Paul parle de
la loi cérémonielle , et non de la
loi morale contenue dans le Dé-
caloguc,puisqu'en parlant de celle-
ci , il dit que ceux qui accomplis-
sent la loi seront justifiés. Rom ,
c. 2, f. i3.
Mosheimafaitcequ'il a pu pour
pallier la turpitude de la doctrine
de Luther , et les pernicieuses con-
séquences qui s'ensuivoient. Pen-
dantqueLulher, dit-il , inculquoit
aux peuples la doctrine de l'Evan-
gile , qui nous représente les mé-
rites de Jésus - Christ comme la
source du salut des hommes; peu-
i58 ANT
dant qu'il ré.futoit les papistes , qui
confondent la loi avec l'Evangile ,
etqui nous reprcsentcntle bonheur
éternel comme la recompense de
l'obéissance iej^ale, il s'éleva un fa-
na tique nommé <\°;ricola, qui abusa
de sa doctrine, et ouvrit la porte
aux erreurs les pi us pernicieuses.il
se mi là déclamer contre la loi , sou-
tenant qu'il ne convenoit point de
la proposer au peuple comme une
règle de mœurs, et que l'on devoit
seborner a enseigner et à expliquer
l'Evangile ; ses sectateurs furent
nommes aniinomîens. Ceux qui les
ont combattus , prétendent que
leur morale étoit très - dissolue ;
que, selon leur doctrine , un hom-
me pouvoit se livrer à ses pas-
sions et transgresser sans remords
la loi divine, pourvu qu'il fût tou-
jours attaché à Jésus-Christ , et
qu'il embrassât ses mérites par une
foi vive.
Mais , continue Mosheim , il ne
faut pas croire aveuglément toutes
ces imputations: le principal cri-
med'Agricola consistoit dans quel-
ques expressions malsonnantes ,
inexactes et impropres , qu'il ne
faut pas prendre à la rigueur. Sa
doctrine consistoit à soutenir que
les dix commandements donnes à
Moïse ne regardoient proprement
que les Juifs ; que les chrétiens
pouvoient les négliger sans pé-
cher ; qu'il sufflsolt d'expliquer
clairement et d'inculquer ce que
Jésus-Christ et ses apôtres avoienl
enseigné dans le nouveau Testa-
ment , tant au sujet de la grâce et
du salut, que par rapportaux obli-
gations du repentir et de la vertu.
La plupart des docteurs de ce siè-
cle ont le défaut de ne j>o!nt ex-
pliquer leurs sentiments d'une ma-
nière claire et suivie ; de là vient
qu'on leur impute des opinions
qu'ils n'ont jamais eues. Hisi. ec-
clésiast. , seizième siècle, sect. 3 ,
2.* part. , c. t , § 25 et 26.
Cette apologie d'un sectaire fa-
ANT
nalique est un chef-d'œuvre d'eji-
têtement et de mauvaise foi. Jin
pi'cmier lieunous défions Mosheim
et tous les protestants de citer un
seul théologien catholique quin'ait
pas représente les mérites de Jé-
sus-Christ comme la source du
salut des hommes; qui ait attribué
aux bonnes œuvres un mérite indé-
pendant de ceux de Jésus-Christ ;
qui ait représenté le bonheur éter-
nel comme la récompense d'une
obéissance à la loi qui ne fût pas
l'effet de la grâce de Jésus-Christ.
Nous les défions encore d'en citer
un seul qui ait confondu la loi avec
l'Evangile, qui ait dit que le bon-
heur éternel est la récompense de
Vnbéissancc légale , si par là l'on
entend l'obéissante à la loi céré-
monielle des Juifs. A la vérité , Lu-
ther prétoit tontes ces erreurs aux
théologiens catholiques, en dégui-
santmalicieuseraent leur doctrine;
mais a près les décisions si formelles
du concile de Trente, universelle-
ment suivies par tous les théolo-
giens de l'Eglise romaine , il y a
bien de la mauvaise foi à confirmer
encore la calomnie de Luther, et à
leur im.pu ter une doctrine qu'ils re-
gardent comme hérétique. Quand
il seroit vrai que les théologiens
catholiques du seizième siècle
avoient le même défaut que les
autres docteurs de ces temps-là, et
qu'ils n'expliquoient pas leurs sen-
timents d'unemanière assezclaire,
il y auroit de l'injustice à prendre
à la rigueur les expressions inexac-
tes dont ils se sont servis , pour
leur imputer des opinions qu'ils
n'ont pas eues, pendant que l'on
blâme ce procédé à l'égard des doc-
teurs protestants. Mosheim , en
blâmant les détracteursd'Agricola
et des anlinomiens , fait évidem-
ment le procès à Luther , et se con-
damne lui-même.
En second lieu , quand la doc-
trine de ces sectaires auroit été telle
qu'il le prétend , elle seroit encore
ANT
fausse pt formellement contraire à
l'Evangile. Jésus-Clirist , Matlh. ,
c. 5, y. 17, commence par tlccla-
rcr «ju'il n'est point venu tlelruire
la loi ni les profihctes, mais les ac-
complir; que quiconf|ue détruira
le moindre commandement de la
loi, et enseifçnera a le laire, sera le
darnier dans le royaume des cieux ;
ensuite il explique plusieurs de ces
commandements. Il repond à un
jeune homme qui lui demandoit ce
qu'il faut faire pour avoir la vie
éternelle: « SI vous voulez entrer
» dans la vie , gardez les comman-
» déments, qui sont de ne commet-
w tre ni homicide, ni adultère,
» ni vol, ni faux témoignage, d'ho-
» norer votre père et votre rnère,
» d'aimerleprochaincomme vous-
» même. » chap. 19 , y . 16. C'est
le Décalogue. 11 est donc faux que
ces dix commandements ne regar-
doient proprement que les Juifs ,
etque les chrétiens peuvent les né-
gliger sans pécher. Il est absurde
d'opposer l'Evangile à la loi du
Décalogue , puisque l'Evangile la
renouvelle : il l'est de dire qu'il
faut inculquer ce que Jésus-Christ
et les apôtres ont enseigne , sans
faire mention du Décalogue; puis-
que le Décalogue fait partie essen-
tielle de leur doctrine. Mais Mos-
heim, comme tous les prolestants,
ne voit des erreurs que dans l'E-
glLse romaine; les plus monstrueu-
ses et les plus révoltantes ne lui
paroissent rien dans sa secte.
3.° Dans le dix-septième siècle,
il y a eu d'autres anlinnrniens par-
mi les puritains d'Angleterre, qui
tirèrent de la doctrine de Calvin
les mêmes conséquences qu'Agri-
cola avoit tirées de celle de Lu-
ther. Les uns argumentèrent sur
la |irédeslinalion. Ils enseignèrent
qu'il est inuliled' exhorter les chré-
tiens à la vertu et a l'obéissance à
la loi de Dieu , parce que ceux qu'il
a élus pour être sauvés , par un
décret immuable et éternel , sont
AIN'T
i5f)
portés à la pratique de la y)iélé et
de la vertu par une impulsion de
la grâce divine , à laquelle ils ne
siuirnicni résister ; SlXx lieu que ceux
qu'il a destinés à être damnés éter-
nellement, ne peuvent devenir ver-
tueux , quelfjues exhortations et
quelques remontrances qu'on puis-
se leur faire , ni obéir a la loi di-
vine , puisque Dieu leur refuse sa
grâce et les secours dont ils ont
besoin. Ils conclurent qu'il l'aut se
borner à prêcher la foi en Jésus-
Christ, et les avantages de la nou-
velle alliance. jNIais quels sont ces
avantages pour ceux qui sont des-
linés à être damnes?
Les autres raisonnèrent sur le
dogme de l'inamissibilité de la jus-
tice. Us dirent que les élus ne pou-
vant déchoir de la grâce , ni perdre
la faveur divine, il s'ensuit que les
mauvaises actions qu'ils commet-
tent ne sont point des péchés réels,
etnepeuventêtre regardées comme
un abandon de la loi ; que par con-
séquent ils n'ont besoin ni de con-
fesser leurs péchés, ni de s'en re-
pentir ; que l'adultère, par exem-
ple, d'un élu, quoiqu'il parois.se
aux yeux des hommes un péché
énorme, n'est point telle aux yeux
de Dieu ; parce qu'un des carac-
tères essentiels et distinctifs des
élus est de ne pouvoir rien faire
qui déplaise à Dieu et qui soit con-
traire a sa loi. Mosheirn , dix-sep-
tième siècle, sect. 2, 2.* part. ,
c. 2,§23.
Mosheirn déteste avec raison
toutes ces conséquences; mais est-
il en état de démontrer qu'elles ne
setirentpas directement et évidem-
ment du dogme de la prédestina-
tion, et de celui de l'inamissibilité
de la justice, tels que Calvin les a
enseignés .'' Le docteur Arnaud a
prouvé la connexion de ces con-
sé(}uences dans l'ouvrage intitulé:
Le renversement de la morale de
Jésus-Christ par les erreurs des cal-
vinistes touchant la just'ijication ; et
i6o ANT
nous soutenons qu'elles ne s'ensui-
vent pas moins de l'opinion de la
grâce irrésistible , opinion commune
aux luthériens et aux calvinistes.
Dans cette hypothèse, il est aussi
absurde de prêcher la nécessité de
croire en Jésus-Christ et les avan-
tages de la nouvelle alliance , que
d'exhorter les hommes à la vertu
et à l'obéissance à la loi de Dieu.
Ceux à qui Dieu ne donne pas la
grâce irrésistible de la foi en Jésus-
Christ, ne peuvent pas plus avoir
cette foi , qu'ils ne peuvent obéir
à la foi , lorsque Dieu leur refuse
la grâce irrésistible de l'obéissance.
Dans cette même hypothèse, il est
très-vrai que l'homme privé de la
grâce ne pèche point en désobéis-
sant à la loi ; parce qu'il est ab-
surde que rhomnxe qui pèche soit
condamnable et punissable , en ne
faisant pas ce qu'il lui est impos-
sibledefaire. Or, ilestimpossibleà
l'homme de croire en Jésus-Christ
et d'obéir à la loi sans la grâce.
Il est donc évident que les er-
reurs de ces diverses sectes d'a/z-
linomiens ne pouvoient manquer
d'éclore de la doctrine des préten-
dus réformateurs.
4." Quelques-uns prétendent que
l'on a aussi donné le nom à'anti-
nomiens à ceux qui soutiennent
que, dans la pratique des bonnes
œuvres, il ne faut avoir aucun égard
aux motifs naturels, parce que les
œuvres inspirées par ces motifs ne
servent de rien au salut. Mais ces
motifs ne sont point incompati-
bles avec ceux que la foi nous pro-
pose. Lorsque Jésus - Christ dit :
« Donnez, et l'on vous donnera;..,
)» vous serez mesurés comme vous
» aurez mesuré les autres , » Luc,
c. 6 , '^~ . 36 ; « Accordez - vous
I) promptement en chemin avec
•> votre adversaire , de peur qu'il
» ne vous livre au juge , et que
» vous ne soyez rais en prison, »
Matth., c. 5, '^' . 25; lorsque saint
Paul dit: « Gloire, honneur et paix
AIST
» à quiconque fait le bien j etc. »
Ils nous prennent par notre pro-
pre intérêt, motif très - naturel.
Autre chose est de dire qu'il ne
faut pas agir par les motifs natu-
rels seuls , et autre chose de sou-
tenir qu'il ne faut jamais agir par
aucun de ces motifs. Quoiqu'une
bonne œuvre faite par ces seuls
motifs ne soit pas méritoire pour
le salut , elle est cependant loua-
ble ; l'habitude d'en faire ainsi
dispose, du moins indirectement ,
à en faire par des motifs plus par-
faits. Un païen vertueux par nature
est sans doute mieux disposé qu'un
païen vicieux à devenir chrétien ,
et à pratiquer la vertu lorsqu'il le
sera. L'Eglisea condamné avec rai-
son les théologiens qui ont ensei-
gné que toutes les bonnes œuvres
des infidèles sont des péchés , et
que toutes les vertus des philoso-
phes sont des vices. Voyez Infidè-
les, OEmnEs.
ANTIOCHE. Il paroît que l'E-
glisedecetteville capitale de Syrie,
est la plus ancienne après celle de
Jérusalem ; selonla tradition , c'est
là que saint Pierre établit son pre-
mier siège , et que les disciples de
Jésus - Christ piùrent le nom de
chrétiens. Aci. , c. 1 1 , y . ig et 26 ;
c. i3 , y. I , etc. Saint Luc , l'un
des évangélistes, étoit d'Antioche.
Comme c'étoit la demeure du gou-
verneur romain qui commandoit
dans la Palestine , il y avoit une
relation nécessaire et continuelle
entre Jérusalem et Antioche; ceux
qui crurent en Jésus -Christ dans
cette dernière ville , ne purent
ignorer les faits qui s'étoient passés
dans la première. Ce fut donc avec
pleine connoissance de cause que
plusieurs Juifs à.^ Antioche , et en-
suite plusieurs païens, embrassè-
rent le christianisme. Il devoit y
avoir parmi eux plusieurs témoins
oculaires des miracles que Jésus-
Christ avoit opérés immédiatement
ANT
avant la pàquc à laquelle il fui mis
à mort, et de la descente du Saint-
Esprit sur les apôtres à la lète de
la Pentecôte. Cette Eglise eut sans
doute une liturgie propre dès son
origine ; mais il n'est pas certain
que ce soit celle qui a paru dans
la suite sous le nom dcsaintPierre.
Voyez Liturgie.
Que saint Pierre ait fondé le
siège épiscopal à'Aniioche avant
d'aller à Rome, c'est un fait attesté
par les auteurs les plus respecta-
bles; Origène, Eusèbe, saint Jérô-
me , saint Jean-Chrysostôme , etc. ,
eji parlent comme d'une chose
de laquelle personne n'a jamais
douté ; et la fête de la chaire de
saint Pierre à Aniioche est tré^-
ancienne dans l'Eglise. Vies des
Pères et des Martyrs , tom. 2, pag.
345.
Basnagc, Hist. de V Eglise , 1.3,
c. I , a fait tous ses efforts pour
prouver le contraire par les Actes
des apôtres; mais il n'en a tiré que.
des preuves négatives et des diffi-
cultés de chronologie, foibles armes
pour renverser des témoignages po-
sitifs touchant un fait qui a dû être
très-public.
Au cinquième et au sixième siè-
cle, le patriarcat de cette ville se
nommoit le diocèse (£ Orient : il s'é-
tendoit sur la Syrie, la Mésopota-
mie et la Cilicie ; la ville fut sac-
cagée par Chosrocs , roi de Perse ,
l'an 540, et prise par les Sarrasins
mahométans l'an 637. Les croisés
la reprirent l'an 1098 , et le^s Turcs
s'en sont emparés de nouveau en
1268. Aujourd'hui il y a trois évê-
ques qui prennent le titre de pa-
triarche Â''Antioche : l'un est celui
des melchites , ou chrétiens grecs
schismatiques ; l'autre, celui des
Syriens monophysites ou jacobi-
tcs; le troisième, celui des Syriens
maronites , ou chrétiens catholi-
ques attachés à l'Eglise romaine.
On prétend que celui des jacobites
s'est réuni depuis peu à cette même
I.
AxNT ,61
communion , avec plusieurs évo-
ques de sa dépendance.
ANTIPAPES. On donne ce
nom à ceux qui ont prétendu se
faire reconnoître pour souverains
pontifes , au préjudice d'un pape
légitimement élu; on en compte
depuis le troisième siècle jusqu'au-
jourd'hui vingt-huit.
ANTIPODES , hommes dont lei
pieds sont tournés vers les nôtres:
c'est ce que signifie ce nom. Si
nous en croyons Aventinus, dans
ses Annales de Bavière , Boniface ,
archevêque de Mayence , et légat
du pape Zacharie dans le huitième
siècle , déclara hérétique un évêque
de ce temps nommé Vigile oxi Vir-
gile, pour avoir osé soutenir qu'il
y a des antipodes.
L'auteur d'une Dissertation im-
primée dans les Mémoires de Tré-
voux , janvier 1708 , soutient ,
I ." que ce fait n'est pas constaté ; le
seul monument qui en reste est
une lettre du pape Zacharie à Bo-
niface : « S'il est prouvé, lui dit
» le souverain pontife, que Vigile
» soutient qu'il y a un autre mon-
» de et d'autres hommes sous cette
» terre , un autre soleil et une au-
» tre lune, assemblez un concile,
» condamnez- le , chassez -le de
» l'Eglise après l'avoir dépouillé
» de la prêtrise, etc. » Il n'y a ,
dit cet auteur' , aucune preuve
que cet ordre du pape ait été exé-
cuté : soit que l'accusation inten-
tée contre Vigile se soit trouvée
fausse, soit qu'il se soit expliqué
ou rétracté, il est certain que de-
puis ce temps-là il vécut en bonne
intelligence avec le pape, qu'il fut
élevé à l'évêché de Salzbourg ;
qu'il a même été canonisé après
sa mort , honneur qui ne lui au-
roit pas été rendu s'il avoit été
condamné comme hérétique.
Il prétend , 2.° que le pape Za-
charien'avoitpas tort;quc siVigile
iG2 AMT
avoil soutenu qu'il y avoit dans un
autre monde d'autres hommes ,
c'est-à-dire , des hommes d'une
espèce différente de la nôtre , et
f{ui n'éloient pas comme nous en-
fants d'Adam; uu autre soleil et
une autre lune di£Férenls de ceux
qui nous éclairent , cet éve({ue
auroit été véritablement condam-
nable , parce que ce paradoxe se-
roit contraire à l'Ecriture sainte.
C'est dans ce sens que l'enlendoit
ïe pape Zacharie; et c'est dans
ce même sens que saint Augustin
a rejeté les antipodes dans son sei-
zième livre de la Cité de Dieu.
Un critique moderne n'a pas
goûté cette apologie. Selon lui , il
vaut mieux s'en tenir à la tradi-
tion , qui nous apprend que Vi-
gile fut condamné. A la vérité ,
l'auteur de cette tradition est
Aventin, cabaretier de Bavière,
qui a écrit dans les fureurs du
luthéranisme; mais les protestants
ont recueilli avec soin toutes ses
invectives contre les ecclésiasti-
ques ; ils y ajoutent foi, donc il
faut faire comme eux. Selon ce
critique il valoit mieux passer con-
damnation sur le pape Zacharie ,
parce qu'il n'est pas nécessaire que
l'Eglise soit infaillible en matière
de physique; mais il n'est pas fort
nécessaire non plus de condamner
un pape sans raison , pour plaire
à quelques protestants. 11 est vrai,
dit le savant Leibnitz , que Boni-
face , archevêque de Mayence ,
a accusé Vigile de Salzbourg d'er-
reur sur ce point , et que le pape
répond à sa lettre d'une manière
qui fait paroître qu'il donnoit
assez dans le sens de Boni face ;
mais on ne trouve point que cette
accusation ait eu de suite. Les deux
antagonistes passent pour saints ;
et les savants de Bavière, qui re-
gardentVigile comme un apôtre de
la Carinthie et des pays voisins, en
ont justifié la mémoire Esprit de
Leiânitz, t. a, p. 56.
AxNT
Le critique dont nous parlons
pense que Vigile pouvoit dire in-
nocemment qu'il y avoit sous terre
un autre soleil et une autre lune ,
comme nous disons que le soleil
d'Ethiopie n'est pas le nôtre. Cela
se peut dire sans doute en fran-
çois ; mais cela ne s'est jamais dit
en latin, et dans cette langue la
phrase avoit un sens tout di£fé-
rent.
II convient que les anciens phi-
losophes ont nié les cr/7/i'/?oc/es aussi-
bien que les Pères de l'Eglise ;
ceux-ci n'étoient pas obligés d'ê-
tre plus habiles en cosmographie
que les philosophes de leur siècle.
Cependant Philoponus , qui vivoit
sur la fin du sixième siècle , a dé-
montré , dans son livre de mundi
Créai. , 1. 5, c. i3, que saint Ba-
sile , saint Grégoire de Nysse, saint
Grégoire de Nazianze, saint Atha-
nase, et la plus grande partie des
Pères de l'Eglise , ont su que la
terre est ronde. Il est même parlé
des antipodes dans saint Hilaire ,
In Ps. 2 , n. 23 ; dans Origène ,
1. 2, de Princip. , c. 3 ; dans saint
Clément, pape, Epist I.ad Cor.,
n. 20. Voyei les notes. Il n'est donc
pas vrai qu'en général les écrivains
ecclésiastiques aient été dans l'er-
reur sur les antipodes jusqu'au
quinzième siècle , comme quel-
ques auteurs l'ont prétendu.
ANTITACTES , anciens héré-
tiques gnostiques , ainsi nommés,
parce qu'en avouant que Dieu ,
créateur de l'univers, étoit bon et
juste, ils soutenoient qu'une de
ses créatures avoit semé la zizanie,
c'est-à-dire, créé le mal moral, et
nous avoit engagés à le suivre ,
pour nous mettre en opposition
avec Dieu ; de là est dérivé leur
nom, d'àvtiTT«T7û) , je rn oppose , je
combats. Ils ajoutoient que les
commandements de la loi avoient
été donnés par de mauvais prin-
cipes; et loin de se faire scrupule
ANT
de les transgresser , ils croyoicnt
venger Dieu et se rendre agréa-
bles à ses yeux en les violant. Us
ont été précurseurs des mani-
chéens. Fb/cz saint Clém. d'Alex.,
Strom. , 1. 3; Dupin , Bibl. des
Auteurs eccl. des trois premiers siè-
cles ; Tillemont , t. a , p. SSy.
ANTITRENIT AIRES. Ce nom
convient à tous les hérétiques qui
ont attaqué le mystère de la sainte
l'rinité, qui n'ont pas voulu re-
connoître trois Personnes en Dieu.
Les samosaténiens , qui n'admet-
toient point de distinction entre
les Personnes divines, les ariens
qui nioient la divinité du Verbe ,
les macédoniens qui contestoient
celle du Saint-Esprit, ont été tous
antitrirïitaires . Sous ce nom , l'on
entend aujourd'hui principale-
ment les sociniens , que l'on ap-
pelle aussi unitaires. Voyez Soci-
KIENS.
ANTITYPE, mot grec, formé
de la préposition âvTi , pour, au
lieu, et de tutto;, figure, dans sa
signification grammaticale, il veut
dire ce que l'on met à la place
d'un type , d'une figure; mais dans
les auteurs il signifie simplement
type, figure , ressemblance.
Ilyadans le nouveau Testament
deux passages où ce mot est em-
ployé , et dont le sens a donné lieu
à des disputes. i.° Dans VEpître
aux Hébreux, c. 9, ^.24 , il est dit:
« Jésus- Christ n'est point entré
» dans un sanctuaire fait de la main
I) des hommes et figure , âvTiTyTta ,
» du vrai sanctuaire, mais dans le
»> ciel même , afin de se présenter à
» Dieu pour nous. » 2.° Dans la
première Epiire de saint Pierre ,
c. 9, ^. 21 , le baptême est com-
paré à l'arche de Noé , qui pré-
serva du déluge universel ce pa-
triarche et sa famille ; il en est
appelé âwTiTUTTov , ce que la vulgate
rend par similis forma; , ressem
ANT i63
blant. Nous ne voyons pas que y
dans l'un ni dans l'autre de ces
passages , il soit nécessaire d'aban-
donner le sens ordinaire du terme
pour recourir à la signification
grammaticale.
Le mot aniitype se trouve sou-
vent dans les écrits des Pérès
grecs et dans la liturgie de leur
Église , pour désigner l'Eucharistie
même après la consécration ; de
là les protestants ont conclu que,
selon la croyance de l'Eglise grec-
que , ce sacrement n'est que ia fi-
gure du corps de Jésus-Christ.
Cette conséquence nous paroît
fausse. Quoique les espèces eucha-
ristiques renferment le corps de
Jésus-Christ , elles en sont cepen-
dant la figure, \eiype, le symbole,
ce qui paroît aux yeux ; puisque
ce corps n'y paroît point sous ses
qualités sensibles , mais sous les
apparences du pain.
11 est vrai que Marc d'Ephèse ,
le patriarche Jérémie , et d'autres
Grecs , disent que dans la liturgie
de saint Basile le pain et le vin sont
appelés antiiypes avant la consé-
cration. Cela n'empêche pas qu'ils
ne puissent être nommés de même
après, puisque par la consécration
il ne se fait aucun changement dans
les qualités sensibles ou dans les ap-
parences du pain et du vin ; la^ fi-
gure demeure donc la même , quoi -
que la substance soit changée.
Qu'importe l'abu^ que l'on peut
faire d'un mot , lorsque la croyance
est prouvée d'ailleurs i* Au concile
de Florence , les Grecs ont solen-
nellement déclaré qu'ils croyoienl
Jésus -Christ réellement présent
dans l'Eucharistie , après la consé-
cration ; toute leur dispute avec
les Latins consistoit à savoir si
après la consécration les symboles
dévoient encore être appelés anti-
types: contestation qui nous paroît
assez frivole. Après la consécra-
tion, nous disons encore symboles
eucharistiques ; pourquoi les Grecs
x54 ANT
ne pourroicul-ils pas dire antt-
iypts dans le même sens t
II n'est donc pas nécessaire de
changer la signification usuelle de
ce terme , de supposer que anii-
tjrpe signifie ce qui est mis à la
place de la figure; le corps de Jé-
sus-Christ n'est point mis au lieu
de la figure , mais au lieu de la sub-
stance du pain : et cette substance
n'a jamais pu être appelée yZg-ure en
aucun sens.
Dans le septième concile géné-
ral, saint Jean Damascène , les
diacres Jean et Epipliane , voulant
expliquer la pensée des liturgistes
grecs sur ce sujet, disent, qu'en
nommant l'Eucharistie aniiijrpe ,
ces auteurs avoient égard au temps
qui avoit précédé la consécration ,
et non à celui qui la suit. Simon ,
Hisi. crit. de la croyance des nations
du Levant. Cette explication ne pa-
roît pas fort nécessaire. Ce qui étoit
fiffure avant la consécration , l'est
encore après , puisque par la con-
sécration rien ne change dans la
figure , ou dans ce qui paroît à nos
yeux.
Nous avons à présent des monu-
ments si authentiquesde la croyance
des différentes sectes que renferme
l'Eglise grecque , des melchites ,
des jacohites syriens , des nesto-
riens, des cophtes eutychiens, etc.,
que les pro testants n'oseroient plus
former aucune contestation sur
ce point, V. la Perpétuité de laFoi.
ANTOINE (saint). Chanoines
réguliers de saint Antoine de Vien-
nois, Voyez le Dictionnaire de Ju-
risprudence.
ANTONIN (saint), archevêque
de Florence , mort l'an 14^9 , as-
sista en qualité de théologien au
concile général qui y fut tenu en
1439 , lorsqu'il n'étoit encore que
religieux de saint Dominique, On a
de lui une somme théologique dans
laquelle il traite des vertus et des
AOD
V ices, pi usteurs sermons et d'autres
livres de morale.
AOD. II est dit dans le livre de»
Juges, que les Israélites, en puni-
tion de leur idolâtrie , furent sub-
jugués par Eglon , roi de Moab ,
et lui furent assujétis pendant dix-
huit ans; que Dieu leur suscita un
vengeur dans la personne à''Aod,
Cet homme tua Eglon en feignant
d'avoir à lui parler, se mit à la
tête des Israélites , gagna une ba-
taille, et les affranchit du joug des
Moabi tes. Les censeurs de l'histoire
sainte disent qu'yod fut coupable
d'un régicide , que c'est un très-
mauvais exemple à proposer à
tout peuple mécontent de son
souverain , qu'il a été la cause de
plusieurs crimes de même espèce.
Cette décision noussurprendroit
moins, si nousneconnoissions pas
d'ailleurs la morale enseignée par
ces mêmes censeurs. Ils soutien-
nent qu'un conquérant n'acquiert
aucune souveraineté sur une nation
vaincue, que par le consentement
de celle-ci ; que jusqu'à ce qu'elle
l'ait reconnu librement pour son
roi , tout acte d'autorité qu'il exerce
est une violence et une usurpation ;
qu'elle a droit de s'en rédimer par
la force quand elle le pourra. Qu'ils
nous montrent le traité par lequel
les Israélites avoient librement re-
connu Eglon pour leur roi.
On nomme régicide un sujet qui
tue son propre roi , et non celui
qui tue un roi ennemi pour mettre
en liberté ses compatriotes. Chez
les anciens peuples on croyoit gé-
néralement que la fourberie étoit
permise contre les ennemis de l'é-
tat. Mutins Scsevola ne fut point
accuséde régicide , pouravoir vou-
lu tuer par surprise Porsenna qui
assiégeoit Rome.
D'ailleurs, lorsque l'Ecriture dit
que Dieu suscita un libérateur à
son peuple , elle n'enseigne point
que Dieu lui inspira le mensonge,
APA
ni )c meiirlre qu'il commit ; une
aclion citée comme un trait de
courage, n'est pas louée pour cela
comme un acte de justice-
Souvenons -nous toujours que
c'est l'Evangile qui a donné aux na-
tions chrétiennes les vraies notions
du droit des gens et du droit poli-
tique , soit en paix , soit en guerre ;
que ces notions n'existent point ,
et n'ont jamais existé ailleurs.
APATHIE, insensibilité; c'est l'é-
tat auquel aspiroient les stoïciens.
QuoiqiK? les anciens écrivains ec-
clésiastiques se soient quelquefois
servis de ce terme pour exprimer
la patience et le détachement des
choses de ce monde que l'Evangile
nous prêche , il n'en faut pas con-
clure que Jésus - Christ a voulu
faire de ses disciples autant de stoï-
ciens, et nous inspirer une insen-
sibilité absolue. i.°Cesphilosophcs
interdisoient au sage, sous le nom
de passions, les affections naturel-
les les plus modérées et les plus lé-
gitimes, l'amitié entre les parents,
la pitié pour ceux qui souffrent ,
l'amour du bien public, etc. L'E-
vangile, loin de nous défendre ces
sentiments , nous les commande
sous le nom général de charité ; il
ne les désapprouve que quand ils
sont portés à l'excès , et peuvent
devenir pour nous une occasion
de péché; et en effet, les affections
et les penchants naturels ne doi-
vent être nommés passions , que
quand ils sont poussés à l'excès.
Voyez Passions.
a,° Les stoïciens n'aspiroient à
l'insensibilité que par un principe
d'orgueil ; ils jugeoient les choses
de ce monde indignes d'affecter
l'àme du sage ; c'étoit une inhuma-
nité réfléchie. Jésus - Christ veut
que nous conservions la tranquil-
litéd'àme parun motif de confian-
ce en Dieu , que nous aimions nos
semblables en Dieu et pour Dieu.
3.° Si ses leçons pou voient nous
APA ,G5
laisser des doutes , il les a expli-
quées par son exeftiple : il a aimé
tendrement ses proches et ses amis;
il a répandu des larmes sur le tom-
beau de Lazare ; il a pleuré sur la
ruine future de Jérusalem et des
Juiis ; il n'a rencontré aucun mal-
heureux sans le soulager , etc. Ce
n'est pas là du stoïcisme.
, 4-'' Jésus-Christ n'a ordonné le
renoncement absolu qu'à ceux qu'il
destinoit à la prédication de l'Evan-
gile; il n'a conseillé à aucun autre
de ses auditeurs de quitter son état ,
ou de négliger les devoirs de la so-
ciété ; au contraire, saint Paul en-
joint à ceux qui se sont convertis,
de demeurer chacun dans l'état où
il a reçu sa vocation à la foi. J. Cor.,
C. '] f S • 20.
Mais on accuse quelques Pères
de l'Eglise d'avoir enseigné la mê-
me morale que les stoïciens , d'a-
voir exigé qu'un chrétien fût sans
passions; c'est un des principaux
reproches que Barbeyrac fit à saint
Clément d'Alexandrie. Traité delà
morale des Pères , chap. 5 , § 46.
Expliquons les termes, le scan-
dale sera réparé. Nous disons qu'un
homme est sans passions , lorsqu'il
les réprime si parfaitement qu'il
n'en paroît rien au dehors , et
qu'elles ne lui font commettre au-
cune faute : nous disons qu'il est
insensible , lorsqu'il ne donne au-
cun signe extérieur de sensibilité.
Voilà ce que veut saint Clément-
Déjà nous avons observé que nos
penchants naturels ne sont censés
passions que quand ils sont portés
à l'excès. Or , cet excès peut-il être
permis? L'Evangile condamne for-
mellement toutes les ;7ass/o/?s , l'or-
gueil , l'ambition , la vaine gloire ,
même dans les bonnes œuvres , rat-
tachement aux richesses, le désir
de les posséder, l'inquiétude pour
l'avenir, la volupté et tout ce qui
peut y porter , le simple désir des
plaisirs défendus, la jalousie et la
haine, la colère et l'impatience ,
i66 APE
le ressentiment et les projets de
vengeance, l'intempérance, la mol-
lesse , l'oisiveté. , etc. Jésus-Christ
nous commande toutes les vertus
opposées ; il seroit aisé de le faire
voir en détail. Saint Clément n'exige
rien de plus, et Tonne peut lui faire
aucun reproche qui n'ait été tourné
par les incrédules contre Jésus-
Christ et contre les apôtres. Vo/ez
Morale chrétienne.
APELLITES , ouÂPELLEIENS ,
comme les nomme saint Epiphane ;
hérétiques du second siècle , secta-
teurs d'Apelles , disciple de Mar-
cion , mais qui ne suivit pas en
toutes choses les sentiments de son
maître. Il n'admit pas comme lui
deux dieux , ou deux principes ac-
tifs et coéiernels ,mais un seul Dieu
existant de soi-même et souverai-
nement bon ; probablement néan-
moins il supposoit l'éternité de la
matière. Selon lui , le monde n'a-
voit pas été fait par ce Dieu bon ,
mais par un esprit d'un rang in-
férieur , dont l'impuissance et la
nialadresse,étoient cause des maux
que nous éprouvons. Pensoit-il que
Dieu avoit créé librement cet ou-
vrier malhabile , ou que celui-ci
étoit sorti nécessairement de Dieu
par émanation ? Les anciens n'en
disent rien. Au reste , Apellcs
n'accusoit point cet esprit de mé-
chanceté : il supposoit au contraire
que par ses prières il avoit obtenu
que Dieu envoyât son Fils sur la
terre , afin de corriger le monde.
Il ne soutenoit point avec Mar-
cion que le Fils de Dieu n'avoit eu
qu'une chair apparente , et avoit
fait illusion à tous les sens ; mais il
prétendoit qu'en descendant du
ciel le Fils de Dieu s'étoit formé
lui-même un corps tiré des quatre
éléments , sans s'incarner dans le
sein d'une vierge ; qu'il avoit réel-
lement souffert ; qu'il étoit mort
et ressuscité ; qu'avant son ascen-
sion il avoit rendu aux éléments le
APE
corps qu'il en avoit tiré ; que son
âme seule étoit retournée au ciel.
Conséquemmentilnioit, aussi-bien
que Marcion , la résurrection fu-
ture de la chair. Il ne rejetoit pas
absolument , comme lui , tout l'an-
cien Testament: Mais il y a, disoit^
il , da bon et du mauvais ; c'est à
nous de choisir , et c'est ce que Jé-
sus-Christ a voulu dire , lorsqu'il
nous a ordonné d'être de bons
changeurs. On l'accuse de ne pas
avoir imité la continence de son
maître, de s'être livréàdes femmes,
d'avoir même été séduit par une
certaine Philumène ^ qu'il regar-
doit comme une inspirée et une
prophétesse.
La multitude des sectes qui ont
paru dans le second siècle , la va-
riété des rêveries forgées par leurs
divers docteurs , nous donneront
souvent occasion de faire des ré-
flexions, i.° Tous ces raisonnieurs
étoient des philosophes sortis de
l'école d'Alexandrie, ou d'ailleurs ,
qui vouloient accorder les dogmes
du christiajiisme avec la doctrine
de Pythagore et de Platon , et en
savoir plus qu'il n'a plu à Dieu de
nous en révéler. 2. "Tous vouloient
expliquer l'origine du mal , et au-
cune de leurs hypothèses ne résol-
voit !a difficulté. Si c'est Dieu qui
a créé librement le formateur du.
monde en prévoyant le mal qui
arriveroit , il en est responsable
comme s'il l'avoit fait lui-même.
Si cet ouvrier a existé nécessaire-
ment, tout est fatalité pure ; autant
vaut dire queDieun'a pas pu mieux
faire. 3.° Quoiqu'intéressésà révo-
quer en doute l'histoire de l'Evan-
gile, et à portée d'en vérifier les
faits , ils n'ont pas osé récuser le
témoignage des apôtres , ils l'ont
plutôt confirmé. 4-° Saint Paul les
a peints d'après nature , II. Tim. ,
c. J^^S ' 4- " l's ne pourront, dit-
:> il , souffrir une sainte doctrine ;
» ils auront la démangeaison d'é-
» coûter de nouveaux maîtres : ils
A1>0
» fermeront leurs oreilles à (a vé-
» rilé, et courront après des fables. »
API ITII ARTODOCETES .
iNCOUROPTlbLES.
Ko/.
APOCALYPSE, du grec
àiroxâXuvf'iç , révélation ; c'est le
nom du dernier livre canonique
de l'Ecriture.
11 contient , en vin^t-deux cha-
pitres, une prophétie touchant l'é-
tat de l'Eglise, depuis l'ascension
de Jésus -Christ au ciel jusqu'au
dernier jugement, et c'est comme
la conclusion de toutes les saintes
Ecritures, afin que les fidèles, re-
connoissant la conformité des ré-
vélations de la nouvelle alliance
avec les prédictions de l'ancienne ,
soient confirmés dans l'attente du
dernieravénement de Jésus-Christ.
Ces révélations furent faites à l'a-
pôtre saint Jean , durant son exil
dans l'île de Patmos, pendant la
persécution de Domitien.
L'enchaînement d'idéss sublimes
et prophétiques qui composent VA-
pocalypse , a toujours été un laby-
rinthe pour les plus grands génies ,
et un écueil pour lapluparl des com-
mentateurs. On sait par quelles rê-
veries Drabicius , Joseph Méde , le
ministre Jurieu, le grand Newton
lui-même, ont prétendu l'expli-
quer;ces vaines tentatives sontbien
propresà humilier l'esprit humain.
On a long-temps disputé dans
les premiers siècles de l'Eglise sur
l'authenticité et la canonicité de
ce livre: mais ces deux points sont
aujourd'hui pleinenlent éclaircis.
Quant à son authenticité, quelques
anciens la nioient: Cérinthe , di-
soient-ils , avoit attribué V Apo-
calypse à saint Jean , pour donner
du poids à ses rêveries , et pour
établir le règne de Jésus-Christ
pendant mille ans sur la terre après
le jugement. Voyez Millénaires.
Saint Denys d'Alexandrie, cité par
Eusèbe, l'attribue à uu écrivain
A PO ifiy
nommé Jean, différent de l'évan-
géliste.llestvrai que les ancienne.?
copies grecques, tant manuscrite.^
qu'imprimées, de VAfmcalypse,
j)ortent en tête le nom de Jean le
divin. Mais on sait «|ue les Pères
grecs donnent par excellence ce
surnonn à l'apôtre saint Jean, pour
le distinguer des autres évangé-
listes, et parce qu'il a traité spé-
cialement de la divinité du Verbe.
A cette raison l'on ajoute, i.° que
dans V Apocalypse saint Jean est
nommément désigné par ces ter-
mes: à Jean qui a publié la parole de
Dieu , et qui a rendu témoignage
de tout ce qu'il a vu de Jésus-
Christ ; caractères qui ne convien-
nent qu'à l'apôtre. 2.° Ce livre
est adressé aux sept Eglises d'Asie,
dont saint Jean avoit le gouverne-
ment. 3.° Il est écrit de l'île de
Patmos, où saint Irénée , Eusèbe
et tous les anciens conviennent
que l'apôtre saint Jean fut relé-
gué en g5 , et d'où il revint en
98 , époque qui fixe encore le temps
où l'ouvrage fut composé. 4-° En-
fin , plusieurs auteurs voisins des
temps apostoliques, tels que saint
Justin, saintirénée, Origène, Vic-
torin , et après eux une foule de
Pères et d'auteurs ecclésiastiques,
l'attribuent à saint Jean l'evan-
géliste. Voy. Authenticité et Au-
thentique.
Quant à sa canonicité, elle n'a
pas été moins contestée. Saint Je-
,rôme rapporte que dans l'Eglise
grecque, même de son temps, on
la révoquoit en doute. Eusèbe et
saint Epiphane en conviennent.
Dans les catalogues des livres
saints, dressés par le concile de
Laodicée , par saint Grégoire de
Nazianze , par saintCyrille de Jé-
rusalem , et par quelques autres
auteurs Grecs, il n'en est fait au-
cune mention. Mais on l'a toujours
regardée comme canonique daïis
l'Eglise latine. C'est le sentiment
de saint Augustin, de saint Ircnée,
i68 APO
de Théophile d'Anlioche , de
Mélilon , d'Apollonius , et de
Clément Alexandrin. Le troisième
concile de Carlhage , tenu en
397, l'inséra dans le canon des
Ecritures , et depuis ce temps-là
l'Eglise d'Orient l'a admise comme
celle d'Occident.
Les alogiens, hérétiques du se-
cond siècle, rejetoient rJ4;?ocrt/^/7se,
dont ils tournoient les révélations
en ridicule , surtout celles des sept
trompettes , des quatre anges liés
sur l'Euphrate, etc. Saint Epi-
phane , répondant à leurs invec-
tives , observe que V Apocalypse
n'étant pas une simple histoire ,
mais une prophétie, il ne doit pas
paroître étrange que ce livre soit
écrit dans un style figuré, sem-
blable à celui des prophètes de
l'ancien Testament.
La difficulté la plus spécieuse
qu'ils opposassent à l'authenticité
de V Apocalypse , étoit fondée sur
ce qu'on lit au ch. 11 , y. 18:
Ecrivez à l'ange de l'Eglise de
Thyatire. Or, ajoutoient-ils , du
temps de l'apôtre saint Jean , il
n'y avoit nulle Eglise chrétienne
à Thyatire. Saint Epiphane con-
vient du fait,. et répond que l'apô-
tre parlant d'une chose future ,
c'est-à-dire, de l'Eglise qui devoit
être un jour établie à Thyatire,
en parle comme d'une chose pré-
sente et accomplie, suivant l'usage
des prophètes. Grotius remarque
qu'encore qu'il n'y eût aucune égl ise
de payens convertis à Thyatire ,
quand saint Jean écrivit son -<4^o-
calypse , il y en avoit néanmoins
une de Juifs, semblable à celle
qui s'éloit établie à Thessalonique
avant que saint Paul y prêchât.
II y a eu plusieurs Apocalypses
supposées. Saint Clément , dans
ses Hypotyposes, parle d'une Apo-
calypse de saintPierre; et Sozoraène
ajoute qu'on la lisoit tous les ans
vers Pâques dans les Eglises de
Palestine. Ce dernier parle encore
APO
d'une Apocalypse de saint Paul,
que les moines estimtoient autre-
fois , et que les cophtes modernes
se vantent de posséder. Eusèbe
fait aussi mention de V Apocalypse
d'Adam; saint Epiphane, de celle
d'Abraham , supposée par les hé-
rétiques séthiens , et des révéla-
tions de Seth et de Narie femme
deNoé, par les gnostiques. Ni-
céphore parle d'une Apocalypse
d'Esdras, Gratien et Cédrène d une
Apocalypse de Moïse , d'une attri-
buée à saint Thomas , d'une troi-
sième de saint Etienne , et .saint
Jérôme d'une quatrième , dont
on faisoit auteur le prophète Elie.
Porphyre , dans la Vie de Plotin^
cite \es Apocalypses àe. Zoroastre,
de Zostrein , de Nicothée, d'Allo-
gènes, etc. , livres dont on ne
connoît plus que les titres , et qui
vraisemblablement n'étoient que
des recueils de fables. Sixt.Seneus.,
] lib. II et VI. Dupin, Dissert, pré-^
Uni. , tom. III ; Bibliot. des Aut.
ecclés.
On ne doit pas être étonné de
ce que les calvinistes ont tou-
jours refusé de reconnoître la ca-
nonicité de V Apocalypse. Ce livre
renferme un tableau de la liturgie
apostolique qui ne leur est pas
favorable. Fojgz Liturgie. De nos
jours , Abauzit , professeur à
Lausanne, a fait une dissertation
contre Vyipocalypse; le plus célè-
bre des incrédules modernes en a
copié les objections dans deux ou
trois de ses ouvrages. Les anglicans
au contraire mettent ce livre au
nombre des saintes Ecritures;
depuis peu , le savant Lardner
a rassemblé les témoignages des
anciens sur ce sujet. Credibility 0}
Ihe Gospel History , t, 17, p. 3S6.
Ceux qui ont traité ce point de
critique sacrée , ne paroissent pas
avoir fait attention que le pape
saint Clément , l'un des Pères
apostolique^s, fait évidemment al-
■^usionà deux passages de ce livre.
APO
Dans sa première lettre aux Corin-
thiens , n. 34 , on lit : « Voici le
«Seigneur; sa récompense est avec
» lui , pour rendre à chacun selon
» ses œuvres. » Ces mêmes parQles se
trouvent, Apoc. , c. 22, ^. 12. La
lettre finit par ces mots : « A Dieu,
» par Jésus -Christ, gloire, hon-
» neur, puissance, majesté, trône
» éternel , depuis les siècles et pour
» toujours. » Voyez Apocalypse ,
c. 5, f. i3.
Mais, comme ce livre sembloit
favoriser l'erreur des millénaires ,
on craignoit que Cérinthe ne l'eût
supposé pour établir cette fausse
opinion ; c'est ce qui empêcha d'a-
bord plusieurs catholiques de le
reconnoître pour canonique. Le
doute a cessé , lorsqu'on a vu que
le vrai sens ne donnoit aucun lieu
à cette erreur.
Pour affoiblir les témoignages
qui déposent en laveur de l'authen-
ticité de V Apocalypse , les protes-
tants disent que les Pères ne l'ont
admise , que parce qu'ils étoient
millénaires. Tout au contraire ,
ceux qui ont embrassé l'opinion des
millénaires, ne l'ont fait que parce
qu'ils la croyoient enseignée dans
V Apocalypse ; et quelques-uns d'en-
tre eux , qui ont réfuté les millé-
naires, ont cependant reçu V Apo-
calypse comme un livre canonique;
c'est ce qu'a fait Origène. Avant
le troisième siècle, on ne peut citer
aucun des Pères qui ait formelle-
ment rejeté ce livre.
Une autre objection des calvi-
nistes, est que ces mêmes Pères ont
reçu comme authentiques plu-
sieursautres écrits, dont la supposi-
tion et la fausseté ont été reconnues
dans la suite; qu'ils ont ajouté foi
à plusieurs histoires évidemment
fabuleuses. Soit. Si pour prouver
l'authenticité d'un livre quelcon-
que , il faut des témoins qui aient
été infaillibles et à couvert de toute
erreur , nous demandons aux cal-
vinistes qui sont les témoins aux-
APO 169
quels ils se fient pour croire
l'authenticité et la canonicité des
livres qu'ils admettent. Ils n'ont
pas vu qu'en alléguant ce reproche,
ils sapoient par le fondement toute
espèce de certitude morale , toute
espèce de preuve pour constater
des faits.
Puisque des livres qui avoient
d'abord passé pour authentiques,
ont été reconnus dans la suite pour
supposés et apocryphes, nous de-
mandons encore pourquoi d'autreâ
livres, dont on avoit d'abord soup-
çonné la supposition, n'ont pas pu
dans la suite être reconnus pour
authentiques. Les mêmes règles de
critique qui nous font douter d'un
fait lorsqu'il n'est pas encore suffi-
samment prouvé , doivent sans
doute nous le faire croire lorsque
nous avons découvert des preuves.
C'est ce qui est arrivé à l'égard
de plusieurs livres de l'Ecriture
sainte, et en particulier de V Apo-
calypse. En 397 , le concile de
Carthage la mit au rang des livres
sacrés, quoique les conciles précé-
dents ne l'eussent pas encore reçue
comme canonique.
On sait que le quatrième siècle,
lorsque la paix eut été rendue à
l'Eglise, fut un temps de lumière,
de recherches , de savantes discus-
sions ; les monuments des siècles
précédents furent rassemblés et
comparés, la tradition fut inter-
rogée , les témoins confrontés ; ce
qui avoit été obscur et douteux
jusqu'alors, put devenir certain et
incontestable. Tant que l'hérésie
des millénaires avoit subsisté, l'E-
glise avoit craint de l'autoriser en
canonisant V Apocalypse ; lorsque
celte secte fut éteinte, il n'y eut
plus de danger.
Beausobre , Histoire du mani"
chéisme, 2..^ part. , 1. i , chap. 5,
§ 3 , soutient que les Eglises orien-
tales du rit syrien n'ont point re-
connu VApocalypse pour canoni-
que , puisqu'elle ne se trouve pas
ijo APO
dans rancienne version syriaque
du nouveau Testament , dont ces
Eglises se sont toujours servies ;
mais il se trompe ; nous ferons voir
le contraire au mot Bibles Sy-
riaques.
APOCREAS. C'est la semaine
qui répond à celle que nous appe-
lons la septuagésime. Les Grecs
l'appellent apncréas, ou privation
de chair, parce qu'après le diman-
che qui la suit, on cesse de manger
de la chair , et l'on use de laitage
jusqu'au second jour après la quin-
quagésime, que commence le grand
jeûne de carême. Pendant Yapo-
créas, on ne chante ni triodeT ni
alléluia.
APOCRISAIRE , ou APOCRI-
SIAIRE , répondant , député, en-
voyé, terme grec dérivé d'àwoxprvo-
fAoti , je réponds. L'on appeloit ainsi
dans l'Eglise grecque des ecclé-
siastiques envoyés dans la ville
impériale par les Eglises, par les
évêques ou par les monastères ,
pour y poursuivre les affaires qu'ils
avoient à la cour. Justinien , par
une loi, défendit aux évêques de
s'absenter pour long-temps de
leurs diocèses , sans en avoir reçu
un ordre exprès de sa part , et il
leur ordonna d'envoyer Vapocri-
siaire ou l'économe de leur Eglise
à la cour, lorsqu'ils y auroient des
affaires à traiter. Dans la suite les
empereurs nommèrent aussi apo-
crisîaires leurs ambassadeurs et
leurs envoyés ; mais il ne faut pas
les confondre avec les députés
ecclésiastiques. Bingham , Origin.
ecclés. , 1. 3, c. i3, § 6; Justin.,
Novell. VI, c. 2.
APOCRYPHE , du grec à^ro-
xpvtfio; , terme qui , selon son éty-
mologie, signifie caché.
En ce sens, on nommoit apocry-
phe tout écrit gardé secrètement et
dérobé à la connoissance du public.
APO
Ainsi les livres des sibylles à Rome,
confiés à la garde des décemvirs ;
les annales d'Egypte et de Tyr ,
dont les prêtres seuls de ces royau-
mes cïoient dépositaires , et dont
la lecture n'étoit pas permise indif-
féremment à tout le monde , étoienl
des livres apocryphes. Parmi les
divines Ecritures de l'ancien Tes-
tament , un livre pouvoit être en
même temps , dans ce sens géné-
ral, un livre sacré et divin, et un
livre apocryphe : sacré et divin ,
parce qu'on en connoissoit l'ori-
gine , qu'on savoit qu'il avoit été
révélé ; apocryphe, parce qu'il étoit
déposé dans le temple , et qu'il
n'avoit point été communiqué au
peuple. Car, lorsque les Juifs pu-
blioient leurs livres sacrés, ils les
appeloient- canoniques et divins ,
et le nom i'apocryphes restoit à
ceux qu'ils gardoient dans leurs
archives , ce qui n'empêchoit pas
qu'ils ne pussent être sacrés et
divins , quoiqu'ils ne fussent pas
connus pour tels du public. Ainsi,
avant la traduction des septante ,
les livres de l'ancien Testament
pouvoicnt être appelés apocryphes
par rapport aux gentils et par
rapport aux Juifs ; la même qua-
lification convenoit aux livres qui
n'étoient pas insérés dans le canon
ou le catalogue public des Ecri-
tures. C'est précisément ainsi qu'il
faut entendre ce que dit saint Epi-
phane , que les livres apocryphes
ne sont point déposés dans l'arche
parmi les autres écrits inspirés.
Dans le christianisme , on a atta-
ché au mot apocryphe une signifi-
cation différente , et on 4'emploie
pour exprimer tout livre douteux,
dont l'auteur est incertain, et sur la
foi duquel on ne peut faire fonds ,
comme on peut voir dans saint Jé-
rôme, et dans quelques autres Pères
grecs et latins plus anciens que lui:
ainsi l'on dit un livre, un passage ,
une histoire apocryphe , etc. , lors-
qu'il y a de fortes raisons de su.spcc-
AFO
1er leur aulhenticilé,et dépenser'
que ces ccrils sont supposés. En
matière de doctrine, on nomme
«/^ocr/p/ics les livres des hérétiques,
et même des livres qui ne contien-
nent aucune erreur , mais qui ne
sont point reconnus pour divins,
c'est-à-dire, qui n'ont été mis ni
par la synagogue, ni par l'Eglise,
dans le canon, pour être lus en pu-
blic dans les assemblées des juifs
ou des chrétiens.
Dans le doute si un livre est ca-
nonique ou apocryphe , s'il doit
faire autorité ou non en matière
de religion , on sentj la nécessité
d'un tribunal supérieur et infail-
lible pour fixer l'incertitude des
esprits ; et ce tribunal est l'Eglise,
à laquelle seule il appartient de
donner à un livre le titre de divin,
ou de le rejeter comme supposé.
Les catholiques et les protestants
ont eu des disputes très-vives sur
l'autorité de quelques livres que
ces derniers traitent à^ apocryphes ,
comme Judith, Esdras, les Ma-
chabées: les premiers se sont fondés
sur les anciens canons ou catalo-
gues, et sur le témoignage uniforme
des Pères ; les autres sur la tradi-
tion de quelques Eglises. La ques-
tion est de savoir si l'opinion d'un
petit nombre d'Eglises particuliè-
res doit l'emporter sur celle du
plus grand nombre.
Les livres reconnus pour apo-
cryphespar l'Eglise catholique, qui
sont véritablement hors du canon
de l'ancien Testament , et que
nous avons encore aujourd'hui ,
sont VOraison de Manassès , qui
est à la fin des bibles ordinaires ;
le troisième et le quatrième livre
d'Esdras, le troisième et le qua-
trième livre des Machabées. A la
fin de Job , on trouve une addition
dans le grec qui contient une gé-
néalogie de Job, avec un discours
de la femme de Job ; on voit aussi ,
dans l'édition grecque, un psaume
qui n'est pas du nombre des cent
A1>0 17,
cinquante ; et à la fin du livre de
la Sagesse, un discours de Salomon,
tiré du huitième chapitre du troi-
sième livre des Rois. Nous n'avons
plus le livre d'Enoch , si célèbre
dans l'antiquité; et, selon saint
Augustin, on en supposa un au-
tre plein de fictions , que tous les
Pères, excepté TertuUien, ont re-
gardé comme apocryphe. Il faut
aussi ranger dans la classe des ou-
vrages apocryphes , le livre de V As-
somption de Mo'ise , et celui de
V Assomption ou Apocalypse d^Elie.
Quelques juifs ont supposé des li-
vres sous le nom des patriarches,
comme celui des Générations éter-
nelles, qu'ils attribuoient à Adam.
Les ébionites avoient pareillement
supposé un livre intitulé VEchelle
de Jacob , et un autre qui avoit
pour titre , la Généalogie des fils
et des filles d^Adam , ouvrages ima-
ginés ou par des juifs , amateurs
des fictions , ou par les hérétiques,
qui, par cet artifice, semoient leurs
opinions et en recherchoient l'o-
rigine jusque dans une antiquité
propre à en imposer à des yeux
peu clairvoyants.
Lorsque l'Eglise a déclaré un li-
vre apocryphe, et l'a exclu du ca-
non des Ecritures , elle n'a pas pré-
tendu décider par-là que c'est un
livre sans autorité et supposé sous
un faux nom. Ainsi le Pasteur d'Her-
mas , que plusieurs anciens Pères
ont placé dans le même rang que
les livres sacrés, n'a plus aujour-
d'hui la même autorité; il ne s'en-
suit pas qu'il soit faussement at-
tribué à Hermas , et absolument
indigne de croyance. Plusieurs cri-
tiques, instruits d'ailleurs, sem-
blent n'avoir pas assez fait cette
distinction : parce qu'un ouvrage
est regardé comme apocryphe , ils
ont conclu que c'a été la produc-
tion d'un imposteur.
C'est la méprise dans laquelle
paroît être tombé l'auteur d'un
mémoire sur les outrages apocry-
17a APO
phes supposés dans les premiers siè-
cles de r Eglise, Mém. de l'Acad. des
Inscript. , t. XXVII, in-4.°, p- gS,
qui a élé copié par l'auteur de
l Examen critique de^ apologistes de
la Religion chrétienne , c. 2. Il met
à peu près sur la même ligne les
livres notoirement supposés et for-
f;és par les hérétiques , les écrits
dont les auteurs ne sont pas cer-
laincnnent connus , mais qui ne
renferment aucune erreur, et les
ouvrages dont les auteurs sont con-
nus, mais qui ne doivent pas être
placés dans le canon des livres sa-
crés, parce que le pape Gélase les
a tous déclarés apocryphes. Il est
cependant évident qu'il y a une
grande différence à mettre entre
les uns et les autres
Nous convenons !.• que les faux
Evangiles , publiés sous les noms
de saint Pierre, de saint Jacques,
de saint Mathias , etc. , les faux Ac-
tes des Apôtres, les fausses Apo-
calypses , sont ou des impostures
faites malicieusement par des hé-
rétiques, dans le dessein d'établir
leurs erreurs, et qui ne méritent
aucune attention ; ou des histoires
faites innocemment par des écri-
vains mal instruits et trop cré-
dules, mais qui n'avoient aucune
intention de tromper : une partie
de ces différentes productions a
paru dans le second siècle ; le reste
ne nous est connu que par le décret
de Gélase, porté sur la fin du cin-
quième siècle. Tout cela ne doit
point être confondu.
2.° Nous convenons que l'au-
thenticité de la Lettre d'Abgare
n'est pas incontestable, qu'il n'est
pas absolument certain que les
apôtres aient eux-mêmes composé
le symbole qui porte leur nom,
non plus que les liturgies qui leur
sont attribuées et les canons ap-
pelés Canons des Apôtres ; mais ces
écrits sont-ils apocryphes dans le
même sens que les précédents ? Le
symbole est véritablement le pré- I
APO
cis de la doctrine des apôtres, leur»
liturgies sont très-anciennes , et
ont été en usage dès les premiers
siècles dans plusieurs Eglises; les
canons apostoliques sont l'ouvrage
des premiers conciles, et un mo-
numentdela discipline suivie pour
lors dans l'Eglise. Ce sont donc des
pièces respectables, que l'on ne peut
rejeter absolument sans témérité.
3.° Nous soutenons que le Pas-
teur d'Hermas , la lettre de saint
Barnabe , les deux Lettres de saint
Clément, les sept Lettres de saint
Ignace , sont authentiques , sont
véritablemeikt des auteurs auxquels
on les attribue ; mais que l'on ne
doit pas les mettre au rang des
livres sacrés ou des écritures ca-
noniques : c'est dans ce sens seu-
lement que l'on peut les nommer
apocryphes. Nous parlerons de ces
divers écrits sous leurs noms pro-
pres , de même que du célèbre
passage de Josèphe , des livres des
sibylles, etc.
Quand on a fait une fois toutes
ces distinctions , l'on n'est plus
étonné du grand nombre d'écrits
supposés dans les premiers siè-
cles et dans les suivants, parce
que l'on voit les causes des dif-
férentes espèces de suppositions ;
il est aisé de montrer que la multi-
tude des livres rejetés comme apo-
cryphes ne peut former aucun
préjugé contre V authenticité ou
contre la canonicité des autres ;
il en résulte que le jugement des
critiques anciens ou modernes
n'est pas une règle infaillible, que
la seule décision à laquelle on
puisse se fier sans aucun danger
d'erreur, est celle de l'Eglise.
Mosheim prétend que la mul-
titude des livres apocryphes, sup-
posés dans le second et le troi-
sième siècle de l'Eglise, est venue
de la méthode de disputer qui
s'introduisit parmi les Pères et
les docteurs de ces temps-là. Sui-
vant son- opinion, les docteurs
A PO
clirclicns , élevés dans les écoles
des rhéteurs et des sophistes, ne
«e firent aucun scrupule d'adop-
ter la maxime des platoniciens,
qui pensoient qu'il éloit permis
d'employer le mensonge et l'im-
posture pour soutenir la vérité.
Conséquemment les écrivains ec-
clésiastiques, en disputant contre
les païens et contre les hérétiques ,
furent plus occupés du soin de
vaincre leurs adversaires ou de
les réduire au silence , que de leur
montrer la vérité ; et cette manière
de trai ter les con troverses fut nom-
mée économique. On supposa des
livres sous des noms respectables;
on employa des fraudes pieuses, etc.
Hist. ecclésiasi. du second siècle ,
2.* part., c. 3, § i5; troisième
siècle, 2.^ part., c. 3, § lo.
Au mot Economie , nous réfute-
rons cette calomnie forgée par les
protestants, par nécessité de sys-
tème, pour déprimer l'autorité des
Pères de l'Eglise , et avidement
adoptée par les incrédules moder-
nes ; nous ferons voir que ces ac-
cusateurs téméraires ont prêté
aux docteurs chrétiens leur propre
génie et leur méthode de disputer.
En parlant du second siècle, Mos-
heim n'a voit pas osé affirmer cette
imputation : « On auroit tort ,
» dit -il, d'attribuer toutes ces
» fraudes pieuses aux vrais chré-
» tiens ; la plupart des ouvrages
i> apocryplies furent la production
» de l'esprit fertile des gnostiques;
» mais je ne saurois assurer que les
» vrais chrétiens ont été entière-
» ment exempts de ce reproche. »
Sous le troisième siècle , il a été
plus hardi ; il accuse les contro-
versistes d'avoir supposé les ca-
nons des apôtres, les constitutions
apostoliques , les récognitions de
saint Clément , et les clémentines.
Heureusement la calomnie se
dément ici elle-même ; de l'aveu de
Mosheim, les canons des apôtres
renfenmentladisciplinesuivicdans
APO 173
l'Eglise pendant le second et le
troisième siècle : or, à cette épo-
que on a fait profession de suivre
ce que les apôtres avoient établi
dans les Eglises qu'ils avoient fon-
dées ; où est la fausseté , où est la
fraude , d'avoir nommé canons
apostoliques les règles qui trans-
raettoient par écrit la discipline
que l'on croyoit et que l'on savoit
avoir été établie par les apôtres ?
Il est plus que probable que ces
canons n'ont été recueillis et ras-
semblés qu'au quatrième siècle ;
cène peut donc pas être une fraude
du troisième.
Il en est de même des constitu-
tions apostoliques , des récogni-
tions et des clémentines; on n'en
voit encore aucun vestige dans les
auteurs du troisième siècle. Il y a
eu plusieurs écrivains nommés
Clément ; si l'on a attribué par er-
reur à saint Clément de Rome les
ouvrages d'un autre Clément , il
s'ensuit que l'on a manqué de dis-
cernement et de critique , et non
que l'on a péché contre la bonne
foi. Dans les bas siècles , et pres-
que de nos jours , on a mis sous le
nom de saint Augustin des ser-
mons, des traités, des commen-
taires qui n'étoient pas de lui. La
critique, devenue plus éclairée et
plus circonspecte , découvre toua
les jours de ces sortes d'erreurs ;
elles ont eu lieu à l'égard des au-
teurs profanes , comme à l'égard
des écrivains sacrés et des Pères de
l'Eglise. Il y a de l'entêtement et
delà malignité à vouloir que toutes
ces méprises soient des impostures
réiléchies, plutôt que des fautes
d'ignorance et de préoccupation.
Aux articles Constitutions apo-
stoliques. Évangile, Hermas, Si-
bylles , etc. , nous ferons voir que
la plupart des suppositions des li-
vres apocryphes ont pu se faire
très-innocemment ; que toutes cel-
les qui ont été réfléchies et mali-
cieuses ont été l'ouvrage deshéré-
174 APO
tiques cl des philosophes , el non
des docteurs de l'Eglise ; qu'un
très-grand nombre se sont faites
postérieurement au troisième et
même au quatrième siècle. Beau-
sobre , quoique ennemi déclaré des
Pères de l'Eglise , convient que la
plupartdes faux livres qui ont paru
plus tôt, ont été forgés par un cer-
tainLeuciusCarinus,hérétiquedela
sectedes docètes. Hist. duManîcIi.,
t. 1,1. 2, c. 2, p. 348. Les soupçons
et les accusations des protestants
copiés par les incrédules sont donc
téméraires et sans aucun fonde-
ment.
En général, tout écrivain adopte
aisément et sans beaucoup d'exa-
men une histoire, un monument,
un livre qui lui paroît favorable à
son opinion ; il le cite avec con-
fiance lorsqu'il ne voit aucune rai-
son de le suspecter , et son erreur
contribue à en tromper d'autres
sans qu'il le veuille. Ce foible est
conimun aux catholiques et aux
hérétiques , aux ecclésiastiques et
aux profanes, aux incrédules et
aux croyants ; il est dans l'huma-
nité , et il durera autant qu'elle ;
ce n'est souvent ni malice, ni mau-
vaise foi , c'est préoccupation. Y
a-t-il de la justice à vouloir que
les écrivains ecclésiastiques en
aient été exempts ? Lorsque nous
accusons nos adversaires de mau-
vaise foi , ils crient à la calomnie ,
et eux-mêmes ne cessent de former
cette accusation contre les per-
sonnages les plus respectables ,
sans aucune preuve. Voyez Au -
THENTiciTÉ , Canon , Canonique.
APODIPNE. C'est ainsi que les
Grecs nomment l'office de cona-
plies. Voyez Heures canoniales.
APOLLINAIRES ou APOLLI-
NARISTES , anciens hérétiques
qui ont prétendu que Jé^us-Christ
n'avoit point pris un corps de
chair tel que le nôtre , ni une
APO
âme raisonnable semblable à la
nôtre.
Apollinaire de Laodicée, chef de
cette secte , donnoit à Jésus-Christ
une espèce de corps, dont il sou-
tenoit que le Verbe avoit été revêtu
de toute éternité : corps impassi-
ble , qui étoit descendu du ciel
dans le sein de la sainte "Vierge ,
mais qui n'étoit pas né d'elle ;
qu'ainsi Jésus-Christ n'avoit souf-
fert , n'étoit mort et ressuscite
qu'en apparence. 11 mettoit aussi
de la différence entre l'àme de Jé-
sus-Christ et ce que les Grecs ap-
pellent vooç, esprit, entendement;
en conséquence , il disoit que le
Christ avoit pris une âme , mais
sans l'entendement ; défaut , ajou-
toit-il , suppléé par la présence du
Verbe. 11 y en avoit même , entre
ses sectateurs , qui avançoient po-
sitivement que le Christ n'avoit
point pris d'âme humaine. On leur
donne le nom de synousiastes , de
même qu'aux eutychiens et à tous
ceux qui confondoient les deux
natures de Jésus-Christ en une
seule. Voyez Synousiastes.
Apollinaire faisoit encore revi-
vre l'hérésie des millénaires , et
enseignoit d'autres erreurs sur la
Trinité. Théodoret l'accuse d'avoir
confondu les Personnes en Dieu ,
et d'être tombé dans l'erreur des
sabelliens. Saint Basile lui repro-
che , d'un autre côté , d'abandon-
ner le sens littéral de l'Ecriture, et
de rendre les livres saints entière-
ment allégoriques.
L'hérésie à^ Apollinaire consis-
toit , comme on voit, dans des
distinctions très-subtiles, auxquel-
les il n'étoit guère possible que le
commun des fidèles entendît quel-
que chose ; cependant l'histoire
ecclésiastique nous apprend qu'elle
fit des progrès considérables en
Orient; plusieurs Eglises de cette
partie du monde en furent infec-
tées. Elle fut anathématisée dans
un concile d'Alexandrie , sous
AI>0
saint Athanase , en 36o ; «lans un
concile de Rome , sous le pape
Dainase , l'an 874 , et dans le con-
cile gonéral de Conslanlinople ,
en 38 1. Les apollinarisics furent
aussi appelés diniérties ou sépara-
teurs, parce qu'ils séparoient l'àmc
de Jésus -Chrisl d'avec l'enlende-
inent : erreur née probablement
de l'opinion de Platon, qui dis-
tinguoit l'àme sensitive d'avec l'à-
me raisonnable.
Il ne faut pas confondre l'héréti-
que dont nous parlons, avec Apol-
linaire , évoque d'Hiéraples , qui
vivoit au second siècle , et qui pré-
senta, l'an 177 , à l'empereurMarc-
Aurcle une apologie du christia-
nisme. Quelques auteurs préten-
dent que celui de Laodicée avpit
écrit contre Julien l'apostat.
APOLLONIUS DE TYANES,
philosophe pythagoricien , qui a
vécu pendant tout le premier
siècle, et qui est devenu célèbre
par l'histoire romanesque que
Philostrate, autre espèce de phi-
losophe, en a faite cent ans après
la mort de ce personnage.
On sait que le christianisme n'a
point eu d'ennemis plus déclarés
que les philosophes; ils n'ont épar-
gné aucune sorte de fourberies pour
en détourner les hommes, et pour
soutenir l'idolâtrie prête à être dé-
truite. Comme ils virent que les
miracles de Jésus-Christ étoient
une des plus fortes preuves dont
nos apologistes se servoient pour
démontrer la divinité de notre re-
ligion, et qui faisoit le plus d'im-
pression sur les païens, ils trou-
vèrent bond'attribuerdesprodiges
semblables à quelques philosophes,
en particulier à celui dont nous
parlons.
Vers l'an 211, l'impératrice Ju-
liaDorana , femme de Septime Sé-
vère, princesse très-déréglée , et
curieuse de merveilleux , chargea
Philostrale d'écrire la vie d'Apol-
A1>0 ,75
lonius de Tyanes. Ce sophiste la
servit selon son goût. En compa-
rant les prodiges qu'il rapporte de
son héros avec ceux que les évan-
gélisles ont attribués à Jésus-
Christ, on voit qucPhilostrates'est
proposé de copier ces derniers, et
d'eu obscurcir l'éclat par la mul-
titude de ceux qu'il met sur le
compte d'Apollonius ; mais il
ajoute tant de circonstances fabu-
leuses, tant d'absurdités et de con-
tradictions, qu'il n'a pas daigné
garder la moindre vraisemblance:
il s'ensuivroit tout au plus, de ce
qu'il raconte, qu'Apollonius étoit
un magicien qui fascinoit les yeux,
et profitoit de l'imbécillité de ses
admirateurs pour se faire une ré-
putation.
Il s'en faut beaucoup que son
historien l'ait représenté comme
un homme très-vertueux; outre les
efforts qu'il fit pour exciter des sé-
ditions contre Néron et contre
Domitien, on ne voit en lui qu'un
sophiste orgueilleux, qui ne cher-
che que la célébrité , et qui ne s'oc-
cupe en aucune m;anière de la ré-
forme des mœurs.
Sous le règne de Diocléticn,
Hiéroclès, président de Bithynie,
et ensuite gouverneur d'Alexan-
drie , grand ennemi des chrétiens ,
fit un ouvrage pour prouver qu'A-
pollonius étoit un plus grand per-
sonnage que Jésus-Christ , et il
opposa les prétendus miracles du
philosophe à ceux de notre Sau-
veur. Eusèbe de Césarée réfuta ce
parallèle ridicule; il fit voir que
toutes ces merveilles n'avoientété
rapportées par aucun témoin ocu-
laire; qu'il n'en avoit pas été ques-
tion pendant tout le siècle qui
s'étoit écoulé depuis la mort d'A-
poUonius jusqu'à la naissance du
roman de Philostrate ; que ces mi-
racles imaginaires n'avoient pro-
duit aucune révolution ni aucun
effet qui en piitconstater la réalité;
que la plupart étoient ridicules.
176 APO
indignes deDieu, sans aucune uti-
lité pour les hommes, et ne pou-
voient aboutir qu'à faire regarder
leur auteur comme un magicien.
Lactance oppose une partie de ces
mêmes rétlexions à Hiéroclès , Di-
vin. Insiit. , 1. 5 , c. 3.
Aussi malgré tous les efforts des
philosophes, le nom à' Apollonius
et ses prétendus prodiges sont de-
meurés plongés dans l'oubli , pen-
dant que Jésus-Christ a été reconnu
pour Fils de Dieu et Sauveur des
hommes dans une très-grande par-
tie de l'univers. Tillemont; Vie des
Emper., tome 2 , page 120; Bruker,
Histor. philosoph., tome 2 , p. 98.
Mosheim , dans ses Noies sur
Cudtvorih , c. 4 , § i5 , n'approuve
point le sentiment de ceux qui ont
CTu. ([Il Apollonius avoit réellement
opéré des prodiges par l'interven-
tion du démon ; il ne peut se per-
suader que Dieu ait permis à l'en-
Jiemi du salut d'exercer sur la terre
un pouvoir surnaturel pour trom-
per les hommes , dans le temps
même que Jésus-Christ et les
apôtres y exerçoient un pouvoir
divin pour détruire l'empire du
démon. Il pense donc que les pré-
tendus miracles A^Apollonius ne
sont que des guérisons naturelles
opérées par l'art de la médecine ,
que ce philosophe avoit étudiée ,
mais qui parurent miraculeuses à
des Orientaux , toujours extasiés
du mérite des médecins, et aux-
quelles ce fourbe habile eut soin de
mêler des tours de charlatans ,
afin de rendre ses cures plus mer-
veilleuses.
Mosheim ajoute que ce philo-
sophe ne fut que le singe de Pytha-
gore, dont il ambitionnoit la cé-
lébrité; que si l'on veut comparer
l'histoire à^ Apollonius par Philos-
irate , avec celle que Lucien a faite
du faux Alexandre , on trouvera
entre ces deux imposteurs une res-
semblance parfaite. Ces rétlexions
nous paroissent très-judicieuses.
APO
APOLOGÉTIQUE. Ecrit ou di*^
cours fait pour excuser ou justifier
une personne ou une action. Voyez
Apologie.
^apologétique écrit par Tertul-
licn pour la défense du christia-
nisme, est un ouvrage plein de
force et d'élévation , digne du ca-
ractère véhément de son auteur. Il
y adresse la parole aux magistrats
de Carthage , aux grands de l'em-
pire , aux gouverneurs des pro-
vinces.
Tertullien s'y attache à montrer
l'injustice de la persécution contre
une religion que l'on condamnoit
sans la connoître et sans l'enten-
dre, à réfuter l'idolâtrie et les re-
proches odieux que les idolâtres
faisoient aux chrétiens d'égorger
des enfants dans leurs mystères ,
d'y manger de la chair humaine,
d'y commettre des incestes, etc.
Pour répondre au crime qu'on
leur iraputoit de manquer d'amour
et de fidélité pour la patrie, sous
prétexte qu'ils refusoient de faire
les serments accoutumés et de ju-
rer par les dieux tutélaires de l'em-
pire, il prouve la soumission des
chrétiens aux empereurs. Il en
expose aussi la doctrine autant
qu'il étoit nécessaire pour la dis-
culper, mais sans en dévoiler trop
clairement les mystères , pour ne
pas violer la religion du secret, si
expressément recommandée dans
ces premiers temps. Cet écrit , tout
solide qu'il étoit, n'eut point d'ef-
fet, et la persécution de Sévère
n'en fut pas moins violente.
La meilleure édition de cet ou-
vrage est celle de Leyde en 1718,
in-8.°, avec des notes de Haver-
camp , et la meilleure traduction
est celle qu'a donnée récemment
M. l'abbé de Gourcy.
APOLOGIE , APOLOGISTES.
Nous avons perdu plusieurs apo-
logies de la religion chrétienne,
faites par des axiteurs du second
A PO
sièclt; de l'Eglise , et il y a lieu de
les rep;rctler : celles de Qiiadraliis ,
évf'inie d'Athènes , de Méliloii ,
évè<iue de Sardes, d'Apollinaire,
e've(^iie d'Hiéraples. On ne lions
saura pas mauvais gré de donner
i<:i la liste des ouvrages de nos an-
ciens apologistes qui subsistent
encore.
Les deux apologies de saint Jus-
tin , et son dialogue avec le Juif
Tryphon. Le discours aux Gentils,
par Talien. La satire contre les
philosophes païens , par Hermias.
L'ambassade d'Athénagore pour les
chrétiens. I-es trois livres de saint
Théophile, évéque d'Antioche, à
Antolycus. La lettre à Diogénéte.
Tous ces ouvrages se trouvent dans
la nouvelle édition des œuvres de
saint Justin , ils sont du second
siècle.
L'exhortation de saint Clément
d'Alexandrie aux païens. L'apolo-
gétique de Tertullien , ses livres
aux nations etàScapula, gouver-
neur de Carthage. Son livre contre
les Juifs. La dispute d'Arnobe
contre les païens , en six livres.
Le dialogue de Minutius Félix ,
intitulé Ociaçius. Julius Firmicus
Maternus, sur les erreurs des re-
ligions profanes.
Les huit livres d'Origène contre
Celse. Les institutions divines de
Laclance, en sept livres. La pré-
paration et la démonstration évan-
gélique d'Eusèbe , et son livre
contre Hiéroclès. Le discours de
saint Athanase contre les païens.
La thérapeutique de Théodoret.
Les dix livres de saint Cyrille d'A-
lexandrie contre Julien. Les dis-
cours de saint Grégoire de Na-
zianze contre le même empereur.
Le traité de saint Cyprien sur
la vanité des idoles , et sa lettre
à Démétrien. Les discours de saint
Jean-Chr}'sostôme contre les Gen-
tils et les Juifs. Les vingt-deux
livres de la cité de Dieu de saint
Augustin ; son traité «le la vraie
AirO 177
religion et celui d s mœurc de
l'Eglise contre les manichéens.
La dispute d'Evagre entre le jnil
Simon et le chrétien Théophile.
Le livre des consultations de Za-
chée , chrétien , et d'Apollonius ,
philosophe. Le traité de saiul
Fulgence sur la foi. Les traités
dogmatiques de saint Isidore de
Séville ; celui de la foi orthodoxe ,
par saint Jean Damascène. Les
dialogues entre un chrétien et un
juif, un nestorien et un sarrazin,
par Théodore d'Ahucara. Le mo-
nologue et le prologue de saint
Anselme sur l'existence de Dieu.
Deux ouvrages contre les Juifs,
par Pierre de Blois.
Le livre de Raymond Martin,
intitulé Pugio fidei , contre les
Juifs , a été publié par Galatin,
dans son ouvrage de Arcanis ca-
tholicœ veritatis.
On ne peut pas accuser les pre-
miers apologistes du christianisme
d'avoir déguisé les faits ; Quadra-
tus, Méliton, saint Justin, Mi-
nutius Félix, étoient environnés
d'ennemis qui avoient toutes les
facilités possibles de trouver des
pieuves et des témoins pour con-
fondre l'imposture, si ces écrivains
courageux avoient osé hasarder
un seul mensonge. Ils avoient eux-
mêmes examiné les preuves de cette
religion , puisque c'étoient des
philosophes ou des hommes in-
struits ; ils étoient à la source des
événements, puisqu'ils avoient été
convertis ou par les apôtres, ou par
leurs disciples immédiats. Le chris-
tianisme étoit persécuté ; aucun
intérêt temporel n'avoit donc pu
les engager à l'embrasser. Saint
Justin confirma , par son martyre-,
la sincérité de sa croyance.
On ne peut pas dire qu'ils ont
passé sous silence ou affoibli les
raisons et les objections de leurs
adversaires. Origène rapporte les
propres termes de Celse; saint Cy-
rille copie exactement les paroles
12
178 APO
de Julien. Sans cette bonne foi,
il ne resteroit pas aujourd'hui une
seule phrase des ouvrages de ces
deux philosophes. Les aveux que
ceux-ci sont forcés de faire , sont
encore le bouclier que nous oppo-
sons aux attaques des incrédules
modernes. Ou ils conviennent ex-
pressément des miracles de Jésus-
Christ et des apôtres, ou la manière
dont ils les combattent équivaut à
un aveu formel. Il n'a pas tenu à
Origène de verser son sang pour
sceller la vérité de son apologie.
Quelques incrédules , pour es-
quiver les conséquences de ces
témoignages , ont prétendu que
ces premiers écrivains étoient des
philosophes platoniciens ; qu'ils
avoient embrassé le christianisme,
parce qu'ils avoient trouvé de la
ressemblance entre ses dogmes et
ceux de Platon; qu'une fois persua-
dés de la doctrine, ils n'avoient
point contesté sur les faits , et
les avoient admis sans examen.
Malheureusement cette conjecture
est contredite par d'autres criti-
ques, qui soutiennent que ce sont
les plus anciens Pères de l'Eglise
qui ont introduit dans le christia-
nisme les idées de Platon ; elles n'y
etoient donc pas encore lorsqu'ils
se sont convertis. Si le platonisme
chrétien est leur ouvrage , il n'a pas
pu être lemotif de leur conversion.
Est-ce de Platon que les Pères
ont emprunté l'unité d'un Dieu
créateur , le péché originel , la ré-
demption du monde par un Dieu
fait homme? Ces dogmes s'accor-
dent si peu avec ceux de Platon ,
queCelse et Julien ne cessent d'op-
poser la doctrine de ce philosophe
a celle du christianisme. C'est aux
hérétiques de son temps que Terlul-
lien reproche la fureur de vouloir
substituer les rêveries de Platon et
des autres philosophes aux leçons
de Jésus-Christ et des apôtres.
Voyez Platonisme.
Loin de passer légèrement sur
APO
les faits , Origène y renvoie con-
tinuellement son adversaire : per-
sonne n'a soutenu la vérité des
miracles de Jésus-Christ et des
apôtres avec plus de force que
lui ; c'est cependant l'un des Pères
auquel on a supposé le plus d'idées
platoniciennes.
D'autres critiques ont conjecturé
que les remontrances de nos an-
ciens apologistes n'avoient jamais
été présentées ni aux empereurs ,
ni aux gouverneurs des provinces,
que ces écrits étoient restés incon-
nus dans le portefeuille de leurs au-
teurs, comme les apologies que com-
posèrent plusieurs protestants à la
naissance de la prétendue réforme.
Il faut du moins que celles de
saint Justin aient été présentées
aux empereurs , puisque 1 a p rem ièrc
est suivie d'un récit d'Adrien à
Minutius Fundanus, et d'un ordre
d'Antoninaux communes del'Agie
pour défendre de persécuter les
chrétiens pour cause de religion ,
à moins qu'ils ne se trouvent cou-
pables de quelques crimes. Des
hommes toujours prêts à mourir
pour leur religion , n'ont pas pu
craindre de produire au grand jour
Vapologie qu'ils en avoient faite.
Mais sur ce fait, comme sur tous
les autres , nos adversaires sont
encore en contradiction : tantôt
ils accusent les chrétiens d'être
allés provoquer la colère des juges
païens sur leurs tribunaux ; tantôt
ils imaginent que ces hommes
avides du martyre n'ont pas seule-
ment osé présenter des remontran-
ces sages et respectueuses. La ve-
ri té est que ces deux reproches sont
aussi mal fondés l'un que l'autre.
Mosheim , qui ne laisse échap-
per aucune occasion de déprimer
les Pères de l'Eglise, dit, en parlant
de nos apologistes du second et du
troisième siècles, qu'ils attaquèrent
avec beaucoup de jugement , de
dextérité et de succès , la supersti-
tion païenne , mais qu'ils ne réus-
sirriit pas si bien à «lévcloppcr la
vraie nature et le génie du chris-
tianisme ; que leurs apologies sont
«léfectueuses à plusieurs égards ;
«ju'ils ne lurent pas toujours heu-
reux dans le choix de leurs argu-
ments ; que la plupart paroissent
avoir manqué de pénétration , d'é-
rudition, d'ordre, d'exactitude et
de force ; qu'ils emploient souvent
des arguments futiles, plus propres
à éblouir l'imagination qu'à con-
vaincre l'esprit. L'un, dit-il, aban-
donnant les livres saints, où l'on
doit prendre des armes pour défen-
dre la religion , s'en rapporte aux
décisions des évéques qui gouver-
noient les Eglises apostoliques ; un
autre, s'imaginant que l'ancienneté
d'une doctrine est une preuve de
sa vérité, fait valoir la prescription
contre ses adversaires , comme s'il
défendoit sa propriété devant un
magistrat civil ; un troisième ,
entêté d'idées cabalistiques, allègue
la puissance imaginaire de certains
noms ou termes mystiques. De là
Mosheim conclut que ce fut dès le
second siècle que commença de
s'introduire la méthode vicieuse
de disputer, que l'on nomme éco-
nomique, par laquelle on cherche it
plutôt à dérouter et à confondre
un adversaire, qu'à lui montrer la
vérité. Hist. ecclés. du second siècle,
I." part. , c. 3, § 7 et 8.
Mais , n'est-ce pas Mosheim lui-
même ([ui manque ici de droiture
ou de jugement? i .° La contradic-
tion est palpable entre l'éloge qu'il
a fait d'abord de nos apologistes, et
les reproches par lesquels il l'em-
poisonne. Si tous ces reproches
sont vrais, leur travail est détesta-
ble; en quel sens ont-ils attaqué la
superstition païenne atcc beaucoup
de jugement, de dextérité et de succès?
a ° De quel poids auroient été ,
])our défendre la religion, des ar-
guments tirés de l'Ecriture sainte,
contre dns païens «jui ne croyoient
point à cette Ecrit lire, rjui la regar-
APO ,y^
doioiil connue \u\ recueil de rêve-
ries et de fables :' 11 falloit donc
pour les convaincre de la vérité et
de la divinité de ces livres , des
arguments tirés d'ailleurs ; Mos-
heim lui-même auroit été forcé de
prendre cette même route , s'il
avoit eu à prouver le christianisme
contre un philosophe païen. Mais
voilà l'entêtement des protestants:
parce que , selon leur opinion ,
rien n'est vrai que ce qui est écrit,
et que l'Ecriture est le seul organe
de la révélation , ils jugent que les
Pères du second siècle , qui ont
pensé différemment , ont été dans
l'erreur, qu'ils n'ont pas connu la
nature et le vrai génie du christia-
nisme. Si on veut parler du chris-
tianisme protestant , cela est très-
vrai ; mais ces Pères , instruits par
les disciples immédiats des apôtres,
ont très-bien connu et développé
la vraie nature et le génie du chris-
tianisme apostolique, qui n'est pas
celui des protestants.
3.° Un des principaux préjugés
des païens contre notre religion,
étoit de prétendre que cette re-
ligion étoit nouvelle , inconnue à
tous les sages de l'antiquité ; ils se
persuadoient que toute vérité de-
voit se trouver chez les Grecs. Pour
détruire celte prévention , saint
Justin , Tatien , Athénagore, saint
Clément d'Alexandrie , se sont at-
tachés tous à prouver que la doc-
trine deMoïse touchant laDivinité,
doctrine qui est la base du christia-
nisme, est beaucoup plus ancienne
que celle de tous les écrivains grecs,
et que Moïse l'a enseignée plusieurs
siècles avant la leur. Ils font voir
que les auteurs grecs les plus
anciens et les plus estimés sont
d'accord avec Moïse touchant l'u-
nité de Dieu, la création du monde,
la formation de l'homme, etc. Ces
Pères pouvoient-ils répondre plus
directement et plus solidement à
la prétendue prescription sur la^
quelle sp fondoient les païens?
j8o APO
4.° Un autre préjugé, répandu
même parmi les philosophes, étoil
de croire qu'il y ai Açsmois efficaces,
mais qui n'opèrent rien s'ils ne sont
prononcés dans la langue originale.
Origène se sert de cette opinion
pour réfuter certaines objections
de Celse contre les exorcismes et
contre les miracles que les chré-
tiens opéroient par des paroles ;
nous ne voyons pas où est le crime.
De tout temps il a été permis de
faire à un adversaire un argument
personnel , que l'on nomme argu-
ment ad hominem , tiré des prin-
cipes et des opinions de celui contre
lequel on dispute. Une s'ensuit pas
que par cette méthode on a plus
envie de confondre un homme
que de lui montrer la vérité : la
manière la plus efficace de le con-
vaincre est de le prendre par ses
propres principes.
5.» C'est Tertullien qui, dans ses
Prescriptions contre tes hérétiques ,
s'en rapporte aux décisions des
évêques qui gouvernoient les Egli-
ses apostoliques ; mais il ne dis-
putoit pas alors contre les païens.
Il étoit question de savoir quels
étoient les livres canoniques ou
divins ; si les nôtres étoient falsifiés,
ou si c'étoientceux des hérétiques;
quel étoit le sens qu'il falloit leur
donner. Or, nous soutenons, avec
Tertullien , que ces questions ne
pouvoient être solidement réso-
lues que par le témoignage des
évêques qui gouvernoient les Egli-
ses apostoliques , et que ce té-
moignage étoi t irrécusable. Au mot
Prescription, nous ferons voir que
cet argument , invincible au troi-
sième siècle , n'est pas moins solide
aujourd'hui , et qu'il n'est pas vrai,
comme le prétend Mosheim , que
cette façon de disputer puisse
nuire à la cause de la vérité.
6.° Si l'on veut se donner la
peine de lire l'analyse des apologies
de saint Justin , de Tatien , d'A-
thénagore, etc. , que les savants édi-
APO
teurs de saint Justin en ont faite ,
on verra qu'il est faux que ces
auteurs manquent d'ordre, de mé-
thode , de pénétiation , d'érudition
et de force. Il en est de même de
V Exhortation aux Gentils de saint
Clément d'Alexandrie , dont on
trouvera l'analyse dans l'édition de
Potter, pag. i, dans les notes. Au
mot Celse , nous donnerons celle
de l'ouvrage d'Origène contre ce
philosophe.
Rien n'est donc plus injuste ni
plus téméraire que la censure de
Mosheim , adoptée aveuglément
par les protestants, pour se mettre
à couvert d'une objection qui les
écrase. Nous persuaderont - ils
qu'au second siècle , immédiate-
ment après la mort des apôtres, on
avoit déjà oublié la vraie nature et
le génie du christianisme?
APOLYTIQUE. C'est, dans l'E-
glise grecque, une sorte de refrain
qui termine les parties considéra-
bles de l'office divin. Ce refrain
change selon les temps. Le terme
apolf tique est composé de «tco et de
Xvco , je délie , je finis , etc .
APOSTASIE, APOSTAT. En
laissant aux canonîstes les divers
sens de ce terme qui peuvent les
concerner , nous entendons par
apostasie , le crime de celui qui
abandonne la vraie religion pour en
embrasser une fausse.
Du temps des apôtres mêmes ,
il y eut des apostats du christia-
nisme ; saint Jean nous en parle , et
les nomme des antechrists.J.JoflAï.,
c. 2, y . 8. Le nombre en augmen-
ta lorsque les persécutions devin-
rent cruelles ; Pline en avoit in-
terrogé plusieurs , et il déclare ,
dans sa lettre à Trajan , qu'il n'a
rien découvert par leur aveu, si-
non que le christianisme est un
excès de superstition. En effet ,
aucun des transfuges n'a jamais
ré vêlé aux juifs ni aux païens un seul
A PO
fait «Icsavanlagcux à la religion
qu'il avoit quittée; ils en firent
plutôt l'apologie. Lorsqiieles per-
sécutions cessèrent, plusieurs re-
vinrent à pénitence , et obtinrent
le pardon. C'est une preuve invin-
cible de la vérité et de la sainteté
du cbristianisme , à laquelle ses
accusateurs n'ont jamais fait at-
tention.
Hobbes, qui prétendoit mettre
l'autorité des souverains au-dessus
de celle de Dieu , soutient qu'un
chrétien est obligé en conscience
d'obéir aux lois d'un roi infidèle ,
même en matière de religion, par
conséquent de renier Jésus-Christ
par ses paroles, lorsque le souve-
rain l'ordonne, pourvu qu'il con-
serve dans son cœur la foi en Jésus-
Christ. Alors, dit-il, ce n'est pas
le sujet qui renie Jésus-Christ
devant leshommes , c'est le roi et le
gouvernement. Conséquemment il
n'approuve pas la constance des
martyrs. Pour prouver cette détes-
table doctrine , il demande ce que
devroit faire un mahométan auquel
on commanderoit, sous peine de
la vie , d'abjurer le mahomélisme
et de professer le christianisme
contre sa conscience. Si l'on sou-
tient, dit-il , qu'il doit plutôt souf-
frir la mort, on autorise tout sujet
à résister à son souverain pour
cause de religion, soit vraie, soit
(ausse- Leviath. c.42, p. 334-
Nous répondons que ce mahomé-
tan doit commencer par se laisser
instruire , afin de déposer sa fausse
conscience ; que s'il lui étoit im-
possible de dissiper son aveugle-
ment, supposition que nous n'ad-
mettons point, il seroit obligé de
souffrir la mort. Dieu avoit ordonné
auxisraéli tes d'exterminer les idolâ-
tres , mais iln'avoit pas commandé
de les traîner aux pieds de ses autels,
pour leur faire pratiquer le judaïs-
niesouspeinedela vie. Jésus-Christ
n'a jamais ordonné d'employer la
violenceet les supplices ,j)our for-
APO ,81
cer les pai'ens à professer sa doc-
trine contre leur conscience. Au
reste , c'cstun sophisme de compa-
rer la conscience éclairée et droite
d'un chrétien , avec la conscience
erronée et fausse d'un païen ou
d'un mahométan. C'est une ab-
surdité de vouloir que l'autorité
du souverain l'emporte sur la loi
divine formellement portée par
Jésus-Christ. « Si quelqu'un me
» renie devant les hommes , je le
» renierai devant mon Père. »
Mati. , c. 10, 'f. 33. La loi du
souverain ne peut avoir de force
qu'autant que Dieu nous ordonne
de lui être soumis: or , Dieu n'a
donné à aucun souverain l'auto-
rité de faire des lois contraires à la
sienne. Jésus-Christ nous dit de
rendre à César ce qui est à César,
et à Dieu ce qui est à Dieu , c. 22,
y . 21 : or, c'est à Dieu , et non à
César, dé nous prescrire la reli-
gion. Si le souverain ordonnoit de
commettre un parjure , un vol ,
un adultère, un homicide, ou tout
autre crime contraire à la loi natu-
relle, serions-nous forcés de lui
obéir?
Quelques anciens apostats , pour
excuser leur crime, nièrent la di-
vinité de Jésus-Christ; ils dirent
qu'ils avoient renié , non un Dieu ,
mais un homme. Fbjea Ei-CÉaites.
Parmi les catholiques, on nomme
encore apostat, un homme qui,
sans dispense légitime, renonce à
l'habit et à l'état religieux dans le-
quel il avoit fait profession.
APOSTOLINS, religieux dont
l'ordre conrimença au quatorzième
siècle, à Milan en Italie. Ils prirent
ce nom , parce qu'ils faisoient pro-
fession d'imiter la vie des apôties
et celle des premiers fidèles.
APOSTOLIQUE, signifie, en
général, qui vient des apôtres. On
croit dans rKglisc chrétienne, que
la doctrine, pour être vraie, doit
*83 APO
être apostolique , qu'il ne faut rien
enseigner que ce qui nous a été
transmis par les apôtres, ou de
vive voix, ou par écrit : puisque
la doctrine chrétienne est une doc-
trine révélée, nous ne pouvons la
recevoir avec certitude que par
l'organe de ceux que Jésus-Christ
a envoyés pour l'enseigner. Tertul-
lien a établi avec beaucoup de force
ce principe, dans ses Prescriplions
contre les hérétiques.
Par la même raison , la mission
des pasteurs , pour être légitime ,
doit venir des apôtres par une
succession non interrompue ;toute
mission qui ne vient pas d'eux , ne
peut venir de Jésus-Christ , ne
peut donner aucune autorité ni
aucun pouvoir. (N.e VIII, p. xix.)
Le titre d'apostolique est donc
«n des caractères distinctifs de
la véritable Eglise , parce qu'elle
fait profession d'être attachée à la
doctrine des apôtres ; que ses
pasteurs , par une succession
constante , tiennent leur mission
de CCS premiers envoyés de Jésus-
Christ. Aucune des sociétés qui
se disent chrétiennes , ne réunit
ces deux caractères. Ce titre, qu'on
donne aujourd'hui par excellence
à l'Eglise romaine , ne lui a pas
toujours été uniquement affecté.
Dans les premiers siècles du chris-
tianisme, il étoit commun à toutes
les Eglises qui avoient été fondées
par les apôtres, etparticulièrement
aux sièges de Rome , de Jérusalem,
d'Antioche et d'Alexandrie , com-
me il paroît par divers écrits des
Pères et autres naonuments de l'his-
toire ecclésiastique. Les Eglises
mêmes qui ne pouvoient pas se
dire apostoliques , eu égard à leur
fondation faite par d'autres que
par des apôtres, ne laissoient pas de
prendre ce nom , soit à cause de la
conformité de leur doctrine avec
celle des Eglises apostoliques par
leur fondation, soit encore parce
que tous les évêques se regardoient
APO
comme successeurs des apôtres, el
qu'ils agissoient dans leurs diocè-
ses avec l'autorité des apôtres.
Voyez EvÊQUES.
Il paroît encore par les formu-
les de Marculphe , dressées vers
l'an 660, qu'on donnoit aux évê-
ques le nom d apostoliques. La
première trace qu'on trouve de
cet usage, est une lettre de Clovis
aux prélats assemblés en concile à
Orléans ; elle commence par ces
mots : Le roi Clovis aux saints évê-
ques et très-dignes du siège apo-
stolique. Le roi Contran nomme les
évêques assemblés au concile de
Boulogne, les pontifes apostoli-
ques.
Dans les siècles suivants , les
trois patriarcats d'Orient étant
tombés entre les mains des Sarra-
sins , le titre d apostolique fut ré-
servé au seul siège de Rome, com-
me celui de pape au souverain
pontife, qui en est évêque. Saint
Grégoire le Grand , qui vivoit
dans le sixième siècle, dit, livre V,
épît. 87 , que quoiqu'il y ait eu
plusieurs apôtres , néanmoins le
siège du prince des apôtres a seul
la suprême autorité, et par con-
séquent le nom d apostolique, par
un titre particulier. L'abbé Ruper
remarque , lib. I, de divin. Offic. ,
cap. 27 , que les successeurs des
autres apôtres ont été appelés pa-
triarches ; mais que le successeur
de saint Pierre a été nommé par
excellence apostolique , à cause de
la dignité du prince des apôtres.
Enfin le concile de Reims, tenu
en 1049, déclara que le souverain
pontife de Rome étoit le seul pri-
mat apostolique de l'Eglise univer-
selle. De là ces expressions aujour-
d'hui si usitées , siège apostolique ,
nonce apostolique , notaire aposto-
lique , bref apostolique , chambre
apostolique, vicaire apostolique, etc.
Apostoliques ( Pères. ) Voyez
PÈRES DE l'ECLFSE.
ArosTOLTQVES , nom que deux
AIH)
sectes ilifFcrcnlos oui pris , sous
prolcxtc qu'elles iniiloieut les
mœurs et la pralitpic des apùlres.
Les premiers apostoliques , au-
trement nommés apolaclUcs , s'é-
levcreut d'entre les eucralites ou
les cathares dans le troisième siè-
cle; ils professoient l'abstinence du
mariage, du vin, de la chair, etc.
Voyez Apotactites.
L'autre secte des apostoliques fit
grand bruit dans le treizième siè-
cle; son fondateur fut Gérard Sa-
garelli, ou Scgarel , né à Parme.
11 exigeoit que ses disciples, à l'i-
mitation des apôtres, allassent de
ville en ville, vêtus de blanc, avec
une longue barbe , les cheveux
épars et la tète nue, accompagnés
de certaines femmes qu'ils nom-
moient leurs sœurs. Il les obli-
geoità renoncer à toute propriété,
et à prêcher la pénitence ; mais
dans leurs assemblées particuliè-
res , ils annonçoient la destruc-
lionprochainede l'Eglise deRome,
l'établissement d'un culte plus
pur et d'une Eglise plus glorieuse.
Cette Eglise , selon lui , étoit sa
secte, qu'il nommoit/a congréga-
tion spirituelle. Il publia que toute
l'autorité que Jésus-Christ avoit
donnée à saint Pierre et à ses suc-
cesseurs avoit pris fin, et qu'il en
avoit hérité; qu'ainsi le souverain
pontife n'avoit aucune autorité
sur lui: il ajoutoit que les femmes
pouvoient quitter leurs maris , et
les maris leurs femmes, pour en-
trer dans sa congrégation ; que
c'étoit le seul moyen d'être sauvé;
que Dieu étant partout, il n'y
avoit pas besoin d'Eglise ni de
service divin ; qu'il ne falloitpoint
faire de vœux , et que l'attache-
ment à sa doctrine sanclifioit les
actions les plus criminelles. On
sent quels désordres pouvoient ré-
sulter de cette doctrine fanatique.
Scgarel fut briilé vif à Parme, l'an
i3oo. C'est à cause de lui que
quelques auteurs ont désigné les
Al>0 ,83
a/josloliques sous le nom de séga-
reliens.
Après sa mort, un autre fana-
tique de Novare, nommé Dulcin
ou Doucin , prit .sa place : il se
vanta d'être envoyé du ciel pour
annoncer aux hommes le règne
de la charité ; l'on prétend qu'il
se livroit à l'impudicité, et qu'il
la permettoit à ses sectateurs : la
morale prechée parSegarel devoit
nécessairement produire cet effet.
Alors les apostoliques furent ap-
pelés dulcinistes , du nom de leur
nouveau chef, qu'ils regardoieut
comme le fondateur du troisième
règne. Séduits par les prétendues
prophéties de l'abbé Joachim ,
qui avoient cours pour lors , ils
disoient que le règne du Père avoit
duré depuis le commencement du
monde jusqu'à Jésus-Christ; que
celui du Fils avoit fini l'an i3oo;
que le règne du Saint-Esprit com-
mençoit sous la direction à^Dou-
cin. Celui-ci publia que le pape
Boniface VIll, les prêtres et les
moines , périroient par l'épée de
l'emper'^ur Frédéric III , fils de
Pierre, roi d'Aragon, et qu'un
nouseau pontife plus pieux seroit
placé sur le siège de Rome. Il leva
mêmeune armée, afin de commen-
cer à vérifier lui-même ses pré-
dictions. Reynier, évêque de Ver-
ceil , s'opposa vivement à ce sec-
taire , et pendant une guerre de
plus de deux ans , il y eut beau-
coup de sang répandu de part et
d'autre. Enfin, Doucin, vaincu
et pris dans une bataille , fut mis
à mort à Verceil , l'an 1807, avec
une femme nommée Marguerite ,
qu'il avoit prise pour sa sœur spi-
rituelle.
Dès ce moment sa secte se dis-
sipa en Italie. L'on présume que
les restes se réunirent aux vaudois
dans les vallées du Piémont ; mais
il s'en trouva encore en France et
en Allemagne. Mosheim assure que
l'an 1402, l'un de ces fanatiques
i84 APO
fui brûlé vif à Lubeck. Hist. eccl.
du treizième siècle , 2.^ part. , c. 5 ,
§ 14, note. Lorsque les protestants
déclament contre les supplices que
l'on a fait subir à ces sectaires , ils
devroient faire attention qu'on ne
les a pas punis pour leurs erreurs ,
mais parce qu'ils troubloient la
tranquillité publique et l'ordre de
la société. Une erreur innocente ,
qui ne peut porter préjudice à per-
sonne , est graciable sans doute ;
mais une doctrine séditieuse , qui
échauffe les esprits , corrompt les
mœurs, alarme les gouvernements,
et qui est suivie d'émotion parmi
le peuple , est un crime d'état ; on
a droit d'en punir les auteurs et
les sectateurs opiniâtres.
Il n'est pas étonnant que les his-
toriens n'aient pas rapporté d'une
manière uniforme les erreurs et la
conduite des apostoliques. Dans
une secte de fanatiques ignorants ,
la croyance ne peut être la même ;
chacun a droit de rêver et de pu-
blier ses visions : quelques - uns
peuvent avoir des mœurs pures ,
pendant que les autres se livrent
aux plus grands désordres. II en
a été de même dans tous les temps
et parmi toutes sortes de sectaires.
Mosheim nous apprend encore
que parmi les mennonites ou ana-
baptistes de Hollande, il y a aussi
tine branche que l'on nomme apo-
sloliqucs, du nom de Samuel Apo-
siool, l'un de leurs pasteurs. Ce sont
des mennonites rigides, qui n'ad-
mettent dans leur communion que
ceux qui font profession de croire
tous les points de doctrine conte-
nus dans leur confession de foi
publique ; au lieu qu'une autre
branche , appelée des galénisies ,
reçoit tous ceux qui reconnoissent
l'origine divine de l'ancien et
du nouveau Testament, quels que
soient d'ailleurs leurs sentiments
particuliers. H/.sA ecdésias. du dix-
septième siècle , sec t. 2.*,?.*' part ,
APO
APOTACTITES ou APOTAC-
TIQUES , en grec , àTroTocxtclac ,
composé d'aTto et -râ^ta , je renonce.
C'est le nom d'une secte d'anciens
hérétiques qui renonçoient à tous
leurs biens, et vouloient imposer
à tous les chrétiens l'obligation de
faire de même , pour suivre les con-
seils évangéliques, et pour imiter
l'exemple des apôtres et des pre-
miers fidèles.
Ilneparoîtpas qu'ils aient donné
d'abord dans aucune autre erreur.
Selon quelques auteurs ecclésiasti-
ques , ils eurent des vierges et des
martyrs sous la persécution de
Dioclétien au quatrième siècle. En-
suite ils tombèrent dans l'hérésie
des encratites ; de là vient que la
sixièmeloiducodethéodosien joint
les apotacliques aux eunomiens et
aux ariens. Selon saint Epiphane,
ils se servoient, comme les encra-
tites, de certains actes apocryphes
de saint Thomas et de saint André,
dans lesquels il est probable qu'ils
avoient puisé leurs opinions.
APOTHÉOSE , action de placer
un homme au rang des dieux. Sur
cet article , qui appartient à l'his-
toire, nous ne ferons qu'une ré-
llexion.
Si les païens n'avoient placé au
rang des dieux ou des objets de leur
culte que des hommes recomman-
dables par leurs vertus et par leurs
bienfaits, cette cérémonie, qui at-
testoitla croyance del'immortaliié
de l'àme, auroit été du moins une
leçon pour les mœurs. Mais accor-
der les honneurs divins à des per-
sonnages aussi vicieux et aussi mé-
chants que l'ont été la plupart des
empereurs, c'étoitun outrage san-
glant fait à la majesté divine, et la
plus mauvaise instruction que l'on
pût donner aux peuples ; il en rc-
sultoit que ce n'est pas la vertu qui
conduit l'homme au bonheur éter-
nel. Cet abus' démontre jusqu'à
quel point l'idée de la Divi-^
APO
nilééloil dégradée cho/. ics païens.
C'est Hiic injustice absurde d'a-
voir voulu comparer Vapothéose
des empereurs à la canonisation
des saints, comme ont fait quelques
incrédules ; jamais l'Eglise n'a pré-
tendu accorder à des hommes les
mêmes honneurs qu'à Diea , et n'a
placé au nombre des saints des per-
sonnages odieux par leurs vices.
APOTRE , envoyé , du grec à-Tro
èl ffTtlXûj , f envoie. On désigne
sous ce nom les douze disciples que
Jésus-Christ a choisis et envoyés
lui-même pour prêcher son Evan-
gile et le répandre chez toutes les
nations.
Quelques faux prédicateurs vou-
lurent contester à saint Paul la
qualité à'' apôtre , sous prétexte qu'il
n'avoit été ni instruit , ni envoyé
par Jésus-Christ. Saint Paul releva
ce reproche avec force au commen-
cement de son épître aux Gala tes.
En effet son élection et sa mission
sont clairement marquées dans ces
paroles que Dieu dit à Ananie, en
parlant de Saul converti, yic/.,c. 9,
y/'. 16: « Cet homme est un in-
» strumentquej'ai choisi pour por-
» ter mon nom devant les rois et
I) les nations. » Dieu vouloit mon-
trer par-là qu'il est le maître de
donner une mission extraordinaire
à qui il lui plaît ; que , lorsque les
apôtres choisis par Jésus-Christ ne
seroient plus, la mission ne seroit
pas pour cela détruite et anéantie.
Mais à cette mission divine saint
Paul aj outa la mission ordinaire qui
vient des pasteurs de l'Eglise, par
la prière et par l'imposition des
mains des prophètes et des docteurs
de l'Eglise d'Antioche. Ad. , c. i3 ,
5^. 2 et 3. Exemple qui n'a pas été
imité par ceux qui , dans la suite
des siècles , se sont prétendus sus-
cités de Dieu pour réformer l'E-
glise.
Le ministère des apôtres consis-
1X)it, i.°à enseigner toutes les na-
APO ,85
tions : Prêchez rEoangile à toute
créature ; ce que je vous dis à to-
reillc , publia- le sur les toits, etc.
Or , la fonction d'enseigner avec
autorité emportoit celle de juger et
de décider quelle étoit la doctrine
conforme ou contraire à celle, de
Jésus-Christ, d'approuver la pre-
mière et de condamner la seconde:
les apôtres en ont usé ainsi , nous
le voyons par leurs lettres. 2.° A
gouverner le troupeau de Jésus-
Christ en qualité de pasteurs. Ce
divin Sauveur n'avoit pas chargé
saint Pierre seul de cette fonction ,
lorsqu'il lui avoit àil : Paissez mes
agneaux , paissez mes brebis , puis-
que cet apôtre lui-même dit aux
anciens de l'Eglise ou aux prêtres :
« Paissez le troupeau de Dieu qui
» est autour de vous, non en domi-
» nant sur le clergé , mais en lui
» servant de modèle de tout votre
» cœur ; et lorsque le prince des
» pasteurs paroîtra , vous recevrez
» une couronne de gloire incor-
» ruptible. » J. Petr. , c. 5 , y. 2.
Or , le soin du pasteur ne se borne
point à guider les ouailles ; il con-
siste aussi à les nourrir , à les guérir
lorsqu'elles sont malades , à les ra-
mener lorsqu'elles s'égarent : con-
séquemment Jésus -Christ charge
les apôtres de baptiser ; il leur
donne le pouvoir de remettre et de
retenir les péchés , de consacrer
son corps et son sang, de donner
le Saint-Esprit , etc. « Que l'homme
» nous regarde , dit saint Paul ,
» comme les ministres de Jésus-
» Christ , et les dispensateurs des
» mystères de Dieu. » I. Cor. ,
C.4, y. I- Il «îit aux anciens de
l'Eglise d'Ephèse , que le Saint-
Esprit les a établis évêques ou
surveillants , pour gouverner l'E-
glise de Dieu. Act. , c. 20 , y . 28.
3." A exercer l'autorité de juges
et de législateurs : « Au temps de
» la régénération , leur dit Jésus-
» Christ , ou du renouvellement
» do foutes choses , lorsque le Fils
i86 APO
j» de l'homme sera placé sur le
M trône de sa majesté, vous serez
» assis vous-mêmes sur douze sièges
» pour juger les douze tribus d'Is-
» raël. » Matih. , c. 19 , ^'. 28. 11
leur déclare que tout ce qu'ils ati-
ront lié ou délié sur la terre, sera
lié ou délié dans le ciel, cap. 18 ,
y' . 18. Aussi , dans le concile de Jé-
rusalem, ils font une loi aux fidèles
de s'abstenir du sang , des chairs
suffoquées, etc. yfc/. , c. i5,^.28.
Saint Paul juge un incestueux digne
d'être livré à Satan. I. Cor. , c. 5 ,
5^. 3, etc.
Sur quels fondements quelques
protestants , précepteurs de nos
incrédules , leur ont-ils appris que
les apôtres n'avoient reçu de Dieu
point d'autre autorité que celle
d'enseigner ; que les autres privi-
lèges dont le clergé s'est emparé ,
sont autant d'usurpations et d'en-
treprises injustes sur la liberté des
fidèles ? Aux mots Evèque , Pas-
teur , Succession , nous prouve-
rons, par l'Ecriture sainte et par
des raisons solides , que les pou-
voirs des apôtres sont transmis
par l'ordination aux pasteurs de
l'Eglise, et nous répondrons aux
calomnies des ennemis du clergé.
Quant à l'enseignement , il est
essentiel de remarquer que les
apôtres ont été de simples témoins
de ce que Jésus-Christ avoit fait
et enseigné ; il leur dit : « Vous me
servirez de témoins. » Act. , c. 1 ,
"^ . 8. Eux-mêmes se donnent
pour tels : « Nous ne pouvons ,
» disent -ils , nous dispenser de
i> publier ce que nous avons vu et
» entendu.» ^c/., c. 4,^- 20. « Nous
» vous annonçons et nous vous at-
» testons ce que nous avons vu et
» entendu. » I. Joan., c. i , ^. i
et 2. « J'ai reçu du Seigneur ,
» dit saint Paul , ce que je vous ai
enseigné. » I. Cor. , c. 2 , y. 23. 11
seroit impossible que douze apôtres
et une multitude de disciples dis-
persés eussent enseigné une même
APO
doctrine , eussent établi une même
foi , si tous n'avoient pas été fidèles
à prêcher ce qu'ils avoient vu et ce
qu'ils avoient appris de Jésus-
Christ.L'uniformitéde doctrine at-
teste évidemment l'unité d'origine.
En second lieu , quoiqu'ils eus-
sent le don des miracles , il leur au-
roit été impossible de faire un grand
nombre de prosélytes et de fonder
des Eglises , si les faits qu'ils pu-
blioient n'avoient pas été incontes-
tables etpoussés au plus haut degré
de notoriété. Un thaumaturge au-
roit beau faire des miracles , pour
nous persuader des faits dont la
fausseténousseroitclairement con-
nue , surtout des faits dont les con-
séquences doivent influer sur toute
notrevie ;àmoins que la notoriété
publique ne vienne à l'appui de son
témoignage , un miracle ne nous
convertira pas.
Or, les faits que les apôtres ont
publiés sur le lieu même où ils sont
arrivés , où se trouvoient les té-
moins oculaires, sont les miracles
de Jésus-Christ et surtout sa ré-
surrection. L'on ne pouvoit être
chrétien sans croire ces faits essen-
tiels ; ce sont les faits qui ont per-
suadéladoctrine,etnonla doctrine
qui a fait croire les faits. Comment
les a/70/rcsauroient-ils pu convertir
un seul Juif à Jérusalem , si les
miracles et la résurrection de Jé-
sus-Christ avoient été contredits
par la notoriété publique.''
On ne conteste point aux apôtres
la qualité d'envoyés de Jésus-
Christ ; mais il s'agit de prouver
aux incrédules que cette mission
étoit divine , que les apôtres ont
fait des miracles pour le démon-
trer, qu'ils ont eu d'ailleurs tous
les signes qui peuvent caractériser
des envoyés de Dieu.
i." L'histoire appelée les Actes
des apôtres , dans laquelle leurs mi-
racles sont rapportés , a été mise
entre les mains des fidèles , dans
un temps où l'on pouvoit appren-
A PO
dre «les tcmoiiis oculaires si ces
miracles éloiciit réels ou imagi-
naires. Le boiteux guéri sous les
y eux du peuple à la porte du temple,
la résurrection de Tabithc , les
dons du Saint-Esprit communi-
«lués par l'imposition des mains
des apôtres, relficacité de l'ombre
de saint Pierre , etc. , ne sont point
des prestiges sur lesquels l'illusion
ait pu avoir lieu ; la plupart ont
été opérés en présence de té-
moins intéressés à les contester.
S'ils ne sont pas réels , si ce sont
des imposteurs , il est impossible
que des juifs et des païens y aient
ajouté foi et se soient convertis ;
que les apôtres aient fondé des
Eglises à Jérusalem , à Antioche ,
à Rome , et dans les principales
villes de la Grèce , composées en
partie de juifs qui avoient pu se
trouver à Jérusalem aux fêtes de
Pâques ou de la Pentecôte, l'année
même de la mort du Sauveur.
2.° Saint Paul , écrivant à ces
différentes églises , attribue ses suc-
cès aux miracles qu'il a faits. iîo/7i. ,
c. i^ ^yi . i8 et 19 ; I. Cor. , c. 2 ,
"^ . 4- Il les donne pour preuve de
son apostolat. JJ. Corinih. , c. 12,
y. 12 ; Eph. , C.2., "^ . 19, etc. Si
ceux auxquels il parle n'avoientété
témoins de ces miracles, auroient-
ils souffert patiemment les repro-
ches et les réprimandes qu'il leur
fait?
3.» Dans le Talmud de Jérusa-
lem , qui est le plus ancien , les
juifs conviennent qu'il se faisoll
des miracles au nom de Jésus-
Christ. Voyez Galatin , 1. 8, c. 5.
Il falioit que ce fait fût bien avéré
pour arracher un pareil aveu de
la part des juifs.
4.° Celse et Julien traitent de
magiciens les disciples de Jésus-
Christ. Cette accusation prouve
du moins que ces disciples fai-
saient profession d'opérer des mi-
racles , et que c'étoit une opi-
nion constante. Mais jamais les
Al>0 ,87
magiciens n'ont fait des miracles
pour tirer les hommes de l'erreur
et du vice, pour enseigner la vérité
et la vertu. C'est la réponse de nos
apologistes.
5." A la naissance de l'Eglise,
il parut de faux messies, de faux
docteurs, de faux apôtres : tous
promettoient des miracles, sédui-
soient le peuple par des prestiges.
Jésus - Christ l'avoit prédit, les
apôtres s'en plaignent; les premiè-
res hérésies ont été l'ouvrage de
ces imposteurs. Si les apôtres n'a-
voient pas fait des miracles réels
et incontestables pour les confon-
dre, ils n'auroient pas eu un suc-
cès plus durable ; on n'auroit pas
fait plus de cas d'eux que des four-
bes qu'ils avoient démasqués.
6.° Les incrédules ne réfléchis-
sent point sur la difficulté qu'il
y avoit de convertir les Juifs, de
dessiller les yeux des païens, de
réunir en société religieuse deux
espèces d'hommes qui se détes-
toient, de subjuguer des philoso-
phes opiniâtres, de lasser la cruauté,
des persécuteurs. Qu'ils se talent
eux-mêmes, et qu'ils voient si leurs
prédécesseurs ont pu être vaincus
sans miracles.
Vainement ils ont épuisé toute
leur sagacité pour trouver dans la
conduite des apôtres des signes
d'impostures ; la sincérité , ia can-
deur, le désintéressement , la cha-
rité, la patience, le courage des
envoyés de Jésus-Christ, ont éclaté
dans toutes leurs démarches; ils
ont retracé le tableau des vertus
de leur maître : sans ce caractère
décisif de mission divine , ils n'au-
roient pas inspiré aux fidèles une
si grande vénération pour eux.
On avoit vu beaucoup de philoso-
phes s'ériger en réformateurs des
vices et des erreurs de l'humanité ;
mais aucun n'avoit montré les ver-
tus , la sagesse, la charité, le cou-
rage, la sainteté des apôtres.
I! n'est pas prouvé, dit-on, qu'ils
i88 APO
aient souffert le martyre pour con-
firmer leurs prédications : l'on ne
connoît leur genre de mort que
par des actes supposés , par des
légendes ridicules et apocryphes.
Nous soutenons que le martyre
de la plupart des apôtres est très-
bien prouvé. Celui de saint Pierre
et de saint Paul est attesté par leurs
discipleset par leur tombeau; celui
de saint Jacques le Majeur et de
saint Etienne est rapporté dans les
Actes des apôtres ; celui de saint
Jacques leMineur estrapportépar
Josèphe , Aniiq. Jud. , liv. 20 ,
chap. 8 ; celui de saint Siméon ,
âgé desix vingts ans, et deplusieurs
autres parents de Jésus-Christ, est
attestéparHégésippc, auteur pres-
que contennporain. Euscbe , Hi'st.
ecclés. , liv. 3, c. 32. Saint Clément
de Rome , témoin oculaire , après
avoir parlé du martyre de saint
Pierre et de saint Paul , dit qu'ils
ont été suivis par une grande mul-
titude d'élus, qui ont bravé comme
eux les outrages et les tourments.
Epist. J, n.° 6. Saint Polycarpe
dit que saint Paul et les autres
apôtres sont tous dans le Seigneur,
avec lequel ils ont souffert : cum
quo et passi sunt. Epist. ad Fhilipp.
Saint Clément d'Alexandrie dit de
même que les apôtres sont morts,
comme Jésus-Christ, pour les Egli-
ses qu'ils avoient fondées. Strom.,
1. 4, c. 9. Ce divin maître le leur
avoit prédit. Xfic, c. 21,^. 16. Sa
parole a été accomplie. Nous n'a-
vons donc pas besoin depiècesapo-
cryphes pour prouver le martyre
des apôtres.
Mosheim, qui le révoque en
doute , Hist. christ. , sect. i , § 16,
y oppose un passage d'Héracléon,
hérétique du second siècle , qui
soutient que Matthieu, Philippe ,
Thomas, Lévi, et plusieurs autres,
ne sont pas morts pour avoir con-
fessé Jésus-Christ. Clément d'A-
lexandrie, qui réfute ce passage ,
n'a cependant pas osé affirmer le
APO
fait contraire. Strom., 1. 4> c. 9,
p. SgS. Mais Mosheim en impose.
Héracléon , qui soutenoit l'inuti-
lité du martyre, étoit intéressé à
contester celui des apôtres; ainsi,
son témoignage est suspect ; aussi
Clément d'Alexandrie le réfute for-
mellement, ibid. p. 597. « Le Sei-
» gneur, dit-il, a bu seul le calice
» pour purifier les hommes , même
» les infidèles qui lui tendoient des
» pièges ; à son exemple , les apô-
» ires , vrais et parfaits gnostiques,
j> ont souffert pour les Eglises qu'ils
» ont fondées. » Mosheim ne fait
point mention du témoignage de
saint Polycarpe, qui est décisif;
les paroles des Pères postérieurs
qu'il allègue ne Sont que des preu-
ves négatives, qui ne peuvent pré-
valoir à des assertions positives.
Vers le milieu du second siècle ,
temps auquel vivoit Héracléon ,
l'on pouvoit encore ignorer lemar-
tyre de plusieurs a/?ô/res, qui étoit
arrivé dans des pays éloignés, ri
duquel on a été informé dans la
suite.
Lorsque les incrédules ont voulu
raisonner sur la conduite des apô-
tres , sur les causes du succès de
leur prédication , ils se sont trouvés
fort embarrassés ; ils ont été forcés
de leurprêter des qualités incompa- ,
tibles, et qui jamais n'ont pu se
rencontrer ensemble dans lanature
humaine Us leur ont attribué une
ignorance excessive et des ruses,
impénétrables, une grossièreté sans
égale et un projet de politique pro-
fonde, une crédulité stupideetune
prudence consommée, un intérêt
sordide et un courage héroïque,
un fanatisme révoltant et un zèle
ardent pour la gloire de Jésus-
Christ, une scélératesse obstinée
et le désir de sanctifier le monde,
une aveugle ambition et la soif du
martyre.
Ces accusations contradictoires
suffisent sans doute pour faire
l'opologic des apôtres; mais si ou
A PO
\es examine en (lélail , on en voit
encore mieux l'absurdité.
Quand les apôtres auroienl été
assez stupidcs pour se laisser trom-
per par les miracles, par les appa-
rences de vertu , par les promesses
de Jésus-Christ, leur erreur a dû
cesser après la mort de leur maître.
S'il n'est pas ressuscité comme il
l'avoit promis, il est impossible
que ses apôtres et tous ses disciples
u'aient pas compris qu'il les avoit
trompés. Quel motif a pu les enga-
ger pour lors à braver les travaux,
les tourments et lamort pour établir
l'Evangile, et pour tout rapporter
à la gloire d'un maître qui s'étoit
joué de leur crédulité t Un tel pro-
jet choque de front tous les sen-
timents de l'humanité.
D'ailleurs , il eût été trop tard
de former ce projet pendant les
q^uarante jours qui se sont écoulés
après la mort du Sauveur, puisque
l'on est obligé de supposer que les
apôtres ont dérobé son corps dans
le tombeau, pour pouvoir publier
sa résurrection. Comment espérer
qu'un complot, danslequelilfalloit
faire entrer tant de personnes, ne
seroit dévoilé par aucun des com-
plices P Des hommes simples et
grossiers , tels que les apôtres , sont
ordinairement timides et peu sus-
ceptibles d'ambition ; s'ils avoient
été dominés par l'intérêt, ils au-
roient eu plus à gagner en décou-
vrant aux Juifsl'imposturedeleurs
collègues , qu'en s'obstinant à la
soutenir aux dépens de leur vie.
Enfin, quel est donc V intérêt qui
a pu engaf^er douze apôtres à de-
meurer attachés à leur maître après
sa mort , s'il n'est pas ressuscité .''
Dès ce moment ils ont dû perdre
les espérances que ses promesses
leuravoientfait concevoir, ne rien
attendre que d'eux-mêmes , ne tra-
vailler que pour eux seuls : au con-
traire , ils persistent à se sacrifier
pour lui; ils entreprennent de le
faire reconnoître par toute la terre
AI>0 189
pour le Fils de Dieu, de lui faire
rendre hommage par tous les hom-
mes. Quand cela auroit pu leur
être utile dans la Judée, où les
miracles de Jésus-Christ l'avoient
rendu célèbre , cela ne leur servoit
de rien dans les régions éloignées,
où l'on n'avoit pas entendu parler
de lui. Les a-t-on vus quelque
part se faire une fortune, se for-
mer un troupeau pour leur utilité,
s'attribuer la gloire de leurs succès,
jouir tranquillement des respects,
de la confiance, des libéralités des
fidèles ? Saint Jean est le seul qui,
dans sa vieillesse, se soit fixé à un
siège particulier ; tous les autre'»
sont morts dans les travaux, dans
les voyages, dans les périls de l'a-
postolat ; tous ont pu dire comme
saint Paul : « Si nous n'espérons
» rien que dans ce monde, nous
» sommes les plus malheureux de
» tous les hommes, n I. Car., c. i5,
>^. 19.
D'ailleurs si les apôtres ont été
des imposteurs, loin de prendre
aucun des moyens propres à dé-
guiser leur imposture, ils ont choisi
les plus capables de la dévoiler :
des hommes intéressés à tromper
auroient supposé des personnages
moins connus, des faits moins pal-
pables, des prodigesmoins récents,
un théâtre moins public.
Il a paru dans le monde an assez
grand nombre d'imposteurs, mais
ils ne se sont pas conduits comme
les apôtres; aucun n'a montré au-
tant de candeur , de désintéresse-
ment, de zèle, n'adonné des leçons
de vertu aussi touchantes, n'a désiré
de verser son sang pour confirmer
la vérité de sa doctrine, n'a rap-
porté à Dieu toute la gloire de ses
succès.
Indépendamment de l'intérêt
qu'avoient les Juifs de découvrir
l'imposture des apôtres, s'ils avoient
trompé sur un seul fait, d'autres
ennemis les auroient démasqués.
Il y eut bientôt de faux apôtres,
igo APO
quialtcroient la doctrine de Jésus-
Christ : saint Paul et saint Jean
s'en plaignent dans leurs lettres ;
il y eut des Juifs entêtés , qui , mal-
gré leur foi en Jésus -Christ, vou-
loient que l'on continuât d'obser-
ver les rits mosaïques ; il y eut
même des apostats : nous le voyons
par les lettres de saint Jean ; il se
trouva bientôt des philosophes
qui contestèrent, les uns la divinité
de Jésus-Christ, les autres la réa-
lité de sa chair, plusieurs sa nais-
sance miraculeuse, etc. Au milieu
de ces disputes, de ces jalousies,
de ces intérêts divers, comment
nes'est-il pas trouvé un seul homme
qui ail eu ou la bonne foi ou la
malice de mettre au jour la fausseté
de quelqu'un des faits publiés par
les apôtres, surtout du fait le plus
essentiel de tous, de la résurrection
de Jésus-Christ.
Ils témoignent, dans leurs écrits,
qu'ils ont fait des miracles, que c'est
par-là qu'ils ont confirmé leur doc-
trine , et non par des raisonne-
ments. J. Cor.yC. 2, ^.4, etc. Si cela
n'est pas vrai , l'on ne concevra
jamais comment ils ont pu trouver
un seul auditeur assez aveugle pour
s'attacher à eux.
En un mot , la conduite des apô-
tres, leurs leçons, leurs succès, leur
persévérance dans l'apostolat jus-
qu'à la mort , la durée de l'édifice
qu'ils ont fondé malgré les orages
dont il est battu depuis dix-sept
siècles, sont autant de preuves dé-
monstratives de la vérité et de la
divinité du christianisme.
On donne communément le nom
d'a/70/re à celui qui le premier a
porté la foi dans un pays : c'est
ainsi que saintDenys, premier évê-
que de Paris, est Vapôtre de la
France ; saint Boniface, Vapôtre
de l'Allemagne ; le moine saint
Augustin , Vapôtre de l'Angleterre;
saint François-Xavier, Vapôtre des
Indes.
La mort tragique des apôtres
APO
sembloit bien propre à rebuter
ceux qui seroient tentés de les imi-
ter ; mais non , c'a été plutôt un
nouvel attrait pour engager des
milliers d'hommes à se livrer aux
travaux de l'apostolat. Voilà, sui-
vant l'opinion des incrédules, une
nouvelle espèce de fanatisme dont
il n'y avoit jamais eu d'exemple
dans le monde.
Il y a eu des temps où le pape
étoit spécialement appelé Vapôtre, à
cause de sa prééminence en qualité
de successeur de saint Pierre. Voy.
Sidoine Apollinaire , liv. 6,Ep.4.
ApÔtrb étoit encore, dans l'ori-
gine de l'Eglise, le titre que l'on
donnoit à ses envoyés , à ceux qui
voyageoientpour ses intérêts. Ainsi
saint Paul dit dans son épître aux
Romains, c. 16, ^i'^. 17 :Saluez An-
dronicus et Junia mes parents et
compagnons de ma captivité , qui
sont distingués parmi les apôtres.
C'étoit aussi le titre qu'on donnoit
à ceux qui étoient envoyés par quel-
ques Eglises, pour en apporter les
collectes et les aumônes des fidèles
destinées à subvenir au besoin des
pauvres et du clergé de quelques
autres Eglises. C'est pourquoi saint
Paul , écrivant aux Philippiens ,
leur dit qu'Epaphrodite, leur apô~
ire , avoit fourni à ses besoins ,
c. 1 1, y. 25. Les chrétiens avoient
emprunté cet usage des synagogues,
qui donnoient le même nom à ceux
qu'elles chargeoient d'un pareil
soin , et celui à'' apostolat à l'office
charitable qu'ils exerçoient. Mais
les apôtres ou envoyés de la syna-
gogue n'ont rien de commun avec
ceux de Jésus-Christ.
Apôtre, dans la liturgie grecque,
àTTOCTToXoç , est un terme usité pour
désigner un livre qui contient prin-
cipalement les Epîtres de saint
Paul , selon l'ordre ou le cours de
l'année; car comme ils ont un livre
nommé tiayyAtov, qui contient les
Evangiles, ils ont aussiuu àTrocrtoXoç.
et il y a apparence qu'il ne conte-
APP
hdild'abord<|uelcsKj)îlros(lesaint
Paul ; mais depuis uu Ircs-long
temps il renferme aussi les Actes
df.s apôtres , les Epîlres canoniques
et l'Apocalypse; c'est pourquoi on
l'appelle aussi irpaÇaTroaro^o;, à cause
des actes qu'il contient, et que les
Grecs nomment «pa^Egç. Le nom
A\ipostolus a été en usage dans l'E-
glise latine dans le même sens ,
comme nous l'apprennent saint
Grégoire le Grand, Hincmar et
Isidore de Sévillc : c'est ce qu'on
nomme aujourd'hui cpistolier.
APPARITION. Action par la-
quelle un esprit tel que Dieu, un
ange bon ou mauvais, l'àm^e d'un
mort, se rend sensible, agit et
converse avec les hommes. Les
exemples en sont fréquents dans
l'Ecriture sainte.
Selon l'histoire même delà créa-
tion , Dieu a conversé d'une ma-
nière sensible avec Adam et ses
enfants, avec Noé et sa famille,
avec Abraham , Isaac , Jacob ,
Moïse et plusieurs prophètes. Les
Pèresde l'Eglise ontagitélaquestion
de savoir si c'étoit Dieu lui-même
qui se rendoit présent et visible
aux hommes , ou si c'étoit un ange
qui parloit et agissoit au nom de
Dieu. Presque tous les anciens ont
été persuadés que c'étoit le Verbe
divin , seconde personne de la
sainte Trinité , qui préludoit ainsi
au mystère de l'incarnation ; d'au-
tres ont cru que c'étoient des anges.
Il seroit difficile de prouver d'une
manière incontestable l'un ou
l'autre de ces sentiments ; tous deux
peuvent être vrais , eu égard aux
circonstances. Il semble d'abord
qu'à moins de faire violence au
texte sacré , on ne peut pas nier
que le Créateur lui-même n'ait
parlé et conversé avec Adam , Noé
et Abraham; il ne paroît pas pro-
bable qu'un ange ait dit à Moïse
dans le buisson ardent : « Je suis
» le Dieu de ton père, le Dieu
APP ,9,
» d'Abraham ; « et aux Israélites
assemblés au pied du mont Sinaï:
« Je suis le Seigneur votre Dieu ,
» qui vous ai tirés d'Egypte. »
Exod., cap. 20, y. 2. Cependant
nous lisons àa.\ïS les Actes des apô-
tres , c. 7, ^. 37 , que c'étoit un
ange qui parloit à Moïse sur le
mont Sinaï ; et saint Etienne dit
aux Juifs : Vous avez reçu une loi
disposée par les anges, y . 53.
Sous quellefigure cet ange se mon-
troit-il alors i* Sous aucune. Moïse
dit formellement aux Israélites :
« Lorsque Dieu vous a parlé à
» Horeb du milieu d'un feu , vous
» avez entendu sa voix; mais vous
» n'avez vu aucune figure , de peur
» que trompés par là vous ne fus-
» siez tentés de faire quelque re-
» présentation de mâle ou de fe-
» melle , et de l'adorer. » Deut. ,
c. 4 , y ' 12 , i5 , etc. Il est dit que
Moïse parloit à Dieu face à face
dans la nuée qui étoii à l'entrée
du tabernacle ; mais lorsque Moïse
lui dit: <c Seigneur, si j'ai trouvé
» grâce devant vous , montrez-moi
» votre visage , afin que je vous
» connoisse... montrez-moi votre
» gloire; Dieu lui répond : Vous
n ne pouvez pas voir mon visage,
» aucun homme ne me verra sans
» mourir. » Exod. , c. 33 , y. 9 ,
II, i3, etc. 11 paroît néanmoins,
par les premiers chapitres de la
Genèse, que Dieu, pour converser
avec nos premiers parents , se re-
vêtoit d'un corps visible; mais on
ne peut pas affirmer que c'étoit iin
corps humain.
Dans d'autres circonstances , les
anges qui parloicnt aux hommes ,
leur apparoissoient sous une figure
humaine : ainsi un ange conversa
dans le désert avec Agar , et celle
femme crut que c'étoit Dieu lui-
même. Gen. , c. iS^y^. 7 et i3. Les
trois anges envoyés pour détruire
Sodome, prirent un repas dans la
tente d'Abraham; l'un d*entr'eux,
qui lui promit un fils, est apficlc
192 APP
le Seigneur , Jiî'^ca^ , c. i8,}^.i3.
Ces sortes à.' apparitions des bons
anges sont fréquentes dans l'ancien
et le nouveau Testament ; mais
nous ne voyons dans l'ancien au-
cun exemple à^ apparitions des anges
de ténèbres ; la première fois qu'il
en est fait mention dans l'Ecriture
sainte , est à l'occasion de la ten-
tation de Jésus-Christ au désert.
Matih., c. 4,:)^. I.
Il est aussi rarement question
^apparition des morts. Samuel ap-
parut à Saiil , lorsque celui-ci le
fit évoquer par la pythonisse d'En-
dor. I. lits- , c. 28 , 3^'. i5. Judas
Machabée vit aussi le grand-prêtre
Onias et Jérémie qui lui parlèrent
après leur mort, mais c'étoit en
songe. II. Machab. , c. i5 , S- i4-
Nous lisons, Maith., c. 27, /. 62,
qu'à la mort du Sauveur , et après
sa résurrection , plusieurs morts
sortirent de leur tombeau, entrè-
rent à Jérusalem , et apparurent à
plusieurs personnes.
Nous ne nous arrêterons point
à examiner la multitude des appa-
ritions des esprits , rapportées par
les auteurs profanes ; les philo-
sophes du troisième et du qua-
trième siècle de l'Eglise , entêtés
de théurgie , de théopsie et de
magie , croyoient ou faisoient sem-
blant de croire que l'on pouvoit
converser avec les génies ou dieux
du paganisme ; que plusieurs hom-
mes en avoient vu , leur avoient
parlé et en avoient reçu des répon-
ses. Quelques Pères de l'Eglise ont
été persuadés qu'en effet le démon
s'étoit rendu sensible à ses magi-
ciens , en particulier à Julien l'ap o-
stat, et queDieu l'avoitpermispour
punir leur impiété. On ne peut sa-
voir avec certitude jusqu'à quel
pointl'imagination, les prestiges de
l'esprit impur, ou l'imposture, ont
eu lieu dans ces circonstances . Com-
mentnous fiera de prétendus philo-
sophes , dont la mauvaise foi alloit
de pair avec leur fanatisme i' Por-
ÀPP
phyre et Jamblique , moins entêté*
que les autres , ont témoigné qu'ils
n'ajoutoient aucune foi à toutes
ces visions ; les chrétiens ont plus
d'une fois défié les païens de faire
agir en leur présence ces génies dont
on van toit la puissance. Tertull. ,
Apolog. , c. 22 et 23. Si l'on veut
en croire les voyageurs , les magi-
ciens caraïbes ont souvent com-
merce avec le démon.
Quaniauxapparitions des morts,
rien n'est plus commun , soit chea
les historiens païens , soit dans nos
écrivains des bas siècles ; c'est ce
qui avoit fait naître dans le paga-
nisme la nécromancie , ou l'art
d'évoquer les morts , pour appren-
dre d'eux l'avenir ; mais aucun de
ces faits dont nos pères repais-
soient leur crédulité , n'est fondé
sur des preuves assez fortes pour
nous obliger à le croire. S'il y en
avoit de bien prouvés , nous n'au-
rions aucune répugnance à y ajou-
ter foi. D'autre part , les doutes que
nous inspirent des narrations apo-
cryphes , ne dérogent en aucune
manière à la certitude des faits
rapportés dans les livres saints ;
vainement les incrédules se croient
en droit de tout nier , parce que
tout n'est pas également prouvé.
I .° Ceux qui admettent un Dieu ,
peuvent-ils mettre des bornes à sa
puissance, régler ses décrets , pres-
crire la conduite qu'il a dû tenir
envers les hommes depuis la créa-
tion ? Dieu , sans doute , peut se
revêtir d'un corps, c'est-à-dire,
rendre sa présence sensible , par
la parole et par l'action qu'il don-
ne à un corps quelconque : que ce
corps soit igné , aérien , lumineux
ou opaque , cela est égal ; on ne
prouvera jamais que cette manière
d'instruire les hommes , de leur
dicter des lois , de leur prescrire
une religion , est indigne de la sa-
gesse et de la majesté divine : Dieu
a donc pu s'en servir. Comment
prouvera-t-on qu'il ne l'a pas fait ?
A1>1>
lue preuve qu'il l'a fai! à rôf^ar»)
«les paliiarcîu'S , tic INIoïsc , cl
<l'anlrc.s , c'est qu'ils nous oui laisse
ivs luouumcnls d'une religion, plus
î'urc , plus sainte plus sensée,
plus vraie que toutes celles des
peuples qui n'ont pas eu le même
secours. II faut donc que Dieu la
leur ait révélée. La manière dont
ils disent que cette révélation leur
a été faite étoit donc convenable,
puisqu'elle a produit l'effet que
Î3ieu se proposoit.
Les apparitions des anges et des
morts ne renferment pas plus de
difficulté que les apparitions de
Dieu. Il ne lui est pas moins aisé
de donner un corps à un ange que
d'en revêtir une âme humaine ;
lorsque celle-ci est séparée de son
corps, Dîeu peut certainement la
faire reparoître, lui rendre lemême
corps qu'elle avoit , ou un autre,
la remetti-e en état de faire les mê-
mes fonctions qu'elle faisoit avant
la mort. Ce moyen d'instruire les
hommes et de les rendre dociles,
est un des plus frappants que Dieu
puisse employer.
2." Les matérialistes mêmes, qui
ne croient ni à Dieu ni aux es-
prits , et qui nient tous les faits
capables d'en prouver l'existence.,
ne raisonnent pas conséquemment.
Bayle a démontré que Spinosa ,
dans son système d'athéisme, ne
pouvoit nier ni les esprits , ni leurs
apparitions , ni les miracles , ni les
démons , ni les enfers. Dict. ait. ,
Spinosa , rem. Q et suiv. En effet,
selon l'opinion des matérialistes,
la puissance de la nature , c'est-à-
dire , de la matière, est infinie:
or , elle ne le seroit pas si elle ne
pouvoit pas faire tout ce qui est
rapporté dans l'histoire sainte.
Un défenseur de ce système nous
dit que nous ne savons point si la
nature n'est pas actuellement oc-
cupée à produire plusieurs êtres
nouveaux , si elle ne rassemble pas
dans son laboratoire les éléments
API» ,93
propres à faire éclore des géné-
rations toutes nouvelles, cl qui
n'auront rien de commun avec te
que nous connoissons. Système ,U:
la nni., tom. i , c. 6 , pag. 86, 87.
Donc nous ne savons pas non plus
si , plusieurs milliers d'années
avant nous, elle n'a pas produit
des phénomènes singuliers , et que
nous ne concevons point. Nous
ignorons si , par quelques combi-
naisons fortuites de la matière, il
ne s'est pas allumé au sommet du
mont Sinaï un feu terrible , d'où
sortoit une voix qui a dicté le Dé-
calogue. Nous ne pouvons décider
si par d'autres combinaisons il ne
s'est pas formé tout à coup une
figure d'homme qui a conduit ,
protégé et comblé de biens le jeune
Tobie; si, par magie ou autrement,
il n'est pas sorti de terre un spec-
tre semblable à Samuel qui a parlé
à Saiil, etc. Puisque la nature, par
sa toute-puissance, a fait des hom-
mes tels que nous sommes , pour-
quoi ne pourroit-elle pas former
des anges beaucoup plus puissants
que les hommes, des corps ignés
ou aériens capables de faire des
choses supérieures aux forces hu-
maines ?
3.° En bonne logique, les scepti-
ques peuvent encore moins rejeter
le témoignage des auteurs sacrés.
Selon leur système, il n'y a aucune
connexion nécessaire entre les idées
qui nous viennent à l'esprit par
les sensations, et l'état réel des
corps existants hors de nou : nous
ne sommes pas siirs s'ils sont réel-
lement tels qu'ils paroissent à nos
sens. Donc le cerveau de Moïse a
pu être affecté de manière qu'il
ait cru voir, entendre, et faire
tout ce qu'il raconte; les têtes de
la famille de Tobie ont pu se trou-
ver dans la même situation que si
un ange leur étoit apparu, leur
avoit parlé, et avoit fait tout ce
qu'ils ont cru voir et éprouver ;
les organes de Saiil ont pu cire
i3
,94 APP
modifiés de la même manière q ic
si Samuel étoit réellement sorti du
tombeau, etc. Nous aurions donc
tort de suspecter la sincérité de
ceux qui ont écrit ces faits. A la
vérité , si c'étoient des illusions ,
tous ces gens-là n'ctoient pas dans
leur bon sens ; qu'importe ? Nous
ne sommes pas sûrs si à ce moment
notre cerveau et celui des scepti-
ques ne sont pas aussi malades
que celui des personnages dont
nous parlons.
Si donc les incrédules savoicnt
raisonner, ils ne borneroienl ja-
mais les forces de la nature , ni le
nombre des possibles; ils seroient
aussi crédules que les vieilles , les
enfants et les ignorants les plus
grossiers. Ceux qui croient à la ma-
gie sans croire en Dieu , ne sont
pasceuxqui raisonnentle plus mal.
4.** Le grand argument est de
dire : Si tout cela étoit arrivé au-
trefois , il arriveroit encore ;
puisqu'il n'arrive plus depuis que
l'on est mieux instruit, c'est une
preuve qu'il n'est jamais arrivé.
Faux raisonnement. Selon l'opi-
nion des matérialistes , il est sorti
autrefois du sein de la terre ou de
la mer , des hommes tout formés,
il n'en sort plus aujourd'hui; tous
viennent au monde par une suite
de générations régulières. Si nous
en croyons les sceptiques , il n'y a
aucune connexion nécessaire entre
ce qui se fait aujourd'hui et ce qui
est arrivé autrefois. Dés qu'il n'y
a point de providence qui entre-
tienne dans la nature un ordre
constant , il n'est rien qui ne puisse
arriver par hasard , ou par des
combinaisons inconnues de la ma-
tière.
Les déistes , à leur tour , se fon-
dent mal à propos sur ce même ar-
gument. S'il y a un Dieu, il a pu et
il a dû conduire autrement le genre
humain dans son enfance, que
dans les âges postérieurs. Il falloit
a'ors des miracles , des prophéties ,
APP
des apparitions et des inspirations
pour établir la vraie religion : une
fois fondée , elle n'en, a plus besoin ;
les mêmes faits qui lui ont servi
d'attestation dans l'origine, lui en
serviront jusqu'à la fin des siècles :
il n'est donc plus nécessaire que
Dieu fasse aujourd'hui ce qu'il a
fait autrefois. C'est la i-éllexion de
saint Augustin.
11 s\n faut beaucoup que les dis-
sertations de dom Calmet sur les
apparitions aient été faites avec la
sagacité et le bon sens qu'exigeoit
Une matière aussi délicate. L'abbé
Langlet lui a fait, avec raison,
plusieurs reproches dans son traité
sur le même sujet, t. 2, p. 91.
Celui - ci prouve fort bien que le
très-grand nombre des apparitions
des morts, rapportées par les écri-
vains des bas siècles , manquent
de preuves et de vraisemblance ,
p. 893 et suiv.
Apparitions de Jésus - Christ
APRÈS SA RÉSURRECTIOX. Il eSt dit,
dans les Actes des apôtres , qu'après
sa résurrection , Jésus-Christ s'est
montré vivant à ses apôtres, et les
en a convaincuspar un grand nom-
bre de preuves pendant quarante
jours, conversant avec eux, leur
parlant du royaume de Dieu , bu-
van t et mangeant avec eux; qu'ils
l'ont vu de leurs yeux monter aux
cieux. Act. , c. i. Les évangélistes
nous apprennent qu'il s'est montré
différentes fois à ses apôtres , soît
dispersés, soit rassemblés , et aux
saintes femmes ; qu'il leur a parlé ,
qu'il s'est laissé toucher , qu'il a
invité le plus incrédule d'entr'eux
à mettre le doigt sur ses plaies ,
qu'il a bu et mangé plusieurs fois
avec eux. Ces apparitions n'étoient
donc point des illusions.
Mais aucun des évangélistes ne
s'est attaché à raconter toutes ces
apparitions et ces conversations, a
les arranger dans l'ordre selou le-
quel elles sont arrivées, à en dé-
tailler toutes les circonstances
APP
SainlMallhicuii'eiiacilcqucdcux,
saint INIarc fait mention de cjualre,
saint Luc n'en a rapporte, que cinq,
saint Jean quatre ; aucun d'eux
n'en a fixé le nombre. Ils en par-
loient comme d'une chose très-
connue parmi eux, sur laquelle
personne ne pouvoit former des
doutes. Ils ne pensoient pas que
dans la suite des siècles les incré-
dules éplucheroient toutes leurs
paroles, y chercheroient des con-
tradictions, argumenteroient sur
la brièveté de leur récit, se plain-
droient de ce qu'il n'est pas assez
exact, etc. Aucun titre, aucune his-
toire ne peut être assez claire, ni
assez précise, ponr prévenir toutes
les objections des opiniâtres.
La grande objection des incré-
dules , est que ces apparitions ne
suffisent pas pour prouver la ré-
surrection de Jésus-Christ. Il avoit
promis publiquement de ressus-
citer , disent-ils ; donc il devoit
ressusciter en public. Il falloit se
montrer aux prêtres , aux phari-
siens, aux docteurs juifs, au san-
hédrin de Jérusalem ; le téraoi-
gnage de ces gens-là auroit été d'un
tout autre poids que celui d'une
poignée de disciples déjà séduits.
Un gouverneur romain , un té-
trarque , un grand - prêtre juif ,
convertis par Vapparilion de Jésus-
Christ , eussent fait plus d'im-
pression sur un homme de bon
sens, que celte populace ignorante
que l'on suppose avoir été persua-
dée par la prédication de saint
Pierre.
Mais ici nos adversaires s'ar-
rètejit en beau chemin: la résur-
rection de Jésus-Christ ne dcvoit
pas seulement être crue à Jérusa-
lem, ellcdevoil être publiée et crue
dans le monde entier. Pourquoi
vouloir que les autres nations fus-
sent obligées de croire aux témoi-
gnages des principaux de Jérusa-
lem ? II ne tenoit qu'à Jésus-Christ
de mourir et de ressusciter à Rome,
APP ,95
à Pékin , à Paris , de se montrer à
l'univers entier: le miracle auroit
été plus authentique et plus con-
vaincant; les hommes de bon sens
auroient cru sur le témoignage de
leurs propres yeux.
De tous les arguments des in-
crédules , il n'en est peut-être
point de plus absurde que celui-ci :
Dieu pouvoit donner de plus fortes
preuves de telle ou telle vérité ;
donc celles qu'il a données ne suf-
fisent pas. Les athées sont partis
de là ; ils disent que s'il y a un
Dieu , il devoit écrire son existence
dans le ciel en caractères lumi-
neux et visibles à tous les yeux.
Nous soutenons que Jésus-Christ
n'a pas dià faire ce que l'on exige
de lui , ni pour les Juifs , ni pour
les païens , ni en faveur des incré-
dules ; que quand il l'auroit fait ,
sa résurrection ne paroîtroit pas
mieux prouvée à ces derniers , et
qu'ils neseroient pas plus disposés
qu'ils le sont à y croire.
i.° Plusieurs posent pour prin-
cipe, qu'une résurrection est un
ï&iiimpossible, qu'aucune preuve ne
peut jamais le constater; d'autres,
que c'est un fait incroyable ; que
quand ils verroient de leurs yeux
un mort ressuscité, ils ne croiroient
pas. Donc c'est une absurdité et
une dérision pure de leur part ,
d'exiger des preuves auxquelles ils
sont résolus d'avance de ne pas
croire. Si les Juifs pensoient de
même , comme ils l'ont assez té-
moigné par leur conduite , il est
clair que la vue même de Jésus-
Christ ressuscité ne les auroit pas
convaincus. Il ne leur auroit pas
été plus difficile de dire : Ces/ le
diable qui a pris la figure de Jésus
pour nous tromper , que de dire,
comme ils ont fait, C^est par le
pouvoir du démon que cet homme
jail des miracles.
2.° C'est une impiété de soutenir
que Jésus-Christ devoit , par un
excès de bonté et par le don de la
i3
196 API»
foi, récompenser la foiLlesse de
Pilate qui l'avoit livré à la mort
contre sa conscience , l'injustice
«3u grand-prêtre qui l'avoit con-
damné comme blasphémateur , la
turpitude du sanhédrin qui avoit
souscrit à l'arrêt , la fureur du
peuple qui avoit crié, Crucifiez-le ,
la rage des bourreaux qui l'avoient
couvert d'opprobres et de plaies.
Dieu avoit-il donc besoin de tous
ces malfaiteurs pour accomplir se.s
desseins ?
3.° Jésus -Christ a rempli sa
promesse dans toute son étendue;
il n'avoit pas promis de ressus-
citer en public et sous les yeux des
Juifs , ni de se montrer à eux après
sa résurrection incontestable. Mais
les Juifs ont résisté au témoignage
des gardes, à l'attestation des apô-
tres , confirmée par leurs miracles,
à l'exemple de huit mille hommes
convertis par saint Pierre, à l'imi-
pression que dévoient faire sur eux
les vertus des premiers chrétiens ,
aux iléanx terribles que Dieu fit
tomber sur la Judée pour punir le
déicide qui y avoit été commis.
Dieu doit-il multiplier les miracles
pour forcer de pareils hommes à
se convertir ? Tels ont été et tels
seront toujours les incrédules de
tous les siècles.
4.° Quand les principaux Juifs
et le sanhédrin auroient cru en
Jésus - Christ , quelle impression
leur témoignage auroit-il fait sur
les Romains ou sur les incrédules
modernes ? Aucune. Les Romains
ont dit, et les incrédules répètent,
que les Juifs étoienl des ignorants,
des rêveurs , des fanatiques avides
de merveilleux , incapables de dis-
cerner le vrai d^avec le faux , et un
miracle d'avec un prestige. Selon
le principe de nos adversaires , les
Juifs de la Grèce ni ceux de Rome
n'éloient pas obligés de s'en fier
au témoignage de leurs frères de
Judée, sur un fait aussi merveilleux
et aussi incroyable que la résur-
APP
rcclion de Jésus ; les païen.» encore
moins; tous pouvoient diie, comme
les incrédules : Est-il raisonnable
d'exiger que nous croyions, sur la
parole d'autrui, un fait dont Dieu
pouvoit nous convaincre par nos
propres yeux ?
5.° Quand Jésus ressuscité se
seroit montré aux chefs de la sy-
nagogue , comment le saurions-
nous ? Par le témoignage des Juifs
convertis; car enfin des Juifs in-
crédules n'auroient pas pris la
peine de nous en informer , ni de
mettre par écrit un fait qui les
auroit couverts d'opprobre. Or les
incrédules modernes commencent
par rejeter comme suspecte l'at-
testation de tous ceux qui ont cru
en Jésus-Christ: Ce sont , disent-
ils, des hommes préveirus, séduits,
intéressés à la cause de leur maître;
ce sont des fanatiques ou des im-
posteurs. Les chefs de la synagogue
seroient-ils plus à couvert de celte
accusation que les apôtres et }es
évangélistes ? C'est assez qu'un fait
quelconque , ou un téxnoignage ,
paroisse aux incrédules trop favo-
rable au christianisme, pour qu'ils
les rejettent sans examen : voilà la
principale raison qui les prévient
contre le témoignage que Tliis-
torien Josèphe a rendu à Jésus-
Christ.
6.° Enfin , si les grands-prêtres ,
le tétrarque de la Judée, le san-
hédrin en corps , avoient attesté
la résurrection de Jésus - Christ ,
et avoient cru en lui, les incré-
dules diroient qu'il y a eu collusion
entre tous ces personnages et les
apôtres, qu'ils avoient formé de
concert le projet de faire recon-
noître Jésus-Christ pour le Messie,
afin de soulever le peuple, de faire
une révolution , et de secouer le
joug des Romains ; que toute cette
scène a été un complot d'intérêt
national et de politique ; qu'ainsi
la prétendue conversion des grands
et du peuple ne prouve rien , etc.
APP
L'csf»ril IVcoiid de nos adversaires
pourroil-il jamais manquer de rai-
sons ou de prétextes pour auto-
riser leur incrédulité.!*
Dieu a su mieux qu'eux ce qu'il
falloit pour persuader les esprits
droits et les hommes sensés. La
résurrection de Jésus-Christ a été
publiée, prouvéeel crue cinquante
jours après , sur le lieu même où
elle étoit arrivée, par huit mille
Juifs que la prédication de saint
Pierre persuada et convertit. Aci.,
c. 2,f. 4i ; c. 4,f. 6. Telles lu-
rent les prémices de l'Eglise qui se
forma dés lors à Jérusalem , et qui
a subsisté aussi long-temps que
cette ville. Bien tôt plusieurs prêtres
furent au nombre des fidèles. Act.,
c. 6 , 3^^. 7. Aucun motif ne pouvoit
les engager à croire la résurrection
de Jésus-Christ , que la certitude
incontestable et la notoriété du
fait : donc les preuves en étoient
convaincantes et invincibles. Tel
est le point essentiel contre lequel
aucune objection ne prévaudra.
Voyez RÉSURRECTION.
APPEL AU FUTUR CONCILE.
(>'est un expédient dont on s'est
avisé de nos jours pour esquiver la
censure de certaines opinions con-
damnées par le souverain pontife,
censure approuvée et confirmée
par le suffrage de l'Eglise univer-
selle, puisqu'à l'exception de quel-
ques évèques de France , point
d'autres n'ont réclamé. Il est éton-
nant qu'un procédé aussi étrange
ait pu trouver des partisans et des
apologistes.
Lesappelantssavoient bien qu'il
n'y avoit point pour eux de fulur
concile à espérer; que l'Eglise uni-
verselle ne s'assembicroit pas pour
juger s'ils avoient droit ou tort,
que c'étoit appeler à un tribunal
qui n'existeroit peut être jamais.
L'Eglise dispersée avoit applaudi à
plusieurs jugements déjà portés
par le saint siège sur celle même
Al»l>
'97
matière; pouvoit-on supposer que
l'Eglise changeroit de croyance
lorsqu'elle seroita.ssemblée, et que
la circonstance d'un concile opé-
reroit une révolution subite dans
tous les esprits i* Le comble du ri-
dicule a été de croire qu'un appel
donnoit le droit de continuer à
enseigner la doctrine censurée. Si
les appelants avoient été condam-
nés dans un concile, ils auroient
appelé , comme tous les hérétiques,
au jugement de Dieu.
Mosheim , dans une de ses dis-
sertations sur VHistoire ecclésias-
tique, tome I, pag. 5Si , a très-
bien prouvé que ces sortes di" appels
sont inconciliables avec la doctrine
catholique touchant l'unité de
l'Eglise, que les appelants se sont
joués des termes, eu protestant
qu'ils ne pré.tendoient point déro-
ger à cette unité par leur appel,
mais nous réfuterons ailleurs ce
qu'il soutient dans le même en-
droit , savoir , que cette même
croyance touchant l'unité de l'E-
glise, ne peut pas s'accorder avec
le seiiliment de l'Eglise gallicane
sur la supériorité des conciles gé-
néraux à l'égard du pape. Les par-
tisans de Quesnel n'appeloient
pas de la décision du pape seul à
celle d'un co/7Cj7e général , mais de
la décision du pape , confirmée
par l'acquiescement de l'Eglise uni-
verselle. Cela est fort diffèrent.
Voyez Unité de l'Eglise.
APPELANT , nom qu'on a
donné, au commencement de ce
siècle , aux évêques et autres ec-
clésiastiques qui avoient interjeté
appel au futur concile, de la bulle
UnigenHus donnée par le pape Clé-
ment XI , et portant condamnation
du livre du Père Quesnel , intitulé,
Réflexions morales sur le Nouveau
Tesianienl.
Comme les appelants se llaltoienl
d'en imposer à l'Flglise entière par
leur ijrAnd nombre, on sollicitoit
198 APP
(les appels de la même manière que
l'on brigue les suffrages d'un juge
ou d'un électeur; et les chefs de
ce parti furent assez insensés pour
appeler leurs clameurs le cri de la
foi. Heureusement ces solles dé-
marches ont été révoquées avec
autant de facilité qu'elles avoient
été faites, et l'on rougit aujour-
d'hui de tout ce scandale.
APPLICATION , se dit particu-
lièrement en théologie, de l'action
par laquelle notre Sauveur nous
transfère ce qu'il a mérité par sa
vie et par sa mort.
C'est par cette application des
mérites de Jésus-Christ que nous
devons être justifiés , et que nous
pouvons prétendre à la grâce et à
la gloire éternelle. Les sacrements
sont les voies ou les instruments
ordinaires par lesquels se fait cette
application , pourvu qu'on les re-
çoive avec les dispositions néces-
saires et prescrites par le concile de
Trente, dans la sixième session.
L'Eglise nous les applique encore
par le saint sacrifice de la messe ,
par ses prières , par les indulgen-
ces, par les bonnes œuvres qu'elle
nous prescrit. Elle a condamné les
protestants qui soutiennent que
cette application ne peut nous être
faite que par la foi. Vo/ez Impu-
tation.
APPROBATION , APPROU-
VER. Un prêtre approuoé est celui
qui a reçu de son évêque le pou-
voir d'entendre les confessions et
d'absoudre. Comme c'est un acte
de juridiction , l'évêque est le
maître de limiter cette approbation
pour le temps, pour le lieu, pour
les cas. N/ IX, p . xxrv.Unprêtre qui
n'est approuve que pour un an,
est obligé de faire renouveler ses
pouvoirs à la fin de l'année ; celui
quî est approuvé pour telle pa-
roisse, n'a pas pour cela le pou-
voir de confesser dans une autre ;
APS
celui qui a le pouvoir d'absoudre
des cas ordinaires ou non réservés ,
a besoin d'un pouvoir spécial pour
absoudre des cas réservés.
APSIS ou ABSIS, mot usité
dans les auteurs ecclésiastiques
pour signifier la partie intérieure
des anciennes églises, où le clergé
étoit assis et où l'autel étoit placé.
On croit que celte partie de l'é-
glise s'appeloit ainsi , parce qu'elle
étoit bâtie en arcade ou en voûte,
appelée par les Grecs «'{''s, et par
les Latins apsis.
Dans ce sens , le mot absis se
prend aussi pour le presbytère, par
opposition à la nef, ou à la partie
de l'église où se tenoit le peuple ;
ce qui revient à ce que nous appe-
lons chœur et sanctuaire.
Uapsis étoit bâtie en figure hé-
misphérique , et consistoit en deux
parties , l'autel ou sanctuaire , et
le presbytère. Dans cette dernière
partie étoient contenues les stalles
ou places du clergé, et entre autres
le trône de l'évêque, qui étoit placé
au milieu ou dans la partie la plus
éloignée de l'autel. L'autel étoit à
l'autre extrémité vers la nef , dont
il étoit séparé par une grille ou
balustrade à jour. 11 étoit sur une
estrade, et sur l'autel étoit le ci-
boire ou la coupe , sous une espèce
de pavillon ou de dais. Voyez Cor-
demoy , Mém . de Tréo. , j uillet 1 7 1 o,
p. 1268 et suiv.; Fleur)', Mœurs des
Chrét., tlt. XXXV.
On faisoit plusieurs cérémonies
à l'entrée ou sous l'arcade de Vap-
sis , comme d'imposer les mains ,
de revêtir de sacs et de cilices les
pénitents publics. Il est au.ssi sou-
vent fait mention dans les anciens
monuments, des corps des saints
qui étoient dans V apsis. C'étoient
les corps des saints éveques,.ou
d'autres saints, qu'on y transpor-
loitavec grande solennité. Sjnod. 3
Carth. , can. 32 , Spelman.
Le trône de l'évêque s'appeloit
Alli\
anoicnncmcut apsis , d'où quel-
•jucs-uns ont cru (ju'il avoildoiiiic
c<; nom à la parlie de la basilique
dans laquelle il éloit situé; mais ,
selon d'autres, il l'avoit emprunté
de ce même lieu. Oji l'appeloit en-
core apsis gradala , parce qu'il
étoit élevé de quelques degrés au-
dessus des sièges des prêtres ; en-
suite on le nomma e.xhedra , puis
trône et tribune.
Apsis étoit aussi le nom d'un
reliquaire ou d'une châsse, où l'on
renfermoit anciennement les reli-
ques des saints , et qu'on nomnioit
ainsi, parce que les reliquaires
étoient laits en arcade ouen voùfe;
peut-être aussi à cause de Vapsis
où ils étoient placés; d'où les Latins
ont formé capsa, pour exprimer
la même chose. Ces reliquaires
étoient de bois, quelquefois d'or,
d'argent, ou d'autres matières pré-
cieuses , avec des reliefs et d'autres
ornements ; on les plaçoit sur l'au-
tel , qui , comme nous l'avons dit ,
faisoit partie de Vapsis , qu'on a
aussi nommé quelquefois le chevet
de l'Eglise, et dont le fond, pour
l'ordinaire, étoit tourné à l'Orient.
Voyez Ducange, Descript. S. So-
pliice. Spelman. Flcury , loc. cit.
AQUAWENS. Voy. Encratites.
AQUILA , auteur d'une version
de laBible. Voyez Version.
ARABE ( Version ). Voyez
RjBLE.
ARABIE. Saint Paul nous ap-
prend lui-même, Galat. , c. i,
^. 17 et suiv. , qu'immédiatement
après sa conversion , il alla prêcher
rn Arabie, et qu'il y demeura trois
an.'». On ne peut pas douter qu'il
n'y ait fait des conversions et
fondé une Eglise. Parmi ceux qui
furent témoins de la descente du
Saint-Esprit sur les apôtres à Jé-
ru.salem, le jour de la Pctilfcôtc ,
AlVA igrj
il y avoit des Juils de VArabie.
Act. , c. :î,S II- Les interprètes
de l'Ecriture ont observé que la
conversion des Arabes avoit été
prédite par Isaïe , c. 1 1 , ^j!^. i4 , où
il est dit que le peuple du Seigneur
emportera les dépouilles des en-
fants de l'Orient; et c.42, S- i4 »
le prophète dit que les habitants
de Pétra, ville à' Arabie , élève-
ront la voix du sommet de leurs
montagnes, et rendront gloire à
Dieu. En effet , les deux évêchés
principaux de VArabie ont été
Bostreset Pétra ; mais il y en avoit
plusieurs autres , et l'on trouve les
noms de leurs éveques dans les
souscriptions des conciles.
On ne peut pas douter que les
Arabes ne soient la postérité d'Is-
maël ; ils se font encore gloire au-
jourd'hui de descendre d'Abra-
ham. C'est le plus ancien peuple
du monde ; ils n'ont jamais été
chassés de leur pays ; ils y ont tou-
jours subsisté depuis leur premier
établissement; ils n'ont changé ni
leur langage ni leurs mœurs , parce
qu'ils ne se sont mêlés avec aucune
autre nation. Aussi conservent-ils
encore le caractère et les mœurs de
leur père Ismaël ; l'ange du Sei-
gneur, en annonçant sa naissance,
dit à sa mère Agar : n Ce sera un
n homme sauvage , sa main sera
» levée contre tous , et la main de
» tous sera contre lui ; il dressera
» ses tentes sous les yeux de ses
» frères. » Gcn. , c. 16, ^. i4'
Vainement lesEg)ptiens, les Grecs,
les Romains , les l'urcs, ont voulu
subjuguer les Arabes, ils n'y ont
pas réussi pour long-temps. Ce
peuple se maintient dans l'indé-
pendance, et préfère la liberté à
toutes les commodités des nations
policées. Depuis près de quatre
mille ans , il est toujours le même.
Un homme très-sen.'é , qui l'a vu
de près, dit querhez un Arabe il
croyoit encore être dans la tente
d'Abraham ou de Jacob. Ceux du
200 ARA
désert furent convertis vers l'an 373
parles moines qui habitoient dans
leur voisinage. Théodoret, 1. 4>
c. 23; Sozom. , 1. 6 , c. 38. Ceux de
Y Arabie Heureuse le furent sous
l'empire de Constance par un éve-
que arien. Ce peuple est accusé par
les anciens d'avoir immolé des
victimes humaines ; mais on peut
reprocher cette barbarie à un
grand nombre d'autres nations.
Nos voyageurs les plus modernes
nous avertissent qu'il n'est pas vrai
que les Arabes en général , même
ceux que l'on nomme Bédouins ,
Scénites , ou habitants du désert,
soient voleurs, perfides, sans lois
et sans mœurs. Niébuhr , qui les a
vus en 1762 et 1763, les peint tout
différemment : il dit qu'à cet
égard il n'a aucun reproche à faire
contr'eux. M. de Pages , qui les a
visités peu de temps après, en
parle de même , Voyages autour du
inonde, t. i , p. 307. Les Arabes,
dit-il , ne se volent jamais entr'eux,
et vivent très-sociablement; mais
une tribu est souvent en guerre
avec une autre tribu, et alors les
hostilités sont réciproques. Ils ne
volent que dans le désert et ras-
semblés en corps de nation^ parce
que, selon l'ancien préjugé, ils
regardent tout étranger mconnu
comme un ennemi , à moins qu'ils
n'aient fait une convention avec
lui, et qu'il ne leur ait payé une
espèce de tribut, ou qu'il ne soit
protégé par l'un d'entr'eux ; mais
quand on a un Arabe pour sauve-
garde, on ne risque rien. Comme
ils se croient maîtres et seigneurs
du désert, ils prétendent qu'un
c tranger n'a pas droit de passer sur
iours terres, sans leur permission,
t>t sans leur payer un tribut.
Un incrédule célèbre, pour don-
ner mauvaise opinion des Juifs, a
répété dix fois que dans l'origine
c'éloil une horde d'Arabes Bé-
douins. Quand ce fait ne seroit pas
évidemment faux, il nes'enpuivroit
AUA
encore rien, puisque, selon le té-
moignage des voyageurs, les Arabes
Bédouins ne sont pas et n'ont ja-
mais été tels que cet écrivain a
voulu les présenter.
Mais, vu l'attachement opiniâtre
qu'ils ont toujours conservé pour
leurs anciennes mœurs, on conçoit
qu'il n'a pas été aisé de les conver-
tir au christianisme, et qu'il a fallu
pour cela un grand changement
dans leurs habitudes et dans leurs
idées. Cependant l'an 207 , le
christianisme étoit déjà florissant
dans cette contrée ; Origène y fit
trois voyages pour y combattre dif-
férentes erreurs ; Béryllc , évêque
de Bostres , l'une des principales
villes de V Arabie , enseigna qu'a-
vant l'incarnation Jésus-Christ
n'étoit point une personne subsis-
tante, qu'il n'étoitDieu depuis son
incarnation que dans un sens im-
propre , et parce qu'il participoit
à la divinité du Père. Dans les
conférences qu'il eut avec Origène,
il abjura son erreur, l'an 229. Eu-
sèbe, Hist. ecclés. , 1. 6, c. 20 et 33.
Vers l'an 247 , Origène retourna
en Arabie pour faire condamner
l'erreur des arabiques , et il se tint
un concile à cette occasion. Eu-
sèbe, ibid.,c. 37. Voyez l'article sui-
vant. L'an 269, l'évêque de Bostres
assista au concile d'Antioche.
Titus , éveque de cette même ville
au quatrième siècle , écrivit un
traité contre les manichéens, qui
subsiste encore. On conjecture que
saintHippolyte, qui vivoit au troi-
sième, étoit évêque, non de Porto
en Italie, mais d'Aden en Arabie,
que les anciens nommoieut Portus
Romanus. Voyez la note sur Eusèbe,
i. 6 , c. 20.
Le christianisme s'est conservé
dans celte particdumonde jusqu'à
la naissance du mahométisme au
septième siècle ; alois il y a été
entièrement détruit. Mais au cin-
quième les nestoriens , et ensuite
les eulychiens, y séduisirent beau-
ARIi
coup tic personnes, cl furent maî-
tres tic plusieurs cvêclics. 11 n'est
pas nuMuc certain que VArobic
touteentièrc ait jamais été soumise
à l'Evangile , puisqu'il y avoit des
itlolàtres lorsque Mahomet y prê-
cha ses erreurs.
ARABIQUES , secte d'héréti-
ques qui s'élevèrent en Arabie vers
I an de Jésus-Christ 207. Ils ensei-
gnoient que l'àme naissoit et mou-
roitavec le corps, mais aussi qu'elle
rcssuscileroit en même temps que
le corps. Eusébe, liv. vi, chap. 87,
rapporte qu'on tint en Arabie
même, dans le troisième siècle, un
concile auquel assista Origène, qui
convainquit si clairement ces hé-
rétiques de leurs erreurs , qu'ils
les abjurèrent et se réunirent à
l'Eglise.
ARBRE DE LA SCIENCE du
bien et du mal. Il est dit dans la
Genèse, c. 2, S • 9, «l^e Dieu avoit
planté au milieu du paradis Varbre
de la science du bien et du mal , et
qu'il défendit à l'hommedemanger
de son fruit, sous peine de la vie ,
S • 17. On demande pourquoi Dieu
ne vouloit pas qu'Adam conniit le
bien et le mal , comment un fruit
pouvoit donner cette connois-
sance ; c'est une ancienne objection
des marcionites et des manichéens.
Tertull. adv. Marcion.,\. 2, c. 28 ;
saint Augustin contra Faustuni ,
1. 22, c. 4
Nous lisons dans l'Ecclésiastique,
c. iy,S- S, que Dieu avoit donné
à nos premiers parents le don d'in-
telligence,qu'il leur avoit montré le
bien et le mal. Sans celte connois-
sance , ils auroient été incapables
de pécher. Mais Dieu ne vouloit
pas qu'ils connussent par expé-
rience la lionte , les regrets , les
remords d'avoir fait le raal , ni qu'ils
pussent comparer ce sentiment
avec celui de l'innocence. Voilà ce
que lepcchc leurapprit,cl il n'étoit
AI\C 2oi
pas nécessaire pour cela tjiie le
fruit dont ils mangèrent eîit la
vertu physique de faire connoîlre
le bien et le mal.
De quelle espèce éloit ce fruit
funeste ? Etoit-ce une pomme, une
poire, une figue, etc.? A cette im-
portante question, nous répondon3
que Dieu n'a pas trouvé bon de
nous l'apprentlre.
Arbre de vie. Des commenta-
teurs, qui avoient sans doute beau-
coup deloisir, ont mis en question
si cet arbre étoit le même que
celui de la science du bien et du
mal. Il nous paroît que l'Ecriture
les distingue très-clairement; elle
dit que Dieu avoit placé au milieu
du paradis Varbre de vie et Varbre
de la science du bien et du mal.
Gen., c. 2, y . 9. La vertu qu'avoit
le premier deprolongerla vie étoit-
clle naturelle ou surnaturelle ?
Cette question est aussi intéres-
.sante que les fables forgées par les
rabbins sur ces deux arbres mer-
veilleux. Nous nous contentons de
remarquer que , selon Salomon ,
la sagesse est Varbre de vis pour
tous ceux qui l'embrassent, Prov. ,
c. 3 , ^. 18 , et que Jésus-Christ
mourant. sur la croix , en a fait un
arbre de vie plus puissant que celui
du paradis. Voyez Rédemption.
ARC-EN-CIEL. Ce qui en est
dit dans l'Ecriture sainte a semblé
ridicule à plusieurs incrédules.
Après le déluge. Dieu dit à Noé et
à sa famille : « Il n'y aura plus
» désormais de déluge qui désole
» la terre , et voici le signe de l'al-
» liance que je fais avec vous , ou
» de la promesse que je vous fais.
» Je mettrai mon arc dans les nues,
M et lorsque j'aurai couvert le ciel
» de nuages , mon arc y paroîtra ,
» et je me souviendrai de la prc-
» messe que j'ai faite de vous con-
» server et tous lesanimaux. » Gen.,
c.9,^. 1 1 otsuiv. i.° Cela suppose,
disent nos critiques, que Varc-en-
202 ARC
ciel n'avoil pas exislé avant le dé-
luge , puisque Dieu dit , je nieilrai
mon arc dans les nues: or, ce pli é-
noméne a du paroître toutes les
fois qu'il a plu d'un côte, pendant
que le soleil luisoit de l'autre ; il
n'est donc pas probable que Noé
et sa famille n'eussent jamais vu
Y arc- en- ciel. 2.° Il est ridicule de
donner le signe de la pluie pour
sûreté qu'il n'y aura plus d'inon-
dation , et que l'on ne sera pas
noyé ; cela prouve que l'auteur de
cette histoire étoit très-mauvais
physicien.
Réponse. Cela prouve plutôt que
les censeurs de cet historien sont
fort téméraires, i ° Comme les
verbes hébreux ne sont que des
participes indéterminés, pour tra-
duire à la lettre, il faudroit dire :
lYLe voilà metiani mon arc dans les
nues, et cela signifie également Je
mets, fai mis ou je meiirai. 2.° En
laissant le verbe au futur il ne s'en-
suit pas encore que Varc-en-ciel
n'avoit pas été vu avant le déluge,
mais qu'il n'avoit pas paru pen-
dant le déluge, et qu'il alloitrepa-
roître de nouveau. 3.° En effet ,
Varc-en-ciel ne peut avoir lieu lors-
que les nuées sont très-épaisses ,
et chargées de beaucoup d'eau ,
comme cela dut être pendant le
déluge ; on ne peut donc le voir que
quand les nuages sont assez légers
et assez interrompus pour que le
soleil puisse darder ses rayons au
travers. Donc toutes les l'ois que
Varc-en-ciel paroît , c'est un signe
certain qu'il ne tombera pas assez
de pluie pour causer une inonda-
tion générale ; ce signe étoit donc
très-propre à rassurer Noé et ses
enfants contre la crainte d'un nou-
veau déluge.
Le terme d^alliance , dont se sert
l'écrivain sacré , a encore ému la
bile d'un philosophe. « En quoi
» consiste donc , dit-il , cette al-
» liance que Dieu a faite avec
» l'homme et avec les animaux ?
ARC
» quelles ont été les conditions du
» traité? Que tous \i;& animaux se
» dévoreroient les uns les autres ,
» qu'ils se nourriroient de notre
» sang et nous du leur; qu'après
» les avoir mangés, nous nous ex-
» terminerions avec rage S'il y
» avoit jamais eu un tel pacte, il
» auroit été fait avec le diable. »
Le ridicule de cette tirade est
poussé à l'excès; ce philosophe ne
savoit pas que le même terme en
hébreu signifie alliance et /pro-
messe. Qu'est-ce , en effet, qu'une -
alliance , sinon une promesse réci-
proque .'' Toute promesse emporte )
l'obligation de fidélité d'un côté ,
de confiance et d'obéissance de
l'autre. Or , Dieu promet de ne plus
désoler la terre, de ne plus exter-
miner la race des hommes ni des
animaux par un déluge universel ;
il dit : « Tant que durera la terre ,
» les semailles et la moisson , le
» chaud et le froid, l'été et l'hiver,
» le jour et la nuit se succéderont
constamment »• Gen. , c. 8 , y.
22. Cette promesse devoit donc en-
gager Noé à cultiver la terre et à
nourrir dés animaux, sans craindre |
d'être frustré du fruit de ses tra- |
vaux. . I
Quoique les animaux féroces ef \
carnassiers dévorent les autres ,
quoique les hommes en détruisent
beaucoup pour se nourrir , cepen-
dant les espèces utiles ne laissent
pas de se conserver et démultiplier ;
Dieu leur a donné une fécondité
relative à la consommation qui s'en
fait. Malgré les dérangements pas-
sagers des saisons , les orages , les
stérilités, la terre continue depuis
le déluge à fournir la subsistance
à ses habitants , quelque nom-
breux qu'ils soient; les famines ne
sont que locales et passagères. A
mesure que la population augmen-
te , on trouve le moyen de rendre
fertiles des terrains qui paroissent
incapables de faire aucune pro-
duction^ etc-Tous ces phénomènes
ARC
sonl assez beaux pour mcrilcr l'at-
tenlioii des philosophes , et assez
merveilleux pour que. l'auteur sa-
cré ait eu raison «le les attribuer à
la béncdi'Clion «le Dieu. Gen., c. 9',
f.i.
ARCHANGE, substance intel-
sîgcjite ou ange du second ordre
de la hiérarchie céleste. Voyez
Ange et IIiérarchte. On appelle
CCS esprits archanges , parce qu'ils
sont au-dessus des anges du der-
nier ordre, dumot grec àpx/), prin-
cipauté, et d'a7)'£).o;, angc ; saint
Michel est considéré comme le
prince des anges , et on l'appelle
ordinairement V archange saint
Michel.
ARCHE D'ALLIANCE , coffre
d'un bois incorruptible et revêtu
de lames d'or , que Moïse avoit fait
construire par ordre de Dieu ,
dans lequel il avoit renfermé les
deux tables de la loi , un vase rem-
pli de manne , et laverge d'Aaron,
qui avoit fleuri dans le tabernacle.
C'étoient là incontestablement les
objets les plus respectables de la re-
ligion juive. Ce coffre étoit nom-
mé arche cC alliance , parce que la
loi qu'il renfermoit étoit le titre
de Vaillance que Dieu avoit con-
tractée avec son peuple ; il fut pla-
cé derrière un voile dans le sanc-
tuaire du tabernacle.
Le couvercle de ce coffre étoit
nommé, propitiatoire ; il étoit sur-
monté de deux chérubins d'or,
dont les ailes étendues formoient
une espèce de siège, qui étoit censé
le trône de la majesté divine. Les
deux côtés les plus longs étoient
armés chacun de deux anneaux
d'or, dans lesquels on glissoit
deux bâtons dorés, qui servoient
à transporter Varche. Deux sacrifi-
cateurs ou deux lévites la por-
toicnt sur leurs épaules, comme
l'on porte aujourd'hui dans les
l'roccssions les chasses des reliques
ARC ,o3
des saints; ce soin fut particuliè-
rement confié aux descendants de
Caalh , fils de Lévi.
\j\t relie , construite au, pied du
mont Sinaï l'an du monde 25i4,
voyagea pendant quarante ans dans
le désert avec Moïse et Josué. Après
le {)assage du Jourdain, elle fut
placée à Galgal dans la Palestine,
et y resta environ sept ans ; de là
elle fut transportée avec le taber-
nacle à Silo , où elle demeura trois
cent vingt-huit ans. L'an 2888, les
Israélites l'en tirèrent pour la por-
ter dans leur camp. Dieu permit
qu'elle fut prise par les Philistins,
chez lesquels elle demeura sept
mois ; par les fléaux dont Dieu les
affligea , ils furent forcés de la ren-
voyer à Belhsamès : quelques Beth-
samites ayant voulu , par curiosité,
voir ce qu'elle renfermoit, furent
frappés de mort. De là elle fut con-
duite à Cariathiarim , et placée sur
la partie la plus élevée de la ville
de Gabaa , dans la maison d'Ami-
nadab , où elle resta soixante-dix
ans. David l'en tira l'an du monde
2989 : dans le transport , Oza ayant
voulu y porter la main pour la sou-
tenir, fut frappé de mort. David
effrayé n'osa la conduire chez lui ,
il la fit déposer dans la maison d'O-
bédédom. Trois mois après , il la
transféra dans son palais sur le
mont de Sion; elle y resta quarante-
deux ans , jusqu'à ce que Salomon
la fit placer dans le sanctuaire du
temple qu'il venoit de bâtir; elle y
fut environ quatre cents ans, jus-
qu'au siège de Jérusalem parNabu-
chodonosor.
Pendant ce siège, Jérémie la fit
cacher dans un souterrain, afin
qu'elle ne tombât pas entre les
mains des Chaldéens ; après leurre-
traite , il la fittransporter dans une
caverne du mont Nébo, située au-
delà du Jourdain , et célèbre par
la sépulture de Moïse, et en ferma
l'entrée. Il ncparoît pas par l'his-
loirc qu'elle en ail jamais élé ti-'
2o4 ARC
rce; les Juifs ont toujours été per-
suadés qu'elle n'étoit pas dans le
second temple bâti parZorobabel.
Voyez 1.2, MacJiabées , c. 2. Voyez
dans les planches de Vhistoire an-
cienne la figure de Varche d'alliance.
Dans la bible d'Avignon, tome XII,
p. 523, il y a une dissertation où
l'on examine si cette arche fut ca-
chée par Jérémie, et si un jour
elle doit reparoître.
Les juifs modernes ont dans leurs
synagogues un,e espèce à^archc ou
d'armoire dans laquelle ils renfer-
ment leurs livres sacrés, à l'imita-
tion de Varche d'alliance ; ils la
nomment Aron. Tertullien en
parle déjà, et la nomme amiarium
/udaicurn ; de là l'expression , niel-
ire dans V armoire de la synagogue ,
pour dire , mettre au nombre des
livres canoniques .
Arche de Noé , sorte de vais-
seau ou de bâtiment flottant qui
fut construit parJVbe, afin de pré-
server du déluge sa famille et les
différentes espèces d'animaux que
Dieu avoit ordonné à ce patriarche
d'y faire entrer. Voyez Déluge.
Les critiques ont fait beaucoup
de recherches et imaginé différents
systèmes sur la forme y- la gran-
deur, la capacité de l'arc/tc deNoé,
sur les matériaux employés à sa
construction , sur le temps qu'il
fallut pour la bâtir, sur le lieu où
elle s'arrêta lorsque les eaux du
déluge se retirèrent , etc. Nous
parcourrons tous ces points le
plus brièvement qu'il nous sera
possible.
i.° On croit que Noé employa
cent ans à bâtir Varche ; savoir ,
depuis l'an du monde i555 jus-
qu'en i656, temps auquel arriva
le déluge. C'est l'opinion d'Ori-
gcne , liv. 4 , contre Celse; de saint
Augustin, de Cioitate Dei, lib. i5,
c. 27 ; contra Faust., lil». 12, c. ï8 ;
Quœst. in Gènes. , n. 5 et aS; de
liiipert sur /a Genèse, liv. 4, c. 22.
Ils ont é lé suivis par Sa] ien,Sponde,
ARC
Le Pelletier, etc. D'autres inter-
prètes prolongent ce terme jusqu'à
six vingts ans. Bérosc assure que
Noé ne conimença à bâtir Varche
que soixante-dix-huit ans avant le
déluge ; un rabbin n'en compte que
cinquante-deux ; les mahométans
ne donnent à ce patriarche que
deux ans pour la construire. Par
le texte de la Genèse, il est certain
d'un côté que le déluge arriva l'an
six cent de Noé, de l'autre , qu'il
étoit âgé de cinq cents ans lors-
qu'il eut Sem , Cham et Japhet ;
d'où il s'ensuit que l'opinion de
Bérose paroît la plus probable. En
effet, selon le Père Fournier, dans
son hydrographie , et selon le sen-
timent des Pères, Noé fut aidé dans
son travail par, ses trois fils : ces
quatre personnes suffirent pour le
finir ; puisque Archias de Co-
rinthe , avec le secours de trois
cents ouvriers, construisit en un
an le grand vaisseau d'Hiéron , roi
de Syracuse.
Quand on supposeroit Varche
beaucoup plus grande , et bâtie en ,
soixante-dix-huit ans , il faudroit ^
faire attention aux forces des hom- I
mes du premier âge du monde , j
qui ont toujours été regardés '
comme beaucoup plus robustes
que ceux des temps postérieurs.
Par ces réflexions , l'on peut ré- j
pondre aux objections de ceux qui
prétendent que l'aîné des enfants
de Noé ne naquit qu'environ le
temps auquel Varche fut commen-
cée , que le plus jeune ne vint au
monde que lorsque l'ouvrage étoit
déjà fort avancé , qu'il se passa par
conséquent un temps considérable
avant qu'ils fussent en état de ren-
dre service à leur père. On détruit
également ce que d'autres ob-
jectent , qu'il est impossible que
trois ou quatre hommes aient suffi
pour construire un bâtiment au-
quel il falloit employer une pro-
digieuse quantité d'arbres , et un
nombre infini de bras pour les
ARC
façonner. Que sait-on «l'ailleurs si
J^oé ne se. fil pas aider par des ou-
vriers ?
a." Le bois qui servit à bâtir
Yarche est appelé dans l'Ecriture
hetsé gopher , que les septante tra-
duisent parfois équarri ; Onké\os
et Jonathan, bois de cèdre; saint
Jérôme, bois taillé ou poli, et ail-
leurs , bois goudronné , ou enduit
de bitume ; Kimchi dit que c'étoit
un bois léger ; Valable, un bois
qui demeure dans l'eau sans se cor-
rompre ; Junius , Tremellius et
Buxtorf , une espèce de cèdre ap-
pelé par les Grecs xs^peXdxn- M. Le
Pelletier de Rouen pense de même,
parce que ce bois incorruptible est
très - commun dans l'Asie. Selon
Hérodote et Aristophane, les rois
d'Egypte et de Syrie employoient
le cèdre au lieu de sapin à la con-
struction de leurs flottes ; mais on
ne doit pas faire beaucoup de fond
sur la tradition reçue dans tout
l'Orient , qui veut que Varche se
soit conservée jusqu'à présent toute
entière sur le mont Ararat.
Bochart soutient que gopher est
le cyprès , parce que dans l'Ar-
ménie et dans l'Assyrie, où pro-
bablement Varche fut construite ,
il n'y a que le cyprès qui soit propre
à construire un long vaisseau tel
que Varche. Arrien , liv. 7 , et
Strabon, liv. 16, racontent qu'A-
îexandre voulant faire construire
une flotte dans la Babylonie , lut
obligé de faire venir des cyprès
d'Assyrie. Or, il n'est pas vraisem-
blable que Noé avec ses enfants ,
obligés de faire un vaisseau si vaste
en si peu de temps , aient encore
été dans la nécessité de tirer de
loin les bois de construction.
D'autres enfin croient que l'hé-
breu gopher signifie en général des
bois gras et résineux , comme le
pin, le sapin , le térébinthe. On
ne doit faire aucune attention aux
fables que les mahomélans ont for-
cées à ce sujet.
AIVC 205
3° Selon Moïse , Varclie avoit
trois cents coudées de long, cin-
quante de large , et trente de
hauteur. Plusieurs critiques ont
prétendu que ces mesures ne don-
noicnt pas une capacité suffisante
pour contenir tous les animaux et
les provisions que Varche devoit
renfermer. Celse s'en est moqué ,
et a nommé ce bàtinient Varche
d'absurdité.
Pour résoudre cette difficulté,
les Pères et les commentateurs ont
recherché quelle étoit la grandeur
de la coudée dont Moïse a parlé.
Origène , saint Augustin et d'au-
tres, ont pensé qu'il étoit question
des coudées géométriques des Egyp-
tiens , qui contenoient, selon eux,
six coudées vulgaires ou neuf pieds.
Mais on ne voit pas que ces cou-
dées aient été en usage chez les
Hébreux. Dans cette supposition ,
Varche auroit eu 2700 pieds de lon-
gueur ; ce qui, joint aux autres
dimensions, lui eût donné une ca-
pacité énorme et superflue. Quel-
ques-uns ont dit que les hommes
d'alors étant plus grands que ceux
d'aujourd'hui , leur coudée étoit
aussi plus longue ; mais par la
même raison, les animaux dévoient
être aussi plus grands et occuper
plus de place.
D'autres supposent que Moïse
parle de la coudée sacrée, qui étoit
de la largeur de la main plus grande
que la coudée ordinaire ; mais il
ne paroît pas que cette mesure ait
été employée ailleurs que dans les
édifices sacrés comme étoient le
temple et le tabernacle
Buteo et le Père Kircher pa-
roissent avoir mieux rencontré ,
en supposant la coudée de la
longueur d'un pied et demi. Ils
prouvent géométriquement qu'a-
vec cette mesure Varche étoit très-
suffisante pour renfermer tous les
animaux et toutes les provisions
nécessaires pour les nourrir pen-
dant un an. On est encore moins
2o6 ARC
gêné à cet cf;ard dans le sentiment
de MM. Le Pelletier , Graves ,
Cumberland et Newton , qui don-
nent à l'ancienne coudée hébraïque
la même longueur qu'à l'ancienne
coudée de Memphis , c'est-à-dire ,
environ vingt pouces et demi , me-
sure de Paris.
Snellius a prétendu que Varche
avoit plus d'un arpent et demi de
superficie; Cunéus et Budée n'ont
pas calculé de même ; Arbuthnot
compte qu'elle avoit quarante fois
huit mille cent soixante-deux pieds
cubiques de capacité. Le Père Lami
juge qu'elle étoit de cent dix pieds
plus longue que l'église de Saint-
Merry à Paris , et de soixante-
quatre pieds plus étroite. Son
traducteur anglois ajoute qu'elle
étoit plus longue que ne l'est l'é-
glise de Saint-Paul à Londres de
l'est à l'ouest , et qu'elle avoit
soixante-quatre pieds de hauteur
selon la mesure angloise
4.° Outre les huit personnes qui
composoient la famille de Noé ,
Varche contenoit une paire de cha-
que espèce d'animaux impurs , et
sept d'animaux purs , avec leur
provision d'aliments pour un an.
A.U premier coup d'œil , cela peut
paroître impossible ; mais quand
on en vient au calcul , on trouve
que le nombre des animaux n'est
pas si grand qu'on se l'étolt d'a-
bord imaginé. Nous ne connois-
sons guère que cent ou tout au plus
cent trente espèces de quadru-
pèdes, environ autant d'oiseaux,
et quarante espèces de ceux qui
vivent dans l'eau. Les natura-
listes comptent ordinairement cent
soixante et dix espèces d'oiseaux en
tout. Wilkins , évêque de Chester,
prétend qu'il n'y avoit que soixante
et douze espèces de quadrupèdes
qui fussent nécessairement dans
Varche.
5.° Suivant la description que
Moïse fait Je cet édifice , il paroît
qu'il éloit sépai-c en trois étages ,
ARC
qui avoient chacun dix coudées ou
quinze pieds de hauteur. Proba-
blement l'étage le plus bas étoit
occupé par les quadrupèdes et par
les reptiles , celui du milieu par
les provisions, celui d'cn-haut par
les oiseaux , par Noé et par sa
famille; chaque étage devoit être
divisé en plusieurs loges. Phllon ,
Josèphe , et d'autres commenta-
teurs , imaginent encore un qua-
trième étage sous les autres , qui
étoit comme le fond de cale du
vaisseau , qui contenoit le lest et
les excréments des animaux.
Drexélius pense que Varche éloii
divisée en trois cents loges ou ap-
partements ; le Père Fournier en
compte trois cents vingt - trois ;
l'auteur des Questions sur la Ge~
nèse, quatre cents. Budée, Arias,
Montanus , Wilkins, le Père Lami,
supposent autant de loges qu'il y
avoit d'espèces d'animaux. M. Le
Pelletier et Buteo en mettent beau-
coup moins , parce que, si on les
mullipllolt trop , chacune des huit
personnes qui étoient dans Varche
auroit eu quarante ou cinquante
loges à pourvoir et à nettoyer par
jour ; ce qui est impossible.
Peut-être y a-t-Il autant de dif-
ficulté à diminuer le nombre des
loges , à moins qu'on ne diminue
le nombre des animaux ; il paroît
plus difficile de prendre soin de
trois cents animaux dans soixante-
douze loges, que s'ils occupoient
chacun la leur.
Budée a calculé que tous les
.animaux renfermés dans Varche ne
dévoient pas tenir plus de place
que cinq cents chevaux ou cin-
quante-six paires de bœufs. Le
Père Lami porte ce nombre à
soixante - quatre paires, ou cent
vingt-huit bœufs. Selon lui , en
supposant que deux chevaux ne
tiennent pas plus de place qu'un
bœuf, si VarcJic a eu de l'espace
pour deux cent cinquante-six che-
vaux , elle a pu contenir tous les
ARC
animaux : il dcmonlrc qu'un soûl
étage pouvoit contenir cinq cents
chevaux , en comptant neui pieds
carrés potir un cheval.
Quant à te. qui regarde les ali-
ments contenus dans le second
étage, Budée a observé que trente
ou quarante livres de foin suffisent
ordinairement à un Lœuf pour sa
nourriture journalière, et qu'une
coudée solide de foin , pressée
comme elle est dans les greniers
ou magasins , pèse environ qua-
rante livres. Or , il paroît que le
second étage avoit cent cinquante
mille coudées cubes. Si on les di-
vise entre deux cent six bœufs, il
y aura deux tiers de foin plus
qu'ils n'en pourront manger dans
un an.
Selon le calcul de Wilkins , tous
les animaux carnassiers sont équi-
valents , pour leur volume et pour
leur nourriture, à vingt-sept loups,
et tous les autres à deux cent huit
bœufs. Pour la nourriture des
premiers , il met mille huit cent
vingt-cinq brebis , et pour celle
des seconds, cent neuf mille cinq
cents coudées de foin : or , les
deux premiers étages étoient plus
que suffisants pour contenir le
tout. Quant au troisième , tout le
monde convient qu'il y avoit plus
de place qu'il n'en falloit pour les
oiseaux, pour Noé et sa famille,
et pour leur nourriture.
Ce savant évêque observe qu'il
est plus difficile d'évaluer la capa-
cité de Varche , que d'y trouver
une place suffisante pour toutes
les espèces d'animaux connus. La
cause est l'imperfection de nos
listes d'animaux, surtout des ani-
maux des parties du monde qui
ne sont pas encore fréquentées et
suffisamment connues. Il ajoute
que le plus habile mathématicien
«le nos jours ne détermincroit pas
mieux les dimensions d'un vaisseau
tel que Varche, qu'elles ne le sont
dans l'Ecriture , relativement à
AIIC 207
l'usage au(iucl Varche éloit des-
tinée ; d'où il conclut que la nar-
ration de Moïse dont on a voulu
faire une objection contre la vérité
de l'Ecriture sainte, en est plu-
tôt une preuve. En effet, il est à
présumer que dans les premiers
âges du monde , les hommes ,
moins exercés qu'aujourd'hui dans
les sciences et dans les arts , dé-
voient être aussi plus sujets à des
erreurs de calcul ; cependant , si
l'on avoit aujourd'hui à propor-
tionner un vaisseau à la masse des
animaux et à leur nourriture , on
ne s'en acquittei'olt pas mieux :
par conséquent Varche ne peut
être une invention de l'esprit hu-
main. En pareil cas, les hommes
sont exposés à grossir prodigieuse-
ment les objets ; il seroit donc
arrivé dans les dimensions de
Varche de Noé , ce qui arrive dans
l'estimation du nombre des étoiles
par la seule vue. De même que l'on
juge d'abord le nombre des étoiles
infini, on auroit poussé les dimen-
sions de Varche à une grandeur
démesurée , et l'on auroit produit
un bâtiment beaucoup plus grand
qu'il ne falloit; l'historien auroit
plus péché par l'excès de capacité
qu'il lui auroit donnée, que ceux
qui attaquent son histoire ne pré-
tendent qu'il pèche par défaut.
M. Le Pelletier de Rouen et
Buteo ont encore poussé plus loin
l'exactitude et la précision ; voici
l'extrait de leur travail , tel qu'il a
été donné par dom Calmet , dans
sa Dissertation sur Varche de Noé.
Le premier suppose que Varche
étoit un bâtiment de la figure d'un
parallélipipède rectangle, dont on
peut diviser la hauteur intérieure
en quatre étages. Il donne trois
coudées et demie au premier, sept
au second, huit au troisième, six
et demie au quatrième ; il laisse
les cinq coudées restantesdes trente
de la hauteur, pour les épaisseurs
du fond , du comble, et des trois
2o8 ARC
ponts ou planchers des trois der-
niers étages.
Le premier étage ctoit le fond ,
ou ce que l'on appelle la carène
dans les navires ; le second servoit
de grenier ou de nnagasin ; dans le
troisième étoienl les étables ; dans
le quatrième , les volières. Mais
comme la carène ne se comptoit
point pour un étage , et ne servoit
que d'ui» réservoir d'eau douce ,
Varche n'en avoit proprement que
trois, comme l'Ecriture le dit, quoi-
que les commentateurs en aient sup-
posé quatre en comptant la carène.
Il ne veut que trente-six étables
pour les animaux terrestres , et
autant pour les oiseaux ; chaque
étable pouvoit avoir quinze coudées
quatre neuvièmes de long, dix-sept
de large et huit de hauteur ; par
conséquent vingt-six pieds et demi
de long, vingt-neuf de large, treize
et demi de haut, puisque M. Le
Pelletier donne à sa coudée vingt
pouces et demi , mesure de Paris.
Les trente-six volières étoient de
même étendue que les étables.
Pour charger également Varche,
Noé avoit pu remplir les étables
et les volières, en commençant par
celles du milieu, des plus gros ani-
maux et des plus grands oiseaux.
Un calcul exact démontre qu'il
pouvoit y avoir plus de trente-un
mille cent soixante-quatorze muids
d'eau douce dans la carène; c'est
plus qu'il n'en falloit pour abreu-
ver pendant un an quatre fois au-
tant d'hommes et d'animaux qu'il
y en avoit dans Varche. Il en est
de même de la capacité du grenier
pour contenir la nourriture né-
cessaire à tous pendant un an.
Dans le troisième étage, Noé a
pu construire trente-six loges pour
y serrer les ustensiles de ménage ,
les instruments de labourage, les
grains , les semences , etc. , une
cuisine, une salle, quatre cham-
bres, et un espace de quarante-
luiil coudées pour se promener.
ARC
M. Le Pelletier place la porte
de Varche, non dans l'un des côtés
delà longueur où elle auroit gâté la
symétrie et ôté l'équilibre, mais
à l'un des bouts.
Quelques-uns ont cru qu'un
l'éservoir d'eau douce n'étoit pas
nécessaire, que l'eau de la mer
mêlée avec les eaux du déluge pou-
voit être assez potable ; ils se
sont trompés : l'expérience prouve
qu'un tiers d'eau salée mêlée avec
deux tiers d'eau douce, est encore
uneboisson insupportable. Comme
Varche cessa de flotter sur les eaux
le vingt-septième Jour du septième
mois , elle demeura à sec sur le»
montagnes d'Arménie pendant
près de sept mois, pendant les-
quels Noé ne pouvoit pas avoir de
l'eau du dehors.
Le Père Jean Buteo, né en Dau-
phiné , religieux de l'ordre de saint
Antoine de Viennois , dans son
Traité de Varche de Noé écrit au
seizième siècle , suppose que la
coudée dont parleMoïsen'avoit que
dix-huitpouces comme la nôtre; ce-
pendant il ne laisse pas de trouver
dans les dimensions données par
Moïse tout l'espace nécessaire pour
loger dans Varche les hommes, les
animaux et les provisions. Il pense
que Varche étoit composée de plu-
sieurs sortes de bois gras et rési-
neux, qu'elle étoit enduite du bi-
tume dont l'Assyrie abonde, qu'elle
avoit la forme d'un parallélipipèdc,
avec les dimensions que lui donne
l'Ecriture mesurées à notre coudée.
Il y suppose quatre étages , le
premier de quatre coudées de hau-
teur, le second de huit, le troisième
de dix , le dernier de huit ; il des-
tine le premier à servir de sentine,
le second est pour les étables , le
troisième pour les provisions , le
plushautpour la demeure deshom-
mes, des oiseaux, des ustensiles, etc.
Il place la porte à vingt coudées
près du bout de l'un des côtés, la
fait ouvrir et fermer en pou t-lcvis;
ARC
îl mcl 1.1 fenêtre au liant divi'ap-
partcment des hommes, et prétend
que les animaux n'avoient pas
besoin de iunuèrc. Il élève lemilieu
du comble d'une coudée de hauteur
dans toute sa longueur.
Dans le second étage , il met une
allée de six coudées de large et de
trois cents coudées de long, une
autre qui la coupe à angles droits,
et deux autres parallèles. Par cette
distribution il forme quarante
petites étables ou cellules, soixante
grandes étables et quarante moyen-
nes.
Or, en réduisant tous les ani-
maux renfermés dans Varche à la
grandeur du bœuf, du loup et du
mouton, il juge qu'ils étoient égaux
à cent vingt bœuis , à quatre-vingts
loups et quatre-vingts moutons.
Il soutient que les étables , telles
qu'il les suppose, pouvoient con-
tenir soixante paires de bœufs ,
quarante paires de loups, et qua-
rante paires de moutons. Pour
nourrir les betes carnassières ,
il pense que trois mille six cent
cinquante moutons pouvoient suf-
fire pour leur en donner dix par
jour, ou un à quatre.
Il perce toutes les étables par
le bas, pour que les ordures des
animaux tombent dans la sentine
et servent de lest ; il y met des
soupiraux qui remontent jusqu'au
dernier étage, pour donner de l'air
et prévenir l'infection.
En divisant le troisième étage
comme le second, il trouve suf-
fisamment d'espace pour placer
toutes les provisions , toutes les
commodités dont Noé et sa famille
pouvoient avoir besoin, toutes les
facilités pour soigner sans beau-
coup de travail les différentes
espèces d'animaux. Toute la capa-
cité de Varche, selon son calcul ,
et en prenant la coudée à dix-
huit pouces, étoil de six cent soixan-
te - quinze mille pieds ; elle avoit
quatre cent cinquante pieds de
AUC 209
long, soixanle-cjuinzc de large, et
quarante-cinq de haut.
Quelque ingénieuses que soient
les idées du père Butec, quehjue
exact que soit son calcul, M. Le
Pelletier trouve plusieurs difficul-
tés dans son système, i." La coudée
dont parle Moïse étoit celle de
Memphis, plus courte d'un sep-
tième que celle de Paris. 2.^ Un
bâtiment plat et carré, plus long
et plus large que haut, n'a pas be-
soin de lest pour l'empêcher de
tourner, de quelque manière qu'on
le charge. 3.o Les animaux seroient
mal placés entre des fumiers et
des provisions ; ils auroient été
sous l'eau , privés de la lumière ,
en danger d'être étouffés ; on pré-
vient ces inconvénients en les met-
tant au troisième étage. 4.° La pesan-
teur des animaux ne pouvant aller à
soixante-dix milliers, au lieu que
celle des provisions pouvoit se
monter à plus de dix millions de
charge , il n'est pas convenable de
placer les provisions au-dessus des
animaux. 5.° La porte, placée à
un des côtés de Varcfie, avec une
allée vide dans toute la longueur,
auroit rendu Varche plus pesante
d'un côté que de l'autre, et incom-
mode dans sa totalité, etc.
Mais, comme le remarque dom
Calmet , il y a peu d'auteurs qui,
en traitant cette matière, ne soient
tombés dans des inconvénients. Les
uns ont fait Varche trop grande ,
les autres trop petite, plusieurs
peu solide ; la plupart n'ont envi-
sagé dans l'histoire du déluge que
les difficultés qui peuvent concer-
ner la capacité de Varche, sans faire
attention à celles qui pouvoient
résulter de sa forme, de la distri-
bution des appartements et des lo-
ges, de la manière dont il falloit
donner aux animaux de la nour-
riture , du jour, de l'air, de la
propreté. M. Le Pelletier les a
éclaircies et prévenues dans sa Dis-
sertalion sur Varche de Noé, c. 5a.
'4
aïo ARC
6.°Dans quel lieu s'arrêta l'arc/te
apréj le déluge ? Quelques-uns ont
cru que c'étoit prés d'Apamée, ville
de Phrygie, sur le fleuve Marsyas,
parce que cette ville étoit surnom-
mée VArche, et portoit une arche
dans ses médailles. Mais il est tres-
probable que cette ville étoit nom-
mée xSutàj, Arche, parce qu'elle
étoit située dans un vallon tres-
étroit, et renfermée comme dans
un coffre ; il paroît que c'est même
la signification du nom propre
Apamée. On lit dans les vers sy-
biilins que le mont Ararat , où
s'arrêta V arche, est sur les confins
de la Phrygie, aux sources du fleuve
Marsyas : c'est une erreur. Tout
le monde sait que cette montagne
est en Arménie ; Joséphe l'histo-
rien, parlant d'Izates, fils du roi
de l'Abdiabene, dit q»ie son père
lui donna dans l'Arménie un can-
ton noraméKacron, où l'on voyoit
des restes de Yarche de Noé. Il cite
Bérose, historien chaldéen, qui dit
que de son temps on voyoit des
restes de Varche sur les montagnes
d'Arménie. Antiq., liv. i, c. 5 ;
liv. 20, c. 2.
Nicolas de Damas , saint Théo-
phile d'Antioche, saint Isidore de
Séville, citent la même tradition ;
Jean Stuys , dans ses voyages, dit
qu'en 1670 un ermite de ce can-
ton lui assura encore ce fait : c'est
une fable. M. de Tournefort , qui
a été sur les lieux , atteste que la
montagne d' Ararat est inaccessible,
que depuis le milieu jusqu'au som-
met elleest couverte déneiges qui ne
fondent jamais, et au travers des-
quelles il n'est pas possible de
s'ouvrir un passage. Les Armé-
niens eux-mêmes tiennent par tra-
dition , qu'à cause de cet obstacle
personne depuis ^oi» n'a pu monter
sur cette montagne ni donner
des nouvelles des restes de Varche;
c'est sans aucune preuve et sur de
«impies bruits populaires que quel-
ques voyageurs ont dit que l'on en
A RI
voyoit encore des débris. VoyW la
Dissertation de dom Calmet; celle de
M. Le Pelletier de Rouen se trouve
dans \esMém. deTréooux, de l'an-
née 1702.
Quelques incrédules , qui ne
pouvoient rien opposer de solide
aux ouvrages que nous venons d'ex-
traire, se sont bornés à les tour
ncr enridicule: c'est leurderniéie
ressource. Mais quoique les divers
systèmes sur la structure de Varche
ne soient que des conjectures, elles
démontrent cependant que les com-
mentateurs qui ont travaille à
éclaircir la narration des livres
saints, ont eu en général plus de
capacité , de lumières , d'érudition ,
de jugement, que ceux qui font pro-
fession de mépriser les anciens
monuments , sans pouvoir en don-
ner aucune raison. Voyez parmi
les planches de l'histoire ancienne
la figure de Varche de Noé.
ARCHONTIQUE, adjectif, mot
formé du grec â^yj^v , au pluriel
apxovTtç , principautés ou hiérar-
chies d'anges. On donne ce nom à
une secte d'hérétiques qui paru-
rent sur la fin du second siècle ,
parce qu'ils attribuoient la créa-
tion du monde , non pas à Dieu,
mais à diverses puissances ou prin-
cipautés , c'est-à-dire , à des intel-
ligences subordonnées à Dieu , et
qu'ils appeloient archontes. Ils re-
jetoient le baptême et les saints
mystères , dont ils faisoient auteuT
Sabaoth , qui étoit , selon eux ,
une des principautés inférieures.
A les entendre , la femme étoit
l'ouvrage de Satan, et l'àme devoit
ressusciter avec le corps. On les
regarde comme une branche de la
secte des valentiniens ou des mar-
cosiens. Tillemont, t. a , p. 298.
ARÉOPAGITE. Voy. S.Dbnys.
ARIAMSME , ARIENS. Arius ,
prêtre d'Alexandrie , premier au-
AKl
leur de l'hcrcsic à laquelle il adon-
né son nom , commença de la pu-
blier l'an 319. Mécontent d'une
explication qu'Alexandre , son évê-
que , avoit donnée du mystère de
la sainte Trinité dans une assemblée
de prêtres , il soutint que le Fils de
Dieu , ou le Verbe divin , étoit une
créature tirée du néant , que Dieu
le Père avoit produite avant tous
les siècles , et de laquelle il s'étoit
servi pour créer le monde; qu'ainsi
le Fils de Dieu étoit d'une nature
et d'une dignité très-inférieure au
Père; qu'il n'étoit appelé Dieu<\ue
dans un sens impropre. Condamné
d'abord par son éveque dans un
concile d'Alexandrie , et dans un
second tenu l'an Sai , il se retira
dans la Palestine ; il écrivit aux
évêques les plus célèbres , pour se
plaindre de la rigueur avec laquelle
il étoit traité; il sut déguiser sa
doctrine et rendre odieuse celle
d'Alexandre , aussi - bien que sa
conduite : il gagna ainsi plusieurs
partisans , surtout Eusèbe de Ni-
comédie , dont le crédit étoit grand
pour lors , soit à la cour , soit dans
l'Eglise. Alexandre, de son coté ,
rendit compte des erreurs d'Arius
et des motifs de sa condamnation ;
la dispute commença dèscemoment
de s'échauffer de part et d'autre.
I. L'empereur Constantin , qui
en prévit les suites , tâcha vaine-
ment de concilier ou de calmer les
deux partis , et de leur iraiposer
silence. Voyant qu'il ne pouvoity
réussir , il assembla , l'an 325 , un
concile général à Nicée en Bithy-
nie , auquel se trouvèrent trois cent
dix-huit évêques, tant de l'Orient
que de l'Occident. Après un sérieux
examen , dans lequel Arius et ses
partisans furent entendus , le con-
cile condamna leur doctrine ; il
décida que « Jésus-Christ , Fils
» unique de Dieu, est né du Père
»> avant tous les siècles , Dieu de
» Dieu, lumiière de lumière, vrai
» Dieu de vrai Dieu, engendré et
AlU 2,1
•> non fait , consubslantjel h son
» Père, et que par lui toutes choses
» ont été faites. » C'est le symbole
de foi (jue l'Église répète encore au-
jourd'hui dans sa liturgie. Arius ,
ayant refusé de souscrire à sa con-
damnation , fut exilé en Ulyrie; dix-
sept évêques firent d'abord le même
refus, ensuite ils se réduisirent à
cinq , et enfin à deux , qui furent
aussi exilés.
Mais l'anathème prononcé contre
l'erreur ne la détruisit pas; la plu-
part de ceux qui n'avoient signé la
décision du concile que pour évi-
ter l'exil, demeurèrent attachés au
parti d'Arius. Constantin lui-mê-
me , séduit par un prêtre arien ,
que Constantia sa sœur lui avoit
recommandé en mourant , et qui
avoit gagné sa confiance, consentit
à rappeler Arius de son exil en
328 ; et cet hérétique , réuni à ses
partisans , recommença de semer
ses erreurs avec encore plus de
chaleur qu'auparavant. Mais saint
Athanase, qui avoit succédé au
patriarche Alexandre dans le siège
d'Alexandrie, refusa constamment
de recevoir Arius à sa communion,
et par cette fermeté il encourut
l'indignation de Constantin.
Dès ce moment , les ariens de-
vinrent un parti redoutable ; ils
tinrent plusieurs conciles dans les-
quels ils se trouvèrent les maîtres;
ils parvinrent à faire exiler plu-
sieurs des évêques les plus attachés
à la foi de Nicée , en particulier
saint Athanase et saint Eustache ,
évêque d'Antioche. Ils s'appliquè-
rent à interpréter dans un mauvais
sem la doctrine du concile de Hi~
cée, surtout le terme consubstan-
tiel; ils prétendirent que ce mot
pouvoit faire confondre la Per-
sonne du Fils avec celle du Père,
et renouveler l'erreurdeSabellius,
et ils eurent grand soin de le re-
trancher dans toutes les professions
de foi qu'ils dressèrent. Mais leur»
disputes, leurs variations dans cca
i4.
212 AlU
confessions de foi sur lesquelles ils
ïie ponvoîent s'accorder, et qu'ils
changèrent au moins vingt fois , ne
prouvèrent que trop la nécessité
d'un ternie qui coupoit la racine à
tous leurs subterfuges.
Constantin lui -mente ne put
faire consentir Alexandre, évê^ue
de Constantinople , à recevoir
Arius dans sa communion ; cet
hérétique mourut d'une manière
tragique dans cette circonstance
même , l'an 336 ; ceux qui accu-
sent les catholiques de l'avoir em-
poisonné , les calomnient sans
fondement et par pure malignité.
Après la mort de Constantin ,
arrivée l'an 337, le parti des
ariens fut tantôt plus fort et tan-
tôt plus foible, selon qu'ils furent
protégés ou proscrits par les em-
pereurs. Sous Constance, qui les
favorisoit , ils remplirent tout
l'Orient de troubles, de séditions,
de violences; mais Constantin le
jeune et Constant qui régnoient
sur l'Occident , empêchèrent Ya-
rianisnie d'y faire beaucoup de
progrès. En 35 1 , Constance, de-
venu maître de tout l'empire par
la mort de ses deux frères, pro-
tégea l'hérésie encore plus haute-
ment qu'auparavant; il y eut plu-
sieurs conciles tenus en Italie ,
dans lesquels les ariens dominè-
rent ; d'autres dans lesquels les
catholiques reprirent le dessus ,
condamnèrent Arius et ses parti-
sans, et confirmèrent la foi de
Nicée. Au concile d'Arles en 353,
à celui de Milan tenu en 355 , à
Rimini en 359, plusieurs évêques,
vaincus par violence, souscrivi-
rent à la condamnation de saint
Athanase, et signèrent des con-
fessions de foi dans lesquelles ie
mot de consubsiantiel étoit sup-
primé. Ceux qui ont conclu de
là que ces évêques avoient signé
Van'anisme, ont abusé des termes :
les professions de foi auxquelles
ils souscrivirent , n'exprimoient
A RI
pas assez expressément le dogme
catholique , mais elles n'expri-
moient pas non plus l'erreur
d'Arius, puisqu'elles portoient ou
que le Fils est semblable au Père
en substance, ou qu'il lui est sembla-
ble en toutes choses, ou qu'il lui est
semblable selon les Ecritures, etc.
Ce ne sont pas là des hérésies ,
quoique les ariens abusassent ma^
licieuscment de ces expressions
.vagues pour semer leur erreur.
11 en fut de même de la formule
que le pape Libère signa par foi-
blesse dans son exil , l'an 357. Voy.
Libère. Il est constant d'ailleurs
que , pendant toutes les disputes
des évêques, les peuples, qui n'y
comprenoient rien, continuoient à
croire et à professer le dogme de
la divinité de Jésus- Christ. Les
évêques ariens eux-mêmes n'o-
soient pas prêcher en public,
comme Arius , que le Fils de Dieu
est une créature tirée du néant ;
qu'il est inférieur en nature à son
Père ; qu'il n'est pas Dieu dans
toute la rigueur du terme. Com-
ment donc peut-on soutenir que
dans le temps dont nous parlons ,
Varianisme avoit étouffé la foi ca-
tholique, et dominoit dans l'Eglise ?
Julien , parvenu à l'empire l'an
362, laissa disputer les ariens et
les catholiques : son règne ne dura
que deux ans , celui de Jovien ne
fut que de quelques mois. Valens,
maître de l'Orient l'an 364, favo-
risa et embrassa Varianisme; Va-
lentinien, son frère, travailla ef-
ficacement à l'extirper en Occi-
dent. Gratien , et ensuite Théo-
dose, le proscrivirent dans tout
l'empire , de manière que ver»
l'an 38o, cette hérésie, après soixan-
te ans de tumulte, n'osa pres-
que plus se montrer. Au commen-
cement du cinquième siècle , les
Goths , les Bourguignons et les
Vandaks , qui en étoient infectés,
voulurent la rétablir dans le*
Gaules et en Afrique; ils exerce-
Ani
renl hcaaconp de violrnccs , cl
firent un f;ran(l nonihrc de mar-
tyrs; les Visifçotlis la portèrent en
Espagne : c'est où elle a subsisté
le plus long-temps sous la pro-
tection des rois qui l'avoient em-
brassée; mais ceux-ci l'ayantenfin
abjurée , elle s'y éteignit aussi
vers l'an 660. Nous la verrons re-
naître de ses cendres au seizième
siècle.
II. Il est probable que Varianis-
nie auroit subjugué l'Orient tout
entier , si ses partisans avoient pu
s'accorder ; mais , comme tous les
hérétiques, ilsse divisèrentpromp-
tement. Les deux factions princi-
pales lurent celles des purs ariens
et celle des semi-ariens. Les pre-
miers disoient sans détour , com-
me Arius 5 que le Fils de Dieu
étoit une créature , par conséquent
très-inférieur et dissemblable à son
Père : c'est ce qui les fit nommer
anoméens , dissemblables. On les
appelle encore acaciens, eudoxiens ,
eusébiens , aétiens , eunomiens , ur-
saciens , etc.; parce que Acace ,
évêque de Césarée , Eudoxe , évê-
que d'Antioche , Eusèbe de Nico-
médie, Aétius, Eunomius, Ursace,
évêque de Tyr ou de Sigedun , fu-
rent successivement à leur tète;
mais il ne paroît pas que ce parti
ait été le plus nombreux ; leur hé-
résie proposée ainsi sans déguise-
ment révolloit les esprits.
Les semi-ariens , qui pensoient
peut-être de même dans le fond, dis-
simuloient leurs vrais sentiments.
Nous ne pouvons mieux connoître
leurs artifices et leurs détours, qu'en
examinant la conduite d'Eusèbe
de Césarée , qui paroît avoir été
constamment dans ce parti. Il ne
faisoit point de difficulté de dire,
comme le concile de Nicée , que
Jésus-Christ est le Verbe , la raison
ou la sagesse divine, Dieu de Dieu,
lumière de lumière, engendré du
Père avant tous les siècles, et qui
a fait toutes choses ; mais il n'a-
ARI ai3
vouoit pas que ce Verbe fùtengen-
dré de toute éternité et coéternel au
Père; ilprétendoitcommc font en-
cordes sociniensque le Père avoit
donné l'être au Fils avant la créa-
tion; et quand il disoit que ce n'est
Y>:is une créai lire , il entcndoitque ce
n'est pas unecréature semblable aux
autres, mais d'une nature beaucoup
plus parfaite , et autant semblable à
I)ieu qu'une créature peut l'être.
C'estpour cela même que les semi-
ariens, au lieu du mot homoousins ,
consubstantiel, substituoient celui
de homoïousios , semblable en sub-
stance.
Eusébe , en professant , même
dans le symbole de Nicée, que le
Fils est consubstantiel au Père , en-
tendoit que le Fils est sorti du Père
non par division ou par retran-
chement, comme un corps qui
faisoit partie d'un autre corps ,
mais sans changement et sans di-
minution de la substance du Père;
ainsi , par consubstantiel , il n'en-
tendoit toujours qu'une ressem-
blance imparfaite dans la sub-
stance , et non une parfaite égalité
avec le Père. Il ne refusoit pas de
condamner Arius, ni de dire ana-
themeà tous ceux qui enseignoient
que le Verbe est sorti du néant ,
ou de ce qui n'étoit pas; qu'il a
été un temps où il n'étoit pas en-
core, parce que, disoit- il, ces ex-
pressions ne sont pas dans l'Ecri-
ture sainte. C'est ainsi qu'il s'ex-
plique dans la lettre qu'il écrivit
au peuple de Césarée après le con-
cile de Nicée. Socrate, Hist. ec-
clés., 1. I , c. 8. Dans ses autres
ouvrages, il a nié plus d'une fois
l'autorité du Verbe et son égalité
avec le Père. Petau, Dogm. thcol.
tom. 2 , 1. I , c. 1 1 et 12. Plusieurs
sociniens se servent encore aujou r-
d'hui des mêmes artifices, pour
pallier l'impiété de leur sentiment
touchant la divinité de Jésus -
Christ. Voyez Semi-Arianisme.
Cet abus continuel des termes ,
aï4 ARI
ces explications subtiles pour alté-
rer Ipscns des paroles de l'Ecriture
sainte, ces expressions ambiguës
dans les professions de foi des
ariens, ces disputes toujours re-
naissantes parmi eux , démon-
troient assez la duplicité de leur
caractère et la fausseté de leur opi-
nion. Ils croyoient avoir remporté
une grande victoire , lorsque par
fourberie ou par violence ils
étoient venus à bout de faire si-
gner aux évèques catholiques une
profession de foi dans laquelle le
mot consubstantiel étoit retranché.
Quelle différence entre cette mar-
che tortueuse de l'hérésie, et la con-
duite franche et ferme de l'Eglise
catholique ! Le concile de Nicée ,
du premier coup et d'un seul mot,
fixa la croyance d'une manière ir-
révocable. Le ntiot consubstantiel
rendoit toute l'énergie et le vrai
sens des expressions de l'Ecriture
sainte ; il prévenoit tontes les équi-
voques et les subtilités des ariens;
l'Eglise , après l'avoir une fois
adopté, ne l'abandonna plus ; il fut
conservé dans toutes les professions
de foi et dans les divers conciles
où les catholiques furent libres
d'exposer leur croyance ; malgré
toutes les attaques de l'hérésie ,
après quatorze siècles, la consub-
staniiaîité àuYevhe est encore la foi
de cette même Eglise. Voy. Consub-
stantiel ,DiviNiTÉ DE Jésus-Christ,
Fils de Dieu.
in. Un des artifices dont se sont
servis les fauteurs de Varianisme ,
a été de représenter ces disputes
comme des contestations indiffé-
rentes au fond du christianisme ,
qui ne valoient pas la peine de faire
tant de bruit ; de prétendre que
l'on peut être bon chrétien sans
souscrire à la décision du concile
de Nicée. Les incrédules n'ont pas
manqué d'appuyer cette préten-
tion, afin de couvrir de ridicule
les Pères du quatrième siècle, et de
rendre le zèle de religion respon-
ARI
sable des troubles que Varianisme
a causés dans le monde. Nous sou-
tenons au contraire que la divinité
de Jésus-Christ, fondée sur la con-
substantialité du Verbe , est le
dogme fondamental du christia-
nisme ; que si ce dogme n'est pas
vrai , Jésus -Christ a établi une
religion fausse.
i.° Il est clair que si les trois
Personnes divines, le Père , le Fils
et le Saint-Esprit , ne sont pas un
seul Dieu dans le sens le plus exact
et le plus rigoureux , le christiat-
nisme, tel qu'il subsiste dans toutes
les communions qui ne sont pas
ariennes ou sociniennes, est un vé-
ritable polythéisme , puisque nous
rendons à ces trois Personne* di-
vines lemcmecultesuprême. Entre
les païens et nous , il n'y aura point
de différence, sinon qu'ils admet-
toient un plus grand nombre de
dieux que nous, et que nous savons
déguiser notre polythéisme par
des subtilités qui leur étoient in-
connues. Dans ce cas le mahomé-
tisme, qui se borne au culte d'un
seul Dieu , est une religion plus
pure que le christianisme. Abbadie
a porté cette conséquence jusqu'à
la démonstration, dans son Traité
de la divinité de Jésus- Christ. Elle
est confirmée par lesufFragedetous
les sociniens , qui ne cessent de
nous reprocher le trithéisme , ou
l'adoration de trois Dieux.
Est-il croyable que Dieu , qui ,
sous l'ancien Testament, s'est mon-
tré si jaloux du culte suprême ex-
clusif ; qui répétoit continuelle-
ment aux Juifs : Je suis seul Dieu ,
il n'y a point d'autre Dieu que moi ,
ait permis que l'univers l'ùt bou-
leversé pour établir une religion
qui n'aboutît qu'à offusquer, par
sa croyance et par son culte , le
dogme capital de l'unité de Dieu .
sans lequel il ne peut point y avoir
de vraie religion ?
Dans ce même cas, les Juifs sont
bien fondés à demeurer dans l'in-
ARI
«rédulîté. Le dogme de l'unité de
Dieu est Jebouclier que le juil'Oro-
bio ne cesse d'opposer aux argu-
ments de Limborch ; celui-ci, ({ui
étoit socinien déguisé, en affectant
de laisser de côté le dogme de la
Trinité et celui de la divinité de
Jésus-Christ , a évidemment trahi
la cause du christianisme qu'il
vouloit défendre. Voyez Pliilippi à
Limborch arnica collaiio ciim eru-
dito Judœo , troisième partie.
2.° Jésus-Christ a déclaré qu'il
étoit venu dans le monde pour ap-
prendre aux hommes à rendre à
Dieu le culte d'adoration en esprit
et en vérité. Joan. , c. 4 , S • ^4- ^^
il veut que tous honorent le Fils
comme ils honorent le Père, c. 5 ,
y/'. 23. S'il n'est pas un seul Dieu
avec le Père , ce culte est-il juste
et légitime ? C'est une profanation
et une impiété. Nous prenons en-
core pour juges lessociniens. Y en
a-t-il un seul qui se croie obligé de
rendre à Jésus-Christ le même cul te
suprême , la m?me adoration qu'il
rend à Dieu le Père ? Us ont beau
chercher des palliatifs , il s'ensuit
toujours de leur opinion que Jésus-
Christ , par cette funeste leçon, a
voulu nous plonger dans une su-
perstition grossière et inévitable, et
que toute la chrétienté y est tombée
en effet. Pendant que d'un côté les
sociniens affectent de prodiguer à
Jésus-Christ les titres les plus pom-
peux , de l'autre ils nous donnent
à conclure qu'il a été le moins sage
de tous les législateurs, et un usur-
pateur des honneurs de la Divinité.
3.° Lorsque nous citons les pa-
roles de saint Paul , Philip. , c. 2,
^. 6: « Imitez Jésus-Christ qui ,
» étant dans la forme de Dieu , n'a
» point regardé comme une usur-
» pation de s'égaler à Dieu, etc. , »
les sociniens nous disent que nous
traduisons mal , qu'il y a dans le
texte : « Jésus-Christ qui , étant
« dans la forme de Dieu , n'a point
» /ait sa proie de s'égaler à Dieu , »
AI\Î
2l5
ou ne s'est point attribué l'égalité
avec Dieu.
Nous soutenons que cette expli-
cation socinienne est fausse. En
premier lieu , il est faux que Jésus-
Christ ne se soit pas égalé à Dieu ;
il a dit : « Mon Père et moi som-
» mes une même chose, » Joan. ,
c. lo , y. 3i ; « Celui qui me voit,
» voit mon Père , » c. i4 , !>!^. 9 ;
« Tout ce qu'a mon Père est à
» moi, » c. 16 , ^. i5 ; « Il veut
» que tous honorent leFils comme
» ils honorent le Père, » c.5,y/.2'5.
Vouloir être honoré comme Dieu,
c'est certainement s'égaler à Dieu;
tel a été le crime et la folie de tous
ceux qui se sont fait rendre les
honneurs divins. En second lieu,
si Jésus-Christ n'est pas égal àDieu,
où est l'humilité de ne pas y pré-
tendre ? En avoir seulement la
pensée, seroitune impiété. En troi-
sième lieu, dans cette hypothèse,
saint Paul et les autres apôtres sont
des prévaricateurs : ils ont égalé
Jésus-Christ à Dieu, puisqu'ils lui
ont donné tous les attributs de la
Divinité, l'existence avant tous les
siècles, îa toute-puissance, le pou-
voir créateur , la science et la
sagesse divine , le nom même de
Dieu. Us ont contredit l'exemple
de Jésus-Christ , en exhortant les
fidèles à l'imiter.
4.° Dès que les nouveaux ariens
ont méconnu la divinité de Jésus-
Christ, il leur a fallu détruire suc-
cessivement tous les dogmes du
christianisme, la Trinité, l'incar-
nation , la rédemption des hommes
par Jésus-Christ, le péché origi-
nel,la nécessité du baptême pour les
enfants, l'efficacité des sacrements,
les œuvres satisfactoires , etc. Us
ont fait consister la religion chré-
tienne à croire seulement l'unité
de Dieu; à regarder Jésus-Christ
comme un envoyé de Dieu , sans
s'informer de ce qu'il est person-
nellement ; à prendre l'Evangile
pour règle de foi et de conduite.
ai6 AÎU
sauf à l'entendre comme cha-
cun le trouvera bon. C'est le déisme
pur. Il n'est pas étonnant que cette
licence ait fait éclore tous les sys-
tèmes possibles d'incrédulité.
Est-ce donc là le système sublime
de religion que Dieu avoit préparé
pendant quatre mille ans , pour
l'établissement duquel il a opéré
tant de prodiges , et changé la face
de l'univers? Nous ne serons ja-
mais assez insensés pour le croire.
On nous dit aujourd'hui qu'a-
vant le concile de Nicée, la doc-
trine touchant les trois Personnes
divines n'étoit point encore fixée;
que l'on n'avoit rien prescrit à la
foi des chrétiens sur cet article,
ni déterminé les expressions dont
on devoit se servir en parlant de
ce mystère ; que les docteurs chré-
tiens avoient des sentiments dif-
férents sur ce sujet, sans que per-
sonne s'en scandalisât , etc. On
croira peut-être que c'est un so-
cinien qui s'exprime ainsi ; non ,
c'est Mosheim , Hist. ecclés. du
quatrième siècle, 2.^ part. , c. 5 ,
§ g. Beausobre lui avoit donné
l'exemple. Hist. du man., 1. i^cj.
Cependant BuUus , dans sa Dé-
fense de la foi de Nicée, M. Bos-
suet, dans son sixième avertisse-
ment aux protestants, et d'autres,
ont prouvé invinciblement qu'a-
vant le concile de Nicée , les Pères
des trois premiers siècles ont pro-
fessé hautement l'éternité du Verbe
et sa consubstantialité avec le
Père. Une preuve positive de ce
fait, c'est que jamais Arius ni ses
partisans n'ont voulu s'en rappor-
ter au jugement des anciens doc-
teurs , et qu'ilsprétendoient mieux
entendre l'Ecriture que tous ceux
qui les avoient précédés. Le pa-
triarche d'Alexandrie , qui avoit
condamné Arius , le leur repro-
choit déjà. Théodoret, Hist. ec-
clés. ,\. I , c. 4- Ils refusèrent de
même dans le cinquième concile de
Coustantinople, sous Théodose,
AI\I
l'an 383, d'être jugés parle senti-
ment des anciens Pères. Socrate,
Hist. ecclés., 1. 5, c. 10. Ils étoient
donc bien convaincus que les Pères
des trois premiers siècles ne pen-
soient pas comme eux, et les ca-
tholiques le soutenoient ainsi.
Sait-on mieux au dix-huitième
siècle qu'au quatrième ce qui en est?
D'ailleurs , ou le dogme de l'éter-
nité et de l'égalité parfaite du
Verbe avec le Père est clairement
et formellement révélé dans l'Ecri-
ture sainte , ou il ne l'est pas.
S'il l'est , donc il étoit cru dans
les trois premiers siècles , et on
ne pouvoit refuser de le croire
sans être hérétique; s'il ne l'est
point, ce n'est pas plus aujourd'hui
un dogme de foi pour les protes-
tants , qu'il ne l'étoit avant le con-
cile de Nicée , puisqu'ils ne re-
connoisscnt pour dogme de foi que
ce qui est clairement et formelle-
ment enseigné dans l'Ecriture
sainte : ils ne peuvent donc ,
même aujourd'hui , regarder les
sociniens comme des hérétiques.
Ce n'est pas sans raison quo nous
leur reprochons leur connivence
avec les ennemis de la divinité de
Jésus-Christ.
Nous convenons qufe l'Eglise n'a-
voit pas encore consacré le mot
cnnsubsiantiel pour exprimer ce
dogme ; mais il ne s'ensuit pas que
ce dogme n'étoit pas encore cru ,
puisque l'on exprimoit par d'au-
tres termes ce que celui-là signifie ,
en disant que le Fils ou le Verbe
est éternel et parfaitement égal au
Père. Si les ariens avoient voulu
s'exprimer de même, on nelcsau-
roit pas condamnés.
Mosheim ajoute que si l'on con-
sidère les moyens qu'employèrent
les nicéniens et les ariens pour dé-
fendre leurs opinions , on est on
peine de décider lequel des deux
partis excéda le plus les bornes de
la probité, de la charité et de la
modération Ibid.,^ i5.
AI\l
Nous ne rclèvprons pas riiulé-
ecncc Ju nom de nicénirns , don-
né par mépris aux calholiqucs ;
Moshcim pouvoil les appeler en-
»:ore ho/noniisiens , comme faisoienl
les ar/c/7.';; mais nous demandons
en quoi les catholiques ont violé la
probité à l'éfçard de leurs adver-
saires. Que les ariens en général
aient été de mauvaise foi , c'est un
fait qui nous paroît incontestable ;
mais les catholiques ont-ils era-
f>loyé comme eux les équivoques ,
es expressions captieuses , les faus-
ses protestations de zèle pour le
fond du dogme, les fausses pro-
messes de paix , etc. , dont se ser-
voient les premiers pour parvenir
à leurs fins ? A la vérité Mosheim
a trouvé bon d'accuser saint Am-
broise et d'autres éveques d'avoir
supposé de fausses reliques et de
faux miracles pour en imposer
aux fidèles et confondre les ariens;
mais cette accusation est-elle prou-
vée? Quant au défaut de charité,
nous ne voyons pas en quoi les
catholiques ont été coupables de se
défendre tant qu'ils ont pu contre
des hérétiques audacieux, violents,
séditieux, quiabusoient de l'auto-
rité des empereurs qu'ils avoient
séduits , et qui ont fait les plus
grands efforts pour anéantir la foi
de l'Eglise. Nous lisons que les
ariens ont fait beaucoup de mar-
tyrs, mais il n'est écrit nulle part
qu'il y en eut parmi eux; il n'est
donc pas vrai que les catholiques
aient autant violé les règles de la
modération que les ariens. Après
soixante ans de tumulte , nous ne
pouvons blâmer Théodose d'avoir
porté des lois sévères contre ces
derniers; il ne fut pas obligé de
répandre du sang pour les faire
exécuter.
IV. La raison de celte partialité
de Mosheim et des protestants en
faveur de V arianisrne , n'est pas
difficileà découvrir; c'est que l'on
a vu au seizième siècle cette héré-
AUI 217
sie renaître des principes du pro-
testantisme. Dès que Luther cl
Calvin eurent posé pour maxime
que la seule règle de foi est l'Ecri-
ture sainte entendue comme il
plaît à chaque particulier, il se
trouva des prédicants qui perverti-
rent le sens des passages par lesquels
on prouve la distinction des trois
Personnes de la sainte Trinité ,
leur coexistence éternelle , leur
égalité parfaite, l'unité de la nature
divine; ainsi, la divinité de Jésus-
Christ devint parmi eux un pro-
blème. Luther même et Calvin ont
parlé de ce mystère dans des ter-
mes très-capables de faire douter
de leur foi. Hist. duSocinianisme ,
i.""^ part., c. 3. Plusieurs anabap-
tistes, sortis de l'école de Luther,
prêchèrent Varianisme en Suisse,
en Allemagne, en Hollande; Okin el
Bucer en jetèrent, sous Edouard
VI, les premières semences en An-
gleterre. Servet voulut l'établir à
Genève ; Calvin le fit punir du der-
nier supplice. La crainte de subir
le nième sort écarta de Genève
Gentilis , Blandatra , et d'autres
qui soutenoieut cette erreur; ils se
retirèrent en Pologne, où ils trou-
vèrent des protecteurs , et ils y
fondèrent des sociétés ariennes.
Les deux Socin, oncle el neveu ,
parvinrent à les réunir à peu près
dans le même sentiment , et don-
nèrent ainsi leur nom à toute la
secte. Voyez. Socinianisme.
Les protestants , honteux de
cette postérité sortie de leur sein ,
ont vainement fait tous leurs efforts
pour l'étouffer; dans toutes les con-
férences et les disputes qu'ils ont
eues avec les sociniens , ceux-ci
leur ont fait voir qu'avec l'Ecri-
ture sainte seule onnelesconvain-
croii jamais d'erreur ; et lorsque
l'on a voulu employer contre eux
la tradition , le sentiment des Pères,
la croyance constante de l'Eglise
chrétienne, ils ont reproché avec
raison aux protestants de contre-
ai8 ARI
dire le principe fondamental de
la réforme, et de recourir à une
arme à laquelle ils ont fait profes-
sion de renoncer. La voie d'auto-
rité, les lois pénales, les suppli-
ces même dont les protestants ont
usé plus d'une fois envers les nou-
veaux ariens , sont une inconsé-
quence encore plus révoltante ,
puisqu'ils n'ont cessé de se plain-
dre eux-mêmes lorsque les catho-
liques en ont fait usage contre eux.
Aussi tous ces moyens ont-ils
produit très-peu d'effet; ils n'ont
pas empêché les sociniens depéné-
trer dans la Transylvanie, dans
la Prusse, dans la Basse- Allema-
gne, dans la Hollande et en Angle-
terre, et de s'y multiplier parmi les
différeîïtes sectes qui jouissent de
la tolérance civile. Dans ledernier
siècle et dans celui-ci , Y arianisme
mitigé , ou le semî-arianisme , y a
trouvé beaucoup de partisans.
En effet , les nouveaux ennemis
de la divinité de Jésus-Christ ont
compris , comme ceux du quatriè-
me siècle, que Varianisme pur ne
pourroit jamais faire fortune; l'on
ne persuadera jamais à ceux qui
respectent l'Ecriture sainte , que le
Fils de Dieu est une pure créature,
tirée du néant dans le temps, et qui
n'existoit pas avant la naissance du
inonde; encore moins que Jésus-
Christ n'est qu'un homme, quoi-
que plus parfait que les autres.
Fauste , Socin et d'autres ont osé
le dire, et blâmer le culte rendu à
Jésus-Christ ; mais ils ont eu peu
de sectateus sur ce point-. Ceux
d'aujourd'hui ont adopté le senii-
arianisme , tel à peu près qu'Eu-
sèbe de Césarée et d'autres le sou-
tenoient ; c'est pour cela qu'ils
rejettent lenom de sociniens , parce
qu'ils ne suivent pas à la rigueur
les sentiments de Socin. Ils disent
que le Verbedivin a été créé avant
toutes choses ; quelques-uns même
sont allés jusqu'à dire qu'il a été
créé de toute éternité; d'autres ,
ARM
sans user du terme de création,,
disent que les trois Personnes di-
vines sont égales en perfection,
mais qu'il y a entr'el les une suAor-
dination de nature en fait d'exis-
tence et de dérivation. Ainsi s'ex-
prime le docteur Clarke , acciisé
de semi- arianisme. Mosheim, Hisi.
ecclés. du dix-huitième siècle, à la
fin, note du traducteur anglois.
Nous ne sommes pas assez habiles
pour entendre ce que signifient ces
termes. En 1777, l'on a aussi sou-
tenu le semi- arianisme à Genève,
dans une thèse publique, et dans
une brochure intitulée : Disseriaiio
historico-iheologica , de Christi dei-
taie. Les arminiens de Hollande
et plusieurs théologiens anglicans
passent pour être dans le même sen-
timent. Il n'est donc pas étonnant
que les protestants en général té-
moignent beaucoup moins d'aver-
sion pour les sociniens que pour
les catholiques.
Aux mots Fils de Dieu et Jésus-
Christ, nous prouverons le dogme
catholique opposé à toutes ces
erreurs.
ARMÉE DU CIEL. Voy. Astres.
ARMÉNIENS , considérés par
rapport à leur religion. C'est une
secte des chrétiens d'Orient , ainsi
appelés parce qu'ils habitoient au-
trefois l'Arménie.
On croit que la foi fut portée
dans leur pays par l'apôtre saint
Barthélemi; mais la tradition com-
mune des arménizns est que la plus
grande partie de leur pays fut con-
vertie, au commencement du qua-
trième siècle , par saiut Grégoire ,
surnommé VJUuminaieur. Ce qu'il
y a de certain, c'est qu'au commen-
cement du quatrième siècle l'Eglise
d'Arménie étoit très-llorissante ,
et que l'arianisme y fit peu de
ravages. Mais l'an 535, une grande
partie de cette Eglise embrassa les
erreurs et le schisme des jacobitcs
AI\M
ou monophysiles. Les arrm'nicns
étoienldu ressort du patriarche de
Constantinople; ils s'en séparèrent
avant le temps dePholius , aussi-
bien que les Grecs de ce même
pavs,etcomposèrentainsi une église
nationale, en partie unie à l'Eglise
romaine, cten partie séparée d'elle;
car on en distingue de deux sortes,
les francs arméniens et les schisma-
tiques. Les francs arméniens sont
catholiques et soumis à l'Eglise
romaine. Ils ont un patriarche à
Kaksivan , ville d'Arménie , sous
la domination du roi de Perse , et
un autre à Kaminiek en Pologne.
Leur liturgiea été impriméeàRome
dans leur ancienne langue , et on
en a une traduction latine, que le
Père Lebrun a donnée avec des re-
marques. Explic. des cérém. de la
Messe, lom. 5 , lo.^ dissert. Les
arméniens schismati([ues ont aussi
deux patriarches, l'un résidant au
couvent d'Echmiazin, c'est-à-dire,
les trois églises, prû-che d'Erivan, et
l'autreàCisenCilicicouCaramanie.
Depuis la conquête de leur pays
par Scha-ALbas , roi de Perse , ils
n'ont presque point eu de pays ou
d'habitation fixe ; mais ils se sont
dispersés dans quelques parties de
l'Europe, particulièrement en Po-
logne. Leur principale occupation
est le commerce , qu'ils entendent
très-bien. Le cardinal de Richelieu,
qui vouloit le rétablir en France,
projeta d'y attirer grand nombre
A"" arméniens ; et le chancelier Se-
guier leur accorda une imprimerie
à Marseille, pour multiplier à moins
de frais leurs livres de religion ,
qui avant ce temps-là étoient fort
rares et fort chers.
Le christianisme s'est conservé
parmi eux , mais avec beaucoup
d'altération parmi les arméniens
schismatiques. Le Père Galanus
rapporte que Jean Hermac, armé-
nien catholique , assure qu'ils sui-
vent l'hérésie d'Eutychès touchant
Vunité de nature en Jésus- Christ '.
ARM 2,9
qu'ils croient que le Saint-Esprit
ne procède que du Père ; que les
âmes des justes n'entrent point
dans le paradis , ni celles des dam-
nés en enfer , avant le jugement
dernier ; qu'ils nient le purgatoire,
retranchent du nombre des sacre-
ments la confirmation et l'extrême-
onclion , accordent au peuple la
communion sous les deux espèces,
la donnent aux enfants avant qu'ils
aient atteint l'âge de raison , et
pensent enfin que tout prêtre peut
absoudre indifféremment de toutes
sortes de péchés; en sorte qu'il n'est
point de cas réservés , soit aux
évêques , soit au pape. Michel Le-
fèvre , dans son Théâtre de la Tur-
quie , dit que les arméniens sont
monophysiles , c'est-à-dire , qu'ils
n'admettent cnJésus-Christ qu'une
nature , composée de la nature di-
vine et de la nature humaine , sans
néanmoins aucun naélange. Le
même auteur ajoute que les armé-
niens .^ en rejetant le purgatoire ,
ne laissent pas de prier et de célé-
brer des messes pour les morts ,
dont ils croient que les âmes at-
tendent le jour du jugement dans
un lieu où les justes éprouvent des
sentiments de joie dans l'espérance
de la béatitude, et les méchants
des impressions de douleur dans
l'attente des supplices qu'ils savent
avoir mérités ; que d'autres s'ima-
ginent qu'il n'y a plus d'enfer ,
depuis que Jésus-Christ l'a détruit
en descendant aux limbes , et que
la privation deDieu sera le supplice
des réprouvés ; qu'ils ne donnent
plus l'extrême-onction depuis en-
viron deux cents ans, parce que le
peuple , croyant que ce sacrement
avoit la vertu de remettre par lui-
même tous les péchés , en avoit
pris occasion de négliger tellement
la confession , qu'insensiblement
elle auroit été tout-à-fail abolie;
que quoiqu'ils ne reconnoisscnt
pas la primauté du pape , ils rap-
pellent néapmoins dans leurs livres
220 ARM
le pasteur universel el vicaire de
Jésus - Christ ; qu'ils s'accordent
avec les Grecs sur l'article de l'eu-
charistie , excepté qu'ils ne mêlent
point d'eau avec le vin dans le
sacrifice de la messe, et qu'ils s'y
servent de pain sans levain pour
la consécration , comme les catho-
liques.
Mais il paroît que Galanus et
Lefèvre attribuent aux arméniens
echismatiques des erreurs dont ils
ne sont pas coupables, ou du moins
qui ne sont pas communes parmi
eux. Le Père Lebrun, avant de rap-
porter leur liturgie , prouve qu'à
l'exception de l'hérésie des mono-
physites, on ne peut leur imputer
aucune opinion absolument con-
traire à la croyance de l'Eglise ca-
tholique, qu'ils s'accordent avec
nous sur le nombre et sur la na-
ture des sacrements, surla présence
réelle de Jésus -Christ dans l'eu-
charistie , sur la transsubstantia-
tion , sur le sacrifice de la messe ,
sur le culte des saints, sur la prière
pour les morts , etc. Vainement
les protestants ont cherché parmi
eux leurs propres erreurs , ils n'en
ont trouve aucun vestige. Cepen-
dant les arméniens schismatiques
sont séparés de l'Eglise romaine
depuis plus de douze cents ans.
C'est sans fondement que Bre-
rewood les a accusés de favoriser
les opinions des sacramentaires ,
et de ne point manger des animaux
qui sont estimés immondes dans
la loi de Moïse ; il n'a pas pris garde
que c'est la coutume de toutes les
sociétés chrétiennes d'Orient, de
ne manger ni sang ni viandes étouf-
fées; en quoi, selon l'esprit de la
primitive Eglise, il n'y a point de
superstition. Ils sont grands jeii-
neurs, et à les entendre, l'essentiel
de la religion consiste à jeûner.
On compte parmi eux plusieurs
monastères de l'ordre de saint Ba-
sile , dont les schismatiques obser-
vent la règle : mais ceux qui se
ARM
sont réunis à l'Eglise romaine ont
embrassé celle de saint Dominique,
depuis que les dominicains envoyés
en Arménie par Jean XXII , eurent
beaucoup contribué à les réunir
au saint siège. Cette union a été
rompue et renouvelée plusieurs
fois, surtout au concile de Flo-
rence, sous Eugène IV.
Les arméniens font l'office ec-
clésiastique en ancienne langue
arménienne , différente de celle
d'aujourd'hui , et que le peuple
n'entend pas. Ils ont aussi dans
la même langue toute la Bible ,
traduite d'après la version des sep-
tante. Ceux qui sont soumis au
pape font aussi l'office en cette lan-
gue, et tiennent la même croyance
que l'Eglise catholique, sans aucun
mélange des erreurs que professent
les schismatiques.
Nous remarquerons encore que
le titre de vertabied , ou docteur,
est plus respecté des arméniens que
celui d'évèque ; ils le confèrent
avec les mêmes cérémonies qu'on
donne les ordres sacrés, parce que,
selon eux, cette dignité représente
celle de Jésus-Christ, qui s'appeloit
rabbi, ou docteur. Ces vertabieds
ont droit de prêcher assis, et de
porter une crosse semblable à celle
du patriarche, tandis que les évê-
ques n'en ont qu'une moins distin-
guée , et prêchent debout : l'igno-
rance de leurs évêques a procuré
ces honneurs aux docteurs. Gala-
nus, Conciliai, de V Eglise armcn.
avec VEglise rom. Simon, Hisl. des
relig. du Levant.
ARMES. Il n'est pas vrai, comme
l'ont avancé quelques censeurs du
christianisme, qu'il soit défendu
à un chrétien de porter les armes.
Saint Luc dans son évangile rap-
porte la leçon que fit saint .Jean-
Baptiste aux soldats : « Ne faites
» violence à personne injustement;
» contentez-vous de votre solde.»
Luc. , c. 3. Il ne leur ordonna point
ARM
de quitter les armes. Lorsque.
Jésus-Christ loua la foi «lu centu-
rion, et lui accorda un miracle,
il ne blâma point sa proicssion.
Malth., c. T.S. lo, i3. Saint Paul
veut que chacun demeure dans
l'état de vie dans lequel il a été
appelé à la foi ; les soldats ne sont
pas exceptés. I. Cor., c. 7, y , 20.
TerluUien atteste que de son temps
les camps elles armées étoienl rem-
plis de chrétiens, qu'ils étoient bons
soldats, puisqu'ils ne craignoient
pointlamort. ^;?o/.,chap. %'] çX/^1.
Si dans son Traité de VIdolâtrie ,
et dans celui de la Couronne, il
décide qu'un chrétien ne doit
point embrasser l'état militaire ,
c'est qu'alors on exigeoit qu'un
soldat fît son serment par les dieux
de l'empire, et rendît un culte
aux enseignes militaires chargées
des images des dieux : c'est dans
ce sens qu'il dit qu'il n'y a rien
de commun entre le signe de Jésus-
Christ et les enseignes du diable,
de Jdolol., c. 19 ; qu'un chrétien
ne doit pas veiller pendant la nuit
à la garde des dieux auxquels il
a renoncé, de Coronâ, c. 9. Lors-
que ce danger n'exista plus, le
troisième canon du concile d'Arles
ordonna d'excommunier ceux qui
désertoient même pendant la paix,
Constantin régnoit pour lors ; on
ne tendoit plus de pièges aux sol-
dats chrétiens pour les engager à
trahir leur religion. L'horreur
pour la profession militaire est
une erreur des quakers, réfutée
par Bellarmin, tom. II, Controv.
de JLaïcis.
ARMINIANISME, doctrine
d'Arminius , célèbre ministre
d'Amsterdam , et depuis profes-
seur en théologie dans l'académie
deLeyde ,etdes arminiens sts secta-
teurs. Calvin, Béze,Zanchius, etc.,
avoient établi des dogmes trop
sévères sur le libre arbitre , la
prédestination , la justification ,
A1\M 22 1
la persévérance et la grâce; les
arminiens ont pris sur tous ces
points des sentiments plus modé-
rés,et approchant à quelques égards
de ceux de l'Eglise romaine. Go-
mar, professeur en théologie dans
l'académie de Groningue , et cal-
viniste rigide, s'éleva contre la
doctrine d'Arminius ; après bien
des disputes commencées dès i6og,
et qui menaçoient les Provinces-
Unies d'une guerre civile, la ma-
tière fut discutée et décidée en
faveur des gomaristes, par le sy-
node de Dordrecht , tenu en i6i8
et 1619. Outre les théologiens de
Hollande, ce synode fut composé
de députés de toutes les Eglises ré-
formées, excepté des François, qui
en furent empêchés pour des rai-
sons d'état.
Pour bien comprendre l'état de
la question qui étoit à décider, il
faut savoir que les théologiens at-
tachés aux sentiments de Calvin
sur la prédestination , ne s'accor-
doient pas : les uns soutenoient ,
comme leur maître , que Dieu , de
toute éternité, et avant même de
prévoir le péché. d'Adam , avoit
prédestiné une partie du genre
humain au bonheur éternel , et
une autre partie aux tourments de
l'enfer ; qu'en conséquence Diea
avoit tellement résolu la chute
d'Adam , et avoit disposé les évé-
nements de telle manière , que
nos premJers parents ne pouvoient
pas s'abstenir de pécher. Ces théo-
logiens furent nomntés supralap-
sairrs , parce qu'ils supposoient
une prédestination et une répro-
bation absolues ante lapsum ou
supra lapsum : sentiment horrible ,
qui peint Dieu comme le plus in-
juste et le plus cruel de tous les
tyrans. D'autres disoient que Dieu
n'a pas prédéterminé positivement
la chute d'Adam, qu'il l'a seule -
ment permise ; que par cette chute,
le genre humain tout entier étant
devenu une masse de perdition et
222 ARM
de damnation , Dieu a résolu d'en
tirer un certain nombre d'hom-
mes , et de les conduire par ses
grâces au royaume éternel , pen-
dant qu'il laisse les autres dans
cette masse, et leur refuse les grâces
nécessaires pour se sauver. Ainsi ,
selon ces théologiens , la prédes-
tination et la réprobation se font
sue lapsum ou infrà lapsum ; c'est
pour cela qu'ils furent nommés
sublapsaires ou. infralapsaires. Vojf.
ce mot. Ces deux partis se réu-
nirent sous le nom de goniaristes ,
pour condamner les arminiens.
La dispute pour lors se réduisoit
à cinq chefs: le premier regard oit
la prédestination; le second, l'u-
niversalité de la rédemption ; le
troisième et le quatrième , qu'on
traitoit toujours ensemble, regar-
doient la corruption de l'homme
et sa conversion ; le cinquième
concernoit la persévérance.
Sur la prédestination , les ar-
miniens disoient , « qu'il ne faut
» reconnoître en Dieu aucun dé-
» cret absolu par lequel il ait résolu
M de donner Jés; «-Christ aux seuls
» élus , ni de donner non plus à
j) eux seuls , par une vocation ef-
» ficace, la foi, la justification, la
» persévérance et la gloire; mais
» qu'il a donné Jésus- Christ pour
» rédempteur commun à tout le
>» monde, et résolu par ce décret
» de justifier et de sauver tous ceux
» qui croiront en lui , et en même
» temps de leur donner à tous, les
» moyens suffisants pour être sau-
» vés ; que personne ne périt pour
» n'avoir point ce3 moyens, mais
» pour en avoir abusé ; que l'élec-
» tion absolue et précise des par-
» ticuliers se fait en vue de leur foi
» et de leur persévérance future ,
» qu'il n'y a d'élection que con-
» ditionnelle; que la réprobation
» se fait de même , en vue de l'in-
» fidélité et de la persévérance dans
» le mal. » Ce système étoit direc-
tement opposé tant à celui des
ARM
supralapsaires qu'à celui des in-
fralapsaires.
Sur l'universalité de la rédemp-
tion , les arminiens enseignoient
« que le prix payé par le Fils de
» Dieu, n'est pas seulement suffi-
» sant à tous, mais actuellement
M offert pour tous et un chacun ;
» qu'aucun n'est exclu du fruit de
n la rédemption par un décret ab-
» solu , ni autrement que par sa
» faute. » Doctrine toute diffé-
rente de celle de Calvin et des
gomaristes, qui posent pourdogme
indubitable que Jésus-Christ n'est
mort en aucune sorte que pour les
prédestinés , et nullement pour les
réprouvés.
Sur le troisième et quatrième
chefs , après avoir dit que la grâce
est nécessaire à tout bien , non-
seulement pour l'achever , mais
encore pour le commencer , ils
ajoutoient que la grâce n'est pas
irrésistible , c'est-à-dire , qu'on
peut y résister ; ils soutenoient
qu'encore que la grâce soit donnée
inégalement, « Dieu en donne ou
» en offre une suffisante à tous ceux
» à qui l'Evangile est annoncé ,
» même à ceux qui ne se conver-
» tissent pas , et l'offre avec un
» désir sincère et sérieux de les
» sauver tous : 11 est indigne de
» Dieu, disoient-ils, de faire sem-
» blant de vouloir sauver, et au
» fond de ne le vouloir pas ; de
» pousser secrètement les hommes
» aux péchés qu'il défend publia
» quement, » deux opinions mons-
trueuses qu'avoient introduites les
premiers réformateurs. Sur le cin-
quième , c'est-à-dire , sur la persé-
vérance , ils décidoient que « Dieu
» donne aux vrais fidèles , régé-
n nérés par sa grâce , des moyens
)) pour se conserver dans cet état;
» qu'ils peuvent perdre la vraie
» foi justifiante, et tomber dans
» des péchés incompatibles avec la
» justification , même dans les
» crimes atroces, y persévérer, y
ARM
» mourir même, s'en relever par
i> la péuileiice, sans néanmoins que
» la grâce les contraigne à le faire. »
Par ce sentiment ils détruisoient
celui des calvinistes rigides ; sa-
voir , que l'homme une fois j uslifié
ne peut plus perdre la grâce, ni
totalement, ni finalement, c'est-
à-dire , ni tout-à-fait pour un cer-
tain temps , ni pour jamais et sans
retour. Les arminiens sont aussi
appelés remontrants , par rapport
à une requête ou remontrance
qu'ils adressèrent aux états-géné-
raux des Provinces-Unies en i6i i ,
et dans laquelle ils exposèrent
les principaux articles de leur
croyance.
Leurs cinq articles de doctrine
furent solennellement condamnés
par le synode de Dordrecht ; eux-
mêmes furent privés de leurs places
de ministres et de leurs chaires ;
il fut décidé qu'à l'avenir personne
ne seroit admis à la fonction d'en-
seigner sans avoir souscrit à cette
condamnation. Les gomaristes su-
praïapsaires firent tous leurs ef-
forts pour faire approuver par le
synode leur sentiment touchant la
prédestination , mais ils ne purent
pas en venir à bout ; les théologiens
anglois et d'autres s'y opposèrent :
ainsi la doctrine établie à Dor-
drecht est celle des infralapsaires.
Mosheim , Hist. eccJés. du dix-sep-
tième siècle , sect. 2 , part. 2 , c. 2 ,
§11. Les décrets de l'assemblée de
Dordrecht furent reçus et adoptés
par les calvinistes de France , dans
un synode national tenu à Cha-
renton en 1623 : nous verrons dans
Un nioment quels en furent les
fruits.
Depuis leur condamnation , les
arminiens ont poussé leur système
beaucoup plus loin que n'avoit
fait Arminius lui-même ; ils sont
tombés dans le pélagianisme , et se
sont fort approchés des sociniens,
surtout lorsqu'ils avoient pour
chef Simon Episcopius. Quand i
ARM 223
les calvinistes les accusent de re-
nouveler une ancienne hérésie déjà
condamnée dans les pélagiens et
les semi-pélagiens , ils répliquent
que la simple autorité des hommes
ne peut passer pour une preuve
légitime que dans l'Eglise romaine ;
que les calvinistes eux-mêmes ont
introduit dans la religion une toute
autre manière d'en décider les dif-
férents; qu'il ne suffit pas de faire
voir qu'une opinion a été con-
damnée , mais qu'il faut montrer
qu'elle a été condamnée à juste
titre. Sur ce principe, que les cal-
vinistes ne sont pas en état de ré-
futer , les arminiens retranchent
un assez grand nombre d'articles
de religion que les premiers ap-
^tWtnifondamentaux ; parce qu'on
ne les trouve point assez clairement
expliqués dans l'Ecriture. Ils re-
jettent avec mépris les catéchismes
et les confessions de foi auxquels
les calvinistes veulent qu'on s'en
tienne. C'est pourquoi ceux - ci ,
dans le synode de Dordrecht, s'at-
tachèrent beaucoup à établir la
nécessité de décider les différents
de religion par voie d'autorité, et
revinrent ainsi aux principes des
catholiques , contre lesquels ils ont
tant déclamé. Les arminiens furent
d'abord proscrits en Hollande, où
on les tolère cependant aujour-
d'hui.
Ils ont abandonné la doctrine de
leur premier maître sur la pré-
destination et l'élection faites de
toute éternité , en conséquence de
la prévision des mérites ; Episco-
pius a imaginé que Dieu n'élit les
fidèles que dans le temps , et lors-
qu'ils croient actuellement. Us
pensent que la doctrine de la Tri-
nité n'est point nécessaire au salut,
et qu'il n'y a dans l'Ecriture aucun
précepte qui nous commande d'a-
dorer le Saint-Esprit. Enfin, leur
grand principe est qu'on doit to-
lérer toutes les sectes chrétiennes;
J)arce que , disent-ils , il n'a point
224 AKM
été décidé jusqu'ici qui sont ceux
d'entre les chrétiens qui ont em-
brassé la religion la plus véritable
et la plus conforme à la parole de
Dieu.
On a distingué les arminiens en
deux branches , par rapport au
gouvernement et par rapport à la
religion. Les premiers ont été nom-
més arminiens politiques , et l'on a
compris sous ce titre tous les Hol-
landois qui se sont opposés en
quelque chose aux desseins des
princes d'Orange, tels queMM.Bar-
iiewelt et de "Witt , et plusieurs
autres réformés , qui ont été vic-
times de leur zèle pour leur patrie.
Les arminiens ecclésiastiques , sont
ceux qui, professant les sentiments
des remontrants , n'ont point de
part dans l'administration de l'é-
tat : ils ont d'abord été vivement
persécutés par le prince Maurice ;
mais on les a ensuite laissés en paix,
sans toutefois les admettre au mi-
nistère ni aux chaires de théologie,
à moins qu'ils n'aient accepté les
actes du synode de Dordrecht.
Outre Simon Episcopius , les plus
célèbres entre ces derniers ont été
Etienne de Courcelles et Philippe
de Limborch , qui ont beaucoup
écrit pour exposer et soutenir les
sentiments de leur parti.
Le célèbre Jean Leclerc Tavoit
aussi embrassé. Il est fort douteux,
dit Mosheim , si la victoire rem-
portée sur les arminiens par les
gomaristes fut avantageuse à l'é-
glise réformée en général. Pour
nous , il nous paroît qu'elle a cou-
vert la prétendue réforme d'un
approbre éternel. i.° Après avoir
posé pour maxime fondamentale
de cette réforme , que l'Ecriture
sainte est la seule règle de foi , le
seul juge des contestations en fait
de doctrine, il étoit bien absurde
de juger et de condamner les ar-
miniens , non par le texte seul de
l'Ecriture sainte , mais par les
gloses, les commentaires, les ex-
AKJl
plicalions qu'il plaisoit aux goma-
ristes d'y donner. Quand on jette
les yeux sur les passages allégués
par ces derniers dans le synode
de Dordrecht, on voit qu'il n'y
en a presque pas un seul à la lettre
duquel ils n'ajoutent quelque
chose, et que la plupart peuvent
avoir un sens tout différent de celui
qu'y donnent les gomaristes Les
arminiens en alléguoient de leur
côté, auxquels leurs adversaires ne
l'épondent point ; de quel front
peut-on dire qu'ici c'est l'Ecriture
sainte qui décide la contestation,
pendant que c'est le fond même
sur lequel on dispute ?
2.° L'on a peine à retenir son
indignation , quand on voit le sy-
node de Dordrecht se fonder sur
la promesse que Jésus -Christ a
faite à son Eglise d'être avec elle
jusqu'à la consommation des siè-
cles, pendant que tous les protes-
tants font profession de croire que
ce divin Sauveur a abandonné cette
même Eglise immédiatement après
la mort des apôtres ; que , pendant
quinze cents ans , il y a laissé in-
troduire les erreurs les plus mons-
trueuses et les superstitions les
plus grossières , de manière que
cette Eglise n'étoit plus l'épouse
de Jésus-Christ, mais la prostituée
de Babylone, de laquelle il a fallu
se séparer au seizième siècle pour
pouvoir faire son salut. Que penser
encore quand on voit les docteurs
de Dordrecht rappeler l'exemple
et la méthode des anciens conciles,
de condamner les erreurs, et que
l'on se souvient des déclamations
fougueuses que les protestants se
sont permises contre tous les con-
ciles ? Pour comble de ridicule ,
ils citent la conduite des princes
et des souverains qui ont protégé
l'Eglise contre les attaques des hé-
rétiques , après avoir cent fois
blâmé les empereurs qui se sont
mêlés des disputes de religion ; ils
félicitent l'Eglise belgique d'être
AUM
dclivrce de la tyrannie île Vantc-
chrisl romain , et de V Horrible idolâ-
trie du papisme , pendant qu'cux-
mcmes exercent contre leurs frères
un (les principaux actes de celle pré-
tendue tyrannie, en se rendant ju-
ges et arbitres de la croyance, etc.
3.° Aussi les arminiens ne man-
quèrent pas de faire à leurs ad-
versaires tous les reproches que
les protestants ont faits contre le
concile de Trente qui les a con-
damnés. Ils dirent que ceux qui
s'arrogeoient le droit de les juger,
étoient leurs accusateurs et leurs
parties; qu'un synode devoit être
libre; que les accusés devo,ient y
être admis à se défendre et à se
justifier ; que leurs prétendus juges
se rendoient arbitres de la parole
de Dieu, etc. On n'eut aucun égard
à leurs plaintes ni à leurs clameurs.
Il est constant aujourd'hui que le
synode de Dordrecht ne fui autre
chose qu'une farce politique jouée
par le prince Maurice de Nassau ,
prince d'Orange, pour se défaire
de quelques républicains qui lui
faisoient ombrage. Vb/ez GoMA-
RISTES.
4.° Mosheim nous fait observer
que les décrets de Dordrecht, loin
de détruire la doctrine d'Armi-
nius , ne servirent qu'à la répan-
dre davantage et à indisposer les
esprits contre les opinions rigides
de Calvin. Les arminiens, dit-il,
attaquèrent leurs adversaires avec
tant d'esprit, décourage et d'élo-
quence, qu'une multitude de gens
fut persuadée de la justice de leur
cause. Quatre provinces de Hol-
lande refusèrent de souscrire au
synode de Dordrecht ; ce synode
fut reçu en Angleterre avec mépris,
parce que les anglicans témoi-
gnoientdu respect pour les anciens
Pères, dont aucun n'a osé mettre
des bornes à la miséricorde divine.
Dans les Eglises de Brandebourg
et de lirême , à Genève môme,
Varminianisrne a prévalu. Mosheim
AUM 22i;
ajoute que les calvinislos de France
s'en rapprochèrent aussi , afin de
ne pas donner trop d'avantage aux
théologiens catholiques contre eux;
mais il oublie l'acceptation for-
melle des décrets de Dordrecht
faite dans le synode de Charenton
en 1623. Ou cette acceptation ne
fut pas sincère , ou les calvinistes
ont rougi dans la suite de l'aveu-
glement de leurs docteurs.
Nous ne finirions pas , si nous
suivions en détail toutes les absur-
dités , les erreurs, les traits de du-
plicité et de passion que l'on voit
dans ces mêmes décrets. Ils se trou-
vent dans le recueil des confessions
de foi des églises protestantes. Bos-
sue t , Hist. des Variât. , liv. i4 ,
§ 23 , etc.
Les luthériens, non plus que les
anglicans, n'ont pas pu se dissi-
muler que la censure portée k
Dordrecht contre Varminianisrne
retomboi t ùirectement sur eux.Mos-
heim a fait une dissertation , dans
laquelle il prouve, i." que les cinq
articles de doctrine condamnés par
ce synode, sont le sentiment com-
mun des luthériens et de la plupart
des théologiens anglicans. 2.° One
le synode , loin de condamner la
conduite abominable de Calvin ,
qui représente Dieu comme auteur
du péché, l'a plutôt adoptée et
confirmée. 3.° Que les décrets de
Dordrecht ont été exprès conçus
en termes ambigus, pour laisser la
liberté de les entendre comme on
voudra. 4-' H réfute les sophisme»
et les subterfuges par lesquels plu-
sieurs théologiens calvinistes onf.
voulu prouver que la censure de
ce synode n'intércssoit point lc<^
luthériens. 5. °I1 montre le ridicule
des éloges outrés qu'ils ont faits de
celte assemblée et de ses décrets ,
et l'opprobre dont les calviniste.i
se sont couverts en usant de vio-
lence envers les arminiens , parce
qu'ils les ont regardés comme hè-
re ti([ues. 6.° Il ccncliil que celte
a 26 ARN
conduite est le plus grand obstacle
que les calvinistes aient pu mettre
a leur réunion avec les autres pro-
testants , et le plus sûr moyen qu'ils
aient pu trouver de rendre la di-
vision éternelle. De auc/or/'/a/e Co/ï-
cilii Dorderat. , paci sacrœ noxiâ ,
\n-^° ^ Hdmstad , 1726.
ARNALDISTES ou ARNAU-
DISTES , hérétiques ainsi nommés
d'Arnaud de Bresse , leur chef. Ils
parurent dans le douzième siècle;
ils invectivèrent hautement contre
la possession des biens ecclésiasti-
ques qu'ils traitoient d'usurpation.
Us rejetoient le baptême des en-
fants , le sacrifice de la messe , la
prière pour les morts , le culte de
la croix, etc. Ils furent condamnés
au concile de Latran sous Inno-
cent II , en iiSg. Arnaud, après
avoir excité des troubles à Bresse et
à Rome , fut pendu et brûlé dans
cette dernière ville, en ii55, et
ses cendres furent jetées dans le
Tibre. Quelques-uns de ses disci-
ples , qu'on nommoit aussi publi-
cains ou poplicaîns , étant passés
de France en Angleterre vers
l'an 1 166, y furent arrêtés et dissi-
pés. Cette secte devint ensuite une
branche de l'hérésie des albigeois.
Mosheim , apologiste déclaré de
tous les hérétiques, dit qu'Arnaud
de Bresse étoit un homme d'une
érudition immense et d'une austé-
rité étonnante , mais d'un caractère
turbulent et impétueux ; qu'il ne
paroît avoir adopté aucune doc-
trine incompatible avec l'esprit de
la véritable religion, que les prin-
cipes qui le firent agir ne furent
répréhensibles que parce qu'il les
poussa trop loin , et qu'il les exé-
cuta avec un degré de véhémence
qui fut aussi criminel qu'impru-
«lent; qu'à la fin il fut la victime
de la vengeance de ses ennemis ;
que l'an ii55 il fut crucifié et jeté
au feu. Hist. ecclés. du douzième
siècle, a.* part. , c. 5 , § 10.
ARiN
Mosheim a sans doute oublié
qu'Arnaud de Bresse étoit moine
et disciple d'Abailard , et qu'il n'a
laissé aucun ouvrage qui prouve
son érudition ; il ne falloit donc
pas lui en supposer , après avoir
peint tous les moines de ce temps-
là comme des ignorants. Celui-ci
condamnoit le baptême des en-
fants, le sacrifice de la messe, etc.
II vouioit que l'on dépouillât les
ecclésiastiques des biens qu'ils pos-
sédoient légitimement ; il excita des
séditions. Nous reconnoissons là
les principes et l'esprit des préten-
dus réformateurs ; mais est-il com-
patible avec l'esprit de la véritable
religion , qui défend de troubler
l'ordre public, surtout à un moine
sans autorité.'' Mosheim eût -il
trouvé bon qu'un zélateur de la
pauvreté évangélique lui eût ôté
les deux abbayes qu'il possédoit ?
Arnaud de Bresse ne fut donc pas
la victime de la vengeance de ses
ennemis , mais justement puni
comme séditieux et perturbateur
du repos public ; il ne fut point
crucifié , mais attaché à un poteau,
étranglé et brûlé.
Il ne faut pas le confondre avec
Arnaud de Villeneuve, chimiste et
médecin célèbre , qui pratiqua et
enseigna son art avec beaucoup de
réputation en Espagne et à Paris
au commencement du quatorzième
siècle. Malheureusement il voulut
faire aussi le théologien ; il ensei-
gna dans ses livres qu'en Jésus-
Christ la nature humaine est égale
en toutes choses à la Divinité , et
a su tout ce que savoit la Divinité;
que le démon a fait périr la foi ;
que Dieu n'a point menacé de la
damnation éternelle ceux qui pè-
chent , mais seulement ceux qui
donnent mauvais exemple ; que le
monde devoit finir l'an i335, etc.
Quinze propositions extraites de
ses ouvrages furent condamnées
après sa mort par l'inquisition de
TarragoQP, parce qu'elles avoienl
ARN
des scclalocirs en Espagne. Mais il
n'est pas vrai que cet auteur ait été
du nombre de ceux qui eurent de
la peine à se soustraire à la main
du bourreau , comme l'avance Mos-
heini , treizième siècle , seconde
partie, o. i , § g. Arnaud de Vil-
leneuve mourut dans le vaisseau
qui le transportoit en Italie , où il
éloit appelé pour traiter avec le
papeClément V. Va/. Dict. desHér.,
par Pluquet, qui cite s^s garants.
ARNOBE , professeur de rhéto-
rique à Sicca en Afrique , se con-
vertit au christianisme pendant la
persécution de Dioclétien , et mou-
rut au commencement du qua-
trième siècle ; il eut pour disciple
Lactance. Après sa conversion , il
écrivit en sept livres un ouvrage
contre les gentils , où il fait l'apo-
logie de la religion chrétienne ,
et réfute la doctrine des païens.
Comme il n'étoit pas encore par-
faitement instruit de nos dogmes ,
on lui reproche d'être tombé dans
quelques méprises ; mais le père Le
Nourry et dom Cellier l'ont justifié
sur plusieurs articles. On n'a point
encore de meilleure édition de cet
ouvrage que celle d'Amsterdam en
i65i , m-4.°
Barbeyrac , Traité de la morale
des Pères , c. 4 , § 3 , note , accuse
Arnobe d'avoir enseigné que Dieu
n'est point le créateur des insectes
ni des âmes humaines ; mais après
une lecture attentive , il nous pa-
roît qu'il a seulement voulu dire
que si l'on s'en tenoit aux notions
philosophiques , et aux lumières
que l'on pouvoit puiser chez les
philosophes , on ne pourroit ja-
mais démontrer que les insectes et
les âmes humaines sont l'ouvrage
immédiat de Dieu ; et que l'on ne
pourroit donner des réponses sa-
tisfaisantes à ceux qui soulenoient
le contraire ; qu'ainsi c'e^t de la
révélation seule qu'il faut appren-
dre ces vérités.
ART 227
Il ne faut pas confondre cet au-
teur avec Arnobe le jeune , prê-
tre de Marseille , qui vivoit vers
l'an 460 , qui a fait un commen-
taire sur les psaumes , et qui est
accusé de semi-pélagianisme.
ARRHABON AIRES, nom qu'on
donna aux sacramentaires dans le
seizième siècle , parce qu'ils di-
soient que l'eucharistie est donnée
comme le gage du corps de Jésus-
Christ , et comme l'investiture de
l'hérédité promise. Stancharus en-
seigna cette doctrine en Transyl-
vanie. Voyez Pratéolé , au mot
Arrhabonaires.
Ce mot est dérivé du latin arrJia
ou arrhabo , arrhe , gage , nantis-
sement. Les catholiques convien-
nent que l'eucharistie est un gaj^e
de l'immortalitc bienheui'euse ,
mais que c'est là un de ses effets ,
et non son essence , comme le sou-
lenoient les hérétiques dont il est
ici question.
ART. Certains critiques , fort
mal instruits, ont accusé le chris-
tianisme d'avoir contribué à la dé-
gradation des arts. Pour peu que
l'on ait lu l'histoire , on sait que
ce fut en Europe un effet de l'inon-
dation des Barbares, et en Asie une
suite des ravages des mahométans;
quesans la religion chrétienne tous
les arts de dessin auroient été
anéantis. Les mahométans ont en
horreur les statues : les iconoclas-
tes , pour leur plaire , brisèrent les
images; les Barbares venus du Nord
étoient trop grossiers pour faire
aucun cas de la peinture , de la
.sculpture , de l'architecture , de
Vari des décorations; toute pompe
extérieure fut bannie , excepté du
culte divin et des temples du Sei-
gneur. C'est là qu'il s'en est con-
servé un reste de goût , qui s'est
ranimé à la renaissance des let-
tres ; et celles-ci n'ont été préser-
vées de leur ruine entière que par
i5.
228 ART
la religion. Voyez Lettres,
Sciences.
Art des Esprits , ou art Angé-
lique, moyen superstitieux pour
acquérir la connoissance de tout
ce qu'on veut savoir avec le se-
cours de son ange gardien , ou de
quelque autre bon ange. On distin-
gue deux sortes d'ar/ angélique :
l'un obscur , qui s'exerce par la
voie d'élévation ou d'extase ; l'autre
clair et distinct, lequel se pratique
par le ministère des anges, qui ap-
paroissent aux hommes sous des
formes corporelles , et qui s'entre-
tiennent avec eux. Ce fut peut-être
cet art dont se servit le père du
célèbre Cardan , lorsqu'il disputa
contre les trois esprits qui soute-
noient la doctrine d'Averroës , et
qu'il reçut ou crut recevoir des
lumières d'un génie quMl eut avec
lui pendant trente-trois ans. Il est
certain que cet art est supersti-
tieux, puisqu'il n'est autorisé ni
de Dieu ni de l'Eglise , et que les
anges , par le ministère desquels
on suppose qu'il s'exerce , ne sont
autres que des esprits de ténèbres
et des anges de Satan. D'ailleurs ,
les cérémonies dont on se sert ne
sont que des conjurations par les-
quelles on oblige les démons , en
vertu de quelque pacte, de dire ce
qu'ils savent, et rendre les services
qu'on exige d'eux. Voyez Art no-
toire. Cardan , lib. i6 , derer, Va-
n'e/.Thiers , Traité des superstitions,
tom. 1 , pag. 275.
Art notoire , moyen supersti-
tieux par lequel on promet l'acqui-
sition des sciences par infusion et
sans peine , en pratiquant quelques
jeiînes et en faisant certaines céré-
monies inventées à ce dessein. Ceux
qui font profession de cet art, as-
surent que Salomon en est l'au-
teur , et que ce fut par ce moyen
qu'il acquit en une nuit cette
grande sagesse qui l'a rendu si cé-
lèbre dans le monde. Ils ajoutent
qu'il a renfermé les préceptes et la
ART
mélhode de cet art dans un petit
livre qu'ils prennent pour modèle.
Voici la manière par laquelle ils
prétendent acquérir les sciences ,
selon le témoignage du père Delrio :
ils ordonnent à leurs aspirants de
fréquenter les sacrements, de jeû-
ner tous les vendredis au pain et
à l'eau , et de faire plusieurs prières
pendant sept semaines ; ensuite ils
leur prescrivent d'autres prières ,
et leur font adorer certaines images
les sept premiers jours de la nou-
velle lune, au lever du soleil, du-
rant trois mois ; ils leur font encore
choisir un jour où ils se sentent
plus pieux qu'à l'ordinaire et plus
disposés à recevoir les Inspirations
divines : ces jours - là ils les font
mettre à genoux dans une église ou
oratoire, ou en pleine campagne ,
et leur font dire trois fols le pre-
mier verset de l'hymne Veni, Crea-
tor Spiritus , etc. , les assurant qu'ils
seront après cela remplis de la
science comme Salomon , les pro-
phètes et les apôtres. Saint Thomas
d'AquIn montre la vanité de cet art
prétendu ; saint Anlonln , arche-
vêque de Florence , Denys le Char-
treux , Gerson et le cardinal Caje-
tan , prouvent que c'est une cu-
riosité criminelle par laquelle on
tente Dieu, et un pacte tacite avec
le démon : aussi cet art ful-U con-
damné comme superstitieux, par
la faculté de théologie de Paris ,
l'an i320. Delrio , Disquis. Magic.,
part. 2. Thiers , Traité des super-
stitions, ibid.
Art de saint Anselme , moyen
de guérir les plaies les plus dange-
reuses , en touchant seulement aux
linges qui ont été appliqués sur les
blessures. Quelques soldats ita-
liens , qui font encore ce métier ,
en attribuent l'invention à saint
Anselme ; mais Delrio assure que
c'est une superstition Inventée par
Anselme de Parme , fameux magi-
cien , et remarque que ceux qui
sont ainsi guéris , si toutefois ils
ASC
en guérissent , rclombent cnsuilc
<lans «le plus grands maux , cl fi-
nissent malheureusement leur vie.
Delrio , Disquis. Magic. , liv. i.
Art de saint Paul , sorte d'ar/
notoire , que quelques supersti-
tieux disent avoir été. enseigné par
saint Paul, après qu'il eut été ravi
jusqu'au troisième ciel: on ne sait
pas bien les cérémonies que pra-
tiquent ceux qui prétendent ac-
quérir les sciences par ce moyen ,
sans aucune élude et par inspira-
tion; mais on ne peut douter que
cet art ne soit illicite ; et il est
constant que saint Pauln^a jamais
révélé ce qu'il ouït dans son ravis-
sement, puisqu'il dit lui-même
qu'il entendit des paroles ineffa-
bles , qu'il n'est pas permis à un
homme de raconter. Voyez Art
NOTOIRE. Thiers , Traité des super-
stitions.
ARTICLE DE FOI. Fb/. Dogme.
ARTOTYRITES. î^ofcz Monta-
NISTES.
ARUSPICE. Ko/ez Divination.
ASCENSION, se dit proprement
de l'élévation miraculeuse de Jé-
sus-Christ quand il monta au ciel
en corps et en âme , en présence
et à la vue de ses apôtres.
Tertullien fait une énumération
succincte des diflFérentes erreurs
que l'on a enseignées sur l'asccws/o/î
du Sauveur.
Les apelliles pensoient que Jé-
sus-Christ laissa son corps dans les
airs (saint Augustin dit qu'ils pré-
tendoient que ce fut sur la terre),
et qu'il monta sans corps au ciel :
comme Jésus-Christ n'avoit point
apportédecorps du ciel, mais qu'il
l'avoit reçu des éléments du monde,
ils soutenoienl qu'en retournant
au ciel A l'avoit restitué à ces clé-
lïients.
Les séleuciens et les hcrmicns
aSC 229
croyoient que le corps de Jésus-
Christ ne monta pas plus haut que
le soleil , et qu'il y resta en dépôt.
Ils se fondoient sur ce passage des
psaumes : Il a placé son tabernacle
dans le soleil. Saint Grégoire de
Nazianze attribue la même opinion
aux manichéens.
Le jour de V Ascension est une
fête célébrée par l'Eglise dix jours
avant la Pentecôte, en mémoire de
Vascension de Notre-Seigneur. Se-
lon saint Augustin, Epist. 118,
n. I , elle a été instituée par les
apôtres mêmes. La célébration en
est commandée par les constitu-
tions apostoliques, 1. 8 , c. S.Tho-
massin , Traité des fétcs , p. 870.
Quelques incrédules modernes
ont comparé malicieusement l'as-
cension de Jésus-Christ à l'apo-
théose de Romulus, pour insinuer
que l'une n'est pas mieux prouvée
que l'autre. Selon l'histoire ro-
maine , un seul homme a dit que
Romulus lui étoil apparu et l'avoit
assuré de son transport dans le
ciel. Fb/fiTite-Live. Il ne risquoit
rien d'inventer cette fable. Douze
apôtres et une multitude de disci-
ples ont assuré qu'ils avoienl vu
Jésus-Christ ressuscité s'élever au
ciel , et ils ont répandu leur sang
pour sceller la vérité de leur té-
moignage. L'apothéose de Romu-
lus n'avoit été ni prévue ni prédite;
elle fut imaginée pour écarter le
soupçon d'un régicide commis par
les sénateurs : la résurection et Vas-
cension de Jésus-Christ avoientété
annoncées par les prophètes et par
lui-même ; ces deux prodiges ont
fondé le christianisme. On pouvoit
croire sans conséquence ou ne pa.s
croire la fable de Romulus; on ne
pouvoit pas être chrétien sans
croire la résurrection cl Vascension
de Jésus-Christ , professées dan-s
le symbole, et l'on ne pouvoit em-
brasser le christianisme sans s'ex-
poser à la haine des Juifs et des
païens. Personne n'a eu intérêt de
23o ASC
contester la divinité de Roinulu.s ;
elle se concilioit très-bien avec le
système da paganisme : les Juifs ,
au contraire , ont eu un très-grand
intérêt à démontrer la fausseté de
la narration des apôtres , et pour
l'adopter il falloit renoncer au ju-
daïsme ou au paganisme. La fable
de Romulus n'a pu servir qu'à
rendre les romains ambitieux ,
usurpateurs, ennemis de l'univers
entier ; la croyance de la divi-
nité de Jésus - Christ a banni du
monde les folies , l'impiété, les cri-
mes du paganisme, a établi le règne
de la vérité et de la vertu. Voilà
des différences incontestables.
ASCETES , du grec , à<Tx-nxi)i ,
mot qui signifie à la lettre une per-
sonne qui s'exerce , qui travaille.
Ce nom a été donné en général à
tous ceux qui embrassoient un
genre de vie plus austère , et qui
par-là s'cxerçoient plus à la vertu,
ou travailloient plus fortement à
l'acquérir que le commun des hom-
mes. En ce sens, les esséniens chez
les Juifs, les pythagoriciens entre
les philosophes , pouvoient être
appelés ascè/es. Parmi les chrétiens,
dans les premiers temps , on don-
noit le même titre à tous ceux qui
se distinguoient des autres par l'aus-
térité de leurs mœurs , qui s'abste-
noient, par exemple, de vin et de
viande. Depuis, la vie monastique
ayant été mise en honneur dans
l'Orient , et regardée comme plus
parfaite que la vie commune , le
nom à^ascètes est demeuré aux moi-
nes , et particulièrement à ceux qui
se reliroient dans les déserts , et
n'avoient d'autre occupation que
de s'exercer à la méditation , à la
lecture , aux jeûnes et aux autres
mortifications. On l'a aussi donné
à des religieuses ; en conséquence
on a nommé asceteria les monas-
tères , mais surtout certaines mai-
sons dans lesquelles il y avoil des
moniales et des acolytes, dont l'ôf-
ASC
fice étoit d'ensevelir les morts. Les
Grecs donnent généralement le
nom à^ascètes à tous les moines ,
soit anachorètes et solitaires, soit
cénobites.
M. de Valois , dans ses notes sur
Eusèbe , et le père Pagi , remar-
quent que , dans les premier.»
temps , le nom à^ascètes et celui de
moines n'étoient pas synonymes.
Il y a toujours eu des ascètes dasis
l'Eglise , et la vie monastique n'a
commencé à y être en honneur que
dans le quatrième siècle. Bingham
observe plusieurs différences entre
les moines anciens et les ascètes ;
par exemple, que ceux-ci vivoient
dans les villes, qu'il y en avoit de
toute condition, même des clercs,
et qu'ils ne suivoient point d'autres
règles particulières que les lois de
l'Eglise , au lieu que les moines vi-
voient dans la solitude , étoient
tous laïques , du moins dans le^
commencements, et assujétis aux
règles ou constitutions de leurs
fondateurs. De là on a nommé vie
ascétique, la vie que menoient les
chrétiens fervents.
Elle consistoit , selon M. Fleury ,
à pratiquer volontairement tous le5
exercices de la pénitence. Les as-
cétiques s'enfermoient d'ordinaire
dans des maisons , où ils vivoient
en grande retraite, gardant la con-
tinence , et ajoutant à la frugalité
chrétienne des abstinences et des
jeiines extraordinaires. Ils prati-
quoient la xérophagie ou nourri-
ture sèche , et les jeunes de deux ou
trois jours de suite, ou plus encore;
ils s'cxerçoient à porter le cilice, à
marcher nu-pieds , à dormir sur la
terre , à veiller une grande partie
de la nuit , à lire assidûment l'Ecri-
ture sainte , à prier le plus conti-
nuellement qu'il étoit possible.
Telle étoit la vieasce-'/j^uc.-degrands
évêques et de fameux docteurs , en-
tr'autresOrigènc, l'avoient menée.
On nommoit par excellence ceux
qui la pratinuoienl , les élus entre
ASC
IpScIuS , Cx)£X-â>V CxXtXTOTEpûl. Clc-
inent Alexandrin , Euscbe , Hist. ,
lib. 6 , cap. 3. Fleury , Mœurs des
Chrétiens , 2. "part. n. 26. Biiigham ,
Oriff. ecdés. , lib. 7 , c. i , § 6.
On conçoit que la vie ascétique
telle que nous venons de la décrire ,
ne pouvoit manquer de déplaire
aux protestants , et qu'il est de leur
intérêt de la faire envisager comme
un effet de l'enthousiasme de quel-
ques chrétiens mal instruits. Ce
fut , selon leur opinion , une er-
reur capitale , un système extra -
% agant , qui a causé dans tous les
siècles les plus grands maux dans
l'Eglise. On distingua , dit Mos-
heim , les ^reccp/es que Jésus-Christ
a établis pour tous les hommes ,
d'avec les conseils auxquels il a ex-
horté seulement quelques person-
nes ; on se flatta de s'élever , par la
pratique de ceux-ci , à un degré
supérieur de vertu et de sainteté ,
et de jouir d'une union plus intime
avec Dieu. Dans cette persuasion,
plusieurs chrétiens du second siècle
s'interdirent l'usage du vin , de la
viande , du mariage , du commerce ;
ils exténuèrent leurs corps par des
veilles, l'abstinence, le travail et
la faim; bientôt ils allèrent cher-
cher le bonheur dans les déserts
loin de !a société des hommes. Ce
travers d'esprit lui a paru né de
deux causes : la première fut l'am-
bition d'imiter les philosophes pla-
toniciens et pythagoriciens , dont
Porphyre a rendu les folles idées
dans son Traité de Vabsiinence ; la
seconde fut la mélancolie qu'in-
spire naturellement le climat de
l'Egypte , maladie de laquelle
étoient affectés les esséniens et les
thérapeutes , qui avoient déjà mené
cette vie triste et lugubre long-
temps avant la venue de Jésus-
Christ. De là , dit-il , elle'passa dans
la Syrie et dans les contrées voi-
sines, dont les habitants sont à peu
près du même tempérament que les
Egyptiens ; et dans la suite elle in-
ASC 23 I
fecla même les nations européen-
nes: telle a été l'origine des vœux,
des mortifications monastiques
du célibat des prêtres , des péni-
tences infructueuses, et des autres
superstitions qui ont terni labeauté
et la simplicité du christianisme.
Hist. ecdés. du second siècle, 2. ^^Avl. y
c. 3 , § II et suiv. C'est le langage
de tous les protestants.
Ainsi , suivant leur opinion , c'est
dès le second siècle, et immédia-
tement après la mort du dernier
des apôtres , que le christianisme
a commencé à se corrompre , à
devenir un chaos d'erreurs et de
superstitions ; ce sont les disciples
mêmes des apôtres qui ont préféré
à la doctrine de leurs maîtres celle
des philosophes païens , et qui ont
fait dominer celle-ci dans l'Eglise.
Et c'est ainsi que Jésus-Christ a
tenu la promesse qu'il avoit faite
d'être avec son Eglise jusqu'à la
consommation des siècles. Quand
on considère ce système des pro-
testants , on est tenté de leur de-
mander s'ils croient en Jésus-
Christ,
Au mot Conseils EvANGÉLiQUÉs ,
nous fprons voir que la distinction
que les premiers chrétiens en ont
faite d'avec ]es préceptes , n'a pas
été une vaine imagination de leur
part, et que Jésus-Christ l'a faite
lui-même ; que c'est lui qui a dit
qu'il y a quelque chose de plus
parfait que ce qu'il a prescrit ou
ordonné à tous les hommes, et
qu'en le faisant on peut mériter
une plus grande récompense. Ici
nous avons à prouver que c'est en-
core lui qui a donné l'exemple de
la vie ascétique, et que ses apôtres
l'ont pratiquée comme lui : les
chrétiens n'ont donc pas eu besoin
d'en aller chercher le modèle chez
les philosophes païens , ni chez les
esséniens ou chez les thérapeutes
juifs.
Jésus-Christ a loué la vie soli-
taire, pénitenlc, chaste et mor-
532 ASC
tifîée de saint Jean - Baplisle ,
Malth. , c. 1 1 , ^. 8 , vie ascétique ,
s'il en lut jamais ; il a pratiqué
lui-même la chasteté, la pauvreté,
la mortification, le jeiine, le re-
noncement à toutes choses , la
prière continuelle; tout cela ce-
pendant n'est pas commandé à tous
les hommes : nouspersuadera-t-on
qu'il y a de l'enthousiasme et de
la folie à vouloir imiter Jésus-
Christ? Il dit qu'il y a des hommes
qui se sont faits eunuques pour
le royaume des cieux. Maïth. ,
c. 19, y^. 12. Il appelle bienheu-
reux ceux qui pleurent; il prédit
que ses disciples jeiineront lors-
qu'ils seront privés de sa présence ;
il leur promet le centuple , parce
qu'ils ont tout quitté pour le sui-
vre,c. 5,^.5; c.9,y.i5;c. 19,
y^. 29. Il ne reste aux protestants
qu'à se joindre aux incrédules et
à dire comme eux que Jésus-Christ
étoit d'un caractère austère , fâ-
cheux , mélancolique , comme les
Egyptiens ; qu'il avoit été élevé
parmi les esseniens , et s'étoit im-
bu de leur morale atrabilaire ;
que le christianisme ^ tel qu'il l'a
prêché , n'est propre qu'à des
moines.
Ils auront encore le même re-
proche à faire à saint Paul : « Je
t» châtie mon corps et je le réduis
M en servitude, dit-i] ,depeurqu'a-
» près avoir prêché aux autres , je
» ne sois moi-même réprouvé. »
T. Cor. , c. 9 , ^. 27. « Ceux qui
» sont à Jésus - Christ crucifient
» leur chair avec ses vices et ses con-
» voitises. » Galat. , c. 5, y. 24.
Montrons-nous dignes ministres
de Dieu, par la patience , par les
eouffrances , par le travail , par les
veilles , par les jeiînes , etc.
U Cor. , c. 6 , :5^^. 4. Il a loué la
vie pauvre, austère et pénitente
desprophètes. Hebr. , c, 1 1 , >^. Zj.
Nous avons cherché vainement
dans les commentateurs protes-
tants des explications et des sub-
ASC
terfuges pour esquiver les consé-
quences de ces passages : nous n'y
en avons point trouvé , nous se-
rons forcé de les répéter aux mots
Abstinence , Célibat, Jeune , Mor-
tification , Moines , Vœu , etc. ,
parce que les protestants ont blâ-
mé toutes ces pratiques avec la
même opiniâtreté et toujours sans
fondement.
Mais ils se flattent de répondre
à tout par un seul passage de saint
Paul , qui dit à Timothée , I. Tim ,
c. 4ï y» 7 '• " Exercez-vous à la
» piété ; car les exercices corporels
» sont utiles à peu de chose , mais
» la piété est utile à tout ; elle a
» les promesses de la vie présente
» et de la vie future. » La question
est de savoir si , par exercices corpo-
rels , l'apôtre entend la prière , le
travail , les veilles , les jeilnes , etc. ,
qu'il recommandoit aux fidèles :
dans ce cas l'apôtre se seroit con-
tredit grossièrement, et nous de-
manderions encore ce qu'il faut
entendre par s'exercer à la piété.
Pour nous , qui craignons de met-
tre saint Paul en contradiction
avec lui-même, nous pensons que ,
par les exercices corporels , il a en-
tendu la course , la lutte , le pu-
gilat , le jeu du disque , et les autres
exercices violents dont les Grecs et
les Romains faisoient beaucoup de
cas et beaucoup d'usage; ques'e.rer-
icer à la piété , c'est s'occuper de la
prière , de la méditation , de la
lecture , des louanges de Dieu , des
veilles et des jeunes , comme l'a-
pôtre le recommande , et comme
faisoient les ascèles de l'Eglise pri-
mitive : nous soutenons que ces
exercices font partie de la vraie
pieté , à laquelle Jésus-Christ a
promis les récompenses de la vie
présenteetde la vie future. Maith. ,
c. 19,}^. 29.
ASCITES, ASCODRUGITES,
ASCODRUPITES , ASCODRU-
TES. Voyez Montanistes.
ASE
ASÉITE, terme factice, ilcrivc
du latin PAiA' à se, être qui existe de
lui-nicrae, par la ijéccssitc de sa
nature. Cet attribut ne convient
<ju'à Dieu, il se l'est attribué lui-
même, lorsqu'il a dit: » .Te suis
i> VEtrc ; vous direz aux Israélites :
»> Celui qui est m'a envoyé vers
» vous. » Exod., c. 3, "^ . 14. De
cet attribut de Dieu s'ensuivent
tous les autres. En effet, rien n'est
borné sans cause : or, l'être néces-
saire, qui existe de soi-même, n'a
point de cause ; il est lui-même
la cause de tout ce qui existe hors
de lui : on ne peut donc le suppo-
ser privé d'aucune perfection , et
aucune des perfections qui lui ap-
partiennent par nécessité de nature
ne peut être bornée. La raison pour
laquelle tout être créé a des bor-
nes, est que le Créateur a été le
maître de lui donner tel degré de
perfection qu'il lui a plu; de là
vient l'inégalité des êtres créés.
Conséquemment les lliéologieas
regardent Yaséiié comme l'essence
de Dieu, comme l'attribut qui le
distingue éminemment de tous les
autres êtres. Par- là on démontre
encore, contre les matérialistes ,
que la matière n'est point un être
nécessaire, éternel, existant de soi-
même, puisqu'elle a des bornes, et
qu'elle n'est certainement pas
douée de toute perfection.
Malgré l'évidence de ce raison-
nement, Beausobre a écrit que les
anciens philosophes ne le conce-
voient pas ainsi ; que, selon leur
sentiment , la nécessité d'être , ou
l'éternité, n'emportoit pas toute
perfection, et il a douté si les Pères
de l'Eglise le concevoient mieux.
Hist. du Manich., 1. 3, c. 3, § 4-
Peu nous importe de savoir si les
ancien.s philosophes raisonnoicnt
mai ; cependant Mosheim, dans sa
Dissert, sur la création, a cité un
passage d'IIiéroclès, qui prouve
que ce platonicien comprcnoit
très - bien les conséquences de
ASI 233
Vasi'i/v. Quant aux Pères de l'Eglise,
Tertullien, dans son livre contre
llerinogène, c. 4 <'t suiv., a cons-
tamment raisonné sur le principe
que nous venons d'établir, et il l'a
développé en profond métaphysi-
cien. Beausobre lui-même a cité
un passage de saint Denys d' A lexan -
drie, qui prouve que cet éveque a
pensé comme Tertullien. Celui
que Beausobre allègue de saint
Augustin ne conclut rien, et l'on
pourroit en citer vingt autres dans
lesquels le saint docteur établit
que Vétre est le caractère de Dieu,
qu'en lui Vêtre ou l'essence emporte
toute perfection, qu'aucune per-
fection n'est distinguée de son es-
sence , etc.
Il ne faut pas confondre, comme
a fait Spinosa, l'être qui existe par
soi-même, per se, sans avoir be-
soin d'un sujet ou d'un suppôt
dans kquel il subsiste , avec l'être
qui existe de soi-même, à se, sans
avoiraucune cause deson existence;
le premier de ces caractères est
le propre de toute substance ; le
second ne convient qu'à l'être né-
cessaire, qui est Dieu. C'est sur cette
confusion des termes que Spinosa
fonde son paradoxe, qu'il n'y a
dans l'univers qu'une seule sub-
stance qui est tout.
ASIATIQUES, ASIE. Indépen-
damment de l'attachement opiniâ-
tre âes Asiatiques à leurs anciennes
mœurs, on conçoit qu'il n'a pas
été aisé de faire godter la morale
chrétienne à des peuples aussi li-
vrés au luxe et à la mollesse. C'est
là cependant que le christianisme
s'est établi d'abord, et qu'il a fait
des progrès rapides: VAsiem'incure,
la Syrie, l'Arménie, la Perse, ont
vu éclore des prodiges de vertus
dont on n'avoit pas seulement
l'idée avant la naissance du chris-
tianisme.Il n'est presque pas pos-
sible de convertir aujourd'hui les
Turcs qui habitent ces même*
234 ASP
contrées; les païens dévoient être
pour le moins aussi vicieux et aussi
opiniâtres que le sont les maho-
métans. Pline, dans sa lettre à
Trajan, Lucien dans ses dialogues,
Julien dans ses lettres, rendent
témoignage aux vertus des chré-
liens; c'est une preuve que cette
religion a fait dans les mœurs des
peuples autant de changement que
dans leur croyance. On ne peut
en dire autant d'aucune autre reli-
gion de l'univers.
ASILE. Voyez Astle.
ASIMA. Voyez Samaritain.
ASMODAI ou ASMODÉE, est
le nom que les juifs donnent au
princedes démons, commeon peut
voir dans la paraphrase chaldaïque
sur l'Ecclésiastique, cap. i. Rabbi
Elias, dans son dictionnaire inti-
tulé Thîsbi, dit ç\\i^Asmoddi est le
même queSamaël qui tire son nom
(lu verbe hébreu sawiad, détruire;
et ainsi Asmodaï s\^n\iie. un démon
destructeur.
ASPERSION, du latin aspergcre,
arroser. C'est l'action de jeter de
l'eau çà et là avec un goupillon
ou une branche de quelque arbris-
seau.
Ce terme est principalement
consacré aux cérémonies de la
religion pour exprimer l'action
du prêtre, lorsque dans l'Eglise
il répand de l'eau bénite sur les
assistants ou sur les sépultures
des fidèles. La plupart des béné-
dictions se terminent par une ou
plusieurs aspersions. Dans les pa-
roisses , Vaspersion de l'eau bé-
nite tous les dimanches précède la
grand'raesse.
Quelques-uns ont soutenu qu'on
devoit donner le baptême par as-
persion; d'autres prétendoient que
ce devoit être par immersion , et
cette dernière coutume ^ cié assez
AS5
long-temps en usage dans l'Eglise.
On ne voit pas que la première y
ait été pratiquée, si ce n'est peut-
être lorsqu'il falloit baptiser un
grand nombre de personnes en
même temps. Voyez Vancien Sacra-
mentaire par Grandcolas, seconde
partie, p. 71, et l'article Purimca-
TION.
Les païens avo icnt 1 eu rs aspersions,
auxquelles ils attribuoient la vertu
d'expier et de purifier. Les prêtres
et les sacrificateurs se préparoient
aux sacrifices par des ablutions ;
c'est pourquoi il y avoit à l'entrée
des temples, et quelquefois dans
les lieux souterrains, des réservoirs
d'eau où ils se lavoient. Cette ablu-
tion étoit pour les dieux du ciel ;
car pour ceux des enfers, ils se
contentoient de Vaspersion. Voyez
Eau bénite.
ASPHALTE, lac Asphaîtiie.
Voyez Mer morte.
ASSIDÉENS ouHASIDÈENS,
secte de Juifs , ainsi nommés du
mot hébreu hhasidim, justes. liCS
assidéens croyoient les œuvres de
surérogation néces?aires au salut ;
ils furent les prédécesseurs défi
pharisiens , desquels sortirent les
esséniens qui enseignoient comme
eux que leurs traditions étoient
plus parfaites que la loi de Moïse.
Serrarius, jésuite, et Drusius ,
théologien protestant , ont écrit
l'un contre l'autre touchant les as-
sidéens, kVocctisxoxv d'un passage de
Joseph , fils de Gorion. Le premier
a soutenu que, par le nom d'assi-
déens, Joseph entend les esséniens,
et le second a prétendu qu'il enten-
doit les pharisiens. Il seroit facile
de concilier ces deux, sentiments ,
en observant (]ii' assidéens a été un
nom générique donné à toutes les
sectes des Juifs qui aspiroient à une
perfection plus haute que celle
qui étoit prescrite par la loi : tels
que les cinécns, les rcchabilcs, lc3
ASS
essciiiciis, les pharisiens , etc. , à
peu près comme nous comprenons
aujourd'hui sous le nom de reli-
gieux et de cénobites tous les ordres
cl les instituts religieux. Mais tous
les assidécns n'ctoient pas phari-
siens. Brucker , iï/s/. delà Philos.
tome a, page 71 3.
ASSISTANCE, secours particu-
lier que Dieu accorde à un homme
ou à une société pour les préserver
de l'erreur. Quelques théologiens
ont cru que ce secours étoit celui
queDicuadonnéàchacun des écri-
vains sacrés, pour empêcher qu'il
ne tombât dans aucune erreur ;
tous conviennent que Dieu donne
cette assistance à son Eglise , pour
la préserver du même danger.
Cette assistance n'est point la
même chose que la révélation
et l'inspiration. Voyez Ecriture
SAINTE.
ASSOMPTION, du latin c5-
sumptio, àérivc. à^assumere, pren-
dre , enlever. Ce mot signifioit
autrelois en général le jour de la
mort d'un saint, parce que son âme
est enlevée au ciel,
Assomption, se dit aujourd'hui
particulièrement dans l'Eglise ro-
maine d'une"^ fête qu'on y célèbre
tous les ans le i5 d'août , pour ho-
norer la mort, la résurrection, et
l'entrée triomphante de la sainte
Vierge dans le ciel. Elle est encore
devenue plus solennelle en France
depuis l'année i638 , que le roi
Louis XIII choisit ce jour pour
mettre sa personne et son royaume
sous la protection de la sainte
Vierge ; vœu qui a été renouvelé
en 1738 par le roi Louis XV.
Cette Icte se célèbre aussi avec
beaucoup de solennité dans les
Eglises d'Orient. Cependant l'as-
sornption corporelle de la Vierge
n'est point un article de loi, puis-
que l'Eglise ne l'a pas décide , et
que plusieurs anciens et modernes
ASS 235
en ont douté. Usuard, qui vivoit
dans le neuvième siècle, dit dans
son Martyrologe que le corps delà
sainte Vierge ne se trouvant point
sur la terre , l'Eglise , qui est sage
en ses jugements , a mieux aimé
ignorer avec piété ce que la divine
Provïdciice en a fait, que d'avancer
rien d'apocryphe ou de mal fondé
sur ce sujet : paroles qui se trou-
vent encore dans le Martyrologe
d'Adon. Plusieurs n'appellent
point celte fête V Assomption de la
sainte Vierge, mais seulement son
somnaeil, dormiiio, c'est-à-dire, la
fêle de sa mort ; nom que lui ont
aussi donné les Grecs , qui l'ont dé-
signée tantôt par fAtToiç-aac; , trépas
ou passage , et tantôt par xor^ïjcrtç ^
sommeil ou repos.
Néanmoins la croyance com-
mune de l'Eglise est que la sainte
Vierge est ressuscitée , et qu'elle
est dans le ciel en corps et en âme.
La plupart des Pères grecs et latins ,
qui ont écrit depuis le quatrième
siècle, sont de ce sentiment; et le
cardinal Baronius dit qu'on ne
pourroit sans témérité assurer le
contraire. C'est aussi le sentiment
de la faculté de théologie de Paris ,
qui , en condamnant le livre de
Marie d'Agreda en 1697, déclara
qu'elle croyoit que la sainte Vierge
avoit été enlevée dans le ciel en
corps et en âme. Parmi les orne-
ments des églises de Rome , sous
le pape Pascal, qui mourut en 824,
il est fait mention de deux sur les-
quels étoit représentée Vassomp"
iion de la sainte Vierge en son
corps. Il est parlé de cette fête dans
les capitulaires de Charlemagne et
dans les décrets du concile de
Mayence , tenu en 8x3. Le pape
Léon IV, qui mourut en 855, ins-
titua l'octave de V Assomption de la
sainte Vierge , qui ne se célébroit
point encore à Rome. En Grèce ,
celte fêle a commencé beaucoup
plus tôt, sous l'empire de Juslinien,
selon quelques-uns , et selon d'au-
236 AST
très sous celui de. Maurice , con-
temporain de saint Grégoire le
Grand. André de Crète, sur la fin
du septième siècle , témoigne
cependant qu'elle n'étoit établie
que dans quelques Eglises ; mais
au douzième elle le fut dans tout
l'empire, par une loi de l'empereur
Manuel Comnène. Alors V Assomp-
tion étoit également fêtée dans
l'Occident, comme il paroît par la
lettre 174 de saint Bernard aux
chanoines de Lyon , et par la
croyance commune des Eglises ,
qui tenoient Yassomption corpo-
relle de Marie comme un sentiment
pieux , quoique non décidée par
l'Eglise universelle. Voyez Vie des
Pères et des Martyrs , tome VII ,
page 323 et suiv.
ASTAROTHouASTARTÉ,
idole des Philistins que les Juifs
abattirent par le commandement
deSamuel;c'étoitaussi une divinité
des Sidoniens, que Salomon adora
lorsqu'il fut entraîné par ses
femmes dans l'idolâtrie.
La plupart des étyraologies que
l'on a données de ce nom sont
fausses ou hasardées. M. de Gébe-
lin pense avec plus de justesse qu'il
est formé à'astar , qui , dans les
langues orientales, signifieun astre;
qu'ainsi asiartéesl la lune, la reine
du ciel , la divinité de la nuit.
Allég. orient., p. 5o. Chez les Hé-
breux elle étoit connue sous le nom
de la reine du ciel, chez les Egy tiens
c'étoit Isis, chez les Arabes .^////a;
les Assyriens l'appeloientM/V/Z/a,
les Perses Métra, les Grecs Artemis,
les Latins Diana. Dans l'Ecriture
sainte , Baal et Astaroth sont
presque toujours joints ensemble
comme deux divinités des Sido-
niens ; c'est le soleil et la lune. Cic,
deNat. Deor., liv. 3. Tertul., Apo-
loget. , c. 23 , etc. Mém. de VAcad.
des Inscr. , t. 71 , in-12, p. 173.
ASTAROTIIITES , adorateurs
AST
d'Astaroth, ou de la lune. On dit
qu'il y eut de CCS idolâtres parmi les
Juifs depuisMoïse jusqu'à la capti-
vité de Babylone. Voy. Astres.
ASTATIENS , hérétiques du
neuvième siècle , sectateurs d'un
certain Sergius, qui avoitrenouvelé
les erreurs des manichéens. Leur
nom , dérivé du grec , signifie sa/ia
consistance, variables , inconstants ^
parce qu'ils changeoient de langage
et de croyance à leur gré. Ils s'é-
toient fortifiés sous l'empereur
Nicéphore qui les favorisoit ; mais
son successeur Michel Curopalate
les réprima par des édits très-sé-
vères. On croit que ce sont eux
que Théophane et Cédrène nomi-
ment antiganiems. Le père Goar ,
dans ses notes sur Théophane , à
l'an 8o3, prétend que les troupes
de vagabonds , connus en France
sous le nom àe Bohémiens el d'Egyp-
tiens, étoient des restes à'astatiens;
mais cette conjecture ne s'accorde
pas à l'idée que Constantin Por-
phyrogénète et Cédrène nous don-
nent de cette secte ; née enPhrygie,
elley domina, et s'étcnnitpeu dans
le reste de l'empire. Les astatiens
joignoient l'usage du baptême à tou-
tes les cérémonies de la loi de Moïse,
et faisoient un mélange absurde
du judaïsme et du christianisme.
ASTEREouASTÉRIUS (saint),
archevêque d'Amasée dans le Pont,
mort peu après l'an 4oOî ^ tenu
un rang distingué parmi les doc-
teurs de l'Eglise du quatrième siè-
cle. Il reste de lui plusieurs homé-
lies, dont les anciens ont fait très-
grand cas. Elles ont été publiées
par le père Combefis, Auct.Bibl.
Patriim , tom. i, avec les extraits
de quelques autres tirées de Pho-
tius. Théophile Uaynaud les avoil
aussi recueillies cl fait imprimer
en latin, en 1661.
ASTRES. La première idolâtrie
ASÏ
a commence par le culte des asirrs.
Lorsque les peuples curent perdu
de vue I.i révélation primitive ,
ils s'imaf^inèrent que les osircs
étoient des êtres animés et intelli-
gents. Comment concevoir que ces
grands corps suivissent une mar-
che si régulière , s'ils n'étoient
pas la demeure d'un génie qui les
conduit ? Leur lumière, leur cha-
leur, les influences qui en viennent,
sont très-nécessaires aux hommes ;
ce sont donc des êtres bienfaisants
auxquels nous devons de la recon-
noissance. Souvent ils nous an-
noncent les changements de l'air,
le beau temps et la pluie ; sans
doute ils sont doués d'une intelli-
gence supérieure et de l'esprit pro-
phétique. Ainsi ont raisonné, non-
seulement les ignorants, mais les
philosophes ; Celse, dans Origène,
s'efforce de prouver qu'il faut
rendre un culte aux astres. Plu-
sieurs Pères de l'Eglise ont encore
été persuadés que les astres étoient
conduits,nonpardesdicux, comme
le pensoient les païens, mais par
des anges soumis à Dieu.
Les Hébreux et les autres Orien-
taux appeloient les astres, l'armée
du ciel , militia cœli. Souvent les
prophètes ont reproché aux Juifs
d'adorer Baal, le soleil, Astarntli
ou Astarté, la lune, et l'armée du
ciel ; cette idolâtrie est ce que l'on
nomme le sadisme ou zabisnie. C'est
pour cela que les écrivains sacrés
ont coutume d'appeler le rrai
Dieu, le Dieu des arn/ces, c'est-à-
dire le Créateur du ciel et des «S//C5.
Ce nom ne signifie donc point le
Dieu de la guerre ou du carnage,
comme quelques incrédules ont
affecté de l'interpréter. Nous con-
venons cependant que le vrai Dieu
est quelquefois nommé le Dieu des
armées d'Israël, pour donner à
entendre que c'est de lui seul que
les Israélites altendoient la vic-
toire ; mais ce n'est point là le
sens le plus ordinaire du liWc de
AST 2 3;
Dieu des armées. Mémoires de
VAcad. des inscript. , lom. 1 8, i'ai- i a
p. 3o; tom. 71, p. i5i.
Il n'est pas étonnant que les
Syriens et les Aral)es aient été sin-
gulièrement attachés au culte des
astres. Dans ces affreux déserts ,
où le jour n'offre que le tableau
uniforme et triste de vastes plaines
couvertes de sable aride , la nuit
au contraire déploie à tous les yeux
un spectacle magnifique. Presque
toujours claire et sereine , elle
présente à l'œil étonné Varmée des
deux dans tout son éclat. A la
vue d'un spectacle aussi merveil-
leux, le passage de l'admiration à
l'idoldlrie étoit très-facile pour
dos hommes ignorants ; il est tout
simple qvi'un peuple dont le cli-
mat n'offre aucune beauté à con-
templer que celle du firmament ,
la choisissent par préférence pour
objet de son culte. C'est la ré-
flexion très-sensée d'un écrivain
moderne.
Aussi , selon la remarque d'un
autre savant , l'astronomie a fait
la grande religion qui couvrit
toute l'Asie sous des formes un
peu différentes ; dans tout l'Orient
s'éleva une multitude d'idoles as-
tronomiques, dont chacune repré-
sentoit le soleil, la lune, leurs phases,
leurs changements; oulesplanète^j,
les constellations, les divers points
du ciel ; ou des figures allégoriques
du jour, de la nuit, du matin, du
soir, des points soislitiaux et équi-
noxiaux; celles des ans, des mois,
des semaines, des jours, et de tout ce
qui , figuré dans l'écriture primi-
tive, put devenir un personnage;
de tout ce qui, ayant servi dans des
siècles plus simples à indiquer les
travaux de l'agricultui-e , put de-
venir un objet de vénération.
Au milieu de cette démence gé-
nérale, il est digne de notre atten-
tion de considérer le peuple juif,
seul adorateur du vrai Dieu, auquel
toute image est interdite ; cl de
a 38 AST
trouver dans cette défense du lé-
gislateur une preuve de cette vérité,
que l'abus des images a causé la
plupart des erreurs des peuples
polythéistes.
Comme l'observation des astres
servoit à fixer les fêtes rurales et
les travaux de l'agriculture, elle
se trouva liée à la religion; d'où
il arriva que les observateurs fu-
rent à la fois astronomes et prêtres.
Ce fut une des raisons de l'exacti-
tude et de la persévérance avec
laquelle on observa ; mais ce fut
aussi une cause des superstitionsqui
s'établirent, lorsque les rapports
du ciel avec la terre furent regardés
comme des influences, et que l'as-
tronomie dégradée ne fut plus que
l'astrologie.
L'histoire de la création , telle
que Moïse l'a tracée, étoit le meil-
leur préservatif contre l'erreur
des païens ; elle nous apprend que
Dieu a crée les astres pour l'utilité
des hommes, et les conduit par sa
volonté ; ce ne sont donc ni des
dieux ni des génies tutélaires plus
favorables à une nation qu'à une
autre. Moïse dit aux Juifs : « Lors-
»> que vous élevez les yeux vers le
» ciel , que vous voyez le soleil ,
» la lune et les autres astres, gar-
» dez-vous de donner dans l'erreur
»> et de les adorer ; le Seigneur
» votre Dieu les a créés pour reu-
» dre service à toutes les nations
■ qui sont sous le ciel. » Deut.,
c. 4> S- 19- Cette leçon servoit
encore à prémunir les hommes
contre la terreur des éclipses, des
météores, des phénomènes singu-
liers, dont les adorateurs des astres
ont toujours été consternés: «Ne
» craignez point, dit Jérémie, les
» signes du ciel , comme le font
» les nations, » c. 10, S • 2. Par
là enfin, les Juifs étoient préservés
de la folie des pronostics, de la
divination par les astres, des ho-
roscopes, de l'astrologie judi-
ciaire, etc. Ceux qui ne croient
AST
point à la révélation, devroient
nous apprendre comment Moïse a
été plus éclairé que les sages de
toutes les nations dont il étoit
environné.
ASTROLOGIE JUDICIAIRE, science
fausse et absurde dont les partisans
prétendent qu'il y a une liaison
nécessaire entre le cours des astres
et les actions humaines ; qu'ainsi
nos destinées sont écrites dans le
tableau du ciel ; que l'on peut les
y lire et les annoncer d'avance;
qu'à la naissance d'un enfant, l'on
peut tirer son horoscope, prévoir
et prédire ce qu'il sera , ce qu'il
fera, et quel sera son sort pendant
toute sa vie, etc.
A la honte de l'esprit humain ,
cette erreur a régné chez presque
tous les peuples et dans tous les
siècles; les Chaldéens, qui se dis-
tinguèrent par leur habileté dans
l'astronomie, déshonorèrent cette
science en y mêlant V astrologie.
Cet abus est proscrit par les lois
de Moïse , par" les lois des empe-
reurs païens, plus rigoureusement
encore par celles des empereurs
chrétiens et par celles de l'Eglise.
Plusieurs philosophes ont été at-
tachés à cette étude vaine et fri-
vole, et y ont eu confiance, en
particulier l'empereur Julien; Ci-
céron l'a combattue dans son livre
De fato. Les Pères de l'Eglise et
les théologiens n'ont rien négligé
poiir en désabuser les hommes ;
ils en ont fait voir l'absurdité et
l'impiété. Mais il n'y a pas encore
long-temps que nous pouvons nous
féliciter d'être guéris de cette ma-
ladie. Sous la régence de Marie
de Mcdicis, aucune femme n'auroit
entrepris un voyage sans avoir
consulté son astrologue, qu'elle
appeloit son baron. Louis XIU fut
surnommé îe Juste , parce qu'il
étoit né sous le signe de la balance;
et les historiens nous apprennent
qu'à la naissance de Louis XIV,
AST
son horoscope fut lire avec toute
l:i gravité et l'importance possible.
D'où a pu naître cette démence ?
De la même source que le culte
lies astres. « Par une vaine imaf;!-
»» nation, dit le Sage, les hommes
» ont méconnu Dieu dans ses ou-
» vrages ; ils se sont persuades que
» les cléments, les astres qui rou-
» lent sur nos tètes, le soleil, la
» lune, les planètes, sont les dieux
» qui gouvernentle monde. » Sap.,
cap, i3, ^. I. Par conséquent ils
leur ont attribué des connoissanccs
et une puissance bien supérieures
à celles des hommes. Dés qu'on
les a regardés comme les arbitres
de nos destinées, l'on a dû conclure
qu'ils pouvoient aussi nous les
faire connoître d'avance.
On a vu d'ailleurs que les astro-
nomes pouvoient prédire l'appa-
rition de tel astre ou de telle con-
stellation , le changement des sai-
sons et de la température de l'air,
uneéclipse de soleil ou de lune; que
les diverses couleurs de ces deux
astres annonçoient ou le beau
temps, ou le vent, ou la pluie. Les
astrologues, pour se rendre impor-
tants , se sont vantés d'avoir des
connoissanccs encore plus éten-
dues, de pouvoir prédire des évé-
nements qui n'avoient aucune liai-
son avec les phénomènes du ciel ;
quelques-unes de leurs prédictions,
vérifiées par hasard, ontinspiréaux
ignorants une confiance aveugle
à leurs pronostics. On sait jusqu'où
a été poussée la curiosité de tous
les peuples, et leur envie de con-
noître l'avenir. Ainsi s'est établie
la croyance générale de l'inlluence
àes astres sur nos destinées, l'opi-
nion que les dieux , c'est-à-dire,
les astres animés, révéloient aux
observateurs du ciel les événements
les plus cachés dans l'avenir. Et
puisque les stoïciens rnèmes
croyoient fermement à Vastrolo-
gie , il se peut très-bien faire que
les astrologues eux-mêmes aient
AST 239
été souvent dupes de leur propre
curiosité. Méru. de facud. des In-
script., tome LVI, in- 12. p. 45.
Voilà pourquoi les Chaldéens ,
t^ui sont les plus anciens obser-
vateurs des astres, ont été aussi
les plus célèbres devins de l'anti-
quité. Dans le livre de Daniel, c. 2,
y. 2 et 27, les sages, les mages , les
devins, les faiseurs de prédictions,
les Chaldéens, sont la même chose.
Les philosophes qui ont com-
battu cette erreur, n'en attaquè-
rent point le fondement, c'est-à-
dire, la prétendue divinité des
astres ; ils ne purent donc pas la
détruire : leurs raisonnements
étoient trop abstraits pour être à
portée du peuple. La lumière du
christianisme fut plus efficace ;
mais elle n'étouffa pas entière-
ment l'habitude d'ajouter foi aux
prédictions des astrologues. Lors-
que les Arabes se mirent à étudier
l'astronomie, ils donnèrent dans
le même foible que les Chaldéens,
et contribuèrent ainsi à entretenir
le préjugé. Il domine autant que
du passé chez les Grecs , et l'on
prétend qu'il est assez commun en
Italie.
Cependant les livres saints, les
leçons des Pères de l'Eglise , les
anathèmes lancés contre cette su-
perstition, auroient du la déra-
ciner. Il étoit sévèrement défendu
aux Juifs de consulter aucune es-
pèce de devins. Levît., c. 19, ^. 3i.
Deut. , c. 18 , y . 10. Le prophète
Isaïe insulte à la crédulité des Ba-
byloniens et à la folle confiance
qu'ils donnoient à leurs astrolo-
gues,€.47, S- i3. « Qu'ils parois-
» sent, dit-il, ces hommes si ha-
» biles à contempler le ciel et à
» observer les astres, qui suppu-
» toient les lunaisons pour vous
» prédire l'avenir; qu'ils vous sau-
» vent à présent de vos malheurs ;
» ils sont comme la paille consumée
» par le feu, et ils ne peuvent se
» délivrer eux-mêmes. »
24o ASY
Une loi de l'empereur Constance
défend, sous peine de la vie, de
consulter des astrologues ou ma-
thématiciens, et les autres devins.
Sielleporte aussi le nom de Julien,
elle ne tut pas faite de son aveu ,
puisque, dans son ouvrage contre
le christianisme, il se déclare par-
tisan de V astrologie. Saint Cyrille,
contre Julien, 1. lo, pag. 356 et
357. Honorius et Théodose ban-
nirent aussi les astrologues. Ori-
géne, saint Basile, saint Ambroise,
saint Augustin , ont démontré la
vanité et l'illusion de leurs prédic-
tions. Saint Epiphane nous ap-
prend qu'Aquila fut excommunié
pour n'avoir pas voulu renoncer
à V astrologie. Plusieurs conciles ont
condamné la confiance que l'on
avoit à cet art funeste, et ont sévè-
rement défendu d'y avoir recours.
Nos rois ont confirmé ces lois
par leurs ordonnances dans les
derniers siècles. Thiers, Trait, des
Supersi., t. i, c. 7, 1. 3, p. 243.
On dit que la philosophie seule
a pu nous détromper sur ce point;
maïs si la religion n'y a contribué
en rien, pourquoi les anciens phi-
losophes n'ont-ils pas pu y réussir,
et pourquoi plusieurs d'entr'eux
ont-ils donné dans le même pré j ugé
que le vulgaire ? Les Pères l'ont
attaqué par la philosophie aussi-
bien que par la religion. Si l'on
veut comparer les arguments de
Bardai , dans son Argcnis , avec
ceux des Pères , on verra qu'ils
sont les mêmes. Voyez Devin.
ASYLE, sanctuaire, lieu de re-
fuge, qui met un criminel à l'abri
des poursuites de la justice. Ce
mot qui vient du grec, est com-
posé d'à privatif , et deoTjXâû) jpren-
drc, arracher, dépouiller. On ne
pouvoit sans sacrilège arracher
un homme de Vasyle dans lequel
il s'étolt réfugié.
Les temples, les autels, les sta-
tues des dieux ou des héros, leurs
ASY
tombeaux, étoient chez les anciens
la retraite de ceux qui étoient ac-
cablés par la rigueur des lois, ou
opprimés par la violence des tyrans.
De tous ces as/les, les temples
étoient les plus sacrés et les plus
inviolables. On supposoit que les
dieux se chargeoient eux-mêmes
depunir les criminels quivenoient
se mettre ainsi sous leur dépen-
dance immédiate ; et on regardoit
comme une impiété de vouloir
leur ôter le soin de la vengeance.
Chez les païens on accordoit
ainsi l'impunité aux criminels ,
même les plus coupables, soit par
superstition, soit pour peupler les
villes par ce moyen; c'est ainsi en
effet que Thèbes, Athènes, P.ome,
se remplirent d'habitants : preuve
assez sensible de la multitude des
crimes qui se commettoient pour
lors.
Les Israélites avoient des villes
de refuge que Dieu lui-même avoit
désignées; mais elles n'étoient un
asfle assuré que pour ceux qui
avoient commis un crime par inad-
vertance , par un cas fortuit et
involontaire , et non pour ceux
qui s'en étoient rendus coupables
de propos délibéré.
Bingham , dans ses Origines ec-
clésiastiques, 1, 8, c. II, §3, pense
que le droit à^asyle dans les Eglises
chrétiennes a commencé sous
Constantin. Il observe que , dans
l'origine, ce privilège n'a été ac-
cordé ni pour mettre les criminels
à l'abri des poursuites de la justice,
ni pour diminuer l'autorité des
magistrats , ni pour donner at-
teinte aux lois; mais afin de fournir
un refuge aux innocents accusés
et poursuivis injustement , de
laisser aux juges le temps d'exa-
miner mûrement les cas incertains
et douteux, de mettre les accusés
à couvert de la vengeance et des
voies de fait, enfin, de donner lieu
aux évêques d'intercéder pour les
coupables , chose qu'ils faisoient
ASY
souvent. Il ne faut donc pas cire
surpris si les empereurs suivants
confimicrent ce droit à'asyle , et
sî les pasteurs de l'Eglise furent
ardents à le soutenir. Nous en
voyons un exemple remarquable
dans les ouvrages de saint Jean-
Chrysostôme. Un favori de l'em-
pereur Arcadius, nommé Eutrope,
avoit suggéré à ce prince de sup-
primer le droit à'as/le ; bientôt
disgracié et poursuivi lui - même
par des ennemis puissants, il fut
réduit à se réfugier dans une
église, et à chercher son salut en
embrassant l'autel. Cet événement
fournit à saint Jean-Chrysostôme
le sujet d'un discoui'S très-éloquent
sur la vanilé des grandeurs hu-
maines, et sur la justice des dé-
crets de la Providence. Op., t. 3,
p. 38i.
Lorsque les empereurs Honorius
et Théodose eurent réglé et mo-
déré le droit d'as//c, lesévêques et
les moines eurent soin de marquer
une certaine étendue de terrain
qui fixoit les bornes de la juridic-
tion séculière. Peu à peu les cou-
vents devinrent des espèces de
forteresses où les criminels se met-
toicnt à l'abri du châtiment et
bravoient les magistrats. Ce privi-
lège fut étendu dans la suite , non-
seulement aux églises et aux cime-
tières, mais aussi aux maisons des
éveques ; parce qu'il n'étoit pas
possible à un criminel de passer
sa vie dans une église , où il ne
pouvoit laire décemment plusieurs
des fonctions animales. Mais enfin
\tsasyles furent insensiblement dé-
pouillés de leurs immunités , parce
qu'ils ne servoient plus qu'à favo-
riser le brigandage et à multiplier
les crimes.
Il faut convenir cependant, que
si les as/les ont mis à couvert de
châtiment plusieurs coupables qui
l'avoient justement mérité , ils ont
aussi sauvé la vie à un grand nom-
bre d'innocent» injustement pour-
I,
ATIl 24 «
suivis par les fureurs do la ven-
geance. Dans les temps malheureux
où les vengeances particulières
étoient censées permises , où l'on
ne connoissoit plus d'autre loi que
celle du plus fort, il falloit néces-
sairement avoir des lieux de refuge
contre la violence des seigneurs
toujours armés. Cette triste res-
source n'a cessé d'être nécessaire
que quand l'autorité de nos rois,
la police des villes, la juridiction
des tribunaux de magistrature, ont
été solidement établies.
Il y avoit plusieurs de ces asyles
ou sanctuaires en Angleterre ; le
plus fameux étoit à Beverly , avec
cette inscription : Ilcecsedes lapidea
freed stool dîcitur , id est , pacis
cathedra , ad quam reus fugiendo
perveniens omnimodam. habei secu-
ritatem. Camden. En France , l'é-
glise de Saint-Martin de Tours a été
long-temps un asyle inviolable. Les
franchises accordées aux églises en
Italie , ressembloient beaucoup au
droit à'' asyle; mais elles ont été
abolies.
Charlemagne avoit donné aux
asyles une première atteinte en 77g,
par la défense qu'il fit de porter à
manger aux criminels réfugiés dans
les églises. Nos rois ont heureuse-
ment achevé ce que Charlemagne
avoit commencé. Hist. de VAcad.
des Inscr. , toin. 2, in-12, p. Sa;
Mém., tom. 74? P- 4^-
ATHANASE (saint) , évêque et
patriarche d'Alexandrie , a été l'un
des plus célèbres Pères de l'Eglise
au quatrième siècle. Ses combats
contre les ariens, les persécutions
qu'il essuya de leur part , la con-
stance avec laquelle il supporte
leurs calomnies , plusieurs exils ,
une vie errante et toujours ex-
posée pour la défense de la foi ,
sont des faits connus de tous ceux
qxii ont lu l'histoire ecclésiastique.
Quelques incrédules en ont pris
occasion de le peindre comme un
16
242 ATH
zélateur imprudent , comme un
boute-feu, un fanatique. La vérité
est qu'il n'opposa jamais que la
patience, la prudence et la force
de la vérité à une persécution de
cinquante ans. Son caractère se
montre dans ses ouvrages ; il n'in-
jurie point ses adversaires, il ne
cherche point à les aigrir, il les
accable par l'autorité de l'Ecriture
sainte et par la force de ses rai
sonnements. D'autres lui ont re-
proché d'avoir peu traité la mo-
rale; mais il étoit trop occupé des
dangers que couroit le dogme pour
avoir eu le temps de composer des
traités de morale. Plusieurs auteurs
pro lestants ont rendu justice à ses
talents et à ses vertus. La meilleure
édition de ses ouvrages est celle
qu'a donnée dom deMontfaucon, en
3 volumes in-folio. On convient
que le symbole qui porte son nom
n'est pas de lui, mais il est tiré de
ses écrits. Vies des Pères et des mar-
tyrs, t. 4, p- 34-
ATHÉE, ATHÉISME. Nous en-
tendons par athéisme, non-seule-
ment le système de ceux qui n'ad-
mettent point de Dieu, mais encore
l'opinion de ceux qui nient la pro-
vidence, parce qu'à proprement
parler, un Dieu sans providence
n'existe pas pour nous. C'est la
réllexion que fait Cicéron contre
les prétendus dieux d'Epicure. Il
est triste que ce soit aujourd'hui
le sentiment dominant parmi les
incrédules; mais la multitude des
ouvrages qui «nt paru de nos
jours pour établir cette doctrine
désolante , ne prouve que trop le
nombre de ses partisans.
C'est aux philosophes de réfuter
les divers systèmes à' athéisme, et
de démontrer l'existence de Dieu
par les preuves que la raison seule
nous suggère ; le devoir d'un théo-
logien est de faire voir que les au-
teurs sacrés ont très-bien connu
k caractère, les causes, les effets
, ATH
de Yathéisme; que le portrait qu'ils
ont tracé des athées de leur temps,
convient encore parfaitement à
ceux d'aujourd'hui.
Selon le roi prophète , Ps. la ,
« l'insensé a dit dans son cœur : Jl
» ni'y a point de Dieu. Ce langage
» est celui des hommes corrompus
» et pervers. Il n'en est pas un seul
» parmi eux qui fasse le bien. Leur
» bouche respire l'infection des
» tombeaux, leur langue exhale le
» poison des serpents; ils cherchent
» à séduire par le mensonge ; la
» noirceur de leurs calomnies ,
» l'amertume de leurs reproches ,
» démontrent qu'ils seroient prêts
» à répandre le sang de leurs ad-
» versaires. Ils passent des jours
» tristes et malheureux, jamais ils
» n'ont goilté la paix : ils tremblent
» où il n'y a aucun suj et de frayeur .
» Le Seigneur est juste ; il se venge
» de ces insensés , pendant que le
» pauvre , soumis et tranquille ,
» met son espérance en Dieu. »
Long-temps avant David , Job
avoit remarqué que Yathéisme est
le vice des grands du monde , des
hommes aveugléspar ta prospérité,
corrompus par l'opulence , per-
vertis par l'usage immodéré des
plaisirs. Us ont dit à Dieu : « Re-
» tirez - vous de nous ; nous ne
» voulons ni recevoir vos leçons ,
» ni connoître vos lois. Qui est le
» Tout-Puissant , pour que nous
» soyons ses adorateurs , et à quoi
M nous serviroit de l'invoquer ?....
» Mais Dieu leur rendra ce qu'ils
» méritent, et alors ils le connoî-
» tront. » Job , c. 21.
« Il viendra un temps, dit saint
» Paul , auquel les hommes ne
» pourront plus supporter une
» saine doctrine; ils se choisiront
» des maîtres selon leur goût ; une
» curiosité effrénée , la déman-
n geaison d'entendre quelque chose
» de nouveau , les détourneront de
» la vérité, et les feront couriraprès
» des fables. » II. Tim., c. 4 , J. 3.
ATII
La principale source de Va-
théisme , selon l'Ecriture sainte ,
est la corruption du cœur ; plu-
sieurs philosophes modernes en
sont convenus , et l'expérience le
prouve. Les Grecs étoient parve-
nus au comhle de la prospérité par
leurs victoires sur les Perses ,
lorsque leurs philosophes se préci-
pitèrent dans l'épicuréisme. Rome
étoit devenue la maîtresse du
monde , elle regorgeoit des ri-
chesses de l'Asie, lorsque le luxe
introduisit dans ses murs cette
philosophie meurtrière. Les Juifs
venoient d'être délivrés de la per-
sécution des rois de Syrie , ils
étoient enrichis par le commerce
d'Alexandrie , lorsqu'ils virent
éclore parmi eux le saducéisme ,
qui n'étoit qu'un épicuréisme gros-
sier. Faut - il qu'à notre tour la
naissance de V athéisme vienne nous
annoncer que nous touchons au
plus haut point de prospérité au-
quel notre monarchie soit parve-
nue depuis sa fondation .•*
Mais le luxe, père de la corrup-
tion et de V athéisme, prépare la
ruine des états et la décadence des
nations : ce qui est arrivé à celles
dont nous venons de parler de-
vroit nous faire trembler et nous
rendre plus sages.
L Quel motif pourroit engager
un athée à être vertueux ? Il sait ,
à la vérité , que le vice peut lui
nuire ; mais il est aussi des cir-
constances où le vice autorisé par
l'exemple peut devenir avantageux.
Déjà nos moralistes athées nous
avertissent que dans les sociétés
corrompues il faut se corrompre
pour devenir heureux , se mettre
au ton des mœurs régnantes pour
être estimé et applaudi. Il y a des
hommes si mal constitués par la
nature , que le vice est nécessaire
à leur bonheur. Qu'importe que
le vice puisse nuire, s'il peut aussi
être utile ? L'événement dépend
du hasard ; tout homme dominé
ATII 143
par une passion est tenté d'en faire
l'épreuve. Il n'a point de remords
à craindre , dès qu'il se sent le
courage de les étouffer.
Les fautes les plus secrètes peu-
vent être dévoilées , mais il s'est
commis aussi plusieurs grands
crimes dont on n'a jamais pu dé-
couvrir les auteurs. Dans les so-
ciétés corrompues, les fautes sont
si communes que l'on n'y fait
presque plus d'attention ; une dose
suffisante d'effronterie tient lieu
de probité. A force de raisonne-
ments et de palliatifs, on parvient
aujourd'hui à justifier les iniquités
les plus criantes, et à rendre toutes
les réputations équivoques.
La société sans doute est utile
au bonheur d'un atfiée ; mais ,
commie tant d'autres, il peut jouir
des avantages de la société sans y
mettre beaucoup du sien : ceux
qui servent le plus efficacement
leurs semblables , ne sont pas les
plus honorés ; les vertus les plus
nécessaires sont ordinairement les
plus obscures , et les devoirs les
plus pénibles sont les moins ré-
compensés.
On dit que nous devons nous
attacher à la patrie qui nous pro-
tège. Mais combien d'hommes pro-
fitent clés bienfaits et de la protec-
tion de la patrie , en lui rendant
de mauvais services, en lui insul-
tant , en déclamant contre ses lois,
en décriant son gouvernement, en
exaltant jusqu'aux nues le mérite
supérieur de ses ennemis ! Selon
un axiome consacré parmi les
athées, une patrie qui ne nous rend
point heureux, perd ses droits sur
nous.
Un homme, continue-t-on , doit
se faire aimer. Où est cette néces-
sité pour un athée? Il lui suffit
d'être craint , et que personne
n'ose lui nuire. Qu'ai -je à faire,
dira-t-il , de l'amitié d'un père
vieux, infirme, languissant, qu'il
' faut soigner et nourrir à mes dé-
16.
:ï^4
ATII
pens ? Que me rendra -t-il en
échange de mon amitié?
Je conviens que l'ingratitude
éloignera de moi mon bienfaiteur,
le fera peut-être repentir de ce
qu'il a fait pour moi; que m'im-
porte s'il n'est plus en état de me
faire du bien, de se venger , ni de
me faire essuyer des reproches ?
J'avoue encore que la justice est
nécessaire au maintien de toute
association; mais on peut profiter
de l'association , sans contribuer à
son maintien. On a prouvé docte-
ment de nos jours que plusieurs
vices sont pour le moins aussi né-
cessaires au maintien de la société
que les vertus.
D'ailleurs , la justice ne suffit
point si l'on n'y ajoute la charité,
l'humanité , la compassion pour
les malheureux ; sur quoi peut être
fondé pour moi le devoir de se-
courir un étranger , un inconnu
qui souffre , mais qui ne me con-
noît point , et que je ne reverrai
jamais f
Il est faux que nul homme ne
puisse être content de soi-même ,
quand il sait qu'il est l'objet de la
haine publique. Plusieurs grands
hommes l'ont encounie par leurs
vertus et par le zèle le plus pur ;
d'autres ont gagné la faveur pu-
blique par des crimes heureux :
ceux-ci avoient-ils plus de droit
d'être contents d'eux-mêmes que
les premiers?
Toutes les maximes de morale
des athées sont donc fausses lors-
qu'on les examine en rigueur;quand
elles scroient vraies , le commun
des hommes est incapable de faire
les réflexions, les calculs, les rai-
sonnements nécessaires pour en
sentir la vérité. Admettons un Dieu
et une providence , ces maximes
deviendront des lois.
Que le vice nous soit utile ou
pernicieux dans ce monde , n'im-
porte; Dieu le défend, il le punira
tôt ou tard. Quand le vice nous
ATH
clcveroit sur la terre au comble du
bonheur, ce ne sera que pour quel-
ques moments ; l'ivresse passagère
qu'il nous causera sera suivie d'un
malheur étemel. Que les hommes
connoissent le crime ou ne le con-
noissent pas , cela est égal ; Dieu
le connoît , le coupable n'échap-
pera point à sa vengeance : les re-
mords sont les premiers supplices
par lesquels il leur fait sentir sa
justice.
Que la société , que la patrie,
soient justes ou injustes , rccon-
noissantes ou ingrates à mon égard y
Dieu m'ordonne de m'y attacher
et de les servir , comme il leur
ordonne de me protéger. Si elles
manquent à leur devoir, cela ne me
donne pas droit de violer le mien :
Dieu est témoin de ma conduite ,
c'est à lui seul de me récompenser.
Par la loi générale de la charité ,
Dieu commande à tous les hommes
de s'aimer, de s'aider, de se rendre
des services mutuels : amis ou en-
nemis , concitoyens ou étrangers,
bienfaiteurs ou rivaux , caractères
aimables ou fâcheux , personne
n'est excepté. Quand ils nous refu-
seroient leur amitié, nous serions
encore obligés de nous rendre ai-
mables , afin de ne pas les blesser.
Tel est le langage de la religion ,
de nos livres saints , des justes de
tous les siècles ; c'est celui de la
raison et de la saine philosophie.
Lorsque les athées s'obstinent à le
méconnoître , nous n'avons pas
tort de leur reprocher qu'ils sapent
la morale par les fondements.
Sans la croyance d'un Dieu, sou-
verain législateur , rémunérateur
et vengeur , il n'est plus de lois ,
plus de devoirs ou d'obligations
morales proprement dites, plus de
vices ni de vertus (N.* X,p.xxiv.)
II. L'Ecriture nous assure que
les athées n'ont jamais goûté la
paix, qu'il n'est point pour eux de
consolation ni de bonheur en ce
mende ; ils ont pris eux-mêmes
AT II
la peine de nous en convaincre.
Que voyons-nous dans leurs livres?
1." Une affectation singulière de
dégrader l'homnie , de le réduire
au niveau des brutes, afin de prou-
ver qu'il n'est pas l'ouvrage d'un
Dieu sage et bon. Ce n'est pas là le
moyen de nous inspirer du courage,
des sentiments nobles , l'héroïsme
de la vertu, la satisfaction secrète
que goûte une âme élevée à sentir
ce qu'elle est. Cet avilissement
volontaire cadre bien mal avec
l'orgueil philosophique.
2° Des plaintes amères sur les
misères de l'humanité, sur les ri-
gueurs d'une nature marâtre, sur
les passions qui nous tourmentent,
sur les crimes qui nous déshono-
rent , sur les tléaux qui couvrent
la terre. Us en concluent qu'une
Providence bienfaisante ne se mêle
point du gotivernement de ce
monde. Ces sombres réllexions ne
sont pas fort propres à nous ren-
dre contents de notre sort. Lors-
que les athées peignent le genre
humain, ils le représentent comme
une société de malfaiteurs aveuglés,
corrompus, forcenés par religion.
Peut-on se féliciter de vivre dans
une pareille compagnie, ou espérer
d'y trouver jamais le bonheur?
3.° Des blasphèmes contre la
justice d'un Dieu vengeur, contre
la sévérité avec laquelle on prétend
qu'il punit le crime. Cette idée ,
disent-ils , inspire l'effroi , fait
envisager Dieu comme un être
odieux. A ce signe , il est difficile
de reconnoître le calme d'une con-
.science pure, exempte de trouble
et de remords. Us se plaignent de
ce que la vertu n'est pas heureuse
sur la terre, et ils ne veulent point
du bonheur d'une autre vie. Mais
si la vertu n'a rien à espérer , ni
dans ce monde rti dans l'autre, où
sera le motif de l'embrasser.''
4." Des doutes jetés sur la per-
pétuité de l'ordre physique du
monde. "Nous ne savons pas , di-
ATH 245
senl-ils , si une révolution subite
ne replongera pas bientôt l'univers
dans le chaos. Jamais la superstir
tion la plus aveugle n'inspira une
crainte aussi puérile et aussi absur-
de. Epicure pensoit qu'il valoit en-
core mieux être sous l'empire d'uu
Dieu le plus capricieux, que sous le
joug d'une nécessité impitoyable
que rien ne peut fléchir. Aujour-
d'hui ses disciples , moins sensés
que lui , préfèrent l'emipire de la
nécessité à celui de la Divinité.
5 ° Des éloges prodigués à la fu-
reur du suicide. Si c'est à ce terme
que doitaboutir la suprême félicité
des athées , un homme raisonnable
ne sera pas tenté de la leur envier.
Il est bien absurde de nous pro-
mettre le bonheur ici-bas, si nous
voulons abjurer l'idée d'un Dieu
vengeur , et de vouloir prouvei-
ensuite que si nous sommes dé-
goiités de la vie , rien n'est mieux
que de se détruire.
6.° Des sophismes sans fin , pour
démontrer qu'il n'y a aucune certi-
tude dans nos connoissances;qu'un
scepticisme général est la seule phi-
losophie du sage. Mais si toutes
nos opinions sont incertaines, Va-
théisme n'est donc pas un système
invinciblement prouvé , et auquel
on puisse se livrer avec une pleine
sécurité. Douter s'il y a un Dieu ,
une religion vraie , une autre vie ,
ce n'est pas être convaincu qu'il
n'y en a point; l'incertitude sur un
objet aussi important ne peut pas
être une situation douce et agréable.
Les mécontentements du présent,
l'incertitude sur l'avenir, des fu-
reurs contre Dieu , des invectives
contre les hommes, ne furent ja-
mais les symptômes de la paix et
du bonheur. Nous sommes donc
forcés d'acquiescer à la .sentence
que Dieu a prononcée lui-même
par un prophète : « Point de paix
» pour les impies. » Isa'î. , c. 48 ,
y^ 22 ; c. 57, ;^. 21.
IILLe psalmiste nous avertit que
2^6 ATH
les aillées sont des homraes d'un
mauvais caractère , dangereux ,
malfaisants, pernicieuxà la société;
est-ce une accusation fausseî'
Puisqu'il est démontré que la
situation des athées n'est ni tran-
quille, ni heureuse, c'est un trait
de cruauté de leur part de vouloir
communiquer aux autres le doute,
l'inquiétude , le mécontentement ,
l'humeur , qui les tourmentent.
Qu'ils s'obstinent à y demeurer ,
c'est leur affaire ; mais pourquoi
vouloir arracher à leurs sembla-
bles l'idée d'unDieu qui les console,
une religion qui les porte à la
vertu, une espérance qui adoucit
leurs peines? A considérer la ma-
nière dont la plupart des hommes
sont constitués , les athées sont-ils
sûrs que leurs principes, répandus
dans le monde, n'augmenteront pas
la quantité des crimes et le nombre
des malfaiteurs ? Le moindre dan-
ger à cet égard devroit arrêter la
main et fermer la bouche à tout
homme sensé.
Quand la vérité de la religion
ne seroit pas invinciblement dé-
montrée,elle est dumoins autorisée
par les lois; chez toutes les nations
policées , on a sévi contre ceux
qui violent les lois en attaquant
la religion. Parce qu'il plaît aux
athées de trouver ces lois injustes,
il ne s'ensuit pas qu'elles le sont
en effet , et que l'on ne doit pas
punir ceux qui s'élèvent contre
elles. Exiger dans ce cas une tolé-
rance absolue, c'est autoriser tous
les malfaiteurs à enfreindre toutes
les lois qui les gênent.
Accuser les vivants et les morts,
noircir les motifs de toutes les ver-
tus qui ont brillé dans le monde,
fouiller dans tous les coins de l'his-
toire pour trouver des reproches
contre les personnages pour les-
quels le genre humain a eu le plus
de respect, sonner le tocsin contre
ceux qui prêchent la religion ou
qui la défendent les peindre
ATH
commie autant de fourbes ou de
fanatiques ennemis de la société ,
attaquer les souverains et les gou-
vernements comme complices du
même crime : voilà ce que les athées
ont fait de tout temps et font en-
core. Si tous ces excès ne sont pas
punissables, quel a donc été l'objet
de la police et de la législation?
C'est une imposture de leur part
de prétendre que VatJiéisme n'in-
flue en rien sur les mœurs, et qu'un
a/Zie'e peut être aussi vertueux qu'un
homme qui croit en Dieu ; le con-
traire est démontré par leur propre
conduite. JJnathée n'évite le crime
qu'autant qu'il y est forcé par les
lois ; il ne peut être homme de
bien sans contredire continuelle-
ment tous ses principes.
L'influence terrible que Va-
théisme peut avoir sur les mœurs
du peuple, n'est que trop prouvée
par un fait arrivé de nos jours. Il
y a environ dix ans qu'il s'étoit
ibrmé dans la Lorraine allemande
et dans l'électorat de Trêves , une
association de gens de la campagne
qui avoient secoué tout principe
de religion et de morale. Ils s'é-
toient persuadés qu'en se mettant
à l'abri des lois ils pouvoient sa-
tisfaire sans scrupule toutes leurs
passions. Pour se soustraire aux
poursuites de la justice, ils se com-
portoient dans leurs villages avec
la plus grande circonspection; l'on
n'y voyoit aucun désordre : mais
ils s'assembloient la nuit en grandes
bandes , alloient à force ouverte
dépouiller les habitations écartées,
commettoient d'abominables ex-
cès, et employoient les menaces les
plus terribles pour forcer ausilence
les victimes de leur brutalité. Un
de leurs complices ayant été saisi
par hasard poui quelque autre
délit, l'on découvrit la trame de
cette confédération détestable , et
l'on compte par centaine les scé-
lérats qu'il a fallu faire périr sur
réchafaud. Lettres sur VHist. de
ATII
la terre et de r homme , par M.
Duluc, 1779 , tom. 4 , Lettre 91 ,
p. i4o
Ce fait fut annoncé dans le
temps par les nouvelles publiques,
mais il ne fut pas assez remarqué.
S'il avoit été question d'un événe-
ment peu favorable à la religion ,
nos philosophes en auroient fait
retentir le bruit dans l'Europe en-
tière. Le sage écrivain qui le rap-
porte, et qui en avoit presque été
témoin , observe avec raison que
si Vathéisme ne produit pas le
même effet sur les hommes labo-
rieux, timides , dont les passions
sont douces , la société auroit tout
à craindre des paresseux hardis ,
entreprenants, et dont les passions
sont violentes ; l'irréligion en fe-
roit de vrais tigres.
Il ne restoit plus aux athées qu'à
vouloir cacher leurs turpitudes
sous le masque de l'hypocrisie, à se
prétendre animés par un zèle ar-
dent pour le bien de l'humanité ,
à exiger des éloges et 'des récom-
penses pour le courage qu'ils ont
montré ; c'est par-là que les athées
ont couronné leurs travaux.
Ils diront sans doute que par
ces réflexions nous cherchons à
les rendre odieux, à exciter contre
eux la sévérité des magistrats. Non.
L'Ecriture les déclare insensés :
nous souscrivons à cet arrêt. On
ne punit point les hommes tombés
en démence, mais on les met hors
d'état de nuire. Le roi prophète
remet à Dieu la vengeance de leurs
fureurs : « Levez-vous , Seigneur,
» jugez vous-même votre cause ;
» voyez les blasphèmes que l'm-
» sensé ne cesse de vomir contre
» vous ; remarquez et n'oubliez
» pas l'orgueil de ceux qui se dé-
» clarent vos ennemis , et cette
» audace qui s'augmente de jour
» en jour. » Ps. yS, ^. 22. In-
struits par les leçons de Jésus-
Christ , encore j)lus parfaites que
cviles de^ anciens justes, nous no
ATll 247
demandons à Dieu que la conver-
sion des incrédules.
Nous ignorons pourquoi l'on a
pris de nos jours tant de peine
pour justifier Vanini , atliée cé-
lèbre, ou du moins pour l'excuser
et pour faire paroître ses juges
coupables de cruauté. Plusieurs de
nos philosophes ont trouvé bon
de faire son apologie; mais l'in-
térêt personnel et la conformité
de sentiment n'auroient- ils pas
influé beaucoup dans cette charité
singulière "?
Il nous suffît d'observer que Va-
nini ne fut point livré au sup-
plice précisément parce qu'il étoit
athée , mais parce qu'il prêchoit
l'athéisme , et séduisoit la jeunesse.
Ces deux crimes sont très- diffé-
rents. Si les athées gardoient pour
eux seuls leur impiété , personne
ne s'informeroit de ce qu'ils pen-
sent ; mais ces insensés veulent
dogmatiser, communiquer aux au-
tres le poison dont ils sont infec-
tés, et c'est ce qu'on a droit depunir.
ATHÉNAGORE, philosophe
athénien , converti au christia-
nisme , présenta, l'an 177, aux
empereurs Marc-Aurèle-Antonin
et Lucius-Aurèlc-Commode , une
apologie pour les chrétiens , par
laquelle il justifie leur croyance et
leurs mœurs contre les calomnies
des païens. Il a aussi fait un traité
de la résux'rection des morts.
II demande d'abord pourquoi ,
sous le règne de deux princes phi-
losophes et naturellement équi-
tables , on n'accorde point aux
chrétiens , qui font profession
d'honorer la Divinité , la même
liberté dont jouissent les super-
stitions les plus absurdes; pourquoi
l'on ne procède point contre des
hommes dont les mœurs sont in-
nocentes , dans la même forme
juridique que contre des malfai-
teurs coupables des plus grands
crimes.
2^8 ATH
Les païens accusoient les chré-
tiens de trois crimes principaux ,
d'athéisme , de tuer et de manger
un enfant dans leurs assemblées ,
de s'y livrer ensuite à l'impudicité.
Athénagore demande comment
l'on peut reprocher l'athéisme aux
chrétiens qui adorent un seul Dieu
en trois personnes. Il fait voir que
plusieurs philosophes ont enseigné
l'unité de Dieu ; que le poly-
théisme est absurde ; que les chré-
tiens reconnoissent même des anges
dont Dieu se sert pour exécuter
ses ordres ; que la pureté de leur
vie démontre assez qu'ils ne sont
point athées.
Le principal fondement de cette
accusation étoit l'aversion que té-
moignoient les chrétiens pour les
sacrifices et pour l'idolâtrie des
païens ; Athénagore s'attache à
prouver que l'on ne doit point
honorer Dieu par des sacrifices
sanglants; que dans les diflérentes
villes de l'empire l'on n'adore pas
les mêmes dieux; qu'il est absurde
de prendre les créatures , la ma-
tière , le monde , ses différentes
parties , ou les idoles , pour des
dieux : il fait voir que toutes ces
superstitions sont d'une invention
très-récente.
Vainement les païens préten-
doient que le culte des idoles se
rapportoit aux dieux qu'elles re-
présentoient , et qu'il étoit con-
firmé par la vertu miraculeuse de
plusieurs de ces simulacres. Athé-
nagore démontre , par le témoi-
gnagedes philosophes et des poètes,
que ces prétendus dieux avoient
été des hommes ,. qui ne méri-
toient aucun culte religieux ; il
insiste sur l'indécence de leurs fi-
gures , sur les passions et sur les
crimes qu'on leur attribuoit ; il
montre que l'on justifioit mal ces
fables , en leur donnant un sens
physique , et en les appliquant aux
phénomènes de la nature.
II expose la doctrine de Thaïes
ATH
et de Platon sur les démons , et
celle des chrétiens touchant les
anges , bons ou mauvais ; il sou-
tient que les esprits malfaisants
sont les vrais auteurs de l'idolâtrie,
et de tous les prestiges qui avoient
servi à l'établir parmi les hommes.
Quant aux deux autres crimes
dont on chargeoit les chrétiens ,
Athénagore soutient qu'ils sont as-
sez réfutés par la pureté des
mœurs qui règne parmi eux, par
la tempérance et la fidélité qu'ils
gardent dans le mariage , par la
modestie avec laquelle ils se sa-
luent , par leur amour pour la
virginité , par l'éloignement qu'ils
ont pour les secondes noces. II
représente combien il leur est
triste d'être accusés des crimes
contraires par des hommes qui
sont coupables eux-mêmes de tou-
tes les espèces d'impudicité et de
forfaits.
Loin de pouvoir être convain-
cus d'aucun homicide , ils ont
horreur de voir répandre le sang
humain , soit dans les supplices
des criminels, soit dans les com-
bats des gladiateurs ; ils regardent
les avortements volontaires comme
un meurtre, et la coutume d'ex-
poser les enfants comme un vrai
parricide.
Athénagore finit par exposer la
croyance des chrétiens sur la ré-
surrection générale , sur les ré
compenses et les peines de l'autre
vie ; il observe que , quand ce se-
roientr-là des erreurs, ce ne seroient
pas encore des crimes pour les -
quels il fût juste de haïr, de per-
sécuter, de mettie à mort ceux
qui sont dans ces sentimeilts.
Cette apologie fut présentée
vingt-six ou vingt-sept ans après
celle de saint Justin.
Les critiques protestants , Ju-
rieu , Leclerc , Barbeyrac , et leurs
copistes , font plusieurs reprocher
contre la doctrine à''Atfiénagnre.
I ° 11 a eu, disent-ils, trop d'idées
AT II
platoniciennes. Mais il faut faire
attention que cet écrivain parloil
à des empereurs qui faisoient pro-
fession de philosophie, et qui, sans
doute, respectoicnt Platon ; c'éloit
un trait de prudence de se con-
Ibrmer à leur goût, et de leur al-
léguer en plusieurs choses l'aulo-
rité de ce philosophe. Quant même
Atfiénagore axiroit conservé, après
sa conversion, les opinions plato-
niciennes qui lui paroissoient con-
ciliables avec les dogmes du chris-
tianisme , nous ne voyons pas où
seroit le crime. De là même il
s'ensuit que notre religion, dès sa
naissance , n'a pas redouté l'examen
des philosophes.
a. o L'on prétend (\\x'' Athénagore
n'attribue à Dieu qu'une provi-
dence générale , qu'il a supposé
que les anges étoient chargés en
détail du gouvernement du monde.
Selon Barbeyrac , celte idée em-
pruntée de Platon , présentée à
deux empereurs païens , a dii leur
faire conclure que les chrétiens
étoient polythéistes.
N'oublions pas que ces deux
princes étoient philosophes, ca-
pables , par conséquent , de metti-e
de la distinction entre des êtres
créés , tels qne les anges , et un
Dieu incréé; que selon la doctrine
formelle à\'tthénagore , ixncun être
créé n'est Dieu. Dans son Apologie
et dans son Traité de la résurrec-
tion , il attribue expressément à
Dieu le gouvernement et la des-
tinée de l'homme ; il suppose que
les anges n'agissent que par les
ordres et selon les desseins de Dieu;
ce n'est pas là du platonisme.
D'un côté , plusieurs de nos phi-
losophes ont soutenu que Platon ,
qui admettoit un Dieu suprême et
des dieux secondaires, ou des gé-
nies inférieurs à Dieu, n'étoit pas
polythéiste; de l'autre, nos cri-
tiques soutiennent que celte doc-
trine , présentée à deux empereurs
. instruits, a du leur paroître un
ATIl a4(j
polythéisme. Barbeyrac prétend
^vC Athénagore n'enseigne point le
culte des anges ; comment donc les
empereurs ont-ils pu conclure de
sa doctrine , que les chrétiens ado-
roient plusieurs dieux? Avant de
blâmer les Pères , leurs censeurs
devroienl commencer par s'accor-
der avec eux-mêmes.
3.0 Ils accusent Athénagore de
n'avoir pas été orthodoxe sur le
dogme de la Trinité, et jusqu'à
présent, dit Barbeyrac , il n'a pas
été justifié. Probablement ce cri-
tique n'a lu ni la Défense de la foi
de Nicée par Bullus, ni le sixième
avertissement de M. Bossuet aux
protestants , c. lo , n. 69 et suiv. ,
où Athénagore est justifié pleine-
ment et sans réplique. Cet auteur
dit : « Nous reconnoissons Dieu
» le Père, Dieu le Fils et le Saint-
» Esprit; nous miontrons et leur
» puissance dans l'unité, et leur
» di.stinclion dans l'ordre. » Légat. ^
n. 10. Pour trouver là du poly-
théisme , Barbeyrac lui fait dire :
« Nous avons Dieu le Père , Dieu
» le Fils elle Saint-Esprit z/m's, à la
n vérité, a une certaine manière, mais
"néanmoins distincts, et ayant
» leur ordre entr'eux. Nous avons
» aussi des divinités inférieures à
» celles-là, etc. » Est-il permis
d'altérer ainsi la doctrine d'un au-
teur, pour avoir droit de lui im-
puter des erreurs î*
4.° Le grand crime à'' Athénagore^
aux yeux de nos critiques licen-
cieux, est d'avoir fait trop de cas
de la virginité, et d'avoir dit que
les secondes noces sont un honnête
adultère. Malheureusement presque
tous les anciens Pères ont parlé de
même , et c'a été le sentiment géné-
ral des premiers chrétiens. Quand
on se rappelle à quels excès la li-
cence du divorce étoit portée chez
les païens, on n'est plus surpris
des expressions et de la morale sé-
vère de nos aj)ologislcs Vo/ez Bi-
gamie.
25o ATT
5." L'on a dit , au hasard ,
nu' Aihénagore n'avait été cité que
par saint Epiphane. ; c'est encore
une erreur : il l'a été par Photius,
Cod. 224, d'après saint Méthode,
évêque et martyr, mort vers l'an
3ii , et par Philippe Sidétas ,
Serm. 24.
Nous ne sommes pas étonné de
l'aflFectation des incrédules à dé-
primer les anciens défenseurs du
christianisme ; mais il n'est pas
fort honorable aux protestants de
leur avoir fourni le canevas de tant
de fausses accusations.
Les deux ouvrages à^Aikénagore
se trouvent à la suite de ceux de
saint Justin , dans l'édition des
bénédictins.
ATTRIBUTS , qualités ou per-
fections de Dieu. Quoique l'essence
divine , parfaitement simple en
elle-même , exclue toute compo-
sition et toute distinction , notre
entendement borné est forcé de
distinguer en Dieu divers attributs
ou perfections. Les uns sont nom-
més attributs métaphysiques ; tels
sont l'aséité ou nécessité d'être ,
l'éternité, l'infinité, l'immensité,
la spiritualité , l'immutabilité , la
simplicité, l'entendement , la vo-
lonté , la toute - puissance , la
science, la sagesse, etc. Les autres
sont nommés perfections morales;
ce sont celles qui établissent des
relations morales entre Dieu et les
créatures intelligentes , et qui nous
imposent des devoirs moraux en-
vers Dieu : telles sont la pro-
vidence , la bonté , la sainteté ,
la justice , etc. Voyez chacun de
ces attributs sous son nom parti-
culier.
Dans le mystère de la sainte
Trinité , les attributs de Père et de
Fils sont nommés attributs relatifs,
paixe que l'un rappelle l'idée de
l'autre ; il n'en est pas de même
des attributs absolus dont nous
avons parlé; l'idée d'immensité ne,
ATI'
rappelle point celle de toute-pois-
sance , etc.
Nous ne pouvons concevoir les
attributs de Dieu que par compa-
raison avec ceux de notre âme, ni
les exprimer autrement ; coname
cette comparaison n'est pas juste ,
il en résulte une difficulté insur-
montable de concilier quelques-
uns de ces attributs entre eux , paf
exemple , la simplicité de Dieu
avec sou immensité, sa liberté avec
son immutabilité. Il n'est pas moins
difficile de concilier la prescience
de Dieu avec le libre arbitre de
l'homme. Mais lorsque plusieurs
vérités sont démontrées, la dif-
ficulté de les concilier entr'elles
ne prouve que la foiblesse de notre
entendement.
De là les athées ont pris occa-
sion de nous reprocher l'anthro-
pomorphisme spirituel , c'est-à»
dire, d'attribuer à Dieu des qualitéi
humaines , et de concevoir Dieiâ
comme un homme plus parfait quSi
nous. C'est une accusation fausse ,
puisque nous avouons qu'en Dieu
toute perfection est infinie , et que
l'infini passe toutes nos concep-
tions. Fbjc^: Anthropomorphisme.
ATTRITION, contrition im-
parfaite. Les théologiens scolas-
tiques la définissent une douleur
et une détestation du péché , qui
naît de la considération de la lai-
deur du péché , et de la crainte des
peines de l'enfer. Le concile de
Trente , sess. i4 , c. 4 , déclare que
cette espèce de contrition , si elle
exclut la volonté de pécher, et ren-
ferme l'espérance d'obtenir par-
don de ses fautes passées , est un
don de Dieu , un mouvement du
Saint-Esprit , et qu'elle dispose le
pécheur à recevoir la grâce dans
le sacrement de pénitence. Le sen-
timent le plus reçu sur Vattrition ,
est que , dans le sacrement de pc -
nilence, elle ne suffit pas pour
juslificr le pécheur, à moins qu'elle
ATT
ne renferme un amour commencé
lie Dieu , par lequel le pécheur
aime Dieu comme source de toute
justice. C'est la doctrine du con-
cile de Trente , sess. 6 , cliap. 6 ,
et de l'assemblée du clergé de
France , en 1700
Les théologiens disputent entre
eux sur la nature de cet amour :
les uns veulent que ce soit un amour
de charité proprement dit ; les
autres soutiennent qu'il suffit d'a-
voir un amour d'espérance , et
qu'il est impossible d'espérer de
Dieu grâce et miséricorde , sans
ressentir un mouvement d'amour.
En effet , lorsqu'un pécheur fait
attention à la bonté de Dieu , qui
daigne nous pardonner et nous re-
cevoir en grâce, pourvu que nous
nous repentions de l'avoir offensé,
que nous en fassions humblement
l'aveu , et que nous soyons résolus
de ne plus pécher , se peut-il faire
qu'il ne sente pas au fond de son
cœur un mouvement d'amour de
celle bonté infinie i'Il paroît donc
impossible d'espérer sincèrement
le pardon de nos crimes , sans
commencer d'aimer Dieu comme
source de toute justice , à moins
qu'on ne soutienne qu'il est pos-
sible de désirer et d'espérer un
bienfait , sans penser directement
ni indirectement au bienfaiteur, et
sans ressentir aucun mouvement
de reconnoissance : or cela n'est
pas concevable.
Il est bon de remarquer que le
nom à'aUrition ne se trouve ni dans
l'Ecriture ni dans les Pères ; qu'il
doit son origine aux théologiens
scolastiques ; et ils ne l'ont intro-
duit que vers l'an 1220, comme le
remarque le j> èreMor in, de Pœnit.,
lib. 8, c. 2, n. 14. Avant ce temps-là
on ne pensoitpas àfairel'analomie
des sentiments du pécheur au tri-
bunal de la pénitence. On supposoil
que la volonté sincère de se récon-
cilier avec Dieu, est déjà un com-
mencement d'amour df Dieu.
ALI) :j5i
ATTRITIONNAIRES.nom
qu'on donne aux théologiens qui
soutiennent que Vattrition scrvile
ou conçue par une crainte servile,
est suffisante pour justifier le pé-
cheur dans le sacrement de péni-
tence.
Ce terme est ordinairement pria
en mauvaise part, et appliqué à ceus
qui ont soutenu , ou que Vattrition
conçue par la crainte des peines
éternelles, sans nul motif d'amour
de Dieu, étoit suffisante , ou qu'elle
n'exigeoit qu'un amour naturel de
Dieu , ou que la crainte des maux
temporels suffisoit pour la rendre
bonne : opinions condamnées par
les papes et par le clergé deFrance.
J^o/ez Crainte.
AUBE. F'o/ez Habits sacerdo-
taux.
AUDIENS , AUDÉENS ou VA-
DIEKS , hérétiques du quatrième
siècle, ainsi appelés du nomd'^u-
dius leur chef, qui vivoit en Syrie
ou en Mésopotamie vers l'an 342 ,
et qu^, ayant déclamé contre les
mœurs des ecclésiastiques, finit par
dogmatiser et former un schisme.
Entre autres erreurs, il célébroit
la pâque à la façon des Juifs , et
enseignoit queDieuavoit une figure
humaine , à la ressemblance de la-
quelle l'homme avoit été créé.
Scion Théodoret , il croyoit que
les ténèbres, le feu et l'eau n'avoient
point de commencement. Ses sec-
tateurs donnoient l'absolution sans
imposer aucune satisfaction cano-
nique, se contentant de faire passer
les pénitents entre les livres sacrés
et apocryphes. Ils menoient une
vie très-retirée, etnesetrouvoient
point aux assemblées ecclésiasti-
ques, parce qu'ils disoient que les
impudiques et les adultères y
étoient reçus. Cependant Théodo-
ret assure qu'il se commettoit
beaucoup de crimes parmi eux.
Sailli Augustin les apytcMe vadiens,
2 52 AUG
et dit que ceux qui étoienl en
Egypte communiquoient avec les
catholiques. Quoiqu'ils se fussent
donné des évêques, leur secte fut
peu nombreuse ; leur hérésie ne
subsistoit déjà plus , et à peine
connoissoit-on leur nom du temps
de Facundus , qui vivoit dans le
cinquième siècle.
Le père Petau prétend que saint
.\ugustin et Théodorel ont mal pris
ic sentiment des audiens et ce qu'en
dit saint Epiphane, qui ne leurat-
tribue , dit-il, d'autres sentiments
que de croire que la ressemblance
«le l'homme avec Dieu consistoit
dans le corps. En effet, le texte de
saint Epiphane ne porte que cela,
et ce Père dit expressément que
les audiens n'avoient rien changé
dans la doctrine de l'Eglise; ce qui
lie seroitpas véritable, s'ils eussent
donnéàDieu uneforme corporelle.
AUGSBOURG. Confession
à"" Augsboiirg ; formule ou profes-
sion de foi présentée par les luthé-
riens à l'empereur Charles V, dans
la diète tenue à Augsbourg en i53o.
Cette confession, composée par
Mclanchlhon, étoitdiviséeen deux
parties. La première contenoit
vingt-un articlessurlesprincipàux
points de la religion. Dans le
premier, on reconnoissoit ce que
les quatre premiers conciles géné-
raux avoient décidé touchant l'u-
nité d'un Dieu et le mystère de la
Trinité. Le second admettoit le
péché originel, de même que les
catholiques, excepté que les luthé-
riens le faisoient consister tout en-
tier dans la concupiscence et dans
le défaut de crainte de Dieu et
de confiance en sa bonté. Le troi-
sième ne comprenoit que ce qui
est renfermé dans le symbole des
apôtres , touchant l'incarnation ,
la vie, la mort, la passion, la ré-
surrection de Jésus-Christ, et son
ascension. Le quatrièmeétablissoit,
contre les pélagiens que l'homme
ALG
ne peut être justifié par ses pro-
pres forces : mais on y prétendoit,
contre les catholiques, que la jus-
tification se faisoit par la foi seule,,
à l'exclusion des bonnes œuvres.
Le cinquième étoit conforme aux
sentiments des catholiques , en te
qu'il disoit que le Saint-Esprit est
donné par les sacrements de la loi
de grâce ; mais il différoit d'avec
eux, en reconnoissantdans la seule
foi l'opération du Saint-Esprit.
Le sixième, avouant que la foi de-
voit produire de bonnes œuvres,
nioit, contre les catholiques, que-
ces bonnes œuvres servissent à la
justification , prétendant qu'elles
n'étoient faites que pour obéir à
Dieu. Le septième vouloit que l'E-
glise ne fût composée que des seuls
élus. Le huitième reconnoissoit la
parole de Dieu et les sacrements
pour efficaces, quoique ceux qui
les confèrent soient méchants et
hypocrites. Le neuvième soutenoi t,
contre les anabaptistes, la néces-
sité de baptiser les enfants. Le
dixième professoit la présence réelle
du corps et du sang de Jésus-Christ
dans l'eucharistie. Le onzième ad-
mettoit , avec les catholiques , la
nécessité de l'absolution pour la
rémission des péclics, maisrejetoit
celle de la confession. Le douzième
condamnoit les anabaptistes qui
soutenoient l'inamissibilité de la
justice,et l'erreur des novatiens sur
l'inutilité de la pénitence ; mais il
nioit , contre la foi catholique ,
qu'un pécheur repentant piit mé/-
riter, par des œuvres de pénitence,
la rémission de ses péchés. Le trei-
zième exigeoit la foi actuelle dans
tous ceux qui reçoivent les sacre-
ments , même dans les enfants. Le
quatorzième défendoit d'enseigner
publiquement dans l'Eglise , ou
d'y administrer les sacrements sans
une vocation légitime. Le quin-
zième commandoit de garder les
fêtes et d'observer les cérémonies.
Le seizième tenoit les ordonnances
AUG
civiles pnnr Icgitimcs, approuvoil
les magistrats, la propriété des biens
et le mariage. Le dix-septième re-
connoissoit la résurrection future,
le jugement général, le paradis et
l'enfer, et condamnoit les erreurs
des anabaptistes sur la durée finie
des peines de l'enfer, et sur le
prétendu règne de Jésus -Christ ,
mille ans avant le jugement. Le
dix-huitième déclaroitque le libre
arbitre ne suffisoit pas pour ce
qui regarde le salut. Le dix-neu-
vième , qu'encore que Dieu eiit
créé l'homme , et qu'il le conser-
vât, il n'étoit ni ne pouvoitêtre
la cause de son péché. Le vingtième,
que les bonnes œuvres n'étoient
pas tout-à-fait inutiles. Le vingt-
unième, défendoit d'invoquer les
saints, parce que c'étoit, disoit-il,
déroger à la médiation de Jésus-
Christ.
La seconde partie, qui contenoit
seulement les cérémonies et les usa-
ges de l'Eglise , que les prolestants
traitoient d'abus, et qui lesavoient
obligés, disoient-ils, à s'en séparer,
étoit comprise en sept articles.
Le premier admettoit la commu-
nion sous deux espèces, etdéfendoit
les processions du saint Sacre-
ment. Le second condamnoit le
célibat des prêtres, religieux, reli-
gieuses, etc. Le troisième excusoit
l'abolition des messes basses , et
vouloit qu'on célébrât en langue
vulgaire. Le quatrième exigeoit
qu'on déchargeât les fidèles du soin
de confesser leurs péchés , ou du
moins d'en faire une énumération
exacte et circonstanciée. Le cin-
quième combattoit les jeûnes et la
vie monastique. Le sixième im-
prouvoit ouvertement les vœux
monastiques. Le septième enfin
élablissoit, entre la puissance ecclé-
siastique et la puissance séculière,
une distinction qui alloit à ôter
aux ecclésiastiques toute puissance
temporelle.
Cette confession de foi ctoil
ALG a53
signée par l'électeur de Saxe et par
le duc de Saxe , par le marquis
de Brandebourg , par deux ducs
de Lunebourg, parle landgrave de
Hesse, par le prince d'Anhall, par
le magistrat de Nuremberg et par
celui dcReutlingue.Nousn'y ferons
que quelques observations.
i.° Il s'en faut beaucoup que
cette pièce vantée par Mosheim
et par les luthériens comme une
merveille , soit un chef-d'œuvre
de théologie ; l'ordre y manque ,
on n'y suit point le fil des matières.
Ce qui regarde les bonnes œuvres,
par exemple , est partagé en deux
ou trois articles; on dit, dans l'un,
qu'elles ne contribuent en rien à
la justification ; dans un autre ,
qu'elles ne sont pas inutiles , et
l'on n'explique point en quoi con-
siste leur utilité. Le cinquième
article décide que les sacrements
donnent le Saint-Esprit , et que
l'opération du Saint-Esprit con-
siste dans la foi seule ; l'on soutient
dans le neuvième qu'il faut néan-
moins baptiser les enfants : mais
de quelle foi les enfants sont-ils
capables ^ Quelle peut être en eux
l'opération du Saint-Esprit ? Il y
auroit bien d'autres contradictions
à remarquer.
2.° Mosheim en impose , quand
il dit que tous les protestants l'a-
doptèrent pour règle de leur foi.
Hist. ecclés. du seizième siècle ,
sect. I , c. 3, § 2 . Les luthériens
mêmes ne la soutinrent pas dans
tous ses points , telle que noua
venons de la rapporter ; mais ils
l'allérèrent et varièrent dans plu-
sieurs , selon les conjonctures et
les nouveaux systèmes que prirent
leurs docteurs sur les différents
points de doctrine qu'ils avoieht
d'abord arrêtés. En effet, elle avoit
été publiée en tant de manières,
et avec des différences si consi-
dérables à"Wurtemberg et ailleurs,
sous les yeuxdeMélanchthon etde
Luther , que quand , en i56i , les
254 AUG
protestantss'assemblèrentaNaum-
bourg, pour en donner une édition
authentique , ils déclarèrent en
même temps que celle qu'ils choi-
sissoient n'improuvoit pas les au-
tres , et particulièrement celle de
Wurtemberg, faite en i54o. Les
sacramentaires croyoicnt même y
trouver tout ce qui les favorisoit.
C'est pourquoi les zwingliens, dit
M. Bossuet, l'appeloient maligne-
ment la boîte de Pandore , d'où
sortoientlebienetlemal;lapomme
de discorde entre les déesses ; un
grand et vaste manteau où Satan
se pouvoit cacher aussi-bien que
Jésus-Christ. Ces équivoques et
ces absurdités, où tout le monde
pensoit trouver son compte, prou-
vent que la confes&ion à'Àugsbourg
étoit une pièce mal conçue , mal
digérée, dont les parties se démen-
toient et ne composoient pas un
système bien uniforme de religion;
Calvin feignoit de la recevoir pour
appuyer son parti naissant , mais
dans le fond il en portoit un juge-
ment peu favorable.
3.0 En même temps que les chefs
du parti luthérien présentoient
cette confession de foi à la diète
à'Augsbourg , quatre villes impé-
riales , Strasbourg , Constance ,
Mémingue , Landaw , qui avoient
embrassé les sentiments deZwingle,
présentèrent aussi la leur, qui avoit
été composée par Martin Bucer ,
et qui fut aussi regardée comme
un prodige de doctrine par le parti
zwinglien ou calviniste. Cela n'em-
pêcha pas Bucer de souscrire la
confession d'^ug'siourg' et la défense
de cette confession; les signatures
ne coûtoient rien aux prétendus
réformateurs , dès que cela leur
étoit utile. Mélanchthon lui-même,
qui , dans la seconde partie de la
confession à.' Augsbourg , corvàdiVa.-
noit si hautement les cérémonies
de l'Eglise romaine, le faisoit contre
son propre sentiment , et unique-
ment pour complaire à Luther. On
AUG
saitâ'ailleurs que Mélanchtaon re-
gardoi t ces cérémonies comme assez
indififérentes , et ne jugeoit pas
que ce fût un sujet légitime de faire
schisme avec l'Eglise catholique ;
Mosheim en convient , ibid. , c. 4>
§ 4 7 note. Ainsi les princes pro-
testants , qui n'étoient certaine-
ment pas théologiens, et qui ne
vouloient avoir aucun respect pour
le pape, juroientdans le fond sur
la parole de Luther. Quoique l'on
ne voulut pas admettre celui-ci à la
diè te ni aux conférences, parce qu'il
étoit trop violent et trop brouillon,
il se tenoit à Cobourg , dans le
voisinage à'Augsbowg, et les pro-
testants ne faisoient rien que par
son inspiration. Mosheim , ibid. ,
c. 3 , § 2 , note du traducteur sur
le § 4- S'il lui avoit plu d'être
sacramen taire ou anabaptiste, tous
les luthériens le seroieut aujour-
d'hui.
4.° Les zwingliens ou calvinis-
tes, \e.s anabaptistes, les sociniens
mêmes, si leur parti avoit déjà été
formé pour lors, n'auroicnt pas eu
moins de droit que les luthériens,
de demander l'exercice libre de
leur religion ; cependant ceux-ci
ne le vouloient pas souffrir où ils
éloientles maîtres : nous voudrions
savoir pourquoi l'empereur et les
princes de l'empire étoiont plus
obligés de permettre l'exercice 1 ibre
du luthéranisme que celui des
autres sectes. Dans le fond, qu'é-
toit-il besoin de confessions de foi?
Leslulhériens auroient du suivre un
procédé plusfrancetplus honnête;
ils dévoient se borner à dire à la
diète : Vous n'avez rien à voir à
nos sentiments ni à notre doctrine,
nous n'en devons compte qu'àDieu
seul ; nous prétendons avoir droit
de le servir selon les lumières de
notre conscience ; bien entendu
que nous accordons le même droit
aux autres. Mais non , les luthé-
riens vouloient être tolérés et in-
tolérants, jouir de la liberté et ne
AUG
l'accorder à [tersoiine , dominer
seuls , chasser et proscrire qui-
conque ne seroit pas luthérien ;
et si on veut les en croire , l'on a
violé toutes les lois divines et hu-
maines, en leur refusant ce qu'ils
demandoient. C'étoit aussi l'esprit
des calvinistes , et de toute autre
secte protestante.
5.° Les luthériens faisoient sem-
blant de désirer un concile géné-
ral ; Mosheim déclame contre
Clément VII, qui sembloit le re-
douter et qui en retardoit la con-
vocation sous différents prétextes ;
mais quand ils virent que Paul III
consentoit à le convoquer , ils
prolestèrent d'avance contre tout
concile qui seroit assemblé par le
pape , surtout en Italie, et ils pré-
tendirent que l'empereur avoit
droit de le convoquer en Alle-
magne , sous prétexte que partout
ailleurs le pape auroit trop d'au-
torité. Mosheim , ibid. , § 8 et 9 ,
notes du traducteur sur les § 6
et g. Mais nous demandons à quel
titre les évêques d'Espagne, d'I-
talie , de France et d'Angleterre ,
pouvoient être obligés de se rendre
à un concile convoqué en Alle-
magne par ordre de l'empereur ,
pendant qu'ils étoient tous per-
suadés que c'étoit au pape de l'in-
diquer et de l'assembler ? Pour-
quoi les souverains catholiques
dévoient plutôt consentir à la te-
nue d'un concile général en Alle-
magne, que les princes allemands
à ce qu'il iùt tenu en Italie ? Pour-
quoi les évêques de ces divers
royaumes pouvoient espérer plus
de' liberté en Allemagne, déchirée
pour lors par des factions , que les
Allemands en Italie où tout étoit
tranquille ? A-t-on quelque preuve
qu'au concile de Trente les évêques
françois, espagnols ou allemands ,
ont été gênés par l'autorité du
pape, qu'ils n'ont pas eu la liberté
des opinions , qu'on les a forcés
de souscrire à quelque décret con-
AUG a55
tre leur propre sentiment ? Il est
donc clair que les luthériens ne
vouloient point de concile, à moins
qu'ils ne fussent assurés d^ être
les maîtres : cela est démontré par
la narration même de Mosheim.
6. Enfin, supposons que le coji-
cile eût été convoqué et assemblé
en Allemagne ; il falloit y appeler
non - seulement les catholiques ,
mais les anabaptistes , les calvi-
nistes et les anglicans : les Grecs
même schismatiques , les nesto-
riens, les jacobites, les arméniens,
n'y avoient pas moins de droit que
toutes ces sectes récentes. Nous ne
demandons pas si les Asiatiques
auroient été fort obéissants aux
ordres d'un empereur d'Allemagne;
mais si les sectes protestantes se
seroient mieux accordées dans un
concile qu'elles- n'ont fait ailleurs.
Les protestants ne cherchent qu'à
faire illusion , lorsqu'ils se plai-
gnent de la manière dont les ca-
tholiques se sont comportés à leur
égard. Bossuet, Hist. des Variât.,
1. 3.
La confession iï'Augsbourg se
trouve dans le recueil imprimé à
Genève en i654 ; mais on ne sait
pas si elle y est telle qu'elle fut
présentée en i53o, puisqu'elle a été
changée plusieurs fois.
AUGtJRE, AUSPICES. Voyez
Divination.
AUGUSTIN (saint), évêque
d'Hippone en Afrique , est le plus
célèbre des docteurs de l'Eglise ;
aucun autre n'a autant écrit. Un
théologien ne peut se dispenser
d'en connoîlre les ouvrages. La
meilleure édition est celle des bé-
nédictins , en onze volumes in-fol.
Le premier contient les deux livres
des Rétractations, les Confessions,
quelques ouvrages philosophiques,
et plusieurs Traités contre les ma-
nichéens. Le deuxième, les Lettres
de saint Augustin. Le troisième ,
aS6 AUG
des Commentaires sur différentes
parties de Tancieu et du nouveau
Testament. Le quatrième , des
Discours sur les psaumes. Le cin-
quième , les Sermons. Le sixième ,
différents Traités sur le dogme et
»ur la morale. Le septième , d'au-
,tres ouvrages semblables, et les
vingt-deux livres de la Cité de Dieu.
Le huitième, plusieurs écrits con-
tre les manichéens et les ariens,
et quinze livres sur la Trinité. Le
neuvième , les ouvrages contre les
donatistes. Le dixième, ce qu'il a
écrit contre les pélagiens. Le on-
zième renferme la vie de saint Au-
gustin , et des tables très-amples,
il faut y ajouter pour douzième
volume TAppendix fait par le
Clerc.
Aucun des Pères n'a reçu de
plus grands éloges, n'a essuyé des
censures plus amères , n'a donné
lieu à de plus vives contestations.
Les théologiens catholiques le re-
gardent comme l'oracle de l'Eglise
et le vainqueur de trois sectes
d'hérétiques ; comme un génie su-
périeur auquel Dieu avoit donné
des lumières extraordinaires pour
expliquer l'Ecriture sainte , surtout
les écrits de saint Paul ; comme un
maître duquel on ne peut rejeter
les opinions sans se rendre suspect
d'erreur. Les hétérodoxes , surtout
les sociniens , soutiennent que c'est
le plus ignorant de tous les com-
mentateurs , qu'il ne savoit ni l'hé-
breu ni le grec , n'avoit aucune des
connoissances nécessaires pour en-
tendre les livres saints ; un enthou-
siaste et un sophiste , toujours prêt
à éTiger ses opinions en articles de
foi, et à persécuter ceux qu'il lui
plaisoit de nommer hérétiques :
c'est ainsi à peu près qu'il est re-
présenté par le Clerc.
Saint Augustin a eu parmi les
modernes de savants apologistes :
le cardinal Noris , le célèbre Mu-
ratori , le marquis Scipion Maffei ,
M. Bossuet , J)éfense de la irad. et
AIlG
des saints Pères , etc. Sans déroger
au mérite de leurs ouvrages, et
sans les contredire en rien, nous
nous permettrons quelques ré-
flexions.
I .» Le meilleur moyen de réduire
au silence les ennemis de saint
Augustin et de l'Eglise , n'est pas
d'attribuer à ce Père une espèce
d'infaillibilité à laquelle il étoit
bien éloigné de prétendre; souvent
il a désapprouvé sur ce point le
zèle trop ardent de ses amis « Si
» vous prétendez , leur dit-il , que
» je ne me suis trompé dans aucun
» endroit de mes ouvrages , vous
') travaillez en vain , vous défendez
» une mauvaise cause , vous la
» perdrez à mon propre tribunal.
» Je n'exige point que l'on em-
» brasse toutes mes opinions , ni
» que personne me suive , sinon
» dans les choses sur lesquelles il
» verra que je ne suis point dans
» l'erreur. C'est pour cela même
» que je fais des livres , dans les-
» quels j'ai résolu de revoir mes
» ouvrages , afin de montrer que '
» je ne me suis pas suivi moi-même
» en toutes choses. Et quoique,
» par la miséricorde de Dieu , je
» crois avoir fait des progrès , je
» n'ai pas la vanité de penser qu'à
» mon âge même je sois à cou—
)> vert de tout danger de faillir. »
Epist. 143 , n. 2 ; Episl. 44^ , n. 8 ;
De dono perseo. , c. 21 , n. 55 ; De
anima et ejus orig. , 1. 4 > c- i > n. i ;
Retract. 1. 1 ; Prolog. , n. 2 , etc.
2.** Puisque saint Augustin lui-
même en appelle à la tradition,
c'est suivre la règle qu'il trace que
d'examiner si tous les sentiments
qui sont dans ses ouvrages sont
d'accord avec la doctrine des Pères
qui l'ont précédé. On ne peut être
obligé de les suivre qu'autant que
l'on y reconnoîtroit une tradition
constante qui remonteroit jus-
qu'auxsièclesapôstoîiaues. Ce saint
docteur n'a jamais cru qu'il diit
seul former le langage de la foi ; el
MÎG
(pielquc rcspoclablc que soil son
autorité , clic n'ciripechc [las d'exa-
miner différcnls points sur Ics-
<}uels l'Eglise n'a rien décidé.
3.° L'an ^'ii , le pape saint Cé-
Icstin , écrivant aux évequcs des
<.iaules , après avoir reconnu le mé-
rite de saint Augustin , les services
qu'il a rendus à l'Eglise , et l'ortho-
doxie de sa doctrine , après avoir
fixé le dogme catholique contre les
pélagiens , ajoute : « Quant aux
)» questions plus difficiles et plus
» profondes , qui ont été traitées
» plus au long par ceux qui ont ré-
» îuté les hérétiques , nous n'osons
» pas les mépriser ; mais nous ne
u croyons pas qu'il soit nécessaire
»> de les établir. En effet, pour con-
» fesser la grâce de Dieu , au mé-
w rite et à l'intluence de laquelle il
» ne faut rien ôter, il nous paroît
» suffire de tenir ce que nous ont
»> enseigné les écrits du siège apo-
>» stolique selon lesrègles dont nous
» venons de parler, et de ne point
» regarder comme catholique tout
» ce qui paroît contraire à ces dc-
» cisions. »
Or, dans la doctrine prescrite
par ce pontife, il n'est question ni
de la prédestination gratuite à la
{gloire éternelle, ni de la distribu-
tion plus ou moins abondante de
!a grâce , ni de la nature de la grâce
efficace, ni delà manière de la con-
cilier avec la liberté, ni du sup-
plice éternel réservé au péché ori-
fçinel ; donc toutes ces questions
sont du nombre de celles que saint
Célestin n'a pas jugées nécessaires
à établir , qui par conséquent ne
tiennent pointa la foi catholique.
4.° C'est un trait de prévention
denevouloir puiser les sentiments
de saint Augustin sur la grâce que
dans ses ouvrages contre les péla-
giens ; par-là on donne lieu de pen-
.ser qu'il y a contredit ce qu'il avoil
écrit contre les manichéens, qu'il
a mal réfuté ces derniers , qu'il a
trahi la cause do la religion ; autant
1.
AUG 2^7
de suppositions injurieuses et faus-
ses. On dit que l'Eglise a solennel-
lement approuvé tout ce que le
saint docteur a écrit contre les pé-
lagiens ; mais elle n'a pas réprouve
ce qu'il a écrit contre les mani-
chéens et contre les donatistes ,
ses Commentaires sur l'Ecriture
sainte , ses Lettres , ses Sermons ,
ses ouvrages de morale et de piété ;
dans ceux - ci , saint Augustin ne
disputoit pas , il inslruisoit. On
ajoute qu'il n'a rien rétracté de ce
qu'il a enseigné contre les pélagiens:
je le crois ; il écrivoit encore con-
tre eux lorsqu'il est mort, et son
dernier ouvrageestresté imparfait:
si par-là on veut insinuer qu'il a
rétracté ce qu'il avoit dit contre
les manichéens, on nous en impose;
en 420 ou 4^1 , après dix ans de
disputes contre les pélagiens , il
réfute un manichéen. L. contra ad-
vers. legis ctpraph. Loin de déroger
a ses premiers ouvrages , il y ren-
voie ; il ncn désavoue donc pas la
doctrine. Pour prendre ses vrais
sentiments, il faut le comparer avec
lui-même, et voir comment on
peut le concilier.
5." Les pélagiens ont été con-
damnés par l'Eglise grecque et la-
tine au concile d'Ephese. Les Grecs
n'ont donc pas adopté les erreurs
de ces hérétiques, et l'Eglise grec-
que a fait partie de l'Eglise uni-
verselle jusqu'au neuvième siècle.
Dans cet intervalle ont vécu saint
Cyrille d'Alexandrie, Théodoret,
saint Isidore de Damietle , saint
Proclus de Constantinople , saint
Ephrem , saint Maxime , saint
Pierre Chrysologue , saint Jean
Damascène, etc. Ces Pères ont-ils
embrasse toutes les opinions de
saint Augustin , toutes ses explica-
tions de l'Ecriture , que l'on vou-
droit faire passer pour des articles
de foi.
6." Aux yeux des hommes In-
struits , un zèle excessif pour les
[opinions de saint Auguitm prul
aSÔ AUG
paroitre suspect. Avec quelques
passages cent lois répétés , cl qui
se trouvent partout , on se donne
à peu de Irais le relief de l'ortho-
doxie ; on se trouve dispense de
consulter l'Ecriture sainte dans ses
sources, de rechercher la tradition
des quatre premiers siècles , de
respecter les anciens Pères , de gar-
der aucun ménagement envers les
théologiens modérés , même de rai-
sonner conséquemment.
Il nous reste à défendre saint
Augustin contre les calomnies des
hérétiques et des incrédules.
Us l'accusent, i.° d'avoir tou-
jours raisonné en parfait matéria-
liste sur la nature des substances
spirituelles. Cependant nous trou-
vons dans ses livres sur la Trinité ,
liv. lo , c. lo , une démonstration
de la spiritualité de l'àme , à la-
quelle les matérialistes n'ont jamais
répondu ; elle est tirée du senti-
ment intérieur. Je sens ma propre
existence, dit saint Augustin , et je
me sens distingué de tout être qui
n'est pas moi : or, je ne sens ni
l'existence , ni la structure , ni le
jeu de mon cerveau , ni d'aucune
partie intérieure de mon corps ;
donc chacune de ces parties , et
toutes prises ensemble , ne sont
pas moi : ce que j'appelle ttîoi, ou
mon âme , est quelque chose de
plus.>5'at/?/^ug'ws/«>? a certainemejit
cru et prouvé la création , prise en
rigueur; un être corporel ou ma-
tériel peut-il être créateur ? Voyez
Immatérialisme.
2.° D'avoir rejeté la liberté d'in-
diÉFérence , d'avoir admis dans la
volonté , mue par la grâce , la même
nécessité d'agir que Calvin et Jan-
sénius. Fausseté criante. La vérité
est que saint Augustin a rejeté seu-
lement ^indifférence soutenue par
les pélagiens , c'est-à-dire , le pen-
chant égal au bien et au mal , la
même facili^^é de faire l'un que
l'autre , l'équilibre de la volonté
entre l'un et l'autre ; c'est en <:ela
AUG
que les pélagiens faisoient consister
la liberté. Voyez Op. iniperf., lib. 3.
n. 109, 117 , etc. Saint Augustin
soutient avec raison que l'homme,
corrompu par le péché originel ,
n'a plus celte heureuse indiffé-
rence , qu'il est plus porté au mal
qu'au bien , qu'il a besoin d^une
grâce qui rétablisse en lui le libre
arbitre , en lui rendant le pouvoir
de choisir le bien. Il a fallu toute
la prévention de Calvin et de Jan-
sénius , pour soutenir qu'une grâce
qui rétablit la liberté impose la né-
cessité de faire le bien.
3." D'avoir été aussi grand pré-
destinateur que Calvin. Nous fe-
rons voir à l'art. Prédest/nation la
différence qu'il y a entre le système
de Calvin et celui de saint Augus-
tin. Il suffit d'observer ici que , par
prédestination des saints, ce Père a
entendu la prédeslinalion des fidè-
les à la grâce de la foi ; et nous le
prouverons par l'analyse du livre
qu'il a fait sous ce titre.
4.° On lui reproche d'avoir en-
seigné une morale pernicieuse, en
soutenant que Sara , épouse d'A-
braham , a pu permettre à ce pa-
triarche de prendre Agar pour con-
cubine , et en posant pour maxime
que tout appartient aux justes. A
l'article Polygamie, nous prouve-
rons que cet abus n'étoit pas dé-
fendu aux patriarches par le droit
naturel ; qu'Agar étoit une seconde
épouse , et non une concubine.
L'abus d'un terme n'est pas un titre
légitime pour condamner les Pères
de l'Eglise.
Loin d'approuver la maxime :
tout appartient aux justes , saint
Augustin a blâmé et condamné ceux
qui, sous ce prétexte, s'emparoient
des biens des donatistes.
5.° L'on dit qu'après avoir pres-
crit la tolérance en faveur des ma-
nichéens, il a prêché la persécution
et la violence contre les donatistes.
Oui, contre les donatistes séditieux
armés , sanguinaires , qui , par
ALG
leurs circoiic.ollionSjrcniplissoiont
l'Afrique de tlésordrcs et <lc car-
iia{;e ; mais saint Augustin n'a pas
dit qu'il falloit employer contre
eux la violence lorsqu'ils étoient
paisibles : il a enseigné et fait le
contraire, et il a eu la consolation
de les voir réunis à l'Eglise.
Barbey rac prétend que ce saint
docteur a approuvé la peine de
mort portée par les empereurs
contre les païens. Il falloit dire au
moins contre les sacrifices des païens.
Le passage de saint Augustin est
formel. Epist. gS , ad Vincent. lio-
gatistam , n. lo. On pouvoit être
païen sans offrir des sacrifices , et
nous ne voyons pas en quoi il im-
portoit à la chose publique qu'un
usage aussi absurde , et souvent
accompagné de crimes , fiit con-
servé.
6.° L'on prétend qu'il a été pé-
lagien en écrivant contre les ma-
nichéens , et qu'il est redevenu
manichéen en disputant contre les
pélagiens. C'est une calomnie , et
saint Augustin s'en est justifié lui-
même dans ses livres des Rétrac-
tations et ailleurs. Mais pour com-
parer dix volumes in-folio , pour
saisir les vrais sentiments de ce
saint docteur, pour distinguer les
arguments absolus d'avec les argu-
ments personnels qu'il tire des
principes de ses adversaires , il
faut plus de sagacité, de patience,
de droiture , que n'en ont eu les
censeurs de ce Père. Les accusa-
tions que nous venons de voir ont
clé tirées des sociniens et des armi-
niens leurs amis , de Bayle , de le-
Clerc , de Barbeyrac ; les savants
Muratori et Maffei , et plusieurs
théologiens , les ont réfutées sans
réplique. Nous en réfuterons nous-
mêmes un assez grand nombre dans
les divers articles de ce Diction-
naire. Voyez Larnindus Pritanius ,
de ingeniorum moderatiane in reli-
ginnis negotio, e.lllis/or. Tlieol. dog-
tnulum et opin . , de dii>intî gruiiii, ctc .
AIG 259
Boausohre , dans son Histoin-
du Manichéisme , accuse souvent
saint Augustin de ne pas rapporter
fidèlement les opinions «les mani-
chéens; d'attribuer à ces hérétiques
des erreurs qu'ils n'ont pas sou-
tenues , et de les réfuter par de
mauvaises raisons. Ce reproche-
supposé que tous les docteurs ma-
nichéens avoient les mêmes opi-
nions , et que tous suivoient la
doctrine de Manès : faux préjugé ,
qui ne s'est vérifié à l'égard d'au-
cune secte hérétique, et qui n'aura
jamais une ombre de vraisem-
blance , puisque tout hérétique
prétend être arbitre de sa croyance,
et n'être assujéti aux leçons d'au-
cun maître. Croirons-nous que
saint Augustin n'a pas su mieux
connoître les vrais sentiments de
Fauste, d'Adimante, de Félix , de
Sécondinus, etc. , avec lesquels il
avoit disputé de vive voix , que
Beausobre, qui prétend les deviner
par des conjectures et des proba-
bilités?
Quant aux réponses etaux argu-
ments de ce saint docteur , nous
verrons à l'article MANicnÉiSME ,
qu'il a réfuté victorieusement le
principe fondamental de cette hé-
résie , et qu'il a résolu solidement
la difficulté tirée de l'origine du
mal. Ce point décisif une fois ob-
tenu , tout le reste du système de
Manès tomboit par terre ; mai-;
Beausobre n'a pas daigné faire cette
observation, qui étoit cependant la
première chose à examiner pour
nous faire un tableau fidèle de la
dispute.
Les ennemis de ce saint docleiu"
ne se sont pas bornés à calomnier
sa doctrine ; ils ont encore voulu
rendre suspectes ses vertus , ses
actions les plus louables, la confes-
sion mêmequ'il a faite de ses fautes,
le Clerc prétend que saint Augustin
a écrit ses confessions, plutôt pour
fermer la bouche à ses détracteurs
que pour s'humilier de ses foi-
aCo AUG
blesses , et que cVsl une espèce
d'apologie fort adroite. Saint Au-
gustin, dil-il, y avoue les désordres
de sa vie qu'il ne pouvoit pas ca-
cher ; il supprime ou excuse le
reste , et ne néglige aucune occa-
sion de se faire valoir ; il lui a fallu
une forte dose d'araour-propre
pour parler si long-temps de soi ,
et pour entretenir ses lecteurs de
choses qui dévoient leur être fort
indifférentes ; il s'adresse à Dieu ,
pour ne les occuper que de lui-
même ; s'il eût voulu simplement
les édifier, il n'étoit pas moins né-
cessaire d'avouer les fautes qu'il
avoit faites depuis son baptême ,
que celles qui l'avoient précédé.
Des ennemis jaloux pouvoicnt
dire que saint Augustin n'avoit
pas fait un grand sacrifice , en re-
nonçant à la profession de rhéteur
et d'orateur profane, pour exercer
-SOU talent sur un théâtre plus bril-
lant , dans l'Eglise même , où il
étoit sûr de Jouer un rôle plus ho-
norable etplus avantageux; que par
une pauvreté apparente, il avoit
acquis le droit de subsister aux
dépens des riches, même la faculté
d'assister les pauvres ; qu'en pa-
roissant renoncer à tout, il étoit
parvenu à dominer sur tout un
peuple au nom deDieu, à se rendre
chef de parti, à pouvoir excommu-
nier, condamner et proscrire ceux
qui lui déplaisoient. Les vraies
fautes , continue le Clerc , dont
Augustin avoit à se repentir, étoient
d'avoir voulu se mêler d'expliquer
l'Ecriture sainte , après en avoir
fait une simple lecture, sans avoir
appris le grec ni l'hébreu , sans
avoir acquis aucune des connois-
sances nécessaires ; c'étoit d'avoir
été ordonné prêtre et évêque contre
les canons du concile de Nicée ,
qui défendoient à un évêque de se
donner un successeur de son
vivant ; c'étoit enfin d'être parvenu
au plus haut degré de gloire, d'au-
torité et de pouvoir en faisant
AUG
semblant de renoncer au monde,
aux richesses , aux honneurs 5 arti-
fice qui a été employé dans la suite
par tant de gens , et toujours avec
le même succès.
Quelque indécente que soit cette
satire de le Clerc , nous n'avons
pas craint de la copier , afin di;
montrer jusqu'où les protestants
ont poussé la malignité contre les
Pères de l'Eglise. Avant de hasarder
une pareille censure, il auroit fallu
être certain de plusieurs faits des-
quels le Clerc ne pouvoit avoir
aucune preuve, et que l'on recon-
noît être faux , pour peu que l'on
consulte l'histoire.
i.°Le Clerc suppose que quand
saint Augustin a écrit ses confes-
sions , il a eu intention de les pu-
blier , et que , par uri esprit pro-
phétique , il a prévu qu'il auroit
besoin de cette apologie adroite
pour fermer la bouche à ses dé-
tracteurs ; que son dessein étoit
d'occuper de lui-même ses lec-
teurs, et non de s'exciter à la re-
connoissance envers Dieu , par le
souvenir des fautes que Dieu lui
avoit remises par le baptême. Mais
il paroît certain que cet ouvrage a
été fait vers l'an 4oo, peu de temps
après la promotion de saint Augus-
tin à l'épiscopat; et alors nous ne
voyons pas qu'il ait eu des détrac-
teurs, ni des accusations à repous-
ser. La manière dont il en parle ,
en les envoyant à un ami qui les
lui avoit demandées , Epist. 265 ,
marque la plus parfaite candeur,
et nous ne croyons pas lui faire
grâce en disant qu'il étoit d'un
caractère trop vif pour être hypo-
crite. S'il ne parle pas des fautes
qu'il avoit commises depuis son
baptême, c'est qu'elles dévoient être
la matière d'une confession sacra-
mentelle, et non d'une déclaration
publique ; celle-ci ne convenoit
plus à un évêque , obligé de faire
respecter son caractère.
2." La plupart des fautes dont
AUG
s«jVj/ Augustin s'accuse, n'avoienl
pas clé assez publiques pour venir
à la connoissauce de ses ennemis,
cl les étourderies de jeunesse qu'il
se reproche, n'étoient pas de na-
ture à le déshonorer : où étoit donc
la nécessité d'en faire une apologie
adroite ? Quel avantage saint Au-
gustin pouvoil-il tirer de là pour sa
réputation? Les Africains, charmés
de ses talents, ne pensoient guère
à aller rechercher ce qu'il avoit fait
en Italie.
3.° Qui a révélé à le Clerc que
quand ce saint docteur quitta la
profession de rhéteur , après son
baptême, et retourna en Afrique,
1 ! avoit déjà le dessein et l'espérance
d'être promu aux ordres sacrés ;
que quand il se retira dans la soli-
tude , il savoit qu'on l'en tîreroit
bientôt pour l'élever au sacerdoce
et à l'épiscopat ; que quand il op-
posa de la résistance à son cvêque
qui vouloit l'ordonner, elle ne fut
pas sincère ? Si en cela l'évêque
Valère pécha contre les canons du
concile de Nicée, la faute ne peut
pas en être attribuée à saint Au-
g^iis/m/c'étoit au primat de Carthage
et aux autres évêques d'Afrique de
s'en plaindre , et nous ne voyons
pas qu'aucun ait réclamé : ils ju-
gèrent sans doute que ces canons
n'étoient pas indispensables.
4.° Si , en entreprenant d'expli-
quer l'Ecriture sainte , saint Au-
gustin avoit eu le même dessein
que le Clerc , qui étoit de faire
parade d'érudition , et de se mon-
trer plus habile que les autres
coinmentateurs,ilauroit eu besoin,
sans doute , de grec , d'hébreu ,
d'histoire, de géographie, etc. ; s'il
a seulement voulu en tirer des
leçons morales pour lui et pour
les autres, tout cet appareil ne lui
étoit pas nécessaire. Mais voilà
l'entêtement des protestants; ils in-
terprètent l'Ecriture sainte comme
on explique Homère ou Hérodote;
cl parce que les Pères de l'Eglise
AUG »6i
y ont cherché de quoi nourrir la
piété et non la curiosité , cela dé-
plaît aux protestants.
5.° Le Clerc a su encore, par
révélation sans doute , que quand
saint Augustin a écrit contre les
manichéens, contre les donatistes,
contre les pélagiens , contre les
ariens, contre les priscillianistes ,
il l'a fait par humeur, par l'envie
de contredire et de disputer, et non
par zèle pour la pureté de la foi et
pour le salut de son troupeau. Ce-
pendant d'autres protestants ont
remarqué qu'il a traité les héré-
tiques avec plus de modération
que saint Jérôme, qui étoit cepen-
dant plus vieux que lui. Mais son
grand crime a été de subjuguer les
esprits, de gagner la confiance, de
se faire admirer par la supériorité
de ses talents et par l'ascendant de
ses vertus. Heureux ceux à qui Dieu
a donné assez de mérite pour s'at-
tirer de pareils reproches ! Il a été
le fléau des héré tiques de son temps;
il doit donc être censuré par les
hérétiques de tous les siècles.
Un autre critique encore plus
téméraire a prétendu que saint Au-
gustin se reconnoissoit lui-même
sujet aux excès du vin , parce qu'il
dit dans ses confessions, l.io, c.3i,
n. 4? : " Jp suis bien éloigné de
» m'enivrer; cependant la crapule
» me survient quelquefois. » Cet
habile homme n'a pas su que cra-
pula signifie seulement la douleur
de tête qui provient du vin mal
digéré ; l'homme le plus sobre peut
y être sujet par foiblessed'cstomar,
maladie que produit assez ordinai-
rement le travail d'esprit continué
trop long-temps. 11 est fort sin-
gulier que des écrivains du dix-
septième ou du dix-huitième siècle
se soient flattés de détruire une
réputation de talents et de vertus
établies depuis douze cents ans;
on ne doit pas être étonné de la
fureur avec laquelle ils déchirent
les vivants, puif^qu'iis n'épargnent
262 AUG
pas même les morts ni les saints.
Augustin , titre que Corneille
Jansénius, évêque d' Ypres, a donné
à un ouvrage qu'il a compose sur
la grâce , parce qu'il prétendoit y
soutenir le vrai sentiment de saint
Augustin , et y donner la clef des
endroits les plus difficiles de ce
Père sur cette matière.
Ce livre, qui a causé des disputes
si vives , et qui a donné naissance
à l'hérésie nommée le Jansénisme ,
ne parut qu'après la mort de son
auteur, et fut imprimé pour la pre-
mière fois à Louvain , en i64o,
in-folio. Il est divisé en trois par-
ties. La première contient huit
livres sur l'hérésie des péiagiens.
La seconde en renferme neuf, un
sur l'usage de la raison et de l'au-
torité en matière théologique, un
sur la grâce du premier homme
et des anges , quatre de l'état de
nature tombée , trois de l'état de
pure nature. La troisième partie
est subdivisée en deux : l'une con-
tient un traité de la grâce de Jésus-
Christ , en dix livres ; l'autre est
un parallèle entre l'erreur des serai-
pélagiens et l'opinion de quelques
modernes, c'est-à-dire des théolo-
giens qui admettent la grâce suffi-
sante
C'est de cet ouvrage qu'ont été
extraites les cinq fameuses propo-
sitions qui en contiennent toute la
substance, et qui ont été condam-
nées par plusieurs souverains pon-
tifes. A l'article Jansénisme, nous
en traiterons avec plus d'étendue.
AUGUSTINIANISME, AU-
GUSTmiENS. Dans les écoles, on
donne ce dernier nom aux théo-
logiens qui soutiennentquelagrâce
est efficace par sa nature absolu-
ment , sans aucune relation aux
circonstances ni aux degrés de
force , et qui prétendent fonder
cette opinion sur l'autorité de saint
Augustin.
Leur système se réduit principa-
AUG
lementaux points suivants, i ."Que,
pour faire des œuvres méritoires et
utiles au salut, les créatures libres,
en quelque état qu'on les suppose,
ont besoin du secours intérieur et
surnaturel de la grâce. C'est un
dogme de foi décidé contre les pé-
iagiens.
2.° Que , dans l'état de nature
innocente , cette grâce n'a pas été
efficace par elle-même et par sa na-
ture, comme elle l'est à présent ,
mais versatile , c'est ce qu'ils ap-
pellent adj'utorium sine quo.
3.° Que, dans ce même état de
nature innocente, il n'y a point eu
de décrets absolus , efficaces , anté-
cédents au consentement prévu de
la créature ; par conséquent nulle
prédestination à la gloire avant la
prévision des mérites, nulle ré-
probation qui ne supposât la pré-
vision des démérites.
4-° Que , dans l'état de nature
tombée ou corrompuepar le péché,
la grâce efficace par elte-meme est
nécessaire pour toutes les actions
surnaturelles ; et ils appellent cette
grâce adj'utorium. quo.
S.° Ils fondent la nécessité de
cette grâce, non sur la subordina-
tion et la dépendance dans laquelle
la créature est à l'égard du Créateur,
comme le veulent les thomistes ,
mais sur la foiblesse de la volonté
humaine considérée après la chute
d'Adam.
6.° Ils font consister la nature
de cette grâce efficace dans une dé-
lectation ou suavité victorieuse ,
non par degrés et relativement
comme l'admettent les jansénistes,
mais simplement et absolument,
par laquelle Dieu incline la vo-
lonté au bien , sans toutefois bles-
ser sa liberté. Ils disent, après saint
Augustin, que Dieu a une infinité
de moyens inconnus ot inconce-
vables à l'homme pour déterminer
absolument sa volonté : Deus miris
ineffabilibusque modis homines ad se
vocal ci trahit. L. i ad Simplic
AlIG
y.^Oulrc la grâce efficace, les
uugustiniens en adinetlent une autre
qu'ils nomment suffisante, grâce
réelle qui donne à la volonté assez
de force pour pouvoir , soitmédia-
li'menl , soit immédiatement, pro-
duire des œuvres surnaturelles et
méritoires, mais qui cependant n'a
jamais son effet sans le secours
d'une grâce efficace.
8." Selon ces théologiens, lors-
que Dieu appelle efficacement quel-
qu'un , et veut lui faire pratiquer
le bien , il lui donne une grâce effi-
cace, qui a toujours son effet; aux
autres , il accorde seulement une
grâce suffisante pour accomplir ses
commandements , ou au moins
pour demander et obtenir des grâ-
ces plus fortes qui leur fassent
remplir leur devoir. Il est un peu
difficile de concevoir en quel sens
est suffisante une grâce qui n'est
pas par sa nature adjutorium quo;
encore plus difficile de compren-
dre comment la volonté privée de
V adjutorium quo a un pouvoir réel
de faire le bien.
9.0 Ils soutiennent que , quant
à l'état de nature tombée , il faut
admettre des décrets absolus et ef-
ficaces par eux - mêmes pour les
œuvres qui sont dans l'ordre sur-
naturel, et que la prescience de ces
mêmes œuvres est fondée sur ces
décrets absolus et efficaces.
io.° Que la prédestination, soit
à la grâce, soit à la gloire, est ab-
solument gratuite; que la répro-
bation positive se fait en consé-
quence de la prévision des péchés
actuels, et la réprobation négative
a cause du seul péché originel.
Ajoutons que , dans ce système ,
le salut éternel n'est accordé qu'à
lin très-petit nombre de prédes-
linés , qui y sont conduits par une
euite de grâces efficaces.
On divise les augusiinîens en
rigides et en relâchés. Les rigides
sont ceux qui soutiennent tous les
points que nous venons d'exposer ;
AUG 2f,3
les relâches sont ceux qui <Ustin-
guent des œuvres surnaturelles fa-
ciles, et des œuvres difficiles, qui
n'exigent une grâce efficace par
elle-même que pour ces dernières,
et soutiennent que pour les autres,
telle que la prière par laquelle on
obtient des secours plus forts et
plus abondants , la grâce suffisante
a souvent son effet sans autre se-
cours. C'étoit le sentiment du car-
dinal Noris , du Père Thomassin,
et selon M. Habert , évêque de
Vabres , celui que de son temps
l'on suivoit communément en Sor-
bonne. Tournély , Tract, de Grat..
part. 2 , q. 5 , § 2. Nous ne voyons
pas pourquoi une grâce suffisante,
avec laquelle on fait une bonne
œuvre facile , n'est pas appelée
pour lors une grâce efficace , ou
adjutorium quo.
Bornons-nous à remarquer qu'à
la réserve du premier point, dé-
cidé par l'Eglise contre les péla-
giens et les semi-pélagiens , tout le
reste est pure opinion. En lisant
saint Augustin avec toute l'atten-
tion dont nous sommes capables,
nous avons vu qu'il appelle adju-
torium quo le don de la persévé-
rance finale qui renferme la mort
en état de grâce ; mais nous n'a-
vons trouvé nulle part que saint
Augustin donne ce nom à la grâce
actuelle , nécessaire pour toute
bonne <Euvre surnaturelle et mé-
ritoire. C'est cependant sur cette
supposition fausse que porte tou*
le système qu'on lui prête. La dis-
tinction entre adjutorium sine quo
et adjutorium quo, ne se trouve que
dans le livre ide Corrcpt. et Grat ,
c. 12 , n. 34 ; et il est question là
de la persévérance finale , et non
d'aucune autre grâce.
Mais un inconvénient qui mé-
rite la plus grande attention, c'est
qu'on ne peut pas concilier la plu-
part des pièces de ce système, sur-
tout la réprobation négative du
très-grand nombre des hommes A
264 AUG
cause du péché originel , avec la
volonté de Dieu de sauver tous les
hommes, clairement énoncée dans
l'Ecriture sainte , et avec la ré-
demption de tous les hommes par
Jésus-Christ : deux vérités que
saintAugustin a soutenues de toutes
ses forces, aussi-bien que les autres
Pères.
Pour être sûr que l'on suit ses
véritables sentiments , ce n'est pas
assez de rechercher ce qu'il a écrit
dans ses livres contre les pélagiens;
il faut encore concilier ce qu'il y
a dit avec ce qu'il a enseigné dans
ses commentaires sur l'Ecriture
sainte et dans ses sermons , pour
exciter les fidèles à la confiance en
Dieu , à la reconnoissance envers
Jésus-Christ , à une ferme espé-
rance du salut éternel. Si un sys-
tème théologique n'est pas utile
pour animer la foi , pour affermir
l'espérance , exciter l'amour de
Dieu , pour calmer les craintes et
augmenter le courage des âmes
trop timides , de quoi sert-il ?
lîy a néanmoins une distinction
essentielle à mettre entre les augus-
iiniens catholiques , dont nous ve-
nons de parler , dont le système ne
renferme rien de contraire à la foi ,
et les faux aususiiniens. Ces der-
niers sont ceux qui soutiennent les
opinions que Baïus , Jansénius ,
Quesnel et d'autres ont osé attri-
buer à saint Augustin : opinions
que le saint docteur n'eut jamais,
et dont il auroit eu horreur si on
les lui avoit proposées. Au mot
Jansénisme , nous ferons voir qu'il
a professé formellement les vérités
diamétralement opposées aux er-
reurs que Jansénius a prétendu
tirer de ses écrits.
AuGUSTiNiENS , hérétiques du
seiziènïe siècle , disciples d'un sa-
cramen taire appelé Augustin, qui
soutenoit que le ciel ne seroit ou-
vert à personne avant le jour du
jugement dernier. C'est l'erreur des
Grecs , qui fut condamnée dans les j
AUM
conciles de Lyon et de Florence,
et à laquelle ils firent profession
de renoncer, lorsqu'ils feignirent
de se réunir à l'Eglise romaine.
AUGUSTLNS, religieux qui re-
connoissent saint Augustin pour
leur maître et leur instituteur, et
qui professent une règle qui lui
est attribuée.
AULIQUE, nom d'un acte on
d'une thèse que soutient un jeune
théologien dans quelques univer-
sités , et particulièrement dans
celle de Paris , le jour qu'unlicen-
cié reçoit le bonnet de docteur ,
et à laquelle préside ce même li-
cencié immédiatement après la ré-
ception du bonnet.
Le nom de cette thèse vient du
mot aula, salle , parce qu'elle se
passe dans une salie de l'univer-
sité, et à Paris dans une salle de
l'archevêché. Voyez Degré, Doc-
TEOR, etc.
AUMONE , don fait aux pau-
vres par motif de charité et pour
les soulager. Elle est souvent com-
mandée dans l'Ecriture sainte ; il
étoit spécialement ordonné aux
Juifs d'assister les pauvres , les
veuves, les orphelins, les étran-
gers. Veut.jC. i5,^.ii,-iicc/.,c. 4 ,
y . I , etc. Les maximes de charité
que Jésus - Christ répète conti-
nuellement dans l'Evangile , ont
encore mieux fait sentir la néces-
sité de ce devoir. Il semble faire
dépendre notre salut éternel du
plus ou moins d'actions charita-
bles que nousauronsfaites.i):Za/M.,
c. aS, y. 34. L'ordre des diacres
a été institué pour prendre soin
des pauvres. Act, , c. 6. T-a fer-
veur de l'Eglise primitive engagea
les fidèles à vendre leurs biens, à
en déposer le prix aux pieds des
apôtres , pour subvenir aux be-
soins des indigents.
Saint Paul écrivant aux Corin-
AIJIVI
Ihlens , leur recommande do fairp:
des collectes ou des quêtes tous les
dimanches , pour assister les pau-
vres , comme il l'avoit prescrit aux
Efîlises de Galatic. Saint Justin ,
Apol. 2 , nous apprend que tous
les luléles de la ville et de la cam-
pagne s'assembloient le dimanche
pour assister à la célébration des
saints mystères; qu'après la prière,
chacun faisoit son «uwiô/7e , selon
son zèle et ses facultés; qu'on en
remetloit l'argent à celui qui pré-
oidoit, c'est-à-dire, à l'évèque ,
pour le distribuer aux pauvres ,
aux veuves, etc. Cet usage s'ob-
servoit du temps de saint Jérôme,
et il est encore pratiqué dans les
paroisses; à la messe du diman-
che on quête pour les pauvres.
M. de Tillemont , fondé sur un
passage du code ihéodosien , ob-
serve qu'au quatrième siècle il y
avoit des femmes pieuses qui s'oc-
cupoient à recueillir des aumônes
pour les prisonniers ; on conjec-
ture que c'ctoient les diaco-
nesses.
La charité envers les malheiz-
reux fut le caractère distinctif des
premiers chrétiens : plusieurs la
poussèrent jusqu'à se rendre es-
claves, et à nourrir les pauvres
du prix de leur liberté. Saint Clé-
ment, Epist. I, n. 65. Us assis-
I oient les païens aussi- bien que
lea fidèles : Julien leur rend cette
justice ; il écrit à un pontife du
j)aganisme , Epist. 62 : « Il est
1» honteux que les Galiléensnour-
» rissent leurs pauvres et les nô-
>» très. » Aucune religion n'a in-
spiré aux hommes une charité aussi
industrieuse, n'a suggéré autant
d'établissements divers pour sou-
lager les dififérents besoins de l'hu-
manité.
Dans l'origine, les ministres de
l'Eglîse ne subsistoient que d'au-
moncs. Les oblations des fidèles se
«livisoient en trois parts, l'une
pour les pauvres, la seconde pour
AUM 26!i
l'entretien des églises et le service
divin, la troisième pour le clergé.
Saint Clirodegand, évêque de Metv:
au huitième siècle , dans la règle
qu'il prescrit aux chanoines régu-
liers , veut qu'un prêtre à qui l'on
donne quelque chose pour célébrer
la messe , pour administrer les
sacrements , pour chanter des
psaumes et des hymnes, ne le
reçoive qu'à titre à!' aumône.
Tel a toujours été l'esprit de
l'Eglise. Les dons qu'on lui a faits,
les biens qu'elle a reçus par dona-
tion, les fondations par lesquelles
elle a été enrichie, sont regardés
comme des aumônes , dont ses
ministi-es sont les économes, les
dispensateurs et non les proprié-
taires. Il y a cependant une diffé-
rence à faire entre une solde, une
subsistance accordée à titre de ser-
vice , et une pure aumône. Voyez
Casuel.
Dans notre siècle calculateur
on a soutenu sérieusement que
Vaumône n'est point un précepte
rigoureux Que signifie donc la
sentence prononcée par Jésus -
Christ contre les réprouvés, parce
qu'ils n'ont pas fait rai/moA7e.''On
ajoute qu'elle produit plus de mal
que de bien, parce qu'elle entre-
tient la fainéantise des pauvres.
Cette prétention seroit pardonna-
ble, si tous les pauvres étoienten
état de travailler; mais les infir-
mes, les vieillards, les femmes
enceintes ou en couche , celles qui
sont chargées d'enfants , les imbé-
ciles, les enfants en bas âge, les
impotents , les voyageurs surpris
par des besoins imprévus, etc., ne
doivent pas être condamnés à
mourir de faim. C'est une fausse
politique de fournir aux riches
des prétextes pour endurcir leurs
entrailles aux souffrances des
malheureux . Si les pauvres
abusent de Vaumône, les riches
abusent bien davantage de leur.s
richesses ; vingt pauvres sou-
266
AUM
lagés mal à propos sont un
moindre inconvénient qu'un seul
pauvre réduit à périr par la du-
reté des riches. Si, toutes les fois
qu'il se présente une bonne œuvre
à faire, on commençoit par dis-
serter sur les abus et les inconvé-
uients qui peuvent en résulter,
on n'en feroit jamais aucune, il
est dangereux que ce ne soit là le
dernier fruit de la philosophie
régnante. Voyez CiiARiTi , Fonda-
tion, HÔPITAL.
« Donner , dit saint Augustin ,
» à manger à celui qui a faim, et
» à boire à celui qui a soif, re-
» vêtir un homme nu, loger un
» voyageur , donner asile à un
»> fugitif, visiter un malade ou un
» prisonnier, racheter un esclave,
X soutenir un foible, guider un
» aveugle, consoler un affligé, pan-
» ser un blessé, montrer le che-
» min à celui qui s'égare, donner
» un conseil à celui qui en a
» besoin, et la subsistance à un
w pauvre, ne sont pas les seules
» espèces à'aumône que l'on peut
» faire ; mais pardonner à celui
» qui pèche, ou le corriger quand
» on a autorité sur lui , en ou-
» bliantrinjurequel'onenareçue,
» et en priant Dieu de lui faire
» grâce ; ce sont des œuvres de
» miséricorde que l'on peut re-
» garder comme des aumônes. »>
L. de Fide, Spe et Chant., c. 72 ,
n. 19.
xA. 13 MU S SE, fourrure que les
chanoines et d'autres ecclésiasti-
ques portent sur le bras gauche
en été. Dans l'origine , elle étoit
ilestinée à couvrir la tête et les
épaules en hiver pendant l'office
de la nuit. Le nom à''aumtisse si-
;^nifie littéralement au coucher ;
en vieux françois se musser, c'est
se cacher, et le soleil mussant est
le soleil couchant.
AURICULAIRE, se dit de la
AUT
confession qui se fait secrètement
à l'oreille. Voyez Confession.
AUSBOURG. Voy. Aijgsbourc. i
AUSPICE. Voyez Divination.
AUSTÉRITÉS. Vorez Mortifi-
cation.
AUTEL, plate-forme de terre,
de pierres ou de bois, élevée au-
dessus du sol, et sur laquelle on
offre un sacrifice. On voit d'abord
que autel vient du latin altus , à
cause de son élévation. Les Grecs
le nommoient Ouirtaçviptov , du
verbe Ovetv, tuer, irtimoler; les Hé.-
hreun Mizbeacli, dezabach, égorger,
sacrifier. Ce nom est donné dans
l'Ecriture à Vautel des holocaustes
et à celui des parfums, et non à la
table des pains de proposition sur
laquelle on ne consumoit rien.
Cette remarque est essentielle.
Sous la loi de nature, les patriar-
ches élevoienl des autels en pleine
campagne, pour offrir des victimes
au Seigneur. Noé, Abraham, Jacob,
en usoient ainsi. Par la loi de Moïse.
Dieu défendit aux Israélites d'of
frir des sacrifices ailleurs que dans
le tabernacle, et prescrivit la ma-
nière dont les autels dévoient être
construits. Il y cnavoit unnomuic.
Vautel des holocaustes, sur lequel
on bruloit les victimes, et un autre
sur lequel on consumoit les par-
fums ; il en fut de même lorsque
le temple fut bâti. Les autels qui
furent érigés par Jéroboam à Sa-
marie, et par quelques autres rois,
sur des lieux élevés, furent autant
de crimes commis contre la loi ;
Dieu en punit les auteurs. Dans
VHist.deVAcad. des Inscript., in-12,
p. 19; et t. 4, P- 9, il y a une his-
toire exacte des autels consacrés au
vrai Dieu, depuis la création au
monde jusqu'à Jésus-Christ.
Autel, chez les chrétiens, est une
table carrée placée ordinairement
AIT
à l'orionl de l'église, et sur laquelle
on cclcbre la messe. Ou lui <louua
f.ctle l'orme, parceque Jésus-Christ
ctoit À table lorsqu'il institua l'eu-
charistie, et parce que l'on offre
sur cette table le sacrifiée du corps
cl du sang de Jésus-Christ.
Dans l'Eglise primitive, les aulels
n'éloient que de bois, et se Irans-
l)orloient souvent d'un lieu à un
autre; mais un concile d'Epaone,
âe l'an Siy, défendit de construire
des autels d'autre matière que de
juerre. Dans les premiers siècles ;
il n'y avoit qu'un seul aulel dans
chaque église, mais le nombre en
augmenta bientôt ; saint Grégoire
dit que de son temps, au sixième
siècle, il y en avoit douze ou quinze
dans certaines églises. A la cathé-
drale de Magdebourg, il y en avoit
quarante-deux.
L'au/c/n'est quelquefois soutenu
que par une seule colonne, comme
dans les chapelles souterraines de
sainte Cécile à Rome et ailleurs ;
quelquefois il l'est par quatre co-
lonnes, comme l'au/c/ de saint Sé-
bastien, in crypta arenariâ : mais
la méthode la plus ordinaire est
de poser la table à^aufcl sur un
massif de pierres.
Ces autels ressemblent en quel-
que chose à des tombeaux. En ef-
fet, les premiers chrétiens tenoient
souvent leurs assemblées aux tom-
beaux des martyrs, et y célébroient
les saints mystères. Il est dit dans
l'Apocalypse : « Je vis sous Vautel
» les âmes de ceux qui ont été mis
» à mort pour la parole de Dieu ,
» et pour le témoignage qu'ils lui
i> ont rendu, » c. 6, ^. g. De là
est venu l'usage de ne point con-
sacrer à'autel sans y mettre des re-
liques des saints.
L'usage de la conséci-ation des
autels est assez ancien, et la céré-
monie en est réservée aux évèques.
Depuis qu'il n'a plus été permis
d'offrir que sur des a«/c/.sconsacrcs,
on a fait des «m/c/s portatifs, pour
AUT sG;
s'en servir dans les lieux où il n'y
a point d\iulrl solide consacré ;
Ilincmar et Bede en font mention.
A la place d'autrls portatifs, les
Grecs se servent de linges bénits
qu'ils nomment àvrtuîv.ia, c'est-
à-dire, qui tiennent lieu à' autels.
Sur la forme, la décoration, la
bénédiction des autels, voyez l'a/j.
cien Sacrainentaire par Grandcolas,
i."^*^ part., p. 33 et 6io.
L'abbé Renaudot, dans sa col-
lection des Liturgies orientales ,
tome I, p. i8i et 33i ; tome 2,
p. Sa et 56, a remarqué, après le
cardinal Bona, que dans toutes les
Eglises d'Orient, aussi-bien que
dans l'Eglise latine, on a toujours
regardé Vautel, non comme une
table commune, mais comme une
table sacrée, sur laquelle le corps
et le sang de Jésus-Christ sont of-
ferts en sacrifice. L'usage constant
de consacrer les autels, les prières
que l'on récite, les cérémonies que
l'on fait pour ce sujet, attestent
hautement que les Orientaux ont
toujours attaché au nom à'autel
la même idée que nous. Pendant
les persécutions , il n'étoit pas
possible d'avoir des autels massifs
et solides; on fut obligé de se ser-
vir de tables de bois et à.''autels
portatifs. L'espèce d'esclavage dans
lequel les Grecs ou melchites, les
cophtes, les Syriens, etc., sont en-
core à l'égard des mahométans ,
les obligent souvent de faire de
même. Mais dès que l'on eut la
liberté d'élever des basiliques, on
y plaça des autels de pierre ou de
marbre, souvent revêtus d'orne-
ments d'or et d'argent. Fleury,
Tflœurs des Chrétiens, n. 35 ; Lan-
guet, du véritable Esprit de VEglise
dans Vusage de ses cérémonies ,
p. 432.
C'est donc mal h propos que
Daillé et d'autres écrivains pro-
tejstants ont voulu persuader que,
dans les écrits des Pères et dans
les anciens monumenis ccc'.ésias-
268 AUT
tiques, le nom à^auiel étoit pris
ilans unsens abusif, etnesignifioit
qu'une table commune; qu'ainsi
l'on ne peut en tirer aucune con-
séquence pour prouver que les
anciens regardoient l'eucharistie
comme un véritable sacrifice. Il
y a des preuves positives du con-
traire. Saint Paul dit aux Hébreux,
c. i3, S • ïo • " Nous avons un au-
n tel, duquel les ministres du ta-
» bernacle n'ont pas le pouvoir de
i> manger. » Dans le tableau de la
liturgie chrétienne, tracé par saint
Jean, Apoc.,c./^,S -^i nous voyons
un trône occupé par un person-
nage vénérable, autour de lui vingt-
quatrevieillards ouprêtres, devant
le trône, au milieu des vieillards,
un agneau en état de mort ou de
victime, c. 5, 'S • 6, qui reçoit les
honneurs de la Divinité, c. 6, S • 9»
sous Vautel, les âmes de ceux qui
ont été mis à mort pour la parole
de Dieu. Voilà certainement l'ap-
pareil d'un sacrifice.
Saint Ignace, instruit par saint
Jean l'évangéliste , écrit aux Phi-
ladelphiens, n.4 : « Ayez soin d'user
« d'une seule eucharistie. Il y a
>) une seule chairdeNotre-Seigneur
» Jésus - Christ, un seul calice ,
►) pour marquer l'unité de son sang;
» un seul autel , comme un seul
» éveque, avec le presbytère et les
» diacres.» Dans ces trois passages,
le grec porte 6u(7caçï)piov,- ce terme
n'a jamais signifié une simple table
à manger, mais un autel destiné
à offrir des sacrifices.
Saint Irénée, adv. Hœr., 1. 4-7
c. i8, u. 6, parlant de l'eucharis-
tie, dit que Dieu nous ordonne,
comme à l'ancien peuple, de lui
faire souvent et sans interruption
nos offrandes sur son autel, quoi-
qu'il n'en ait pas besoin. Grabe ,
sur cet endroit, est forcé de con-
venir qu'il est question là d'un autel
proprement dit , et d'un sacrifice
-<lans toute l'énergie du terme. Ori-
çene, Hom. lo in Josuc, parle des
AUT
fidèles qui faisoientdes dons pour
l'ornement des églises et des autels.
Saint Cyprien, Episl. 55 ad Cor-
net., oppose l'Eglise au Capitole ,
et les autels du Seigneur aux au-
tels des idoles. Eusebe, Hist. éc-
oles., 1. 7,c. i5, fait mention d'une
Eglise et d'un autel dans la ville de
Césarée, sous le règne deGallien,
par conséquent au milieu du troi-
sième siècle. Les protestants ne
peuvent pas nier que les Pères du
quatrième n'aient souvent donné
le nom à'autel à la table sur la-
quelle on consacroit l'eucharistie,
et ne l'aient appelée Vautel sacré.
Mais comment prouveront- ils
que le sens de ce terme n'a pas
toujours été le même , que saint
Paul et saint Jean n'ont entendu
par-là qu'une table à manger, pen-
dant que les Pères postérieurs l'ont
pris pour une table de sacrifice?
Ces deux apôtres n'ont pas pu
confondre un autel avec une table,
puisque ces deux objets ont un
nom différent en grec et en hébreu.
Pour prendre leurs repas, les an-
ciens se couchoient sur des lits ;
nous ne lisons nulle part que les
premiers chrétiens aient été dans
cette attitude pour recevoir l'eu-
charistie ; il faut donc qu'ils ne
l'aient pas envisagé comme une
cène ou un souper , tel que le font
les protestants , mais comme une
cérémonie auguste et sacrée, digne
du plus profond respect, et ils
l'ont témoigné par la manière dont
ils ont orné les autels, dès qu'il
leur a été possible et libre de le
faire.
Les noms îiaçr'piov , proptiia~
tot're, Guo-iaç-io'piov, sacrijicatoire , ia*
ble sacrée, etc., que les Orien-
taux ont toujours donnés et don-
nent encore aux autels, ne signi-
fient point une table commune.
Toutes les fois que les païens , les
hérétiques, les mahomctans, ont
renversé et démoli les autels, cet
i acte de haine a clé regardé par
AUT
fos chrélicns comme, une impiélé
1 1 une profanation. On peut faire
la même remarque sur les linges
ou nippes à^autcl, et sur les vases
sacrés ; jamais on ne les a traités
romme des meubles ordinaires.
Eu général les rites , les cérémo-
nies , les usages religieux attestent
la croyance des peuples avec plus
d'énergie que les expressions des
théologiens. Lorsque les protes-
tants ont démoli les autels dans
les églises desquelles ils se sont
emparés , ils ont assez témoigné
qu'ils vouloient détruire l'an-
cienne croyance du christianisme
touchant l'eucharistie.
Autel de Prothèse , est une
espèce de crédence sur laquelle les
Grecs bénissent le pain destiné au
sacrifice , avant de le porter au
grand autel, où se fait le reste de
la célébration. Selon le pèreGoar,
ce petit autel ou crédence étoit
autrefois dans la sacristie. Les
protestants n'y font pas tant de
façons pour célébrer leur cène ;
bonne preuve qu'ils ne pensent pas
comme les Grecs.
Autel se trouve aussi employé
dans VHistoire ecclésiastique pour
signifier les oblalions ou les reve-
nus casuels de l'église ; racheter les
autels, c'étoit racheter ses revenus
usurpés par les séculiers. On ap-
peioit Véglise les dîmes et les
autres revenus fixes , et autels les
revenus casuels. Quand on dit
que le prêtre doit vivre de Vautel,
cela signifie qu'il a droit de vivre
des revenus de l'église.
AUTEURS ECCLÉSIASTI-
QUES. C'est le nom général que
l'on donne aux écrivains qui
ont paru dans le christianisme
depuis les apôtres , en y com-
prenant les Pères apostoliques et
ceux des siècles suivants ; souvent
aussi l'on désigne par-là ceux qui
ont écrit depuis saint Bernard ,
mort l'an ii53, rt qui est rc-,
AUT 269
gardé comme le dernier des Pores
de l'Eglise.
L'an 392, saint Jérôme fit le
Catalogue des Ecrivains illustres,
dans lequel il comprit même les
apôtres et lesévangélistes, et parla
de leurs ouvrages. Eusèbe avoit
fait de même dans son Histoire
ecclésiastique , écrite avant l'an
326; mais ni l'un ni l'autre n'ont
prétendu donner une notice exacte
de tous ceux qui avoient paru. En
856 , Photius , encore laïque , com-
posa sa Bibliothèque dans laquelle
il renferma l'extrait de 279 ou-
vrages de divers auteurs, soit
ecclésiastiques , soit profanes ,
dont plusieurs ne sont pas parve-
nus jusqu'à nous. Le cardinal
Bellarmin, mort l'an 1621, fit un
Catalogue des Auteurs ecclésias-
tiques, qui n'est pas très - exact ;
depuis ce temps-là on en a fait de
plus amples et de plus complets.
Guillaume Cave, savant anglois,
publia , en 1688 , une Histoire lilté-
raire des Ecrivains ecclésiastiques,
en un volume z'/i -yô//o, qui a été
ensuite réimprimé en deux vo-
lumes , avec des augmentations et
de nouvelles remarques ; il l'a
poussée jusqu'en iSiy. Le Nain de
Tillemont, dans ses lyiémoires sur
VHistoire ecclésiastique , en seize,
volumes j'n-^.", n'a compris que les
auteurs des six premiers siècles.
En 1686, le docteur Dupiii com-
mença de publier le premier vo-
lume de sa Bibliothèque des Ecri-
vains ecclésiastiques , qui renferme
cinquante- huit volumes in-8° ;
mais on l'a jugé digne de censure
en plusieurs points. Dom Rémi
Cellier, bénédictin , a donné un
ouvrage du même genre, et qui
est plus exact, en vingt -quatre
volumes 1/2-4°.
Auteurs profanes. C'est une
question assez curieuse de savoir
si les auteurs projanes, les poètes,
les philosophes , les législateurs ,
ont emprunté des Juifs et deleurs
270 AUT
livres lesconnoissances qu'ils font
paroîlre dans leurs écrits , ou si
c'est Moïse, au contraire, qui a
emprunté des Egyptiens ses idées
sur la Divinité , sur la morale , sur
la législation. Il y a sur ce sujet
une dissertation de Dom Calmet ,
Bible d' Avignon , tom. 3, p. 84 et
suivantes.
Le premier sentiment paroit
avoir été suivi par plusieurs an-
ciens Pères de l'Eglise, tels que
saint Justin , saint Clément d'A-
lexandrie, Origéne, TertuUien ,
saintCyrille d'Alexandrie,Eusébe,
Théodoret, saint Ambroise, saint
Augustin ; mais il est sujet à de
grandes difficultés.
i.° Nous ne voyons pas qu''au-
cun ancien auteur grec ait eu
connoissance de la langue hé-
braïque, dans laquelle étoient
écrits les livres des Juifs. Ces
livres n'ont été traduits en grec
que vers l'an 290 avant Jésus-
Christ , 246 ans après le premier
retour de la ca tivité. Les Juifs
eux - mêmes n'ont commiencé que
vers ce même temps à faire usage
de la langue grecque. Pythagore ,
Platon, etc. , étoient morts long-
temps avant celte époque. Il est
donc fort difficile que les Grecs
aient pu converser avec les Juifs ,
et en apprendre quelque chose.
a.oDémétriusdePhaîère, le faux
Aristce, le Juif Arislobule , Philon
et Josèphe , ne paroissent point
être du sentiment des Pères sur ce
point de fait , et nous n'avons au-
cun motif solide de récuser leur
témoignage.
3.° Les Pères mêmes que nous
avons cités n'en parlent point d'une
mianière constante et uniforme ; ils
disent plusieurs choses qui nous
Ibnt juger que sur cet objet ils
avoient plutôt des doutes et des
soupçons, qu'un sentiment fixe et
déterminé.
4.° Quelques rapports vagues de
conformité entre quelques maxi-
ALT
mes ou quelques expressions des
anciens philosophes, et k^s vérités
révélées dans les livres saints , ne
suffisent pas pour prouver l'em-
pruntsupposé.Ces écrivains ont pu
puiser ce qu'ils disent , ou dans
les lumières naturelles de la rai-
son , ou dans la tradition générale-
ment répandue chez toutes les
nations , qui remonte jusqu'à la ré-
vélation primitive, comme avoient
fait Job et ses amis.
La seconde question a été déci-
dée trop légèrement par plusieurs
auteurs modernes. Ils ont affirmé
au hasard , que Moïse avoit em-
prunté toute sa législation des Egyp-
tiens, et ils n'ont pu citer en preuve
que quelques cérémonies des Juifs ,
qui, selon les au/eurs grecs, étoient
aussi pratiqucespar les Egyptiens,
mais il y a sur cette prétendue
conformité plusieurs réflexions à
faire.
I .°Les Grecs sont trop modernes
pour nous rendre compte des usages
que suivoient les Egyptiens au siè-
cle de Moïse , qui a vécu plus de
mille ans auparavant; et il estcer-
tain que les anciens Egyptiens n'a-
voient rien laissé par écrit : eux
seuls connoissoient leurs hiérogly-
phes. Moïse , loin de montrer au-
cun penchant à copier les Egyp-
tiens , défend à son peuple d'imiter
les superstitions de l'Egypte ; il
leur auroit tendu un piège , s'il
avoit mis sous leurs yeux le même
cérémonial qu'ils avoient vu suivre
en Egypte.
2.° 11 dit que le culte que lea
Israélites dévoient pratiquer ne
pouvoit manquer de paroître abo-
minable aux Egyptiens. iJ.rorf., c.8,
y!'. 26. On saitdc quelle indignation
il futsaîsi, lorsqu'il vitles Hébreux
imiter dans le désert le culte du
dieu Apis , en adorant le veau d'or.
Il ne leur permet de fraterniser
avec un Egyptien ou avec un Idu-
mécj) qu'à la troisième génération.-
Dent , c. 23 , y. 7 et 8. L'antipa-
AUT
ihie enlrc ces nations cl les Juifs
a été constante cl la iiicme dans
tous les siècles. Mais les auteurs
grecs et latins , la plupart fort
mal instruits , ont confondu mal
à propos les rites des Juifs avec
ceux des Egyptiens.
3.° La doctrine de Moïse sur le
dogme et sur la morale a été pré-
cisément la même que celle des pa-
triarches ses ancêtres ; il n'a donc
pas eu besoin de l'apprendre chez
<les étrangers. On ne montrera ja-
mais chez les Egyptiens des notions
de la création , de la providence ,
de l'unité de Dieu , de l'absurdité
de l'idolâtrie , etc. aussi pures et
aussi sublimes que celles que Moïse
attribue à sts aïeux.
4.° De même la plupart des céré-
monies religieuses, les sacrifices ,
les offrandes , les purifications , les
abstinences, lessymboles delà pré-
sence de Dieu , etc. , ont été com-
munes à toutes les nations ; elles
avoient été employées par les pa-
triarches au culte du vrai Dieu ,
avant d'être profanées par les po-
lythéistes égyptiens , idumcens ,
ch.ananéens, etc. Moïse, en les ra-
menant à leur destination primi-
tive , n'a fait que suivre les leçons
de ses ancêtres et les ordres exprés
de Dieu. 11 n'a donc pas eu besoin
de rien emprunter des Egyptiens.
Auteurs sacplÉs. On nomme
ainsi les écrivains inspirés de Dieu ,
de la plume desquels sont sortis les
divers livres de l'Ecriture sainte ,
soit de l'ancien , soit du nouveau
Testament, tels que Moïse, les his-
toriens qui l'ont suivi, les prophè-
tes , les apôtres, les évangélistes ,
pour les distinguer des auteurs ec-
clésiastiques.
AUTHENTIQUE. On nomme
Ui>re authentique , celui qui a été
écrit par l'auteur dont il porte le
] nom , et auquel il est communé-
ment attribué.
Une histoire , une narration ,
AUT
7'
peut cire vraie ou conforme à la
vérité des faits sans être authenti-
que, sans avoir clé écrite par l'au-
teur auquel elle est attribuée ; il
suint qu'elle ait clé faite par un
écrivain suffisamment instruit et
sincère, quel qu'il soit. Parce que
l'auteur d'un livre n'est pas connu,
il ne s'ensuit pas que tout ce qu'il
renferme soit faux et fabuleux , et
il peut avoir autant de poids et
d'autorité que si l'auteur étoit cer-
tainement connu.
En effet parmi les livres saints ,
il en est quelques-uns , surtout de
l'ancien Testament , dont on ne
connoît pas certainement les au-
teurs ; on sait seulement qu'ils sont
partis d'une main respectable ,
puisque les anciens, plus à portée
que nous d'en découvrir l'origine,
y ont ajouté foi , et l'ont cité com-
me faisant autorité. Sur ce point,
la tradition est le seul guide auquel
nous puissions nous en tenir. Pour
les livres du nouveau Testament ,
on sait certainement qu'ils sont azi-
thentiqucs , qu'ils ont été écrits
par les auteurs dont ils portent les
noms.
Pour qu'un livre soit censé cano-
nique , iuspiré, divin, réputé pa-
role de Dieu , ce n'est pas assez
qu'il soit authentique, qu'il ait été
écrit par un des apôtres ou par un
de leurs disciples immédiats ; il
faut encore que l'Eglise l'ait adopté
comme tel , et que la tradition an-
cienne dépose en sa faveur. L'E-
glise ne seroit pas en état de nous
garantir la doctrine chrétienne, si
elle n'avoit pas eu l'autorilé de
nous apprendre, sans danger d'er-
reur , quels sont les livres que nous
devons regarder comme règles de
notre croyance. Les règles de cri-
tique peuvent servir à dérouvrir
si un livre a été écrit par tel ou
tel auteur ; mais elles ne peuvent
nous apprendre si ce livre est ou.
n'est pas règle de foi ; c'està l'Egli-ie
de voir s'il contient ou ne conliciit
272 AUT
pas la doctrine de Jésus- Christ.
Cette société sainte a été instruite
de vive voix par les apôtres , avant
d'avoir reçu leurs écrits, et aucun
livre ne peut suppléer entièrement
à l'enseignement public et toujours
subsistant de l'Eglise. Voyez Âvto-
RiTÉ DE l'Eglise , Canon , Infailli-
bilité.
Authentique , signifie quelque-
fois faisant autorité ; c'est dans ce
sens que le concile de Trente a dé-
claré la vulgate authentique. Voyez
Vulgate.
AUTOCÉPHALE , terme déri-
vé du grec «Jto; , lui-même , et
■xiifxlri , chef ; il signifie celui qui
ne reconnoît point de chef. On
froiroit d'abord que l'on a voulu
désigner par là les sectes d'indé-
pendants ; mais on donnoit ce titre
aux évêques qui n'étoient soumis
à aucun métropolitain , et aux mé-
tropolitains qui ne reconnois-
soient point la juridiction du pa-
triarche.
■AUTO-DA-FE, acte de foi.
Voyez Inquisition.
AUTOGRAPHE, nom forme
du grec aù-ro; , lui - même, et de
ypifu) , f écris; on nomme ainsi un
livre qui a été écrit de la propre
main de l'auteur. Pierre , évêque
d'Alexandrie , rapporte qu'au
sixième siècle on gardoit encore à
Ephèse V autographe , ou l'origi-
nal de l'évangile de saint Jean ,
ISiô-j^tipov. Chron. Alex., à Radero
editum. Lorsque Tertullien dit que
dans les Eglises fondées par les
apôtres on lit leurs lettres authen-
tiques, il paroît qu'il entend les
originaux ou les autographes. Nous
pensons de même que l'exemplaire
de la loi qui , sous le règne de
Josias, fut trouvé dans le temple,
cloit Toriginal écrit de la propre
main de Moïse. JV. J\cg.^ c. 22,
J. 8.
AUT
AUTORITÉ , droit de comman-
der. La première question qui se
présente , est de savoir quelle est
la source de ce droit. Nos philo-
sophes modernes, et quelques ju-
risconsultes qui les copient, posent
pour principe qu'aucun homme
n'a reçu Je la nature le droit de
commander aux autres. La liberté,
disent-ils, est un présent du ciel ,
chaque individu de même espèce
a le droit d'en jouir aussitôt qu'il
jouit de sa raison ; de là ils con-
cluent qu'un homme ne peut être
assujéti à un autre que par son
consentement libre , donné en con-
sidération des bienfaits qu'il en a
reçus, ou qu'il en espère; sans
doute par la nature ces disserta -
teurs entendent Dieu qui en est
l'auteur, et par. la liberté , l'indé-
pendance de toute autorité humai-
ne. Nous soutenons que ces prin-
cipes et leurs conséquences sont
autant de faussetés aussi opposées
au bon sens et à la saine philoso-
phie , qu'aux leçons de la révéla-
tion.
Nousle démontrons d'abord par
deux vérités incontestables: l'une,
que parla nature, c'est-à-dire,
par la volonté et l'intention da
Créateur, l'homme est destiné à la
société ; cela est prouvé par la
constitution, par les besoins ^ par
les inclinations de l'homme ; et
Dieu lui-même dit après l'avoir
créé: « Il n'est pas bon que l'hom-
me soit seul. » Gen., c. 2, ^'. 18
L'autre, qu'aucune société ne peut
subsister sans subordination ; cela
est aussi évident qu'un axiome de
géométrie ; donc Dieu , fondateur
de la société, est aussi l'auteur de
toute autorité. Nous défions nos
adversaires de renverser ce rai-
sonnement. Dieu n'a pas plus
attendule consentement de l'hom-
me pour le soumettre à Vautorité^
que pour le destiner à la société;
ce consentement n'csl pas plus
nécessaire pour l'une que pour
AUT
Tîiutro. Il est absurde d'envisager
les homme» comme des êtres nés
rortuilement du sein de la terre,
isolés , indépendants , sans au-
cune relation mutuelle , libres de
tout engagement et de tout devoir
naturel ; celte hypothèse sent le
matérialisme le plus grossier. Si
l'homme naissant n'avoit point de
dci'oi'rs , il n'auroit pas non plus
de droits; et il lui est aussi im-
possible de s'acquérir un droit
que de s'imposer un devoir , à
moins que l'un et l'autre ne soient
ratifiés d'avance par la loi éter-
nelle du Créateur.
Examinons toutes les espèces de
sociétés que l'homme peut for-
mer , nous verrons sortir de la
même source Vautorité conjugale,
paternelle et domestique, V auto-
rité civile et politique, Vautorité
ecclésiastique ou religieuse. Le
fait et les principes, la conduite
de Dieu et sa parole , se réunissent
constamment pour démontrer
l'absurdité de la théorie de nos
philosophes.
Autorité conjugale , pater.-
NELLE et domestique. Elle résulte
de la société entre le mari et son
épouse, entre le père et ses en-
fants, entre le maître et ses servi-
teurs : Dieu s'est clairement ex-
pliqué sur les devoirs qui en sont
inséparables. <c II n'est pas bon,
M dit le Seigneur , que l'homme
» soit seul ; faisons-lui une aide
» semblable à lui. » Gènes., c.a,
7^. i8. Dieu forme une femme de
la substance même d'Adam ; la
femme est donc une aide donnée
à l'homme , et non une égale qui
ail droit de lui disputer l'empire;
il est la souche de laquelle elle est
sortie; la supériorité de force, de
tèle, de courage accordée à l'hom-
me, démontre l'intention du Créa-
teur. Après le péché. Dieu dit à
la femme: « Tu seras sous la puis-
" sance de ton mari, et il exercera
« Vautorité sur foi , » c. 3 , J»^, :G.
AUT 27.^
Dieu n'a pa.s demandé le consente-
ment de la femme pour la sou-
meltre à son époux, et s'ils avoicnt
stipulé le contraire, Dieu auroit
annulé le contrat.
Au moment même qu'il leur ac-
corde la fécondité , il leur donne
Vautorité SUT leurs enfants: «Crois-
» sez, multipliez, peuplez la terre
» et soumettez-la, » ci, ^. 28.
Ainsi le droit de soumettre les
enfants est attaché au pouvoir
même de les mettre au inonde , et
cette soumission à laquelle Dieu
condamne les enfants, est déjà un
bienfait pour eux ; en leur pres-
crivant des devoirs, il leur donne
des droits, puisqu'il ordonne à
leurs pères et mères de les conser-
ver. Dès le moment de la concep-
tion, il est défendu au père et à
la mère de détruire l'ouvrage de
Dieu ; c'est un dépôt duquel ils
lui sont responsables. A.ussi Eve,
devenue mère , s'écrie : « J'ai reçu
» de Dieu la possession d'un hom-
» me, » c. 4 5 y • I ; elle regarde
son fils comme un bien qui lui
appartient, mais bien précieux,
qu'elle 3 reçu de Dieu, à la con-
servation duquel elle doit donner
tous ses soins. Or , où seroit la
justice et la réciprocité, si le père
et la mère étoient obligés de droit
naturel à nourrir , à élever , à
conserver un enfant, et que l'en-
fant ne leur dilt rien dès qu'il se-
roit en état de se passer d'eux ?
Attendrons - nous que celui - ci
consente , par reconnoissance , à
les respecter et à leur obéir ? Dieu
a stipulé d'avance pour le genre
humain tout entier ; et l'effet de
celle loi irrévocable, fondée sur
une exacte justice, ne peut être
frustré par aucune convention.
L'obligation d'honorer les pères
et mères , et de leur obéir , est con-
firmée par la punition de Cham ,
c. 9 , X'. 25 , et par toute l'histoire
des patriarches ; Dieu attache ses
bienfaits à la béncdirtion qu'iJa
i3
274 AUT
donnent à leurs enfants, et. des
châtiments aux malédictions qu'ils
prononcent ; lorsqu'il dicte sa loi
aux Hébreux , il place ce devoir
important immédiatement après
le commandement de lui rendre
un culte. Exod. , c. 20, JÏ. 12.
On nous objecte que Vauioriié
paternelle a ses bornes : qui en
doute ? Si elle n'en avoit point,
elle seroit opposée à la fin pour
laquelle elle a été donnée. Dieu,
sagesse éternelle , ne se contredit
point dans ce qu'il fait: il a établi
Vauioriié des pères et mères , afin
de les intéresser à la conservation
de leurs enfants ; il ne leur a donc
pas accordé le droit de les dé-
truire : il leur a prescrit des de-
voirs , par- là même il a borné
leur autorité, et il en est de même
de toute autre autorité quelcon-
que : celle - ci est donc bienfai-
sante par sa nature, c'est-à-dire,
selon l'intention du Créateur; il
l'a établie pour faire le bien, et
non pour faire le mal. Mais lors-
que le dépositaire de Vautorité en
abuse. Dieu ne l'en dépouille pas
pour cela , parce qu'il en résulte-
roit un plus grand mal ; et lorsque
ce dépositaire pèche en violant ses
devoirs , il ne nous donne pas le
droit de pécher et de violer les
nôtres.
il est faux que , dans l'état de
nature , Vautorité paternelle fini-
Toit aussitôt que les enfants se-
roient en état de se conduire : quel
est donc cet état imaginaire de na-
ture opposé à celui dans lequel
Dieu a créé le genre humain ?
Puisque toute obligation est réci
proque, le père, dans ce même
état fictif, seroit dispensé de con-
server et d'élever son fils , il pour-
roit en disposer comme du petit
d'un animal ; et c'est ainsi que
pensoient les Grecs et les Romains ;
mais ne rougit-on pas de nous re-
mettre au point où ils étoient.
Pour éla) er cette détestable rao-
AUT
raie , nos philosophes sont allés
plus loin ; ils ont dit que la qua-
lité même de Créateur ne donne
pas à Dieu le droit de commander
aux créatures , qu'il faut y ajouter
les attributs de sagesse et de bon-
té. Quoi ! la création n'est-elle
donc pas par elle-même un effet
de bonté ,P l'être, la conservation,
ne sont-ils pas déjà un bienfait , et
le commandement de Dieu n'en
est- il pas encore un autre? A en-
tendre raisonner nos philosophes,
on diroit que Dieu nous fait tort
en nous donnant des lois , qu'une
liberté illimitée nous seroit plus
avantageuse qu'une liberté réglée
et bornée par la loi divine , et que
nous serions plus heureux , si
Dieu, après nous avoir créés, nous
avoit livrés à nous-mêmes. 11 faut
avoir un cœur bien dépravé pour
penser et raisonner ainsi. « La loi
» du Seigneur, dit le roi prophète,
» est la droiture, la sagesse et la
» justice même ; c'est la consola-
» tion de notre cœur , la lumière
n qui nous guide , la inaiu qui
» nous conduit , etc. ; c'est un tré-
» sor plus précieux que toutes les
» richesses de l'univers ; il fait la
» douceur et le seul vrai plaisir de
» la vie. » Ps.i8. 5^. 8. Quoi qu'ils
en disent , la création donne le
droit d'anéantir aussi- bien que
celui de conserver ; donc elle
donne, à plus forte raison, le
droit de commander , et Dieu n'a
pas plus besoin de notre consen-
tement pour l'un que pour l'autre.
Bientôt peut-être on nous ensei-
gnera que , quand il ne nous fait
pas autant de bien que nous en
désirons , nous avons droit de
nous révolter contre lui.
Dans les premiers temps dumon-
de, un père âgé de plusieurs siè-
cles , qui voyoit cinq ou six géné-
rations de sts descendants , devoit
être à leurs yeux un personnage
bien respectable ; pouvoit-on en-
visager SCS volontés autrement
AUT
que comme des lois ? D'autre pari,
les patriarches , persuadés que, la
fécond lié. est un don de Dieu, que
les enfants sont un dépôt duquel il
demandera compte, qui voyoient
dans cette nombreuse famille leur
force et le présage certain de leur
prospérité, dévoient la chérir ten-
drement. Ainsi la puissance pa-
ternelle , indépendante pour lors
de toute loi civile, étoit tempérée
par l'affection naturelle, par l'in-
térêt , par la religion ; l'Ecriture
ne nous montre aucun exemple
d'un père qui en ait abusé. Mais
nous voyons, par l'histoire de
Juda et de Thamar , qu'un chef
de famille avoit droit de vie et de
mort sur chacun des membres.
Gen., c. 38, f. 24. Il le falloit ,
puisqu'il n'y avoit alors aucune
puissance publique que Vaiilon'té
paternelle et domestique.
Lorsque cette société s'est aug-
mentée par l'acquisition d'un nom-
bre de serviteurs ou d'esclaves , le
chef de famille a exercé sur eux,
de droit naturel , la même autorité
que sur ses enfants. Au mot Es-
clavage , nous prouverons que ,
dans l'origine , cet état n'a été
contraire , ni au droit natui"el de
l'humanité, ni au bien commun;
que la liberté civile des serviteurs
étoit incompatible avec la vie no-
made des premiers hommes, et
qu'elle n'est devenue un bien que
par l'établissement de la société
civile. Aussi ne voyons-nous point
Abraham blâmé dans l'Ecriture
sainte d'avoir eu trois cents es-
claves: Sara son épouse châtie Agar
sa servante , qui lui manquoit de
respect; lorsque celle-ci prit la
fuite, un ange du Seigneur lui or-
donne de retourner et de s'humi-
lier sous la main de sa maîtresse.
Gen., c. 16, y/. S
Un prisonnier de guerre , desti-
né à la mort, se trouve heureux
d'y échapper en se rendant esclave,
il doit la vie à celui qui le prend à
AUT 275
son service ; un particulier sans res-
source , exposé à périr par la fairn
trouve un maître qui s'oblige à
lui fournir la subsistance cl à ses
enfants, sous condition d'un ser~
vice perpétuel ; un chef de famille
rencontre un enfant exposé et aban-
donné, il l'élève et l'entretient,
dans la persuasion que cet enfant
lui appartiendra. Où est l'injus-
tice dans ces différents cas ? Quand
il y auroit un contrat dans les deux
premiers, il n'y en a point dans le
troisième ; la même loi naturelle
qui ordonne à un chef de famille
de sauver un enfant de la mort ,
quand il le peut , commande à ce-
lui-ci d'honorer et de servir son
libérateur, comme s'il étoit né de
son sang. Il n'est ici besoin d'au-
cun contrat ni de convention de
part ou d'autre ; Dieu y a suppléé
d'avance par la loi éternelle de la
justice et de l'humanité; et sans
cette loi suprême , aucun contrat
ne pourroit avoir force de loi ,
ni imposer aucune obligation mo-
rale.
Nous cherchons vainement dans
la nature humaine le titre de cette
liberté prétendue que l'on soutient
être un don du ciel , don fatal , qui
exposeroit l'espèce humaine à une
perte inévitable. Les besoins aux-
quels la nature assujétit l'homme
dès sa naissance jusqu'à la puber-
té, les accidents auxquels il est
exposé d'ailleurs , les fautes même
qu'il peut commettre, sont un
titre de dépendance pour toute sa
vie. Si c'est la nature qui établit
cette dépendance , c'est donc elle
aussi qui établit Yautorité : l'une
ne peut être sans l'autre,
A cette voix impérieuse de la
nature, Dieu n'a pas manqué d'a-
jouter une loi positive ; l'Ecriture,
parlant de nos premiers parents ,
dit que Dieu a ordonné à chacun
d'avoir soin de son prochain, rnan-
davit mis unicuique de proxiriio suo.
EccL, c. 17, "^ . 12. Donc il a or-
18.
276 AUT
lionne aussi à celui qui a reçu des
soins, d'honorer, de respecter, de
servir son bienfaiteur; il n'a point
attendu le consentement libre de
l'un ou de l'autre pour leur im-
poser cette obligation. Il est donc
ïaux que Vauioriié conjugale , pa-
ternelle , domestique, soit fondée
sur un contrat; elle l'est sur la loi
divine, naturelle et positive, an-
térieure à toute convention.
Dans l'origine , cette autorité
n'étoit point illimitée , puisque la
même loi qui la fondoit lui pres-
crivoit des bornes ; mais elle étoit
absolue dans ce sens, qu'elle n'étoit
encore gênée par aucune loi hu-
maine ; au - dessus d'elle elle ne
voyoit que la loi divine , elle s'é-
tendoit à tout ce qui étoit néces-
saire au maintien et au bien-être
de la société domestique. Depuis
l'établissement de la société civile
et des lois humaines, VauiorUé pa-
ternelle a dû. être subordonnée à la
puissance publique , par la même
raison que l'intérêt de chaque fa-
mille doit céder à l'intérêt général
de la société entière. Nous voyons ,
en effet , V autorité paternelle Tts-
treinte par les lois de Moïse ; un
enfant rebelle à ses père et mère
est condamné à mort , non par eux,
mais par les j uges , et c'est le peuple
qui est chargé d'exécuter la sen-
tence. Deut. , c. 21 , ^. 18 : police
beaucoup plus sage que celle des
Grecs et des Romains , qui attri-
buoient au père le pouvoir de dis-
poser de la vie d'un enfant nou-
veau - né , de l'exposer ou de le
vendre jusqu'à trois fois après l'a-
voir élevé. La loi chrétienne a fait
réformer ce désordre ; elle a res-
serré et sanctifié les obligations des
époux ; ils ont appris par elle à
respecter et à chérir davantage un
enfant consacré à Dieu par le bap-
tême.
C'est dans cet état de chose que
des philosophes insensés viennent
attaquer les fondements de Vauto-
AUT
rîié paternelle, aussi anciens que W
monde , et ébranler du même coup
toute espèce à''autorilé ; soutenir
qu'aucune n'est donnée par la na-
ture , que toutes sont établies sur
un prétendu contrat qui n'exista
jamais, sur la reconnoissanoe des
bienfaits reçus , ou sur l'espérance
de ceux que l'on recevra. Ils con-
stituent aussi les inférieurs juges
et arbitres de V autorité à laquelle
Dieu leur ordonne d'être soumis ;
bientôt peut-être ils décideront
qu'un enfant parvenu à la puberté
est de droit et par nature supérieur
à son père. Cette morale abomina-
ble n'atteste que trop la diminution
de V autorité paternelle , et la néces-
sité de la renforcer , s'il étoit pos-
sible. On le sentira mieux encore
en lisant l'article suivant.
Autorité civile et politique.
Par des accroissements successifs ,
une famille est devenue une peu-
plade , et la réunion de plusieurs
a formé une nation. Soit que les
peuplades se soient réunies par I2
voisinage , par un commerce mu-
tuel , par des alliances , ou par la
nécessité de se défendre contre des
agresseurs injustes, cette nouvelle
société pouYoit encore moins sub-
sister sans subordination qu'une
société domestique. L'habitude d'o-
béir à un père disposoit déjà les
membres à reconnoître Vautorité
d'un chef ; aussi le gouvernement
monarchique paroît-il le plus an-
cien. Mais soit que l'on ait établi
un seul chef ou plusieurs, la source
de Vautorité est la même ; Dieu en
avoit prévu et préparé le besoin ;
il s'en est rendu le garant : un lé-
gislateur quelconque n'a pu avoir
Vautorité nécessaire pour obliger
les particuliers, si ses lois n'avoieut
pas été autorisées par le législateur
suprême. Quand tous les membres
sansexceptionyauroient consenti,
cela suffiroit peut-être pour faire
régner la force , mais non pour
obliger la conscience ; autant il est
AUX
impossible, à iiii homme tic s'im-
poser à soi-mcmc une obligation
morale , autant il est incapable de
donner à un autre homme Vautnn'/é
et le droit de la lui imposer. Quand
il auroit promis cent fois d'obéir ,
qui l'obligera de tenir sa parole ,
s'il n'y a pas une loi antérieure et
éternelle qui lui enjoint de tenir
sa promesse ? Quand il le refuse-
roit , qu'en rcsulteroit-il P Toute
la société , de laquelle il veut être
membre sans en observer les lois ,
seroit en droit de le traiter comme
un ennemi , de le chasser ou de le
punir.
Dès qu'une société civile ou na-
tionale est une fois formée , elle est
obligée , de droit naturel , à con-
server et à protéger toute créature
humaine qui naît dans son sein ;
elle en est censée la mère , de même
que Dieu en est le premier père ;
à son tour , chaque individu est ,
dès sa naissance , soumis aux lois
de la société dans laquelle il reçoit
le jour , autrement elle nepourroit
subsister. Dieu , qui ordonne à la
société de le conserver et de le pro-
téger parce qu'il est homme , lui
commande , par réciprocité , d'o-
béir aux lois établies et à Vautorîté
qui gouverne; sans cela il n'y au-
roit plus d'égalité ni de justice.
Dieu , qui n'a pas consulté le corps
de la société pour lui imposer ce
devoir , n'a pas plus besoin du con-
sentement de chaque particulier
pour l'assujétir à cette obligation.
Appeler cette réciprocité de devoir
un contrat réel ou présumé , un
pacte social , c'est abuser du terme
et brouiller toutes les notions ; il
n'y a ici liberté ni de part ni d'au-
tre ; Dieu, père et bienfaiteur de
l'humanité , a tout réglé et toiit
jircscrit d'avance , et il auroit été
absu/de de laisser à chaque parti-
culier une liberté destructive de la
société.
Dieu est donc amsi réellement
l'aulcur cl le fondateur de la société
AUT .7;
civile que de la société conjugale et
domestique; il a destiné l'homme i
l'une et à l'autre par les besoins ,
par les inclinations , par les pas-
sions merne qu'il a données à l'hom-
me , et qui ont besoin d'un frein ;
donc il est aussi le seul vrai prin-
cipe de Vautoritc civile et législa-
tive : sans la loi divine naturelle,
les lois humaines seroient réduites
à la seule force coactive ; mais cette
force n'impose pas plus une obli-
gation morale que la violence d'un
voleur armé.
Aussi l'Ecriture sainte, plus sage
que la philosophie, nous dit que
Dieu a établi un chef sur chaque
nation , in unamquaniqiie genterr
posait reciorem . Eccl. , c. 1 7 , y . 1 4 •
Dès que Dieu s'est choisi un peu-
ple particulier , il a daigné en être
le législateur ; cette fonction étoit
trop auguste pour être confiée à un
homme ; mais il donna à INIoïse
V autorité àç. faire exécuter les lois,
et il commanda d'otablir des juges
pour en faire l'application ; il pro-
nonça la peine de mort contre qui-
connue résisteroit à leur sentence :
en annonçant que les Israélites se
choisiroient un roi', il lui défendit
d'opprimerson peuple. Dcut., c. 1 7 ,
J^'. g , 20. Ainsi, par le fait et par
les principes, se démontre la vérité
de la maxime, que toute puissance
vient de JJieu.
Mais nos adversaires , aussi ha-
biles commentateurs de l'Ecriture
sainte que profonds raisonneurs ,
nous accusent de mal traduire.
Saint Paul dit, Rom., c. i3, y. i :
« Que toute personne soit soumise
» aux puissances supérieures ; car
» il n'est point de puissance qui
» ne vienne de Dieu , et celles qui
n sont , ont été ordonnées ou réglées
» par lui : ainsi, celui qui résiste
» à la puissance, résiste à l'ordre
» de Dieu. » Vous avez tort , ré-
pliquent nos philosophes , iJ y a :
celles qui sont de Dieu sont ordon-
n,ées ou bien réglées ; donc ccHc3
278 AUT
qui sont mal réglées ou mal or-
données ne viennent pas de Dieu.
C'est ainsi qu'il faut l'entendre ,
conformément à la droite raison et
au sens littéral ; car enfin n'y a-t-il
pas des puissances injustes , des
autorités usurpées , établies contre
l'ordre et la volonté de Dieu i* Faut-
il obéir en tout aux persécuteurs
de la vraie religion i" Et , pour fer-
mer la bouche à l'imbécillité , la
puissance de l'antechrist viendra-
t-elle de Dieu ? etc.
Sans nous émouvoir de cette in-
sulte , nous disons que ce commen-
taire est opposé au texte ; il sup-
pose que saint Paul, après avoir dit
qu'il n'est point de puissance qui
ne vienne de Dieu , se rétracte ou
restreint cette maxime , et décide
que la puissance ne vient de Dieu
que quand elle est bien réglée. Mais
qui décidera si elle est bien ou mal
régléePLes particuliers, sans doute;
avant d'obéir ils examineront si
Vautorité est légitime ou usurpée ,
si les lois sont justes et conformes
à la volonté de Dieu ; si elles leur
paroissent injustes , lisseront dis-
pensés de la soumission , et ils au-
ront droit de résister à Vautorité.
Excellente morale! C'a été celle de
tous les séditieux et de tous les fa-
natiques de l'univers.
i." Saint Paul a donc eu tort
d'ordonner aux fidèles en général
de rendre honneur , triL Qt, respect
aux puissances établies pour lors ;
s'étoient des païens, des tyrans, des
persécuteurs, de vrais antechrists.
Claude etN.éronétoient empereurs,
etl'on ne soutiendrapas, sans dou-
te , que la puissance de ces monstres
ctoit fort bien réglée. 2.° Saint
Pierre dit sans restriction : « Soyez
>» soumis pour Dieu à toute créa-
» ture humaine , au roi comme le
» plus élevé en dignité , aux offi-
1» ciers qu'il a préposés pour punir
» les malfaiteurs et protéger les
» gens de bien ; parce que telle est
» la volonté de Dieu. » I, Pclr., c.2,
AUT
y. i3.' 3." Le Sage parlant à des
puissances très-injustes, leur dit;
« Ecoutez, vous qui gouvernez les
» peuples , et qui voyez avec com-
» plaisance les nations autour de
» vous ; c'estDieu qui vous a donné
» Vautorité, etvotrepuissancevient
» du Très-Haut ; il jugera vos ac-
» tions et vos plus secrètes pensées,
» parce qu'étant les ministres de
» son royaume , vous n'avez pas
» gardé les lois de la justice, ni
» gouverné selon sa volonté. » Sft-
picnt., c. 6, ^'. 3. 4'° Les premiers
chrétiens , quoique persécutés par
les empereurs , leur ont obéi dans
tout ce qui ne tcnoit point à la
religion ; nos apologistes l'ont ainsi
représenté auxcmpereursmemeset
aux magistrats ; ïertulJien , saint
Irénce et les autres Pères , enten-
dent comme nous les paroles de
saint Paul. 5.° C'est des protestants
que nos censeurs ont emprunté
leur théorie touchant les fonde-
ments de Vautorité ; Jurieu a sou-
tenu avant eux qu'il n'y a aucune
relation de maître , de serviteur ,
de père , d'enfant , de mari et de
femme , qui ne soit établie sur un
pacte mutuel ; que Vautorité, fon- g
dée sur le droit de conquête , n'est "
qu'une pure violence, etc. M. Bos-
suet l'a réfuté sans réplique , cin ■
quième avert. aux protest., n. 5o et
suivants. 6." Cependant les plus cé-
lèbres commentateurs, même pro-
testants , n'ont pas osé tordre le
sens de saint Paul , comme le font
nos jurisconsultes modernes. Voyei
la Synopse des critiques sur ce
passage.
Il y a des autorités illégitimes ,
des puissances usurpées , des gou-
vernements tyranniques , contrai-
res à la volonté et à la loi de Dieu ,
nous en convenons ; mais enfin , -
dès qu'elles existent et sont recon- -■
nues , il est de l'intérêt général et ■
dubicn commun qu'ellessoicntres-
peclées et obéies, parce que l'anar-
chie est le plus grand de tous les ■
AUT
maux. Dans quels dangers scroit la
société, s'il éloilpcrmisau premier
insensé qui jugera l'au/onVe injuste
ou illégitime , de lever l'étendard
et de sonner le tocsin de la sédition
contre elle ? Alors un conquérant
seroii forcé d'avoir toujowrs le
glaive levé sur la tête d'un peuple
conquis , et de le gouverner avec
un sceptre de 1er, pour lui ôter le
pouvoir de secouer le joug. Ainsi
les principes de nos adversaires ,
loin de favoriser la liberté du peu-
ple , ne tendent qu'à fournir aux
souverains un motif ou un prétexte
de lui ôter toute liberté.
On nous demande fièrement s'il
faut donc obéir en tout aux persé-
cuteurs de la vraie religion. Non ,
sans doute : Jésus-Christ a posé la
limite au-delà de laquelle l'ou/on/e'
civile n'a aucun pouvoir ; il a or-
donné de rendre à César ce qui est
à César , et à Dieu ce qui est à Dieu :
or , la religion est à Dieu et non à
César ; c'est Dieu qui l'a établie ,
non-seulement sans le concours de
Vautorité civile, mais malgré sa ré-
sistance ; et c'est dans ce sens que
les apôtres ont posé pour maxime
qu'il vautmieux obéir àDieu qu'aux
hommes. Il n'est personne qui
ne puisse abuser des facultés na-
turelles qu'il a reçues de Dieu ,
aussi-bien que de Vautorité dont
il est dépositaire , et il ne s'ensuit
rien.
Quelques incrédules ont poussé
la démence jusqu'à dire que si toute
autorité vient de Dieu , la peste ,
la guerre, la stérilité et les autres
fléaux de l'humanité en viennent
aussi ; qu'il ne s'ensuit pas néan-
moins qu'il n'est paspermis de s'en
mettre à couvert quand on le peut.
Ainsi , selon leur avis , toute au-
torité est un iléau de l'humanité ,
comme la guerre , la famine , ou la
peste. Mais est- il démontré que la
sociétéhumainepeut se passer aussi
aisément d'une au/on'/r quelconque
pour la gouverner , qjc des lléaux
AUT .7^
dont nous parlons >' Nous prions
ces déclamateurs insensés de citer
l'exemple d'une société civile ou
domestique qui ait subsisté et pros-
péré sous une anarchie absolue. Le
vrai iléau de l'humanité seroit cette
liberté chimérique dontnos adver-
saires ont l'imagination frappée, et
qu'ils ne cessent de réclamer : avec
ce beau privilège, aucune société
ne pourroit se maintenir , et les
membres ne tarderoient pas de se
détruire les uns les autres. L'hom-
me , né avec des passions fougueu-
ses , a besoin de lois qui les répri-
ment, et les lois n'auroient aucune
inlîuence , s'il n'y avoit pas une
autorité armée de la force pour
les faire exécuter.
Avant de décider que les souve-
rains ont reçu de leurs sujets Vau-
torité dont ils sont revêtus , nos
profonds politiques auroient dû
nous apprendre comment les sujets
peuvent donner ce qu'ils n'ont pas,
et ce qu'ils n'ont jamais eu. On
nous dit que Vautorité appartient
de droit naturel au corps de la so-
ciété , qu'elle ne peut s'en dépouil-
ler absolument et pour toujours ,
qu'elle est en droit de la reprendre
lorsque son chef ou s&s chefs en
abusent. La fausseté de ce principe
est déjà suffis.? mment prouvée ;
mais il faut achever de démontrer
le contraire par l'état général du
genre humain , afin qu'il ne reste
aucun doute sur une matière si im-
portante.
Dans les sociétés les plus démo-
cratiques , Vautorité n'est jamais
entre les mains du plus grand nom-
bre, mais des chefs de famille cl
des principaux citoyens; les fem-
mes, les jeunes gens, les serviteurs,
les étrangers résidants , n'y ont
point de part ; ils font cependant
au moins les trois quarts de la so-
ciété. S'il est vrai qu'aucun homme
n'a reçu de la nature le droit de
cornaianderà sou .semblable, si la
liberté est un don du (ici, dont
28q AUT
tout hamme a droit de jouir dès
qu'il t'ait usage de sa raison , il est
clair que, dans la démocratie même,
la quatrième partie qui gouverne
le reste a usurpé V autorité ; que ce
gouvernement est aussi contraire
au droit naturel que l'aristocratie
et l'état monarchique. Pour que
chaque memhre de la so ciété j ouisse
également de la liberté, il faut qu'il
n'y ait plus à'^autorité , et que l'a-
narchie soit absolue.
Dans cet état des choses, voyons
comment Vautoriié pourroit naî-
tre , et quel en sera le fondement.
Tous les membres de la société sont
rassemblés pour établir et choisir
un gouvernement ; tous doivent
donner leur suffrage. Qu'ils re-
ipettent Vautoriié aux chefs de fa-
mille, à un sénat, à un roi , cela
nous est égal ; il s'agit de savoir ce
que peut opérer et ce que signifie
le suffrage que chacun donne à ce
moment. S'il dit -.je vous donne la
portion d'autorité que fai sur la
société , il déraisonne , puisqu'il
n'en a réellement aucune , et que
l'anarchie subsiste encore. S'il en-
tend : je vous donne /'autorité que
j^ ai sur moi, cela ne se peut pas ;
il est absurde qu'un particulier ait
Vautoriié sur soi-même et soit son
propre supérieur. S'il veut dire :
je vous remets ma liberté naturelle ,
c'est un attentat ; une liberté ac-
cordée par la nature est inaliéna-
ble : ainsi le veulent nos philoso-
phes. Si cela signifie : je vous la
dçnne seulement pour un temps ,
sauf à la reprendre quand il me
plaira, le don est illusoire; don-
ner , dit-on , et retenir , ne vaut.
Ainsi, le simple particulier ne peut
donner validement ni Vautoriié
qu'il n'a pas, ni la liberté qu'il a.
Si nous supposons qu'il dit : je
vous choisis pour subvenir au besoin
que la société dont je suis membre a
S être gouvernée , cela se comprend ;
inais alors ce particulier ne fait
^ue céder aune oécessité dont Dieu
AUT
même est l'auteur , et son consen-
tement n'est pas libre. S'il dit -.je
vous choisis pour exercer au nom de
Dieu /'autorité qu^il a sur nous tous,
cela se conçoit encore mieux , et
alors c'est Dieu et non l'homme
qui revêt de Vautoriié le dépositaire
choisi par la société. Nous défions
nos adversaires de donner un autre
sens raisonnable au suffrage d'un
électeur quelconque.
Enfin , l'absurdité de leurs prin-
cipes est palpable , par les consé-
quences énormes qui s'ensuivent.
En supposant que toute autorité est
donnée en considération des bien-
faits reçus ou que l'on espère , ils
ont décidé qu'une socfété qui ne
procure aucun bien à ses membres,
perd le droit de leur commander;
que tout membre mécontent de son
sort a le droit de se. détruire et de
priver la société de ses services.
Suivant cette morale, le méconten-
tement de ce membre le dépouille
de l'humanité , et le met dans l'état
de pure animalité , puisqu'il ne
tient plus à la société humaine. Y
eut-il jamais une société qui n'ait
procuré et ne procure aucun bien
à ses membres ? Elle a veillé à leur
conservation même avant kur na is-
sance ; ils sont redevables à ses lois
de l'éducation qu'ils ont reçue, de
la sûreté dont ils ont joui , des
mœurs qu'ils ont contractées , des
plaisirs de l'adolescence , de leurs
vertus s'ils en ont ; leurs vices sont
leur propre ouvrage , et de là vient
le malheur qu'ils imputent à la so-
ciété. Si Vautoriié, en général , étoit
aussi malfaisante que nos philoso-
phes ingrats le supposent , elle ne
souffriroit pas aussi patiemment
les insultes qu'ils lui font. Nou.'^
nous garderons bien de copier les
conseils abominables que quelques-
uns ont donnés aux sociétés mécon'
tentes de leurs chefs.
La plupart ont reproché à la mo-
rale chrétienne de favoriser le des-
potisme des souverains , en ren-
A LIT
»lant lotir autorilc sacn-c. A-t-il
donc été possible aux chréticnsscn-
sés de. méconnoître une vérité sentie
même par les païens i* Hésiode et
Homère disent que les rois sont les
lieutenants de Jupiter , et que c'est
lui qui les a placés sur le trône ;
les Chinois , que les princes ont
reçu leur commission du ciel ; Zo-
roaslre , qu'Ormudz , ou le bon
principe, a établi les rois pour gou-
verner les peuples. Une preuve po-
sitive de l'heureuse intluence de la
morale chrétienne sur les gouver-
nements , c'est que la puissance
souveraine n'est nulle part plus
tempérée et plus sagement réglée
que chez les nations éclairées par
les lumières de l'Evangile ; partout
ailleurs le despotisme et l'esclavage
sont établis. Constantin , premier
empereur chrétien , est aussi le
premier qui, par ses lois, ait mis
des bornes au despotisme exercé
par ses prédécesseurs. Voyez Loi ,
Roi , etc.
Autorité reugiex:se ou ecclé-
siastique. Nous entendons par là
Vauiorilé des pasteurs de l'Eglise
sur les simples fidèles. Lorsqu'un
chrétien est convaincu que , depuis
le commencement du monde , Dieu
a révélé et prescrit aux hommes la
religion, c'est-à-dire, le cul le qu'il
exigeoit d'eux, il ne peut plus dou-
ter si c'est Dieu qui a donné aux
pasteurs Vautoriié nécessaire pour
enseigner les fidèles , et pour les
guider dans la voie du salut.
Dans l'état de société purement
domestique , le chef de famille étoit
aussi le ministre du culte divin ; les
enfants d'Adam , Noé , Abraham ,
Jacob , ont offert des sacrifices ;
Melchisédech, roi de Salem, étoit
aussi prêtre du Dieu Très -Haut.
Gen., c. i4, y^- 1 8. Mais, lorsque
plusieurs peuplades réunies ont
formé une société civile, ii a été
convenable que la puissance tem-
porelle et Vaulorité spirituelle ne
fussent plus réunies dans la même
AIT 28,
personne. Dieu, en donnant sa loi
aux Hébreux, choisit la tribu de
Lévi pour faire les fonctions du
culte divin ; il confia Vautoriié ci-
vile et politique à Moïse et aux
juges. Jésus-Christ, qui a paru sur
la terre lorsque les nations avoient
une législation civile établie , n'y
a dérogé qu'en ce qui regardoit la
religion ; il a donné aux apôtres
et à leurs successeurs la puissance
spirituelle, ou l'aM/or/'/c nécessaire
pour faire croire la doctrine et ob-
server la morale de l'Evangile : c'est
cf que l'on nomme V autorité de VE~
glise ; et l'on comprend que dans
cette expression l'Eglise est le corps
des pasteurs , et non l'assemblée
des fidèles.
Cette autorité est évidemment
divine, puisque Jésus-Christ est
Dieu ; elle est indépendante de la
puissance civile, puisque le Sau-
veur a établi son Evangile malgré
les puissances de la terre; elle ne
la gène point, puisque la puissance
civile ne s'étend point à la leli-
gion; elle ne l'affoiblit point , au
contraire, elle la renforce par les
leçons d'obéissance qu'elle fait aux
peuples. Jésus-Christ a dit à ses
apôtres : « Touie puissance m'a été
» donnée dans le ciel et sur la terre;
» allez donc, enseignez toutes les
» nations, baptisez-les au nom du
» Père, du Fils et du Saint-Esprit,
» et apprenez-leur à garder tout
» ce que je vous ai ordonné ; je
« suis avec vous jusqu'à la consom-
» inationdessiècies.))Mâ//A., c.28,
^'. 18. Lorsque les souverains et
les peuples ont embrassé le chris-
tianisme, ils se sont soumis à cet
ordre suprême.
Mais aucune vérité n'est à cou-
vert des attentats de l'hérésie. Pour
avoir droit de se révolter contre
une autorité établie depuis seize
siècles, les sectaires ont dit que
Jésus - Christ a donné Vautoriié
spirituelle à VEglise, c'est-à-dire,
à l'assemblée des fidèles; et non aux
28a Airr
pasteurs; que ceux-ci la reçoivent
de V Eglise, et non d'ailleurs ; qu'ils
sont simples mandataires des fidè-
les ; qu'ils n'ont à^aulorité sur le
troupeau qu'autant que les oua i II es
trouvent bon de leur en accorder.
Jésus-Christ, en donnant la mis-
sion à ses apôtres, parloit-il donc
i l'assemblée des fidèles, qui n'exis-
toit pas encore? Trouvera-t-on
dans l'Ecriture que Jésus - Christ
a donné aux fidèles la commission
d'enseigner et de gouverner leurs
pasteurs ? Sans doute , comme on
V a trouvé que c'est aux enfants
de commander à leurs pères et au
peuple de maîtriser les rois.
Comme les prédicants ne pou-
voient établir leur secte que par
une autorité divine, il a fallu re-
courir aux puissances séculières ;
ce sont elles qui ont fondé par
leurs lois les églises luthérienne ,
calviniste et anglicane : aussi n'a-
t-on pas manqué d'enseigner que
Dieu a donné aux rois et aux ma-
gistrats le droit et le pouvoir de
régler et de prescrire la doctrine
et la discipline de l'Eglise ; et cela
s'est trouvé à point nommé dans
l'Ecriture sainte. Mais lorsque
l'intérêt a changé, l'on y a trouvé
aussi que les souverains, à leur
tour, ne sont que les mandataires
de leurs sujets ; que leur autorité,
lorsqu'ils en abusent, est aussi
révocable que celle des pasteurs.
Bien entendu que celte nouvelle
doctrine n'a été prêchée que dans
les états républicains ; dans les
autres , le souverain ne l'auroit
pas soufferte.
Malgré les anathèmes lancés
contre ces erreurs, quelques-uns
«le nos jurisconsultes modernes
ont osé les renouveler, et ont suivi
la même marche que les protes-
tants : ils ont soutenu d'abord que
les pasteurs de l'Eglise ne peuvent
légitimement exercer aucune fonc-
tion publique de leur ministère,
ni faire aucun acte à"" autorité cc-
AUT
clésiastique, sans l'agrément cl l'a-
veu de la puissance civile; ensuite,
pour compléter le système, on
prétend aujourd'hui que les rois
tiennent toute leur au/or/ïe deleurs
sujets, qu'elle ne vient pas plus
de Dieu que celle des pasteurs ne
vient de Jésus-Christ. Ainsi , les
gouvernementsnepeuventplnsêtre
dupes du zèle hypocrite que l'on
avoit affecté d'abord pour la pré-
tendue su;?r<;>/2n/ic de leur pouvoir.
Dans l'article précédent, nous
avons démontré que Dieu est le
seul et véritable auteur de la puis-
sance civile et politique, quelque
soii le sujet dans lequel elle réside.
Au motPASTEURS, nous ferons voir
que leur autorité vient de Jésus-
Christ, et n'est soumise à aucune
autre ; que Vautorité de V Eglise est
celle des pasteurs, elnon du corps
des fidèles.
Il faut distinguer Vautorité de
V Eglise en matière de foi, et Son
autorité en fait de discipline. La
première est la mission même que
les apôtres et leurs successeurs ont
reçue de Jésus-Christ pour ensei-
gner les fidèles, mission qui im-
pose à ceux-ci l'obligation decroi-
re ; il a dit aux apôtres : « Celui
)) qui vous écoute m'écoule moi-
» même, et celui qui vous méprise
» me méprise. » Luc, c. lo, "f • i6-
A l'article Mission, nous prouve-
rons que celle des apôtres ne s'est
pastcrminéeà eux, mais qu'elle a
passé à leurs successeurs, et durera
autant que l'Eglise.
Sans aucun égard pour la mis-
sion, les protestants soutiennent
que, pour régler sa croyance , le
simple fidèle ne doit point s'en
rapporter à Vautorité de VEglise
ou à l'enseignement des pasteurs ,
mais qu'il doit examiner par l'Ecri-
ture sainte ce qui est révélé de
Dieu, ou non révélé, par consé-
quent vrai ou faux, certain ou
douteux; les catholiques prétendent
le contraire, conséquemment ceux-
AUT
ci s'en iicuueul à la voif (runlorilc,
ft les premiers à la voie (V examen.
Il faut donc voir d'abord lequel
de ces deux procédés est le plus
aisé ou le plus possible à un simple
fidèle, de s'assurer de VauiorUé di-
vine de l'Ecriture sainte , ou de
constater la mission divine des
pasteurs de VEglise. Nous soute-
nons que le premier de ces examens
estimpossible au commun des fidè-
les, et que le second est très-aisé.
Pour fonder notre foi sur la
seule autorité de l'Ecriture sainte,
il faut être certain, i.° que tel
livre est canonique , écrit par un
auteur inspiré, et que c'est véri-
tablement la parole de Dieu ; si
c'étoit un livre supposé, apocry-
phe , altéré , rempli d'erreurs , il
n'auroit aucune autorité. 2.° Qu'il
a été fidèlement traduit, et que la
version rend exactement le sens
du texte original. 3.° Que le sens
du livre est véritablement tel
qu'il nous paroît , que nous ne
nous trompons point dans la ma-
nière dont nous l'entendons. Il
n'est aucun de ces trois points sur
lequel il n'y ait des disputes entre
les croyants et les incrédules, entre
les catholiques et les hérétiques ;
un simple fidèle est évidemment
incapable d'entrer dans toutes ces
contestations, à plus forte raison
de les décider.
Pour être assuré de Vautorité di-
vine et infaillible de VEglise , il
faut être convaincu, i.° de la mis-
sion des apôtres , 2.° de la succes-
sion légitime des pasteurs qui les
remplacent. La mission divine des
apôtres est constatée par les mêmes
preuves quiétablissent la divinité de
la religion chrétienne, et que nous
liommons motifs de crédibilité ;
cesont les miracles de Jésus-Christ,
ceux des apôtres, leurs vertus, leur
martyre, leurs succès, le monde
changé par le christianisme: preuve
démonstrative, à portée des plus
grossiers, La succession îîcspaslcurs
AUT
283
de VEglise par la voie de l'ordina-
tion est un fait public, incontes-
table, sur lequel personne n'est
tenté de former des doutes et de
disputer. Dans le sein de VEglise
catholique, un simple fidèle a le
même degré de certitude en matière
de foi, qu'il a de ses intérêts les
plus chers, de sa naissance, de ses
droits, de ses devoirs naturels et
civils; la certitude morale estpous-
sée au plus haut degré de notoriété.
Une preuve de la nécessité de
cette méthode, c'est qu'elle est
suivie dans les sectes mêmes qui
fontproiessiondela rejeter. Avant
de lire l'Ecriture sainte, un luthé-
rien, un calviniste, un socinien ,
sont imbus déjà dès l'enfance, par
leur catéchisme , de la doctrine
de leur communion. Le premier
trouve dans l'Ecriture sainte le lu-
théranisme ; le second y voit le cal-
vinisme; le troisième y découvre la
docti iiie de Socin.Ce n'est donc pas
le sens de l'Ecriture qui les guide,
c'est leur croyance antérieure qui
décide poureux du sens de l'Ecritu-
re. Voyez EcrjTURE sainte, Eglise.
Une autre question est desavoir
si en matière de discipline VEglise a
Vautorité Ac faire des lois, et d'obli-
gerpar des peines les fidèles à les ob-
server. VoyezhoiS ECCLÉSIASTIQUES.
Comme toutes les contestations
entre VEglise catholique et les
sectes hétérodoxes se réduisent à
savoir quelle est la voie la plus
certaine pour connoître la vraie
doctrine de Jésus-Christ , il est
bon de faire voir que notre mé-
thode est fondée sur un principe
unique et simple, dont les consé-
quences sont palpables. Ce prin-
cipe est que la Hdigion chrétienne
est une Hcligion révélée.
De là nous concluons, i.° donc
nous devons la l'ecevoir par l'or-
gane de ceux que Dieu a spéciale-
ment chargés de l'enseigner, et
non par un autre canal. ,,Tout
liomiDc qui n'est point envoya de
284 AUT
Dieu , qui n'est point revêtu d'une
irission divine, est sans caractère et
sans autorité pour dogmatiser; les
talents, les lumières, la sainteté, et
tous les avantages possibles ne peu-
vent suppléer au défaut de mission.
Jésus-Christ l'avoit donnée à ses
apôtres ; ceux-ci l'ont conimuni-
quée à leurs successeurs ; ils ont
voulu que cette mission fiit attes-
tée par Vordination donnée à la face
de VEglise; ainsi le christianisme
s'est perpétué jusqu'à nous, ainsi
il doit se conserver jusqu'à la fin
des siècles.
Il s'ensuit, 2.° que la révélation
du christianisme , qui est un fait
général,doit se prouver comme tout
autre fait, par la tradition orale,par
l'histoire écrite,parlesmonuments,
o u par les rites extérieurs qui y son t
relatifs. Puisqu'ici la certitude mo-
rale ne peut être poussée trop loin ,
et que notre foi ne peut être trop
ferme, aucune de ces trois preu-
ves ne doit être rejetée ; de leur
concert parfait résulte le plus
haut degré de certitude et de no-
toriété possible. C'est ainsi que
l'on procède dans toutes les ques-
tions que l'on peut former sur un
fait important ^ duquel dépendent
nos intérêts les plus chers.
3.0 Que le fait général de la ré-
vélation du christianisme se ré-
sout et se décompose en une mul-
titude de faits particuliers qui
doivent se prouver par les mêmes
signes que le fait général. Toute
question, en matière de religion ,
se réduit à demander : Jésus-Christ
et les apôtres ont-ils enseigné
telle doctrine? Qu'ils l'aient écrite
ou non , cela ne décide rien ,
puisqu'en matière de fait il reste
deux autres preuves, la tradition
et les monuments. Quand les apô-
tres n'auroient écrit nulle part
que le baptême est nécessaire au
salut, il nous suffiroit de savoir
par l'histoire qu'ils ont voulu que
lout fidèle fût baptise, cl que Toi)
ALT
ii'a jamais tenu un homme pots
chrétien, à moins qu'il ne fùtbaj)-
tisé ou n'eût désiré de l'être. Pour
savoir quels effets ils ont attribues
au baptême, nous n'avons besoin
que de considérer les cérémonies
avec lesquelles ce sacrement fut
toujours administré.
Nous concluons, 4-° que toute
autorité en matière de foi se ré-
duit au témoignage. Lorsqu'il est
constant, imiforme , universel de
la part des différentes Eglises ou
sociétés chrétiennes dispersées
dans le monde , il ne peut être
faux. Lorsque les témoins sont
révêtus de caractère, jurent et
protestent qu'il ne leur est ni per-
mis ni possible d'altérer le fait
dont ils déposent, leur attestation
est plus forte et plus respectable.
Tel est le témoignage des Eglises
dispersées, énoncé par la bouche
de leurs pasteurs. Lorsqu'on met
en question si VEglise a une auto-
rité en matière de foi, c'est comme
si l'on demandoit : UEglise est-elle
admissible à rendre témoignage
par la bouche des pasteurs , pour
attester qu'elle est la croyance des
différentes sociétés qui la compo-
sent, et ce témoignage est-il digne
de foi ?
5.° Il en résulte que la catholicité
ou l'uniformité de doctrine entre
ces sociétés dispersées est la vraie
règle à laquelle les grands et les
petits, les savants et les ignorants
doivent faire attention , donner
leur confiance. Lorsqu'entre plu-
sieurs preuves il s'en trouve une
qui est également à portée de tous,
et qui supplée à toutes les autres,
il est naturel que tous y aient re-
cours et se reposent sur elle. Il
seroit absurde de renvoyer les sim-
ples fidèles à des lectures, à des
discussions sur des livres et des
passages, à des raisonnements dont
ils sont évidemment incapables.
Nousconcluons enfin, donc tout
docteur qui veut établir un poinî
AUT
de dogme par une des trois preu-
ves dont nous avons parle, et re-
jette les deux autres, qui veut
conserver la tradition par le si-
lence de l'Ecriture, au lieu de sup-
pléer à ce silence par la tradition
et par l'énergie des monuments,
se rend suspect de fraude. S'il
manque d'ailleurs du caractère
essentiel à l'enseignement, de mis-
sion divine et légitime, c'est un
prévaricateur ; s'il résiste au té-
moignage et à la décision àcVJiglise,
c'est un hérétique.
Outre l'enchaînement et l'évi-
dence de ces conséquences , nous
avons pour nous l'usage observé
constamment depuis les apôtres
jusqu'à nous. Lorsqu'une dispute
sur le dogme s'est élevée, les pas-
teurs se sont assemblés ; ils ont
dit : Voilà ce que nous enseignons
aux fidèles, ce que nous avons trou-
vé, établi et professé dans VEglise
dont le gouvernement nous est
confié. Lorsque ces témoignages
se sont trouvés uniformes, unani-
mes , ou presque unanimes, ils ont
dicté la décision, et on a dit ana -
thème à ceux qui résistoient. Si
l'on est entré avec ces derniers
dans la discussion des passages de
l'Ecriture et des raisonnements
qu'ils objectoient, c'a été pour les
mieux confondre. La seule expli-
cation certaine et infaillible de
l'Ecriture, est l'enseignement con-
stant et uniforme de VEglise.
Ainsi ont raisonné au second
fiiècle saint Irénée, pour réfuter
les hérétiques de ce temps - là ;
au troisième , Tertullicn dans ses
Prescriptions contre eux ; au qua-
trième, les Pèrts qui ont disputé
contre les ariens ; et cette méthode
n'a jamai.s changé.
Ainsi ont été forcés d'agir les
protestants eux-mêmes, lorsqu'ils
ont disputé dans leurs synodes
contre les socîniens, pour savoir
s'il faut baptiser les enfants, et si
le baptême leur est nécessaire ; au
AUT 285
silence de l'Ecriture objecté par
les sociniens , aux passages mêmes
sur lesquels ils se fondoient , les
protestants ont voulu opposer la
pratique constante et générale de
VEglise.
Qu'ont répliqué les socinicna?
Vous en revenez, ont-ils dit, au
principe des catholiques, quevous
laites profession de rejeter aussi-
bien que nous. Le fondement de
votre croyance et de la nôtre est,
que toute question doit être déci-
dée par l'Ecriture seule.
Quand il a fallu prendre parti
sur les contestations survenues
entre les arminiens et les goma-
ristes , les ministres assemblés à
Dordrecht ont décidé, à la plura-
lité des suffrages, que le sentiment
des arminiens est contraire à l'E-
criture, et que ceux-ci prenoient
mal le sens des passages sur les-
quels ils se fondoient. Mais nous
demandons par quelle voie un
simple calviniste peut être assuré
que les gomaristes ont mieux pris
le sens de l'Ecriture que les armi-
niens î*
Il nous paroît plus naturel de
déférer au témoignage des éveques,
lorsqu'ils disent : Noiis attestons
que telle est la croyance de nos Egli-
ses; c'est un fait public sur lequel
il leur est impossible de se trom-
per ou de nous eu imposer , que
de nous soumettre au jugement
des ministres lorsqu'ils disent :
Nous déclarons que tel est le sens de
V Ecriture ; ceci est un article sur
lequel mille docteurs se sont trom-
pés depuis la naissance du chris-
tianisme , et ont été légitimement
condamnés.
Fidèles à suivre la marche des
hérétiques , les sociniens et les
déistes prétendent que, pour sa-
voir si une doctrine est révélée de
Dieu, ou non révélée, il n'est pas
question d'examiner si elle a été
enseignée par Jésus-Christ , par les
apôtres, ou par quelqu'un des
286
ADT
écrivains sacres , mais qu'il faut
voir si elle est conforme à la droite
raison, ou si clic y est opposée ,
parce qu'une doctrine contraire a
la raison est infailliblement fausse,
et ne peut avoir été révélée de
Dieu. 11 est clair que ce procédé
est encore plus absurde que celui
des protestants; mais c'est une
conséquence qui ne pouvoit man-
quer de s'ensuivre : c'est ainsi que
la prétendue réforme a frayé le
chemin au déisme. Déjà saint Au-
gustin a réfuté cette théorie dans
son livre De ulilitaie credendi.
i.° La plupart des vérités révé-
lées sont des mystères ou des vé-
rités incompréhensibles à l'en-
tendement humain ; l'examen de
cette doctrine en elle-même ne
peut donc aboutir qu'à conclure :
Je ny conçois rien. Or, l'ignorance
et le défaut d'intelligence de notre
part ne prouvent rien.
2.° De savoir si Dieu a révélé
telle ou telle doctrine , c'e^t un
fait : or, ce fait se prouve par des
témoignages , et non par des argu-
ments spéculatifs. Parce qu'une
doctrine nous paroît vraie, il ne
s'ensuit pas que Dieu l'ait révélée ;
quand"ellc nous paroîtroit fausse,
il ne s'ensuivroit pas non plus
qu'elle n'est point révélée. Lors-
qu'il est question de savoir si telle
loi est émanée de V autorité souve-
raine , on ne commence point par
examiner si elle est juste ou in-
juste , raisonnable ou absurde ,
utile ou pernicieuse; on s'en rap-
porte aux faits qui prouvent que
cette loi a été véritablement por-
tée et promulguée. C'est un prin-
cipe universellement admis , qu'il
est absurde d'argumenter contre
les faits.
3.° La révélation est faite pour
les ignorants aussi-bien que pour
les savants : or, les ignorants ne
sont pas plus en état de juger de
la vérité ou de la fausseté d'une
doctrine en elle-même , que de
AVE
décider de la justice ou de l'in-
justice d'une loi quelconque. Mais
l'homme le plus ignorant peut être
convaincu des faits qui prouvent
la mission divine des pasteurs de
l'Eglise. Voyez Mission.
4.° La voie d'examen a été de
tout temps la source des hérésies;
elle est encore le principe de toute
espèce d'incrédulité ; parce qu'un
socinien et un déiste jugent que
les mystères du christianisme sont
faux et absurdes, ils décident que
Dieu n'a pas pu les révéler, que
toute révélation est une impos-
ture : ils imitent l'opiniâtreté des
athées , qui soutiennent que Dieu
n'a pas créé le monde, parce qu'il
n'est pas assez bien fait à leur gré.
Il ne faut donc pas confondre
l'examen de la mission avec l'exa-
men de la doctrine : le premier est
à la portée des simples fidèles , le
second ne l'est pas. Lorsque la
mission des pasteurs est prouvée,
le devoir du fidèle est de croire
sans examiner la doctrine, parce
qu'il en est incapable.
AVARE , AVARICE. C'est aux
philosophes moralistes de faire
sentir la bassesse et les funestes
conséquences de cette passion ; les
théologiens la nomment l'un des
sept péchés capitaux : souvent elle
est censurée dans l'Ecriture sainte.
Salomon , dans les Proverbes , et
les prophètes, se sont appliqués à
en guérir les Juifs ; Jésus-Christ
reprend fréquemment ce vice des
pharisiens ; saint Paul en inspire
de l'horreur et du mépris ; il dit
que c'est une idolâtrie. En effet ,
les désirs de notre cœur sont une
espèce de culte que nous adiessons
aux objets dans lesquels nous fai-
sons consister notre bonheur. Il
est passé en usage de dire que les
avares n'ont point d'autre Dieu
que l'argent.
AVE, MARIA, ou Salutation
AVE
angélique , prière à la sainleVicrgc,
trcs-usi!,cc clans l'Eglise romaine.
Elle est composée des paroles que
ï'ange Gabriel adressa à la sainte
Vierge, lorsqu'il vint lui annoncer
le mystère de l'incarnation , de
celles de sainte Elisabeth , lors-
qu'elle reçut la visite de la Vierge,
et enfin de celle de l'Eglise, pour
implorer son intercession. On l'ap-
pelle Ave , Maria , parce qu'elle
commence par ces mots, qui signi-
fient : Je vous salue, Marie.
On appelle aussi Ave, Maria, les
plus petits grains du chapelet ou
rosaire, qui indiquent que, quand
on le récite, on doit dire des Ave,
à la différence des gros grains, sur
lesquels on dit lePaler ou l'oraison
dominicale. Voyez V Ancien sacra-
vieniaire par Grandcolas, première
partie, pag. 414.
Ave , Maria (religieuses de 1' ).
Voyez Sainte-ClaiPvE et Corde-
tlÈRES
AVÈNEMENT , se dit de la venue
du Messie. On distingue deux sor-
tes à'avénemenis ctu Messie , l'un
accompli , lorsque le Verbe s'est
incarné, et qu'il a paru parmi les
hommes revêtu d'une chair mor-
telle ; l'autre futur , lorsqu'il des-
cendra visiblement du ciel dans sa
gloire et sa majesté pour juger tous
les hommes.
Les juifs sont toujours dans l'at-
tente du premier avènement du
Messie , et les chrétiens dans celle
du second , qui précédera le juge-
ment. C'est une question parmi les
commentateurs , de savoir si Jésus-
Christ a parlé de ce dernier avène-
ment dans l'Evangile , Mait. , c. 24 ;
Marc., c. i3; Luc, c. 21. Malgré
les efforts que l'on a faits pour le
prouver dans une dissertation sur
ce sujet, B/è/c cC Avignon , tom. i3 ,
p. 4q3 , il nous paroît plus naturel
de penser qu'il est seulement ques-
tion du siège de Jérusalem , de la
ru.iiie et de la dispersion dç la na-
AVE 287
lion juive. Pour entendre autre-
ment le discours de Jésus-Christ,
il faut forcer le sens de ses paroles :
C^/Zc génération ne passera point
jusqu^à ce que tout s' accomplisse. Les
Pères ont pensé , à la vérité , que
les événements dont parle le Sau-
veur , sont une figure de ce qui
doit arriver à la fin du monde ;
mais aucun n'a décidé, que ce soit
là le sens littéral des évangélistes.
AVENT , temps consacré par
l'Eglise pour se préparera célébrer
dignement la fête de l'avènement
ou de la naissance de Jésus-Christ ,
et qui précède immédiatement cette
fête. Voyez Noël.
Ce temps dure quatre semaines,
et commence le dimanche qui
tombe ou le jour de saint André ,
ou le jour qui en est le plus pro-
che , soit avant, soit après, c'est-
à-dire , le dimanche qui tombe
entre le 27 novembre et le 3 dé-
cembre inclusivement. Cet usage
n'a pas toujours été le même. Le
rit ambrosien marque six semaines
pour Vavent , et le sacramentaire
de saint Grégoire en compte cinq.
Les capilulaires de Charlemagiie
portent qu'on faisoit un carême de
quarante jours avant Noël : c'est ce
qui est appelé , dans quelques an-
ciens auteurs, le carême de la Saint-
Martin. Cette abstinence avoit d'à-*
bord été instituée pour trois jours
par semaine; savoir, le lundi , le
mercredi et le vendredi , par le pre-
mier concile de Mâcon, tenu en 58 1 .
Depuis , la piété des fidèles l'avoit
étendue à tous les autres jours; mais
elle n'étoit pas constamment obser-
vée dans toutes les Eglises , ni si
régulièrement par les laïcs que par
les clercs. Chez les Grecs , l'usage
n'étoit pas plus uniforme: les uns
commençoient le jeûne de Vavent
dès le i5 novembre , d'autres le 6
de décembre , et d'autres le 20.
Dans Constantinople même, l'ob-
servation de Vavent dépendoit de
288 AVE
la (Icvolion des particuliers , qui le
commcnçoient tantôt trois, lautôt
six semaines , et quelquefois huit
jours seulemeut avant Noël.
En Angleterre, les tribunaux de
jiidicature étoient fermés pendant
ce temps -là. Le roi Jean fit à ce
sujet une déclaration expresse, qui
portoit défense de vaquer aux af-
faires du barreau dans le cours de
Vafeni , In adveniu Domini nulla
assisa capî débet ; et même encore
à présent il est défendu de se ma-
rier pendant l'ctw/î^ sans dispense.
Une singularité à observer par
rapporta l'at^c/îf, c'est que, contre
l'usage établi aujourd'hui d'appeler
la première semaine de Vavent celle
par laquelle il commence , et qui
est la plus éloignée de Noël , on
donnoit ce nom à celle qui est la
plus proche , et l'on comptoit ainsi
toutes les autres en rétrogradant ,
comme on fait avant le carême les
dimanches de la septuagésime ,
sexagésime et quinquagésime, etc.
AVEUGLEMENT SPIRITUEL.
Il consiste à ne pas sentir l'impor-
tance du salut , le prix des grâces
de Dieu , l'énormité de nos péchés ,
la nécessité de faire pénitence , etc.
L'Ecriture dit des infidèles , qu'ils
sont dans les ténèbres , et de tous
les pécheurs , qu'ils sont aveugles.
Lorsque cel aveuglement est volon-
taire , il est criminel sans doute ;
s'il ne l'étoit pas , il ne seroit pas
imputable.
Cependant nous lisons dans plu-
sieursendroitsdes livres saints, que
Dieu aveugle les pécheurs, les im-
pies, les incrédules; comment cela
doit-il s'entendre ? Souvent Dieu
reproche aux pécheurs leur aveu-
glement; peut-il en être l'auteur ?
Non sans doute. Il est dit , Sap. ,
c. 2 , y'. :i5 , que les pécheui's sont
aveuglés par leur propre malice ;
II. Cor , c. 4 ,!>!''. 4 ï V^^ "^'^st le
dieu de ce siècle, ou les .passions di-
vinisées , qui ont aveugle l'esprit
AVE
des infidèles ; ce n'est donc pas
Dieu. Saint Paul dit que ce cœur
des faux sages a été aveuglé , parce
qu'ayant connu Dieu , ils ne l'ont
pas honoré , qu'ainsi ils sont inex-
cusables. Rom. , c. I , ^. 20 et 21 ;
c'a donc été leur faute , et non celle
de Dieu. Saint Jean dit que celui
qui hait son frère , ne voit pas
clair , que les ténèbres l'ont rendu
aveugle ; mais il nous avertit que
Dieu est la lumière , et qu'en lui
il n'y a point de ténèbres , Joan. ,
c. I , ^. 5 ; c. 2 , ^. 12 •, Vaveugle^
ment ne vient donc pas de lui. Il
dit que le Verbe divin est la vrfl.^c
lumière qui éclaire tout homme
qui vient en ce monde , Joan. , c. i ,
S • 9 ; les pécheurs ne sont pas
exceptés.
Dieu répète continuellement aux
Juifs : Soyez saints , parce que je suis
saint : or, la sainteté de Dieu con-
siste en ce qu'il défend le péché et
le punit ; il ne peut donc y contri-
buer en aucune manière. « Dieu ,
» dit le Sage, déteste l'impie et son
» impiété , » Sap. , c. i4, S • 9- " Et
» il ne donne lieu de pécher à per-
» sonne , » JEccli. , c. i5 , ^ , 21.
Dieu ne veut pas seulement que
l'on dise qu'il abandonne les pé-
cheurs, ibid. ,'S- II ; à plus forte
raison seroit-ce un blasphème de
penser qu'il les aveugle , qu'il leur
ôte absolument toute lumière de la
grâce. Enfin Jésus-Christ dit for-
mellement aux Juifs : « Si vous étiey.
» aveugles , vous n'auriez point de
» péché , c'est-à-dire , vous ne sc-
» riez point coupables du péché. .
» que vous commettez, en refusant 1
» de croire en moi , » Joan. , c. 9, *
y . 4i. Cela nous paroît clair.
Cependant Calvin a cité vingt
passages qui prouvent que Dieu
aveugle positivement les pécheurs ;
les incrédules ne cessent de les ré-
péter; plusieurs théologiens en abu-
sent pour prétendre qu'il y a des
pécheurs auxquels Dieu refuse des
grâces de conversion ; il faut donc
AVE
les examiner en détail. La question
est très-importante ; il s'agit de sa-
voir si nous n'avons pas à faire à
des aveugles volontaires.
Remarquons d'abord que dans
toutes les langues , même dans la
nôtre, il y a deux équivoques très-
communes. La première est de dire
qu'un homme fait ce qu'il laisse
faire , ce qu'il néglige d'empccher
autant qu'il le peut ; ainsi l'on at-
tribue à un magistrat les désordres
qu'il n'empêche point , à un père
lespassions de son fils lorsqu'il ne
les réprime point , à un maître le
libertinage d'un domestique sur le-
quel il ne veille point. Les Pères
de l'Eglise disent aux riches qui
n'assistent point les pauvres : Vous
ne les avez point nourris, vous les
avez tués : Non pavîsti , occidisti ;
et cela signifie seulement, vous les
avez laissés périr. Nous disons à un
imprudent qui s'est attiré des mal-
heurs par défaut de prévoyance
et de précaution : Vous Vacez vou-
lu , etc. La seconde , qui revient au
même , est d'appeler cause ce qui
est seulement occasion ; ainsi nous
disons brusquement à un homme ,
vous me/ailes enrager , lorsque son
caractère ou sa conduite sont pour
nous une occasion de dépit et de
colère , même contre son inten
tion ; la vraie cause est notre impa-
tience , et souvent la bizarrerie de
notre propre caractère. On dit à un
jeune homme follement épris des
attraits d'une femme : Cette beauté
TOUS aveugle , vous rend fou ; sou-
vent elle l'ignore ou en est fâchée.
On dit des grands qui prodiguent
leur» bienfaits , qu'ils font des in-
grats ; ce ne devroit pas être là le
fruit des bienfaits.
C'est dans ce double sens qu'il
est dit que Dieu aveugle les pécheurs ;
1° parce qu'il ne leur accorde pas
des lumières aussi abondantes et
aussi puissantes qu'il le faudroit
pourdissiperfacilement leur aveu-
glement ; mais l'excès de leur opi-
AVE a8y
niàtreté n'est pas un titre pour
exiger delui de plus grandes grâces;
a.° parce que la patience avec la-
quelle il les attend, les bienfaits
qu'il leur accorde, leur persuadent
souvent qu'il en sera toujours de
même, et que Dieu ne les punira
pas. Dieu ditaux Juifs, Isaï., c.43,
y^. 24 : « Vous m'avez fait servir
» à vos propres iniquités , » c'est-
à-dire , vous aveu abusé de mes
bienfaits pour m'offenser. Toutes
ces façons de parler, abusives et
fausses en bonne logique, ne doi-
vent pas plus nous surprendre en
hébreu qu'en françois , dans les
auteurs sacrés que chez les écri-
vains profanes.
Le passage le plus fort qu'il y
ait sur cette matière, e^t dans le
prophète Isaïe, c. 6. y. 9, Dieu
lui dit : « Va et dis à ce peuple ,
>» Ecoutez et n entendez pas, voyez
» et ne comprenez pas. Endurcis
» le cœur de ce peuple, bouche-
» lui les oreilles et ferme -lui les
«yeux, de peur qu'il ne voie, n'en-
» tende et ne comprenne , qu'il
» ne se convertisse et que je ne le
» guérisse. Jusques à quand , Sei-
n gneur? Jusqu'à ce que ses villes
» soient sans habitants, sesmaisons
» désertes, et ses terres sans cul-
» ture. » Si l'on prenoit ce passage
à la lettre, rien ne seroit plus ab-
surde. i.° Ce seroit une contra-
diction de la part de Dieu d'en-
voyer un prophète aux Juifs pour
leur faire des reproches, s'il avoil
le dessein de les aveugler et de
les endurcir : ils l'étoienl déjà.
2 .° Isaïe n'avoit certainement pas le
pouvoir de les rendre pires qu'ils
n'étoient. Il est donc évident que
c'est ici une prédiction , et non
un commandement; le sens est:
« Va dire à ce peuple : Vous écou-
» tez et n'entendez pas , vous voyei
» et ne comprenez pas. Mais laisse-le
» endurcir son cœur, se boucher
» les oreilles, se fermer les yeux,
» parce qu'il craint de voir, d'en-
«9
ago AVE
» tendre et «l'être guéri ; et cela
» durera jusqu'à ce que l'excès de
» ses malheurs le fasse rentrer en
j> lui-même. » Cette menace éloit
évidemment plus propre à con-
vertir les Juifs qu'à les aveugler ;
c'est le langage d'un père irrité
contre ses enfants, mais qui vou-
droit les changer, afin de ne pas
être obligé de les punir.
Ce passage d'Isaïe est répété cinq
ou six fois dans le nouveau Tes-
tament. Matth. , c. i3, f. i3.
Jésus-Christ dit des Juifs : <f Je
» leur parle en paraboles, parce
» qu'ils regardent et ne voient pas,
» ils écoutent et ils n'entendent
» pas, et ne comprennent rien.
» Ainsi s'accomplit à leur égard
» la prophétie d'Isaïe , qui leur
j) dit : Vous écouterez et n'entendrez
» pas, vous regarderez et ne verrez
j> pas. Car le cœur de ce peuple
» est appesanti ; ils ouvrent àpeine
» les oreilles, ils ferment les yeux,
i> de peur de voir, d'entendre , de
» comprendre, de se convertir et
ï> d'être guéris. » Ainsi le Sauveur
attribue à la malice volontaire des
Juifs ce que la prophétie sembloit
attribuer à Isaïe lui-même. Malgré
cette évidence, les incrédules con-
cluent que Jésus -Christ parloil
exprès aux Juifs en paraboles, afin
de les aveugler et de les endurcir.
Quoi ! des paraboles sensibles , des
comparaisons palpables , n'é -
toient-elles pas la leçon la plus
propre à ouvrir les yeux d'un peu-
ple grossier et obstiné ? Il étoit
question là de la parabole de la
semence, image de la parole dcDieu,
et des causes qui l'empêchent de
produire du fruit; cette énigme n'é-
toit pas fort difficile à comprendre.
Cependant, disent les incrédules,
Jésus -Christ témoigne qu'il n'a
aucune envie d'ouvrir les yeux aux
Juifs ; lorsque ses disciples lui de-
mandent : « Pourquoi parlez-vous
» en paraboles à ces gens-là ? il
» répond : Parce qu'il vous est
AVE
» donné de connoître le mystère
» du royaume des cieux , au lieu
» que cela ne leur est pas accordé. »
Ibid., y. II. Ensuite il explique
à ses disciples en particulier le
sens de la parabole, ctne l'explique
point au peuple.
Mais pourquoi n'étoit - il pas
donné aux Juifs de connoître les
mystères du royaume de Dieu ?
Parce qu'ils ne le vouloient pas :
Jésus-Christ le dit formellement;
ils fermoient les yeux, ils se bou-
choient les oreilles, etc. S'ils lui
avoient demandé une explication
dans le dessein d'en profiter, il la
leur auroit donnée aussi-biea qu'a
ses disciples.
Point du tout, répliquent les
incrédules; suivant saint Marc, c 4»
^. II, Jésus-Christ dit à sts dis-
ciples : « Il vous est donné de con-
» noître les mystères du royaume
» de Dieu, au lieu qu'aux étrangers
» tout est dit eu paraboles, afin
» qu'ils voient sans connoître ,
» qu'ils écoutent sans entendre, de
» peur qu'ils ne se convertissent ,
» et que les péchés ne leur soient
» remis. »
Fausse traduction ; Tva en grec,
ut en latin, ne signifient point la
afin que, mais, de manière que ; il
seroit absurde de supposer que
Jésus-Christ parloit , instruisoit,
reprenoit les Juifs, afin qu'ils n'é-
coutassent pas, et ne fussent pas
convertis. Voyez Intention.
Dans le même sens, Jésus-Christ
dit, Joan., c. 9, "^ . Sg : « Je suis
» venu dans ce monde pour cxer-
» cer un jugement, de manière que
n ceux qui ne voient pas soient
» éclairés, et que ceux qui voient
» deviennent aveugles. » La suite
donne l'explication. Les pharisiens
lui demandèrent : « Sommes-nous
n donc aussi des aveugles ? Si vous
» l'étiez, répliqua le Sauveur, vous
» n'auriez point de péché ; mais
» vous dites : nous voyons ; votre
» péché demeure MDonCjSil'apci*'
AVE
glement des pharisiens éloit venu
dcJésus-Chrisl, et non de leuropi-
niàlrclé, ils auroienl été exempts
de péché.
joan., c. 13, y^ . 37, nous lisons
encore : « Quoique Jésus eût lait
» de sigrands miracles en présence
» des Juifs, ils ne croyoienl pas
» en lui, de manière qu'ils accoin-
1» plissoient ce qu'a dit Isaïe : Sei-
u gneur, qui a cru ce que nous avons
3» annoncé, qui a reconnu Vopéra-
j» tion de voire bras ? » Ils ne pou-
voient pas croire, parce qu'Isaïe
a encore dit : « Dieu les a rendus
M aveugles et a endurci leur cœur , de
»• rnsLiiitTcqu ils nevoient point, etc.»
A ce sujet, saint Augustin dit:
« Si l'on me demande pourquoi
» ils ne pouvoient pas croire, je ré-
» pondrai d'abord, parce qu'ils ne
» le vouloient pas S'ils ne le
» vouloient pas, c'étoit la faute
M d< la volonté humaine Ils
n étoient si orgueilleux , qu'ils
» vouloient leur propre justice ,
» et non celle de Dieu. » Tract. 53,
in Joan., n. 6 et 9. Tous les jours
nous disons dans le même sens :
Cet homme ne peut se résoudre à
faire telle chose; et cela signifie seu-
lement qu'il ne le veut pas, qu'il
le refuse avec obstination.
Soutiendra-t-on que les Juifs
refusoient de croire, afin d'accom-
Èlir la prédiction d'Isaïe , et que
'ieu les aveugloit positivement ,
afin de les rendre incrédules ?
Non- seulement l'on dira deux ab-
.surdités , mais l'on contredira
l'évangéliste ; il ajoute que cepen-
dant plusieurs des principaux Juifs
crurent en Jésus - Christ , mais
qu'ils ne se déclaroient pas, à cause
des pharisiens, et de peur d'être
chassés de la synagogue. Puisque
les principaux crurent, il ne te-
noit qu'aux autres de faire de même.
Même langage dans saint Paul.
En parlant de l'incrédulité des
Juifs, il leur applique encore la
prédiction d'Isaïe, Ad., c.28, 5^.24
AVE 2tji
et suiv.; Rom., c. 11, J^. 7; mais
il ajoute que, malgré leur obstina-
tion, Dieu les aime encore à cause
de leurs pères, et qu'il lésa laissés
dans l'incrédulité, aussi-bien que
les gentils , afin d'avoir pitié de
tous, ^. 28 et 32. Ce n'étoit donc
pas afin qu'ils demeurassent aveu-
gles et incrédules.
Dès'le second siècle, saint Irénée
a donné cette réponse aux marcio-
nites, qui abusoient déjà des pas-
sages que nous venons d'examiner.
« C'est le même Dieu, dit-il, qui
» aveugle les incrédules qui le mé-
» prisent, comme le soleil, sa créa-
i> ture, aveugle ceux qui ne peuvent
» pas regarder sa lumière à cause
» de quelque maladie des yeux ,
» et qui accorde une lumière plus
» grande et plus parfaite à ceux
» qui croient en lui et le suivent
» Comme il connoît toutes choses
» d'avance , il laisse dans l'incré-
» dulité ceux dont il prévoit la
» résistance, il se détourne d'eux
» et les laisse dans les ténèbres
n qu'ils ont choisies eux-mêmes. »
Adi>. Hœr., 1. 4, c. 2g. Tertullien
répond à peu près de même à ces
hérétiques, 1. 2, adv. Marcion.,
c. i4, et Origène, dePrincip., 1. 3,
c. 1, n. II.
Cependant saint Augustin sem-
ble avoir pensé que Dieu aveugle
positivement les pécheurs pour
punir leurs passions déréglées :
Spargens pœnales cœcitates super
illicHas cupiditaies , Confess. , 1. i ,
c. 18, n. 29 ; et il l'a répété plus
d'ui^e fois. "Mais il a aussi expliqué
plus d'une fois ce qu'il cntendoit
par là. « Dieu, dit-il, aveugle et
» endurcit, en abandonnant et ne
» secourant pas. » Tract. 53, 1/2
Joan., n. 6. « Quiconque est toin-
» bé dans V aveuglement d'esprit est
» privé de la lumière intérieure
V de Dieu, mais non pas entière-
» ment, tant qu'il est dans cette
» vie. » .Enarr. in Ps. c. 6, n. 8.
11 applique à Jésus-Christ tout ce
ly
qui est dit du soleil dans le psaume
i8. « Lorsque le Verbe s'est fait
T» chair, dit-il, et qu'en se revêtant
» de notre mortalité il a daigné
j) habiter parmi nous , il n'a pas
» voulu qu'aucun homme pût s' ex-
» cuser d'être dans les ombres
» de la mort , et la chaleur du
» Verbey a pénétré. » ^/e^ Grâce,
§ 3; Endurcissement.
AVOCAT, AVOCATE. Voy.
Pàraclet,
AZAZEL. Voyez Bouc émis-
saire.
AZOTE. Voyez Septuagésime.
AZYME , du grec âÇupoç , sans
levain , pain qui n'est pas fermen-
té. Depuis le schisme des Grecs,
consommé dans l'onzième siècle
par le patriarche Michel Cérula-
rius, il y a eu dispute eatre eux et
les Latins, pour savoir si le pain
dont on se sert pour la consécra-
tion de l'eucharistie , doit être
levé ou sans levain ; les Grecs et
les autres Orientaux, les Syriens
jacobites et maronites, les cophtes
et les nestoriens , se servent de
pain levé, et il paroît que cet
usage est établi chez eux depuis
les premiers temps du christia-
nisme ; les Latins consacrent du
pain azyme, et les savants ne con-
viennent point de l'époque à la-
quelle cette coutume a commencé,
quoiqu'elle n'ait pas été toujours
généralement observée.
Bingham , charmé de trouver
une occasion de blâmer l'Eglise
romaine, prétend que l'usage des
pains azymes , que nous nommons
hosties, a été inconnu dans toute
l'Eglise avant l'onzième siècle ;
il veut nous le prouver par saint
Epiphane, qui parle du pain azyme
comme d'un rit affecté par les
ébionites, Hœr. 3o , n. i5; par]
saint Ambroise, qui appelle le pain|
AZY
de l'cucharislie un pain usuel, de
Sacram., 1. 4> c- 4» P^r l'auteur
de la vie du papeM<lchiade, mort
l'an 3i4, qui nomme l'eucharis-
tie fermentum; par le pape Inno-
cent I, mort en 4' 7» qui l'appelle
de même dans une de ses lettres ;
enfin, parce que Photius, qui
commença le schisme des Grecs au
neuvième siècle, n'objecte point
aux Latins l'usage du pain az^me,
au lieu que Michel Cérularius leur
en fit un crime en loSi ; donc, dit
Bingham , il n'en étoit pas encore
question dans l'Eglise latine. Orig.
ecclés. , 1. i5 , c. 2 , § 5.
Mais ces preuves ne peuvent pas
prévaloir aux témoignages positifs
d'Alcuin en -790, et de Baban-
Maur en 819, qui parlent du pain
azyme, comme d'un usage com-
mandé et nécessaire à observer ; le
premier connoissoit la pratique
des Eglises d'Angleterre, et le se-
cond celle des Eglises d'Allemagne.
Lorsque le rit grégorien fut in-
troduit en Espagne, dans l'on-
zième siècle , au lieu du rite mo-
zarabique , les Eglises de ce royau-
me ne changèrent rien dans le pain
dont elles se servoient pour l'eu-
charistie ; le pain azyme y étoit
donc usité , au moins depuis la fin
du sixième siècle. Dans le dixième
et l'onzième, le pape Léon IX sou-
tint , contre les Grecs , que l'on
s'en servoit en Italie de temps im-
mémorial.
Ce que saint Epiphane dit des
ébionites , nous donne lieu de
penser que, dans l'Eglise grecque,
l'on s'abstient de consacrer du
pain azyme, de peur de paroître
approuver l'erreur des hérétiques,
qui en usoient par attachement
aux rites judaïques; mais la même
raison n'avoit pas lieu dans l'Oc-
cident, où les ébionites neparurent
jamais.
Il n'est pas prouvé que du temps
de saint Ambroise le pain usuel
fût du pain levé ; aujourd'hui en-
AZY
corele peuple des campagnes mange
souvent «les gâteaux de pain sans
levain ; il semble au contraire que
dans la vie du pape Melchiade , et
dans la lettre d'Innocent I , le mot
fermentuni est employé pour dis-
tinguer le pain eucharistique du
pain ordinaire.
Du silence de Photius, l'on doit
seulement conclure que ce patriar-
che et les autres Grecs n'atta-
choîent pas pour lors au pain levé
autant d'importance qu'ils lui en
ont donné cent soixante ans après,
lorsqu'ils ont voulu absolument
consommer leur schisme , et que
dans l'onzième siècle ils ont été
moins raisonnables qu'au neu-
vième.
On ne se persuadera jamais que
dans cet intervalle les Eglises d'I-
talie , des Gaules , d'Espagne ,
d'Angleterre et d'Allemagne , ont
conspiré tout à coup à se servir
de pain azyme contre leur ancien
usage, sans que l'on puisse décou-
vrir aucun motif ni aucun événe-
ment qui ait pu donner lieu à ce
changement ; on sait le temps au-
quel le missel grégorien a été sub-
stitué au missel gallican elau missel
gothique ou mozarabique, la ma-
nière dont cela s'est fait , et les
motifs- par lesquels on s'y est dé-
terminé : pourroit-on ignorer l'o-
rigine du pain azyme, si l'usage du
pain levé avoit été constant et
universel dans tout l'Occident?
Il est à peu près certain que Jé-
sus-Christ a consacré l'eucharistie
avec du pain azyme, puisque c'é-
AZY 293
toit le seul dont il fût permis d'user
dans la célébration de la pâque :
cette considération jointe à la le-
çon que saint Paul fait aux fidèles,
I. Cor., c. 5, 3i^'. 7 : « Purifiez-
» vous du vieux levain, etc. , » a
fait conclure que le pain azyme
étoit le plus convenable pour l'eu-
charistie. Aujourd'hui encore les
Abyssins cophtes se servent de pain
rti/mepour consacrer l'eucharistie
le jour du jeudi saint : les armé-
niens ont affecté de ne mettre ni
levain dans le pain eucharistique ,
ni vin dans le calice , afin d'expri-
mer ainsi leur erreur touchant
l'unité de nature en Jésus-Christ;
les ébionites s'abstenoient de célé-
brer avec du pain levé, par atta-
chement aux rites judaïques ; mais
l'Eglise latine ne s'est conduite par
aucun de ces motifs. C'est très-mal
à propos que les Grecs l'ont voulu
charger de ce ridicule ; par mé-
pris , ils nous appellent azymites ;
par réciprocité on les a nommés
fermeniaires . Les protestants au-
roient dû s'abstenir d'imiter l'o-
piniàtreté des Grecs. L'Eglise latine
a été plus raisonnable qu'eux :
lorsqu'ils consentirent à se réunir
à elle au concile de Florence , il
fut décidé que chacune des deux
Eglises seroit libre de conserver
son ancien usage. Le Brun, Explic.
des Cérémon. , t. 5, p. ii6etsuiv.
Thiers fait mention de plusieurs
superstitions pratiquées par diffé-
rentes sectes à l'égard du pain eu-
charistique. Tr. des Superstitions,
tonn. 2 , lib. 3, ch. i.
«oooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooo<»oooCM>ocoooooooMO
B
B A AL ou BEL, divinité des] Phéniciens ou Chananéens , des
Assyriens, des Babyloniens, des j Carthaginois, etc. Ce nom signifie
394 KAA
Seigneur ; il paroît synonyme à
Moloch , prince, ou roi ; c'est un
«les noms anciens du soleil : la
première idolâtrie a été l'adoration
des astres. Voyez Astres.
On sacrifioit à Uaa/ ou à Moloch
des victimes humaines , des hom-
»aes faits ou des enfants ; et ce
culte impie fut souvent imité par
les Juifs , malgré la défense ex-
presse que Dieu leur en avoit faite.
Deul , c. 13, S • 3o. Jérémie leur
reproche d'avoir brûlé leurs en-
fants en holocauste à Baal , c. 19,
T?. 5 , et de les avoir initiés à Mo-
loch, c. 32 , y^. 35.
Les rabbins , pour diminuer
l'horreur de ces sacrifices impies,
soutiennent que leurs ancêtres ne
brùloient pas leurs enfants , mais
qu'ils les faisoient seulement passer
par le feu à l'honneur de Moloch.
Les expressions de Jérémie, com-
parées à la loi du Deutéronome ,
semblent témoigner le contraire.
Si dans le culte de Baal il n'en
coûtoit pas toujours la vie à quel-
qu'un , ses autels du moins étoient
souvent arrosés du sang de ses
propres prêtres. On le voit par le
.sacrifice sur lequel Elie les défia
de faire descendre le feu du ciel.
« Ils se blessoient selon leur usage,
» dit l'écrivain sacré , avec des
I) couteaux et des lancettes, jus-
» qu'à ce qu'ils fussent couverts de
») sang. » III. Reg. , c. 18 , ](?. 28.
Dans la suite, on a cru que le
Dieu Bel des Assyriens étoit Nem-
rod , et que celui des Phéniciens
étoit un roi de Tyr ; mais il n'y
en a aucune preuve , le culte rendu
aux morts est postérieur de beau-
coup à l'adoration des astres. Il
n'a commencé que quand il y a eu
des rois assez puissants pour en
imposer aux hommes par l'éclat
du faste , et des peuples assez es-
claves pour pousser la flatterie aux
derniers excès. Voyez la Disseria-
iion sur Moloch, etc.; Bible d'A-
vignon, tom. 2, p. 355 ; Mém. de
BAA
r Académie des Inscript., t. 71 , in-
p. 172.
Quand on considère les désor-
dres et les crimes dont l'ancienne
idolâtrie étoit accompagnée , on
n'est plus surpris de ce que Dieu
l'avoit défendue aux Israélites sous
peine de mort.
B A ALITES, adorateurs de Baal.
Pour excuser le culte rendu au so-
leil , et toutes les autres espèces
d'idolâtrie , quelques incrédules
ont prétendu que ce culte se' rap-
portoit au vrai Dieu ; que les po-
lythéistes adoroient, dans les astres
et dans les différentes parties de la
nature , la puissance et la bonté
du Créateur. C'est prêter des idées
bien spirituelles à des hommes très-
grossiers, et dont nous avons peine
à concevoir toute la stupidité.
S'il y avoit une idolâtrie excu-
sable , ce seroit sans doute le culte
du soleil ; cet astre est , pour ainsi
dire , l'âme de la nature ; rien de
plus pompeux que les hymnes faits
à son honneur par les anciens
poètes. Mais si l'on avoit demandé
aux Péruviens, qui l'adoroient , à
quel personnage ils avoient inten-
tion de rendre leurs respects et
leurs vœux , il n'est pas à présumer
qu'ils auroient nommé te Créa-
teur de l'univers, dont la provi-
dence gouverne toutes choses. Ils
croyoient que le soleil étoit un être
animé et intelligent ; c'étoit même
l'opinion des philosophes grecs;
c'est donc à lui que s'adressoient
les hommages qu'on lui rendoit ,
puisque l'on étoit persuadé qu'il
voyoit , entendoit et approuvoit
ce que l'on faisoit pour obtenir
ses faveurs. Lorsque Zoroastre vou-
lut donner une religion nouvelle
aux Chaldéens qui adoroient les
astres , il ne pensa point que leur
culte eiit aucun rapport au .seul
Dieu créateur du monde.
IJ y a plus. Celse , Julien , Por-
phyre, ou»- fait un crime aux chré-
BAB
liens «le ce qu'ils ne vouloîent ren-
«Irc aucun culte aux génies, aux
prétendus dieux inférieurs ou se-
condaires , auxquels , selon eux ,
le Dieu suprême a confié le gou-
vernement de l'univers. Us soute-
iioient , comme Platon , que ce
Dieu suprême étoit trop grand ou
trop occupé de son bonheur, pour
se mêler des choses de ce monde ;
conséquemment qu'il étoit fort
inutile de lui rendre aucun culte ;
que l'encens , les prières et les
offrandes dévoient être adressés
seulement aux génies , ou dieux
inférieurs. Porphyre , Traité de
Vabstinence, liv. 2 , c. 34 , Sy , 38.
Le soleil , sans doute, étoit un de
ces dieux ; en quel sens le culte
qu'on lui rendoit pouvoit-il se
rapporter au vrai Dieu i*
Sans entrer dans une plus longue
discussion , nous pouvons être as-
surés que si l'idolâtrie avoit eu
quelque rapport au Créateur, elle
ii'auroit pas fait naître chez les
païens tant d'absurdités et tant de
crimes , et Dieu ne l'auroit pas
punie par des châtiments si rigou-
reux. Voyez, Dieux des Païens,
Idolâtrie.
BAANITES, hérétiques, secta-
teurs d'un certain Baanès, qui se
disoit disciple d'Epaphrodite, et
enseignoit les erreurs des mani-
chéens vers l'an 810. Voyez Pierre
de Sicile, iîist. du manichéisme
renaissant. Baronius, ad ann. 810.
BABEL. L'histoire sainte ra-
conte que les hommes rassemblés
dans les plaines de Sennaar n'a-
voient encore qu'un même langage;
qu'ils formèrent le dessein de bâtir
une tour élevée jusqu'au ciel ,
avant de se séparer , ou plutôt afin
qu'elle leur servît de marque pour
ne pas se séparer ; que Dieu , pour
renverser ce projet, confondit
leur langage sur le lieu même, de
manière qu'ils ne s'entendirent pins
BAB agS
les uns les autres; qu'ainsi il les
força de se diviser pour aller ha-
biter différentes contrées : que celte
tour reçut le nom At Babel, con-
fusion , parce que le langage des
hommes y fut confondu. Gen. ,
C. II.
Cet événement arriva l'an du
monde 1802; Phaieg , le dernier
des patriarches de la famille de
Sem , venoit de naître ; selon quel-
ques.commentateurs , il avoit alors
quatorze ats, et son nom signifie
dispersion. Cette date s'accorde
avec les observations que Callis-
thène envoya de Babyloneà Aris-
tote ; elles étoient de i6o3 ans ;
c'est précisément l'intervalle de
temps qui s'étoit écoulé depuis la
fondation de la tour de Babel jus-
qu'à l'entrée d'Alexandre à Baby-
lone.
L'Ecriture remarque encore que
cette masse d'édifice étoit de bri-
que liée avec du bitume : les voya-
geurs nous apprennent que dans ce
même lieu la terre continue à vo-
mir une prodigieuse quantité de
bitume. On trouve, à un quart de
lieue de l'Euphrate, vers l'Orient,
des ruines que l'on croit être les
restes de la tour de Babel; mais
celte opinion n'est appuyée sur au-
cune preuve.
Quelques incrédules ont fait des
difficultés contre l'histoire de la
confusion des langues et de la tour
de Babel. Selon la Genèse , disent,
ils, cette entreprise fut faite cent
dix-sept ans après le déluge; pen-
dant un si court espace , il nepou-
voit pas être né assez d'hommes
pour former toutes les peuplades
dont parle Moïse, pour faire un
édifice aussi immense , et il n'y
avoit pas eu assez de temps pour
inventer tous les arts nécessaires à
l'exécution d'un pareil ouvrage.
Mais Moïse ne suppose point que
pour lors la terre fût déjà cou-
verte de toutes les peuplades dont
il parle au chapitre 10 de la Ge-
29« BAB
nese ; il y détaille d'avance les gé-
nérations qui ne vinrent au monde
qu'après la dispersion.
Connoît-on assez quelle fut la
masse et la hauteur de la tour de
Babel, pour assurer qu'il n'y avoit
pas alors assez d'hommes existants
pour l'avoir faite? Le désir qu'ils
avoient de construire une tour fort
haute, ne prouve pas qu'ils l'aient
élevée en effet à une grande hau-
teur. Il n'y a d'ailleurs aucune né-
cessité de s'en tenir à la chronolo-
gie du texte hébreu, touchant la
date de cet événement ; suivant les
septante et le texte samaritain , il
n'est arrivé qu'environ quatre
cents ans après le déluge.
Noé et ses enfants connoissoient
les arts , puisqu'ils avoient bâti
l'arche , ils n'en perdirent point la
tonnoissance pendant l'année du
déluge; ils purent donc la donner
à leurs descendants , sans que
ceux-ci fussent obligés de les in-
venter.
Ces mêmes critiques demandent
comment toutes ces peuplades pou-
voient avoir encore la même lan-
gue , pendant que Moïse a dit, dans
le chapitre précédent , que chacun
avoit sa langue ; comment elles se
trouvoient rassemblées dans les
plaines de Sennaar, après qu'il a
dit qu'elles étoient allées peupler
le Nord et le Midi.
Ferons-nous un crime à cet his-
torien d'avoir dit, paranticipation
et brièvement dans le chapitre lo,
ce qu'il se proposoit d'exposer plus
en détail dans le chapitresuivant ?
Si c'ctoit une faute , on pourroit
la reprocher à tous les écrivains
de l'antiquité.
Lorsque les censeurs de Moïse
témoignent leur étonnement de ce
que la construction de la tour de
Babel et la confusion des langues ,
so;it deux faits dont les ' auteurs
profanes n'ont eu aucune connois-
sance, ils montrent eux-mêmes
que les leurs sont très-bornées. Eu-
BAlî
sèbc , dans &a. Préparation évangé-
Uque, liv. 9, c. i4 , I7,ctc , nous
a conservé un fragment de l'his-
toire d'Assyrie , écrite par Aby-
dène , où ces deux grands événe-
ments sont rapportés ; donc la tra-
dition en étoit conservée sur le lieu
même. Il cite encore Artapan et
Eupolème, qui disent la même
chose. Il paroît que la guerre des
Titans contre les dieux , dont par-
lent les poètes, n'est autre chose
que l'entreprise de Babel déguisée
par les fables. Celse et Julien pré-
tendoient au contraire que Moïse
avoit emprunté des païens toute
cette histoire; mais les écrits de
Moïse sont plus anciens que ceux
des poètes ; Tatien, Origène , saint
Cyrille , l'ont prouvé par tous les
monuments de l'histoire profane.
D'autres critiques, dont l'ambi-
tion étoit de diminuer le nombre
des miracles, ont voulu faire dis-
paroître celui de la confusion des
langues à Babel. Selon le génie de
la langue hébraïque , disent- ils ,
celte expression de Moïse : Toute
la terre ri'avoii qu'une bouche et une
parole, peut signifier que tous
les hommes étoient parfaitement
d'accord , n'avoient qu'un même
sentiment et un même dessein ; par
conséquent les paroles suivantes ,
Dieu confondit leur langage , peu-
vent signifier que par la permis-
sion de Dieu la discorde se mil
entre eux, et qu'ils se séparèrent
pour aller habiter différentes con-
trées. Or la différence de leur lan-
gage dut résulter naturellement de
leur séparation même; très-peu de
temps suffit pour que deux peuples
qui ne se fréquentent plus, ne par-
lent plus la même langue. Le Clerc,
in Gènes., c. x i ; Sentiment de quel-
ques Théologiens de Holl. , lett. 19;
Simon, Hist. crit. de V ancien Tes-
tant., liv. I, c. i4 et ih',Bép. aux
Théol. de Holl., ch. 20. Saint Gré-
goire de Nysse, Orat, 12 , contra
Èunom., paroît de ce sentiment-
lîAB
Mais cela nVsl pas conforme au
sens naturel du texte : Moïse dit
que Dieu confondit leur langage
sur le lieu niênie , et il le répète
deux fois , chap. 1 1 , y . 7 et 9 ; il
ajoute : tellement que Vun n'enten-
dit plus la parole de son voisin.
Qu'une multitude d'hommes
n'aient eu d'abord qu'un seul et
même dessein , qu'ils aient com-
mencé à l'exécuter de concert, que
tout à coup ils se soient divisés
sans raison et sans motif, etn'aient
plus voulu s'entendre, cela ne nous
paroi t pas naturel . L'historien pré-
vient même cette idée, en attribuant
à Dieu ces paroles : « Si nous les
» laissons faire , ils poursuivront
» l'ouvrage qu'ils ont commencé ,
» jusqu'à ce qu'ils en soient venus
» à bout. » Il n'est donc pas ici
question de la simple permission
d'un événement naturel , mais
d'une intervention positive de la
toute-puissance de Dieu.
Plusieurs auteurs onlfaildesdis-
sertations pour savoir si le langage
que les hommes parloient avant la
confusion , se conserva sans aucun
changement dans la famille de Sem
ou ailleurs ; si cette première langue
est l'hébreu , ou une autre , etc.
Ces discussions ne nous regardent
point. Puisqu'il est prouvé à pré-
sent que toutes les langues sont
composées des mêmes racines mo-
nosyllabes , que toutes leurs dif-
férences consistent dans l'union .
l'arrangement , la prononciation
plus ou moins forte de ces mêmes
éléments; l'hébreu ne peut pas être
censé la première langue plutôt
qu'une autre, à moins que l'on ne
prouve que les racines primitives
y ont été conservées avec plus de
simplicité que dans les autres; c'est
ce que l'on n'a pas encore fait.
Un simple changement de pronon-
ciation des mots primitifs a suffi
pour que les ouvriers de Babel ne
s'en tendissent plus, et il auroit fallu
un miracle permanent pour que
RAI 2g7
les descendants de Sem conser-
vassent toujours parmi eux la même
prononciation et le même arran-
gement de mots primitifs. Voyez
VOr/g/ne du langage et de Técriture,
par M. Gébelin.
BACHELIER. To/ci Faculté
DE Théologie.
B AGNOLOIS ou BAGNOLIENS ,
secte d'hérétiques qui parurent
dans le huitième siècle , et furent
ainsi nommés de Bagnols, ville du
Languedoc, au diocèse d'Uzès, où
ils étoient en assez grand nombre.
On les nomme aussi concordais ou
conzocois , termes dont on ne con-
noît pas la véritable origine.
Ces bagnolois étoient mani-
chéens, et furent les précurseurs
des albigeois. Ils rejetoient l'ancien
Testament et une partie du nou-
veau. Leurs principales erreurs
étoient que Dieu ne crée point
les âmes quand il les unit aux
corps ; qu'il n'y a point en lui de
prescience; que le monde est éter-
nel, etc. On donna encore le même
nom à une secte de cathares dans
le treizième siècle. Voy. Cathares.
BAHEM, ou plutôt BAHIM.
Dans le premier livre des Macha-
bées, il est dit que le roi Démétrius
écrivit au grand-prêtre Simon en
ces termes : Coronam auream et
bahem quam misistis, suscepimus.
Le grec , au lieu de bahem , lit
ba'inam , que Grolius dérive de
bais, une branche de palmier. Ce
sentiment paroît le meilleur. Il
étoit assez ordinaire d'envoyer
ainsi des couronnes et des palmes
ci'or aux rois vainqueurs, en forme
de présents. Machab. I, ch. i3 ,
BAIANISME ou BAYANISME ,
erreurs de Baïus et de ses disciples.
Michel Baïus ou de Bay , né en
i5i3 à Melin , dans le territoire
298 BAI
d'Ath en Hainaut , après avoir
étudiéàLouvain et passé successi-
vement par tous les grades de cette
université , y reçut le bonnet de
docteur en i54o , et fut nommé
l'année suivante , par Charles V ,
pour y remplir une chaire d'Ecri-
tnre sainte, avec Jean Hessels, son
compagnon d'études et son ami.
Il enseigna dans ses écrits , et fit
imprimer diverses erreurs sur la
^râce , le libre arbitre , le péché
originel , la charité , la mort de
Jésus-Christ, etc. Elles sont con-
tenues dans soixante-seize propo-
sitions _, condamnées d'abord en
1576 par le pape Pie V.
On peut rapporter toutes les
propositions de Baïus à trois chefs
principaux:les unes regardent l'état
d'innocence ; les autres l'état de
nature tombée ou corrompue par le
péché ; les autres enfin l'état de
nature réparée par le Fils de Dieu
fait homme et mort en croix ;
1° Comme les anges et les hom-
mes sont sortis des mains de Dieu
justes et innocents , Baïus et ses
disciples ont prétendu que la des-
tination de ces créatures à la béa-
titude céleste , que les grâces qui
lesy nrienoient de proche en proche,
n'étoient pas des dons gratuits ,
mais des dons inséparables de la
condition des anges et du premier
homme ; que Dieu les leur devoit,
tout comme il devoit à ce dernier
la vue, l'ouïe et les autres facultés
naturelles. Selon le principe fon-
damental de Baïus , une créature
raisonnable et sans tache ne peut
avoir d'autre fin que la vision in-
tuitive de son Créateur; Dieu n'a
pu, sans être lui-même l'auteur du
péché , créer les anges et le pre-
mier homme que dans un état ex-
clusif de tout crime, ni par consé-
quent les destiner qu'à la béatitude
céleste : cette destination étoit à la
vérité un don de Dieu , mais qu'il
ne pouvoit leur refuser sans déro-
ger à sa bonté, à sa sainteté , à sa ;
BAI
justice. Telle est la doctrine de
Baïus , dans son livre De primé
hominis justiiiâ , surtout chap, 8.
Elle est exprimée dans les propo-
sitions 21, 23, 24, 26, 27, 55, 71
et 72 , condamnées par la bulle
dePie V. 2.°ConséquemmentDieu
a été dans l'obligation indispen-
sable de départir aux anges et à
l'homme les moyens nécessaires
pour arriver à leur fin ; d'où il ré-
sulte que toutes les grâces , soit
actuelles , soit habituelles, qu'ils
ont reçues dans l'état d'innocence,
leur étoient dues comme une suite
naturelle de leur création. 3.° Le
mérite des vertus et des bonnes
actions étoit de même espèce, c'est-
à-dire, naturel , ou , ce qui revient
au même , le fruit de la première
création. 4-° Là félicité éternelle
attachée à ces mérites étoit demême
ordre , c'est-à-dire , une pure ré-
tribution, où la libéralité gratuite
deDieun'entroit pour rien ; c'étoit
une récompense et non une grâce.
5.*'L'homme innocent étoit à l'abri
de l'ignorance , des souffrances et
de la mort , en vertu de sa créa-
tion ; l'exemption de tous ces maux
étoit une dette que Dieu payoit à
l'état d'innocence, un ordre établi
par la loi naturelle, toujours inva-
riable , parce qu'elle a pour objet
ce qui est essentiellement bon et
juste. C'est la doctrine expresse des
propositions 53, 69, 70 et 75 de
Baïus. Vojtz Le Père Duchesne,
Hist. du Bàianisme, liv.2, p. 177,
180; et livre 4 , pag- 356 et 36i ; et
le Trailéhist. et do gm. sur la doctrine
ds Baïus, Tpar l'abbé de la Chambre,
tome .' , chap. 2 , pag. 49 et suiv.
Quant à l'état de nature tombée,
voici les erreurs de Baïus et de ses
sectateurs sur la nature du péché
originel , sa transfusion et ses sui-
tes, i." Dans leur système, le pé-
ché originel n'est autre chose que
la concupiscence habituelle domi-
nante. 2." Cette idée supposée, la
transfusion du péché d'Adam n'est
BAI
plus un mystère qui révolte la rai-
son ; ce pcchc se transmet de la
même manière que l'aveuglement ,
la goutte et les autres maladies phy-
siques de ceux dont on lient la nais-
sance : cette communication se fait
indépendamment de tout arrange-
ment arbitraire de la part de Dieu;
tout péché , par sa nature , a la
force d'infecter le transgresseur et
toute sa postérité, comme a faille
péché originel , proposition 5o.
Cependant ce dernier est en nous
sans aucun rapport à la volonté du
premier père, proposition /^f>. Sur
les suites du péché originel , Baïus
dit, i.° que le libre arbitre, sans
la grâce , n'a de force que pour pé-
cher , proposition 28. 2.° Qu'il ne
peut éviter aucun péché, proposi-
tion 29; que tout ce qui en sort,
même l'infidélité négative , est un
péché ; que l'esclave du péché obéit
toujours à la cupidité dominante ;
que jusqu'à ce qu'il agisse par l'im-
pulsion de la charité , toutes ses
actions partent de la cupidité et
sont des péchés, propositions 34 ,
36 , 64, 68 , etc. 3.° Qu'il ne peut y
avoir en lui aucun amour légitime
dans l'ordre naturel , pas même de
Dieu , aucun acte de justice , au-
cun bon usage du libre arbitre, ce
qui paroît dans les infidèles, dont
toutes les actions sont des péchés,
comme les vertus des philosophes
sont des vices , propositions 25 et
26. Ainsi , selon Baïus , la nature
tombée et destituée de la grâce , est
dans une impuissance générale à
tout bien , et toujours déterminée
au mal que sa cupidité dominante
lui propose. Il ne lui reste ni li-
herlé de contrariété , ni liberté de
contradiction exempte de nécessi-
té : incapable d'aucun bien , elle ne
peut produire d'action qui ne soit
un péché ; nécessitée au naal , elle
s'y porte au gré du penchant qui
Ja domine, et n'en est ni moins cri-
minelleni moins punissable devant
Dieu. F". les auteurs cités ci-dessuv<!.
BAI
»99
Les erreurs de Baïus , d'Ilessels
et de leurs sectateurs, ne sont pai
moins frappantes touchant l'état
de nature réparée par le Rédemp-
teur : ils disent formellement que
la rétribution de la vie éternelle
s'accorde aux bonnes actions , sans
avoir égard aux mérites de Jésus-
Christ ; qu'elle n'est pas même , h.
proprement parler , une grâce de
Dieu , mais l'effet et la suite de la
loi naturelle , en vertu de laquelle
le royaume céleste est le salaire de
l'obéissance à la loi ; que toute
bonne œuvre est de sa nature mé-
ritoire du ciel , comme toute mau-
vaise est de sa nature méritoire de
la damnation ; que le mérite des
œuvres ne vient pas de la grâce
sanctifiante, mais seulement de l'o-
béissance à la loi ; que toutes les
bonnes actions des catéchumènes,
qui précédent la rémission de leurs
péchés , comme la foi et la péni-
tence . méritent la vie éternelle ,
propositions 11, 12 , i3 , 18 , 69.
La justification des adultes, se-
lon Baïus , de Justif. , cap. 8 , et de
jusiitiâ, cap. 3 et 4 , consiste dans
la pratique des bonnes œuvres et la
rémission des péchés. En consé-
quence , il soutient que les sacre-
ments de baptême et de pénitence
ne remettent point la coulpe du pé-
ché, mais la peine seulement ; qu'ils
ne confèrent point la grâce sanc-
tifiante ; qu'il peut y avoir dans
les pénitents et les catéchumènes
une charité parfaite , sans que les
péchés leur soient remis ; que la
charité , qui est la plénitude de la
loi, n'est pas toujours jointe avec
la rémission des péchés ; que le ca-
téchumène vit dans la justice avant
d'avoir obtenu la rémission de ses
péchés ; qu'un homme en péché
mortel peut avoir une charité mê-
me parfaite , sans cesser d'être sujet
à la damnation éternelle ; parce que
la contrition, même parfaite, jointe
à la charité et au désir du sacre-
ment, ne remet point la dette de la
3oo BAI
peine éternelle , hors le cas «le né-
cessité ou de martyre , sans la ré-
ception actuelle du sacrement ,
propositions 3i , 54 , 55 , 67 ,
68 , etc.
Comme dans le système de Baïus
on est formellement justifié par l 'o-
béissance à la loi , ce docteur et ses
disciples disent qu'ils nereconnois-
'sent d'autre obéissance à la loi que
celle qui coule de l'esprit de chari-
té , proposition 6 ; point d'amour
légitime dans la créature raisonna-
ble , que cette louable charité que
le Saint-Esprit répand dans le
cœur , et par laquelle on aime Dieu,
et que tout autre amour est cette
cupidité vicieuse qui attache au
inonde , et que saint Jean réprou-
ve , proposition 38.
Leur doctrine n'est pas moins
erronée sur le mérite et la valeur
des bonnes œuvres; puisqu'ils avan-
cent d'un côté que , dans l'état de
la nature réparée , il n'y a point de
vrais mérites qui ne soient gratui-
tement conférés à des indignes ; et
que de l'autre ils prétendent que
les bonnes œuvres des fidèles qui
les justifient , ne peuvent pas sa-
tisfaire à la justice de Dieu pour
les peines temporelles qui restent à
expier après la rémission des pé-
chés , ni les expier ex condi^no ; ces
peines , selon eux , ne pouvant être
rachetées, même par les souffrances
des saints , propositions 8 , 57, 74.
Voyez les auteurs cités ci-dessus ,
et V Abrégé du Traité de la grâce ,
de Tournely , par M. Montagne.
Ce système, comme le remarque
solidement ce dernier théologien ,
est un composé bizarre de pélagia-
nisme, quant à ce 'qui regarde l'é-
tat de nature innocente ; de luthé-
ranisme et de calvinisme, pour ce
qui concerne l'état de nature tom-
bée. Quant à l'état de nature répa-
rée , les sentiments de Baïus sur la
justification , l'efficacité des sacre-
ments et le mérite des bonnes œu-
vrM , sont directement opposes à
BAI
la doctrine du concile de Trente :
ils ne pouvoient éviter les différen-
tes censures qu'ils ont essuyées.
En effet, dès i552 , Buard Tap-
per , Josse Bavestin , Bitcbou ,
Cunner et d'autres docteurs de
Louvain s'élevèrent contre Baïus
et Hessels , qui répandoient les
premières semences de leurs opi-
nions. En i56o, deux gardiens des
cordeliers de France en déférèrent
dix-huit articles à la faculté de
théologie de Paris , qui les con-
damna par sa censure du 27 juin
de la même année. En 1567 parut
la bulle de Pie V, du i." octobre,
portant condamnation desoixante-
seize propositions qu'elle censuroit
in globo , mais sans nommer Baïus.
Le cardinal de Grandvelle , chargé
de l'exécution de ce décret, l'en-
voya à Morillon , son vicaire gé-
néral , qui le présenta à l'université
de Louvain , le 29 décembre 1867.
-La bulle fut reçue avec respect , et
Baïus parut d'abord s'y soumettre;
mais ensuite il écrivit une longue
apologie de sa doctrine, qu'il adres-
sa au pape , avec une lettre du 8
janvier 1669. Pic V, après un mûr
examen, confirma, le i3 mai sui-
vant, son premier jugement, et
écrivit un bref à Baïus , pour l'en-
gager à se soumettre sans tergiver-
sation . Baïus hésita quelque temps,
et se soumit enfin , en donnant à
Morillon une révocation des pro-
positions condamnées. Mais après
la mort de Josse Bavestin , arrivée
en 1870 , Baïus et ses disciples re-
muèrent de nouveau. Grégoire XIII,
pour mettre fin à ces troubles ,
donna une bulle le 29 janvier 1679,
en confirmation de celle de Pie V
son prédécesseur , et choisit, pour
la faire accepter par l'université de
Louvain , François Tolet , jésuite ,
et depuis cardinal. Alors Baïus ré-
tracta ses propositions , et de vive
voix , et par un écrit signé de sa
main , daté du 24 mars iSSo.Dans
les huit années suivantes jusqu'à la
JÎAI
mort de lîaïus , les contestations se
réveillèrent, et ne furent assoupies
que par un corps de doctrine dressé
par les théologiens deLouvain, et
adopté par ceux de Douai. Jacques
Janson , professeur de théologie à
Louvain , voulut ressusciter les
opinions de Baïus , et en chargea le
fameux Cornélius Jansénius son
élève , qui , dans son ouvrage inti-
tule Augustinus , a renouvelé les
principes et la plupart des erreurs
de Baïus. Voyez Jansénisme. Ques-
nel ensuite a répété mot pour mot ,
dans ses Réflexions morales , un
grand nombre de propositions con-
damnées par Pie V et Grégoire XIII.
Voyez QUESNELLISME.
Il n'est pas nécessaire d'Stre pro-
fond théologien pour démontrer
que le système de Baïus est absurde
eu lui-même. Sur quoi fondé sou-
tient-il que Dieu devoità la nature
innocente tous les privilèges et les
avantages accordés à Adam ? Dieu
sans doute ne peut pas créer l'hom-
me en état de péché , cela seroit
contraire à sa sainteté et à sa jus-
tice; mais comment prouvera-t-on
que Dieu doit à l'homme exempt
de péché telle mesure de dons spi-
rituels et corporels , tel degré de
bonheur et de bien-être pour le
présent et pour l'avenir ? On ne
peut fonder cette prétention que
sur les sophismes des anciens phi-
losophes et des manichéens tou-
chant l'origine du mal. Dieu , es-
sentiellement maître de ses dons
et tout-puissant , peut en accorder
plus ou moins à l'infini et en telle
mesure qu'il lui plaît. C'est le prin-
cipe qu'a posé saint Augustin avec
raison , pour réfuter les mani-
chéens. Il y a de l'absurdité à sup-
poser que Dieu doit quelque chose
à une créature à laquelle il ne doit
Sas même l'existence. Dans cette
ypothèse ridicule , il seroit im-
possible de concilier la permission
du péché avec la justice , la sagesse,
la sainteté et la bonté de Dieu. S'il
«AI 3c 1
devoit tant de faveurs à l'homme
innocent, pourquoi ne lui devoil-
il pas aussi la grâce efficace pour
persévérer dans l'innocence r
Dos que le principe fondamental
de Baïus est évidemment faux et
sentie manichéisme, toutes les con-
séquences qu'il en tire ne sont pas
moins fausses.
Dans ce même système , la ré •
dcmption du monde par Jésus-
Christ est absolument nulle. Le
genre humain avoit tout perdu par
le péché d'Adam : que lui a rendu
Jésus-Christ .? De quoi l'a-t-il ra-
cheté ou délivré? Nous n'en savons
rien. Les expressions pompeuses ,
par lesquelles l'Ecriture sainte nous
vante le bienfait de la rédemption ,
les actions de grâces que l'Eglise
chrétienne en rend à Dieu , le titre
de Sauveur du monde , etc. , sont
des mots vides de sens : le dogme
fondamental du christianisme n'est
qu'un rêve de l'imagination.
Si aa moins ce système étoit con-
solant , capable de nous inspirer
l'amour de Dieu et le goût des bon-
nes œuvres , on ne seroit plus sur-
pris de l'opiniâtreté avec laquelleil
a été soutenu ; mais il n'en est au -
cun qui soit plus propre à désoler
et à décourager les âmes vertueuses,
à faire envisager Dieu comme un
tyran , et notre existence comme
un malheur. Il est très-faux que
saint Augustin en soit l'auteur ; s'il
l'étoit, comme on ose le prétendre,
il s'ensuivroit seulement, qu'après
avoir mal raisonné contre les mani-'
chéens , il a encore plus mal argu-
menté contre les pélagiens , et
qu'entraîné par la chaleur de la
dispute , il est tombé dans des excès
répréhensibles;mais il n'en est rien .
Voyez Saint Augustin.
Nous ne sommes pas surpris de
voir un luthérien , tel que Mos-
heim , confondre ensemble les opi-
nions de Luther , de Baïus , de
Jansénius , des augustiniens , des
thomistes 5 supposer que c'est le
002 BAL
sentiment de saint Augustin, et
prétendre que l'on n'en a jamais
montré la différence. Hist. ecclés.
du seizième siècle , sect. 3 , i ." part. ,
c. I , § 38. On peut le croire, quand
on n'a pas lu les ouvrages de ce saint
docteur , et que l'on ne s'est pas
donné la peine de confronter les
divers systèmes ; mais un théolo-
gien bien instruit sait aisément les
distinguer.
L'apologie que Baïus a faite de
ses propositions condamnées n'est
ni sincère ni solide; il ne les justi-
fie qu'en abusant des passages de
saint Paul et de saint Augustin ,
comme a fait Luther, et comme font
encore tous les faux augustiniens.
BAISER DE PAIX, royez Paix.
BALAAM, prophète appelé par
Balac, roi des Moabites, pour mau-
dire les Israélites ; Dieu le força
de les bénir et de prédire leur
prospérité future. Num. , c. 24 ?
y'. 17. Il sortira, dit-il, une étoile
de Jacob, et il s'élèvera un sceptre
dans Israël , qui gouvernera tous
les enfants de Seth , par conséquent
tous les hommes, puisque, depuis
le déluge, il n'est resté au monde
que la postérité de Seth. Le Tar-
gum ou paraphrase d'Onkclos, et
celui de Jonathan, Maimonide et
d'autres savants rabbins , ont ap-
Eliqué cette prophétie au Messie,
es commentateurs chrétiens n'ont
donc pas tort de l'entendre de
même.
Les incrédules ont fait des rail-
leries insipides sur ce qui est dit,
NuTn.,c. 22, y^. 18, que Dieu fît
parler l'ànesse sur laquelle Ba/aa/ra
étoit monté; ils ont regardé cette
narration conime une fable ridi-
cule. Mais nous ne voyons pas
pourquoi il étoit plus indigne de
Dieu de faire parler un animal
que de faire entendre une voix en
l'air , ou de se servir d'un autre
•igné pour intimer ses volontés à
BAL
un prophète. On ne peut , sans
contredire le texte sacré , suppose!"
quçBalaam étoitun fauxprophète,
un infidèle, un idolâtre, parce qu'il
demeuroit parmi les Ammonites ;
il est évident, par la narration de
Moïse, que cet homme connoissoit
et adoroit le vrai Dieu ; il ne
partit , pour se rendre à l'invita-
tion du roi des Moabites , qu'après
avoir consulté le Seigneur, et après
en avoir reçu une permission ex-
presse. Si donc l'ange du Seigneur
lui dit, c. 22, 5^. 32: «Ton voyage
» est criminel et contraire à mon
» dessein , » c'est probablement
parce que ce prophète méditoiten
lui - même comment il pourroit
concilier les ordres de Dieu avec
les vues du roi des Moabites, afin
de ne pas être privé d'une récom-
pense. La manière dont saint Pierre
en parle , JI. Petr., c. 2 , X'^. i5 ,
ne paroît pas signifier autre chose.
Au reste les commentateurs ne
s'accordent pas trop sur l'idée que
l'on doit avoir de ce personnage.
De savants critiques en ont pris
occasion de traiter une question ,
qui est de savoir si Dieu peut se ser-
vir des personnages vicieux, même
des infidèles et des idolâtres, pour
prédire l'avenir. Plusieurs exem-
ples allégués dans l'Ecriture sainte
prouvent que Dieu l'afaitpar d'au-
tres que par Balaam. Le prophète
Michée, c. 3, 5!'. 11, accuse quel-
ques-uns de ses confrères de pro-
phétiser pour de l'argent ; il ne
dit pas néanmoins que c'étoient
de faux prophètes. Dans le livre
de Daniel, c. 2, |)^. i, nous voyons
que Dieu envoie un songe prophé-
tique à Nabuchodonosor , prince
idolâtre, quoiqu'il connût le vrai
Dieu. Jésus-Christ, Matlh., c. 7 ,
S- 23, dit qu'an jour du jugement
il réprouvera des hommes qui se
vanteront d'avoir prophétisé et
fait des miracles en son nom. Saint
Jean, c. 11, ^. 5i, nous apprend
que Caïphe, en qualité de pontife,
BAL
prophétisa que Jésus-Clirisl mour-
roit non-seulement pour sa nation,
mais pour rassembler les enfants
de Dieu. Probablement il fit cette
prédiction sans le vouloir et sans
en comprendre le sens. Note de
Mosheini sur Cudivorih, c. 5, § 89,
à la fin. Quant aux prédictions qui
avoient cours parmi les païens ,
yojez Oracle.
BALE ( concile de ). Il est reçu
en France comme œcuménique ,
du moins jusqu'à la vingt-sixième
session. Il fut assemblé Tan i4^i)
et dura jusqu'à i443 ; mais la dis-
sension entre le concile et le pape
EugènelV commença dès l'an 1427,
à la vingt-sixième session, et dura
jusqu'à la fin. Il avoit été convo-
qué en vertu du décret du con-
cile général de Constance , qui
avoit ordonné , session 3g , que
dans cinq ans il se tiendroit un
nouveau concile général.
Les deux principaux objets du
concile de Bdle étoienl la réunion
des Grecs avec l'Eglise romaine,
et la réformation générale de l'E-
glise, tant dans son chef que dans
ses membres , suivant le projet qui
en avoit été fait au concile de
Constance. Conséquemmentil dé-
clara , dans sa seconde session ,
qu'il tenoit son pouvoir immédia-
tement de Jésus-Christ , que toute
personne quelconque , même le
pape, étoit obligé de lui obéir
dans ce qui regardoit la foi, l'extir-
pation du schisme, et la réforme
générale de l'Eglise dans son chef
et dans ses membres.
Ce décret est censé avoir été
confirmé par le pape lui-même ,
puisqu'il donna une bulle par la-
quelle il déclaroit que, quoiqu'il
eût cassé le concile de Bdle, légi-
timement assemblé , néanmoins ,
pour éviter les dissensions, il re-
connoissoit que ce concile avoit
été légitimement continué depuis
son commencemen t , e t devoit l'être
BAL
3o3
à l'avenir; qu'il l'approuvoildans
ce qu'il avoit ordonné et décide^,
et déclaroit que la dissolution
qu'il en avoit faite étoit nulle.
Cette bulle fut reçue et publiée
dans la seizième session , le 5 fé-
vrier 1434-
Le concile fit ensuite plusieurs
canons de discipline touchant les
mœurs du clergé , condamna et
supprima les annales.
Mais après la vingt- cinquième
session, tenue en 1437, le pape
transféra le concile de J3a/e à Fer-
rare, et deux ans après à Florence.
Com^me les Pères de Bdle s'obsti-
nèrent à y continuer leurs assem-
blées, et procédèrent juridique-
ment à la déposition du pape ;
depuis ce moment le concile de
Bdle ne put plus être envisagé
comme légitimement assemblé :
aussi les évêqTies s'en retirèrent
peu à peu , et sentirent que tout ce
qu'ils feroientn'auroitplus aucune
autorité.
Il est fâcheux que ce concile
n'ait pas eu une plus heureuse
issue ; les décrets de discipline que
l'on y dressa étoient très- sages.
Plusieurs même ont été suivis, sur-
tout en France , comme ce qui
regarde l'établissement des profes-
seurs de langues hébraïque et grec-
que dans les universités , la fré-
quentation des excommuniés , la
prescription en faveur de ceux
qui ont possédé paisiblement un
bénéfice pendant trois ans, la ré-
citation de l'office divin , la sup-
pression des expectatives de la COUT
de Home , les privilèges des gra-
dués, etc.
On prétend que le haut clergé
d'Allemagne demande aujourd'hui
l'exécution des décrets de ce con-
cile, jyferc. de France du 2 décem-
bre 1786.
Les actes originaux de ce concile
sont conservés dans les archives
de la ville de Bdle, et il y en a une
copie authentique à la bibliothèque
3o4 BAP
Un roi. Hist. Je VEgUse gallic. ,
t. i6, 1. 47» an i43i.
BANNIERE d'église. C'est une
espèce de drapeau ou étendard de
couleur, sur lequel est peinte ou
brodée l'image du patron d'une
éelise, et qui se porte à la tête
des processions. Lorsque plusieurs
paroisses vont en procession au
même lieu de dévotion , chaciuie
se reconnoît et se rassemble à sa
bannière. Lorsqu'il y a plusieurs
confréries ou associations de dé-
votion dans une même église ,
chacune a sa bannière , à laquelle
les confrères ou consœurs se réu-
nissent, pour mettre plus d'ordre
dans les processions. Voyez Gon-
rAlON ou GOKFANON.
BAPTÊME, sacrement qui ef-
face le péché originel, et qui nous
fait chrétiens , enfants de Dieu et
de l'Eglise. Jésus-Christ l'a ins-
titué , en disant à ses apôtres ,
Maiih., c. 28, J^, 19 : « Allez en-
» seigner toutes les nations , et
» baptisez-les au nom du Père ,
» et du Fils, et du Saint-Esprit. »
Le mot Baptême, eu général,
signifie lotion, immersion, dumot
grec jSà-TrTcu ou /SaTrltÇu , je lace ,
je plonge. Tous les peuples ont
compris que l'action de laver le
corps étoit un symbole de la pu-
rification de l'âme. Les Juifs ap-
pel oient baptême certaines purifi-
cations légales qu'ils pratiquoient
sur leurs prosélytes après la cir-
concision. On donnele mêmenom
à celle que pratiquoit saint Jean
dans le désert à l'égard des Juifs,
comme une disposition de péni-
tence pour les préparer, soit à la
venue de Jésus-Christ , soit à la
réception du baptême que le Mes-
sie devoit instituer. Celui - ci est
absolument différent du baptême
de saint Jean, par sa nature, sa for-
me, son efficacité et sa nécessité,
comme le prouvent les thcol ogiens,
BAP
contre la prétention des luthériens
et des calvinistes. C'est Jésus-
Christ qui a donné à cette céré-
monie la force d'effacer le péché.
Voyez la Dissertation sur les trois
baptêmes. Bible d^ Avignon, tom. i3,
P- Ï99-
Le baptême de l'Eglise chrétienne
est appelé dans les Pères de plu-
sieurs noms relatifs à ses effets
spirituels, comme adoption , re-
naissance, régénération de Vame ,
illumination, etc-
Ce sacrement a été rejeté par
plusieurs anciens hérétiques des
premiers siècles, tels que les as-
codrules , les marcosiens, les va-
lentiniens , les quintiliens , qui
pensoient tous que la grâce , qui
e^t un don spirituel, ne pouvoit
être communiquée ni exprimée
par des signes sensibles. Les ar-
chontiques le rejetoient comme
une mauvaise invention du Dieu
Sebahoth, c'est - à - dire , du Dieu
des Juifs, qu'ils regardoient comme
un mauvais principe.Les séleuciens
et les hermiens ne vouloient pas
qu'on le donnât avec de l'eau ; ils
employoient le feu, sous prétexte
que saint Jean-Baptiste avoit as-
suré que le Christ baptiseroit ses
disciples dans le feu. Les mani-
chéens, les pauliciens, les massa -
liens , le rejetoient égalem-ent.
D'autres en ont altéré la forme.
Ménandre baptisoit en son propre
nom ; les éluséens y invoquoient
les démons ; les montanistes joi-
gnoient le nom de Montan leur
chef, et de Priscille leur prophé-
tesse, aux noms sacrés du Père et
du Fils. Les sabelliens , les mar-
cosiens , les disciples de Paul de
Samosate, les eunomiens, et quel -
ques autres hérétiques ennemis
de la Trinité, ne baptisoient point
au nom des trois Personnes divi-
nes : c'est pourquoi l'Eglise rejetoit
leur baptême; mais elle admettoit
celui des autres hérétiques, pourvu
qu'ils n'altérassent point la forme
r.Ai»
Htescrilc, quollos (iiic fiisîrnt «l'ail-
ieurs leurs erreurs sur le luud des
iTiyslèrc.s.
Les chrétiens orientaux , j»recs,
jacobiles syriens , égyptiens et
éthiopiens, les nestoriens» et les
Arméniens , dont plusieurs sont
ééparés de l'Eglise romaine depuis
douze cents ans, ont conservé la
même croyance qu'elle touchant
Je baptême,. Tous en reconnoissent
la nécessité absolue, et lui attri-
buent les mêmes effets que nous ;
ils regardent comme nous l'eau
naturelle seule comme la matière
de ce sacrement ; ils l'administrent
()ar trois immersions. La seule
différence qu'ils mettent dans la
forme , c'est qu'au lieu de dire
comme nous, Je te baptise, etc.
ils disent : Un tel est baptisé au
nom du Père, etc. Tous observent
les exorcismes et les autres céré-
monies du baptême; mais dans le
cas de nécessité ils les suppriment.
Perpét. de la foi, lom. 5, liv. a,
CI et suiv.Lesprotestants avouent
que le baptême est un sacrement;
mais tous n'en reconnoissent pas
également la nécessité et les effets ;
tous en ont supprimé les céré-
monies.
Conséquemment les théologiens
catholiques sont obligés d'exami-
ner, i.° quelles sont la matière,
la forme, les cérémonies du bap-
tême. 2.° Qui en est le ministre ,
ou par qui ce sacrement peut être
validement administré. 3." Quelles
personnes sont capables de le re-
cevoir. 4-° Quels effets il produit.
5.° De quelle nécessité il est.
6.° Quel est le sort éternel de ceux
qui meurent sans avoir eu le bon-
heur d'être baptisés. Nous tâche-
rons d'abréger toutes ces questions.
L De la matière , de la forme, des
cérémonies dubaptême.lue sentiment
universel de tous les chrétiens, est
que l'eau naturelle , de fontaine ,
de rivière, de pluie , est la seule
matière avec laquelle on puisse
liAl> 3o5
baptiser validement ; Jésus-Christ
l'a ainsi déterminé , en disant :
« Si quelqu'un n'est pas régénéré
» par l'eau et par le Saint-Esprit
» il ne peut pas entrer dans le
» royaume de Dieu. » Joan. c. 3
^. 5. Toute autre liqueur, soit ar-
tificielle, soitnaturelle, nepeutêtre
employée pour baptiser. Ainsi l'a
décidé le concile de Trente, sess. 7,
de Bap., can. 2. Mais l'Eglise chré-
tienne, toujours attentive à pro-
fesser sa foi par ses cérémonies ,
a été, dès les premiers siècles ,
dans l'usage de bénir l'eau des
fonts baptismaux par des prières
particulières ; c'a été, de la part
des protestants, une témérité très-
condamnable de supprimer et de
blâmer cette bénédiction. Vora
Eau bénite, Eatj du Baptême.
La forme ou les paroles par les-
quelles ce sacrement est adminis-
tré, sont : Je te baptise au nom du
Père, et du Fils, et du Saint-Esprit;
et ce fiont les propres paroles de
Jésus-Christ. Dans l'Eglise grecque,
le prêtre dit : Un tel est baptisé au
nom du Père, etc. Quelques théo-
logiens ont douté autrefois si cette
forme étoit valide , parce qu'ils
prenoientmal le sens de la formule
des Grecs ; ils croyoient qu'elle
signifîoit : Qu'un tel soit bapti-
sé, etc. Aujourd'hui personne ne
doute que ce 6a/?/e77ifine soit valide.
Dans quelques sociétés protestan-
tes , la coutume s'étoit introduite
de faire verser l'eau sur la tête
du baptisé par un diacre, pendant
que le ministre, placé dans la chai-
re , prononçoit la formule du
baptême. Alors le baptême étoit
nul , puisque le sens littéral des
paroles n'étoit pas vérifié ; le mi-
nistre n'auroit pas dû dire, je te
baptise , mais je te fais baptiser ;
nous ignorons si cet usage subsiste
encore quelque part.
On a toujours cru sans contes-
talion que l'invocation expresse
des trois Personnes divines est ab-
3o6 BAP
•olument nécessaire, el c'est prin-
cipalement par cette formule du
baptême que l'on a prouvé autre-
fois aux ariens et à d'autres héré-
tiques l'égalité et la consubstantia-
litédcs trois Personnes de la sainte
Trinité; de manière que le baptême
conféré au nom de Dieu, ou au nom
de Jésus -Christ, seroil censé nul.
L'Eglise fut toujours très-attentive
a examiner si les hérétiques chan-
geoient quelque chose à la forme de
ce sacreraent;ettoutes les fois qu'ils
ont eu cette témérité, elle a rejeté
leur baptême.
Quelques incrédules naoderues
ont écrit que le baptême conféré au
nom des trois Personnes, fut adop-
té par les sectateurs de Platon ,
devenus chrétiens , parce qu'ils y
trouvoient les sentiments de ce
philosophe sur la Divinité. Ces sa-
vants critiques ont ignoré sans
doute que c'est Jésus-Christ lui-
même qui en a dicté et prescrit la
formule à ses apôtres , et que ses
disciples ont baptisé sous ses yeux.
Joan. , c. ^,S • ^- Il ne reste plus
qu'à prouver que Jésus-Christ a
ptédisciple de Platon. Fb/. Trinité.
Quant aux cérémonies qui précè-
dent , accompagnent et suivent ce
sacrement , on croit avec raison
qu'elles sont d'institution apostoli-
que ; elles n'auroient pas été aussi
nniversellement adoptées , si elles
n'avoient pas eu pour auteurs les
fondateurs même d u christianisme.
Les constitutions apostoliques , les
plus vieux sacramentaires, lesPères
du second et du troisième siècle en
font mention, non comme de rites
institués récemment , mais comme
d'usages observés partout. Les uns
parlent des instructions et des exor-
cismes dont le baptême étoit pré-
cédé ; les autres , du renoncement
au démon , à sts pompes et à ses
œuvres , et des promesses que fai-
soit le catéchumène ; les uns de
l'immersion ou de l'infusion de
l'eau répétée trois fois , les autres
BA?
des onctions faites au baptisé, du
signe de la croix imprimé sur son
front , de la robe blanche dont on
lerevêtoit, etc. Tout celaétoit jugé
nécessaire pour donner au nouveau
chrétien une haute idée de la grâce
qu'il recevoit , et des obligations
qu'il contractoit. En traitant ces
cérémonies de superstitions, et en
les supprimant comme des abus ,
les protestants ont évidemment té-
moigné que leur croyance touchant
le baptême n'est plus la même que
celle de l'Eglise primitive ; si elle
en avoit eu une idée aussi basse et
aussi abjecte qu'eux , elle auroit
baptisé comme eux sans aucun ap-
pareil , en versant l'eau d'une ai-
guière sur la tête du baptisé , dans
un plat bassin. C'est principale-
ment dans les exorçismes du bap-
tême qu'au commencement du
cinquième siècle on prouvoit, con-
tre les pélagieus , que les enfants ,
avant d'être baptisés , sont sous la
puissance du démon , par consé-
quent souillés du péché.
Mosheim , dans ses Dissertations
surVhisioire ecclésiastique , tom. i ,
p. 2i5 , prétend que plusieurs cé-
rémonies du baptême ont été en:i-
pruntées des païens ; que les exor-
çismes en particulier sont relatifs
à ce que les platoniciens croyoient
des démons. Dans son Histoire ec-
clésiastique du premier siècle , 2.^ p. ,
c. 4 5 § I et 2 , il dit que les apô-
tres et les disciples du Sauveur
tolérèrent par nécessité, ou établi-
rent, pour de bonnes raisons, dif-
férentes cérémonies relatives au
temps et aux circonstances. Il con-
venoit, dit-il , dans ces premiers
temps , d'avoir quelques égards
pour les anciennes opinions, pour
les mœurs et les lois des différentes
nations auxquelles on prêchoit l'é-
vangile. Beausobre ditque les exor-
çismes de l'eau et les fonctions du
baptême, sont venues des valenti-
niens. D'autres ont pensé que les
apôtres avoienl établi dans quel-
BAI*
qucs Eglises des ccrénioiiios juives;
mais Moslieim n'est pas de cet avis.
Les incrédules n'ont pas n;anqué
d'affirmer positivement que nos
cérémonies sont des restes de pa-
ganisme : Calvin, encore plus fou-
gueux, a dit qu'elles ont été inven-
tées par le diable.
Impiété, et fanatisme antireli-
gieux. Est-il croyable que les apô-
tres , qui ont inspiré aux fidèles
tant d'horreur pour les usages ,
pour les mœurs, pour les pratiques
des païens , aient conservé quel-
ques-unes de leurs cérémonies, ou
aient voulu ménager leurs opi-
nions ? La plupart des cérémonies
religieuses avoientété en usage par-
mi les adorateurs du vrai Dieu ,
avant d'être profanées par les
païens ; pourquoi ne les auroit-on
pas ramenées à leur première des-
tination ? Jésus-Christ lui-même
en avoit donné l'exemple ; il souffla
sur les apôtres , pour leur donner
le Saint-Esprit, il iraposoit les
mains sur les malades , il toucha
les oreilles et la bouche d'un sourd
et muet pour le guérir , il mit de
la boue sur les yeux d'un aveugle-
né , etc. Il exorcisoit les possédés
pour les délivrer ; quelques iocré-
dules ont dit qu'en cela il imitoit
les magiciens. Les apôtres n'ont
donc pas eu besoin de la doctrine
de Platon touchant les démons, ni
des idées païennes, pour instituer
les cérémonies du baptême. Voyez
Cérémonies , Exorcisme.
Quand les réflexions de Mosheim
scroient aussi vraies qu'elles sont
fausses, il s'ensuivroit déjà que les
prétendus réformateurs n'ont pas
imité la sagesse et la charité des
apôtres. Ils ont trouvé les cérémo-
nies établies et pratiquées dans
toute l'Eglise chrétienne depuis
quinze siècles ; les fidèles y étoicnl
accoutumés, et elles ne donnoient
lieu à aucune erreur; les prédicants
les ont bannies ; ils les ont taxées
de superstitions et d'idolâtrie : ils
«Al» 3o7
n'ont pas eu pour les mœurs et les
habitudes des catholiques la même
condescendance que les apôtres ,
selon Mosheim , ont eue pour le*
mœurs des nations païennes aux-
quelles ils prêchoient l'Evangile ;
il nous paroît que cette différence
ne leur fait pas honneur. Dans l'ar-
ticle Eau BÉNITE, nous prouverons,
contre Beausobre, que la bénédic-
tion de l'eau n'est point une su-
perstition, ni un rit emprunté des
hérétiques.
A la vérité , il y a eu <juclques
changements légers dans la manière
d'administrer le bapiênie; mais les
rites principaux ont toujours été
conservés Autrefois on le donnoit
par une triple immersion , comme
font encore les Orientaux , et cet
usage a duré dans l'Occident jus-
qu'au douzième siècle. Dans le
sixième, quelques catholiques d'Es-
pagne ne faisoient qu'une seule im-
mersion , de peur , disoient-ils ,
que les ariens visigoths n'imagi-
nassent que par la triple immersion
l'on divisoit la Trinité ; mais cette
raison locale ne fit point d'impres-
sion s;ir les autres Eglises. La cou-
tume de baptiser par infusion, en
versant de l'eau sur la tête , paroît
avoir commencé dans les pays
septentrionaux, où l'usage du bain
est impraticable pendant la plus
grande partie de l'année , et elle
s'introduisit en Angleterre vers le
neuvième siècle. Le concile deCal-
chut ou Celchyth, tenu en 8i6 ,
ordonna que le prêtre ne se con-
tenteroit pas de verser de l'eau sur
la tête de l'enfant , mais qu'il la
plongeront dans les fonts baptis-
maux. Voyez Immersion. Nous vou-
drions savoir pourauoi les protes-
tants, qui font profession d'imiter
scrupuleusement l'Eglise primi-
tive, n'ont pas renouvelé l'usage
de donner le baptême par immcr -
sion.
Les écrivains ecclésiastiques par-
lent de plusieurs cérémonies que
ao.
;k;8 BAP
Ton praliquoit autrefois en admi-
nistrant ce sacrement , et qui ne se
font plus, ou dont il ne reste que
de légères traces, comme de donner
aux nouveaux baptisés du lait et
du miel dans l'Eglise d'Orient, du
vin et du miel dans celle d'Occi-
dent , de les revêtir d'une robe
blanche, de leur donner inconti-
nent la confirmation et l'eucha-
ristie. Ancien Sacrament. , par
Grandcolas, 2.* part. , pag. 1.
Le temps auquel ou administ**oit
solennellement le bopiême étoit la
fête de Pàque et celle de la Pente-
côte , non pas parce que la saison
est alors la plus favorable aux bains
froids, comme l'a rêvé un médecin
anglois , mais à cause des deux
grands mystères que l'on célèbre
cesjours-là. D.Claude de Vertavoit
avancé que l'origine du baptême est
venue de la coutume de laver les
enfants immédiatement après leur
naissance. M. Languct a fait voir
que Jésus-Christ n'a eu aucun
égard à cet usage en instituant ce
sacrement ; que , quand saint Paul
a dit que lorsque le baptisé est
plongé dans l'eau et en sort , c'est
une figure de la sépulture et de la
résurrection de Jésus-Christ, il n'a
fait que développer le vrai sens
de la cérémonie et l'intention du
Sauveur ; que les noms de régéné-
ration , de vie nouvelle , etc. , dont
il s'est servi , ne sont point des
moralités ni des métaphores em-
pruntées des Juifs ; que quoique le
iapiême ne se donne plus aujour-
d'hui par immersion , il ne laisse
F as de représenter suffisamment
intention de Jésus-Christ et les
leçons de saint Paul. Du véritable
esprit des Cérém. de V Eglise, § 16
et suiv.
Il importe fort peu de savoir si
les Juifs pratiquoient une espèce
de baptême à l'égard de leurs pro-
sélytes , et quelle idée ils y atta-
choient ; ce qui est dit dans l'Evan-
gile , du baptême de saint Jean-
BAP
Baptiste , ne nous instruit pas
beaucoup ; nous voyons , par la
conversation que Jésus-Christ eut
avec Kicodcme, touchant la régé-
nération spirituefle, que ce docteur
juif fut fort étonné de l'idée que
le Sauveur lui en donnoit. Joan.,
c. 3, 5?. 3; il n'y a donc aucune
ressemblance entre ce qui se fai-
soit chez les Juifs, et ce que Jésus-
Christ a institué.
II. Du Ministre du baptême. Il
est prouvé, par les Actes des apô-
tres et par les lettres de saint
Paul, qu'ils baptisoient ceux qui
croyoient en Jésus-Christ ; mais
qu'ils préféroient à cette fonction
celle d'annoncer l'Evangile. J. Cor.,
c. I , y . 17. Il y a donc lieu de
penser qu'ils se déchargèrent de
ce soin sur les diacres ou sur les
laïques. Aussi , selon la pratiqua
de l'Eglise , il a été établi que les
évêques et les prêtres sont les mi-
nistres ordinaires de ce sacrement;
mais que dans le cas de nécessité
il peut être administré par toutes
sortes de personnes, même par des
fcmnties.
Au troisième siècle il y eut une
dispute assez vive pour savoir si le
baptême administré par les héré-
tiques étoit valide; les évêques
d'Afrique, à la tête desquels étoit
saint Cyprien, prétendoient que ce
baptême étoit nul , et ils s'autori-
soient de la coutume établie parmi
eux , de rebaptiser ceux qui l'a-
voient reçu. Le pape saint Etienne
leur opposa la pratique de l'Eglise
de Rome, qui étoit universellement
suivie hors de l'Afrique , et qui
étoit plus ancienne que la leur :
Ifinnovons rien, leur dit- il , te-
nons-nous-en à la tradition. Règle
invariable, que l'Eglise catholique
a toujours observée, et qu'elle suit
encore, qui démontre la fausseté du
fait dont les protestants voudroicnt
se prévaloir ; savoir, que les apô-
tres n'avoient point établi de dis-
cipline uniforme , qu'ils avoient
laissé aux di/Tércnlos Ej^liscs la
libcrlé (le. faire, ce, qui leur paioi-
troil le plus convenable, cl qu'ils
n'avoieut donné à personne l'auto-
riléd'en juger, ni lesoind'y veiller.
Après quelque temps derésistance,
les éveques d'Afrique sentirent la
sagesse de la règle alléguée par le
pape et la nécessité de s'y confor-
mer. Kojcs Rebaptisants. 11 est donc
demeuré pour constant que le bap-
tême donné par les hérétiques est
valide, à moins qu'ilsn'aient altéré
ou la matière ou la forme de ce sa-
crement. C'est encore la décision
du concile de Trente, sess. 7 , de
Bapt. , can. 4.
III. Des personnes capables de
recevoir le baptême. Il est évident
que ceux qui reçurent le baptême
de la main de Jésus-Christ et des
apôtres étoient des adultes , et
qu'avant de le leur donner, Jésus-
Christ et les apôtres exigeoient
d'eux la foi : « Allez, dit le Sauveur,
» enseignez toutes les nations et
» baptisez-les. » Matih. , c. 28 ,
'^. ig. « Prêchez l'Evangile à toute
» créature ; celui qui croira et re-
» cevra le baptême sera sauve, celui
» qui ne croira pas sera condamné.»
Marc, c. 16 , jH. i5. Les apôtres
baptisèrent ce.ux qui avoient cru
à la prédication de saint Pierre.
Act., c. 2, yi. 4i . Saint Philippe dit
à l'eunuque de la reine Candace :
« Si vous croyez de tout votre cœur,
» vous pouvez recevoir le baptê-
n me, » c. 8, ^. 27, etc. De là les
anabaptistes et les sociniens ont
ronclu que la foi actuelle est une
disposition nécessaire pour le
sacrement ; que les enfants étant
incapables d'avoir la foi , ne doi-
vent point être baptisés ; que s'ils
l'ont été, il leur faut renouveler If
baptême lorsqu'ils sont parvenus
à rage de raison et suffisamment
instruits. Cette doctrine est une
conséquenr.c naturelle de celle des
protestants , qui enseignent que
BAP
Soc
non du sacrement, mais de la foi
et que toute l'efficacité du sacre-
ment consiste à exciter la foi. De
là s'est ensuivie une autre erreur :
c'est que comme le baptême n'est
pas le seul moyen capable d'exciter
la foi, ce sacrement n'est pas ab-
solument nécessaire ; et pour le
soutenir , il a fallu nier le péché
originel : ainsi s'enchaînent les er-
reurs ; nous ignorons pourquoi
tous les protestants n'ont pas rai-
sonné de même.
Nous répondons d'abord , que
le naeilleur interprète du sens de
l'Ecriture sainte , est la pratique
constante et universelle de l'Eglise :
or l'usage a été , dès le commence-
ment du christianisme, de baptiser
les enfants, comme le témoignent
saint Irénée, adv. Hœr., 1. 2, c. 22,
Origène, saint Cyprien, et les Pères
postérieurs , quoique cet usage
n'ait pas été d'abord généralement
observé. On peut même le prouver
par une lettre de l'hérésiarqueMa-
nès. Saint Augustin , Op. imperf.,
1. 3 , n. 187. Les sociniens ne le
nient point; mais ils prétendent que
c'est un des abus qui s'introduisi-
rent dans l'Eglise incontinent après
la mort des apôtres. [Is ajoutent quç
le baptême des enfants n'est fondé
sur aucun passage de l'Ecriture
sainte;nous soutenons le contraire.
Matth., c. 19, 'S. 14, Jésus-
I Christ dit : « Laissez approcher de
» moi les enfants , tels sont les hc-
» ritiers du royaume des cieux. »
Or , il dit ailleurs que l'on ne peut
pas entrer dans le royaume de
Dieu, si l'on n'est pas régénéré par
l'eau et par le Saint-Esprit. Donc
les enfants sont capables de cette
régénération. Il est dit de quel-
ques-uns des premiers fidèles ,
qu'ils ont été baptisés aoec toute
leur maison, I.Cor., c. i, ^. 16, etc.
Les enfants ne sont pas exceptés.
D'ailleurs , nous prouvons par l'E-
crilure, contre les anabaptistes,
îagrâccdelajustificalioii est l'effet^ les sociniens elles prolcslanls , que
3io BAP
les enfants naissent souillés du pé-
ché originel ; que celte tache est
effacée , non par la foi, mais par
le baptême ; que ce sacrement est
absolument nécessaire : donc c'est
leur système , et non pas le nôtre,
qui est contraire à l'Ecriture sain-
te. Quand ils nous parlent de pré-
tendus abus introduits dans l'E-
glise immédiatement après la mort
àts apôtres , nous les prions d'être
Tnoins téméraires, et de présumer
que les disciples immédiats des
apôtres ont dû connoître ce qui
étoit ou n'étoit pas abusif, pour le
moins aussi-bien que les raison-
neurs du seizième sièle. C'est donc
avec raisonque le concile deTrente
a condamné le sentiment de ces
derniers touchant le baptême des
enfants , sess. 7 , deBapf. , can. i3.
Mais nous ne voyons pas de quel
droit les protestants , en suivant
leurs principes , peuvent blâmer
les sociniens ni les anabaptistes.
On convient aujourd'hui que
l'on ne doit pas baptiser les enfants
des infidèles, malgré leurs parents,
à moins que ces enfants ne soient
en danger de mort ; non-seulement
parce que cette espèce de violence
faite aux pères et mères est con-
traire au droit naturel qu'ils ont
sur leurs enfants , mais encore par-
ée que ceux-ci , devenus grands ,
seroient exposés à profaner leur
baptême par l'apostasie à laquelle
ils seroient engagés par leurs pa-
rents.
Dans les premiers siècles , plu-
sieurs chrétiens différoieut leur
baptême jusqu'à la mort, et le re-
£evoient au lit pendant leur der-
nière maladie : les uns agissoient
ainsi par humilité , et parce qu'ils
craignoient de n'être pas encore
assez bien disposés ; les autres par
libertinage, afin de pécher plus
librement, dans l'espérance que
tous leurs péchés seroient effacés
par le baptême. L'Eglise n'approu-
va ni les uns ni les autres, elle s'ér
BAP
leva même hautement contre la
négligence des derniers ; elle dé-
clara irréguliers les cliniques ou
grabataires , c'est-à-dire, ceux qui
avoient été ainsi baptisés au lit ; le
concile de Néocésarée défendit de
les élever aux ordres sacrés , à
moins qu'il ne fût prouvé que leur
baptêine n'avoit pas été différé par
un mauvais motif. Voyez Clini-
ques.
On refusoit aussi , dans l'Eglise
primitive , ce sacrement aux per-
sonnes réputées infâmes , engagées
dans des professions criminelles e!
incompatibles avec la sainteté du
christianisme , à moins qu'elles lie
renonçassent à leur état. Tels
étoient les sculpteurs et autres ou-
vriers qui faisoiejit des idoles, les
femmes publiques , les comédiens,
les cochers, gladiateurs, musiciens,
ou autres qui arausoient le public
dans le cirque ou dans l'amphi-
théâtre ; les astrologues , devins ,
magiciens, enchanteurs ; les hom-
mes passionnément adonnés aux
jeuxdu théâtre , les concubinaires
publics, ceux qui tenoient des
lieux de débauche , etc. : ceux qui
promettoient de s'en abstenir
étoient mis à l'épreuve. Bingham ,
Orig. eccl., 1. 11, c. 5 , § 6 et .suiv.
Saint Paul, J. Cor., c. i5, S ■ 3o.
dit : « Si les morts ne ressuscitent
» point, que font ceux (jui sont
» baptisés pour les morts? à quoi
» bon ce baptême? » De là quel-
qucs- uns imaginèrent que l'on pou -
voit baptiser après la mort les ca-
téchumènes qui avoient désiré le
baptême, et un concile de Carthage
condamna cet abus ; d'autres se
figurèrent qu'un vivant pouvoit
recevoir le baptême à la place du
mort, et lui obtenir ainsi le par-
don de ses fautes. Tertullien parle
de cette superstition dans son livre
deHesurrectione carnis , et quelques
Pères l'ont attribuée aux raarcio-
nites. II est évident que tous ces
sectaires cntendoient mal le texte
BAP
fie saint Paul , cl que ces aLus n'é-
toient pas encore connus du temps
de l'apôtre ; mais les commenta-
teurs , soit catholiques, soit pro-
testants , ne sont pas d'accord dans
l'explication qu'ils donnent de ce
passage. Voyez la S/nopsc des Cril.
sur cet endroit , et la Disscrl. sur
le baptême pour les morts. Bible
<r Avignon , tom. i5, p. 478-
IV. Des effets du baptême. Nous
avons déjà observé plusieurs con-
séquences de l'erreur des protes-
tants , qui enseignent que toute
l'efficacité des sacrements consiste
dans la vertu qu'ils ont d'exciter
en nous la foi justifiante; mais
elle a encore donné lieu à d'autres
excès. Plusieurs sectaires en ont
conclu que le baptême de Jésus-
Christ n'opère rien de plus que
celui de saint Jean-Baptiste, puis-
que celui-ci avoit aussi la vertu
d'exciter la foi et les sentiments de
pénitence. Ils ont soutenu , ou qu'il
n'y a point de péché originel dans
les enfants , ou qu'il n'est pas effacé
par le sacrement ; que la tache de
ce péché demeure encore dans le
baptisé, et que celui-ci peut en-
core être réprouvé à cause du péché
originel; ils ont dit que le bap-
tême ne donne point la grâce sanc-
tifiante, n'imprime à l'àme du
chrétien aucun caractère ," qu'ainsi
rien n'empêche de le réitérer, si
on le trouve bon: ils ont enseigné
que ce sacrement impose tout au
plus au chrétien l'obligation de
croire, mais non celle d'observer
les commandements de Dieu et de
l'Eglise; d'où il s'ensuit, en der-
nière analyse, que le baptême n'est
ni fort utile , ni absolument né-
cessaire, et que l'on peut le né-
gliger, sans courir aucun risque
de son salut; aussi les quakers d'An-
gleterre s'abstiennent-ils de don-
ner et de recevoir ce sacrement,
et un assez grand nombre de pro-
lestants ne se pressent point de le
faire donner à leurs cnianls.
BAP 3m
Le conciledcTrentea condamné
toutes ces erreurs dans les sessions
5, 6 et 7, où il a établi la croyance
catholique louchant le péché ori-
ginel, la justification, les effets
des sacrements , et ccnxda baptême
en particulier; et les théologiens
n'ont pas de peine à faire voir que
toutes les conséquences du système
des protestants sont formellement
contraires à l'Ecriture sainte. Si
les prétendus réformaleursavoient
été aussi grands théologiens qu'on
les suppose, ils les auroicnt pré-
vues, et il est à présumer qu'ils
auroicnt reculé à la vue de l'a-
bîme dans lequel ils alloient se
précipiter.
Saint Jean-Baptiste dit lui-même
aux Juifs : « Je vous baptise par
» l'eau, mais celui qui vient après
» moi vous baptisera p^r le Saint-
» Esprit et par le feu. » Matth. ,
c.3,^. II. Saint Paul fit baptiser
au nom de Jésus-Christ des fidèles
qui avoient déjà reçu le baptême
de saint Jean. Act., c. 19, y/. 5.
Il est donc faux que ces deux bap-
ternes aient eu la même vertu. Au
mot Originel , nous prouverons
que tous les enfants, sans excep-
tion , naissent souillés du péché ;
qu'il soit pleinement effacé par le
baptême, c'est la doctrine formelle
de saint Paul , qui dit aux Galates,
C.3 jj^. 17 : « Vous tous qui êtes
» baptisés en Jésus-Christ , ave/.
» été revêtus de Jésus -Christ. »
Et aux Romains, c. 8, ^. i : « Il
» n'y a donc plus aucun sujet de
» condamnation dans ceux qui sont
» en Jésus-Christ , et ne marchent
» plus selon la chair. » Ananie lui
avoit dit quand il fut converti :
« Recevez le baptême, et lavez vos
I» péchés , après avoir invoqué le
i> nom de Jésus -Christ. » Ad.,
c. 22 , y^. 16. Saint Pierre écrit aux
fidèles , I. Petr. , c. 3, >^. 21 : « Le
» baptême vous sauve , non en pu-
» rifiant les souillures de la chair-
» mais en vous donnant le témoi-
3i2 BAP
» gnage d'une bonne conscience
» devant Dieu , par une résurrcc-
» tien semblable à celle de Jésus-
» Christ. » De quoi vous sauve-t-il,
sinon du péché et du châtiment ?
Saint Pierre n'attribue point cet
efiet à la foi , mais au baptême ,
«[uoique la foi soit une disposition
nécessaire.
Dans le paragraphe suivant, nous
démontrerons par l'Ecriture la né-
cessité absolue de ce sacrement ,
et l'obligation rigoureuse imposée
à tout chrétien de le recevoir.
Saint Paul parle du caractère qu'il
imprime, en disant aux Ephésiens ,
p. 4> S • 3o : « Ne contristez pas
» le Saint - Esprit de Dieu , dans
» lequel vous avez été marqués
» d'un sceau pour le jour de la
» rédemption. » Et ces paroles
sont analogues à ce qu'il a dit
d'Abraham , qu'il a reçu la cir-
concision comme un sceau de la
justice qui vient de la foi. Rom.,
c. 4î "i^' ïi- Or, le sceau ou le
caractère de la circoncision étoit
ineffaçable. C'est sur ce fondement
que saint Augustin a soutenu ,
contre les donatistes , que c'étoit
un crime de réitérer le baptême , et
dans toute l'antiquité ecclésias-
tique on ne peut citer aucun
exemple de cet attentat, si ce n'est
chez les hérétiques.
Ceux qui ont soutenu que le bap-
iême n'impose au chrétien point
d'autre obligation que d'avoir la
foi , n'ont pas moins contredit la
doctrine de saint Paul , puisqu'il
exige des chrétiens une foi qui
opère par la charité , et qu'il ne
cesse de les exhorter à faire de
bonnes œuvres- Galat., c. 5, ^j!'^. 6 ;
^- 6 , y. 9 , etc. Voyez Œuvres ,
Justification, etc.
V. De la nécessité du baptême.
3ésus- Christ a institué ce sacre-
ment comme un moyen de salut
absolument nécessaire, lorsqu'il a
dit : « Si quelqu'un n'est pas ré-
V généré par l'eau et par le Saint-
r.Ap
» Esprit , il ne peut pas entrer
» dans le royaume de Dieu. »
Joan. , c. 3, y. 5. «Prêchez l'E-
» vangile à toute créature ; celui
j) qui croira et sera baptisé sera
» sauvé , celui qui ne croira pas
» sera condamné. » Marc, c. i6 ,
y . i6. Saint Pierre a répété cette
même vérité , en disant que le
baptême nous sauve,/. Petr. , c. 3,
y. 21 ; et saint Paul, qui nous
enseigne que Dieu nous a sauves
par le bain de la régénération et le
renouvellement du Saint-Esprit.
TH., c. 3 , ^. 5. Nous n'ignorons
pas les subterfuges par lesquels
les calvinistes et les sociniens ont
tordu le sens de ces passages , et
de plusieurs autres qui établissent
ce dogme; mais l'Eglise, en con-
damnant leurs erreurs , a frappé
du même anathèmc les interpré-
tations fausses qu'ils ont données
à l'Ecriture sainte. Le concile de
Trente , après avoir décidé qu'A-
dam a transmis à tout le genre
humain , non-seulement la néces-
sité de souffrir et de mourir, mais
encore le péché , qui est la mort
de l'àme, enseigne que ce péché ne
peut être effacé que par les mérites
de Jésus - Christ , et qu'ils nous
sont appliqués par le baptême ,
SQSS. 5 , can. 2 et 3 ; que depuis la
promulgation de l'Evangile, l'hom-
me ne peut passer de l'état du
péché à l'état de grâce sans le
baptême , ou sans le désir de le
recevoir, scss. 6, can. 4- Consé-
quemment il dit anathème à qui-
conque soutient que ce sacrement
n'estpas nécessaire au salut, sess. y,
can. 5.
Cette doctrine a été déjà soute-
nue au cinquième siècle contre
les pélagiens. Pelage prétendoit
que le péché d'Adam n'avoit nui
qu'à lui seul , et non à ses descen-
dants ; que le baptême étoit donné
aux enfants , non pour effacer en
eux aucun péché, mais pour leur
donner la grâce d'adoption ; que
BAP
quand ils niouroiciil sans l'avoir
reçu , ils obtcnoient la vie éter-
nelle par le mérite Je leur inno-
cence. Saint Augustin combattit
de toutes ses forces contre ces er-
reurs ; elles furent condamnées par
plusieurs papes et par plusieurs
conciles d'Afrique, et cette con-
damnation fut confirmée par le
concile général d'Ephèse , l'an 43 1.
Calvin n'a pas été moins téméraire
que Pelage , en enseignant que les
enfants des fidèles sont sanctifiés
dès le sein de leur mère; la croyance
commune des calvinistes est que
les enfants des infidèles qui meu-
rent sans baptême sont damnés ;
mais qu'il n'en est pas de même
des enfants des chrétiens , parce
qu'ils ont part à l'alliance queDieu
a faite avec les hommes par Jé-
sus-Christ.Dans cette supposition,
l'on ne voit pas pourquoi il est
encore nécessaire de baptiser les
enfants des fidèles.
'Il faut remarquer que le concile
de Trente déclare que l'homme ne
peut passer de l'état du péché à
l'état de grâce sans le baptême , ou
sans le désir de le recevoir. En effet,
l'on a toujours cru dans l'Eglise
que la foi , Jointe au désir du bap-
tême, peut tenir lieu de ce sacre-
ment, lorsqu'il y a impossibilité
de le recevoir ; on n'a jamais douté
du salut des catéchumènes morts
sans avoir pu obtenir celte grâce.
On a jugé encore que le martyre
opéroit le même effet à l'égard de
ceux qui mouroient pour Jésus-
Christ ; c'est dans cette croyance
quel'Eglise rendunculteaux saints
innocents. De respectables évêqucs
du troisième siècle ont même pensé
que les fidèles qui avoienl reçu chez
les hérétiques un baptême nul, mais
qui étoient revenus de bonne foi à
l'Eglise, et qui avoicnt participé
aux saints mystères , n'avoicnl pas
absolument besoin qu'on leur rci
térât le baptême. C'étoil le senti
ment de saint Denys d'.\lexan(]ric
et de saint Cyprien. Epist. 78, ad
Jubaian. Voyez Eusèbe , Hisi. ec
clés., 1. 7, c. g, et la note de Lowth;
Bingham, Ori^. ecclcs., 1. 10, c. 2,
§ 23. Enfin, les Pères , à l'exception
de saint Augustin , ont tous été
d'avis que saint Jean-Baptiste a été
sanctifié par Jésus-Christ dans le
sein de sa mère ; c'est pour cela que
l'Eglise célèbre sa nativité. Consé-
quemment les théologiens distin-
guent trois espèces de baptême ,
savoir : celui de désir , bapiismus
flaminis ; celui de sang ou le mar-
tyre , baptismus sanguinis ; et le
baptême d'eau.
Le passage de saint Paul , duquel
Calvin et ses sectateurs abusent ,
ne prouve pas ce qu'ils veulent.
L'apôtre dit , r. Cor. , c. 7 , ^. i4,
qu'un mari païen est sanctifié par
une femme chrétienne, et qu'une
épouse païenne est sanctifiée par
un mari chrétien ; « autrement ,
» ajor.te-t-il , vos enfants seroienl
» impurs : or , ils sont saints. »
Cela ne prouve pas que ces en-
fants naissent exempts de péché ,
mais qu'ordinairement un père ou
une mère , «[ui fait profession du
christianisme , procure le baptême
à ses enfants; ou qu'il y a lieu d'es-
pérer qu'ils seront élevés dans cette
religion. Voyez la Synopse des cri-
tiques sur ce passage-
VL Qwe/ est le sort éternel des
enfants morts sans baptême? Cette
question paroît déjà suffisamment
résolue par ce que nous venons de
dire touchant la nécessité absolue
de ce sacrement pour obtenir le
salut , et par les raisons dont ou
s'est servi au cinquième siècle pour
réfuter les erreurs de Pelage. Dans
les commencements , cet hérésiar-
que n'osa rien décider touchant le
sort de ces enfants. Je sais bien ,
disoit-il , où ils ne vont pas ; mais
j'ignore où ils vont : Qiio non eant,
scio ; quàcant, ntîsc/o. Dans la suite,
pour ne pas contredire formelle-
ment les paroles de Jésus-Christ ,
3i/t BAP
Joan., c. 3, y. 5, il dit qu'à la
vérité, ces enfants n'enlroicnl pas
«lans le royaume des cieux , mais
qu'ils n'ctoient pas non plus con-
damnés à Tenfer; qu'ils avoieut la
vie éternelle par le mérite de leur
innocence. Saint August. , 1. i , de
Pecc. merilis ei remiss. , c. 28, n. 54 ;
Serm.ag^ , c. i,n. 2;Epist. 1 56, etc.
Il imagine it ainsi un lieu ou un
état mitoyen entre la gloire du ciel
et la damnation , dans lequel il pla-
çoit ces enfants; d'où il s'ensuivoit
qu'ils étoient sauvés de l'enfer sans
avoir participé en rien aux mérites
ni à la rédemption de Jésus-Christ.
Saint Augustin et les autres dé-
fenseurs de la foi catholique ré-
futèrent toutes ces vaines opi-
nions; ils prouvèrent par l'Ecriture
sainte , par la tradition des quatre
premiers siècles, par les exorcismes
du bapfêmc, que tous les enfants
d'Adam naissent souillés du péché
originel , par conséquent privés
de tout droit à la vie éternelle ;
qu'ils ne peuvent être purifiés de
ce péché que par l'application des
mérites de Jésus-Christ et par le
baptême ; que s'ils meurent sans
l'avoir reçu, ils sont damnés. Con-
séquemment ils rejetèrent le lieu
ou l'état mitoyen que Pelage avoit
imaginé entre le royaume de Dieu
et la damnation, état qu'il nom-
moit la vie éternelle, et dans lequel
il plaçoit les enfants morts sans
baptême. Depuis cette époque , le
sejitiment commun des théologiens
est que non-seulement ces enfants
sont exclus du honheur éternel ,
mais qu'ils sont condamnés aux
tourments de l'enfer; que cepen-
dant ils les souffrent dans un degré
beaucoup moindre que les autres
réprouvés.
Malgré le nombre et l'autorité
de ceux qui soutiennent ce senti-
ment, saint Thomas, saint Bona-
venture, le pape Innocent III, et
d'autres théologiens scola^tiques,
très-insiruils de ce qui a été décidé
BAP
contre les pélagiens, ont iugéqu''à
la vérité il est de foi que les enfants
morts sans bap'cm.e ne peuvent en-
trer dans le royaume des cieux, ni
jouir de la vie éternelle; qu'ainsi
ils éprouvent ce que l'on nomme
la peine du dam ; mais qu'il n'est
pas de foi qu'ils souffrent aussi
la peine du sens, ou les supplices
de l'enfer; que c'est seulement une '
opinion ihéologique, fondée sur de
fortes preuves, de laquelle cepen-
dant il est très-permis de s'écarter.
Quelques-uns même sont allés jus-
qu'à dire que ces enfants jouissent
d'une félicité naturelle qui les dé-
dommage de la perte qu'ils ont
faite du bonheur éternel acquis
par 'les mérites de Jésus - Christ.
C'a été l'opinion du cardinal Sfon-
drate , dans le livre intitulé :
Nodus prœdestinaiionis dissolutus ,
dont plusieurs évêques de France
demandèrent au souverain pontife
la condamnation en 1696.
Personne ne s'est élevé avec plus
de chaleur contre le sentiment
mitigé des scolastiques que les
partisans de Jansénius. Comme il
étoit de l'intérêt de leur système
de persuader qu'un adulte même
peut être coupable et punissable
pour un péché qu'il ne lui étoit
pas libre d'éviter , ils ont fait tout
leur possible pour prouver que la
condamnation des enfants morts
sans baptême aux supplices de l'en-
fer est un article de foi , et que
l'on ne peut pas soutenir ie con-
traire sans être hérétique. Nous
ne prétendons pas favoriser leur
entêtement , en rapportant fidèle-
ment les preuves qui établissent le
sentiment rigoureux des autres
théologiens. La plupart ont été
employées par saint Augustin con-
tre les pélagiens, et son autorité
y ajoute un nouveau poids.
i-o Les paroles de Jésus-Christ,
Joan., c. 3, ^'. 5, sont claires ;
« Si quelqu'un n'est pas régénéré
» par l'eau et par le Saint-Esprit.
BAP
'» ij ne peut culrer dans le royaume
j> lie Dieu. » L'expcdicul iinaf^iné
par Pelade, de distinf;uer le royau-
me de Dieu d'avec la vie éternelle ,
étoit absurde , puisque ces deux
termes , dans l'Ecriture sainte ,
désignent également le bonheur
(éternel. Les sociniens et les pro-
testants ne s'en tirent pas mieux
en disant que, dans plusieurs au-
tres endroits, le royaume de Dieu,
le royaume des deux, signifient le
règne de Jésus - Christ sur son
Eglise : ce n'est point ainsi qu'on
l'entendoit du temps de Pelage ,
ni avant lui ; les Pères ont donné
constamment à ces paroles lememe
sens qu'a suivi le concile de Trente,
et ont entendu par-là le bonheur
éternel.
2.° Saint Paul , Ephes. , c. 2 ,
)^. 3, dit: «Nous étions parnais-
» sance enfants de colère. (N. «XI,
» p. XXV.) » Donc, dit saint Au-
gustin, nous étions enfants de
vengeance et de châtiment, masse
de perdition et de damnation , à
cause du péché originel. iîowz., c.5,
'^' . 18, l'apôtre dit que le péché
d'un seul est pour la condamna-
tion de tous , et que la justice d'un
seul estpour lajustification detous.
S'il n'est pas question là d'une
condamnation à l'enfer, on ne
peut plus dire, comme l'Ecriture
sainte, que Jésus-Christ nous a
sauvés de l'enfer , de la puissance
des ténèbres, de la puissance du
déiuon, etc; il faut prendre leterme
de rédemption dans un sens méta-
phorique, comme font les sociniens
après les pélagiens.
3." Ce même apôtre dit , comme
saint Pierre, que le baptême nous
sauve. De quoi nous sauve-t-il ,
sinon de l'enfer et du supplice
éternel ? Donc , quiconque n'a pas
reçu ce sacrement n'est pas sauvé.
4-*' Jésus-Christ, parlant du ju-
gement dernier, ne fait mention
•|ue de deux places; savoir, de la
droite, où sont les justes qui sont
BAP
3i5
envoyés à la vie éternelle , et de la
gauche, où sont les méchautscon-
damnés au feu éternel. Malih. ,
c.aS ,y. 33. Les enfants morts saii'j
baptême ne peuvent être placés a
la droite; donc ils seront à la gau-
che , et subiront le sort des réprou-
vés : point de milieu.
5.° Les conciles d'Afrique, les
papes Innocent L", Zozime , Cc-
lestin L'^'' , Sixte III, saint Léon et
Gélase, qui ont condamné les pé-
lagiens, le concile général d'E-
phèse, qui a confirmé cette con-
damnation , sont censés avoir
approuvé la doctrine de saint Au-
gustin : or , ce saint docteur a tou-
jours enseigné que les enfants
morts sans baptême sonl damnés.
6.° C'a été aussi le sentiment de
tous les Pères latins des siècles
suivants et des théologiens, jusqu'à
la naissance des scolastiques. Dan^
le second concile de Lyon , qui
est le quatorzième général , tenu
l'an 1274 , il est expressément dé-
cidé que les âmes de ceux qui meu -
rent en péché mortel , ou avec le
seul péclié originel , descendent in-
continent en enfer, pour y subir
néanmoins des peines différentes
ou inégales. Cette même décision
est répétée mot pour mot dans
le concile de Florence , tenu
l'an 1439 ; canon 4- C'est une con-
damnation formelle du sentiment
des scolastiques.
7.° Le concile de Trente, sess. 5,
dans son décret touchant le péché
originel, déclare, canon i.*^' qu'A-
dam , par son péché , a non-seule-
ment perdu la sainteté et la justice
originelle, mais qu'il a encouru
la colère et l'indignation de Dieu,
la mort et la captivité sous la puis-
sance du démon; can. 2, qu'il a
transmis à tout le genre humain ,
non-seulcmentla mort et les peines
du corps, mais le péché qui est la
mort de l'âme; can. 3, que ce péché
ne peut être ôté que par les mé-
rites de Jésus-Christ, et qu'ils nou^
3i5 BAP
sont appliqués par le baptême. Or,
la mort de ràmc et la captivité sous
la puissance du démon entraînent
la damnation comme une consé-
quence nécessaire ; et il n'y a
d'autre moyen que le baptême par
lequel les mérites de Jésus-Christ
puissent être appliqués aux enfants .
On ne peut pas nier que ces ar-
guments ne soient très-forts ; ils
prouvent invinciblement que les
enfants morts sans baptême sont
exclus du bonheur éternel , et souf-
frent la peine du dam; mais ils ne
démont rent pas aussi certainement
que ces enfants souffrent encore la
peine du sens. En voulant trop
presser ces raisonnements , l'on
s''expose à des inconvénients fâ-
cheux , et l'on pourroit y en op-
poser d'autres qui ne paroîtroient
pas moins concluants. Il n'y a donc
aucune nécessité d'embrasser sur
cette question le parti le plus ri-
goureux : aussi, la faculté de théo-
logie de Paris , dans la censure
A'' Emile, prop. 24 et suïv. , édit.
in-ia, p. 90, a fait remarquer que
l'Eglise catholique laisse la liberté
de penser , avec saint Thomas ,
qu'on n'est point sujet à la peine
du sens à cause du seul péché ori-
ginel , mais que l'on est seulement
privé de la vision intuitive de
Dieu , qui est Tin don gratuit , sur-
naturel , auquel les créatures in-
telligentes n'ont , de leur nature ,
aucun droit.
Ajoutons que saint Augustin a
éprouvé les mêmes embarras que
nous au sujet du sort des enfants,
sans pouvoir se satisfaire lui-
même, (î^e. XII, p. XXVI.) Epist. 28
ad Hieron. Et s'il n'ose les exemp-
ter de toute peine, il ne les assa-
jétit qu'à la plus légère de toutes.
11 ne se hasarde pas même à déci-
der quelle sera la nature de cette
peine , ni quel en sera le carac-
tère et l'étendue. L. 6, contra Jul.
c. 5. 11 n'ose assurer qu'elle sera
pire que l'anéanlissemciit , et qu'il
BAP
eut mieux valu pour ces enfants
n'avoir jamais été. Jbid. Aussi
quelques théologiens estiment, et
Gonet entre autres , que la priva-
tion de la vision béatifique ne cau-
sera aucune douleur ni aucune tris-
tesse à ces enfants infortunes. Cet
état sera , en quelque sorte , un
état mitoyen entre la récompense
et le châtiment ; ce qui ne parois-
soit point impossible à saint Au-
gustin lui-même. De lib. arb. ,
1. 3, c. 23. Gonet s'appuie encore
de l'autorité de saint Grégoire de
Naziaùze, de saint Grégoire de
Nysse et de saint Ambroise. Saint
Thomas , in 2, dist. Sg , q. 2, art. 2,
semble insinuer cette façon de
penser, et admettre un ordre de
providence bienfaisante de la part
de Dieu sur ceux même qu'il ne
peut récompenser.
Si l'on trouve mauvais que des
théologiens qualifient trop rigou-
reusement les sentiments rigides de
l'école, lors même qu'ils ressem-
blent assez dans l'expression aux
erreurs condamnées, ne devroit-
on pas avoir le même ménagement
pour certaines opinions plus dou-
ces, soutenues par des théologiens
respectables, et qui sont très-pro-
pres à arrêter les incrédules qui
se scandalisent de la prétendue
dureté du sentiment contraire t
L'on ne doit néanmoins donner à
ces opinions que la valeur qu'elles
ont d'avoir des partisans estima-
bles , et se contenter de prouver
par- là que le sentiment contraire
ne fait pas partie du dogme décidé,
très indépendant de ces discussions
d'école. Voyez les conférences d'An-
gers, sur les Péchés, 2.* question,
article 3.
BAPTISTERE, est le lieu ou
l'édifice dans lequel on conserve
l'eau pour baptiser.
Les premiers chrétiens, suivant
saint Ju.stin niartyr, et Tcrtullien,
ii'avpicnt d'autres baptistères que.
lîAP
les foiilaincs, les rivières, les lacs
ou la mer, qui se trouvoieiit plus
à portée de leur habitation ; et,
comme souvent la persécution ne
leur permettoil pas de baptiser en
plein jour, ils y ailoient de nuit,
ou donnoient le baptême dans leurs
maisons.
Dès que la religion chrétienne
fut devenue celle des empereurs ,
outre les églises, on bâtit des édi-
fices particuliers uniquement des-
tinés à l'administration du baptê-
me , et que par cette raison on
nomma baptistères.
Quelques auteurs ont prétendu
que ces baptistères étoient ancien-
nement placés dans le vestibule in-
térieur des églises , comme le sont
aujourd'hui nos fonts baptismaux.
C'est une erreur. Les baptistères
étoient des édifices entièrement
séparés des basiliques, et placés à
quelque distance des murs exté-
rieurs de celles-ci. Les témoigna-
ges de saint Paulin, desaint Cyrille
de Jérusalem, de saint Augustin,
ne permettent pas d'en douter.
Ces baptistères, ainsi séparés, ont
subsisté jusqu'à la fin du sixième
siècle, quoique dès lors on en voie
déjà quelques-uns placés dans le
vestibule intérieur de l'église , tel
que celui où Clovis reçut le bap-
tême des mains de saint Rémi.
Cet usage est ensuite devenu gé-
néral, si l'on en excepte un petit
nombre d'églises qui ont retenu
l'ancien , comme celle de Florence
et toutes les villes épiscopales de
Toscane, la métropole de Ravenne
et l'église deSaint-Jean-de-Latran
à Rome.
Ces édifices , pour la plupart,
étoient d'une grandeur considé-
rable, eu égard à la discipline des
premiers siècles, le baptême ne se
donnant alors que par immersion,
et ( hors les cas de nécessité ) seu-
lement aux deux fêtes les plus so-
lennelles de l'année, Pâques et la
Pentecôte. Le concours prodigieux
BAP
3i'
de ceux (^ui se prcsentoienl au bap-
tême, la bienséance qui cxigeoit
que les hommes fussent baptises
séparément des femmes , deman-
doient un emplacement d'autant
plus vaste , qu'il falloit encore y
ménager des autels oùlesnéophiles
reçussent la confirmation et l'eu-
charistie immcdiatementaprès leur
baptême. Aussi le baptistère de
l'église de Sainte-Sophie à Con-
stantinople étoit-il si spacieux,
qu'il servit d'asile à l'empereur
Basilisque, et de salle d'assemblée
à un concile fort nombreux.
Les baptistères avoient plusieurs
noms différents , tels que ceux de
piscine , lieu cfiliumination , etc. ,
tous relatifs aux différentes grâces
qu'on y recevoit par le sacrement.
On trouve peu de chose dans
les anciens auteurs sur la forme
et les ornements des ôa/9/js/è/-es,- ou
du moins ce qu'on y en lit est fort
incertain. Voici ce qu'en dit M.
Fleury , sur la foi d'Anaslase , de
Grégoire de Tours, et de Durand ,
dans ses notes sur le pontifical
attribué au pape Damase : « Le
-> baptistère étoit d'ordinaire bâti
» en rond, ayant un enfoncement
» où l'on descendoit par q7ielques
» marches pour entrer dans l'eau;
» c'étoit proprement un bain.
» Depuis on se contenta d'une
» grande cuve de marbre ou de
» porphyre, comraeunebaignoire,
» et enfin on se réduisit à un bas-
» siïi, comme sont aujourd'hui les
« fonts. Le baptistère étoit orné de
» peintures convenables à ce sacre-
» mentetmeublédepjusieurs vases
» d'or et d'argent pour garder les
» saintes huiles et pour verser l'eau.
» Ceux-ci étoient souvent en forme
» d'agneaux ou de cerfs , pour
» représenter l'agneau dont le sang
» nous purifie , et pour marquer
» le désir des âmes qui cherchent
» Dieu, comme un cerfaltérécher-
» che une fontaine , suivant l'cx-
u pression du Ps. ^\ . On y voyoit
3i8 BAP
» rimagc desaiul Jean-Bapliste et
» une colombe d'oi' ou d'argent
» suspendue, pour mieux reprc-
»> senter toute l'histoire du Lap-
» tême de Jésus-Christ et la vertu
» du Saint-Esprit qui descend sur
» l'eau baptismale. Quelques-uns
» même disoient 7c Jourdam, pour
Il dire les fonts. » Mœurs des Chré-
tiens, tit. 36. Ce qu'ajoute Durand,
que les riches ornements dont
l'empereurConstantin avoit décoré
le baptistère de l'Eglise de Rome,
étoient comme un mémorial de la
grâce qu'il avoit reçue par les mains
du pape saint Sylvestre , est visi-
blement faux, puisqu'il estaujour-
d'hui démontre que ce prince fut
baptisé à Nicomédie peu de temps
avant sa mort.
Il n'y eut d'abord de baptistères
que dans les villes épiscopalcs :
d'où vient qu'encore aujourd'hui
le rit ambrosien ne permet pas
qu'on fasse la bénédiction des
fonts baptismaux les, veilles de
P.àques et de la Pentecôte, ailleurs
que dans l'église métropolitaine :
d'où les églises paroissiales pren-
nent l'eau qtii a été bénite , pour la
mêler avec d'autre , depuis qu'on
leur a permis d'avoir des baptis-
tères ou fonts particuliers. Dans
l'Eglise de Mcaux , les curés de la
ville viennent baptiser les enfants,
depuis le samedi saint jusqu'au
samedi suivant, sur les fonts de
l'église cathédrale. C'est un droit
attaché à chaque paroisse en titre
et à quelques succursaî-es , mais
non pas à toutes, non plus qu'aux
chapelles et aux monastères, qui,
s'ils en ont, ne les possèdent que
par privilèges et par concession
des «vêques.
On confond aujourd'hui le bap-
tistère avec les fonts baptismaux.
Anciennement on distinguo it exac-
tement ces deux choses , comme le
tout et la partie. Par baptistère,
ou entendoit tout l'édifice où l'on
administroit le baptême ; et les
BAll
fonts n'étoienl autre chose que la
fontaine ou le réservoir qui con-
tenoit les eaux dont on se sérvoit
pour le baptême. Voyez Vancien
Sacrant. , seconde partie, pag. 55.
Nous avons parlé de la bénédiction
des fonts baptismaux dans l'article
Baptême.
BARALLOTS, nom qu'on donna
à certains hérétiques qui parurent
à Bologne en Italie, et quimettoient
tous leurs biens en commun, même
les femmes et les enfants. Leur
extrême facilité à se livrer aux plus
honteux excès de la débauche, leur
fit encore donner, selon Ferdinand
de Cordoue, dans son Traité TJe
exiguis Annonis , le nom d'obéis-
sants, obedicntes.
BARBARES. L'irruption des
peuples du Nord qui, dans le cin-
quième siècle et les suivants , se
sont jetés sur l'empire romain, et
l'ont détruit dans l'Occident , est
une époque célèbre dans l'histoire,
mais fatale à la religion et aux
mœurs. Un théologien se trouve
intéressé à en rechercher les causes
et le^ effets ; parce que plusieurs
incrédules ont eu l'injustice de
les attribuer au christianisme.
M. Fleury les a très-bien exposés.
Mœurs des Chrét., n. 56 et suiv.
Au commencement du cinquième
siècle , l'empire romain étoit af-
foibli de toutes manières ; il n'y
avoit plus ni discipline dans les
troupes, ni autorite dans les chefs,
niconseilssuivis, ni science des af-
faires , ni vigueur dans la jeunesse,
ni prudence dans les vieillards , ni
amourdelapatrieetdubienpublic.
Chacun ne cherchoitque son plaisir
et son intérêt particulier, ce n'é-
toient qu'infidélités et que trahi-
sons; \cs Romains, amollis par le
luxeet l'oisiveté, ne se défcndoient
contre lesBarbares que par d'autrea
£/2rôares qu'ils soudoyoifnt Lame-
sure de leurs crimes étant comblée.
lîAR
Dieuenfit la justicccxcmplaircqu'il
.1 voit prédite par saint Jean, Apoc,
c. i3,^. i8. Rome fut prise et sac-
cagée plusieurs fois ; le sang des
martyrs dont elle s'étoit enivrée
fut venge ; l'empire d'Occident
demeui'a en proie aux peuples du
Nord, qui y fondèrent de nouveaux
royaumes. Voilà les vraies causes
de la chute de l'empire romain ,
et non l'établissement du chris-
tianisme, comme les païens le di-
soient alors, et comme Machiavel,
et après lui d'autres politiques
impies ou ignorants, ont osé le
répéter.
On dira sans doute que le chris-
tianisme établi pour lors dans
l'empire auroit dû corriger les
mœurs, et empêcher les Romains
de contracter d'aussi grands vices ;
mais cette religion n'avoit com-
mencé à être tolérée publiquement
par les empereurs qu'en 3ii ;
bientôt après elle fut défigurée par
les ariens, et les Sariares sont venus
en 4o6 ; alors un grand nombre
deRomains luttoient encore con-
tre les lumières de l'Evangile. Il a
semblé que Dieu avoit fait venir
les farouches habitants du Nord ,
pour démontrer qu'il étoit plus
aisé de convertir des hommes à
demi-sauvages, que des épicuriens.
Les chrétiens ne pouvoient vivre
au milieu d'une génération aussi
corrompue, sans participer à ses
vices ; il n'est pas étonnant que
les Pères de l'Eglise leur en aient
reproché de très-grossiers. Saint
Augustin, de Calechiz. rudib., n. 5,
7, \']^2.%;deMorib.Eccl., c.34, etc.
Les ravages des Barbares ne nui-
sirent pas moins aux mœurs de
l'Eglise que la corruption des der-
niers Romains. L'Evangile, q»ii est
la souveraine raison, condamne
également tous les vices ; la stupi-
dité , la fourberie , la férocité , la
cruauté, sont aussi incompatibles
avec la vraie religion que le luxe
et lamollessc. Les guerres, les hos-
BAR 319
tilités, le brigandage , sont aussi
contraires à la piété qu'à la justice
et à la probité naturelle. Quand
ou est occupé des moyens de con-
server sa vie et son bien dans une
ville prise d'assaut, ou dans un
pays livré au pillage; d'éviter l'es-
clavage, de sauver l'honneur des
femmes , il est très - difficile de
penser au spirituel ; et il faut des
vertus bien héroïques pour se
soutenir au milieu du carnage et
des horreurs d'une victoire brutale.
Possidius , dans la vie de saint
Augustin, peint l'état de l'Afrique
désolée par lesVandales. On voyoit,
dit-il, les églises destituées de prê-
tres, les vierges et les religieux
dispersés; les uns avoient succombé
aux tourments, les autres avoient
péri par le glaive, les autres avoient
perdu dans une dure captivité l'in-
tégrité du corps, de l'esprit et de
la foi; ils étoient réduits à servir
des ennemis farouches et brutaux.
Non-seulement les hymnes et
les louanges de Dieu avoient cesse
dans les églises, mais en plusieurs
lieux ces édifices étoient détruits.
Les sacrifices et les sacrements
n'étoient plus recherchés ; il étoit
difficile de trouver quelqu'un qui
pût les administrer. Les évêques
et les clercs qui avoient échappé
au fer des ennemis , étoient dé-
pouillés, réduits à la misère, in-
capables de donner aucun secoui^s
au peuple. Salvien a tracé le même
tableau de la désolation des Gau-
les ; elle n'étoit pas moindre en
Espagne et dans l'Illyrie.
A la vérité les Francs se firent
chrétiens; les Goths, les Rourgui-
gnons, les Lombards, d'ariens de-
vinient catholiques; mais ils de-
meurèrent long - temps barbares ,
attachés à leurs anciennes habi-
tudes; ils embrassèrent l'extérieur
de la religion sans en prendre
l'esprit. C'est ce qui arrive encore
aujourd'hui à l'égard des Sauvages
de l'Amérique, lorsqu'on parvient
320 BAIl
à les convertir. Les princes mêmes
ne perdirent qu'une partie de leur
férocité. Clovis et ses entants font
paroître d'un côté beaucoup de
respect et de zèle pour la religion ;
mais d'ailleurs ils commettent des
injustices et des cruautés. Le bon
roi Gontran, que l'Eglise a mis au
nombre des saints , entre une in-
finité d'actions de piété, a fait de
grandes fautes ; et Dagobert, cet
illustre fondateur de monastères ,
a été très vicieux. Ce n'est pas que
les évéques de ce temps-la man-
quassent absolument de vertu et de
vigueur apostolique ; mais de deux
maux inévitables, ils choisissoient
le moindre ; ils aimoient encore
mieux obéir à des princes demi-
chrétiens , qu'a des païens persé-
cuteurs de l'Eglise. Une marque
qu'ils ne se fioient pas beaucoup
a des Barbares convertis, c'est que
pendant deux cents ans on ne voit
^uère de clercs qui ne fussent
romains; cela se connoît par leurs
noms.
Ainsi , par le mélange des Ro-
mains avec les Barbares , ces der-
niers s'adoucirent et se civilisèrent;
mais les premiers devinrent igno-
rants et grossiers. On cessa d'étu-
dier l'histoire et la physique , de
consulter l'antiquité sacrée et pro-
fane ; les peuples devinrent super-
stitieux et crédules ; on crut voir
partout des miracles, des pronos-
tics , des signes de la bienveillance
ou de la colère de Dieu ; les légendes
des saints ne renfermèrent plus que
des fables et des puérilités.
D'autre part , l'autorité des évé-
ques alloit toujours croissant;outre
la dignité dusacerdoccet la sainteté
de la vie de plusieurs , ils étoient
plus instruits que les laïques ; les
rois les firent entrer dans leurs
conseils, et leur laissèrent le soin
de gouverner : la plupart s'en ac
quittèrent avec la plus grande fi
délité , et contribuèrent , autant
qu'ils le purent, à diminuer la mi-
BAK
sère des peuples. On ne connoît
aucun siècle dans lequel il ne se
soit trouvé parmi eux des saints et
des hommes d'un mérite dislingue-
Mais leur crédit se trouva insen-
siblement mêlé de puissance et de
juridiction temporelle ; ils devin-
rent seigneurs , avec les mêmes
droits que les laïques, par consé-
quent avec les mêmes charges de
fournir des gens de guerre pour
le service de l'état, et souvent de
les conduire en personne. Ce fut
là une des principales sources du
relâchement de la discipline.
Au neuvième siècle , Charle-
magne travailla beaucoup à la ré-
tablir , de même que l'étude des
lettres ; mais les guerres civiles ,
dontsamort futsuivie, ramenèrent
partout l'ignorance et le désordre.
Pour comble de maux , les Nor-
mands, encore païens, pillèrent et
désolèrent la France de tous cotés;
le^ Hongrois coururent l'Italie ; les
Sarrasins en infestèrent les côtes ,
occupèrent la Fouille et la Sicile ;
déjà ils étoient les maîtres de l'Es-
pagne depuis un siècle. L'ignorance
s'accrut au point que les seigneurs
dédaignèrent d'apprendre à lire, et
regardèrent la culture des lettres
comme une marque de roture.
Cantonnés chacun dans son châ-
teau , toujours en guerre , les uns
contre les autres, et souvent contre
leur évêque , ils ne fréquentoient
plus l'église épiscopale ; ils se con-
tentèrent des messes de leurs chape-
lains , ou de l'office des monastères
voisins. Mais les moines n'avoient
pas de mission pour enseigner , ni
d'autorité pour corriger ; les évê-
({ues prêchoient si peu, qu'il y a des
conciles qui leur recommandent
d'enseigner, au moins en langue
vulgaire, à leurs diocésains, lesjm-
bole et l'oraison dominicale.
Dans ces temps de ténèbres et
de désordres , les papes se trouvè-
rejit obligés de veiller de plus près
sur toute l'Eglise , de se mêler de
loiilcs les affaires, de su|iplcei- à ce
que les cvc<|ucs ne (aisoicul plus.
l^e pouvoir illimité qu'ils s'allri-
buéreiil, cl que des critiques mal
i'.islruils ont regaidé comme reflet
d'une ambition démesurée , fut
dans le fond l'ouvrage des circon-
slances et de la nécessité.
Les prêtres et les clercs étoicnt
contraints de défendre à main ar-
mée les biens de l'Eglise dont ils
«ubsistoient ; plusieui's, pressés par
la pauvreté , étoient réduits à exer-
cer des métiers sordides, ou à pas-
ser de province en province pour
trouver à vivre auprès de quelques
fvêques ou de quelques seigneurs.
Quelles études pouvoient-ils faire ,
quelle régularité pouvoient-ils ob-
server dans leurs mœurs? A peine
les études et la piété purent-elles
.«e conserver dans quelques églises
cathédrales et dans quelques mo-
nastères ; mais les monastères fu-
rent pillés, ruinés et briilés par les
Normands ; les moines et les cha-
noines massacrés ou dispersés , et
réduits à vivre au milieu des sé-
culiers.
On peut juger combien les pau-
vres étoient abandonnés dans ces
temps de misère publique : où au-
roit-on pris des aumônes, lorsqu'il
y eut des lamines si horribles que
l'on mangeoit de la chairhumaine?
Le commerce n'étoit pas libre pour
suppléer à la disette d'un pays par
l'abondance d'un autre, ou plutôt
il n'y avoit point de commerce, et
ja terre n'étoit plus cultivée que par
des esclaves, llrestoit, à la vérité,
de grands patrinioines aux églises;
mais ces biens étoientune tentation
continuelle pour les seigneurs, qui
avoient toujours les armes à la
main. Souvent les évêchés furent
usurpés par des hommes tout-à lai t
indignes, qui s^en emparèrent par
force; souvent un seigneur y éta-
hli.ssoit à main armée son fils en
bas âge, afin de jouir des revenus
de l'église sous son nom. Rome
lîAR 321
même lut ex{)oséc à ces désordres ;
les petits tyrans du voisinage y
furent les plus forts, et disposè-
rent despolifjuemcntde la papauté.
Pendant le dixième siècle , ce ne
furent qu'intrusions et expulsions
violentes dans ce premier siège,
où jusqu'alors la discipline s'étoil-
conservée pure. Aujourd'hui les
protestants et les incrédules triom-
phent de la mauvaise conduite de
ces papes indignes de leurs places;
ils font un crime à l'Eglise romaine
de ce que les pontifes du siècle
suivant ont cherché à mettre leur
siège à couvert de ce scandale et de
ces vexations.
Les conciles devinrent très-rares,
à cause de la difficulté de s'assem-
bler au milieu des hostilités uni-
verselles y qui ne permettoient pas
que l'on put aller en sûreté d'une
ville à l'autre ; et quand ils auroient
été plus fréquents , qui auroit eu
assez d'autorité pour en faire ob-
server les canons par des brigands
toujours armés ?
Des prédicants profitèrent de ces
temps malheureux pour semer des
erreurs. Il leur fut aisé de décrier
le clergé, qui étoit absolument dé-
chu de son état ; de défigurer la
doctrine chrétienne , que l'on ne
connoissoit presque plus ; de trom-
per les peuples par de fausses ap-
parences de régularité et de piété.
C'est ce qui fit éclore les différentes
sectes de manichéens , sous plu-
sieurs noms divers , ensuite les
vaudois et d'autres fanatiques. Les
protestants ont eu grand soin d'ex-
poser au grand jour les scandales
du clergé, l'ignorance et la misère
des peuples , les plaies de l'Eglise;
mais ils ne se sont pas donné la
peine de remonter à la cause pre-
mière de tous ces maux ; ils ont
affecté même de la dissimuler, afin
d'en faire retomber tout l'odieux
sur les ministres de la religion.
Si le christianisme n'avoit pas
été l'œuvre de Dieu, il auroit cer-
32 2 CAPi
tainement succombe sous tles at-
taques aussi violentes; mais Jésus-
Christ a fait voir qu'il n'a jamais
oublié ses promesses , qu'il est tou-
jours avec son Eglise , et que nulle
révolution humaine n'est capable
de l'ébranler.
Nous n'avons fait qu'abréger le
récit et les réflexions de M. Fleury ;
quiconque voudra les lire sans pré-
vention , demeurera convaincu que
non-seulement la religion chré-
tienne n'a contribué en rien aux
malheurs de l'Europe , mais que
sans elle ces maux auroient été
beaucoup plus grands; que c'est
elle qui a fourni des ressources
pour les adoucir, et des moyens
pour les réparer ; nous prouverons
ailleurs ce fait important. Voyez
Lettres , Sciences , etc.
Les protestants ont encore fait
tous leurs efforts pour donner une
idée très-désavantageuse des mis-
<iions qui ont été faites pour con-
vertir les Barbares du Nord dans
les différents siècles. Quand ce qu'ils
en ont dit seroit vrai , il faudroit
encore bénir Dieu des heureux ef-
fets qui en ont résulté ; mais nous
réfuterons leurs calomnies. Voyez
Missions , Nord.
Un des plus fougueux de nos in-
crédules modernes a poussé la dé-
mence jusqu'à vouloir insinuer que
<;e furent les chrétiens persécutés
l>ar les empereurs païens , qui in-
vitèrent les Barbares du Nord à
fondre sur l'empire romain ; sa nar-
ration est curieuse. « Quand les
ï) Barbares du Nord , dit-il , fon-
ï) dirent sur les terres de la domi-
» nation romaine , les chrétiens ,
M persécutés par les empereurs
y> païens , ne manquèrent pas d'im-
» plorerle secours des ennemis du
j> dehors contre l'état qui les op-
» primoit. Ils prêchèrent à ces
» vainqueurs unereligion nouvelle,
» qui leur imposoit le devoir de
» détruire l'ancienne. Ils deman-
>) dèrent les décombres des temples
BAll
» pour bâtir des églises. Les san-
» vages donnèrent sans peine ce
» qui ne leur appartenoit pas ; ils
» exterminèrent , ils prosternèrent
» aux pieds du christianisme tous
» leurs ennemis et les siens ; ils pri-
» rent des terres et des hommes ,
» et en cédèrent à l'Eglise; ils exi-
1) gèrent des tributs , et en excmp-
» tèrent le clergé , qui préconise it
» leurs usurpations : des seigneur.s
» se firent prêtres , des prêtres de-
» vinrent seigneurs , etc. »
Cettenarrationestun chef-d'œu-
vre d'étourderie. i.° Ce savant his-
torien oublie que les irruptions des
Barbares sur les terres de l'empire
ont commencé au moins 107 ans
avant la naissance de Jésus-Christ,
et ont continué sans interruption
jusqu'à leur établissement dans les
Gaules en 406. On ditque Marius,
dans l'espace de deux ans , en tua
trois cent mille, etfit cent quarante
mille prisonniers ; que Jules César
en extermina pour le moins autant.
Sous le règne d'Auguste , Drusus
les battit de nouveau ; mais ils tail-
lèrent en pièces les légions ro-
maines, commandées parQuintilius
Varus. Sous Tibère , Germanicus
les vainquit encore ; mais il ne put
empêcher leurs irruptions. Sous
Vespasien , Pline l'Ancien trouva
assez de matériaux pour composer
en vingt livres une histoire des
guerres de Rome contre les Ger-
mains. Tacite observe que depuis
le consulat de Cécilius Métellus ,
jusqu'au second de Trajan , c'est-
à-dire, pendant près de iio ans,
les Romains n'avoient été occupés
qu'à dompter ces terribles enne-
mis, mais que, malgré toutes les
défaites de ces Barbares , ils étoîent
toujours agresseurs ; qu'ils avoient
délogé plusieurs fois les légions , et
qu'ils n'étoient rien moins que
subjugués. Jusqu'alors, ou les chré-
tiens n'existoient pas, ou ils étoîent
trop foibles pour oser implorer le
secours des Barbares.
BAR
a." Marr-Aurclc, Commodo.son
fils, Maxiinin, Valcricn, Claude
11' Gothifine , Aurclien, Prohus ,
Dioclclicn , Constance et Julien,
curent contre eux de grands avan-
tages; mais ils y perdirent souvent
«les armées entières. Trouve-t-on
dans l'histoire quelque sujet de
soupçonner que , dans ces difFc-
rentes circonstances, les Barbares
avoient été appelés par les chré-
tiens? Ceux-ci se trouvolent en si
grand nombre dans l'armée de
Marc-Aurèle, qu'ils s'attribuèrent
la victoire sur les Quades et les
Marcomans , et prétendirent en
être redevables à un miracle. Voyez
Légion fulminante. Ils continuè-
rent à servir de même sous les em-
pereurs suivants, et nos apologistes
ont soutenuauxpersécuteurs même
qu'ils n'avoient dans leurs armées
point de niellleurs soldats que les
chrétiens. Les historiens qui ont
calculé le nombre des hommes qui
avoient péri dans l'empire depuis
le règne d'Auguste, par les guerres
contre les iJrtr6arc.s',par les batailles
entre les divers prétendants à l'em-
pire, par les massacres des Juifs,
par la contagion, par les persécu-
tions exercées contre les chrétiens ,
ont conclu qu'au commencement
du cinquième siècle , l'espèce hu-
maine, en Europe et en Asie-,
étoit diminuée au moins de moitié.
Les Barbares , placés sur les bords
du Rhin , n'avoient donc pas be-
soin d'être avertis , pour compren-
drequ'alors laconquêtedel'empire
étoit très-iacile , et ils ne se trom-
pèrent pas ; comment les forces ro-
maines auroient-elles résisté à des
arnaées de deux ou trois cent mille
hommes?
3.° Déjà, l'an SgS, les Huns,
peuple Scythe ou tartare, s'étoicnt
jetés sur la partie orientale de l'em-
pire romain, et l'an 4^7 ils péné-
trèrent dans la Perse; étoient-ce
encore les chrétiens qui lei avoient
appelés?
lîAK 3i3
4." A cette époque, Arc.-idius et
llonorius , qui régnoient, l'un en
Orient, l'autre en (iccident, éloient
chrétiens, aussi-bien que Théo-
dose leur père; ils n'ont jamais
persécuté le christianisme non plus
que leurs successeurs ; quels motifs
auroient pu avoir les chrétiens
d'appeler les Barbares, surtout dans
les Gaules , où il n'y avoil plus de
païens ? Les Goths , les Bourgui-
gnons, les Vandales, les Lom-
bards, qui inondèrent l'empire ,
étoient chrétiens, puisqu'ils étoient
ariens ; les Francs étoient païens :
si les Gaulois avoient eu l'impru-
dence de les appeler , ils en au-
roient été mal récompensés par les
ravages que ces Barbares commi-
rent d'abord.
A la vérité ils se convertirent
sous Clovis ; mais alors ce n'étoit
plus le temps de leur demander les
décombres des temples pour bâtir
des églises , puisqu'il n'y avoit plus
de temples, et que les Francs pil-
loient les églises avant d'être con-
vertis. Clovis, devenu chrétien ,
donna des terres aux églises; mais
il ne fut obligé de les enlever à
pei'sonne , puisqu'alors la moitié
des Gaules étoit en friche , faute
de cultivateurs. Ce n'étoit pas un"
mauvaise politique d'engager Je
clergé à mettre les terres en va-
leur , en se procurant des colons,
et de les afFranchir des impôts. Le
roi Louis XVI a trouvé bon d'ac-
corder une franchise de vingt ans
à ceux qui mettront des terrains
stériles en culture ; personne n'est
assez insensé pour l'en blâmer
Mais où sont les ennemis du chris-
tianisme que Clovis et les Francs
ont exterminés , ou qu'ils ont pro -
sternes aux pieds de cette religion ,
comme le disent nos philosophes
incrédules?
C'est ainsi que ces savants criti-
ques arrangent l'histoire. Us argu-
mentent sur des faits qu'iisontre-
vés ; ils méconnoisscul les motils
3^4 BAR
qui ont déterminé la conduite des
souverains et celle du clergé; ils
blâment au hasard des procédés
que dictoient les circonstances
dans lesquelles l'Europe se trou-
voit pour lors. Voyez BÉNÉriCE ,
Clergé , etc.
BARBELIOTS ouBAREO-
RIENS, secte des gnostiques , qui
disoient qu'un éon immortel avoit
eu commerce avec un esprit vierge
appelé Barbeloth, à qui il avoit ac-
cordésuccessivement la prescience,
l'incorruptibilité, et la vie éter-
nelle; que Barbeloth, un jour plus
gai qu'à l'ordinaire, avoit engen-
dré la lumière , qui , perfectionnée
par l'onction de l'esprit , s'appela
Christ; que Christ désira l'intelli-
gence, et l'obtint y que l'intelli-
gence , la raison, l'incorruptibilité,
et Christ s'unirent ; que la raison
et l'intelligence engendrèrent Au-
togène ; qu'Autogène engendra
Adamas, l'homme parfait , et sa
femme, la connoissance parfaite;
qu'Adamas et sa femme engendrè-
rent le bois ; que le premier ange
angendra le Saint-Esprit , la sagesse
ou Prunic ; que Prunic ayant senti
lebesoin d'époux, engendraProtar-
chonte, ou premier prince, qui
fut insolent- et sot; que Protar-
chonte engendra les créatures ;
qu'il connut charnellement Arro-
gance, et qu'ils engendrèrent les
vices et toutes leurs branches.
Pour relever encore toutes ces mer-
veilles, les gnostiques les débitoient
en hébreu, et leurs cérémonies
n'étoient pas moins abominables
que leur doctrine étoit extrava-
gante. Voyez Théodoret, Hœret.
fabuh
BARDESANISTES , nom d'une
secte d'hérétiques , ainsi appelés de
Bardesanes , syrien , qui vivoit
dans le second siècle etdemeuroit
à Edesse, ville de Mésopotamie.
Si Ton croit saint Epiphane Bar-
EAR
desancs fut d'abord catholique, ft
se distingua autant par sou savoir
que par sa piété. Eusèbe , au con-
traire, en parle comme d'un homme
qui a toujours été dans l'erreur.
Il fut d'abord engagé dans celle de
Valentin , en retint une autre , et
y en ajouta de nouvelles de son
propre fonds.
Beausobre , qui a fait l'histoire
de Bardesanes et de ses erreurs,
Hisl. du Munich. , t. 2, 1. 4 , c. 9,
les réduit à trois principales. La
première, d'admettre deux pre-
miers principes de toutes choses ,
l'un bon , l'autre mauvais ; de sup-
poser que celui-ci existe de lui-
même et s'est produit lui-même , et
qu'il est l'auteur de tout le mal qu'il
y a dans le monde. La seconde , de
nier que le Verbe éternel ou le
Fils de Dieu ait pris une chair
humaine ; selon cet hérétique , le
Verbe s'étoit seulement revêtu
d'un corps céleste etaérien, comme
les anges qui -ont apparu plus
d'une fois aux homm.es ; ainsi la
chair du Fils deDieu n'étoit qu'ap -
parente, il n'a pu souffrir, mou-
rir et ressusciter qu'en apparence.
C'étoit l'erreur commune à la plu-
part des sectes des gnostiques. La
troisième, de nier la résurrection
future de la chair , de soutenir que
les bienheureux auront des corps
célestes semblables à ceux des anges
et à celui de Jésus-Christ.
Après cet exposé, nous ne con-
cevons pas comment Beausobre
peut soutenir que Bardesanes ,
comme tous les autres sectaires
qui ont admis detix principes , ne
reconnoissoit cependant qu'un seul
Dieu, bon, tout-puissant, qui a
l'empire de l'univers , sans qu'au-
cun être puisse se soustraire à son
pouvoir, ibidem, § 10. i.° C'est
une absurdité de supposer qu'un
être incréé, qui existe de soi-même ,
par conséquent de toute éternité,
est essentiellement mauvais, et
qu'il n'est pas Dieu; la notion la
BAR
plus claire q^ue nous ayons de la
Divinité, est d'exister de soi-même
et nécessairement. Lorsque Barde-
sanes disoît que le mauvais prin-
cipe s^ëloit produit lui-même , il
déraisonnoil ; ce qui n'existe point
encore peut-il se donner l'existen-
ce ? 2.° En quel sens le Dieu bon
est-il tout-puissantel maître absolu
de l'univers, s'il y a un être mau-
vais duquel il ne peut pas empê-
cher l'action, et qui ne dépend
pas de lui, puisqu'il n'a pas reçu
l'être de lui ? 3." S'il est vrai que
le mauvais esprit est contenu et
conservé par le Dieu bon , si rien
n'arrive sans la volonté ou sans
la permission de celui-ci, il est
clair , ou que le Dieu bon laisse vo-
lontairement exister le mal, ou
qu'il en ignore l'existence , ou qu'il
n'a pas le pouvoir de l'empêcher.
4.° Il n'est pas question de savoir
si ces mêmes conséquences résul-
tent du système orthodoxe , comme
le prétend Beausobre, ou si elles
n'en résultent pas, mais de savoir
en quoi l'existence supposée d'un
mauvais principe peut servir à
expliquer l'origine du mal ; dés
qu'il est évident qu'elle ne sert à
rien , que dans celte hypothèse
Dieu est toujours responsable du
mal qui arrive dans le monde, il
est ridicule de la soutenir. 5.° Il ne
s'agit pas seulement d'expliquer
d'où vient le mal moral , et de sa-
voir pourquoi Dieu le permet,
mais de dire quelle est la cause du
mal physique, des souffrances des
créatures sensibles et de leur im-
perfection naturelle , qui est dans
le fond la première racine du mal
moral. Or l'opinion de Bardesanes
ne satisfait point à cette difficulté.
f).° Quand même on supposeroit
dans le système orthodoxe que
Dieu a créé les hommes tels qu'ils
sont , imparfaits, sujets à la dou-
leur , enclins au mal moral , cl ca-
pables de le commettre , il ne
s'ensuivroil encore rien contre la
BAR 32 r,
toute-puissance , la sagesse et la
bonté infinie de Dieu ; nous le dé-
montrerons à l'article Mal. L'hy-
pothèse de Bardesanes et des autres
anciens sectaires est donc inutile
et absurde à tous égards; mais la
fureur de vouloir les excuser et les
disculper a rendu Beausobre ausai
mauvais logicien qu'eux. Nous le
verrons raisonner de même dans
les articles Cerdoniens , Mani-
chéens , Marcionites , etc.
Il ne servoit à rien de dire que
le Dieu bon avoit créé d'abord les
âmes des hommes pures et d'une
nature céleste , mais que le mau-
vais principe les séduisit et les en-
traîna dans le péché; que pour les
punir Dieu permit au mauvais
principe de les enfermer dans des
corps grossiers et corruptibles
qu'il avait formés. Il s'ensuit tou-
jours que ces âmes , par leur na-
ture , étoient capables de se laisser
séduire et de pécher, par consé-
quent foibles et très- imparfaites ;
le Dieu bon n'auroit-il pas pu les
créer meilleures et les préserver
de la séduction ?La difficulté tirée
de la permission du mal subsiste
donc toujours , et l'hypothèse de
Bardesanes n'y satisfait eu aucune
manière. Nous ne voyons pas sur
quoi est fondé le titre à'habile
homme que Beausobre lui prodi-
gue. On dit qu'il écrivit un Traité
contre les marcionites; mais son
système ne valoit guère mieux que
le leur.
L'erreur de ceux qui n'admet-
toient dans le Fils de Dieu qu'une
chair fantastique et apparente ,
étoit née dès le temps des apôtres,
puisque saint Jean la réfute ,
JLpisi. 2, 'S' ']' Elle fut embrassée
par la plupart des hérétiques du
second siècle; et c'est une preuve
de la réalité et de la certitude des
faits publiés par les apôtres. Si
leur témoignage n'avoit pas été
irrécusable, tous ces hérétiques,
philosophes mai convertis, l'an-
326 BAR
roicntallaqup. Comme ils ne pou-
voienl concilier les humiliations
du Fils de Dieu avec l'idée qu'ils
s'étoient formée de la Divinité ,
ils auroient nié absolument qu'il
fût né, mort et ressuscité, comme
le disoient les apôtres, s'ils avoient
pu opposer à ce témoignage ce-
lui des Juifs ou de quelques té-
moins oculaires. Mais ils se re-
tranchèrent à dire que tout cela
s'étoit faitseuleraent en apparence;
que Dieu avoit fasciné les yeux
des apôtres et des autres specta-
teurs, et les avoit trompés par
des illusions. Or, avouer l'appa-
rence des faits, récuser la certitude
du témoignage des sens , c'étoit
rendre Justice à la sincérité et à
la probité des apôtres. C'est tout
ce que nous demandons. Les incré-
dules, qui osent aujourd'hui les
accuser de mensonge , traiter de
fables leurs narrations, ne peuvent
récuser des témoins qui n'étoient
point liés d'intérêts avec les apô-
tres, et qui cependant confirment
leur récit par la manière même
dont ils le combattent. La Provi-
dence divine a donc eu ses raisons
en permettant la multitude d'hé-
résies que l'on a vu éclore dans le
second siècle.
BARNABE ( saint ) est appelé
apôtre par les Pères de l'Eglise ,
et par saint Luc lui-même, Act.,
c. i4, S • i3, quoiqu'il ne fiit pas
du nombre des doiize que Jésus-
Christ avoit choisis, mais l'un des
soixante - douze disciples que le
Sauveur avoit instruits lui-même
et envoyés pour prêcher l'Evangile,
Luc, c. lo,^. I et 17. Saint Bar-
nabe fut le compagnon des voyages
et des travaux de saint Paul ; il eut
beaucoup de part à tout ce que
firent les apôtres pour établir le
christianisme.
II reste de lui une épître qui a
été mise à la tête des écrits des
Pères apostoliques, de l'édition de
BAR
Cotelier, mais dont le commence-
ment est perdu. Elle étoit adressée
aux Juifs convertis , qui préten-
doient que les observances légale»
étoient encore nécessaires au salut
pour tous ceux qui croyoicnt en
Jésus-Christ, quoique les apôtres
eussent décidé le contraire dan»
le concile de Jérusalem. Act., c. i5.
Saint Barnabe , dans la première
partie de sa lettre, montre que les
cérémonies mosaïques ont été abo-
lies par là loi nouvelle ; dans la
seconde , il donne d'excellentes
leçons de morale sur l'humilité ,
la douceur, la patience, la charité,
la chasteté, etc. On y trouve beau-
coup d'érudition hébraïque , une
grande connoissance des Ecritures,
et des explications allégoriques ,
telles qu'elles étoient en usag«
parmi les Juifs.
Cette épître a été citée sous le
nom de saint Barnabe par saint
Clément d'Alexandrie, par Origène,
par Eusèbe, par saint Jérôme. Les
deux premiers semblent la mettre
au rang des Ecritures canoniques,
et lui attribuer la même autorité ;
les deux derniers disent qu'elle est
apocryphe. Il ne faut pas conclure
de là , comme ont fait quelques
mordernes , qu'Eusèbc et saint
Jérôme ont été persuadés que celte
lettre n'étoit point de saint Bar-
nabé, ou qu'ils en ont douté, mais
seulement qu'ils l'ont exclue du
nombre des livres canoniques.
Ils nomment apocryphes non-seu-
lement les écrits faussement attri-
bués aux apôtres ou aux disciples
de Jésus-Christ, mais encore cetix
qui ont été placés mal à propos
par quelques anciens au nombre
des livres sacrés. C'est une équi-
voque, de laquelle ont abusé les
critiquesprotestants,etpar laquelle
il ne faut pas se laisser tromper.
Tilleraont et d'autres, prévenus
de ce préjugé, disent que si cette
lettre avoit été reconnue pour être
véritablement de saint Barnabe ,
RA1\
l'Eglise, qui hoiiorece saint comme
uu apôtre, n'auroit pas manque
«le la recevoir au nombre des livres
sacrés et canoniques. Cette con-
séquence n'est pas infaillible. Saint
Barnabe n'étoit point du nombre
des apôtres choisis par Jésus-
Christ , mais l'un des soixante-
douze disciples. Il est très-probable
que Hermas et saint Clément
avoient eu le même avantage ;
leurs écrits cependant n'ont pas
été constamment placés parmi les
livres sacrés. La lettre de saint
Barnabe étoit adressée aux Jixifs ,
aussi-bien que celle de saint Paul
aux Hébreux , et cette dernière a
donné lieu à des contestations.
Les faute» prétendues que les cri-
tiques modernes trouvent dans
cette lettre, ont pu faire aussi im-
pression sur les anciens, et les
empêcher de la mettre au rang
des livres canoniques. Il est bon
de savoir ce que l'on y trouve à
reprendre.
L'auteur , dit - on , cite divers
passages qui ne se trouvent point
dans l'Ecriture ; selon lui , tous
les Syriens, les Arabes et tous les
prêtres des idoles reçoivent la
circoncision; toutes choses seront
terminées dans l'espace de six mille
ans, et Jésus-Christ est monté au
ciel le dimanche. Ces reproches
sont-ils assez graves pour qu'on
ne puisse pas attribuer à saint
Barnabe la lettre qui porte son
nom .''
Chapitre 7 , il cite un passage
du livre des Nombres, au sujet du
bouc émissaire; il y ajoute des
paroles qui ne sont point dans ce
livre, mais qui expriment une cir-
constance de cette cérémonie telle
((u'elle se faisoit par les Juifs. Où
est l'erreur ? Les Juifs nepouvoient
pas y être trompés.
Chapitre 12, il cite un prophète
•{u'il ne nomme pas, et l'on croit
trouver ce qu'il dit dans le qua-
trième livre d'Esdras , qui est apo-
BAPt 327
cryphe. Mais cette citation peut
aussi avoir été tirée d'un autre
livre prophétique qui n'existe plus.
Pour que saint Barnabe ait pu
citer aux Juifs le quatrième livre
d'Esdras , il suffit que les Juifs
l'aient respecté comme prophéti-
que; il ne s'ensuit pas que saint
Barnabe l'ait regardé comme tel
lui-même. C'étoit un argument
personnel, bon pour les Juifs.
Ce qu'il dit de la circoncision
des Syriens, etc., chap. 9, est con-
firmé non-seulement par Origcne
et par d'autres Pères, mais encore
par les auteurs profanes. Voyez les
notes de Cotelier et deMénard sur
cet endroit.
Ce qu'il ajoute, chapitre i5,
sur la durée du monde et sur sa
fin après six mille ans, étoit une
tradition juive, fausse sans doute,
mais à laquelle saint Irénée et d'au-
tres Pères ont ajouté foi ; saint
Barnabe a pu la citer sans en être
fort persuadé.
Quant au passage qui regarde
l'Ascension , il nous paroît que
l'on en prend mal le sens ; il y a ,
chapitre i5 : «Nous célébrons avec
» joie le huitième jour auquel
» Jésus - Christ est ressuscité ; et
» après s'être fait voir, il est monté
» au ciel. » Cela ne signifie pas
qu'il est montéau ciel le jour qu'il
est ressuscité.
On excuse ces fautes , dit Tillfr-
mont; mais ne vaut-il pas mieux
ne pas se réduire à être obligé d'ex-
cuser des fautes dans un apôtre !*
Si ce sont là des fautes , elles
n'intéressent ni la foi ni les mœurs,
et nous ne voyons pas qu'il soit
fort nécessaire de supposer que
saint Barnabe a dii en être exempt.
L'auteur du Mémoire sur les
livres apocrj'phes, Hist. de VAcad.
desinscript., tom.i3, J/1-12, etcelui
de V Examen critique des apologistes
de la Religion chrétienne, qui ont
regarde le jugement de Tille-
mont comme irréfragable, au-
328 BAR
roient dû. examiner la question Je
plus près.
Le savant Lardcner , qui avoit
lu tout ce que l'on a écrit pour
ou contre, croit que cette lettre
est véritablement de saint Barnabe,
qu'elle a été écrite immédiatement
après la ruine de Jérusalem et du
temple, l'an 71 ou 72 de Jésus-
Christ. Credibility nf the Gospel his-
iorjr, tom. 3, 1. i, c. i
BARSANIENS ou SEMIDULI-
TES, hérétiques qui parurent au
sixième siècle. Ils soutenoient les
erreurs des gadianites, et faisoient
consister leurs sacrifices à prendre
du bout du doigt de la îleur de
farine et à la porter à la bouche.
Voy. saint Jean Damasc. , de Hœres.;
Baronius , ad ann. 535.
BARTHELEMI (saint), apôtre.
Les anciens écrivains ecclésiasti-
ques ne nous apprennent rien de
certain des actions ni des travaux
de ce saint apôtre. Selon la tra-
dition commune, il a prêché dans
les Indes ; mais il paroît que sous
ce nom l'on entendoit autrefois
l'Arabie Heureuse II n'a rien laissé
par écrit ; le faux évangile que
quelques hérétiques avoient forgé
sous son nom, fut déclaré apo-
cryphe par le pape Gèlase.
Barthelemi ( massacre de la
saint ). C'est un des plus fâcheux
événements de notre histoire, dont
les ennemis de la religion sont
très-attentifs à renouveler le sou-
venir , et qui fournit une ample
matière à leurs déclamations. C'est
le massacre des calvinistes , fait à
Paris le 24 août 1572 , que l'on a
nommé la journée de la Saini-Bar-
Ihelemi. En supposant que les ca-
tholiques furent poussés à cet acte
de cruauté parle zèle de religion,
il a été aisé de rendre ce motif
odieux, et de faire conclure qu'il
n'est point de passion plus redou-
table.
BAR
Mais il est prouvé par des mo-
numents incontestables, i.° que
la religion ne fut point le motif
de ce massacre , et que les ecclé-
siastiques n'y eurent aucune part.
L'entreprise formée par les calvi-
nistes d'enlever deux rois,plusieurs
villes soustraites à l'obéissance,
des sièges soutenus , des troupes
étrangères introduites dans le
royaume, quatre batailles rangées
livrées au souverain , n'étoienl-
elles pas des raisons assez puissan-
tes pour irriter Charles IX , sans
le motif de la religion, et pour
lui faire envisager les calvinistes
comme des sujets rebelles et dignes
de mort ? Ils ont beau excuser leur
révolte par la prétendue droiture
de leurs intentions, et par la rai-
son du bien public ; ce n\otif ,
toujours aisé à feindre , ne peut
pas plus servira les justifier , qu'à
excuser la cruauté des catholiques.
Aucun ecclésiastique ne fut con-
sulté et n'entra au conseil dans
lequel le massacre des calvinistes
fut résolu ; le duc de Guise même
en fut exclu. 11 est faux, quoi qu'en
dise l'auteur des Essais sur THis-
toire générale, que cette funeste ré-
solution ait étépréparéeetméditée
par les cardinaux deBirague et de
Retz ; ces deux hommes n'avoient
pour lors que très-peu d'influence
dans les affaires ; ils ne furent
élevés au cardinalat que long-temps
après. Si Grégoire XIII rendit so-
lennellementgrâces à Dieu de l'évé-
nement, ce n'étoit pas pour se
rejouir du meurtre des calvinistes,
mais de la conservation du roi ,
qui écrivit dans toutes les cours
que les rebelles avoient mis sa vie
et sa couronne en danger. Que le
fait fiât vrai ou faux, le pape pou-
voit le croire de bonne foi et re-
mercier Dieu de ce que le roi et
la religion catholique étoient sau-
vés. Si les ennemis étoient sur nos
frontières, si on les battoit et que
l'on en tuât un grand nombre ,
BAR
nous remercierions Dieu , vsans
doute , non de Teffusion de leur
sang, mais de la cessation du péril.
Il est prouvé, encore, par l'aveu
même des protestants, que les évo-
ques, les ecclésiastiques, les reli-
gieux , loin de prendre part au
meurtre dans les villes où le peuple
vouloit massacrer les calvinistes,
comme on avoit fait à Paris, firent
leur possible pour l'empêcher, et
en sauvèrent un grand nombre dans
les couvents. Cela se fit même dans
la ville de Nîmes, où les hugue-
nots avoient deux fois massacré
les catholiques de sang -froid.
Plusieurs catholiques furent en-
veloppés dans le massacre des cal-
vinistes. L'auteur des Annales po-
litiques n'a donc pas eu tort de
soutemr, tom. 3, n.° i8 , que le
clergé n'a eu aucune part à cette
boucherie.
2.° La proscription des calvinis-
tes fut dictée par une fausse poli-
tique. L'ambition de l'amiral de
Coligny, sa jalousie conti^e les Gui-
.ses, sa conduite séditieuse, furent
la vraie cause de tous les troubles
du royaume. Uétoitplus souverain
à l'égard des calvinistes, que Char-
les IX ne l'étoit à l'égard des ca-
tholiques ; les huguenots avoient
osé dire au roi : Faites la guerre
aux Espagnols , ou nous serons
contraints de vous la faire ; l'amiral
avoit eu la témérité d'offrir au
roi dix mille hommes pour entrer
dans les Pays-Bas ; il les avoit
donc à SCS ordres. Ce sujet rebelle
n'avoit que trop mérité l'arrêt de
proscription prononcé contre lui ;
mais ce n'est pas par un massacre
qu'il falloit le punir. Les éloges
quelui ontprodigués les calvinistes
sont trop suspects pour servir à
sa justification.
3.° Il est encore prouvé que le
massacre de l'aniiral et de sts
partisans ne fut point un projet
prémédité et préparé de longue
main, mais l'clTet momentané du
BAR 329
ressentiment de Catherine de Mé-
dicis cl de son fils le duc d'Anjou
et de la colère qu'ils inspirèrent a
Charles IX. La proscription regar-
doit seulement Paris et les chefs
du parti huguenot, etnonlesautres
villes du royaume; mais la fureur
du peuple une fois allumée se porta
beaucoup plus loin que le gouver-
nement n'auroit voulu. Dans le.?
autres villes, où le peuple fit de
même malgré les ordres du roi ,
ce ne fut pas le même jour, mais
dans des temps très - diiFcrents,
puisqu'à Toulouse et à Bordeaux
ce fut plus d'un mois après le
massacre fait à Paris. Les calvi-
nistes et leurs partisans ont eu la
mauvaise foi de dire que le roi
dépêcha des courriers dans les
différentes villes du royaume pour
y faire massacrer les huguenots ,
pendant qu'il les envoyoit réelle-
ment pour empêcher que cela
n'arrivât.
4-° Il est certain que le nombre
de ceux qui périrent est beaucoup
moindre qu'on ne l'a supposé. Si
quelques écrivains l'ont porté jus-
qu'à cent mille hommes , d'autres
ont soutenu qu'il n'a pas passé
dix mille hommes, et c'est encore
trop. Le martyrologe des protes-
tants , qui en comptoit mille à
Paris , n'a pu en assigner dans le
détail que quatre cent soixante-
huit , et pour tout le royaume
sept cent quatre-vingt-six, au
lieu de quinze mille qu'il supposoit
en bloc.
Si l'on y veut faire attention ,
ce n'étoit pas au bas peuple cal-
viniste que l'on en vouloit, c'étoit
aux chefs, à ceux auxquels on at-
tribuoit les révoltes , les séditions,
les meurtres , qui s'étoient commis
dans les différentes villes ; il est
donc impossible que le nombre
des morts ait élc aussi grand que
nos déclamatcurs modernes Pont
supposé.
Ce que nous venons de dire est
33o
BAR
tiré d'un ouvrage dont on a in-
dignement calomnié l'auteur , en
prétendant qu'il avoit fait l'apo-
îoeie de la Saint-Barlhelemi, tandis
qu il ne s'est proposé autre chose
que de montrer que les protes-
tants et leurs copistes ont dé-
guisé le vrai motif de cette exécu-
tion sanglante, en ont exagéré
l'atrocité , et en ont chargé des
hommes qui n'y eurent aucune
part. Un auteur qui commence par
dire : « Quand on enléveroit à la
» journée de la Saint-Barlhelemi
o les trois quarts des horribles
» excès qui l'ont accompagnée ,
»> elle seroit encore assez affreuse
)» pour être détestée de ceux en
» qui tout sentiment d'humanité
» n'est pas éteint ; » et qui finit par
les vers du président de Thou :
Excidat illadies, etc. , peut-il être
désigné de bonne foi comme l'a-
pologiste de ce massacre ?
L'auteur d'un écrit intitulé, l'^s-
prit de Jésus-Christ sur la lolé~
rance, pour excuser les calvinistes
d'avoir pris les armes, dit qu'ils
y furent obligés , parce qu'ils sa-
voient qu'on en vouloit à leurs
privilèges ; qu'ils agissoient de
concertavec Catherine deMédicis,
et pour empêcher que les Guises
ne devinssent maîtres du royaume.
Mais, parce qu'il plaisoitaux hu-
guenots de penser qu'on en vouloit
aux privilèges qu'ils avoient obte-
nus par force , étoit-ce une raison
légitime de prendre les armes con-
tre leur souverain ? Catherine de
Médicis étoit-elle en droit de les
y autoriser, et la crainte de voir
les Guises devenir trop puissants
étoit-elle un juste sujet de se ré-
volter ? Voilà d'étranges principes
de droit public.
Il prétend que le meurtre des
calvinistes fut une affaire de re-
ligion et de proscription tout en-
semble. La proscription est cer-
taine, il vient lui-même d'en
indiquer les motifs; majs où sont
BAR
le* preuves de l'influence de la re-
ligion? Il n'en donne aucune. II
n'est pas sûr , dit-il , que Birague
et de Retz ne soient pas entrés au
conseil. S'ils y étoient entrés , les
huguenots ne se seroient pas tus ,
etne leur auroient jamais pardon-
né. Cet écrivain prétend que l'hu-
manité de plusieurs catholiques ,
en cette rencontre , ne prouve rien;
mais l'humanité des évêques , dea
prêtres, des moines, prouve-t-elle
en eux un fanatisme de religion ?
Il justifie très-mal la conduite et
les desseins de l'amiral de Coligny ,
par les éloges que les historiens
ont faits de lui. Ces éloges sont
partis de la plume des protestants,
ou d'écrivains qui les ont copiés
par prévention. Le comble du ri- i
dicule est de soutenir que le sac
de Mérindol et de Cabrières , ar-
rivé vingt-sept ans auparavant ,
avoit été le prélude du massacre
des huguenots.
Il assure que, pendant que Char-
les IX envoyoit des courriers pour
prévenir ce désordre dans les pro-
vinces , il dépêchoit des émissaires
secrets pour y exciter les catholi-
ques : c'est une pure calomnie.
Pour prouver le grand nombre
de ceux qui furent mis à mort, il
n'allègue que des écrits qui ont été
plusieurs fois réfutés. |
Nous ne voyons pas quel avan-
tage les incrédules peuvent tirer de
ce fait odieux pour calomnier la
religion.
BARTHÉLÉMITES , clercs ré-
guliers fondés par Barthelemi Hob-
zauzer à Saltzbourg , le premier
aoiit 1640, et répandus dans plu-
sieurs provinces d'Allemagne, en
Pologne et en Catalogne. Ils vivent
en commun , sont dirigés par un
président général et par des prési-
dents diocésains ; ils s'occupent à
former des ecclésiastiques. Les
présidents sont soumis aux ordi-
naires j et ont sous eux des doyens
RAR
ruraux. Ces degrés de subordina-
tion et d'autres usages qu'ils obser-
vent, répondent avec succès au
but de leur institution. Un cui>é
barthélémîte a ordinairement un
aide; et si le revenu de sa cure ne
suffitpaspour deux ,il y est pourvu
aux dépens des curés plus riches
de la même congrégation. Tous sont
engagés par vœu à se secourir mu-
tuellement de leur superflu , sans
être privés de la liberté d'en dis-
poser par legs, ou pour assister
leurs parents pauvres.
Ce fonds , augmenté de quelques
donations , suffit à l'entretien de
Slusieurs maisons dans quelques
îocéses. Quand il y en a trois , la
première est un séminaire commun
pour les jeunes clercs, où ils étu-
dient les humanités , la philo-
sophie, la théologie et le droit
canonique. On n'exige aucun en-
gagement de ceux qui font leurs
humanités ; les philosophes pro-
mettent de vivre et de persévérer
dans l'institut; les théologiens en
font serment. Ils peuvent cepen-
dant rentrer dans le monde avec
la permission des supérieurs, pour-
vu qu'ils n'aient pas reçu les ordres
sacrés. Les curés et les bénéficiers
de l'institut habitent la seconde
maison ; la troisième est la retraite
des invalides de la congrégation.
Innocent XI approuva leurs consti-
tutions en 1680. La même année
l'empereur Léopold ordonna que
dans ses payshéréditaires ils fussent
promus par préférence aux béné-
fices vacants; et le même pape In-
nocent XI approuva, en 1684, les
articles surajoutés à leur règle pour
le, bien de l'institut.
BARUCH , prophète , fils de
Néri ou Nérias , et secrétaire du
prophète Jérémie. Ses prophéties
sont contenues en six chapitres ;
nous ne les avons plus en hébreu ,
mai* on ne peut pas douter qu'il
n'ait écrit en celte langue ; Içs fré-
BAR 33 1
quenls hébraïsmcs que l'on y trouve
le font assez connoître. On en a
deux versions syriaques; mais le
texte grec paroit plus ancien.
Josèphe l'historien remarque ,
Antiq. ,1. 10 , c. II , que ce pro-
phète étoit d'une naissance illustre,
et très-habile dans la langue de son
pays. Dans le second livre des Ma-
chabées , c. 2 , y. i et suiv. , les
Juifs de Jérusalem écrivent à ceux
d'Egypte que Jérémie recommanda
expressément à ceux qui alloient de
Judée dans un pays étranger, de ne
pas oublier la loi du Seigneur, et
de ne pas tomber dans l'idolâtrie;
c'est en effet l'objet de la lettre de
Jérémie aux Juifs de Babylone ,
qui fait le sixième chapitre de .Ba-
ruch.
Mais comme les Juifs n'ont voulu
reconnoître pour livres sacrés que
ceux qu'ils avoient en hébreu , ils
n'ont point compris dans leur ca-
non la prophétie de Baruch ; par
la même raison elle ne se trouve
point dans les catalogues des li-
vres sacrés donnés par Origène ,
par Méliton , par saint Hilaire, par
saint Grégoire de Kazianze , par
saint Jérôme , par Rufin ; mais il
est à présumer que la plupart l'ont
comprise sous le nom de Jérémie,
comme ont fait les Pères latins.
Le concile de Laodicée , saint Cy-
rille de Jérusalem, saint Athanase
et saint Epiphane, nomment dans
leurs catalogues Jê'reV/ï2e et Baruch.
Saint Augustin et plusieurs autres
Pères citent les prophéties de Ba-
ruch sous le nom de Jérémie , et
dans l'Eglise latine, ce qu'on lisoit
de Baruch dans l'office divin, étoit
lu sous le nom de Jérémie.
C'est donc assez mal à propos
que les protestants se prévalent de
l'opinion des Juifs, du silence des
Pères , et du préjugé dans lequel
plusieurs ontété au sujet de la pro-
phétie de Baruch; elle ne contient
rien que d'édifiant, qui ne con-
vienne très-bien au caractère d'iui
332 BAR
vrai prophète et aux circonstances
dans lesquelles Baruch se trouvoit.
vSaint Iréncc, Tertullien , saint
Cyprien, Eusèbe, saint Ambroise,
saint Ililaire , saint Grégoire de
Nazianze , saint Basile , saint Cy-
rille d'Alexandrie , saint Jean-
Chrysostôme, saint Augustin, saint
Bernard et la foule des commen
tateurs , ont regardé comme une
prophétie de l'incarnation du
Verbe, ces paroles de Baruch, c. 3,
^.36 :« C'est lui quiestnotreDieu,
» qui a donné la science à Jacob
n sonserviteur, elà Israël son bien-
» aimé. Après cela il a été vu sur
»> la terre et a conversé avec les
»> hommes. » Cette pensée leur a
paru la même que celle de saint
Jean : Le Verbe s'est fait chair ,
et il a habite parmi nous. On ne
conçoit pas en quel sens le prophète
a pu dire , que sous l'ancien Tes-
tament Dieu a été vu sur la terre.
Lorsqu'il parloit aux patriarches ,
a Moïse , aux prophètes , il ne se
l'endoit pas visible. Voyez\dL Préface
sur Baruch, Bible d^ Avignon , tom.
X, pag. 421.
BARULES , hérétiques dont
parle Sandérus , qui soutenoient
que le Fils de Dieu avoit pris un
corps fantastique ; que les âmes
avoient été créées avant la naissance
du monde, et avoient péché toutes
à la fois. Ces deux erreurs ont été
communes à la plupart des sectes
qui sont nées au second siècle de
l'Eglise. Les philosophes qui eu-
rent connoissance du christia-
nisme , ne purent se résoudre à
croire ni la chute du genre humain
par le péché d'Adam, ni les humi-
liations auxquelles le Fils de Dieu
s'est réduit pour la réparer. Voyez.
Bardesanistes , Basilide, etc
BASILE ( saint ),évêquede Cé-
sarée en Cappadoce , et docteur
de l'Eglise, qui mourut l'an 379.
DomGarnier et dom Prudent Ma-
BAS
rand, Lénédictins, ont donné une
belle édition de ses œuvres en grec
et en latin, en 3 volumes i/i-/oho ,
en 1721 et 1730.
Lepremicr tome contient VHéxa-
méron , qui est une explication
de l'ouvrage des six jours de la
création , treize Homélies sur les
psaumes , un Commentaire sur
ïsaïe, cinq livres contre Eunomius,
qui sont une réfutation de l'aria-
nisme. Le second renferme vingt-
quatre Homélies sur différents
sujets de morale et sur les fêtes des
martyrs ; divers Traités de morale
nommés ascétiques, les grandes et
les petites règles pour les moines.
On convient que les Constitutions
monastiques qui ont été attribuées
à saint Basile ne sont pas de lui.
On trouve dans le troisième vo-
lume le livre du Saint-Esprit, où
la divinité de cette troisième Per-
sonne delà sainteTrinité est prou-
vée par l'Ecriture sainte et par la
tradition ; trois cent trente-six let-
tres sur divers sujets. Le livre de la
Virginité lui a été faussement attri-
bué; mais il paroît avoir été écrit
dans le même siècle.
Il y a chez les Orientaux une
liturgie qui porte le nom de saint
Basile, qui étoit en usage dans les
Eglises du Pont, de laquelle se ser-
vent encore les jacobites, les Grecs
melchites , lescophtes d'Egypte et
d'Abyssinie. L'abbé Renaudot ,
dans le tome i.*'' de sa Collection
des liturgies orientales , l'a donnée
traduite du cophte, ensuite en grec
et en latin. Mais , comme il le re-
marque très-bien , il ne faut pas
imaginer que saint Basile l'ait com-
posée et faite eu entier ; il n'a fait
que retoucher la liturgie qui étoit
déjà en usage dans son Eglise , y
ajouter quelques prières, en cor-
riger quelques-unes, etc. , sans eu
altérer le fond. La conformité de
cette liturgie avec la multitude des
autres liturgies anciennes démon-
tre que toutes ont été faites sur un
BAS
modèle primitif, suivi depuis les
temps apostoliques , et auquel on
n'a jamais louché. Le père Le Brun
en a aussi donné une notice, E.rplic.
des cérérn. de la messe, tora. 4 >
pap. 372. Voyez ÏATVKGïE.
il n'est pointdecritiques anciens
ou modernes qui n'aient rendu
justice à l'éloquence, à l'érudition,
à la pureté du style de sainiBasile.
Photius, Erasme, Rollin, n'ont pas
hésité de le proposer comme un
parfait modèle de l'art oratoire.
Mais les protestants ont attaqué sa
morale, et les incrédules n'ont pas
respecté ses vertus: leurs reproches
sont aussi mal fondés les uns que
les autres.
Barbeyrac , dans son Traité de la
morale des Pères, ch. 11 , accuse
saint Basile d'avoir enseigné que
celui qui blesse à mort un ennemi,
même en se défendant, est coupable
de meurtre ; qu'il n'est jamais per-
mis de tuer , même à la guerre ;
qu'un chrétien ne peut sans péché
avoir des procès, ou faire un ser-
ment ; il ne permet le mariage de
deux personnes qui vivent dans
la fornication, que pour éviter un
plus grand mal ; il recommande
aux moines un extérieur triste, sale
et négligé , malgré la leçon con-
traire que Jésus-Christ donne dans
l'Evangile.
Si, au lieu d'enseigner une mo-
rale très-sévère, lesPères de l'Eglise
avoient eu des maximes relâchées,
on déclameroit contre eux avec en-
core plus d'amertume. Déjà quel-
ques incrédules de nos jours les ont
accusés d'avoir eu plus à cœur la
doctrine spéculative que la morale,
et d'avoir fait plus de cas de l'ortho-
doxie que des mœurs. Mais quelque
austères que fussent leurs leçons,
elles étoient cependant pratiquées,
du moins par un bon nombre de
chrétiens fervents: cela nous paroît
démontrer que la morale des Pères
n'étoit pas aussi outrée qu'on le
prétînd.
RAS
333
On dit qu'ils ont poussé trop loin
les règles de la patience qu'ils prê-
choientaux fidèles ; et tous les jours
on accuse les chrétiens de n'avoir
pas été assez patients, soit envers
les païens dans le temps des per-
sécutions , soit envers les héréti-
ques , lorsque ceux-ci abusoient
de la protection des empereurs.
Comment contenter des censeurs
aussi bizarres?
Souvenons-nous que saint Basile
écrivoit dans le temps, que les
ariens , soutenus par l'empereur
Valens , exerçoient le brigandage
dans tout l'empire ; on ne pouvoit
leur résister sans paroître se ré-
volter contre l'empereur : lesPères
de ce temps-là u' avoient donc pas
tort de prêcher la patience aux
catholiques, et de prendre à la ri-
gueur pour ce temps-là les paroles
de l'Evangile. Voyez Défense de
SOI-MÊME.
Ils avoient conçu une haute idée
de la ?aintelé du mariage ; il falloit
inspirer le même sentiment aux
chrétiens , parce que les lois des
empereurs y avoient très-mal pour-
vu, et que la licence du paganisme
avoit été poussée au dernier excès
sur ce point ; nous ne voyons pas
en quoi la morale de saint Basile
pouvoit être dangereuse.
U vouloit que les moines por-
tassent à l'extérieur les marques de
la pauvreté et de la mortification de
leur état ; en quoi contredisoit-il
l'Evangile ? Lorsque Jésus-Christ
défendoit d'affecter par hypocrisie
un extérieur triste et un visage
exténué par le jeiine, il ne parloit
pas à des moines. On est aujour-
d'hui scandalisé de ce qu'ils n'ob-
servent pas assez rigoureusement
les leçons de saint Basile.
On sait avec quelle fermeté il
répondit à l'empereur Julien , qui
avoit d'abord voulu le séduire, et
qui ensuite menaça de raser la ville
de Césarée,s'il ne faisoitpas por-
ter au fisc mille livres d'or. Il n'eu
334 BAS
inoulra pas moins à l'fgard de
l'empereur Valens , qui le faisoit
menacer de l'exil et de la mort s'il
ne livroit pas les églises aux ariens.
« Celui qui n'a rien, dit-il, que des
» haillons et quelques livres , ne
M craint pas d'être dépouillé. Je
M regarde comme ma patrie , non
»» le sol sur lequel je suis né, mais
n le ciel. Un corps exténué tel que
» le mien ne peut souffrir long-
»• temps ; la mort , en terminant
>> mes peines, me réunira plus tôt
» à mon Créateur. »
Plusieurs incrédules modernes
luî ont fait un crime de cette ré-
sistance aux ordres de l'empereur;
s'il y avoit obéi , ces mêmes cen-
seurs l'accuseroient de lâcheté. Ils
lui ont reproché de n'avoir donné
qu'un petit évêché à saint Grégoire
de Nazianze son ami. Ils ignorent
sans doute que saint Grégoire avoit
renoncé volontairement au siège
de Constantinople , qu'il n'ambi-
tionuoit comme saint Basile que
la retraite, le, repos, la liberté de
servir Dieu , loin du tumulte du
monde. Il est heureux pour nous
de n'avoir à justifier les Pères que
de l'héroïsme de leurs vertus ; elles
ont été trop pures pour plaire à
des esprits pervers et à des cœurs
corrompus.
Basile ( Ordre de saint ). C'est
le plus ancien des ordres religieux.
Selon l'opinion commune, il a tiré
son nom du saint évêque de Cé-
sarée, dont nous venons de parler,
qui donna des règles aux cénobites
d'Orient, quoiqu'il ne fût pas l'in-
stituteur de la vie monastique. En
effet, l'histoire de l'Eglise atteste
qu'il y avoit eu des anachorètes et
des cénobites, surtout en Egypte ,
long-temps avant saint Basile. Il
est très-pf obable que ce saint doc-
teur ne fit que mettre par écrit
ce qui avoit été observé dans les
communautés de moines de la Thé-
baïde qu'il étoit allé visiter.
Cet ordre a constamment fleuri
BAS
en Orient, et s'y est maintenu de-
puis le quatrième siècle. Presque
tous les religieux qui y sont au-
jourd'hui sous le nom de calojrer,
suivent la règle de saint Basile ,
même ceux qui ont pris le nom de
saint Antoine. Treize siècles de du-
rée nous paroisscnt prouver que
cette règle n'est pas d'une rigueur
aussi outrée que certains critiques
ont voulu le persuader.
On prétend que saint Basile, s'é-
tant retiré vers l'an SSy dans une
solitude de la province de Pont, y
resta jusqu'en 862 avec des soli-
taires , auxquels il prescrivit la
manière de vivre qu'ils dévoient
observer en faisant profession de
la vie religieuse. Rufin traduisit
ces règles en latin , ce qui les fit
connoitre en Occident ; mais elles
n'ont commencé à y être suivies
que dans l'onzième siècle. Ce fut
vers l'an loSy que les moines de
saint Basile vinrent s'y établir.
Grégoire XIII les réforma en iSyg,
et mit les religieux d'Italie , d'Es-
pagne et de Sicile sous une même
congrégation. Dans ce même temjis
le cardinal Bessarion, Grec de na-
tion et religieux de cet ordre, ré-
duisit en abrégé les règles de saint
Basile , et les distribua en 28 arti-
cles. Le monastère de Saint-Sau-
veur de Messine en Sicile est chel
de l'ordre en Occident, et il passe
pour constant que l'on y fait l'office
en grec. Vo/. Le Mire , de On'g.
ordin. relig.
On sera moins surpris de l'aus-
térité des règles de saint Basile ,
si on fait attention qu'en général
la vie des Orientaux est beaucoup
plus sobre que la nôtre , et que le
climat exige beaucoup moins de
nourriture. On y nfiange trè^-peu
de viande; les légumes, les herbes
potagères , les fruits , y sont plus
succulents et plus nourrissants que
les nôtres ; une exacte sobriété est
absolument nécessaire pour y con-
server la santé : le peuple y vit en
BAS
plein air, presque sans aucune cou-
verture , sans aucun besoin «les
précautions que l'on observe dans
les pays septentrionaux. La ma-
nière tle vivre des moines de la
Thébaïde étoit, à proprement par-
ler, la vie des pauvres en Egypte et
des personnes peu accoutumées
aux supcrlluités.
BASILIDE, BASILIDIENS. Au
commencement du second siècle,
Basîïide d'Alexandrie , entêté de la
philosophie de Pythagore et de
Platon, voulut en allier les prin-
cipes avec les dogmes du christia-
nisme , et forma la secte des basi-
lidîens.
La grande question qui occupoit
alors les philosophes , étoit desa-
voir d'où vient le mal dans le
monde. Platon, pour la résoudre,
avoit imaginé que l'Etre suprême,
infiniment bon par nature, n'avoit
pas créé le monde immédiatement
par lui-même , mais qu'il avoit
laissé ce soin à des intelligences
inférieures auxquelles il avoit
donné l'être ; que le mal qui s'y
trouve étoit venu de l'impuissance
et de la maladresse de ces esprits
secondaires. Cette supposition ne
faisoit que reculer la difficulté.
Pourquoi l'Etre infiniment bon ,
maître de créer le monde par lui-
même, en a-t-il donné la commis-
sion à des ouvriers dont il devoit
prévoir l'impuissance et la mal-
adressei*
Cependant les premiers hérésiar-
ques, Simon, Ménandre, Saturnin,
Jbasilide , et leurs sectateurs, qui
prirent le nom de gnostiqucs , in-
telligents ou philosophes , embras-
sèrent celte hypothèse ; ils eurent
la. témérité de faire la généalogie
et l'histoirede cesprétendusesprits
subalternes , de leur donner des
noms , etc.
Us supposèrent encore que les
âmes humaines avoient existé et
avoicnt péché avant d'èlrc unies à
BAS 335
des corps, que pour les punir Dieu
lesavoit soumises ici-bas à l'empire
des esprits inférieurs, que chacun
de ces esprits présidoit au gouver-
nement d'une nation. C'étoit aussi
l'idée de Celse , de Julien, et de la
plupart des philosophes éclecti-
ques ; c'est là -dessus qu'ils fon-
doient la nécessité de rendre un
culte à ces esprits, par le moyen
desquels ils prétendoient opérer
des prodiges.
Selon Basilide , l'esprit ou l'ange
qui avoit gouverné la nation juive,
étoit l'un des plus puissants; c'est
pour cela qu'il avoit fait tan t de mi-
racles en leur faveur ; mais comme
il avoit voulu par ambition sou-
mettre les autres esprits à son em-
pire , ceux-ci avoient -inspiré aux
peuples qu'ils gouvernoient de la
haine contre les Juifs. Ainsi les
guerres , les malheurs , les revers
des nations , étoient l'eJBFet de ia
jalousie et des passions des esprits
qui gouvernoient le monde.
Enfin , Dieu , touché de compas-
sion, avoit envoyé son Fils ou 17;i-
telligence, sous le nom de Jésus-
Christ , pour délivrer de cette
tyrannie les hommes qui croiroient
en lui. Pour fonder leur foi , Jésus,
selon Basilide, avoit réellement fait
les miracles que les chrétiens lui
attribuoient ; mais il n'avoit qu'un
corps fantastiqueetles apparences
d'un homme : pendant sa passion
il avoit pris la figure de Simon le
Cyrénéen , et lui avoit donné ia
sienne ; ainsi les Juifs avoient cru-
cifié Simon au lieu du Christ qui
se moquoit d'eux , et qui étoit re-
monté au ciel sans avoir été connu
de personne.
Basilide en concluoit que les
martyrs qui souffroient pour leur
religion ne niouroieut pas pour
Jésus-Christ , mais pour Simon ,
qui seul avoit été crucifié. Il con-
cluoit encore que ce n'étoit pa.9 un
crime de se livrer aux désirs dérè-
glés de la chair , puisqu'ils étoient
336 ^ BAS
inspirés à l'àme de l'homme par les
esprits au pouvoir desquels Dieu
l'avoit soumise , et que ces désirs
étoienl involontaires. Saint Clém.
d'Alex., sirom. 1. 3, p. 5io, etc.
Cet hérésiarque, entêté du py-
thagorisme et des prétendues pro-
priétés que Pythagore attribuoit
aux nombres , imagina que l'uni-
té , symbole du soleil , le nombre
septénaire , relatif aux sept planè-
tes , le nombre 365 , qui exprimoit
celui des jours de l'année ou des ré-
volutions du soleil, dévoient avoir
des propriétés merveilleuses , dé-
terminer l'esprit gouverneur du
monde à opérer des prodiges. Là-
dessus il fonda sa confiance à la
théurgie, à la magie, aux talismans,
11 soutint que le nom Abracsas ou
Abraxas , dont les lettres forment
en grec le nombre 365 , impri-
mé sur une médaille avec la figure
du soleil et avec quelques autres
signes , étoit un talisman très-
puissant , que ce devoit même
être le nom de Dieu. Conséquem-
mcnt les basilidiens remplirent le
monde iVabraxas de toute espèce ;
le père de Monfaucon en a fait gra-
ver plusieurs.
Quelques chrétiens peu instruits
se laissèrent séduire par ces visions,
et firent aussi des abraxas à l'hon-
neur de Jésus-Christ ; les Pères de
l'Eglise s'élevèrent contre cette su-
perstition.
Basilide enseignoit aussi la mé-
tempsycose comme Pythagore , et
nioit la résurrection de la chair. Il
avoit composé un faux évangile ,
ou plutôt un long commentaire sur
les évangiles ; puisqu'Eusèbe nous
apprend qu'il avoit écrit vingt-
quatre livres sur les évangiles , et
qu'il avoit forgé des prophéties sous
le nom de barcabas et de barcoph;
il supposoit dans l'homme deux
âmes différentes.
Sur cet exposé , que nous abré-
geons autant qu'il est possible , il y
a des rcllexions importantes à faire.
BAS
i.°Les anciennes hérésies ont été
l'ouvrage des philosophes, et l'effet
de leur opiniâtreté à vouloir con-
cilier les dogmes du christianisme
avec leurs vains systèmes ; c'est au
contraire la philosophie qu'il au-
roit fallu éclairer et corriger par
les lumières de la révélation. 2." La
source de la plupart des erreurs
anciennes a été la célèbre question
de l'origine du mal ; elle est encore
aujourd'hui le fondement des di-
vers systèmes d'incrédulité : il est
impossible d'y donner une solution
satisfaisante , à moins que l'on n'a^
dopte les principes de la théologie
chrétienne. 3.° Les plus anciens
hérésiarques n'ont pas osé contes-
ter la vérité de l'histoire évangé-
lique, des actions et des miracles
de Jésus - Christ , puisqu'ils ont
tâché de les accorder avec leur
système ; ils touchoient cependant
d'assez près à la date de ces faits ,
pour avoir pu en constater certai-
nement la vérité ou la fausseté.
4.° Quelques incrédules modernes
ont accusé saint Clément d'Alexan-
drie et les autres Pères anciens ,
d'avoir faussement attribué aux
gnostiques une morale et une con-
duite détestables ; mais cette mo-
rale découloit évidemment de leurs
principes, et il est impossible que
ces raisonneurs ne s'en soient pas
aperçus. Elle a été renouvelée par
les sectes fanatiques du quator-
zième siècle , et l'on a vu renaître
parmi elles les mêmes désordres.
Beausobre, qui s'est fait un point'
capital de justifier tous les héréti-
ques, et de contredire les Pères de
l'Eglise , a disserté fort au long sur
les basilidiens . Hisi. du Manich. ,
tom. 2 , I. 4- 11 prétend qu'en gé-
néral on ne doit pas trop se fier
aux Pères touchant les anciennes
hérésies , que la plupart n'en ont
parlé que sur des ouï-dire ; qu'ils
ne s'accordent point dans leurs ré-
cits ; qu'ils ont exagéré les erreurs
des sectaires, etc. pour donner un
RAS
air lie justice à ce reproche , il
aaroit fallu commencer par prou-
ver que tous les sectateurs de Basi-
Ude- ont enseiijné constamment la
même tloctrine que lui , et qu'aii-
<iin dVux n'est allé plus loin. Or,
dans quel le secte hérétique cela est-
il arrivée II se peut très-hîen faire
que les basilidiens , qui ont été
connus de saint Irénée dans l'A-
sie Mineure, et de TertuUicn en
Afrique , n'aient pas suivi absolu-
ment les mêmes opinions que ceux
dont saint Clément d'Alexandrie
a lu les ouvrages en Egypte ; il
peut donc y avoir de la variété et
même de l'opposition entre les ré-
cits de ces Pères , sans qu'il y ait
lieu de les accuser d'ignorance, de
préoccupation ou d'infidélité. Voilà
ce qu'un historien judicieux n'au-
roit pas manqué de remarquer.
Mosheim est coupable de la même
injustice. Hist. chrisiian., sœc. 2 ^
§ 46 P'' suiv.
C'est encore une fort mauvaise
méthode , pour justifier un héré-
tique , de prétendre qu'il n'a pas
pu enseigner telle erreur, puisqu'il
a soutenu telle autre opinion qui
ne s'y accorde point; il est assez
prouvé que la doctrine des anciens
hérétiques, aussi -bien que celle
des modernes, est un tissu de con-
tradictions , et qu'ordinairement
tous raisonnent fort mal.
Il n'est donc pas fort certain
que, selon la croyance commune
des basilidiens , l'ange ou l'esprit
qui avoit créé le monde , étoit un
être bon , qui avoit eu dessein de
plaire au Dieu suprême, et de faire
du bien ; puisque , de l'aveu même
de Beausobre, d'autres hérétiques
soutenoient que le Créateur ou
plutôt le formateur du monde ,
étoit un être méchant. Dés que
l'on suppose la matière éternelle,
il n'est plus question de création
j)roprement dite. Nous avons le
malheur de ne pas voir, comme
îieaiisobre , un grand ejforl d inia-
BAS 337
ginaiion dans le système de Basi-
lidc , pour rendre raison des maux
de ce monde , sans intéresser les
perfections du Dieu suprême; les
ignorants , qui attribuent au dé-
mon tout le mal qui leur arrive,
ne font pas un grand effort d'ima-
gination. Pour peu qu'on réilé-
chisse , on comprend que Dieu ,
quoiqu'infiniment puissant etbon,
n'a pu rien faire qui ne fût borné,
par conséquent imparfait et sujet
à des défauts ; et que la supposition
de deux principes ne résout point
du tout la difficulté.
Nous n'accuserons pas non plus
les Pères d'avoir imaginé une fable,
en disant que , suivant l'idée des
basilidiens , Jésus , avant d'être
crucifié, avoit changé sa figure en
celle de Simon le Cyrénéen , et
avoit substitué cet homme à sa
place; plusieurs d'entre eux ont
été assez ridicules d'ailleurs pour
imaginer cette absurdité, quoique
peut-être Basilide ne l'ait jamais
dite , et qu'il ait pensé tout autre-
ment.
Il n'est pas mieux prouvé que
jamais les basilidiens n'ont dé-
primé le martyre ; Beausobre ne
les en disculpe que par des con-
jectures et par voie de consé-
quence, espèce d'apologie qui ne
peut prévaloir à des témoignages
formels. Il ne réussit pas mieux
à les absoudre du crime de magie,
puisque ces hérétiques avoient con-
fiance au pouvoir des prétendus
génies ou esprits répandus dans la
nature ; il n'est pas fort aisé de
prouver qu'ils n'ont jamais eu re-
cours à ceux qu'ils supposoient
mauvais et malfaisants , mais seu-
lement à ceux qu'ils croyoient in-
capables de faire du mal. L'une de
ces mauvaises pratiques conduit
infailliblement à l'autre.
Par la même raison , nous n'a-
vouerons pas que les Pères ont ca-
lomnié les basilidiens, quand ils
les ont accusés d'une morale dé-
338 B\S
testable touchant l'impureté , et
d'une conduite qui y étoit con-
forme; si dans toutes les sectes il
y a eu quelques hommes qui ont
conservé de la honte naturelle et
de la vertu , il y en a eu aussi d'au-
tixs qui ont poussé les consé-
quences de leurs erreurs jusqu'où
elles pouvoient aller, et qui n'ont
pas rougi de les mettre en pratique.
Il est donc tout simple que l'on ait
pris pour l'esprit général de la secte
une conduite qui étoit commune
parmi ses membres. Mosheim ,
moins entêté queBeausobre, avoue
qu'une bonne partie des gnostiques
tirdient de leurs principes une
morale pratique trcs-licencieuse.
Hist. christ. , proleg. , c. i , § 36.
Nous serons obligés de répéter
plus d'une fois ces mêmes rétlexions
à l'égard des hérésies anciennes ou
modernes; parce que plusieurs des
protestants qui en ont parlé l'ont
fait avec les mêmes préventions
que Beausobre. Ce qu'il y a de sin-
gulier , c'est que ces critiques veu-
lent nous faire envisager leur
entêtement comme une preuve
d'impartialité.
BASILIQUE. Ce nom grec si-
gnifie maison royale; on l'a donné
aux églises des chrétiens , parce
qu'on les a regardées comme les
palais du Roi des rois , dans les-
BAS •
INIinutius Félix, Origène, Arnobc,
Lactance, ont dit que les chrétiens
n'avoient pas de temples ; et lors-
que les païens leur en faisoient nn
crime, les mêmes écrivains ont
répondu que le sanctuaire le plus
digne de Dieu , étoit l'âme d'un
homme de bien. Il ne faut pas en
conclure que pour lors les chré-
tiens n'avoient point d'édifices
consacrés au culte du Seigneur ;
nous prouverons le contraire an
mot Eglise ; mais on évitoit de leur
donner le même nom qu'aux édi-
fices destinés à l'idolâtrie ; on pré-
féra de les nomnier basiliques.
Dans l'Occident, au quatrième
et au cinquième siècle , l'on en-
tendoit par Véglise la cathédrale ,
et l'on nommoit basilique les églises
dédiées aux martyrs et aux saints.
Hist. de VAcad.des inscript., 1. 13,
I/I-12, pag. 3ii.
Il paroît que la forme et le plan
des églises chrétiennes avoient été
tracés sur ce qui est dit dans VA-
pocalypse , c. 4,6, 7. Saint Jean
y fait une description de la gloire
éternelle exactement semblable à
celle qu'a faite saint Justin des
assemblées des chrétiens, Apol., i ,
n.° 65 et suiv. , et de la manière
dont ils célébroient l'office divin.
Saint Jean parle d'un trône sur
lequel est assis le président de l'as-
semblée ou L'évêque , de sièges
quels ses adorateurs vont lui ren- rangés des deux celés pour vingt-
dre leurs hommages : c'est ainsi
qu'elles sont nommées par les écri-
vains du quatrième et du cin-
quième siècle.
Selon Bellarmin , les chrétiens
mettoient une différence entre les
basiliques et les temples. Les pre-
mières étoient les édifices destinés
aux assemblées chrétiennes et à la
célébration des saints mystères ;
par les temples , on entendoit les
temples des païens destinés à offrir
des sacrifices sanglants , et à im-
moler des animaux. Conséquem-
ment quelques anciens , comme
quatre vieillards ou prêtres; c'est
le chœur. Au milieu et devant le
trône , il y a un autel sur lequel
est un agneau en état de victime ;
sous l'autel sont les reliques des
martvrs. Devant l'autel un ange
offre à Dieu , sous le symbole de
l'encens, les prières des saints ou
des fidèles. Il parle d'une source
d'eaux qui donnent la vie; c'est le
baptistère ou les fonts baptismaux.
Par cette forme que les premiers
chrétiens ont donnée à leurs égli-
ses , il est aisé de juger si ce sont
les catholiques qui ont abandonné
CEA
la croyance cic l'Eglise primilivc,
ou si ce sont les prolcslanls. Ces
derniers n'ont dans leurs temples
ni chaire pontificale, ni autel, ni
reruiucs , ni encens , ni fonts bap-
tismaux ; ils semblent les avoir
construits sur le modèle des sy-
nagogues des Juifs. Mais tout ce
qu'ils ont supprime parle et ré-
clame contre l'innovation qu'ils
ont faite; ce sontdes témoins dont
ils u'étoufFeront jamais la voix.
BAYANISME. V. Baïanisme.
BÉATIFICATION. Acte par
lequel le souverain pontife déclare,
au sujet d'une personne dont la
vie a été sainte , accompagnée de
quelques miracles, etc., qu'il y a
eulieude penser que son âme jouit
du bonheur éternel , et en consé-
quence permet aux fidèles de lui
rendre un culte religieux,
La béatification diffère de la ca-
nonisation, en ce que dans la pre-
mière le pape n'agit pas comme
juge, en déterminant l'état du béa-
tifié, mais seulement en ce qu'il
accorde à certaines personnes ,
comme à un ordre religieux, à une
communauté, etc., le privilège de
rendre au béatifié un culte parti-
culier, qu'on ne peut regarder
comme superstitieux, dès qu'il est
muni du sceau de l'autorité pon-
tificale, au lieu que dans la cano-
nisation, le pape parle comme juge,
et détermine ex cathedra l'état du
nouveau saint.
La cérémonie de la béatification
a été introduite lorsqu'on a pensé
qu'il étoit à propos de permettre
à un ordre ou à une commiunauté
de rendre un culte particulier au
sujet proposé pour être canonisé,
avant que d'avoir une pleine con-
noissance de la vérité des faits ,
et à cause de la longueur des pro-
cédures qu'on observe dans la ca-
nonisation. Voyez Canonisation.
BÉATITUDE, clal.de félicité
BED 339
des saints dans le ciel. ^o/c« Bon-
heur ÉTERNEt. Il n'est pas fort
nécessairedcsavoirce que les théo-
logiens de l'école nomment béa-
titude objective et béatitude formelle.
BÉATITUDES ÉVANGÉLIQUES. On
nomme ainsi les huit maximes que
Jésus-Christ a placées à la tête du
discours qui renferme l'abrégé de
sa morale. La montagnesur laquelle
on croit qu'il le fit, a conservé le
nom de Montagne des béatitudes,
parce que ces maximes commencent
par le mot beati. « Heureux, dit-
» il , les pauvres d'esprit ; parce
» que le royaume des cieux est à
» eux. » L'on comprend que Jésus-
Christ, par la pauvreté d'esprit,
entend le détachement des riches-
ses. «Heureux les caractères doux,
» parce qu'ils posséderont tous les
» cœurs ; heureux ceux qui pleu-
» rent , parce qu'ils seront con-
» soles ; heureux ceux qui ont faim
» et soif de la justice, parce qu'ils
» seront rassasiés ; heureux les
» hommes miséricordieux, parce
» qu'ils obtiendront miséricorde ;
» heureux les cœurs purs , parce
» qu'ils veri-ont Dieu ; heureux
» les pacifiques, parce qu'ils seront
» appelés enfants de Dieu ; heureux
» ceux qui souffrent persécution
» pour la justice , parce que le
» royaume des cieux leur appar-
» tient. » Mat. , c. 5, f. 3 et suiv.
Ces maximes, vérifiées par l'ex-
périence des saints de tous les
siècles, n'ont pas besoin d'apolo-
gie ; mais si l'on veut en avoir un
commentaire très - éloquent , ou
n'a qu'à lire l'exorde du sermon
de Massillon sur le bonheur des
saints. F". CoNSEits évangéuques.
BEDE, moine et prêtre anglois ,
mort en ySS, se fil admirer dans
son siècle par sa science et sa piété.
11 écrivit l'histoire ecclésiastique
d'Angleterre , des commentaires
sur l'Ecriture sainte , des sermons
cl d'autres ouvrages. Us se sentent
34o BEE
de la dégradation où étoient tom-
bées les lettres au huitième siècle;
mais ce vénérable auteur est un
témoin non suspect de la doctrine
crue et professée pour lors dans
l'Eglise; des écrivains, même pro-
testants , lui ont rendu justice.
Voyez Vie desPères et des Martyrs, etc.
tom. 4, p- 621, 632 et suiv.
BÉELPHÉGOR, dieu des Moa-
bites et des Madianites. En rap-
prochant du texte sacré les conjec-
tures des anciens et des modernes,
il paroît que cette divinité étoit
à peu près la même que le Priape
des Latins , le dieu de la luxure ,
et qu'il étoit d'une figure très-
obscène. Il est dit dans le livre des
Nombres, c. 25, que les filles des
Moabites invitèrent les Israélites
à leurs sacrifices, qu'ils y allèrent,
qu'ils adorèrent les dieux de ces
filles, se firent initier au culte de
Béelfjhégor, «t se livrèrent à la dé-
bauche avec elles. Dieu, irrité de
ce crime, ordonna à Moïse défaire
pendre les principaux du peuple.
Moïse commanda aux juges de
mettre à mort tous ceux qui étoient
coupables d'idolâtrie. Phinées ,
petit-fils d'Aaron, tua publique-
ment un Israélite avec une pros-
tituée Madianite ; il périt vingt-
quatre mille hommes à cette oc-
casion. Dieu ordonna encore à
Moïse de traiter les Madianites en
ennemis déclarés, et de les exter-
miner. Cet ordre fut exécuté quel-
que temps après. Num., chap. 3i.
Cet exemple de sévérité n'a pas
trouvé grâce aux yeux des in-
crédules ; ils ont accusé Moïse
de cruauté , d'ingratitude envers
les Madianites , chez lesquels il
avoit trouvé un asile et avoit
pris une épouse ; de bai'barie en
mettant leur pays à feu et à sang.
Le législateur des Hébreux sera
aisément justifié, si l'on veut faire
quelques réflexions. i.° Dans la
république juive, et en vertu de
BEE
la loi que Dieu avoit portée, l'ido-
lâtrie étoit un crime de lèse-ma-
jesté divine : vu le penchant inviji-
cible des Israélites à imiter leurs
voisins, et les désordres dont l'ido-
lâtrie étoit toujours accompa-
gnée, il n'y avoit point d'autre
moyen de la prévenir et de l'ex-
tirper que de mettre à mort tous
les coupables.
2.° Les tribus des Madianites
voisines des Moabites n'étoient
point les mêmes que celles qui
étoient près de l'Egypte , et où
Moïse s'ctoit retiré : on voit , par
l'exemple de Jéthro son beau-pere,
que celles-ci adoroient le vrai
Dieu ; les premières s'étoient cor-
rompues avec les Moabites, et ho-
noroient Jiéelphégor.
3.° La conduite de ces peuples
étoit une perfidie ; ils avoient suivi
le conseil détestable que Balaam
leur avoit donné de séduire les
Israélites, et de les porter au crime,
afin d'exciter contre eux la colère
de Dieu. Num., c. 3i , '^ . 16. Ils
étoient aussi coupables que s'ils
avoient envoyé la peste dans le
camp des Hébreux.
4.° Que les Israélites, les Moabi-
tes, les Madianites et tous les cou-
pables aient été punis par un sup-
plice, par le fléau de la guerre ,
par une contagion, etc., cela est
fort égal pour la justice divine ;
on ne peut pas l'accuser plutôt de
cruauté dans un de ces cas que dans
l'autre. Voyez Justice dé Dieu.
BÉELZÉBUB, dieu des mouches;
il étoit adoré par les Accaronites.
Comme dans l'Orient les insectes
sont souvent un fléau terrible , il
n'est pas surprenant que les peu-
ples de ces climats aient souvent
chargé les dieux du soin de les
chasser. Ainsi les Grecs ont adoré
Hercule Mutocypo; et Kôpvjwjrîov, Her-
cule qui chasse les mouches et
les sauterelles , Apollon 2fAiv9;vç ,
qui tue les rats , etc. Voyez Pline ,
LEG
lîv. lo , c. 28, et liv. 29, c. 6.
Ochozias,roi d'Israël, claiit malade,
envoya consulter Béelzébiib , et en
fut puni par la mort, IF, lîcg., ci.
Il est dit dans l'Evangile que les
Juifs accusèrent Jésus-Christ de
chasser les démons par le pouvoir
de Béclzébub, prince des démons.
MaUh., c. 12, y. 24. Le Sauveur
leur fit aisément sentir qu'il ne
pouvoit avoir de collusion avec
l'ennemi du salut ; qu'au contraire
il étoit venu pour le vaincre et lui
enlever ses dépouilles. La plupart
des exemplaires grecs du nouveau
Testament portent BteAÇeSol), le
dieu des ordures ; ce peut être une
faute des copistes grecs.
BEGGARDS ou BEGHARDS ,
secte de faux spirituels ou de faux
dévots , qui parut en Italie , en
France et en Allemagne, sur la fin
du treizième et au commencement
du quatorzième siècle.
Avant cette époque, les albigeois
et les vaudois s'étoient fait remar-
quer par un extérieur simple, mor-
tifié, dévot; plusieurs renonçoient
à leurs biens, vaquoient à la prière
et à la lecture de l'Ecriture sainte,
faisoient profession de pratiquer les
conseils évangéliques. Celte régu-
larité vraie ou feinte , comparée à
la vie licencieuse de la plupart des
catholiques,etd'unepartiedu cler-
gé , avoit contribué beaucoup aux
progrès de l'hérésie et au discré-
dit de la foi catholique. Plusieurs
personnes, touchées de cemalheur,
sentirent la nécessité de réformer
les mœurs et de tenir une conduite
plus conforme aux maximes de
l'Evangile. C'est ce qui fit naître
la multitude d'ordres religieux
et de congrégations que l'oii vit
éclore dans le temps dont nous
parlons. Les esprits une fois tour-
nés de ce côté-là , seroient allés
plus loin, si le concile de Latran ,
tenu l'an i2i5 , n'avoit défendu
d'établir de nouveaux ordres reli-
nEG 341
gieux, de peur que leur trop grande
diversité ne mît de la confusion
dans l'Eglise.
Plusieurs séculiers, sans pren-
dre l'habit religieux , formèrent
aussi des associations de piété, et
s'unirent entre eux pour vaquer à
des pratiques de dévotion; mais par
le défaut d'instruction et de lumiè-
re, plusieurs donnèrent bientôt
dans l'illusion, et d'un excès de piété
tombèrent dans un excès de liber-
tinage. Tels furent ceux que l'on
nomma beggards , frérots ou fra-
tricelles , dulcinistes , apostoli-
ques , etc. Ces différentes sectes
n'avoien t entre elles aucune liaison;
elles ne se ressembloient que par
la manière dont chacune s'étoil
égarée de son côté.
Il faut distinguer des beggards
de plusieurs espèces. Les premiers
furent des franciscains austères
que l'on appeloit les spirituels, qui
se piquoient d'observer la règle
de saint François dans toute la
rigueur, de ne rien posséder en
propre ni en commun , de vivre
d'aumônes , d'être couverts de
haillons, etc. Comme ils se sépa-
rèrent de leur ordre, et refusèrent
d'obéir à leurs supérieurs, Boni-
face VIII condamna ce schisme vers
l'an i3oo. Alors ces révoltés se
mirent à déclamer contre le pape
et contre les évêques ; ils annon-
cèrent la réformation prochaine
de l'Eglise par les vrais disciples
de saint François ; ils adoptèrent
les rêveries de l'abbé Joachim, etc.
Ils attirèrent dans leur parti u«
bon nombre de frères lais du tiers-
ordre de saint François, que l'o/i
nommoït fra/ricelles ou petits frè-
res, en Italie bizochi ou besaciers ,
en France béguins, dans les Pays-
Ras et en Allemagne beggards; de
là tous ces noms furent donnes à
la secte en général : comme tous
les prédicants , ils en imposèrent
par lcurextérieurmorlifié,etfircnt
des prosélytes.
342 BEG
Au commencement du quator-
zième siècle, il s'en trouvoit un
grand nombre en Allemagne le
long du Rhin, surtout à Cologne ;
et comme leur fanatisme étoit allé
touj ours en croissant, leurs erreurs
se réduisoient à huit chefs princi-
paux. i.° Ils prétendoient que
l'homme peut acquérir en cette
vie un tel degré de perfection ,
qu'il devienne impeccable et ne
puisse plus croître en grâce.
a." Ceux qui sont parvenus à
ce degré, n'ont plus besoin de prier
ni de jeûner; leurs sens sont tel-
lement assujétis à la raison, qu'ils
peuvent accorder librement à leur
corps tout ce qu'il demande.
3.° Parvenus à l'état de liberté,
ils ne sont plus tenus d'obéir , ni
d'observer les préceptes de l'Eglise.
4.° L'homme peut parvenir ici-
bas à la parfaite béatitude, et pos-
séder le même degré de perfection
qu'il aura dans l'autre vie.
5.° Toute créature intelligente
est naturellement bienheureuse ,
et n'a pas besoin de la lumière de
gloire pour voir et posséder Dieu.
6.° La pratique des vertus est
pour les âmes imparfaites ; celles
qui ont atteint la perfection, sont
dispensées de les pratiquer.
7.° Le simple baiser d'une femme
est un péché mortel ; mais le com-
merce charnel avec elle n'en est
pas un, lorsque l'on est tenté.
8.° Pendant l'élévation du corps
de Jésus-Christ , les parfaits ne
sont pas obligés de se lever, ni de
lui rendre aucun respect ; ce seroit
un acte d'imperfection pour eux
de se distraire de la contempla-
tion, pour penser à l'eucharistie
ou à la passion de Jésus-Christ.
Voyet Dupin et le Père Alexandre
sur le quatorzième siècle.
Ces erreurs furent condamnées
dans le concile général de Vienne
sous Clément V, en i3ii; mais
cette condamnation n'étouffa pas
entièrement l'erreur ni les désor-
BEG
dres qui en étoient la suite. Ils
subsistoient encore dans le quin-
zième siècle. Leurs partisans se
nommoient alors les frères et les
sœurs du libre esprit ; onlesappeloit
en Allemagneôeg'g'ards etschivesirio-
nes, traduction du latin sororius ; en
Bohême pigards ou picards ; en
France picards et turlupins. Pour
lors ils avoient secoué toute honte;
ils disoient que l'on n'est parvenu
à l'état de liberté et de perfection
que quand on peut voir sans émo-
tion le corps nu d'une personne
de sexe différent ; par conséquent
ils se dépouilloient de leurs habiU
dans leurs assemblées , ce qui leur
fit donner le nom à^adamites. Ziska,
général deshussites, en a exterminé
un grand nombre l'an 1421. Quel-
ques-uns ont donné par erreur
le nom deyrères/?/carJs aux hussites;
mais ces deux sectes n'a voient rien
de commun.
Au dix-septième siècle, les sec-
tateurs de Molinos ont renouvelé
une partie des erreurs àcs beggai'ds.
C'en est assez pour nous convain-
cre que les anciens Pères de l'Eglise
n'en ont point imposé, lorsqu'ils
ont attribué les mêmes égarements
et les mêmes turpitudes aux gnosti-
ques. Les hommes se ressemblent
dans les différents siècles, et les mê-
mes passions produisent les mêmes
effets. H/5/. de VEgl. galUc. , 1. 36 ,
an i3ii.
BEGGHARDS , BÉGUINS ET
BEGUINES , sont aussi les noms
qu'on a donnés aux religieux dû
tiers-ordre de saint François. On
les appelle encore à présent , dans
les Pays-Bas, begghards; parce que
long-temps avant qu'ils eussent
reçu la règle du tiers-ordre de
saint François , et qu'ils fussent
érigés en communauté régulière ,
ils en formulent déjà dans plusieurs
villes, vivoient du travail de leurs
mains , et avoient pris pour pa-
tronne sainte Begghe , fille de
15KG
Pcpin-lc-Vicux , et nii'rc de Popiii
«le Ilcrslal, px'iiicesse ([ui londa le
monaslèrc d'Aiidouuc, s'y relira et
y mourut, selon Sigcberl, en 692.
A Toulouse, on les nomma béguins,
])arce qu'un nommé lîarlhelemi
Béchin leur avoit donné sa maison
{)Our les établir dans celle ville. De
cette conformité de nom , le peuple
ayantpris occasion de leur imputer
les erreurs des begghards et des
icg-ums condamnées au concile de
Vienne , les papes Clément V et
Benoît Xll déclarèrent , par des
bulles expresses , que ces religieux
du tiers-ordre n'étoient nullement
l'objet des anatliémes lancés contre
I es begghards e t les béguins répand us
en Allemagne. Mosheim dérive les
nomsbeggard, béguin, bégaite,bigoi^
du vieux mot allemand beggen ,
demander avec importunité , ou
prier avec ferveur.
BÉGUINE, BÉGUINAGE. C'est
le nom qu'on donne dans les Pays-
Bas à des filles ou veuves qui, sans
faire de vœux , se rassemblent pour
mener une vie dévote et réglée.
Pour être agrégé au nombre des
béguines , il ne faut qu'apporter
suffisamment de quoi vivre. Le lieu
où vivent les béguines s'appelle
béguinage ; celles qui l'habitent
peuvent y tenir leur m.énage en
pafticulier, ou elles peuvent s'asso-
cier plusieurs ensemble. Elles por-
tent un habillement noir , assez
.semblable à celui des religieuses.
Elles suivent de certaines régies
générales, et font leurs prières en
commun aux heures marquées ; le
reste du temps est employé à tra-
vailler à des ouvi-ages d'aiguille, à
faire de la dentelle , de la brode-
rie, etc., et à soigner les malades,
II leur est libre de se retirer du
béguinage. Elles ont aussi une su-
/■iérieure, qui a droit de comman-
der, et à qui ei 1 es son t tenues d'obéir
tant qu'elles demeureront dans l'é-
tat de béguines.
liEL 343
Il y a dans plusieurs villes des
Pays-Bas des béguinages si vastes
et si grands , qu'on les prendroil
pour de petites villes. AGand , en
Flandre, il y en a deux, le grand et
le petit, dont le premier peulcon-
tenir jusqu'à huit cents béguines.
11 ne faut pas confondre ces bé-
guines avec certaines femmes nui
étoient tombées dans les excès des
béguins cl des bcggards , qui furent
condamnées comme hérétiques
par le pape Jean XII, et dont il ne
reste aucun vestige. Vo/ez Beg-
GAR.DS.
BÉHÉMOTH. Ce mot signifie
en général béte de somme , et toute
espèce de grands animaux. Selon
les rabbins, il désigne dans le livre
de. Job un bœuf d'une grandeur
extraordinaire , que Dieu a créé
pour en faire un grand festin aux
Juifs à la fin dumonde ou à la venue
du Messie.
Les juifs sensés savent bien à
quoi s'en tenir sur ce conte ; ils di-
sent que c'est une allégorie qui
désigne la joie des justes , figurée
par ce festin. Cette théologie sym-
bolique tient quelque chose du style
des anciens prophètes : nous en
voyons même des exemples dans
le nouveau Testament. Mais les
rabbins proposent criiment leurs
allégories ; ils y ajoutent des cir-
constances qui les rendent le plus
souvent ridicules , et le commun
des Juifs les croit sans examen.
Samuel Bochard a montré dans la
seconde partie de son Hieroz., l.V,
c. i5 , que le béhémoth de Job est
l'hippopotame ou cheval marin.
BÉLIAL. L'Ecriture nomme
enfant de Bélial les méchants , les
impies , les hommes sans religion
et sans mœurs. Quelle que soit l'é-
tymologie de ce mot en hébreu, il
est synonyme au nequam des La-
tins, et au terme injurieux de i'a«-
ne«. Quelques-uns prétendent ç[ue
344
BF.N
Bélialétoil le nom d'une jdol*» Aes
Sidoniens ; mais il uen est point
question dans les livres saints ; ef.
il n'est pas sûr que quand saint
Paul dit: « Quelle société y a-t-il
j> entre Jésus-Christ et Bélial ? »
II. Cor., c. 6, f. i5, il entend
par-là le démon : cela peut signi-
fier , quelle société y a-t-il entre
Jésus-Christ et les impies ou l'im-
piété ?
Voyez les Concordances hébraï-
ques.
BÉNÉDICTINS , BÉNÉDIC-
TINES , ordre célèbre , fondé par
saint Benoît,
Mosheim , qui n'a rien négligé
pour décrier les ordres monasti-
ques , est forcé d'avouer que le
dessein de saint Benoît fut que ses
religieux vécussent pieusement et
paisiblement, et partageassent leur
temps entre la prière, l'élude, l'é-
ducation de la jeunesse, et les autres
occupations pieuses et savantes.
Hist. ecclés. du sixième siècle ,
2.^ part., c. 2, § 6. Tel est en effet
l'esprit et le plan de sa règle. Mais
de quel front ce critique a-t-il pu
avancer que déjà, dans ce temps-là,
l'Irlande , la Gaule , rAllemagne
et la Suisse , étoient couvertes de
couvents remplis de moines oisifs
et paresseux, fanatiques et perdus
de débauches t II est prouve par
tous les monuments du sixième
siècle , que les moines d'Irlande
observoient la même règle que ceux
de l'Orient , partageoient leur
temps entre la prière, l'étude , les
missions, le travail des mains , ou
la culture de la terre ; que les mo-
nastères étoient autant d'écoles
où l'on accouroit pour s'instruire;
qu'un grand nombre des abbés qui
les ont gouvernés , et des évêques
qui en sont sortis, ont été placés
par les peuples au nomibre des
saints. C'est de là que saint Colom-
ban apporta dans les Gaules, dans
rAllemagne et dans la Suisse la
BEN
vie monastique. Il est prouvé par
lesouvragesdecesaint moine, qu'il
avoit l'esprit très-cultivé , et qu'il
établit dans les couvents qu'il fonda
la même discipline qui régnoi t dans
ceux d'Irlande. Ce sont ses disci-
ples qui ont défriché les solitudes
dans lesquelles saint Colomban les
établit , pendant que des conqué-
rants farouches ravageoient les
Gaules, et portoient la désolation
partout. En quel sens ces pieux
solitaires peuvent-ils être appelés
des hommes oisifs , paresseux, fa-
natiques ou perdus de débauches?
Saint Benoît et saint Colomban
étoient donc animes du même es-
prit , ont travaillé sur le même
plan , et ont produit les mêmes
effets ; ils n'auroient pas eu des
succès si prodigieux, s'ils avoient
été tels que Mosheim veut peindre
les moines : de quoi auroient vécu
les troupes de solitaires qu'ils ont
rassemblés , si ceux-ci n'avoienl
pas été très-laborieux ?0n ne leur
donnoit alors ni des terres culti-
vées , ni des colons pour les faire
valoir, puisqu'ils se plaçoient tous
dans les déserts. Mais les censeurs
de la vie monastique demandent.
Pourquoi renoncer aux affaires de
la société, aux devoirs et aux obli-
gations de la vie civile, pour aller
passer sa vie dans la solitudePPour-
quoi ? Pour se soustraire au
brigandage des tyrans et des guer-
riers qui ravageoient tout, qui ce-
pendant respectoient encore les
moines dont la vie les étonnoit, et
dont les vertus leur en imposoient.
Pour vivre dans la société civile ,
si cependant il y avoit encore une
société, il falloit ou faire violence
ou la souffrir ; des âmes paisibles
et vertueuses ne pouvoient se ré-
soudre ni à l'un ni à l'autre, elles
fuyaient au loin.
Mosheim prélend que dans la
suite des temps les disciples de saint
Benoît dégénérèrent honteusemen t
de la piété de leur fondateur; que.
devenus riches par la libéralité des
personnes opulentes , ils se livrè-
rent au luxe , à rinlempcrance cl
à roisivetc ; ils se mêlèrent des
affaires séculières , se glissèrent
dans les cours , multiplièrent les
superstitions , travaillèrent avec
ardeur à augmenter Tarrogance
et l'autorité du pontife romain.
Mais il avoue que saint Benoît ne
pouvoit pas prévoir que l'on pef-
vertiroit à ce point le but de son
institution, et qu'il n'autorisa ja-
mais cet abus.
Voilà donc déjà le saint fonda-
teur à couvert de tous reproches; ses
disciples sont-ils aussi coupables
qu'on le prétend !* On leur lait d'a-
bord le procès par une contradic-
tion; on les blâme d'avoir quitté
le monde, et ensuite d'y être ren-
trés ; ou les accuse de fanatisme ,
pouravoirembrassé une vie pauvre
et laborieuse ; de luxe, d'intempé-
rance, et de toutes sortes de vices,
pour avoir rendu leurs services
aux princes qui les appeloient au-
près d'eux. Que dévoient faire les
moines ?
Ils dégénérèrent dans la suite des
temps, nous le savons ; mais en quel
temps , et pourquoi .'' Lorsque les
seigneurs, après avoir pillé tous les
biens profanes , voulurent encore
envahir les biens sacrés , dépouil-
lèrent les monastères, vendirent les
abbayes, y placèrent leurs enfants
et leurs créatures, dispersèrent les
moines, leur ôtèrent la liberté de
servir Dieu, d'observer leur règle
et de vivre selon l'esprit de leur état.
Nous voudrions savoir si les vertus
sublimes de leurs accusateurs se se-
roient long-temps soutenues dans
une pareille confusion. Avant de
décider si les moines multiplièrent
les superstitions, il faudroit savoir
si toutes les pratiques qu'il plaît
aux protestants d'appeler super-
stitieuses, le sont en effet. Nous ne
doutons pas que , réduits à la mi-
sère, à l'ignorance, à l'impossibilité
BEN 345
de s'instruire comme autrefois ,
les moines n'aient quelquefois em-
ployé quelques fraudes pieuses
pour en imposer aux brutaux dont
ils redoutoient la rapacité et la
violence ; ils ont mal fait , sans
doute; mais leur crime est du moins
diminué par les tristes circon-
stances dans lesquelles ils se trou-
voienl. Ils travaillèrent à aug-
menter l'autorité des souverains
pontifes dans un temps où cette
autorité étoil devenue absolument
nécessaire pour réprimer les at-
tentats de la multitude des tyrans
qui désoloient l'Eglise aussi-bien
que la société civile. Si c'est un
crime aux yeux des protestants, ce
n'en est pas un selon l'avis des
hommes sensés.
Nous traiterons plus amplement
cette matière à l'article Moine.
BÉNÉDICTION. Bemr, c'est
souhaiter ou prédire quelque chose
d'heureuxà une personnes laquelle
on veut du bien ; ainsi nous voyons,
dans l'histoire sainte, des patriar-
ches au lit de la mort bénir leurs
enfants, leur souhaiter et leur pré-
dire les bienfaits de Dieu.
Sous la loi de Moïse , il y avolt
des bénédictions solennelles que les
prêtres donnoient au peuple dans
certaines cérémonies. Moïse dit au
grand prêtre Aaron : « Quand vous
» bénirez les enfants d'Israël, vous
» direz: Quele Seigneur fasse briller
» sur vous la lumière de son visage,
» qu'' il ait pitié de vous, qu'' il tourne
» sa face vers vous , et qu'il vous
» donne sa paix, u Num. , c. 6 ,
^ . 24. Le pontife prononçoit ces
paroles debout , à voix haute, les
mains étendues et les yeux élevés
vers le ciel. Les prophètes et les
hommes inspirés donnoient aussi
des bénédictions aux serviteurs de
Dieu et au peui)lc du Seigneur.
Les psaumes sont remplis de béné-
dictions ou souhaits heureux en
faveur des Israélites.
346 BEIN
Dieu ordonna que quand ce peu-
ple seroit arrivé dans la Terre pro-
mise , on le rassemblât entre les
montagnes d'Hébal et de Garizim ;
que sur celle-ci on prononçât des
bénédictions pour ceux qui obser-
veroient la loi , et sur l'autre des
malédictions contre les prévarica-
teurs : c'est ce qui fut exécuté par
Josué, c. 8, ^'. 33.
Dans le christianisme, les béné-
dictions se donnent par le signe de
la croix , pour faire souvenir les fi-
dèles que les bienfaits deDieuleur
sont accordés par les mérites de la
mort de Jésus-Christ, comme l'en-
seigne saint Paul, J?/?//., c. i,y.3.
BÉNÉDICTION , dans l'Ecriture
sainte , signifie souvent bienfaits ,
les présents que se font les amis ;
parce qu'ils sont ordinairement
accompagnés de souhaits heureux
de la part de ceux qui les donnent
et de ceux qui les reçoivent. Gen. ,
c. 23 , ^. 2 ; Josue, c. i5 , y. 19 ;
J. Reg. , c. 25 , yJ'. 27 , etc. Dans
ce sens les bienfaits de Dieu sont
Sl^^çXqs bénédictions, lorsqu'on dit :
Que le Seigneur vous bénisse, c'est-
à-dire, qu'il vous fasse du bien.
BÉNÉDICTION signifie encore
abondance. « Celui, dit saint Paul,
» qui sème avec épargne, moisson-
» nera peu ; et celui qui sème en bé-
» nédiction ou en abondance, mois-
» sonnera en bénédiction.... Que la
» bénédiction ou l'aumône que vous
»> avez promise soit toute prête, et
» qu'elle soit, comme elle est véri-
» tablement , une bénédiction , et
» non un don de l'avarice. "JJ.Cpr.,
c. 9 , j^. 5 et 6. Jacob souhaite à
son fils Joseph les bénédictions du
ciel, c'est-à-dire, la pluie et la rosée
eu abondance , les bénédictions des
entrailles et de5 mamelles, ou la fé-
condité des femmes et des animaux.
Gen. , c. 49 , S' i5. Le psalmisle
dit au Seigneur : Vous remplissez
toute créature vivante de bénédic-
iion,ou. de l'abondance de vos biens.
Ps. 144, f. 16.
BEN
Bénir est quelquefois employé
par antiphrase pour maudire. Les
faux témoins apostés contre Na-
both , l'accusèrent d'avoir béni
Dieu et le Moi , d'avoir mal parlé
de l'un et de l'autre. JH. Reg. ,
c. 21 , S- i3.
BÉNÉDICTION DE l'Eglise. Quand
on se rappelle la multitude des
superstitions du paganisme , et la
nécessité d'en déshabituer les nou-
veaux fidèles ; quand on sent com-
bien il est important de rappeler
aux hommes que tous les biens de
ce monde sont des dons de Dieu ,
qu'il faut en faire un usage modéré,
que Dieu ne nous les accorde pas
pour nous seuls, etc.; on conçoit
pourquoi l'Eglise a institué des for-
mules de bénédictions de toute es-
pèce, pourquoi elle bénit les mai-
sons et les campagnes, les fontaines
et les rivières , les animaux et les
aliments, etc.
Le commun des païens croj'oit
que toutes les parties de la nature
étoient animées par des esprits ou
génies qu'ils adoroicnt; les philo-
sophes, défenseurs de l'idolâtrie ,
soutenoient que les aliments et les
autres choses usuelles cloient un
présent de ces génies ou démons ;
les marcionites et les manichéens
prétendoient que tous les corps
avoient été formés par un mauvais
principe ennemi de Dieu. Pour
combattre toutes ces erreurs et en
désabuser les fidèles , rien n'étoit
plus convenable quel es ie/2e£?/c/io«s
de l'Eglise. « Toute créature de Dieu
» est bonne , dit saint Paul ; elle
» est sanctifiée par la parole de Dieu
» et par la prière. » I. Tim. , c. 4 ,
y . 4 et 5. Or, les bénédictions sont
des prières ; c'est donc ici un usage
apostolique.
Dans les grandes villes , où l'on
se débarrasse tant que l'on peut de
l'extérieur de la religion, où l'on
traite de déi>otions populaires les
pratiques les plus louables , on a
perdu l'usage dont nous parlons}.
«EN
mais le peuple des campagnes, qui
se sent plus immédialeraenlsous la
main de Dieu , qui voit souvent sa
fortune et ses espérances détruites
par un lléau; qui conçoit que rien
ne peut prospérer si Dieu n'y raict
la main, recourt plus souvent aux
prières de l'Eglise, y ajoute des
bonnes œuvres , des aumônes ,
quelque service rendu aux pau-
vres , etc. La religion conserve
ainsi et nourrit en lui les senti-
ments d'humanité.
L'usage qui a toujours été obser-
vé dans l'Eglise catholique de bénir
et de consacrer tout ce qui sert au
culte divin, les habits sacerdo-
taux , les linges et les vases de l'au-
tel, les édifices mêmes dans lesquels
on célèbre les saints mystères , est
un témoignage de sa foi : par là elle
fait voir la haute idée qu'elle a de
ces mystères mêmes par lesquels le
Fils de Dieu daigne se rendre réel-
lementpréscnt parmi nous. Comme
les protestants se sont départis de
cette croyance ancienne et univer-
selle , il leur a fallu supprimer tout
cet appareil extérieur qui déposoit
contre eux.
Mais ils ne sont pas venus à bout
de prouver que les bénédictions
étoient d'une institution moderne ;
la plupart se trouvent dans le Sa-
cramentaire de saint Grégoire ;
celui-ci étoit,dans le fond, le
même que celui du pape Gélase ,
qui vivoit au cinquième siècle, et
ce pape n'en étoit pas le premier
auteur. Aussi sont-elles encore usi-
tées chez les différentes sectes de
chrétiens orientaux , séparés de
l'Eglise romaine depuis plus de
douze cents ans. Les protestants
qui , malgré l'autorité de saint
Paul , traitent toutes ces cérémo-
nies de superstitions , auroient
dii commencer par faire voir en
quoi elles sont opposées à la
vraie piété , à la confiance en Dieu ,
à la reconnoissance , à l'obéis-
sante , etc.
BEN 347
BÉNÉFICE. Nous laissons aux
canonistcs le soin de rechercVicr
l'origine , la nalure , les différentes
espèces de bénéfices , la manière
dont ils peuvent être remplisou va-
cants, etc. ; il suffit à un théologien
d'observer que tout revenu ecclé-
siastique est essentiellement atta-
ché à un office ou à un service
quelconque rendu à l'Eglise, selon
la maxime : Bcneficiuni propter nf-
ficiuni. Que ce service consiste en
prières, en travaux apostoliques ,
en fonctions d'ordre ou de juridic-
tion , cela est égal ; l'obligation de
les acquitter est la même , on ne
peut autrement avoir droit de per-
cevoir le revenu qui y est attaché.
Ce revenu n'est point une aumône
qui n'oblige à rien, mais un salaire;
ce n'est point un bienfait pur, ni
une substance gratuite : c'est une
solde , un honoraire payé à titre
de justice.
De là s'ensuit, i.° l'obligation
d'acquitter ces fonctions par soi-
merac , quand on le peut , et non
par d'autres ; par conséquent de
résider. 2 .° De distribuer aux pau-
vres le superflu du revenu , c'est-à-
dire , tout ce qui excède le né-
cessaire convenable ; parce que
l'intention delEgliseestde nourrir
sç-s serviteurs, et non de les enri-
chir. 3.° De se contenter d'un seul
bénéfice, lorsqu'il suffit pour four-
nir au possesseur une subsistance
honnête.
Cette morale rapprochée de
l'usage actuel paroîtra peut - être
sévère ; mais les abus invétérés, les
subtiles distinctions des casuistes,
les prétextes delà cupidité, l'exem-
ple ni l'autorité , ne prescriront
jamai.s contre l'évidence des devoirs
d'un bénéficier. Us sont fondés sur
la loi naturelle, sur la loi divine,
sur les lois ecclésiastiques les plus
anciennes, en particulier sur les
décrets du concile de Trente. Si
l'Eglise réunissoit le pouvoir coac-
lif à l'autorité législative, elle for-
348
BEN
ceroit certainement les bénéGciers
à exécuter ce qu'elle leur ordonne.
Si les bénéfices simples ont été.
trop multipliés , ce n'est pas à l'E-
glise qu'il faut s'en prendre. L'am-
bition des séculiers , la vanité du
droit de patronage , l'orgueil des
grands qui veulent avoir des ecclé-
siastiques àleurs ordres, la mollesse
qui trouve le culte public trop pé-
nible , et préfère sa commodité à
la communion des saints , des dé-
votions ou des restitutions mal en-
tendues , etc. : voilà les sources
ordinaires des abus. L'Eglise a beau
faire des lois , les passions trouve-
ront toujours plus de moyens de
les éluder , que l'autorité la plus
active n'en trouvera pour les faire
exécuter.
C'est aujourd'hui une question
de savoir si , de droit naturel et de
droit divin , les ministres de l'E-
glise sont habiles ou inhabiles à
posséder des biens; autrefois le sim-
ple doute sur ce point auroit paru
absurde.
En effet , selon les principes de
' l'équité naturelle, tout homme dé-
voué au service du public a droit
d'en recevoir la subsistance , quelle
que soit la nature des fonctions
qu'il est chargé de remplir ; tel a
été et tel est encore le sentiment de
tous les peuples du monde : mais
parmi nos jurisconsultes moder-
nes , quelques-uns ont trouvé bon
de douter s'il est de la justice d'ali-
menter des hommes préposés pour
présider au culte divin, pour don-
ner des leçons demorale et de vertu,
pour instruire les ignorants, pour
corriger les pécheurs , pour assis-
ter les pauvres et les malades. Ce-
pendant l'on n'a pas mis en question
si les ecclésiastiques sont obligés en
conscience d'exercer leurs fonc-
tions ; l'on a supposé, avec raison,
qu'ils y sont tenus par justice ; et
lorsqu'ils y manquent, on sait bien
le leur reprocher. Puisque toute
obligation de justice est récipro-
BEN
que , il est difficile de concevoir
comment le public peut être exempt
de celle de pourvoir à la subsistance
de ceux qui le servent.
Il n'est donc pas vrai que la
subsistance accordée aux ministres
de l'Eglise soit une pure aumône,
une franche aumône, comme il plaît
à certains canonistes de la nommer.
L'aumône n'engage à rien le pau-
vre qui la reçoit; c'est un don de
charité , un secours purement gra-
tuit, quoique commandé par la loi
de Dieu naturelle et positive ; la
solde, au contraire, la rétribution,
l'honoraire , que perçoit un minis-
tre de l'Eglise, lui imposent le de-
voir rigoureux d'exercer ses fonc-
tions pour l'avantage spirituel des
fidèles : c'est de part et d'autrey'ws-
tice, et non charité.
Jésus-Christ qui est venu sur la
terre, non pour détruire ou pour
changer le droit naturel, mais pour
lefaire mieux connoître, n'y apoint
dérogé sur ce point: il s'est borné
à prévenir les abus. Après avoir
donnéàses disciples le pouvoir d'o-
pérer des miracles pour prouver
leur mission , il leur dit : « Vous
» avez reçu gratuitement ces dons ,
» accordez-les gratuitement. N'ayez
» ni or , ni argent , ni monnoie ,
j> ni provisions pour vos voyages,
» ni habit double , ni chaussure ,
» ni arme pour vous défendre; Tou-
» vrîer est digne de sa nourriture. »
Maith. , c. lo , /. 8. Il ne leur dé-
fend donc pas de recevoir leur
subsistance , mais de vendre leurs
fonctions et d'en faire commerce
pour s'enrichir. Il les assure que
cette subsistance ne leur manquera
jamais." Lorsque je vous ai envoyés
» sans argent , sans provisions et
» sans habits, avez -vous manqué
» de rien i* Non , répondirent les
I) disciples. » Luc. , c. 22 , Jf . 35.
« N'avons-nous pas droit, disoit
» saint Paul , de recevoir notre
» nourriture ?... Qui porta jamais
» les armes à ses dépens ?.., Celui
BEIN
-!> qui cnllivc la terre cl celui qui
» foule le grain , le font dans l'cs-
» pérancc d'en recueillir le fruit :
» si nous avons semé parmi vous
» les dons spirituels , est- ce une
» grande récompense d'en recevoir
» quelques dons temporels P...Ceux
» qui sont occupés dans le lieu saint
» vivent de ce qui est offert , et
» ceux qui servent à l'autel parti-
» cîpent au sacrifice : ainsi , le Sei-
» gneur a réglé que ceux qui an-
» noncent l'Evangile vivroient de
» l'Evangile ; mais je n'ai jamais
» usé de ce droit. » J. Cor. , c. g ,
y^. 4- En effet, cet apôtre travail-
loit de ses mains, afin de n'être à
charge à personne, ^c<.,c.20.^'.34;
mais il n'en fît jamais une loi aux
autres prédicateurs de l'Evangile.
Lorsque les vaudois et les -sviclé-
fites soutinrent qu'il n'étoit pas
permis aux ministres de l'Eglise de
rien posséder , ils furent condam-
nés par les conciles généraux de
Latran et de Constance ; mais les
ennemis du clergé ont toujours fait
profession de mépriser les censures
de l'Eglise.
Que la manière de pourvoir à la
subsistance des ecclésiastiques ait
varié , qu'on leur ait accordé ou
les oblations , ou la dîme , ou des
fonds , cela est indifférent, et cela
ne change rien à la nature de leur
droit. Sur ce point, comme sur
tous les autres , la discipline s'ac-
commode aux circonstances , aux
révolutions, aux besoins ou aux in-
convénients qui peuvent survenir;
la loi naturelle et la loi divine po-
sitive demeurent les mêmes.
Il y a des preuves certaines qu'a-
vant le quatrième siècle , et avant
la conversion des empereurs , les
Eglises chrétiennes possédoient dé-
jà des fonds , puisqu'ils furent
confisqués par Dioclétien et par
Maximien , l'an 3o2 ; ils furent res-
titués en vertu de l'édit de Con-
stantin et de Licinius, en 3i3.
Eusébe , Vr'e de Const. , 1. a , c. Sg. |
«EN 349
Laclancc, de Mort, pcrfcc. , r. 48.
Julien s'en empara de nouveau
après sa mort , ils lurent rendus.
A ces preuves, qui nous parois-
sent claires, on oppose, 1." que
Josus-Christ a ordonné à ses apô-
tres d'exercer leur ministère gra-
tuitement ; mais nous venons de
voir qu'en même temps il leur at-
tribue le droit à une subsistance.
Vendre des fonctions et des dons
surnaturels, les mettre à prix , vou-
loir en faire payer la valeur , c'est
une profanation , c'est le crime que
saint Pierre reprocha à Simon le
magicien , qui vouloit acheter des
apôtres , à prix d'argent , le pou-
voir de donner le Saint-Esprit.
Mais une solde , un honoraire, une
subsistance accordée à un homme
occupé de quelques fonctions, n'est
ni un prix , ni un paiement de ces
fonctions ; le prix est relatif à la
valeur de la chose; l'honoraire est
attaché à la place et à la personne ;
il est é^al pour tous ceux qui exer-
cent telle fonction , quoique leur
mérite personnel, leurs talents,
leurs services soient fort inégaux.
Quand on dira qu'un médecin vend
la santé , qu'un avocat et un ma-
gistrat font commerce de la justice,
qu'un militaire met sa vie à prix ,
qu'un officier public trafique de
ses services , etc. ; ces expressions
de mépris , que la malignité in-
vente , et auxquelles la sottise ap-
plaudit, ne changeront pas la na-
ture des choses, et n'aviliront pas
des fonctions respectables d'ail-
leurs.
2.° Une seconde objection est
que Jésus-Christ a défendu à ses
apôtres de rien posséder ; mais il les
avertit en même temps que tout
ouvrier est digne de recevoir sa
subsistance ; il a donc imposé aux
fidèles l'obligation delà fournir aux
ouvriers évangéliques. La manière
de satisfaire à ce devoir a dii être
relative aux circonstances. Les apô-
tres, envoyés pour prêcher l'Evan-
35o BSN
gile à toutes les nations, ne pour
voientpas être sédentaires dans une
seule église ; mais ils ont établi dans
chacune des pasteurs en titre, aux-
fjuels les fidèles ont du assigner nnc
subsistance fixe et assurée : c'est ce
qui a fait établir les bénéfices.
3.° L'on a soutenu que la rétri-
bution diie aux ministres de l'Eglise
e5t tout au plus une aumône, et que
la possession des biens-fonds en
changeroit la nature. Nous avons
fait voir que c'est un honoraire, tel
que celui qu'on accorde aux magis-
trats , aux médecins, aux militaires
et à tous les officiers publics : or,
celui-ci n'est pas une aumône,
4.° L'on a posé pour maxime
que l'Eglise est un corps étranger
à l'état , qu'il est donc inhabile à
posséder aucun bien. Gomme par
VB-glise on entend sans doute les
ecclésiastiques, nous ne comprenons
pas comment un corps de citoyens
occupés à servir le public , soumis
aux lois civiles , qui porte sa part
des charges communes par les ser-
vices qu'il rend , peut être étranger
à l'état. Il n'est pas plus étranger
que le corps des militaires ; et lors-
que nos rois accordèrent à ceux-ci
des fiefs pour leur tenir lieu de sol-
de , nous ne voyons pas qu'ils aient
dérogé au droit naturel. Quand le
clergé seroit un corps d'étrangers,
commentprouvera-t-on qu'ils sont
inhabiles à posséder des fonds , dès
qu'ils rendent un service habituel,
et dès que le souverain et la nation
leur ont assigné ces fonds pour sa-
tisfaire à l'obligation naturelle de
les sustenter i* Les régiments étran-
gers ont-ils moins de droit à une
solde que les nationaux P
5.0 Pour prouver que l'Eglise
est incapable de posséder, l'on a
fait remarquer qu'elle ne peut pas
aliéner ses fonds, que la propriété
lui est mutile ; que c'est donc le
souveiain et la nation qui sont les
vrais propriétaires des biens de
l'Eglise. Sans disputer sur la na-
BEN
ture des différentes propriétés, il
nous suffit de prouver que les
ecclésiastiques ont, de droit natu-
rel, l'usufruit perpétuel des biens
de l'Eglise , parce que leur service
est perpétuel. Le droit d'aliéner
ces biens seroit directement con-
traire au but pour lequel ils ont
été donnés , qui est de subvenir à
un besoin perpétuel, et de remplir
une obligation de justice qui ne
cesse point. Cette espèce de pro-
priété n'est point inutile , puis-
qu'elle met les ministres de l'Eglise
à couvert du danger de manquer
de subsistance, et qu'elle les engage
à rendre meilleurs des fonds dont
ils savent que la possession ne
leur sera point ôtée. Il nous paroît
absurde d'attribuer au souverain
et à la nation une prétendue pro-
priété dont ils ne peuvent légiti-
mement faire usage que pour in-
vestir un successeur du même
droit que son prédécesseur.
6.° Quelques - uns ont avancé
que, du moins en î^rance, les ec-
clésiastiques sont inhabiles à pos-
séder des fonds , parce que ce sont
nos rois qui ont doté les églises.
Il est dit, dans le premier concile
d'Orléans tenu l'an 607, can. i et 5,
que Clovis a donné des terres aux
églises, qu'il a concédé aux clercs
l'immunité réelle et personnelle.
Conséquemment le concile règle
l'usage que l'on doit faire des
revenus
Mais si Clovis a donné des terres
aux églises, ce sont donc les égli-
ses qui les possèdent ; autrement
le don seroit illusoire. De même,
lorsque nos rois ont accordé des
fiefs aux militaires, ceux-ci, et non
d'autres, les ont possédés. Avant
Clovis , il y avoit en France des
églises fondées depuis plus de trois
cents ans, et des ministres pour
les desservir ; il y avoit donc des
revenus, quels qu'ils fussent, pour
les faire subsister. I/a plupart des
églises avoient été dépouillées et
TÎEN
niiiiôes par les Barbares ; Clovis
sentit la justice de leur rendre ce
([u'oii leur avoit été, on réquiva-
lent. La distribution des revenus,
ordonnée par le concile , prouve
encore que les cveques se regar-
doient comme possesseurs très-
légitimes.
Si les ennemis du clergé étoiont
mieux instruits, ils ne raisonne-
roient pas si mal ; ils sauroicnt
qu'au commencement du sixième
siècle le nombre des hommes étoit
diminué au moins de moitié de ce
qu'il avoit été, dans les Gaules et
dans tout l'empire romain , sous
le règne d'Auguste ; le reste avoit
péri par les dévastations des Bar-
bares, par les guerres civiles entre
les divers prétendants à l'empire,
par le mauvais gouvernement des
empex'eurs , par des contagions ,
suites ordinaires de la guerre : par
conséquent il y avoit pour lors au
moins la moitié des terres en friche.
En ne consultant même que l'inté-
rêt politique , Clovis ne pouvoit
rien faire de mieux que d'en ac-
corder une partie aux ecclésiasti-
ques, afin qu'ils les remissent en
valeur ; indépendamment des mo-
tifs de religion , l'immunité qu'il
y ajouta étoit fondée sur la même
raison que la déclaration du roi
Louis XVI , de l'année 1776, qui
accorde vingt ans de franchise aux
terres nouvellement mises en cul-
ture.
Du moins, dit -on, il vaiidroit
mieux que les ministres de l'Eglise
fussent alimentés par des pensions.
Mais, dès les premiers siècles, on
a senti les inconvénients de ce mieux
prétendu ; c'est ce qui a déterminé
les souverains et les nations à leur
assigner des fonds. A la décadence
de la maison de Charlemagne, le
clergcfutà peu près anéanti, parce
que les seigneurs s'emparèrent des
biens de l'Eglise; le peuple, privé
de secours spirituels, fut obligé de
recourir aux moines, ou de laire
BEN SKr
subsister les ecclésiastiques à ses
frais-
Pendant la peste noire de l'an
1348, la plupart des mourants qui
avoient vu périr leur famille en-
tière et leurs héritiers , laissèrent
leurs biens aux églises, aux monas-
tères, auxhôpitaux ;àqui devoient-
ils les donner ?
S'il nous est permis de copier
les réllexions que l'on a opposées
plus d'une fois aux réformateurs
de la discipline actuelle, nous leur
dirons , i.° qu'il est utile au bien
de l'état qu'il y ait de riches pro-
priétaires , parce qu'ils sont en
état de faire de fortes avances pour
améliorer les fonds. n.° Qu'il est
bon que les fonds changent sou-
vent de main ; parce que dans le
nombre des possesseurs , il s^en
trouve tôt ou tard quelqu'un qui
répare la négligence de ses prédéces-
seurs. 3.° Que la quantité des biens
donnés au clergé est une attesta-
tion des services qu'il a rendus
aux peuples, surtout dans des temps
malheureux. Ceux qui ont luVhîs-
Inire ecclésiastique , savent que les
églises ont été enrichies par les
souverains, par les évêques, qui,
en se dévouant au service d'une
église , lui donnoient leur patri-
moine; par de riches particuliers
qui raouroient sans héritiers néces-
saires ; par des seigneurs à qui la
conscience reprochoit des concus-
sions, el qui ne pouvoienl les ré-
parer autrement , etc. Aucun de
ces moyens d'acquérir n'est illégi-
time. 4-" Toutes les fois que les
biens ecclésiastiquesont été pillés,
l'état ni les peuples n'ont jamais
profité en rien de cette dépouille;
elle a toujours été la proie des
grands. On commence toujours
cette opération par dresser des
projets et des plans sublimes ;
lorsque les parts sont faites, cha-
cun garde celle dont il s'est cm-
[paré , et les vues d'intérêt public
ts'en vont en fumée. On l'a vu au
352 BER
neuvième siècle en France, au seî-
ziènte dans les pays du Nord et en
Angleterre,denosjonrsenPologne,
en Allemagne et ailleurs. Kn/cz
Fondation.
BÉRENGARIENS, sectateurs de
Bérenger : celui-ci étoit archidia-
cre d'Angers, il fut ensuite tréso-
rier et ccolàtre de Saint-Martin
de Tours, ville où il étoit né. Il
osa nier la présence réelle de Jésus-
Christ dans l'eucharistie ; ce fut
vers l'an io47 fju'il commença de
dogmatiser. Condamné successive-
ment par plusieurs papes et par cinq
ou six conciles, Bérenger rétracta
ses erreurs , signa trois fois des
professions de foi catholiques , et
les abjura autant de fois. On croît
cependant qu'il mourut sincère-
ment converti et détrompé de ses
erreurs. Quelques auteurs ont pré-
tendu qu'il condamnoit encore les
mariages légitimes , et soutenoit
que les femmies dévoient être com-
munes ; qu'il rcprouvolt aussi le
baptême des enfants : mais ces
deux dernières accusations ne sont
pas prouvées.
Entre plusieurs évêques ou ab-
bés qui écrivirent contre lui avec
avantage, Lanfranc et Guilmond
se distinguèrent. Ce dernier expose
ainsi les opinions et les variations
des bérengariens sur le sacrement
de Teucharistie : « Tous , dit-il ,
» s'accordent à dire que le pain et
» le vin ne sont pas essentiellement
» changés ; mais ils diffèrent , en
•» ce que les uns disent qu'il n'y a
» rien du corps et du sang de Jé-
»aus- Christ, que le sacrement
» n'est qu'une ombre et une figure:
» d'autres , cédant aux raisons de
» l'Eglise, sans quitter leur erreur,
» disent que le corps et le sang de
» Jésus-Christ sont en effet conte-
» nus dans le sacrement, mais ca-
n chés par une espèce d'impana-
» tion , afin que nous les puissions
i> prendre ; et ils prétendent que
CER
» c'est l'opinion la plus subtile de
» Bérenger même : d'antres croient
» que le pain et le vin sont chan-
5) gés en partie ; quelques-uns sou-
» tiennent qu'ils sont changés en-
» tièrement, mais que, quand ceux
» qui se présentent pour les rece-
u voir en sont indignes , le sang et
» la chair de Jésus-Christ repren-
» nentlanaturedu pain etdu vin.»
Guitmond, co«/ra Bereng., Bibliot.
PP., p. 327.
Par cet exposé, l'on voit que les
bérengariens ont été les précurseurs
des luthériens et des calvinistes
dans leur erreur sur l'eucharistie,
que les uns et les autres se sont
trouvés dans le même embarras
pour tordre le sens des paroles de
l'Evangile. Par la conduite que VK-
glise a tenue envers les premiers ,
il est aisé d'apercevoir quelle étoit
alors la croyance catholique et uni-
verselle , si c'est l'Eglise ou si ce
sont les protestants qui ont innové
cinq cents ans après.
Tous les écrivains de l'onzième
siècle qui ont attaqué Bérenger ,
attestent que sa doctrine étoit une
nouveauté, que personne ne l'avoit
encore soutenue , à l'exception de
Jean Scot Erigène , au neuvième
siècle, et qu'elle fut condamnée dès
qu'elle osa se montrer; elle le fut
de même au concile de Latran ,
composé de cent treize évêques ,
l'an loSg.
Quelques efforts qu'eussent faits
les bérengariens pour répandre leur
doctrine en France , en Italie , en
Allemagne, les auteurs contempo-~
rains témoignent qu'ils étoient en
petit nombre , et l'on ne peut pas
prouver qu'il en restât encore lors-
que Luther et Calvin parurent.
Quoique l'onzième siècle ne soit
pas l'uD des plus éclairés , il ne faut
pas croire ce que disent les protes-
tants , que Bérenger fut très-mal
réfuté , et n'eut contre lui que des
moines. Les évêques de Ijangres ,
de Liège , d'Angers . de Bresse , et
BER
l'archcvcquo. de Rouen , écrivirent
contre lui ; leurs ouvrages subsis-
tent encore ; le Traité du corps et
du sang du Soigneur, par Lanfranc,
archevêque de Cantorbéry ; celui
de Guitmond , cvêque d'Averse
près de Naples ; celui du prêtre
Alger, scolastique de Liège, sous
le même titre , sont des ouvrages
savants et solides. Erasme en fai-
soit grand cas , et les préféroit
à tous les écrits polémiques qui
avoient paru sur cette matière dans
le seizième siècle. Bérenger se sen-
tit incapable d'y répondre , et fut
obligé d'avouer sa défaite. Les let-
tres et les fragments qui nous res-
tent de ses ouvrages ne donnent
pas une haute idée de ses talents ,
encore moins de sa bonne foi.
Dans les Vies des Pères et des
lylartyrs, tom. 3, il y a une notice
exacte de la vie et des erreurs de
Bérenger , et des ouvrages qui fu-
rent écrits contre lui, pag. 534 ^^
suiv. On en trouve un détail en-
core plus ample dans VHist. de TE-
gli'se gallic. , tom. y, 1. 20 et 21.
La manière dont Mosheim en a
parlé , Hist. ecclésiast. du onzième
siècle, 2.* part. , c. 3, § i3 et suiv.,
montre à quel excès un homme ,
éclairé d'ailleurs , peut porter l'a-
veuglement systématique. Il dit
d'abord que Bérenger étoit renom-
mé pour son savoir et pour la sain-
teté exemplaire de ses mœurs : il
n'a pas cru pouvoir se dispenser
de donner quelques grains d'encens
à un hérétique. Mais le savoir de
Bérenger est fort mal prouvé par
ce qui reste de ses écrits , et sa sain-
teté encore plus mal par trois par-
jures consécutifs.
Mosheim prétend qu'avant ce
siècle l'Eglise n'avoit encore rien
décidé sur la manière dont Jésus-
Christ estdans l'eucharistie, et que
chacun en croyoit ce qu'il jugeoit
à propos. Si cela étoit vrai , il s'en-
suivroit déjà que Bérenger étoit fort
téméraire de vouloir expliquer un
UER 353
mystère que l'on s'étoit contenté de
croire simplement et sans vouloir
le pénétrer. Mais la vérité est que
jusqu'alors la croyance de l'Eglise
catholique avoit été la présence
réelle de Jésus-Christ dans l'eucha-
ristie, comme l'attestent tous ceux
qui écrivirent contre Bérenger. Ce
qui avoit été écrit au neuvième siè-
cle contre cette vérité par Jean Scot
Erigène , n'avoit eu aucune suite,
et n'avoit point eu de partisans.
Bérenger lui-même n'a jamais osé
prétendre qu'il soutenoit le sen-
timent commun des fidèles , et
que les évêques qui le condam-
uoient étoient des novateurs.
Aucun écrivain de son siècle n'a
osé prendre la plume pour le dé-
fendre.
Parce que Grégoire VII traita
Bérenger avec plus de ménagement
que ses prédécesseurs , Mosheini
le soupçonne d'avoir embrassé la
même opinion : nous prouverons
le contraire. Grégoire , avant d'être
pape , avoit assisté , en qualité de
légat , au concile de Tours , l'an
io54 , où Bérenger avoit rétracté
ses erreurs. En icSg, sous Victor II,
dans un concile de Rome , compo-
sé de cent treize évêques , Bérenger
fit profession de croire que le pain
et le vin offerts à V autel sont , après
la consécration , non-seulemenl w
sacrement , mais le vrai corps et le
vrai sang de Noire-Seigneur Jésus -
Christ ; que ce corps est touché par
les mains des prêtres , non-seule-
ment en forme de sacrement, mais
réellement et en uen/e. Mosheim dit
que cette doctrine étoit absurde et
insensée. En io63 , un concile de
Rouen déclara , contre ce même
hérétique, que dans la consécration
le pain , par la puissance divine ,
est changé en la substance de lu
cïiair née delà sainte Vierge, et que
le vin est changé véritablement et
substantiellement au sang répandu
pour la rédemption du monde.
L'an 107 S, sous Grégoire VII ,
354 CEIl
dans un concile de Home , Bcren-
tjer si{;na, sous la foi du serment ,
que le pain posé sur Vaufcl deoenoU,
par la consécration , le vrai corps
de Jésus-Christ , et que le vin deve-
noit le vrai sang qui avoit coulé de
son côté. De là Mosheim conclut
que Grégoire VII rcnonçoil à la
confession de foi de Tan loSo , et
qu'il la révoquoit , quoiqu'elle eût
été solennellement approuvée par
un pape dans un concile. Il est ce-
pendant évident que cette seconde
formule n'est différente de la pre-
mière qu'en ce qu'elle exprime la
transsubtantialion beaucoup plus
clairement.
L'année suivante, dans un autre
concile, Bérenger protesta de croire
que le pain et le vin , par la prière
et par les paroles de notre Rédemp-
teur, étaient substantiellement chan-
gés dans le vrai et propre corps et
sang de Jésus-Christ ; ce sont les
mêmes expressions que celles du
concile de Iiouen. Mais Bérenger
ne fut pas plus fidèle à cette pro-
testation qu'aux deux précédentes.
Comme Grégoire V'IIne fit point
de nouvelles poursuites contre Bé-
renger , Mosheim en conclut qu'il
"ne lui sut point mauvais gré de sa
perfidie, et que probablcjnent il
peusoit comme lui. Par la même
raison , il devoit conclure que les
évèques de France embrassèrent
aussi le parti de Bérenger ; puis-
que , malgré sa troisième rechute,
ils ne prononcèrent point de nou-
velles condamnations contre lui ;
on se contenta de réfuter ses er-
reurs d'une manière qui le réduisit
au silence.
Suivant un écrit de Bérenger ,
Grégoire VII lui dit : Je ne doute
point que vous n'ayez de bons senti-
ments touchant le sacrifice de Jésus-
Christ, conformément aux Ecritures:
de là Mosheim conclût encore que
ce pape penchoit vers l'opinion de
cet hérétique. Mais cette opinion
ctoit-elle véritablement conforme
à l'Ecriture sainte, et selon cetfe
opinion , l'eucharistie pouvoit-elle
être appelée un sacrifice ? Voilà
comme on s'aveugle par intérêt de
système.
Mosheim tourne en ridicule les
écrivains catholiques qui ont voulu
persuader que Bérenger s'étoit con-
verti ; mais lui-même en fournit les
preuves. Il dit que ce personnage
laissa en mourant une haute opi-
nion de sa sainteté : en auroit-on
jugé ainsi , si on l'avoit encore cru
hérétique ? Il dit que les chanoines
de Tours honorent encore sa mé-
moire par un service qu'ils font
tous les ans sur son tombeau ; cer-
tainement ils ne le feroient pas, si
l'on n'avoit pas été persuadé des
lors que Bérenger étoit mort dans
la communion de l'Eglise. Il dit
que Bérenger , dans son ouvrage ,
demande pardon à Dieu du sacri-
lège qu'il a commis à Borne , en se
parjurant : cola ne prouve pas qu'il
persévéroit encore dans ses erreurs.
Le moine Clarius, Richard de Poi-
tiers , l'auteur de la Chronique de
saint Mariin de Jours, Guillaume
de Malracsbury , attestent que Bé-
renger mourut repentant et con-
verti. Ce témoignage des contem-
porains doit prévaloir aux vaincs
conjectures des protestants.
Mosheim paroît avoir pris ce
qu'il a dit de Bérenger dans VHist.
de V Eglise par Basnage , I« 24 , c 2.
L'on y trouve les mêmes faits et les
mêmes réflexions. Le tout n'est
fondé que sur les assertions de cet
hérésiarque , cent fois convaincu
d'imposture et de perfidie.
BERNARD (saint), abbé de
Clairvaux, mort l'an 11 53, est ,
dans l'ordre des temps , le dei'nier
des Pères de l'Eglise. La meilleure
édition de ses ouvrages , est celle
qu'a donnée domMabillon en 1690,
et qui a été réimprimée en 1719 ,
eu 2 vol. in-folio.
Les philosophes incrédulesn'ont
BER
pului Imputer aucune erreur ; mais
ils lui reprochent d'avoir fausse-
ment prophétisé le succès de la
seconde croisade. Comme sur ce
point saint Bernard a (a.il lui-même
son apologie , ce reproche est ré-
futé d'avance. Nous ajouterons seu-
lement que si les croisés avoient
mieux suivi dans leur conduite les
avis du saint abbé, la croisade au-
roit eu un succès plus heureux,
r'b/ez Croisade
On dit encore qu'il avoit une
science très - médiocre , qu'il en-
tasse pêle-mêle l'Ecriture sainte ,
les canons et les conciles, qu'il est
fécond en allégories. Mais saint
Bernard savoit beaucoup pour son
siècle , puisqu'il possédoit l'Ecri-
ture sainje et les canons ; ce n'est
pas sa faute s'il est né dans un temps
fMie l'on nomme siècle de brigan-
dage , d'ignorance et de supersti-
tion ; il n'a été coupable d'aucun
de ces trois vices. Quant aux allé-
gories , il en fait moins d'usage que
plusieurs des anciens Pères ; il ne
les emploie que dans des ouvra-
ges de morale et de piété , jamais
dans les écrits qui concernent le
dogme ; ce n'est point là-dessus
qu'il fonde la croyance catholi-
que , lorsqu'il la défend contre les
hérétiques.
En général , on ne peut refusera
ce Père un esprit vif et pénétrant ,
une belle imagination , un style
doux et insinuant , une éloquence
persuasive, une piété tendre, un
sèle ardent , mais éclairé , pour la
pureté de la foi et pour l'observa-
tion de la discipline, enfin des
vertus fort supérieures à l'esprit
de son siècle.
Il a été aussi accusé d'avoir per-
sécute Abailard par jalousie ; nous
avons réfuté cette calomnie dans
l'article Abailard. Pour avoir une
juste idée des talents cl des vertus
du saint abbé de Clairvaux , il faut
consulter VHisf. de VEglisc galli-
cane, tom.g, I. 25 cl : 6
BET 35r>
BESSARION, moine grec de
saint Basile , patriarche titulaire
de Constantinople, archevêque de
Nicée, ensuite cardinal et légat en
France sous Louis XI , mourut
l'an 1472. Ce savant homme se
rendit odieux aux Grecs schisma-
tiques par le zèle avec lequel il
travailla à les réunir avec l'Eglise
romaine. Il a composé plusieurs
ouvrages à ce sujet, et une défense
de la philosophie de Platon , que
l'on a réunis dans le seizième
tome de la Bibliothèque des Pères.
Brucker , quoique protestant , a
fait de ce célèbre cardinal un éloge
complet. Hisi. philos. , t. 4 , p- 4^-
BETHLÉEM, petite ville ou
bourgade de la Judée, dans laquelle
Jésus-Christ est né. Saint Justin ,
qui étoit de la Samarie , cite au juif
Tryphon la caverne dans laquelle
Jésus-Christ est venu au monde ,
n. 78. Origène dit à Celse que les
enremis mêmes duchristianisme la
connoissent , 1. i , n. 5i . Les pro-
phètes avoient prédit que le Messie
naîtroit à Bethléem , les juifs le
croient encore aujourd'hui. Voyez
Munimen fidei , i." partie, c. 33.
Cela étoit convenable, pour mieux
démontrer qu'il étoit du sang de
David , originaire de Bethléem.
Quelques incrédules ont préten-
du que cette opinion n'étoit fondée
que sur une fausse explication
d'une prophétie de Michée , c 5 ,
S ■ 2 , oii on lit : « Et toi , Bethléem
» d'Ephrata , lu n'es qu'une des
» moindres villes de Jiida ; mais il
» sortira de toi un chef qui régnera
» sur Israël , et dont la naissance
i> est de toute éternité ; il sera
» loué jusqu'aux extrémités de la
» terre , et il sera l'auteur de la
» paix. » Cette prédiction , disent -
ils, regarde Zorobabel , et non le
Messie ; le contraire nous paroîi
évident.
1.° Le nom de Zorobabel VcmoV-
gne que ce cV)cf étoit né à Baby-
23.
35G
Bllî
lone , et non à Bethléem ; on ne
peut pas dire de lui que sa nais-
sance est de toute éternité , qu'il a
réuni aux Israélites le reste de leurs
frères , qu'il a été reconnu grand
jusqu'aux extrémités delà terre, et
l'auteur de la paix : xes caractères
ne conviennent qu'au Messie et à
Jésus- Christ. 2.° Le paraphraste
chaldaïque l'a compris , et en a fait
Fapplication au seul Messie; c'étoit
la tradition des Juifs , on le voit
dans le Talmud et dans les écrits
des anciens rabbins : plusieurs mo-
dernes l'ont encore entendu de
même. Galaitn , 1. 4 , c- i3. 3.° Le
cinquième concile de Constantino-
ple , art. 2 , un concile romain tenu
sous le pape Vigile, Théodoret et
d'autres Pères ont condamné ceux
qui cherchoient à détourner le sens
de cette prédiction. Grotius a vai-
nement fait ses efforts pour faire
valoir cette opinion ; il cherchoit
à favoriser les Juifs et les sociniens,
qui voient avec peine un prophète
attribuer au Messie une naissance
de toute éternité. Voyez la Synapse
des critiques.
BÉTHLÉÉMITES (les frères).
C'est un ordre religieux qui a été
fondé dans les îles Canaries par
n gentilhomme françois nommé
Pierrede Bétencourt, pourservir les
malades dans les hôpitaux. Le pape
Lnnocent XI approuva cet institut
en 1687 , et lui ordonna de suivre
la règle de saint Augustin. L'habit
de ces hospitaliers est semblable à
celui des capucins, hormis que leur
ceinture est de cuir , qu'ils portent
des souliers et ont au cou une mé-
daille qui représente la naissance
de Jésus-Christ à Bethléem
BIBLE. Du grec Bi5)lo5, papier,
l'on a fait Bt 6X10 V , livre, et l'on a
nommé biblia l'Ecriture sainte,
pour designer les livres par excel-
lence , et qui sont les plus dignes
de respect. Cette collection de.
BIB
livres sacrés on écrits par l'inspi-
ration du Saint-Esprit, se divi.«;e
en deux parties, savoir, l'ancien
et le nouveau Testament. Les pre-
miers sont ceux qui ont été écrits
avant la venue de Jésus-Christ ;
ils contiennent, outre la loi de
Moïse, l'histoire de la création du
monde , celle des patriarches et
des Juifs , les prédictions des pro-
phètes, et différents traités de mo-
rale. Le nouveau Testament ren-
ferme les livres qui ont été écrits
depuis la -mort de Jésus-Christ
parses apôtres ou par ses disciples.
Au mot Testament, nous fe-
rons rénumération des livres de
l'ancien et du nouveau Testament,
conformément au catalogue qu'en
a dressé le concile de Trente ,
sess. 4-
Dans l'article Ecriture sainte ,
nous parlerons de l'inspiration des
livres sacrés , de leur autorité en
matière de foi, des règles que l'on
doit suivre pour en acquérir l'in-
telligence , de l'usage que doivent
en faire les théologiens, etc.
Au mot Livres saints , nous en
ferons la comparaison avec les
écrits que les Chinois , les Indiens,
lesParsis, les mahométans, nom-
ment livres sacrés, et nous mon-
trerons le ridicule de la méthode
que les incrédules ont suivie pour
attaquer, les nôtres. Ici nous n'en-
visageons la bible que comme un
objet d'histoire littéraire et de cri-
tique.
La plus grande partie des livres
de l'ancien Testament ont été reçus
comme sacrés et canoniques par
les juifs, aussi-bien que par les
premiers chrétiens. Il y en a ce-
pendant quelques-uns que les juifs
n'ont pas reconnus comme tels ,
et que les chrétiens des premiers
siècles ne paroissent pas avoir re-
çus non plus comme canoniques :
mais ils ont été ensuite placés dans
le canon par l'Eglise. Tels sont les
livres de Tobie , de Judith j la
Sagesse, l'EccIcsiaslique, ol les
deux livres dos Machabccs. Qiicl-
«|ues aiicicns même ont douté de
l'aulhenticilé des livres de Baruch
et d'Esther. Il seroit singulier que
l'Eglise chrétienne n'eut pas , à l'é-
pard des livres sacrés, la même
autorité que l'on accorde à la syna-
gogue. Ceux qui ne veulent s'en
rapporter qu'au témoignage de
celle-ci , ne sont pas seulement
instruits des motifs qui ont déter-
miné les juifs à recevoir comme
sacrés tels livres , et à ne pas faire
le même honneur aux autres. Voyez
Canon.
Tous les livres qui ont été an-
ciennement reconnus pour sacrés,
entêté écrits en hébreu ; nous n'a-
vons les autres qu'en grec; mais
il n'a pas été essentiel à l'inspira-
tion d'un auteixr qu'il écrivît dans
une langue plutôt que dans une
autre: une traduction fidèle tient
lieu dei'original lorsqu'il estperdu.
Les anciens caractères hébreux ,
f^ont les écrivains juifs se sont ser-
vis, étoient les samaritains; mais
après la captivité de Babylone, les
juifs trouvèrent les caractères
chaldéens plus commodes, et les
adoptèrent. La date de ce change-
ment n'est pas certainement con-
nue; mais il n'a pas pu introduire
plus d'altération dans le texte, que
la substitution que nous avons
faite de nos caractères modernes
aux lettres gothiques.
Les livres écrits en hébreu ont
été plusieurs fois traduits en grec ;
la version la plus ancienne et la
plus célèbre est celle des septante,
qui a été faite avant Jésus-Christ ,
et de laquelle on pense que les
apôtres se sont servis; nous en
jiarlcrons en son lieu.
Quoique la plupart des livres
du nouveau Testament aient été
aussi reçus pour canoniques dès
les premiers temps de l'Eglise , il y
en a cependant desquels on a douté
d'abord ; tels sont l'épître de saint
BIB 357
Paul aux liébreux , celle de saint
Jude , la seconde de saint Pierre,
la seconde et la troisième de saint
Jean , l'Apocalypse.
Tous ont été écrits en grec, ex-
cepté l'évangile de saint Matthieu,
que l'oji croit avoir été originai-
rement compose en hébreu, mais
dont le texte ne subsiste plus ; c'est
le sentiment de saint Jérôme. Quel-
ques critiques modernes ont voulu
soutenir que tout le nouveau Tes-
tament avoit d'abord été écrit en
syriaque ; mais leur opinion est
absolument destituée de preuves et
de vraisemblance. Le Père Har-
douin , qui a voulu prouver que
les apôtres ont écrit en latin , et
que le grec n'est qu'une version ,
n'a persuadé personne.
On conçoit que les exemplaires
de la bible ont àù. se multiplier
beaucoup; non-seulement les textes
originaux ont été copiés à l'infini,
mais il s'en est fait des versions
dans la plupart des langues mortes
ou vivantes. Sous ce double rap-
port, on distingue les bibles hé-
braïques , grecques , latines , chal-
daïques, syriaques, arabes, cophtes,
arméniennes, persiennes, mosco-
vites, etc., et celles qui sont en lan-
gue vulgaire. Nous donnerons une
courte notice des unes et des au-
tres.
Bibles HÉBRAÏQTJES.EUessont ma-
nuscrites ou imprimées. Entre les
manuscrites , les meilleures et les
plus estimées sont celles qui ont
été copiées par les juifs d'Es-
pagne ; les juifs d'Allemagne en
ont fait un plus grand nombre ,
mais elles sont moins exactes. Il
est même facile de les distinguer
au coup d'œil ; les premières sont
en beaux caractères carrés , comme
les bibles hébraïques de Boraberg ,
d'Etienne et de Plantin ; celles d'Al-
lemagne ont des caractères sem-
blables à ceux de Munster et de
Grvphe.
Richard Simon observe que les
358 BIB
plus anciennes bibles hébraïques
manuscrites ont tout au plus six
à sept cents ans d'antiquité ; ce-
pendant le rabbin Menahem, dont
on a imprimé quelques ouvrages à
Venise , en 1618 , sur les bibles
hébraïques , en cite un grand nom-
bre qui, dans ce temps- là , da-
toient déjà de plus de six cents ans.
Morin ne donne que cinq cents
ans d'antiquité au fameux ma-
nuscrit d'Hillel, qui est à Ham-
bourg. Le Père Houbigant n'en a
point connu qui remontât au de-là
de six à sept siècles ; il a pensé que
celui de la bibliothèque des Pères
de l'oratoire, de la rue Saint-Ho-
îioré à Paris, pouvoit avoir près
de sept cents ans. Ceux de la bi-
bliothèque du roi ont paru moins
anciens a l'abbé Rallier. Les do-
îiiinicains de Bologne en Italie en
ont un du pentateuquc , dont le
Père de Montlaucon a parlé , et
dont l'antiquité peut être d'envi-
ron neuf cents ans. Dans la bi-
Lliothèque bodléïennc en Angle-
terre, il y en a un dupentateuque,
et un autre qui contient le reste
de l'ancien Testament , auxquels
on attribue sept cents ans d'anti-
«luité. Le plus fameux manuscrit
du pentateuque samaritain que
gardent les samaritains de Na-
plouse, qui est l'ancienne Sichem,
n'a, dit-on, que cinq cents ans.
Celui de la bibliothèque ambro-
sienne à Milan peut être plus an-
cien. Il y a un manuscrit hébreu à
la bibliothèque du Vatican , que
l'on dit avoir été copié en gyS.
Les plus anciennes bibles hébraï-
ques imprimées ont été publiées
par les juifs d'Italie , en particu-
lier celles de Pesaro et de Bresce.
Ceux de Portugal avoient com-
mencé d'imprimer quelques parties
de la bible à Lisbonne, avant qu'on
les chassât de ce royaume. On peut
remarquer en général que les meil-
leures bibles en hébreu sont celles,
qui onlétéiropriméessouslesvcuxi
J51B
des juifs ; ils sont si attentifs h
observer jusqu'aux points et aux
virgules , que personne ne peut
pousser l'exactitude plus loin.
Au commencement du seizième
siècle, Daniel Bomberg imprima
plusieurs bibles liébraïques , in-folio
et in-l^.° à Venise , dont quelques-
unes sont également estimées par
les juifs et par les chrétiens. La
première parut en iSiy ; elle porte
le nom de son éditeur , Félix
Prseenni; c'est la moins exacte. La
seconde fut publiée en 1826. On
y joignit les pointsdes massorettes,
les commentaires de divers rab-
bins, et une préface de R. Jacob
ben Chajim. En i548 , le même
Bomberg imprima la bible in-folio
de ce dernier rabbin ; c'est la meil-
leure et la plus parfaite de toutes.
Elle est distinguée de la première
bible du même éditeur, en ce qu'elle
contient le commentaire de R. Da-
vid Kimchi sur les chroniques ou
Paralipomènes, qui n'est pas dans
l'autre.
Ce fut sur cette édition que
Buxtorf le père imprima à Bàle ,
en 1618, sa bible hébraïque des rab-
bins ; mais il se glissa, surtout dans
le commentaire de ceux-ci , plu-
sieurs fautes ; Buxtorf altéra un
assez grand nombre de leurs pas-
sages peu favorables aux chrétiens.
La même année parut à Venise une
nouvelle édition de la bible rabbi-
nique de Léon de Modéne, rabbin
de cette ville ; il prétendit avoir
corrigé un grand nombre de fautes
répandues dans la première édi-
tion ; mais outre que cette bible est
fort inférieure, pour le papier et
pour le caractère, aux autres bibles
de Venise, elle passa par les mains
des inquisiteurs, qui ne laissèrent
pas les commentaires des rabbins
dans leur entier. Au reste , on ne
voit point en quoi les traits lancés
contre le christianisme par les
rabbins , et retranchés par Buxtorf
cl par les iiiquisiteu»"S , pouvoient
BIB
contribuer à la perfection d'une
bible ht'bra'ùjuc.
Celle de Robert Etienne est es-
timée pour la beauté des carac-
tères , mais elle est infidèle. Plan-
tin en a fait aussi imprimer à
Anvers de fort belles ; la meilleure
est celle de i566, i'/2-4.° Manassé
ben Israël , savant juif portugais ,
donna à Amsterdam deux éditions
de la bible en hébreu , l'une in-^. ° ,
l'autre in-8.° La première est en
deux colonnes, et par-là plus com-
mode pour le lecteur. Eu i634 ,
Rabbi-Joseph Lombroso en publia
une nouvelle édition in-^.° à Ve-
nise, avec de petites notes au bas
des pages , où les mots hébreux
sont expliqués par des mots espa-
gnols. Cette bible est estimée des
juifs de Constantinople; on y a dis-
tingué dans le texte , par une petite
étoile, les endroits où il faut lire le
point carnets par un o , et non par
un a.
De toutes les éditions des bibles
hébraïques in-8.° , les plus belles et
les plus correctes sont les deux de
Joseph Athias, juif d'Amsterdam;la
première de 1661 , préférable pour
le papier; la seconde de 1667, plus
fidèle. Cependant Vander-Hoogt
en a publié une en lyoS , qui l'em-
porte encore sur ces deux-là.
Après Athias , trois protestants
qui savoient rhébreu s'engagèrent
a avoir et à donner une bible hé-
braïque, savoir, Claudius, Jablon-
scki et Opitius. L'édition de Clau-
dius fut publiée à Francfort ,
en 1677, in-^.° On trouve au bas
des pages les différentes leçons des
premières éditions ; mais l'auteur
n'est pas toujours exact dans la
manière d'accentuer , surtout à
l'égard des livres poétiques de l'E-
criture; d'ailleurs, comme cette
( Jition n'a pas été faite sous ses
yeux , elle fourmille de fautes.
Celle de Jablonski parut à Berlin
en ificjg , in-.^." L'impression en
e^l fort nellç et les caractères très-
BIB 359
beaux. Quoique l'auteur prélende
s'être servi de l'édition d'Athias
et de celle de Claudius, il paroît
n'avoir fait autre chose que de
suivre servilement l'édition in-f^.''
de Bombcrg. Celle d'Opitius fut
aussi imprimée in-^.° à Keil , en
1709 ; c'est dommage que la beauté
du papier n'ait pas répondu à celle
des caractères. D'ailleurs l'auteui-
n'a fait usage que des manuscrit»
d'Allemagne, et a négligé ceux qui
sont en France; défaut qui lui est
commun avec Claudius et Ja-
blonski. Ces bibles ont cependant
cet avantage , qu'outre les divi-
sions , soit générales , soit parti-
culières , en paraches et en penkim,
selon la manière des juifs, elles
sont encore divisées en chapitres
et en versets selon la méthode des
chrétiens ; elles renferment les heri
kéiib , ou différentes façons de lire,
et les sommaires en latin ; ce qui
les rend d'un usage très-commode
pour les éditions latines et les con-
cordances.
La petite bible in-i6 de Robert
Etienne est estimée pour la beauté
du caractère. On doit observer
qu'il y en a une autre édition a
Genève qui lui ressemble beau-
coup , mais dont l'impression est
mauvaise et le texte moins correct.
On peut ajouter à ce catalogue
quelques autres bibles hébraïques
sans points , i«-8.° et in-z/^ , fort
estimées des juifs , uniquement
parce que la petitesse du volume
les leur rend plus commodes dans
leurs synagogues et dans leurs
écoles. 11 y en a deux éditions de
cette forme , l'une de Plantin ,
1/2-8.» à deux colonnes; l'autre
in-2^ , imprimée par Raphelingius,
à Leyde, en 16 10. On en trouve
aussi une édition d'Amsterdam en
grands caractères , par Laurent ,
en i63i , et une autre m-ia de
Francfort, en 1G94, avec une pré-
face de Leusddi; mais elle est pleine
lie fautes.
36o BIB
Le Icxlc hébreu sans points, que
le père Houbigant fie l'oratoire a
fait irpprimer en quatre volumes
in-fol. à Paris, en lySS, avec un
coirtraentaire , est d'une grande
beauté ; cependant on reproche à
l'auteur d'avoir hasardé trop lé-
gèrement des corrections, et de
s'être exposé souvent à corrompre
le texte, au lieu de le corriger.
On sera désormais plus à cou-
vert de ce danger, avec le secours
de la 3ible hébraïque, que le doc-
teur Kennicot vient de faire im-
primer à Londres en deux vol.
in-folio. Il a suivi l'édition de Van-
der-Hoogt, qui passe pour la plus
correcte , et a rassemblé au bas
des pages toutes les variantes re-
cueillies d'après les meilleurs ma-
nuscrits qui se trouvent dans toute
l'Europe. Rien ne nous manque
donc plus pour avoir le texte hé-
breu dans la plus grande correc-
tion. Voyez Texte.
Bibles grecques. Le grand nom-
bre des bibles que Von a publiées
m grec , peut être réduit à trois ou
quatre classes principales; savoir,
celle de Complute, ou d'Alcala de
Hénarès, celle de Venise, celle de
Rome et celle d'Oxford.
La première parut en i5i5 , par
les ordres du cardinal Ximcnès , et
fut mise dans la bible polyglotte ,
que l'on appelle ordinairement la
bible de Complute. Cette édition
n'est pas exacte , parce que dans
plusieurs endroits l'on y a changé
la version des septante , pour se
conformer au texte hébreu. On l'a
cependant réimprimée dans la po-
lyglotte d'Anvers , dans celle de
Paris, et dans la bible in-^. ° connue
sous le nom de Vatable , sans y
rien corriger.
La seconde bible grecque est celle
de Venise, qui parut en i5i8, où
le texte grec des septante a été im-
primé conformément au manu-
scrit sur lequel on a travaillé. Cette
édition est pleine de fautes de co-
BIB
pjstes, mais aisées à corriger. On
l'a réimprimée à Strasbourg , à
Bàle, à Francfort et ailleurs, en
l'altérant dans quelques endroils
pour la rendre conforme au texte
hébreu. La plus commode de ces
bibles est celle de Francfort, à la-
quelle on a joint de courtes scho-
liesdont l'auteur n'est pas nommé,
mais que l'on attribue à Junius :
elles servent à marquer les diffé-
rentes interprétation? des anciens
traducteurs grecs.
La troisième est celle de Rome,
en iSSy , que Ton appelle Védition
Sixline , dans laquelle on a inséré
des scholies tirées des manuscrits
grecs des bibliolhèq\ies de Rome,
et recueillies par Pierre Morin.
Elle passe pour la plus exacte. Celte
belle édition fut réimprimée àParis
en 1628 par le Père Morin, de l'o-
ratoire, qui y joignit l'ancienne
\ersion latine de Nobilius ; celle-
ci, dans l'édition de Rome, étoit
imprimée séparément avec les com-
mentaires. L'édition grecque de
Rome se trouve dans la polyglotte
de Londres , et porte en marge les
différentes leçons tirées du manu-
scrit d'Alexandrie. On l'a aussi
donnée en Angleterre j/2 - 4.° et
i'/2-i2, avec quelques changements.
Lambert Bos l'a encore puLliée
en 1709 à Franéker, avec toutes
les différentes leçons qu'il a pu
recouvrer.
Enfin , la quatrième bible grecque
est celle qu'on a faite en. Angle-
terre d'après un exemplaire très-
ancien , connu sous le nom de wo-
nuscrit d^ Alexandrie , parce qu'il a
été envoyé de cette ville. Elle fut
commencée à Oxford par le doc-
teur Grabe , en 1707. Dans cette
bible , le manuscrit d'Alexandrie
n'est pas imprimé tel qu'il étoit ,
mais tel qu'on a cru qu'il devoit
être. On y a changé les endroils
qui ont paru être des fautes de co-
pistes, et les mots qui étoient de
différents dialectes. Quelques-uns
BIR
ontapplatiili à celle libcrlé, d'an-
tres l'ont hlàinée ; ils ont prélcndii
«^uc le manuscrit étoit exact, que
les conjectures ou les diverses le-
çons avoient clé. rejelées dans les
notes dont il étoit accompa{;;né.
Voyez Septante ; et pour les autres
versions grecques , voyez Version
Bibles latines. Quoique leur
nombre soit encore plus grand que
celui des bibles grecques, on peut
le réduire à trois classes ; savoir,
l'ancienne vulgate , nommée versio
ilnla , traduite du grec des sep-
tante ; la vulgate moderne, dont
la plus grande partie est traduite
du texte hébreu, et les nouvelles
versions latines faites sur l'hébreu
dans le seizième siècle.
De l'ancienne vulgate , dont on
s'est s»rvi en Occident jusqu'après
le temps de saint Grégoire le Grand,
il ne reste point de livres entiers
que les Psaumes, le livre de la Sa-
gesse, et l'Ecclésiaste , et des Irag-
ments épars dans les écrits des
Pères, d'où Nobilius a tâché de la
tirer toute entière : projet qui a
été exécuté de nos jours par dom
Sabatier, bénédictin.
On connoît un grand nombre
d'éditions de la vulgate moderne,
qui est la version de saint Jérôme
faite sur l'hébreu. Le cardinal Xi-
inénès en fit insérer dans sa poly-
glotte une qui est altérée ou cor-
rigée en plusieurs endroits. La
meilleure édition delà vulgate de
Uobert Etienne est celle de i54o ,
réimprimée en i545,oùron trouve
en marge les différentes leçons des
manuscrits dont il avoit pu avoir
connoissance. Les docteurs de Lou-
vain l'ont revue, y ont ajouté de
nouvelles leçons inconnues à Ro-
l)ert Etienne; leur meilleure édi-
tion est celle qui contient à la fin
les notes critiques de François Lu-
(as de Bruges. Toutes ces correc-
tions de la bible latine furent faites
avant le temps de Sixte V et de
Clément VIII , depuis lesquels pcr-
BIB
36 1
sonne n'a osé faire aucun chan-
gement dans le texte de la vulgate
si ce n'est dans des commentaires
ou dans des notes séparées. Les
corrections ordonnées par Clé-
ment VIII en 1892 , sont celles que
l'on suit dans toute l'Eglise catho-
lique; de deux réformes qu'a faites
ce pontife, on s'est toujours tenu
à la première. Ce fut d'après elle
que Plantin donna son édition, et
toutes les autres furent faites d'a-
près celle de Plantin ; de sorte que
les bibles communes sont d'après la
correction de Clément VIII. Voy.
Vulgate.
Il y a un très-grand nombre de
bibles latines de la troisième classe,
ou de versions latines des livres
sacrés faites sur les originaux de-
puis deux siècles. La première est
celle de Sanctès Pagninus , domi-
nicain ; elle fut imprimée à Lyon
in-J^.° en 1628 ; elle est fort estimée
des juifs. L'auteur la perfectionna,
et l'on en fit à Lyon une belle édi-
tion in-folio, en 1642, avec des
scholies sous le nom de Michael
Villanovaniis. On croit que c'est
Michel Servet, brûlé depuis à Ge-
nève. Servet prit ce nom, parce
qu'il étoit né àVillanueva en Ara-
gon. Ceux de Zurich donnèrent
aussi une édition in-/^.° de la bible
de Pagninus. Robert Etienne la
réimprima in-folio avec la vulgate,
en i586, en quatre colonnes sous
le nom de Valable , et on l'a in-
sérée dans ]a bible en quatre langues
de l'édition de Hambourg.
Cette même version de Pagninus
a élé retouchée et rendue littérale
par Arias Montanus, avec l'appro-
bation des Codeurs de Louvain ,
insérée ensuite, par l'ordre de Phi-
lippe II , dans la polyglotte de
Complute, et enfin dans celle de
Londres , où elle est placée entri;
les lignes du texte hébreu. Il y
en a eu différentes éditions in~
folio , in-^.° et m-8.°, auxquelles
on a joint le texte hélireu de l'an-
362 BIB
cicn Teslament et le grec du nou-
veau. La meilleure eslcelle de 147 1 ,
in-folio.
Depuis la réformalion, les pro-
testants ont aussi donné plusieurs
versions latines de la bible. Les plus
estimées sont celles de Munster ,
de Léon Juda , de Castaliou et de
Tremellius ; les trois dernières ont
été souvent réimprimées. Celle de
Castalion l'emporte pour la beauté
du latin; mais les critiques sensés
iugent que cette affectation d'élé-
gance est déplacée dans les livres
saints. La version de Léon Juda ,
ministre de Zurich , corrigée par
les théologiens de Salamanque ,
a été jointe à l'ancienne édition
publiée par Robert Etienne , avec
les notes de Vatable. Celles de
Junius et de Tremillius sont pré-
férées par les calvinistes , et il y
en a un grand nombre d'éditions.
Mais c'est mal à propos que les
protestants donnent à ces diffé-
rentes éditions la préférence sur
la vulgate ; leiirs plus habiles cri-
tiques comme Louis de Dieu ,
Drusius, Milles, Walson, Capel ,
ont rendu justice à la fidélité de
celle-ci.
L'on pourroit ajouter pour qua-
trième classe des bibles latines, celle
d'Isidor Clarius ou Clair, écrivain
catholique évcque de Fuligno dans
rOmbrie. Cet auteur, peu content
des corrections faites a la vulgate,
voulut la corriger de nouveau sur
lesoriginaux.Sonouvrage,imprimé
à Venise en i542, fut d'abord mis
à Vindex, ensuite permis et réim-
primé à Venise en i564 , à l'ex-
ception de la préface et des pro-
légomènes , dans lesquels Clarius
avoit paru ne pas respecter assez
la vulgate. Plusieurs protestants
ont suivi cette méthode ; André
et Luc Osiander ont publié chacun
une nouvelle édition de la vulgate
corrigée sur les originaux ; mais
ont-ils toujours été assez siirs du
sens des originaux, pour jr^ier avec
BIB
certitude que l'interprète latin
s'étoit trompé ?
Bibles orientales. On peut
mettre à la tête de ces bibles la
version samaritaine , qui, de tous
les livres de l'Ecriture, ne renferme
que le pentateuque. Cette version
est faite en samaritain moderne ,
peu différent du chaldaïque , sur
le texte hébreu écrit en caractères
samaritains , et qui est différent
en quelque chose du texte hébreu
des Juifs. Le père Morin de l'ora-
toire est le premier qui ait fait
imprimer le pentateuque hébreu
des samaritains avec la version.
L'un et l'autre se trouvent dans
les polyglottes de Londres et de
Paris. Les samaritains ont encore
une version arabe du pentateuque,
qui n'a point été imprimée; et qui
est fort rare ; il y en a deux exem-
plaires dans labibliothèque du roi.
L'auteur de cette version se nomme
Abusaïd , et a mis en marge quel-
ques notes littérales. Ils ont aussi
l'histoire de Josué, qu'ils ne regar-
dent point comme canonique , et
qui est différente du livre de Josué
renfermé dans nos bibles.
Bibles chaldéennes. Ce ne sont
point de pures versions du texte
hébreu, niais des gloses ou para-
phrases de ce texte, que les Juifs ont
faites en langue chaldaïque, lors-
qu'ils la parloient. Us les nomment
targumin, interprétations. Les plus
estimées sont celle d'Onkélos, qui
ne comprend que le pentateuque,
et celle de Jonathan, sur les livres
que les juifs nomment prophètes ,
tels que Josué, les Juges, les livres
des Rois, les grands et les petits
prophètes. Les autres paraphrases
chaldaïques sont la plupart rem-
plies de fables. On les a mises dans
la grande bible hébraïque de Venise
et de Bàle , mais elles se lisent plus
aisément dans les polyglottes où la
traduction latine se trouve à côte.
Voyez Targum.
Bibles syriaques. Les Syriens
BIIÎ
ont deux versions de l'ancien Tes-
tament dans la langue de leurs
ancêtres ; l'une laite sur le grec
des septante, qui n'a point été im-
primée, l'autre faite sur le texte
hébreu, qui se trouve dans la po-
lyglotte de Paris et dans celle
d'Angleterre. Parmi les versions
orientales de l'Ecriture, celle-ci est
l'une des plus précieuses.
Elle paroît avoir été faite ou
du temps même des apôtres , ou
immédiatement après , pour les
Kglises de Syrie où elle est encore
en usage.
Les maronites, elles autres chré-
tiens qui suivent le rit syrien ,
attribuent à cette version une an-
tiquité fabuleuse. Ils prétendent
qu'une partie a été faite par or-
dre de Salomon , pour Hiram roi
de Tyr, et le reste par ordre d'Ab-
gare roi d'Edesse, contemporain
de Notre-Seigneur. La seule preuve
qu'ils en donnent, est que saint
Paul, àanssonépitre aux Ephésiens,
c. 4? y^' 8, a cité un passage du
psaume 68, y^. i8, selon la version
syriaque. Il dit de Jésus- Chri.st ,
t{u'il a mené captive une multitude
de captifs , et a donné des dons
aux hommes ; l'hébreu et les sep-
tante portent seulement : Il a reçu
des dons pour les hommes. Cette
preuve est trop légère pour établir
un fait aussi important.
La vérité est que cette version
est fort ancienne, qu'elle a précédé
toutes les autres, excepté celle des
septante , les targums d'Onkélos
et de Jonathan. C'est le sentiment
de Pocock, dans sa Préface de Mi-
chée ; de l'abbé Renaudot, dans sa
Collection des liturgies orientales ,
de Walton, Prolég., i3 , etc. Il
paroît que son auteur est un chré-
tien , juif de nation, qui savoit
très-bien les deux langues ; elle est
fort exacte, et rend avec plus de
justesse qu'aucune autre le sens de
l'original. Le génie de la langue y
contribue beaucoup ; comme c'é-
ïiin 363
toit la langue maternelle de ceux
qui ont écrit le nouveau Testament
et un dialecte de l'hébreu , il y a
plusieurs choses quisont plus heu-
reusement exprimées ([uns celte
version que dans aucune autre.
Elle n'est pas moins fidèle sur le
nouveau Testament que sur l'an-
cien ; il n'en est donc aucune de
laquelle on puisse tirer plus de
secours pour l'intelligence des
livres sacrés. Gabriel Sionite a
publié à Paris, en iSsS, une très-
belle édition des psaumes en syria-
que, avec une traduction latine.
La première édition du nouveau
Testament syriaque est celle que
Widmansladiusfit paroi tre à Vien-
ne en Autriche, l'an 1 555, aux frais
de l'empereur Ferdinand. Dans le
manuscrit apporté d'Orient , et
dont on se servit, il manquoil la
seconde épître de saint Pierre, la
seconde et la troisième de saint
Jean, celle de saint Jude et l'Apo-
calypse. On en conclut assez légè-
rement que ces livres n'étoient
point admis dans le canon des Ecri-
tures par les jacobites , quoiqu'ils
fussent entre leurs mains. Mais
Louis de Dieu , aidé de Daniel
Heinsius, fit imprimer en syriaque
l'Apocalypse en 1627, sur un ma-
nuscrit que Joseph Scaliger avoit
légué à l'université de Leyde. En
i63o, le savant Pocock, âgé seu-
lement de vingt-quatreans, trouva
dans la bibliothèque bodléienne
un très-beau manuscrit syriaque ,
qui contenoit plusieurs écrits du
nouveau Testament, et en particu-
lier les quatre épîtres qui man-
quoient dans le manuscrit de Vien-
ne. Il joignit aux caractères syria-
ques les points selon les règîes don-
nées par Gabriel Sionite , le texte
grec, une version latine comparée
avec celle d'Etzélius, des notes sa-
vantes et utiles , et fit imprimer
cet ouvrage à Leyde ; ainsi , l'on
est parvenu à nous donner une
version très-complète de l'Ecriture
364
BIB
sainte tlans une langue qui a été
celle «le notre Sauveur et des apô-
tres. Elle est dans la polyglotte
d'Angleterre, tom. 5
Comme on ne peut pas prouver
que cette version des différentes
parties de l'Ecriture sainte ait été
îaite en divers temps et par des
auteurs différents , il en résulte
que, quand elle a été faite, les égli-
ses de Syrie regardoient comme
canoniques les livres que les pro-
testants ont trouvé bon de rejeter,
et dont ils s'obstinent encore à
méconnoître la canonicité.
Assémani, Biblioih. orient., t. 2,
chap. i3, attribue cette version à
Thomas d'Héraclée , évéque de
Germanicie, qui écrivolt en 616.
C'est donc trés-mal à propos que
Beausobre a triomphé de ce que
l'Apocalypse ne se trouvoit pas
dans le manuscrit mis au jour par
Widmanstadius, et qu'il en a con-
clu que les églises orientales ne
reconnoissoient pas ce livre pour
canonique. Les autres preuves né-
gatives qu'il allègue de ce même
lait ne concluent rien. Fb/ez Apo-
calypse.
Bibles arabes. Elles sont en
ir^s- grand nombre; les unes à
l'usage des juifs, les autres à l'usage
des chrétiens, dans les pays où les
uns et les autres parlent cette lan-
gue. Les premières ont toutes été
faites sur l'hébreu , les secondes
sur d'autres versions. Ainsi , la
version arabe des Syriens a été
prise du syjrià.que, depuis que cette
dernière langue n'a plus été enten-
due du peuple ; celle des cophtes
a pris pour original la version
cophtique , dont nous parlerons
ci-api'ès.
En i5i6, Augustin Jusliniani ,
évêque de Nébio , donna à Gcnes
une version arabe dij psautier ,
avec le texte hébreu et la pai-a-
phrase chaldaïquc , et y joignit
l'interprétation latine. On trouve
dans les polyglottes de Londres et
BIC
de Paris une version arabe de
toute l'Ecriture sainte; mais l'abbé
Renaudot a observé que cette ver-
sion n'est qu'une compilation de
plusieurs autres , qui n'ont rien
de commun avec celles dont se
servent les chrétiens orientaux ,
soit syriens , soit cophtes; qu'ainsi,
elle n'auroit chez eux aucune au-
torité. LUurg. orient, collectio ,
tom. I, p. 208.
11 y a une édition complète de
l'ancien Testament en arabe, qui
fut imprimée à Rome , en 1671,
par ordre de la congrégation de
propagandâ fide ; mais on a voulu
la faire cadrer avec la vulgate , et
par conséquent elle n'est pas tou-
jours conforme au texte hébreu.
Plusieurs savants pensent que
celle qui est dans les polyglottes
a été faite par Saadias Gaon, rab-
bin, qui vivoit au commencement
du dixième siècle ; en effet, Aben-
Ezra, grand antagoniste de Saadias,
cite quelques passages de sa version
qui se trouvent dans celle des po-
lyglottes ; mais d'autres pensent
que la version de Saadias ne sub-
siste plus.
En 1622, Erpénius fit imprimer
un pentateuque arabe qui fut ap-
pelé le pentateuque de Mauritanie y
parce qu'il étoit à l'usage des juifs
de Barbarie ; la version en est très-
liltérale et passe pour exacte. Déjà
en 1716, il aAoil publié à Leyde
un nouveau Testament complet
en arabe, tel qu'il l'avoit trouvé
dans un manuscrit. Avant lui ,
en i5gi , l'onavoitimpriméà Rome
les quatre Evangiles en arabe , avec
une version latine in-folio. Cette
version a été réimprimée dans les
polyglottes de Paris et de Londres,
avec quelques changements faits
par Gabriel Sionite.
Bibles cophtes. Ce sont les bibles
des chrétiens d'Egypte que l'on
appelle cophtes oucoptes ; el'cs sont
écrites dans l'ancien langage de ce
pays-là, qui est un mélange de
iîir>
f^rcc cl iri'gyplion. Il n'y a aucune
parlicdc \:ïùiôIc imprimcccncophic;
mais il y on a plusieurs en manus-
crit dans lesgraiulesbibliolhéqucs,
surtout dans celle du roi. Comme
la langue co/>///f n'est plus entendue
par les chrétiens d'Egypte, depuis
qu'ils sont sous la domination des
mahoinétans, ils lisent l'Ecriture
dans une version arabe. Quant
auxleçons tirées de l'Ecriture qu'ils
lisent dans leur liturgie , ils les
prennent dans une version coph/e
qui a été laite sur celle des septante.
L'abbé Rcnaudot juge que leur
vcrsioil cophte du nouveau Testa-
Tiient est très-ancienne ; il lui pa-
roît certain que les anciens solitai-
res de la Thébaïde n'entendoient
que le cophte, et ne pouvoientlire
l'Evangile que dans cette langue.
Il seroit bon d'avoir plus de con-
noissance que nous n'en avons de
cette version, de savoir si elle ren-
lérme tous les livres que nous re-
cevons comme canoniques: ce se-
roit un argument de plus contre
les prétentions des protestants.
Nous pouvons le présumer ainsi,
puisque les Abissins ou Ethiopiens
qui ont reçu des patriarches d'A-
lexandrie leur croyance et leurs
usages, ont dans leur bible le même
nombre de livres que nous ; c'est
du moins ce que rapporte le père
Lobo. Voyez Lebrun , Expl. des
Cérém., tom. 4, P- 535.
Bibles éthiopiennes. Les chré-
tiens d'Ethiopie , que l'on appelle
abissins, ont traduit quelques par-
tics de la bible dans leur langue ,
comme les psaumes, les cantiques,
quelques cliapitres de la Genèse ,
Ruth, Joël, Jonas, Malachie et le
nouveau Testament. Ces divers
morceaux ont été d'abord impri-
més séparément, et ensuite recueil-
lis dans la polyglotte d'Angle-
terre. Cette version [)eut avoir été
faite ou sur legrec desseptante, ou
sur le cophte qui a lui-même été
lire desseptante. Le nouveau Tes-
mil
365
inmonl di/iiopien, imprimé d'abord
à Rome en i548 , est très-inexact ;
on n'a pas laissé de le faire passer
avec toutes ses fautes dans la po-
lyglotte de Londres. Walton, Pro-
Icg. i5 , pense que cette version du
nouveau Testament a été faite sur
le texte grec , et non sur aucune
autre version ; il est persuadé ,
avec raison , que les Ethiopiens
ont une version complète de la
bible dans leur langue, qui ressem-
ble beaucoup au chaldéen , par
conséquent à l'hébreu ; mais il
n'avoit pas pu parvenir à en avoir
un exemplaire complet. Leur nou-
veau Testament renferme l'Apo-
calypse et les quatre épîtres dont
certains critiques modernes ont
voulu contester l'authenticité.
Nous parlerons ailleurs de leur
croyance et de leur liturgie. Voyez
Ethiopiens.
Bibles ap.iwéniennes. Il y a une
très-ancienne version arménienne.
de toute la bible, qui a été faite
d'après le grec des septante par
quelques docteurs de celte nation,
dès le temps de saint Jean Chry-
sostôme , vers l'an 4io , ft long-
temps avant que les Arméniens
fussent engagés dans le schisme.
Comme les exemplaires manuscrit.<;
étoient rares et chers, Ost'liam ou
Uscham , évêque d'Uschoiianch ,
l'un de leurs docteurs, fit imprimer
la bible arménienne entière , î'a?-4-°,
à Amsterdam, en 1664, et le nou-
veau Testament m-8.°. Le psautier
arménien avoit déjà été imprimé
I ong- temps auparavant. Il ne paroîl
pas que les Arméniens aient rejeté
aucun des livres que nous appelons
deulero- canoniques.
Bibles persanes. Comme le
christianisme a été florissant dans
la Perse dès le premier siècle de
l'Eglise, on présume que l'Ecriture
sainte fut traduite de bonne heure
en langue /7er.sû!ne, et quelques-unes
des Pères semblent l'insinuer ; mais
il ne reste rien de cette ancienne
36G BÎB
version que l'on suppose avoir clé
faite sur le grec des septante. Le
pentateuque persan, que l'on a im-
primé dans la polyglotte d'Angle-
terre , est l'ouvrage de R. Jacob ,
juif persan. Les quatre Evangiles
que l'on y a mis dans la mcme
langue, avec une traduction latine,
ont été traduits plus récemment ;
plusieurs critiques ont jugé que
cette version étoit très-inexacte ,
et ne valoit pas la peine d'être pu-
)>Iiée.
Bible gothique. On croit géné-
ralement que Uphilas ou Gulphi-
las, évêque des Goths qui habi-
toient dans la Rlœsie , fit dans le
quatrième siècle une version de la
bible entière pour sq.s compatriotes,
qu'il en retrancha cependant les
livres des Rois ; il craignit que la
lecture de cette histoire ne fiit dan-
gereuse pour une nation déjà trop
belliqueuse, que les guerres et les
combats dont il y est fait mention
ne fussent pour elle un prétexte
d'avoir toujours les armes à la
main. Quoi qu'il en soit , on n'a
plus rien de cette ancienne version
que les quatreEvangiles qui furent
imprimés à Dordrecht en i665 ,
d'après un très-ancien manuscrit.
RiBLE MOSCOVITE. C'est une
traduction de la bible entière en
langue esclavonne, de laquelle la
langue des Russes o\i Moscovites est
un dialecte. Elle a été faite sur le
grec , et imprimée à Ostravie ou
Ostrog en Volhinie , province de
Pologne , aux dépens de Constan-
tinBasile, duc d'Os trasie, à l'usage
des ch lé tiens qui parlent la langue
esclavonne. On ne sait pas précisé-
ment par quel auteur, ni en quel
temps cette version a été faite ; mais
elle ne peut pas être fort ancienne.
Bibles en langues vulgaires.
Le nombre en est prodigieux , et
ces traductions sont trop connues
pour qu'il soit nécessaire d'en trai-
ter enparticulier. AumotVERSiON,
nous dirons quelque chose de celles
BIB
qui ont été faites par les protes-
tants.
Sur les différentes bibles dont
nous venons de parler, i;o/c« Kor
tholt , de variis Biblior. edit. ; B.
Elias, levita; le père Morin, Exer-
cilationcs biblicœ ; Simon , JJist.
Crit. du vieux et du nouveau Tci-
/aw2en/,Dupin, Bibliot. des Auteurs
éccles. , tom. 1 ; Bibliothèque sacrée
du père Lelong , et celle que dom
Calinet a jointe à son Dictionnaire
delà bible.
Il nous reste deux mots à dire
de la division de la bible en livres,
en chapitres et en versets. Dans l'o-
rigine , le texte étoit écrit de suite
sans aucune division ; l'an SgG , un
auteur dont on ne sait pas le nom
partagea en chapitres les Epîtres
de saint Paul , et y mit des titres
qui indiquent le sujet en abrégé ,
comme l'on fait encore. L'an 4^8,
Euthalius , diacre d'Alexandrie ,
fit la même chose sur les Actes
des apôtres et sur les Epîtres ca-
noniques ; il distingua même ces
différents ouvrages en versets.
D'autres ont introduit les mêmes
divisions dans le texte des Evan-
giles , avant et après Euthalius ,
mais on n'en sait rien de certain.
Voyez Zacagni , Collect. veier. Mo-
num. Ecclesiœ grœcœ et latinœ ,
in-4.°, Bornœ, 1698.
Quant à la division des livres de
l'ancien Testament en chapitres et
en versets, elle est beaucoup plus
moderne ; elle n'a été faite qu'au
treizième siècle , lorsque l'on a
dressé les concordances de la bible.
Voyez Concordance.
Par conséquent cette division ne
fait pas loi ; si, pourtrouver le vrai
sens d'un passage il faut réunir
deux versets séparés , ou diviser
par une nouvelle ponctuation une
phrase réunie dans un seul verset,
cela est très-permis , à moins que
le sens différent ne soit fixé par la
tradition. L'Eglise, en déclarant l.i
vulga te authentique, n'a pas décidé
que la poitcluatioii et l'arrange-
iiienl des versets sont une chose
sacrée, à latpielle il n'est pas permis
(le toucher.
BIBLIOTHÈQUE. Ou a ainsi
nommé , non-sculcment les lieux
dans lesquels on a rassemblé des
livres, mais les recueils ou catalo-
gues d'auteurs et d'ouvrages d'un
certain genre. 11 en est deux ou
trois dont un théologien doit avoir
connoissance ; telle est la Biblio-
thèque sacrée du père Lelong de
l'oratoire, dans laquelle ce savant
donne la notice de tous les auteurs
qui ont travaillé ou sur l'Ecriture
sainte en général ou sur quelqu'une
de ses parties. Le père Desmolets
l'a publiée en 1723 , en deux vo-
lumes in-folio. En second lieu , la
Bibliothèque des auteurs ecclésias-
tiques ; le docteur Dupin en a lait
une trés-ample en cinquante-huit
vol. 1/1-8.0, et dom Rémi Cellier ,
bénédictin , une plus exacte en
vingt-quatre volumes in-^.° sous
le titre à" Histoire des Auteurs ecclé-
siastiques. Il y en a une de Guil-
laume Cave , savant Anglois , en
deux volumes in-folio; et une trés-
abrégée de Grandcolas , en deux
vol. 1/2-12.
La Bibliothèque de Phoiius, com-
posée au neuvième siècle , est pré-
cieuse ; parce qu'il y a donné un ex-
trait d'un grand nombre d'ouvrages
d'anciens auteurs, soit ecclésiasti-
ques,soit profanes, qui sont perdus.
BIBLIQUE , terme que les théo-
logiens emploient pour désigner un
genre de méthode et de style con-
forme à celui de l'Ecriture sainte.
A la naissance de la théologie
scoiaslique, au douzième siècle, les
docteurs chrétiens se partagèrent
en deux classes ; ceux qui conti-
nuèrent à prouver les dogmes de
la foi par l'Ecriture sainte et par
la tradition , furent nommes doc-
iorcs biblici , posilivi , vcteres j les
lîm 367
autres furent appelés dnctorcs sen-
tentinrii, et «of/, parce qu'ils .s'atta'
choient principalement à expliquer
les sentences de Pierre Lombard ,
et à prouver leurs opinions par
des raisonnements philosophiques.
Ceux-ci se croy oient fort supé-
rieurs aux premiers , et s'attiroient
toute la considération ; mais ils
furent vivement attaqués par leurs
adversaires. Guibert,abbé de No-
gent, Pierre, abbé de Moutier-la-
Celle, Pierre le Chantre, docteur
de Paris , Gauthier et Richard de
Saint- Victor, écrivirent avec cha-
leur contre les scolastiques , et les
accusèrent d'altérer la foi chré-
tienne; cette dispute fit grand bruit,
surtout dans les universités de
Paris et d'Oxford et continua pen-
dant le treizième siècle. GrégoirelX,
pour arrêter ce désordre , écrivit
aux docteurs de Paris : « Nous
« vous ordonnons et vous enjoi-
» gnons rigoureusement d'ensei-
» gner la pure théologie sans aucun
» mélange de science mondaine ,
» de ne point altérer la parole de
» Dieu par les vaines imaginations
» des philosophes , de vous tenir
» dans les bornes posées par les
» Pères , de remplir les esprits de
» vos auditeurs de la connoissance
» des vérités célestes , et de les faire
» puiser à la source du Sauveur. »
Du Boulay, Hist. Acad. Paris. ,
tom. 3, p. 129.
A la renaissance des lettres, le3
théologiens sont revenus à la mé-
thode des Pères , mais sans aban-
donner entièrement celle des sco-
lastiques , qui met plus d'ordre et
de netteté dans les discussions des
matières. Voyez Scolastique.
BIBLISTES,nom donné par quel-
ques auteurs aux hérétiques qui
n'admettent que le texte de la bible
ou de l'Ecriture sainte, sans aucune
interprétation, qui rejettent l'au-
torité de la tradition et celle do
l'Eglise, pour décider les conlro-
368 BIE
verses de la Religion. Plusieurs
protestants sensés ont tourne, en
ridicule cet entêtement , et l'ont
appelé bibliomanie, parce qu'il dé-
génère fort aisément en fanatisme.
C'est une absurdité de prétendre
que tout fidèle qui sait lire , est suf-
fisamment en état d'entendre le
texte de l'Ecriture sainte, pour y
conformer sa croyance. C'est un
excellent moyen pour former au-
tant de religions que de têtes. Voyez
Ecriture sainte.
BIEN, MAL, dans l'ordre physi-
que; termes relatifs, et qu'il faut
s'abstenir de prendre dans un sens
absolu.
Il est dit dans l'histoire de la
création :,« Dieu vit tout ce qu'il
»> avoit fait, et tout étoit bien ou
>) très-bon. » Gen. , c. i , }if. 3i.
Est-ce à dire que les créatures sont
sans défaut t Elles seroient égales à
Dieu; le bien absolu, c'est l'infini.
Nous nommons bien ce qui nous
est utile et conforme à nos désirs ;
mais nos désirs ne sont pas tou-
jours justes et sages ; ce qui est un
bien pour nous est souvent un mal
pour d'autres.
Les créatures son\.bien loi-squ'el-
les correspondent à la fin pour la-
quelle Dieu les a faites ; c'est donc
une bonté relative ; elles nepeuvent
être bonnes on bien dans un autre
sens : il ne s'ensuit point qu'il n'en
puisse résulter un mal relatif dans
plusieurs circonstances , et que
Dieu n'en eût pu faire de meilleu-
res. Puisque toute créature est
essentiellement bornée , il est im-
possible qu'elle ne soit bonne et
maTivaise, un bien et un 772a/, sous
différents aspects.
Tout est doncbien , relativement
au dessein que Dieu s'est proposé ;
mais tout pourroit être mieux ,
parce que la puissance du Créa-
teur est infinie ; tout est mal aux
yeux des incrédules, parce que rien
n'est conforme à leurs désirs ;
BIE
mais ces désirs même sont un mal,
parce qu'ils ne sont conformes ni
à la volonté de Dieu, ni à la raison.
Dans l'hypothèse de l'athéisme,
du matérialisme , de la fatalité , 1
rien n'est positivement ni bien ni
mal, puisque rien ne peut être au-
trement qu'il est ; il n'y a plus ni
ordre ni désordre , puisqu'il n'y a
point d'intelligence suprême qui
ait rien ordonné.
Toutes les objections des mani-
chéens répétées par Bayle et par
les athées sur l'origine du mal, ne
sont que des sophismes ; ils con-
fondent le bien et le mal relatifs
avec le bien et le mal absolus. Si
Bayle avoit lu saint Augustin avec
plus d'attention , il auroit vu que j
ce Père a très-bien saisi le point '
de la difficulté, et a fondé ses ré-
ponses sur un principe évident :
« Quelques biens que Dieu fasse ,
» dit-il , il peut toujours faire
» mieux , puisqu'il est tout-puis-
» sant ; il n'y a donc aucun degré
» de bien qui ne soit un mal , en
» comparaison d'un degré supé-
» rieur: où faudra-t-il nous arêter?»
Epist. 184 , c. 7 , n. 22. L. contra
Episi. fundam. , c. 25, 3o, 87, etc.
Voilà ce que Bayle et ses copistes
n'ont jamais voulu concevoir. ;
Ils disent qu'un être souveraine- J
ment puissant et bon n'a pu faire du ^
mal. S'ils e.nicnàtnX. un mal absolu,
cela est vrai. Mais où est dans Je
monde le mal absolu ? Il n'y en a
pas plus que de bien absolu. S'ils
entendent par wiaZ un bien moindre
qu'un autre, leurprincipe est faux.
Un être souverainement puissant et
bon a pu, sans déroger à sa bonté,
faire un bien moindre qu'un autre
bien. Si l'on s'obstine à soutenir
qu'il a du faire le plus grand bien
qu'il a pu, on tombe dans l'absur-
dité :Dieu ne seroit pas tout-puis-
sant, s'il ne pouvoitpas fairemieux
que ce qu'il a fait.
Tous les sophismes que les an-
ciens et les modernes ont faits sur
BIK
Torigine du mal , ont été fondés
sur cette équivoque et sur la com-
paraison fautive qu'ils ont faite
entre la bon té jointe à une puissance
infinie , et la bonté des créatures
jointe à une puissance très-bornée.
Ils ont fait le même abus des mots
bonheur et malheur. Le bonheur est
l'état habituel du bien-être ; celui
dont nous sommes capables ici-bas
est nécessairement borné, non-seu-
lement dans sa durée, mais en lui-
même , par conséquent mélangé de
mal et deprivation; quelque parfait
que l'on puisse l'imaginer, la certi-
tude dans laquelle nous sommes de
le voir finir un jour , suffit pour y
répandre l'amertume : il n'y a point
de bonheur absolu que le bonheur
éternel.
Les idées de bonheur et de mal-
heur sont donc encore des notions
purement relatives , et non des
idées absolues ; un état habituel
quelconque est censé heureux ,
quand on le compare à un état
moins avantageux et moins agréa-
ble ; il est réputé malheureux en
comparaison d'un état dans lequel
on goilteroit plus de plaisir et où
l'on sentiroitmoins de privations.
Entre le bonheur absolu qui est
celui de l'éternité , et le malheur
absolu qui est la damnation , il y
a une échelle immense d'états qui
ne sont le bonheur ou le malheur
que par comparaison ; quel que
soit celui de ces états dans lequel
un homme se trouve , il n'est ni
absolument heureux ni absolument
malheureux. Les détracteurs de la
Providence ont beau répéter que
homme est malheureux en ce monde,
cela signifie seulement qu'il est
moins heureux qu'il ne pourroit
et ne voudroit l'être, et il ne s'en-
suit rien contre la bonté de Dieu ;
puisque cette bonté ne peut jamais
s'étendre jusqu'à rendre l'homme
aussi heureux actuellement qu'il le
peut et le veut être.
Quand un homme seroit habi-
HIK 30.)
luelleraent exempt de toute souf-
france , et dans un sentiment con-
tinuel de plaisir , cela ne suffiroit
pas pour le rendre absolument
heureux , à moins qu'il ne fût cer-
tain que ce sentiment ne finira o»
ne diminuera jamais. Or un senti-
ment de plaisir trop vif ou conti-
nué trop long-temps, dégénère en
douleur et devient insupportable.
Ainsi les objections tirées du
prétendu malheur des êtres sensi-
bles , ou de leurs souffrances , ne
prouvent pas plus contre la pro-
vidence et la bonté de Dieu , que
celles que l'on veut tirer de î'ijni-
pcrfection ou des défauts des créa-
tures. Voj^ez Mal , RLvnichéisme.
BIEN ET MAL MORAL. C'est ce
que l'on appelle en d'autres termes
bonté et méchanceté des actions hu-
maines. S'il n'y avoit point de loi
suprême émanée de la volonté de
Dieu , souverain législateur , il n'y
auroit dans nos actions ni bien ni
wîaZ/Tïora/. Lorsqu'une action quel-
conque seroit bonne et utile pour
nous , nous serions dispensés de
savoir si elle est nuisible à d'autres.
Le bien moral, c'est ce qui est
conforme à la loi éternelle qui nous
est intimée par la raison et par la
conscience ; le mal moral , ce qui
est contraire ou à cette loi ou à la
loi divine positive.
Il est dit dans l'Ecriture que
Dieu , en créant nos premiers pa-
rents , leur donna l'intelligence ,
leur montra le bien et le mal. Eccli. ,
c. 17 , ^. 5. Il ne pouvoit leur
donner cette connoissance qu'en
leur imposant une loi ; sans loi , il
n'y a plus de devoir ou à^ obligation
morale, plus de bonne œuvre ni de
péché ; il n'y a plus ni vice ni vertu.
Voyez ces articles.
Les théologiens observent que
parmi les actions libres de l'hom-
me , il y en a qui sont bonnes
ou mauvaises, précisément parce
q^u'clles sont coromanàées ou dé-
a4
370
BIE
feiudues ; d'autres qui sont bonites
ou mauvaises en plles-memcs ^ cl
abstraction faite de toute loi qui
les commande ou les défend ; con-
aéquemment ils distinguent la bon-
té et la mcchanceléjfondaTnentale
de certaines actions d'avec la bonté
et la méchanceté formelle. Ainsi ,
disent -ils, l'action de manger îe
sang des animaux, dans les premiers
âges du monde, n'étoit pas un crime
enelle-même, maisseulementparce
que Dieu l'avoit défendue i l'obser-
vation du sabbat n'étoit un acte
devertu que parce que Dieu l'avoit
commandée par un précepte posi-
tif. Au contraire , aimer Dieu et le
prochain sont des actions essen-
tiellement bonnes et louables , in-
dépendamment de toute loi ; Dieu
n'a donc pas pu se dispenser de les
cominander à l'homme : le blas-
phème , le meurtre , le parjure ,
sont des actions essentiellement
et fondamentalement mauvaises ,
que Dieu n'a pas pu se dispenser
de défendre. Les actions fondamen-
talement bonnes ou mauvaises sont
l'objet delà loi naturelle; les autres
sont l'objet des lois positives , lois
que Dieu étoit libre d'établir ou de
ne pas établir.
La bonté fondamentale d'une
action est donc sa conformité avec
ce qu'exige la souveraine perfection
de Dieu , ou avec le diclamen de
la sagesse divine ; la bonté formelle
est sa conformité à la loi. La mé-
chanceté fondamentale d'une ac-
tion est l'opposition à cette même
sagesse divine , qui a dicté à Dieu
ce qu'il devoit commander ou dé-
fendre ; la méchanceté formelle
d'une action est son opposition à
la loi.
Cette distinction subtile a pu
être nécessaire pour mettre plus de
précision dans nos idées, mais les
incrédules en ontétrangementabu-
sé ; Bayle en a conclu que dans le
système même de l'athéisme, et
indépendamment de la notion de
BIE
Dieu , il peut y avoir du bien et du
mal moral ; les matérialistes ont
suivi la même théorie pour fonder
dans leur système une prétendue
moralité de nos actions. Ils disent
que la bonté morale d'une action
est sa conformité avec ce qu'exige
la nature humaine , avec ses be-
soins , avec son intérêt bien enten-
du , ou avec l'intérêt général de
tous , conséquemment avec le dic~
iamen de la raison et de la con-
science ; que la méchanceté morale
est l'opposition d'une action à ces
mêmes objets. Soit, disent -ils ,
qu'il y ait un Dieu , ou qu'il n'y en
ait point , certaines actions sont
par elles-mêmes conformes ou op-
posées au bien général de l'huma-
nité ; c'en est assez pour qu'elles
soient censées moralement bonnes
ou mauvaises.
Mais n'est-ce pas là se jouer des
termes i i .° Si la nature de l'homme
n'est pas différente de celle des
animaux , comment ses besoins ,
son intérêt, son avantage, peuvent-
ils être une règle des mœurs , une
loi proprement dite ? Parmi les ac-
tions des animaux , il en est (jui
sont conformes à leurs besoins , à
leur conservation, à leur bien-être,
par conséquent à leur intérêt et à
leur nature ; d'autres qui y sont
opposées , comme de se blesser ,
de se tuer , de se dévorer; cepen-
dant on ne s'est pas encore avisé
d'imaginer à leur égard une règle
des mœurs , une loi naturelle, une
obligation morale , ni de leur at-
tribuer des actes de vertu ou des
crimes. La théorie des matérialistes
peut bien fonder une bonté ou une
méchanceté animale ; mais bâtir
sur cette base le bien et le mal mo-
ral, c'est une dérision et une ab-
surdité.
2.° Une action peut être con-
forme à mes besoins , à mon inté-
rêt , à- mon bien-être , sans que je
sois obligé pour cela de la faire ,
quand même elle ne nuiroit à per-
BIE
sonne ; il est des circonstances dans
lesquelles il est très-louable de res-
treindre nos besoins, de résistera
l'appétit , de réprimer un penchant
violent, de souffrir une privation
ou une douleur ; c'est un acte de
vertu , puisque c'est un effet de la
ionie de l'àme. Le droit de faire une
action n'est pas toujours un devoir,
elle peut m'ctre permise sans m'être
commandée ; il n'est donc pas vrai
que la bonté morale , ou l'idée de
vertu dans une action , consiste
dans sa conformité avec nos be-
soins, nos intérêts, notre bien-être,
notre sensibilité physique.
3.° Les matérialistes affectent ici
de confondre l'intérêt particulier
d'un homme avec l'intérêt général
de l'humanité, c'est une superche-
rie ; souvent ces deux intérêts sont
très-opposés. Comment prouve-
ront-ils que je suis obligé de pro-
curer le bien général préférable-
ment à mon bien personnel , de
sacrifier ma vie pour conserver
celle de mes concitoyens , de me
priver d'un plaisir sensuel dans la
crainte de nuire à quelqu'un ? Mes
besoins, mon intérêt, mon bien-
être se bornent à moi ; en vertu
de quelle loi dois-je les faire céder
à ceux des autres : S'il n'y a point
de maître ni de législateur qui me
l'ordonne, je suis à moi-même
mon unique et ma dernière fin ;
les autres ne me touchent qu'au-
tant qu'ils peuvent servir à mon
bonheur. On me parle d'un intérêt
bien entendu: mais c'est à moi seul
de l'entendrebien ou mal ; et quand
je l'entendrois mal , ce seroit une
erreur et non un crime.
4.° Parce que la sagesse de Dieu
exige ({u'il commande ou défende
telle action , il ne s'ensuit pas qu'il
y est obligé par une loi antérieure
et indépendante de sa volonté ; si
Dieu n'avoit rien voulu créer, où
seroit la loi qui l'y auroit forcé ?
Cela ne signifie rien , sinon que
Dieu se contrcdiroil lui-même , si ,
en créant l'homme , il ne lui im-
posoit pas telle loi : or un être in-
finiment sage ne peut pas être en
contradiction avec lui-même.
Les déistes ont encore abusé de
la distinction faite par les théolo-
giens , en soutenant que Dieu ne
peut pas commander ou défendre
par des lois positives deschoses qui
sont en elles-mêmes indifiérentes ;
c'est une erreur , puisque Dieu ,
par ses lois positives, rend l'obser-
vation de la loi naturelle plus siàre,
et en prévient la transgression ;
ainsi la défense de manger du sang
avoit pour objet d'inspirer à l'hom-
me l'horreur du meurtre , et la loi
du sabbat étoit une leçon d'huma-
nité , qui obligeoit l'homme à don-
ner du repos aux esclaves et même
aux animaux. Deut , c. 5 , y.. 14.
Appellera-t-on bien moral ce qui
est conforme à la raison ? La raison
nous montre ce qui est bien oximal,
mais ce n'est pas elle qui le rend
tel ; d'ailleurs qui nous oblige à
suivre notre raison plutôt que
notre appétit ? Ce qui est confor-
me à notre conscience ? Même ré-
flexion ; si la conscience ne nous
montre pas une loi , nous en serons
quittes pour l'étouffer. Ce qui nous
est avantageux à tous égards ? Notre
avantage n'est pas une loi ; en y
renonçant nous serons peut - être
insensés , mais nous ne serons pas
criminels.
La révélation nous a donc donné
la vraie notion du bien et du mal
moral, ou de la moralité de nos
actions , en nous montrant Dieu
comme un souverain législateur ,
qui a exercé cette auguste fonction
dès la création. En s'écartant de
cette idée lumineuse et primitive,
les philosophes ont vainement dis-
puté sur la règle des mœurs ; ils
n'ont trouvé que des erreurs et des
ténèbres. F. Conscience , Devoir,
Loi NATURELLE,
Une grande question est de sa-
voir si un Dieu bon , juste, saint,
372 BI£
a pu permettre le rnal moral, s'il
n'a pas du le prévenir et Tempc-
cher ; nous la traiterons à l'article
Mal.
BIENS. Vo/ez Richesses.
Biens ecclésiastiques. Voy, Bé-
néfices.
BIENFAITS DE DIEU. L'Ecri-
ture sainte nous dit que Dieu a
béni tous ses ouvrages , qu'il ne
néglige aucune de ses créatures ,
qu'il est bon et bienfaisant à l'égard
de tous les hommes , que ses misé-
ricordes se répandent sur tous sans
exception. Gen. , c. 5 , ^. a ; Sap.,
c. II , f. 25 ; Ps. i44, f. g.
C'est une des vérités dont il nous
importe le plus d'être persuadés.
Il faut distinguer les bienfaits de
Dieu dans l'ordre physique et dans
l'ordre moral ; ces derniers sont
ou naturels ou surnaturels. Tout ce
qui peut contribuer au bien-être
d'une créature sensible , dans l'or-
dre physique , est sans doute un
bienfait. Indépendamment de la
multitude des êtres destinés dans
l'univers à notre usage , il est des
bienfaits personnels accordés à cha-
que particulier, comme des orga-
nes sensitifs bien conformés ,' un
tempérament robuste , une santé
constante , un caractère toujours
égal , etc. ; sans cela l'homme ne
jouit qu'imparfaitement des êtres
créés pour lui. Un esprit juste et
droit , des passions calmes , un
goiit inné pour la vertu , sont dans
l'ordre moral des avantages inesti-
mables.
Tous ces dons sont distribués
aux hommes avec beaucoup d'iné-
galité ; il n'est peut-être pas deux
individus qui les possèdent dans la
même mesure ; les tempéraments
sont aussi variés que les visages ;
mais il n'est personne qui ne par-
ticipe , plus ou moins , aux bien-
faits de Dieu dans l'ordre physique
tel dans l'ordre moral.
151E
Quand on y regarde de près ,
l'inégalité ne se trouve plus aussi
grande qu'elle le paroît d'abord ;
Dieu a tellement ménagé et com-
pensé ses dons , que personne n'a
lieu de «e plaindre. Quel est l'hotn-
me sensé qui vOudroit changer son
existence prise dans sa totalité con-
tre celle d'un autre homme quel-
conque ? En général chacun est
content de soi ; il n'a donc pas droit
d'être mécontent de Dieu. Mais se»
bienfaits sont nuls pour quiconque
n'en sent pas le prix ; c'est la sa-
gesse , la reconnoissance , le bon
esprit, et non la quantité des biens,
qui nous rendent heureux. Les dé-
sirs vagues du mieux être sont un
égarement de l'imagination ; pres-
que toujours nous aurions sujet
de nous affliger , si Dieu exauçoit
nos vefeux.
Les bienfaits surnaturels sont
tous les moyens intérieurs ou exté-
rieurs de parvenir au salut éternel.
Voyet Grâce.
L'essentiel est de savoir , à l'é-
gard des uns et des autres , que la
bonté infinie de Dieu n'exige point
qu'elle nous les accorde plus abon-
damment qu'elle ne fait ; que sa
justice ne consiste point à les dis-
tribuer également à tous , mais à
ne demander compte à chaque par-
ticulier que de ce qu'il lui a donné.
Ces deux vérités bien comprises
épargneroient au commun des
hommes une infinité de murmu-
res injustes , et aux philosophes
un grand nombre de faux raison -
nements. Voyez Bonté , Justice ,
Egalité.
BIENHEUREUX. En théologie ,
ce terme signifie ceux auxquels une
vie pure et sainte ouvre le royaume
des cieux. Qui pourroit peindre le
ravissement d'une âme qui , dé-
tachée tout à coup des liens du
corps , et débarrassée du voile qui
lui dérobe la Divinité , se trouve
admise à contempler cette divine
BIG
essence , à voir Dieu tel qu'il csl ,
à puiser le bonheur dans sa source
mênr.e ? « Nous serons semblables
M à lui, dit saint Jean , parce que
» nous le verrons tel qu'il est. »
J. Joan. , c. 3 , ^. 2. « Vos saints ,
» Seigneur, seront enivrés de l'a-
» bondancc de vos biens , vous les
»> abreuverez d'un torrent de déli-
»• ces , et les éclairerez de votre
^ propre lumière. » Fs. 33 , "^ . g.
Là disparoissent les contradictions
apparentes des mystères dont la
hauteur étonne notre raison ; là se
développe toute l'étendue de l'a-
mour de Dieu pour nous , et la
multitude de %e.& bienfaits ; là s'al-
1 urne dans l'àme cet amour immense
qui ne s'éteindra )amais , parce que
l'amour de Dieu pour elle sera son
aliment éternel.
Bienheureux se dit encore de
ceux auxquels l'Eglise décerne un
culte public , mais subordonné à
celui qu'elle rend aux saints qu'elle
a canonisés. La béatification est un
degré pour arriver à la canonisa-
tion. Vojez ces articles.
BIGAME , BIGAMIE. On a sou-
vent reproché de nos jours aux
Pères de l'Eglise la sévérité avec
laquelle ils ont condamné la biga-
mie ou les secondes noces , soit des
hommes , soit des femmes ; on a
blâmé les canons qui défendent
d'élever aux ordres sacrés un biga-
me, c'est-à-dire , un homme qui
a eu successivement deux femmes ,
ou qui a épousé une veuve. Cette
rigueur , dit-on , semble avoir at-
taché une note d'infamie aux se-
condes noces, qui, dans le fond, ne
sont pas plus criminelles que les
premières. Barbeyrac , Traiié de la
morale des Pères , c. 4 j § '4 > *t<^-
Si on vouloit se rappeler quelle
ptoit la dépravation des mœurs du
jiaganisme , on sentiroil mieux la
sngesse des Pères et de la discipline
de l'Eglise. La licence du divorce
avoil fait du mariage une vraie
lilG 373
prostitution. L'adultère servoSt de
gage pour de secondes noces ; c'est
Sénèque qui nous l'apprend , di
Benef., liv. i , c. 9. Les fiançailles
les plus honnêtes, dit-il , sont l'a-
dultère, et dans le célibat du veu-
vage personne neprend une femme
qu'après l'avoir débauchée à son
mari.
Pour rendre au mariage sa sain-
teté primitive , il falloit nécessai-
rement inspirer aux fidèles la plus
haute estime pour la continence ,
soit dans l'état de virginité , soit
dans le veuvage : un excès de cor-
ruption ne pouvoit être corrigé que
par une très-grande sévérité. S'il y
a quelque chose d'étonnant , c'est
que la morale chrétienne ait pu
avoir assez de force pour changer
ainsi les idées sur un point de la
plus grande importance pour les
mœurs , et qu'une discipline aussi
austère ait pu s'établir chez des
peuples qui , autrefois , n'atta-
choient aucun mérite à la chasteté.
On a beau dire que ces idées d'une
perfection chimérique peuvent di-
minuer le nombre des mariages et
nuire à la population. Le christia-
nisme, loin de produire ce mauvais
effet , fit tout le contraire. Ce n'est
pas la sainteté des mariages qui les
rend stériles, c'est leur corruption.
Sans les iléaux qui fondirent sur
l'empire romain , lorsque le chris-
tianisme y fut dominant , la popu-
lation, réduite à rien par les mœurs
du paganisme , par des lois absur-
des , par un gouvernement despoti-
que, se seroit certainement rétablie
par la sainteté même de la morale
de l'Evangile. Toutes choses égales
d'ailleurs , il n'est point de nations
chez lesquelles la population fasse
plus deprogrèsque chezles nations
chrétiennes.
On sait d'ailleurs , par une ex-
périence constante , que quand les
veufs de l'un ou de l'autre sexe, qui
ont des enfants, se remarient, ceux-
ci ont peine à le pardonner ; ils
3/4 BIG
ne se voient qu'avec une extrême
répugnance réduits à plier sous les
lois d'un beau-pére ou d'une ma-
râtre , et ils ne voient naître qu'a-
vec beaucoup de regret des enfants
d'un second lit : le même inconvé-
nient avoit 1 ieu sans doute pendant
les premiers siècles ; il n'est donc
pas étonnant que les Pères aient
fort recommandé la continence
dans le veuvage.
Mais on leur reproche de s'être
servis d'expressions trop fortes :
Athénagore dit que les secondes
îîoces sont un honnête adultère ;
l'auteur de i'ouvrage imparfait sur
saint Matthieu , que l'on a cru faus-
sement être saint Jean-Chrysostô-
me, prétend qu'elles sont en elles-
mêmes une vraie fornication ; mais
que comme Dieu les permet , lors-
qu'elles se font publiquement, elles
cessent d'être déshonnêtes. De là
Barbeyrac conclut que, selon quel-
ques docteurs chrétiens, l'honnête
et le déshonnête , le bien et le mal ,
dépendent d'une volonté de Dieu
purement arbitraire.
Si l'on veut faire attention au
passage de Sénèque que nous avons
cité , l'on verra qu'Athénagore
parle des secondes noces telles
qu'elles se faisoient communément
chez les païens ; et ce n'est pas sans
raison que les Pères de l'Eglise vou-
loienl inspirer aux chrétiens l'hor-
reur de ce désordre. Quant à l'au-
teur de l'ouvrage imparfai t sur saint
Matthieu , on sait qu'il est juste-
ment suspect de montanisme et de
manichéisme , deux hérésies qui
attaquoient la sainteté du mariage
en général ; c'est par la même rai-
son que TertuUien, devenu monta-
niste, condamna les secondes noces
avec la naême rigueur. Mais la con-
séquence que Barbeyrac en tire est
absurde ; il reconnoît lui - même
que l'Evangile condamne plusieurs
choses que Dieu avoit permises ou
tolérées chez les Hébreux , comme
le divorce; s'ensuit- il de \h que le
BLA
bien et le mal moral dépendent
d'une volonté arbitraire de Dieu ?
11 est faux que la bigamie ait été
mise au nombre des irrégularités
ecclésiastiques , seulement pour
une raison mystique , comme on
le dit dans le Diciionnaire de Juris-
prudence; elle l'a été pour les rai-
sons que nous venons d'alléguer.
BIGOT. Quelle que soit l'origine
de l'étymologie de ce terme , il
signifie un dévot superstitieux , et
l'on nomme è/g-o/ene, une piété mal
dirigée et peu éclairée. Mais l'abus
que les incrédules et les mauvais
chrétiens font de ce mot , pour in-
spirer le mépris delà piété en géné-
ral , ne doit en imposer à person-
ne ; ce sont de mauvais juges qui
ne connoissent ni la religion ni la
vertu.
BISSACRAMENTAUX , nom
donné par quelques théologiens à
ceux des hérétiques qui ne recon-
noissent que deux sacrements , le
baptême et l'eucharistie ; tels que
sont les calvinistes.
BLASPHEME , se dit en général
de tout discours ou écrit injurieux
à la majesté divine ; mais dans l'u-
sage ordinaire on entend spéciale-
ment sous ce terme les jurements et
les impiétés contre le saint nom de
Dieu.
Les théologiens disent que le
blasphème consiste à attribuer à
Dieu quelque qualité qui ne lui
convient pas , ou à lui ôter quel-
qu'un des attributs qui lui con-
viennent.
Selon saint Augustin , toute pa-
role injurieuse à Dieu est un blas-
phème : Jam verà blasphemia non
acdpHur , nisi mala verba de Deo
dicere. De morib. Manich. , lib. 2 ,
c. II. C'est donc un blasphème de
dire , par exemple , que Dieu est
injuste ou cruel. Il n'est guère
d'hérésies qui ne donnent lieu à
BLA
desi?«5/?/<cmcs,toulc opinion fausse
touchant la nature de Dieu ou la
conduite de sa providence entraîne
infailliblement des conséquences
injurieuses à Dieu.
BLASPHEMATEUR , celui qui
prononce un blasphème. Ce crime
a toujours été sévèrement puni par
l;i justice humaine, soit dans l'an-
cienne loi , soit dans le christianis-
me ; chez les Juifs , les blasphéma-
teurs étoient punis de mort.im/jc,
cap. a4' Sur cette loi , très-mal
appliquée, Jésus-Christ fut con-
damné à mort, parce qu'il assuroit
qu'il étoit le Fils de Dieu. ikfattA.,
c.ti^.S 66.
Les lois de saint Louis et de plu-
sieurs autres de nos rois condam-
nent les blasphémateurs à être mis
au pilori , à avoir la langue percée
avec un fer chaud , par la main du
bourreau. Pie V , dans des règle-
ments faits sur la même matière ,
en i566, condamne les blasphé-
mateurs à une amende pour la pre-
mière fois, au fouelpour la seconde,
si le criminel est un laïque ; s'il est
ecclésiastique , ce pontife veut qu'à
la troisième il soit dégradé et envoyé
aux galères. La peine la plus ordi-
naire aujourd'hui est l'amende ho-
norable et le bannissement.
Les incrédules de nos jours doi-
vent se féliciter de ce que ces lois
ne sont pas exécutées : personne
n'a vomi autant de blasphèmes
qu'eux contre Dieu, contre Jésus-
Christ , contre tous les objets de
notre culte ; mais pour suivre les
loisàlaletlre, il faudroit punir un
trop grand nombre de coupables.
BLASPHEMATOIRE , qui ren-
ferme ou exprime un blasphème.
C'est ainsi que l'on qualifie une
p roposilion qui attribueàDieu une
conduite contraire à ses divines
perfections , et qui est capable de
diminuer le respect que nous de-
vons à sa majesté suprême. Ainsi
BLA 375
la cinquième proposition de Jan-
sénius , conçue en ces termes : C'est
une erreur scmipélagienne de dire que
Jésus-Christ est mort ou a répandu
son sang pour tous les hommes ,
entendue dans ce sens , que Jésus-
Christ n'est mort que pour le salut
des prédestinés , est déclarée blas-
phématoire dans la condamnation
que le pape Innocent X en a faite.
En effet , cette proposition suppose
non-seulement que Jésus-Christ a
manqué de charité pour le très-
grand nombre des hommes , mais
qu'il nous a trompés en se faisant
appeler Sauveur du monde, agneau
de Dieu qui efface les péchés du
monde , victime de propitiation
pour les péchés du monde entier ,
etc.
Le cardinal de Lugo distingue
deux sortes de propositions blas-
pliémaioires , les unes qui joignent
au blasphème une hérésie claire-
ment énoncée , les autres dans les-»
quelles l'hérésie n'est pas formel-
lement exprinnée. Disp. 20 , de Fide,
sect. 3 , n. 100.
Il est peu d'hérésies qui n'en-
traînent des conséquences blasphé-
matoires, des conséquences inju-
rieuses à la bonté , à la justice, à la
sainteté de Dieu. Les plus anciens
hérétiques craignoient , disoient-
ils , de blasphémer , en supposant
que le Fils de Dieu avoit été sujet
aux misères et aux souffrances de
l'humanité ; mais ils retomboient
dans ce précipice, en disant qu'il
n'avoiteu qu'un corps fantastique,
et qu'il avoit fait illusion aux sens
de tous les hommes pour les trom-
per. Les ariens blasphémoient , en
soutenant que le Fils de Dieu étoit
une simple créature ; les mani-
chéens , en disant que le Dieu bon
avoit été forcé à permettre le mal
produit par un mauvais principe ;
les pélagiens , en expliquant la ré-
demption dans un sens métapho-
rique ; les défenseurs des décrets
absolus de prédestination et de ré-
376 BOG
probation , fn attribuant à Dieu
une conduite odieuse et tyranni-
que, etc. ; tous en supposant que
Jésus-Christ n'a pas daif^né veiller
sur son Eglise , pour la préserver
de l'erreur.
BOECE. Nous ne pouvons nous
dispenser de mettre au nombre
des écrivains ecclésiastiques cet
homme célèbre par ses talents , par
ses vertu» et par ses malheurs.
Après avoir été élevé au comble
des honneurs , et avoir joui d'une
prospérité éclatante sous Théodo-
ric , roi des Goths , il finit sa vie
dans les supplices, l'an SaS , parce
qu'il tâchoit d« soutenir la dignité
du sénat de Rome contre le despo-
tisme de ce roi
Boèce avoit écrit un traité théo-
logique contre les erreurs d'Euty-
chès et contre celles de Nestorius ,
et un autre sur la Trinité , dans
lesquels il soutenoit le dogme ca-
tholique. Dans sa Consolation de la
philosophie , qu'il composa dans sa
prison, il parle dignement de la
prescience et de la providence de
Dieu. La meilleure édition de ses
ouvrages est celle de Leyde , avec
les notes variorum, in-S.", en 1671.
BOGARMILES , BOGOMILES
ou BONGOMILES , secte d'héré-
tiques , sortis des manichéens ou
pauliciens , et selon d'autres , des
massaliens , qui se firent connoître
à Constantinople au commence-
ment du douzième siècle , sous le
règne d'Alexis Comnène. Selon
Ducauge , leur nom est dérivé de la
langue bulgare ou esclavonne, dans
laquelle Bog signifie Dieu, eimilvi,
ayez pitié; il désignoit des hommes
qui se confient à la miséricorde de
Dieu.
Sous ce titre imposant , les bo-
gomiles enseignoient une doctrine
irès-impie, et joignoient une partie
des erreurs des manichéens à celles
des massaliens ou euchites. Ils di-
lîOG
soient que ce n'est pas Dieu , mais
un mauvais démon qui a créé le
monde ; que Jésus -Christ n'a eu
qu'un corps fantastique. Ils nioient
la résurrection des corps , et n'en
admettoient point d'autre que la
résurrection spirituelle par la pé-
nitence. Ils rejetoient l'ancieii Tes-
tament, à la réserve de sept livres,
l'eucharistie et le sacrifice de la
messe ; soutenoient que l'oraison
domiinicale , qui étoit leur seule
prière, étoit aussi la seule eucha-
ristie. Ils méprisoient les croix et
les images , assuroient que le bap-
tême des catholiques n'étoit que
le baptême de saint Jean , et qu'eux
seuls administroient le baptême de
Jésus-Christ ; ils condamnoient le
mariage. On leur attribue encore
d'autres erreurs sur le mystère de
la sainte Trinité. Un de leurs chefs,
nommé Basile, médecin de profes-
sion , aima mieux se laisser brûler
à Constantinople, que d'abjurer ses
erreurs. L'histoire des bogomiles a
été écrite par un professeur de
Wirtemberg , en 1711. Voyez ^a-
ronius , ad an. 11 18 ; Sponde ,
Euthymius , Anne Comnène, San-
derus , Hceres. i38 , etc.
Dans la suite ces hérétiques fu-
rent connus sous le nom de bulga-
res, parce qu'ils étoient en assez
grand nombre dans la Bulgarie ,
sur les bords du Danube et de la
mer Noire ; ils pénétrèrent en Ita-
lie, et surtout dans la Lombardie ,
firent beaucoup de bruit en France
sous le nom à'albigeois , et en Al-
lemagne sous celui de cathares :
aucune secte n'a porté un plus
grand nombre de noms différents.
Voyez VHisioire des variations , par
M. Bossuet, liv. 11. Mais il paroît
que dans les diverses contrées où
elle s'établit, et dans les différents
siècles , elle ne conserva pas tou-
jours exactement les mêmes dog-
mes; comment l'unité de doctrine
auroit-elle pu se maintenir parmi
.des enthousiastes ignorants de dif-
ROL
fôrenles nations et de divers ca-
ractères ?
BOHÉMIENS (frères), ou frères
Moraves. Voy. Heunutes.
BOHMISTES. On appelle ainsi
en Saxe les sectateurs d'un nommé
Jacob Bohrn, qui est mort en 1 624 ;
il a laissé plusieurs écrits mysti-
ques, remplis d'une théologie obs-
cure et inintelligible.
BOLLANDISTES, continua-
teurs de Bollandus, savants jésui-
tes d'Anvers, qui, depuis plus d'un
siècle, se sont occupés à recueillir
les actes et les vies des saints, d'a-
près les auteurs originaux, et ont
ainsi réussi à éclaircir plusieurs
faits importants de VHistoire ecclé-
siastique et civile.
Cetutileet vaste projet fut formé
au commencement du dix-septième
siècle, par le P. Héribert Roswcid,
jésuite d'Anvers ; mais on sent
qu'il étoit beaucoup au-dessus des
forces d'un seul homme ; le père
Rosweid ne put faire pendant
toute sa vie qu'amasser des maté-
riaux ; il mourut en 1629, sans
avoir commencé à leur donner
une forme.
L'année suivante, le père Jean
Bollandus, son confrère, reprit ce
dessein sous un autre point de vue,
et se proposa de composer lui-
même les vies des saints d'après
les auteurs originaux , en y ajou-
tant des notes semblables à celles
dont les éditeurs des Pères ont
accompagné leurs ouvrages , soit
pour éclaircir les passages obscurs,
soit pour distinguer le vrai du
fabuleux. En i635, il s'associa Je
père Godefroi Henschenius , et
en 1643, ils firent paroître les ac-
tes des saints du mois de janvier,
en deux volumes in-fnlio. Ce livre
cutunsuceès qui augmenta lorsque,
en i658,ces deux savants eurent
donné trois autres volumes dans la
«OL 377
même forme, qui contenoient les
actes des saints du mois de février.
Bollandus s'étoit encore associe ,
en i65o, lepèrePapebrock ,ettra-
vailloit à donner le mois de mars ,
lorsqu'il mourut en i665.
Après la mort d'Henschenins ,
le père Papebrock eut la princi-
pale direction de cet ouvrage , et
prit successivement pour coopé-
rateurs les pères Baè'rt , Janning,
Dusolier et Raie , qui ont public
vingt-quatre volumes , contenant
les vies des saints jusqu'au mois
de juin.
Depuis la mort du père Pape-
brock, arrivée en 1714? les pères
Dusolier, Cuper , Piney et Roch ,
ont continué l'ouvrage , et ont fait
paroître successivement les actes
des saints des mois suivants. Cette
immense collection contient à pré-
sent plus de cinquante volumes
in-folio. Elle avoit été interrompue
pendant plusieurs années, à cause
de la suppression de la société des
jésuites ; mais elle a été reprise
depuis quelques années sous la pro-
tection et par les bienfaits de feu
l'Impératrice reine.
On a reproché à Bollandus de
n'avoir pas été assez en garde contre
les légendes apocryphes et fabu-
leuses ; Papebrock et ses succes-
seurs ont eu une critique plus éclai-
rée et plus exacte dans le choix des
monuments dont ils se sont servis.
Leur premier soin, dès le com-
mencement de leur travail , a été
d'établir des correspondances avec
tous les savants de l'Europe , de
faire chercher dans les archives
et dans les bibliothèques les titres
et les monuments qui peuvent
servir à leurs desseins ; les maté-
riaux rassemblés forment une bi-
blii>thèque considérable.
Avant de faire usage d'aucun
titre, les io//anrfis/es en examinent
l'authenticité , le degré d'autorité
qu'il peut avoir, et le rejettent
absolument, s'ils y découvrent des
378 BOJN
indices de supposition ou de faus-
seté ; s'ils le jugent vrai, ils le
publient tel qu'il est avec la plus
grande fidélité , et en éclaircissent
les endroits obscurs par des notes;
si c'est une pièce douteuse, ils ex-
posent les raisons de douter ; s'ils
n'ont que des extraits, ils en font
une histoire suivie.
Lorsque ces savants critiques
reconnoissent qu'ils se sont trom-
pés, ou qu'ils ont été induits en
erreur , ils ne manquent jamais
d'en avertir dans le volume sui-
vant, et de rectifier la méprise avec
toute la candeur et la bonne foi
possible.
L'on trouve souvent , dans cet
important ouvrage, des traits qui
intéressent non - seulement Vhis-
ioire ecclésiastique , mais Vhistoire
civile, la chronologie , la géographie,
les droits et les prétentions des
souverains et des peuples ; tous
les volumes sont accompagnés de
tables exactes et très- commodes,
Le soin qu'ont ces laborieux écri-
vains de se former des successeurs,
semble répondre au public que
cet immense projet sera un jour
conduit à sa fin. Comme les pre-
miers volumes donnés par Bollan-
dus étoient devenus très-rares, on
a réimprimé à Venise toute la col-
lection ; mais cette édition ne vaut
pas celle d'Anvers.
BON , BONTE. C'est celui des
attributs de Dieu qui nous touche
davantage, et dont les livres saints
nous parlent le plus souvent. Da-
vid répète continuellement dans
les psaumes : Louez le Seigneur ,
parce qu'il est bon, et que sa misé-
ricorde est éternelle. Dieu fait du
bien, plus ou moins, à toutes les
créatures ; il n'en est aucune qui
Jie reçoive de lui des bienfaits ;
sa bonté est donc prouvée par les
effets. Il ne leur en fait pas autant
qu'il leur en pourroit faire ; sa
puissance est infinie, et les créa-
turcs ne sont susceptibles que d'une
quantité de bien bornée. Il ne leur
en fait pas autant qu'elles le dési-
rent, parce que leurs désirs n'ont
point de bornes et sont souvent
déraisonnables. Il ne leur en fait
pas à toutes également ; l'inégalité
est le fondement de la société et
de nos devoirs mutuels ; la sagesse
de Dieu préside à la distribution
de ses dons, et sa justice ne de-
tnande compte à chacun que de
ce qu'elle lui a donné.
De là même il s'ensuit que les
notions de la bonté humaine ne
peuvent être appliquées à la bonté
divine ; parce que la première est
jointe à une puissance très-bornée,
et la seconde à un pouvoir infini.
Un homme n'est censé bon , que
quand il fait le plus de bien qu'il
peut, qu'il l'accorde le plus promp-
tement au plus, grand nombre de
personnes, etcontinueleplus long-
temps qu'il lui est possible. Au-
cun de ces caractères n'est appli-
cable à la bonté de Dieu.
On tombe dans l'absurdité, si l'on
exige que Dieu fasse le plus de bien
qu'il peut ; il en peut faire à l'in-
fini ; qu'il le fasse le plus promp-
tement, il l'a pu de toute éternité;
qu'il en fasse au plus grand nom-
bre de créatures possible , il en
peut créer à l'infini ; qu'il le fasse
le plus long-temps , il peut le con-
tinuer pendant toute l'éternité.
Il s'ensuit encore que la notion
de bonté infiniene nous vient point
des créatures , puisque Dieu n'a
répandu sur elles qu'une quantité
de bien très-bornée , par consé-
quent mélangée de maux ou de
privations ; cette notion se tire
directement de celle A^étre néces-
saire, existant de soi-même, dont
les attributs ne peuvent être bor-
nés par aucune cause. Mais la ré-
vélation nous fait connoître la
bonté de Dieu beaucoup mieux que
la raison.
Ceux qui prétendent que l'élat
BON
actuel des créatures n'est pas assez
avantageux pour qu'on puisse l'at-
tribuer à un Dieu infiniment bon,
devroient fixer une fois pour toutes
le degré auquel le bien-être des
créatures devroit être porté pour
qu'elles n'eussent plus sujet de se
plaindre ; aucun de ces philoso-
phes n'a pu encore l'assigner. Dieu,
disent-ils , pourroit nous ren-
dre heureux et contents : nous ne
le sommes point ; mais nous le
serions si nous étions sages , et il
ne tient qu'à nous de l'être. Job ,
au comble du malheur, réduit sur
son fumier , étoit content et bé-
nissoitDieu; Alexandre, possesseur
d'une grande partie du monde ,
ne l'étoitpas.Lc cœur de l'homme
est trop grand pour être heureux
par la possession des biens dé ce
monde.
Accuserons-nous Dieu de n'être
pas bon, parce qu'il punit le crime
en ce monde ou en l'autre ? Au
contraire, il manqueroit de bonté
s'il laissoit la vertu sans récom-
pense et le crime sans châtiment.
En lui la bonté ne nuit point à la
j ustice, et la justice ne dérogepoint
à la miséricorde.
Ce sont de fausses notions de la
bonté infinie , des comparaisons
toujours fautives entre la bonté
divine et la bonté humaine, l'abus
des termes de bien et de mal , de
bonheur et de malheur, qui servent
de fondement à tous lessophismes
des philosophes anciens et moder-
nes sur la grande question de l'o-
rigine du mal. Voyez MAt=
Bon , en parlant des créatures ,
a un double sens. Leur 6o«/<f phy-
sique est la même chose que leur
perfection ; elles sont parfaites
lorsqu'elles répondent à l'usage
auquel Dieu les a destinées. Mais
les termes de perfection et A^imper-
fzclion sont des termes purement
relatifs ; il n'y a pointde perfection
absolue f[uc celle de Dieu ; l'im-
perfection absolue est le néant.
BON 379
La bonté morale des êtres intel-
ligents est l'inclination à faire du
bien ; la bonté morale de leurs ac-
tions est la conformité de ces ac-
tions avec la régie des mœurs , ou
avec la volonté de Dieu, souverain
législateur. Voy. Bien morai..
BON AVENTURE ( saint ) , re-
ligieux franciscain, ensuite évêque
d'Albano, et cardinal , mort l'an
I 274, a été l'un des plus célèbres
théologiens scolastiques du trei-
zième siècle ; il est autant respecté
chez les cordeliers que saint Tho-
mas d'Aquin chez les jacobins.
En 1668 , ses ouvrages ont été im-
primés à Lyon , en huit volumes
in-folio. \a^& deux premiers renfer-
ment des commentaires sur l'Ecri -
ture sainte ; le troisième , des ser-
mons; les deux suivants sont un
commentaire sur le Maître des
sentences, par conséquent un cours
de théologie ; le sixième et le sep-
tième contiennent des traités de
morale et de piété ; le huitième ,
des opuscules sur la vie religieuse,
dans lesquels il se plaint amère-
ment du relâchement qui s'étoit
déjà introduit chez les franciscains,
trente ans après la mort de saint
François. On a donné à saint Bo-
nacenture le nom de docteur sera-
phique; il joignit aux vertus d'un
parfait religieux des connoissan-
ces rares dans son siècle. Voyez
VHist. de VEgl. gallic. , tom. 12,
liv. 34, an 1272.
BONIiEUR. ro/czBiEN.
BoNHEUB ÉTERNEL. L'attente d'un
bonheur éternel après la mort, est
le seul motif qui puisse nous faire
supporter patiemment les maux
de cette vie, et nous exciter effi-
cacement à la vertu. Exposé ici-
bas à des afflictions de toute espèce,
l'homme seroit la plus malhieureuse
de toutes les créatures, s'il n'avoit
rien à espérer au-delà du tombeau.
38o BON
II n'est donc pas étonnant que les
incrédules qui ont renoncé à la
foi d'une autre vie , ne cessent de
déplorer la triste condition de
l'humanité, et partent de là pour
blasphémer contre la Providence.
11 paroît que tous ceux qui
avoient perdu la connoissance du
vrai Dieu n'ont eu aucune connois-
sance de l'état dans lequel doit se
trouver l'âme séparée du corps.
Les païens , à la vérité, étoient
persuadés de son immortalité ;
mais ce que les poètes disoient de
l'état des morts , n'étoit ni assuré
ni fort consolant; ils supposoient
que les morts en général regret-
toient la vie, et désiroient d'y
revenir ; ils ne les croyoient donc
pas placés dans un état de félicité
assez parfaite pour servir de ré-
compense à la vertu.
Les anciens justes , adorateurs
duvraiDieu, avoient une perspec-
tive plus capable de les encoura-
ger. Ils savoient que Dieu avoit
transporté Hénoc à cause de sa
piété. Gen., c. 5, S ' ^^' Dieu avoit
dit au patriarche Abraham : « Je
» serai ta grande récompense , »
c. 1 5, |j!^.i. Job, dans l'excès de son
affliction, disoit : « Je sais que mon
w rédempteur est vivant , qu'au
» dernier jour je me relèverai de
» la terre, que jereprendrai ma dé-
» pouille mortelle, et que je ver-
» rai naon Dieu dans ma chaii- ;
» cette espérance repose dans mon
m cœur. » Job, c. 19, y. aS. Ba-
laam , quoiqu'environné d'idolâ-
tres , s'écrioit : « Que mon âme
» meure de la mort des justes, et
» que mes derniersmoments soient
» semblables aux leurs ! » Num.,
c. a3, y^. 10. David, parlant des
hommes vertueux , dit à Dieu :
« Ils seront rassasiés de l'abondance
» de votre maison ; vous les abreu-
>» verez d'un torrent de délices ,
M et vous nous éclairerez de votre
» propre lumière. » Ps. 35, y/'. 9.
L'auteur du livre de la Sagesse]
BON
assure que les justes vivront éter-
nellement, que leur récompense
est auprès de Dieu , qu'ils sont au
nombre de ses enfants, etc. Sap.,
c. 5, y^. 16. Cette croyance , aussi
ancienne que le mionde , venoit
évidemment des leçons que Dieu
avoient données à nos premier»
parents, et il n'en falloit pas moins
pour les consoler de la perte de
la félicité dans laquelle ils avoient
été créés.
Mais comme c'étoit à Jésus-
Christ de rouvrir aux hommes la
porte du ciel, fermée parlepéché
d'Adam, c'étoit aussi à lui de leur
annoncer cette heureuse nouvelle,
et de leur révéler le bonheur éter-
nel plus clairement qu'il n'avoit
été montré aux anciens justes.
Aussi, selon l'expression de saint
Paul, ce divin Sauveur a n^s en
lumière la vie et l'immortalité par
l'Evangile, II. Tint., c. i,yt. 10;
il a représenté le bonheur éternel
sous les traits les plus capables
d'affermir notre espérance et d'en-
flammer nos désirs. Il nousapprend
que les justes brilleront comme
des soleils dans le royaume de leur
Père , Matth. , c. i3 , f. 43 ; que
Dieu leur rendra le centuple de ce
qu'ils auront quitté pour lui,c. 19,
y, 29 ; que dans le séjour qu'ils ha-
bitent il n'y a plus de crainte ,
plus de souffrances, plus de larmes;
que Dieu changera leur tristesse en
joie , et les revêtira de sa propre
gloire pour toute l'éternité, Apoc,
c. ai,y. 3; c.aa, ^. 5 ; qu'ils rece-
vront une couronne dont l'éclat
ne se ternira jamais,/. Pétri, c. 5,
y. 4-
Pour nous en donner encore une
plusgrandeidée, Jésus-Christ nous
fait entendre que les saints parti-
ciperont à la même gloire dont il
jouit comme fils unique du Père :
<c Je veux , dit-il , qu'ils soient où
» je suis moi-même. » Joan., c 17,
S- 24* " J^ placerai sur mon trône
» celui qui aura vaincu, comme je
«ON
» me suis assis sur le trône de mon
» Père après ma victoire. » Apoc. ,
c. I , ^. a3. Par sa transfiguration,
il montre à ses disciples pendant
quelques instants un rayon de la
gloire éternelle. Luc, c. 9 , S • 29.
Mais il écarte de ce bonheur su-
prême toute idée sensuelle et gros-
sière ; il dit qu'après la résurrec-
tion les justes seront semblables
aux anges de Dieu dans le ciel ;
Marc^ c. 12 , ^. aS ; et son apôtre
le confirme , en représentant les
corps ressuscites comme spirituels
et incorruptibles, semblables à ce-
lui de Jésus-Christ. J. Cor., c. i5,
S- 4a.
Enfin, pour baunir toute inquié-
tude et toute défiance, il met, pour
ainsi dire , le bonheur éternel sous
les yeux de ses disciples , en les
quittant pour en allerprendrepos-
session : « Je vais, dit- il , vous
n préparerune place; l'Esprit con-
» solateur que je vous enverrai
» demeurera avec vous jusqu'à ce
» que je vienne vous chercher; si
» vous m'aimez , réjouissez-vous
» dece quejeretourneàmonPère.»
Joan., c. i4,y- 2,16, 18, 28.
Après des promesses aussi posi-
tives et des assurances aussi cer-
taines, il n'est plus étonnant que
Jésus-Christ ait eu des disciples
capables de se sacrifier pour lui ,
et que ses leçons aient fait éclore
parmi les hommes des vertus dont
on n'avoit pas encore vu d'exem-
ple. Par -là même Jésus-Christ a
justifié les maximes de morale qui
pouvoient paroître trop rigou-
reuses à des âmes énervées et cor^
rompues; nous devons en conclure,
comme saint Paul, que tout ce que
nous pouvons faire ou souffrir en
ce monde pour Dieu, n'a point de
proportion avec la gloire qui nous
est réservée. Rom., c. 8, y. 18.
Nous ne sommes donc pas em-
barrassés de repondre aux incrédu-
les , lorsqu'ils viennent nous dire
que l'espérance dont nous nous
BON 38,
ilaltons n'est fondée que sur notre
orgueil ; que , puisque Dieu ne
nous rend pasheureux en ce monde,
rien ne peut nous assurer qu'il
nous réserve un bonheur futur ;
que si d'un côté la religion nous
console par de belles promesses ,
de l'autre elle nous épouvante par
des idées terribles de la justice
divine, et nous rebute par la sévé-
rité de ses maximes.
Nous les invitons à considérer
i.° qu'un noble orgueil sied très-
bien à des âmes qui se croient ra-
chetées par le sang d'un Dieu ; que
ce sentiment les empêche de s'avi-
lir par de honteuses passions , et
leur inspire le courage de se sacri-
fier comme Jésus-Christ au salut de
leurs semblables ; que quand cette
croyance ne seroit qu'un préjugé ,
il seroit encore utile de l'entretenir
parmi les hommes; mais qu'elle est
solidement fondée sur la parole ,
sur les souffrances, sur la résurrec-
tion et sur l'ascension du Fils de
Dieu.
2.° Que notre état sur la terre
ne peut plus paroître malheureux,
dès que nous sommes assurés de
jouir d'un bonheur éternel après
cette vie j que c'est la faute des
incrédules si elle leur semble in-
supportable depuis qu'ils n'espè-
rent plus rien ; que c'est encore
de leur part un trait de cruauté
d'ôter aux autres le seul motif ca-
pable de les consoler, et sans lequel
les trois quarts du genre humain
seroient réduits au désespoir. Il
est démontré par la notion même
à'être nécessaire , que Dieu est es-
sentiellement bon ; les maux de
cette vie sont donc une preuve
que sa bonté veut nous en dédom-
mager.
3." Loin de nous effrayer par les
notions de la justice divine, notre
religion nous apprend que cette
justice a été satisfaite par la mort
de Jésus-Christ , et que , par son
sacrifice , la paix a été rétablie
382 BON
entre le ciel et la terre , II. Cor. ,
c. 5 , 3^. 19 ; Ephes., c. i , ;)7^. 10 ;
c.2,'^.i^;Coloss., c. i,]l^.20,etc.;
que notre salut n'est plus une affaire
de justice rigoureuse, mais de grâce
et de miséricorde.
4.° Une preuve que les maximes
de notre religion ne sont ni im-
praticables , ni trop sévères , c'est
qu'elles ont été suivies à la lettre
par tous les saints , et qu'elles le
sont encore aujourd'hui par une
infinité d'âmes vertueuses , au mi-
lieu même de la corruption du
siècle , et malgré les sarcasmes de
l'incrédulité. Or, nous demandons
qui est le plus en état de juger de
la sagesse et de la douceur de ces
maximes , ceux qui n'ont jamais
essayé de les suivre , ou ceux qui
en t'ont la règle de leur conduite ?
Il y a eu une dispute entre les
théologiens catholiques et plu-
sieurs sectes d'hérétiques , pour
savoir si les âmes des justes , qui
n'ont plus de fautes à expier, vont
incontinent jouir dans le ciel du
bonheur éternel , ou si ce bonheur
est retardé jusqu'après la résur-
rection générale et le jugement
dernier. Au commencement du
cinquième siècle Vigilance , au
douzième les Grecs et les Armé-
niens schismatiques , au seizième
Luther et Calvin, ont soutenu que
les saints ne doivent jouir de la
gloire éternelle qu'après la résur-
rection et le jugement dernier ; que
jusqu'alors leurs âmes sont , à la
vérité, dans un état de repos, mais
ne peuvent encore être censées
heureuses qu'en espérance. Cette
erreur a été condamnée par le
deuxième concile général de Lyon,
l'an 1275 , sess. 4 , et par celui de
Florence , en 1429 , dans le décret
touchant la réunion des Grecs à
l'Eglise romaine ; l'un et l'autre ont
décide que les âmes justes , sorties
de ce monde en état de grâce, vont
incontinent jouir de la gloire du
ciel, et que les âmes décédées dans
BON
l'état du péché vont incontinent
souffrir les tourments de l'enler.
Le concile de Trente a confirmé
cette décision, sess. 25 , dans son
décret concernant l'invocation des
saints.
Les protestants ont allégué plu-
sieurs passages de l'Ecriture sainte
et des Pères, pour étayer leur opi-
nion; mais on leur en a opposé de
plus clairs et de plus décisifs . Jésus-
Christ dit au bon larron sur la
croix : « Aujourd'hui vous serez
» avec moi en paradis. »X,«c., c. 23,
y/'. 43. « Nous gémissons, dit saint
>< Paul, IL Cor., c. 5, S- 2, en dé-
» sirant de jouir de notre habita-
» tion dans le ciel. » Ephes. , c. 4»
y^. 8. « Jésus-Christ, montant au
» ciel , a conduit une multitude de
» captifs. » Philipp. , c. i , ^. 23.
« Je désire de mourir et d'être avec
» Jésus-Christ. » 11 est dit, Apoc,
c. 7, S- 9î que les saints sont de-
vant le trône de Dieu, etc.
Ceux d'entre les Pères de l'Eglise
qui s'expriment autrement, étoient
dans l'opinion des millénaires , ou
ils ont seulement entendu que la
félicité des saints ne sera complète
et parfaite qu'après le jugement
dernier, et lorsque leur corps sera
réuni à leur âme. Mais le plu»
grand nombre des saints docteur»
ont suivi !a lettre et le sens de»
passages de l'Ecriture sainte que
nous venons d'alléguer ; on peut
le voir dans le Père Petau , tom. i ,
1. 7, c. i3. Sur cette croyance est
fondée la pratique dans laquelle
l'Eglise a été constamment d'invo^'
quer les saints et d'implorer leur
intercession auprès de Dieu. Lors-
qu'elle prie pour les morts, elle
demande à Dieu de les placer dès à
présent dans le bonheur éternel. Lu-
ther et Calvin n'ont adopté l'er-
reur des Grecs que pour attaquer
avec plus d'avantage. ce.s deux pra-
tiques de l'Eglise catholique. Bel-
larmin, Controc, tome a, tit. de
Ecclesiâ iriumph. , q. i.
BOR
BONOSIAQUES ou BONO-
SIENS, nom d'une secte que Bo-
nose, évêque de Macédoine, re-
nouvela au quatrième siècle. Il
soutenoit , comme Photin , que
Jésu5- Christ n'étoit Fils de Dieu
que par adoption , et que Marie sa
mère avoit cessé d'être vierge dans
l'enfantement. Le pape Gélase con-
damna ces deux erreurs.
BONS -HOMMES, religieux éta-
blis l'an 1259 en Angleterre , par
le prince Edmond; ils professoient
la règle de saint Augustin , et por-
toient un habit bleu. Sponde croit
qu'ils suivoient l'institut du bien-
heureux Jean Lebon , qui vivoit en
ce siècle. On donna en France ce
nom aux minimes, à cause du nom
de bon-homme que Louis XI avoit
coutume de donner à saint Fran-
çois de Paulc leur fondateur. Les
albigeois affectoient aussi de pren-
dre ce même nom de bons-hommes.
Voy. Polydore Virgile, Hist. Angl.,
livre 16. Sponde, an 1289 , n.° 9.
BONTÉ. Voyez Bon.
BORBORITES , secte de gnos-
tiques, laquelle, outre les erreurs
et le libertinage commun à tous
les hérétiques connus sous ce nom,
nioit encore , selon Philastrius , la
réalité du jugement dernier. Saint
Epiph., Hœres. a5 et 26. Saint
Augustin, de Hceres., c. 5. Baro-
nius, ad. an. cbr. 120.
BORRÉLISTES. Stoupp , dans
son Traité de la religion des Hol-
landais , parle d'une secte de ce
nom, dont le chef étoit Adam Bo-
rell , zélandois , qui avoit quelque
connoissance des langues hébraï-
que , grecque et latine. Ces borré-
listes, dit cet auteur, suivent la
plus grande partie des opinions
des mennonites, quoiqu'ils ne se
trouvent point dans leurs assem-
blées. Leur vie est fort austère ; ils
liOU
383
emploient une partie de leur bien
à faire des aumônes. Us ont en
aversion toutes les Eglises, l'usage
des sacrements , des prières pu-
bliques, et toutes les autres fonc-
tions extérieures du service de Dieu.
Ils soutiennent que toutes les Bali-
ses qui sont dans le monde ont
dégénéré de la pure doctrine des
apôtres, parce qu'elles ont souÉFert
que la parole de Dieu fut expliquée
et corrompue par des docteurs qui
ne sont pas infaillibles , et qui
veulent faire passer pour inspiré»
leurs catéchismes , leurs confes-
sions de foi, leurs liturgies et leurs
sermons , qui sont l'ouvrage des
hommes. Ces borrélistes prétendent
qu'il ne faut lire que la seule pa-
role de Dieu, sans y ajouter au-
cune explication des hommes.
BOUC ÉMISSAIRE. Dans le cha-
pitre 16 du Lévitique, on voit ce
que devoil faire le grand -prêtre
des Juifs à la fête de l'expiation,
qui se célébroit le dixième jour du
septième mois, appelé Usri, et qui
répondoit au mois de septembre.
On amenoit au grand-pretre deux
boucs , qu'il tiroit au sort , l'un
pour le Seigneur , l'autre pour
Azazel; celui sur lequel toraiboit le
sort du Seigneur étoit immolé, et
son sang servoit pour l'expiation ;
le grand - prêtre mettoit ses deux
mains sur la tête de l'autre, con-
fessoitses péchés et ceux du peuple,
en chargeoit , pour ainsi dire , cet
animal , qui étoit ensuite conduit
dans le désert et mis en liberté.
Par cette raison , celui - ci étoit
nommé Azazel, bouc émissaire, ou
renvoyé : c'est ainsi que les sep-
tante et la vulgate ont rendu le
terme hébreu.
Quelques interprètes ont pensé
(\\i' Azazel étoit le nom du démon,
qu'ainsi le bouc renvoyé étoit censé
livré à l'ennemi du salut. C'est le
sentiment qu*a suivi Spencer dans
sa Dissertation sur le bouc émis-
^Si BOU
«aire , Traité des lois, cérém. des
Juifs, liv. 3. Beausobre s'en esl
prévalu, pour persuader que l'on
trouvoit chez les Juifs un vestige
de la croyance des deux principes,
adoptée par les manichéens , Hist.
du Munich., 1. 5 , c. 3 , § 6. Azaztl,
dit-il , est certainement le démon,
comme Spencer l'a prouvé. Mais
les preuves de Spencer sont nulles,
et elles sont réfutées dans VHist.
uniV., faite par des AngloiSjtom a,
et dans les noies sur la bible de
Chais, Lévit., c. i6, ^. 8. Beau-
sobre ne pouvoit donc en tirer
aucun avantage.
D'autres ont cru qvî'uizazel étoit
le nom d'une montagne , d'un dé-
sert, ou d'un précipice vers lequel
on conduisoit le bouc chargé des
iniquités du peuple. Tout cela n'est
que conjecture.
Spencer pense encore que le
culte rendu aux boucs en Egypte et
ailleurs , fut une des raisons qui
engagèrent Moïse à choisir cet ani-
mal pour objet de malédiction , et
à le charger des iniquités du peu-
ple; on ne le tuoit pas, de peur
qu'il ne parût immolé au démon.
Il n'est pas étonnant que les céré-
monies d'expiation aient été en
usage chez tous les peuples et dans
toutes les religions' ; c'est une preuve
que l'on a compris partout la né-
cessité de se repentir et de satisfaire
à la justice divine quand on a pé-
ché; mais dans les fausses religions
ces cérémonies étoient ordinaire-
ment superstitieuses , et souvent
c'étoiejit de nouveaux crimes. Chez
les Juifs , au contraire , la cérémo-
nie étoit non-seulement innocente
en elle-même, mais encore destinée
à les détourner des pratiques abu-
sives ou criminelles des autres
peuples. Vainement l'empereur Ju-
lien , que nos incrédules modernes
ont copié , prétendoit que la céré-
monie du bouc émissaire étoit em-
pruntée des païens , que cette
victime étoU offerte aux dieux cx-
BRE
piateurs , diis averruncis. Saint Cy-
rille, contre Julien , 1. 9, p. 389.
Les Juifs ne connurent ces dieux
prétendus que quand ils se livrè-
rent à l'idolâtrie pour imiter leurs
voisins. Mais dans la suite des temps
ils ajoutèrent à la cérémonie plu-
sieurs circonstances que Moïse n'a-
voit pas ordonnées, et qui pou -
voient avoir été empruntées des
Chananéens. Prideaux , Hist. des
Juifs, 1. 9, tom. I , p. 354*
Ceux qui ontdit ç\\jie.\e bouc émis-
saire étoit une figure ou un type
de Jésus-Christ chargé des iniqui-
tés du monde , paroissent avoir
assez mal rencontré. Saint Paul ,
au contraire, Hebr., c. 9, ^. 7 ,
i3, 2$. compare le sang du boue
immolé en sacrifice, avec lequel le
grand-prêtre entroit dans le sanc-
tuaire, au sang de Jésus -Christ ,
qui seul a été capable d'effacer les
péchés. Voyez Expiation.
BOURIGNONISTES , nom de
secte. On appelle ainsi, dans les
Pays - Bas protestants , ceux qui
suivent la doctrine d'Antoinette
Bourignon , célèbre quiétiste. Voy.
QUIÉTISME.
BRACHITES, secte d'hérétiques
qui parurent dans le troisième
siècle. Ils suivoient les erreurs de
Manès et des gnostiques.
BRAME, BRAMINE. To/cz In-
diens.
BRANDEUM. Voyez Relique.
BREF APOSTOLIQUE. Lettre
adressée de la part du pape à des
particuliers ou à des communau-
tés, pour leur accorder des dis-
penses ou des indulgences, ou sim-
plement pour leur donner des
marques d'affection. Ces lettres
sont signées par un secrétaire des
brefs, ou par le cardinal-péniten-
cier.
liKO
Oh uoinine aussi bref, oido , ou
directoire, le livre qui contient les
rubriques selon lesquelles on doit
dire l'office tou5 les jours de l'annôe •
BRÉVLVIRE. V. Office divin.
BROUCOLACAS, terme formé
dugrccmoderne/Spovxoç, bouepuan-
tc , et Xâxxo;, fosse, fosse remplie
de boue ; les Grecs modernes nom-
ment ainsi les cadavres des excom-
muniés. Ils sont persuadés que ces
cadavres ne peuvent pas se dis-
soudre ; que le démon s'en empare,
les anime , les fait paroître , s'en
sert pour effrayer et tourmenter
l«s vivants; que le seul moyen de
s'en délivrer est de déterrer le
mort, de lui arracher le cœur, et
de le mettre en pièces , ou de bril-
ler le tout, et que l'on trouve or-
dinairement la fosse remplie de
boue. Ils prétendent que souvent
ces corps se trouvent enflés , rem-
plis de vent, et font du bruit comme
un tambour; alors ils les nomment
loupî ou ntoupi , tambour. Ils
croient enfin que l'absolution ,
donnée par leurs évêques ou leur
pape aux excommuniés après leur
mort , fait tomber en poussière
les cadavres. Cette persuasion , au-
torisée chez eux par une infinité
d'histoires , leur fait craindre à
l'excès l'excommunication , et sert
à les confirmer dans leur schisme.
Tournefort , dans son Voyage du
Levant, tome i , page Sa et suiv. ,
rapporte un exemple de l'exhuma-
tion d'un excommunié , dont il fut
témoin dans l'îledeMyconen 1701 ;
mais il n'y vit rien autre chose
que les effets d'une imagination
exaltée, et du fanatisme d'un peuple
ignorant. Aucune des histoires qui
rapportent ces sortes de faits n'est
attestée par des témoins oculaires
«t aussi instruits que l'étoit Tour-
nefort il : en est de même des
histoires de revenants que l'on a
faites parmi nous. Pendant plu-
15I\0 385
rieurs siècles l'usage a régné danJ
nos climats de ne point enterrer
les excommuniés , mais de jeter
leurs cadavres à la voierie, de les
couvrir de pierres, ou de les en-
fermer dans un vieux tronc d'ar-
bre. Voyez Ducange , au mot Im-
blocatus. Dom Calmet , Dissertai,
Sur les revenants , n. 38 et sulv.
Lenglet , Traité des visions et des
apparitions, tom. 2, p. 171 , etc.
BROWNISTES, nom d'une secte
qui se forma de celle des puri-
tains, vers la fin du seizième siècle,
en Angleterre; elle fut ainsi nom-
mée de Robert Brown, son chef.
Ce Robert Brown étoit d'une
assez bonne famille de Rutland-
shire , et allié au lord-trésorier
Burleigh. Il fit ses études à Cam-
bridge , commença à publier ses
opinions et à déclamer contre le
gouvernement ecclésiastique àNor-
wich , en i58o, ce qui lui attira le
ressentiment des évêques. Il se
glorifioit lui-même d'avoir été pour
cette cause mis en trente-deux dif-
férentes prisons , si obscures qu'il
n'y pouvoit pas distinguer sa main,
même en plein midi. Par la suite,
il sortit du royaume avec ses sec-
tateurs , et se retira à Middelbourg
en Zélande , où lui et les siens ob-
tinrent des Etats la permission de
bâtir une église , et d'y servir Dieu
à leur manière. Peu de temps après,
la division se mit parmi eux. Plu-
sieurs se séparèrent, ce qui dégoiita
tellement Brown, qu'il se démit de
son office, retourna en Angleterre
en iSSg, y abjura ses erreurs, et
fut élevé à la place de recteur dans
une église de Northampthoushire,
oîi il mourut en i63o.
Le changement de Brown en-
traîna la ruine de l'Eglise de Mid-
delbourg ; mais les semences de
son système ne furent pas si aisées
à détruire en Angleterre. Sir "Wal-
ter Raleigh , dans un discours com-
posé en 1692 , compte déjà jusqu a
35
386 BVIj
vingt mille personnes imbues des
opinions de Brown,
Ses sectateurs rejetoicnt toute
espèce d'autorité ecclésiastique ,
vouloient que le gouvernement de
l'Eglise fiit entièrement démocra-
tique. Parmi eux , le ministère
évangclique étoit une simple com-
mission révocable ; chacun des
membres de la société avoit le droit
de faire des exhortations et des
questions sur ce qui avoit été prê-
che.
Les indépendants , qui se for-
mèrent par la suite d'entre les
brownisics , adoptèrent une partie
de ces opinions.
La reine Elisabeth poursuivoit
vivement cette secte. Sous son règne
les prisons furent remplies de
broivnistes ; il y en eut même quel-
ques-uns de pendus. La commis-
sion ecclésiastique et la chambre
ctoilée sévirent contre eux avec
tant de vigueur, qu'ils furent obli-
gés de quitter l'Angleterre. Plu-
sieurs familles se retirèrent à Am-
sterdam , où elles formèrent une
Eglise, et choisirent pour pasteur
Johnson, et après lui Ainsworth,
connu par un commentaire sur le
Pentateuque. On compte parmi
leurs chefs Barow et Wilkinson.
Leur Eglise s'est soutenue pendant
environ cent ans.
BRUTES. Ko/ez Animaux.
BULGARES, hérétiques qui
semblèrent avoir ramassé diffé-
rentes erreurs des autres hérésies,
pour en composer leur croyance,
et dont la secte et le nom com-
prenoientles patarins, les cathares,
les bogomiles , les joviniens , les
albigeois, et d'autres hérétiques.
Les bulgares tiroient leur origine
des manichéens, et ils avoient em-
prunté leurs erreurs des Orientaux
et des Grecs leurs voisins , sous
l'empire de Basile le Macédonien ,
dans le neuvième siècle. Ce mot de
BUL
bulgares , qui n'étoit qu'un nom
de nation , devint en ce temps-là
un nom de secte, et ne signifia
pourtant d'abord que ces héré-
tiques de Bulgarie ; mais ensuite
cette même hérésie s'étant répan-
due en plusieurs endroits , avec
quelque différence dans les opi-
nions, le nom de bulgares devint
commun à tous ceux qui en furent
infectés. Les pétrobrusiens , dis-
ciples de Pierre de Bruis , qui fut
brillé à Saint-Gilles en Provence,
les vaudois , sectateurs de Valdo
de Lyon , un reste même des ma-
nichéens qui s'étoient long-temps
cachés en France , les henriciens ,
et tels autres novateurs qui , dans
la différence de leurs dogmes, s'ac-
cordoient tous à combattre l'au-
torité de l'Eglise romaine , furent
condamnés, en 1 176, dans un con-
cile tenu à Lombez , dont les actes
se lisent au long dans Roger de
Hoveden, historien d'Angleterre;
il rapporte les dogmes de ces hé-
rétiques , qui tenoient entre autres
erreurs qu'il ne falloit croire que
le nouveau Testament ; que le bap-
tême n'étoit point nécessaire aux
petits enfants ; que les maris qui
vivoient conjugalement avec leurs
femmes ne pouvoient être sauvés ;
que les piètres qui menoient une
mauvaise vie ne consacroient point;
qu'on ne devoit obéir ni aux évê-
ques , ni aux ecclésiastiques qui
ne vivoient point selon les canons;
qu'il n'étoit point permis de jurer
en aucun cas , et quelques autres
articles qui n'étoient pas moins
erronés. Ces malheureux, ne pou-
vant subsister sans chef, se firent
un souverain pontife, qu'ils ap-
pelèrent pape, et qu'ils reconnu-
rent pour leur premier supérieur ,
auquel tous les autres ministres
étoient soumis ; et ce faux pontile
établit son siège dans la Bulgarie ,
sur les frontières de Hongrie , de
Croatie , de Dalmatie , où les al-
bigeois qui étoient en France al-
r.LL
luieal le consulter et recevoir ses
décisions, llégnier ajoute que cfe
pontife prenoit le titre d'évêijue ,
et de fils aîné, de l'Eglise des bul-
gares. Ce lut alors que ces héré-
tiques commencèrent d'être nom-
més tous généralement du nom
commun de bulgares, nom ((ui lut
bientôt corrompu dans la langue
Irançoise qu'on parloit alors; car,
au lieu de bulgares, on dit d'abord
bougares et bouguers , dont on lit
le latin bugari , et bugeri; et de la
un mot trés-sale en notre langue ,
qu'on trouve dans les histoires an-
ciennes, appliqué à ces hérétiques,
entre autres dans une histoire de
France manuscrite , qui se garde
dans la bibliothèque du président
de Mesmcs , à l'année laaS , et dans
les ordonnances de saint Louis , où
l'on voit que ces hérétiques étoient
brûlés vits, lorsqu'ils étoient con-
vaincus de leurs erreurs. Comme
ces misérables étoient fort adonnés
à l'usure, on donna dans la suite
le nom dont on les appeloit à tous
les usuriers, comme le remarque
Ducange. Marca, Hist. de Béarn. ;
La Faille , Annales de la ville de
Toulouse ; Abrégé de V ancienne His-
tinre,
BULLE , rescrit du souverain
pontife. Nous n'avons à parler que
des bulles adressées à toute l'Eglise ,
pour accorder aux fidcles l'indul-
gence du jubilé , ou pour condam-
ner des erreurs en fait de doctrine ;
celles qui sont expédiées pour la
nomination des bénéfices regardent
les canonistes.
Les bulles d'indulgence pour le
jubilé sont différentes des brefs or-
dinaires d'indulgence, en ce que les
premières sont adressées à tous les
iidèles , accordent à tous ceux qui
satisferont aux conditions prescri-
tes une indulgence plénicre, à tous
les confesseurs approuvés le pou-
voir d'absoudre des cas réservés ,
de commuer les vœux simples, etc.
ïil I. 387
Il est d'usage en France que <<s
6u//c,s soient visées par les évétiues,
et adressées par eux à leurs diocé-
sains. Voyez Indulgence , JrjiiLÉ.
Les bulles concernant la doctrine
sont aussi adressées à tous les fi-
dèles , et sont souvent appelées
constitutions. Elles énoncent le ju-
gement porté par le souverain pon-
tife, sur la doctrine qui lui a été
dénoncée. Lorsqu'elles ont été ac-
ceptées , soit par une déclaration
formelle des éveques , soit par leur
acquiescement tacite, elles sont ccn -
sées énoncer le sentiment de l'Eglis c
universelle; elles ont force de loi
dogmatique, comme si ce jugement
avoit été porté dans un concile gé-
néral. La réclamation même d'un
petit nombre d'éveques , opposée
à l'acceptation de lexirs confrères,
ne peut former aucun préjugé con-
tre la décision , de même que leur
opposition dans un concile n'auroil
aucune force contre le suffrage du
très-grand nombre.
Les évêques , établis par Jésus-
Christ pour enseigner , ne sont pas
les maîtres de s'assembler toutes les
fois qu'ils le jugeroient nécessaire;
le gouvernement de l'Eglise seroit
donc très - défectueux , si elle ne
pouvoit déclarer sa croyance au-
trement que par la décision d'un
concile. Peut-elle parler plus hau-
tement que par l'organe de son
chef , auquel tous les evêques sont
censés unis de croyance , dès qu'ils
ne reclament pas i* Si la décision
leur paroissoit fausse , leur silencir
seroit une prévarication et un piège
inévitable d'erreur pour les fidèles.
Voyez Constitution.
Bulle in cœnd Domini. On ap-
pelle ainsi une bulle qui se lisoit
publiquement à Rome tous les ans,
le jour du jeudi-saint , par un car-
dinal-diacre, en présence du pape,
accompagné des autres cardinaux
et des évêques ; on ne sait pas quoi
en est le premier auteur.
Celte bulle porte la peine d'ex -
388 BUL
communication contre tous les hé-
rétiques , les contumaces et les
réfractaires qui désobéissent au
saint Siège. Après la lecture , le
pape prenoit un flambeau allumé
et le jetoit dans la place publique,
pour marque d'anathéme.
Dans la bulle de Paul III , de
l'an i536 , il est dit au commence-
ment que c'est une ancienne cou-
tume des souverains pontifes depu-
blier cette excommunication lejour
du jeudi-saint, pour conserver la
pureté de la religion chrétienne, et
pour entretenir l'union entre les fi-
dèles ; mais on n'y voit pas l'origine
de celte cérémonie.
Les censures de la bulle in cœnd
Domini regardent principalement
les hérétiques et leurs fauteurs , les
pirates et les corsaires , ceux qui
falsifient les bulles et les autres let-
tres apostoliques , ceux qui mal-
traitent les prélats de l'Eglise , ceux
qui troublent ou veulent restrein-
dre la juridiction ecclésiastique ,
même sous prétexte d'empêcher
quelques violences , quoiqu'ils
soient conseillers ou procureurs-
généraux des princes séculiers, soit
empereurs , rois ou ducs ; ceux qui
usurpent les biens de l'Eglise, etc.
Ces dernières clauses ont donné
lieu à plusieurs théologiens et aux
jurisconsultes de soutenir que cette
iuZfetendoit à établir indirectement
le pouvoir des papes sur le tempo-
rel des rois. Tous les cas dont nous
venons de parler y sont déclarés
réservés; en sorte que nul prêtre
n'en puisse absoudre, si ce n'est à
l'article de la mort.
Le concile de Tours, en i5io,
déclara la bulle in cœnâ Domini in-
soutenable à l'égard de la France •,
nos rois ont souvent fait protester
contre celte bulle, en ce qui regarde
leurs droits, ceux de leurs officiers,
et les libertés de l'Eglise gallicane-
En i58o, quelques évêques , pen-
dant le temps des vacations du par-
lement , voulurent faire recevoir
dans leurs diocèses la bulle in cœnâ
Domini. Le procureur-général en
forma sa plainte ; le parlement or-
donna que tous les archevêques et
évêques qui auroient reçu cette
bulle, et ne l'auroient pas publiée,
eussent à l'envoyer à la cour ; que
ceux qui l'anroient fait publier fus-
sent ajournés , et leur temporel
saisi ; que quiconque s'opposeroit
à cet arrêt fût réputé rebelle et cri-
minel de lèse-majesté. Mézerai ,
Histoire de France, sous le règne
de Henri III.
Le pape Clément XIV a suspen-
du la publication de cette biUle
en 1773 ; il est à présumer que la
crainte d'indisposer les souverains
empêchera de renouveler celte pu-
blication dans la suite.
BuLtE Unigeniius. Vojet Unige-
NITUS.
(^A.B\LE, ou plutôt CABBALE,
mot hébreu qui signifie tradition.
Sous ce nom , les juifs ont formé
une vaine science , qui n'est qu'un
tissu de reveries.Nousn'en parlons
que pour en faire comprendre l'ab-
surdité , et pour réfuter une accu-
sation fausse , intentée à ce sujet
contre les Pères de l'Eglise. Voici ,
selon l'opinion de la plupart des
savants , quelle a été l'origine de
la cabbale.
CAIJ
Les Chaldcens, qui ne pouvoicnl
comprendre qu'un seul Dieu lui
l'auteur de tous les phénomènes de
la nature , du bien et du mal qui en
arrivent aux hommes , imaginèrent
une. multitude d'intelligences , de
génies oti d'esprits , les uns bons ,
les autres mauvais, auxquels ils at-
tribuèrent tout ce qui arrive ici-
bas. Us se persuadèrent que l'hom-
me pouvoit entrer en commerce
avec eux, se concilier la bienveil-
lance des bons esprits, et par leur
secours vaincre ou écarter l'in-
fluence des génies malfaisants.Telle
a été, chez tous les peuples, l'ori-
ginedu polythéisme, du culterendu
a de prétendus dieux inférieurs.
Pour invoquer le secours des
bons génies , pour gagner leur al-
feclion , il étoit essentiel de savoir
leurs noms ; l'on en forgea , et l'on
crut que la prononciation de ces
noms avoit la force d'évoquer les
bons génies , de les faire agir , de
mettre en fuite les mauvais esprits.
De là vint la superstition des mois
efficaces, par lesquels on croyoit
pouvoir opérer des prodiges , la
conBance aux talismans ou aux mé-
dailles sur lesquels ces mots mys-
térieux étoient gravés , etc. Ainsi
la combinaison des lettres de l'al-
phabet et des nombres d'arith-
métique , les différentes manières
de tourner et décomposer un mot ,
devinrentun art auquel s'appliquè-
rent sérieusement les esprits cu-
rieux et crédules.
On ne peut guère douter que les
juifs n'aient fondé sur ce préjugé
l'opinion qui règne parmi eux , que
la prononciation du nom hébreu
de Dieu peut opérer des miracles ;
do là encore la superstition qu'ont
eue leurs docteurs d'en changer les
points voyelles , pour que la vraie
prononciation de ce mot fût igno-
rée , de l'appeler ineffable , etc. Ils
ont forgé un art prétendu de dé-
« omposer les mots de l'Ecriture
sainte ) de trouver la valeur nunic-
CAB 38<j
ricjuc des lettres, de fonder là-des-
sus des mystères et des dogmes
qu'ils croient sérieusement. Leurs
sephiroths ne paroissent être autre
chose qu'une liste et une généalo-
gie des intelligences ou des génies ,
selon la méthode des Chaldéens.
Comme Platon admettoit aussi
des génies ou dieux inférieurs pour
gouverner le monde , et que Pylha-
gore attribuoit aux nombres une
vertu merveilleuse, les premiers
philosophes qui eurent connois-
sance du christianisme firent uià
mélange des idées chaldéennes. Ju-
daïques et platoniciennes, et vou-
lurent y accommoder les dogmea
prêches par les apôtres. De là les
eons des valentiniens, la prétendue
science cachée des gnosliques , la
magie, dont la plupart des anciens
hérétiques firent profession. Cet
entêtement se perpétua parmi les
philosophes éclectiques du troi-
sième et du quatrième siècle ; il se
renouvela lorsque les Arabes ap-
portèrent en Europe la philosophie
de Pythagore et de Platon ; l'on a
vu même dans le dix-septième siè-
cle des hommes qui avoient entre-
pris de faire revivre les folles ima-
ginations des cabalistes juifs.
Ainsi s'est formée , selon la plu-
part des critiques , la cabbale des
juifs. Plusieurs protestants, com-
me Basnage , Mosheim , Brucker ,
n'ont pas manqué d'observer que
le génie cabalistique , né en Egypte,
chez les esséniens et les thérapeutca
juifs, se glissa proraptjemenl dans
le christianisme, que les différentes
sectes en étoient infectées , que les
Pères de l'Eglise même ne surent
pas s'en préserver. De là , disent
ces profonds raisonneurs , est Te-
nu le goût des Pères pour les inter-
prétations allégoriques de l'Ecri-
ture sainte ; de là sont nées les
opinions philosophiques , qui , de
siècle en siècle, ont été mêlées avec
la théologie chrétienne. Pour pous-
ser celle belle idép jusqu'où elle
Sgo
CAB
peut aller, il restoitaux incrédules
adiré que Jésus-Christ lui-même
a suivi je fjoùt cabalistique , en se
servant de paraboles pour instruire
le peuple, et que l'auteur de l'A-
pocalypse eu a donné des leçons ,
c. i3, J^. i8 , en nous invitant à
compter les lettres et les chiffres
du nom de la bete.
Un savant de l'académie des in-
scriptions, TtfeVn. , tom. i3, in- 12,
p. 58 , a parlé plus sensément de la
cabbale juive et de son origine ;
Mosheini et Brucker auroient dil
profiter de ses réflexions. Le tableau
qu'il a tracé de cette folle science
est des plus énergiques. « Principes
» taux ou incertains, dit-il, maxi-
») mes superstitieuses , interpréta-
» lions arbitraires , allégories for-
» cées , abus manifestes des livres
» saints; mystères recherchés dans
» les événements , dan les objets
i> réels et dans lessymboles; vertus
» attribuées à des jeux d'imagina-
» tion sur les mots , sur les lettres,
>• sur les nombres ; attention à
» consulter les astres , commerce
>> prétendu avec les esprits , récils
» fabuleux , histoires ridicules :
» tout y respire l'imposture et la
» séduction.» L'on nous dispensera
de croire que les meilleurs esprits
de l'antiquité , les philosophes
chaldéens et égjptiens, Pjthagore
et Platon , et surtout les Pères de
l'Eglise , ont été tous entêtés plus
ou moins de ce chaos d'absurdités.
En effet , le docte académicien
s'attache à les en disculper. Il fait
voir que la cabbale juive n'a qu'un
rapport très-éloigné et tres-impar-
fait avec les idées astrologiques des
Chaldéens , avec les nombres de
Pythagore , avec les abraxas ou
talismans des basilidiens ; que les
tons de Valentin ressemblent en-
core moins aux sephiroihs de la
cabbale qu'aux générations divines
de Sanchoniathon. Nous ajoutons
que Ton peut retrouver les mêmes
irreurs et les mêmes préjugés chez
CAB
les Indiens, chez les Chinois, même
chez les Sauvages de l'Amérique ;
sans doute ces derniers ne sont pas
allés les chercher en Egypte. C'est
un entêtement ridicule de vouloir
trouver dans un seul lieu de l'uni-
vers la source des opinions vraies
ou fausses qui viennent naturelle-
ment dans l'esprit de tous les p-eu-
ples.
Il observe très-judicieusement
que le goût des anciens pour les
symboles, les hiéroglyphes, les al-
légories , est venu de la nécessité
de la tournure de l'imagination des
Orientaux , et non du dessein de
cacher la véritéau vulgaire, comme
nos philosophes modernes l'ont
rêvé ; qu'il n'est pas.étonnant que
les Pères de l'Eglise, et même les
écrivains sacrés, se soient confor-
més à ce goiît dominant ; tous les
savants et tous les sages étoîent
forcés d'y avoir égard, puisqu' au-
trement ils n'auroient pas pu se
faire écouter. Croirons-nous que
les Péruviens et d'autres peuples
de l'Amérique se sont servis d'hié-
roglyphes au défaut d'écriture ,
afin de ne pas être entendus de tout
le inonde?
Le savant académicien prouve
que la cabbale n'est pas ancienne,
même parmi les juifs ; vainement
on a cru en trouver des vestiges et
un foible commencement dans le
Talmud, compilé au sixièmesiècle;
alors les juifs ne cultivoient point
d'autre science que celle de leur
religion ; ainsi la cabbale n'a pu
naître chez eux que vers le dixième
siècle. En effet, le rabbin Haï Gaon ,
mort l'an loSy ou io38 , est le
premier auteur dans les ouvrages
duquel la cabbale soit clairement
énoncée. On doit en conclure que
les premières semences de cet art
ridicule sont venues des philoso-
phes arabes , et qu'elles ont été
communiquées aux juifs dans le
temps que ceux-ci vivoient sous la
domination des Sarrasins, par con-
CAD
séquenl dans les 8 , 9 et 10.' siè-
cles. C'est depuis cette époque seu-
lement que les Juifs ont commencé
à cultiver les sciences profanes, en
particulier l'astrologie et la gram-
maire.
Ainsi se trouvent détruites, par
des preuves positives , toutes les
fausses conjectures des critiques
protestants, et leur pompeux sys-
tème touchant les effets contagieux
de la philosophie orientale , dans
laquelle ils ont cru trouver l'origine
de toutes les opinions de l'univers,
vraies ou fausses ; système éblouis-
oantaupremiercoup d'oeil, etsoute-
nu d'un grand appareil d'érudition ,
mais dont le fond ne porte sur rien.
CAD AVRE. Selon la loi des
Juifs, quiconque avoit touché un
cadavre éloit souillé ; il devoit se
purifier avant de se présenter au ta-
bernacle du Seigneur. Nuni., c 19,
y. Il et suiv. Quelques censeurs
des lois de Moïse ont jugé que cette
ordonnance étoit superstitieuse; il
nous paroît au contraire qu'elle
éloit très-sage. i.° C'étoit une pré-
caution contre la superstition des
païens , qui inlerrogcoient les
morts, pour apprendre d'eux l'ave-
nir ou les choses cacKées , abus
sévèrement interdit aux Juifs ,
Deut., c. 18, y. 1 1, mais qui a régné
chez la plupart des nations. La
coutume qu'avoient les Egyptiens
de conserver les momies, pouvoit y
donner lieu , et ce n'étoit pas un
exemple à imiter. 2.° Cette loi ten-
doitàinspirer plus d'horreur pour
le meurtre. Quand on sait combien
ce crime est commun chez les peu-
ples mal policés, on n'est pas tenté
de blâmer un législateur qui prend
tous les moyens possibles pour le
prévenir. Dans les climats aussi
(liauds que la Palestine , il y a du
danger à garder long-temps un ca-
fJ fw re SAxis lui donner la sépulture;
il étoit donc très à propos d'enga-
ger les Juifs à ensevelir prompte-
CaI
HV
ment les morts , et à se purifier
après les avoir touchés. Depuis
que les mahométans ont négligé
de prendre les mêmes précautions
et d'observer la même propreté que
les Juifs et les Egyptiens, l'Asie et
rEg}'pte sont devenus le foyer de
la peste. Si l'on connoissoit mieux
les anciennes mœurs , les dangers
relatifs aux climats, les erreurs et
les désordres des peuples dont
Moïse étoit environné, on n'auroit
plus la témérité de blâmer aucune
de ses lois .
CAIANISTES. Voyez Mono-
PHYSITES.
CAIN, fils aîné d'Adam, et meur-
trier de son frère Abel. L'indul-
gence avec laquelle Dieu traita ce
malheureux après son crime est di-
gne d'attention ; elle a été remar-
quée par plusieurs Pères de l'Eglise.
Déchiré par les remords, tremblant
pour sa propre vie, Caïn étoit prêt
a se livrer au désespoir ; Dieu dai-
gne le rassurer, et se contente de lui
faire expier son crime par une vie
errante. Ce trait de miséricorde, et
une infinité d'autres que rappor-
tent les livres saints , étoient né-
cessaires sans doute pour donner
aux pécheurs des espérances de par-
don , et pour les empêcher de
devenir plus redoutables par les
fureurs du désespoir.
C'est donc très-mal à propos
qu'un incrédule moderne a été
scandalisé de l'indulgence avec la-
quelle Dieu a traité le fratricide.
Ce crime ne demeura pas impuni ,
puisque le coupable fut condamné
à mener une vie errante sur la terre.
Il demande comment Caïn pou-
voit dire pour lors : Quiconque me
trouvera me tuera. Gen., c. 4, S •iL^-
C'est l'expression de la frayeur. Il
est incertain si Adam n'avoit pas
déjà un grand nombre d'enfants, si
Abel même n'en avoit pas laissé ;
CoVVj pouvoit donc redouter la ven-
Sga CAI
^eance de sfi neveux , ou plutôt il
paroît évident que l'an i3o du
monde, peu avant la naissance de
Seth , Adam et Eve avoient eu un
grand nombre d'enfants et de
petits-enfants dont l'Ecriture ne
parle point. Quant à ce que dit
Josèphe , que Caïn devint chef
d'une troupe de brigands , c'est
une conjecture qui n'est point fon-
dée sur l'histoire sainte, et qui ne
mérite aucune attention. Dès ce
moment le nom de Caïn n'est plus
prononcé dans l'ancien Testament.
Il est dit que Dieu lui imprima
un signe pour empêcher qu'il ne
fiit tué ; quelques auteurs se sont
persuadés que Dieu avoit changé
la couleur du visage de Caïn, l'avoit
rendu noir , que de là est venue la
race des nègres. C'est une vaine
imagination ; ces écrivains ne se
sont pas souvenus qu'à l'époque du
déluge universel toute la race hu-
maine a été formée de la postérité
de Noé. De là un incrédule de nos
jours a pris occasion de déclamer
contre les commentateurs des li-
vres saints ; mais faut-il attribuer
AUX commentateurs en général la
méprise d'un ou de deux particu-
liers ? Quelques interprètes tra-
duisent ainsi le texte hébreu ; Dieu
fit un signe ou miracle devant Ca^in,
pour V assurer quil ne seroit pas tué.
D'autres : Dieudisposa Vavenirpour
Caïn, de manière quil ne fût pas tué
par quiconque le renconireroit. Un
écrivain qui entend très-bien l'hé-
breu a donné récemment des
réponses solides à d'autres objec-
tions que l'on peut faire contre
l'histoire de Caïn. Réponse cri-
tique, etc., tome 4, pag- »•
CAINITES , hérétiques du se-
cond siècle, qui rendoient des hon-
neurs extraordinaires a Caïn et aux
autres personnages que l'Ecriture
nous peint comme les plus mé-
chants des hommes , tels que les
Sodomites, Esaii, Corc. Judas, etc.
CM
C étoitunebranchedesgnosliqaes,
qui joignoit aux mœurs tes plus cor-
rompues des erreurs monstrueuses.
Comme ils admettoientun prin-
cipe supérieur au Créateur , plus
sage et plus puissant que lui , ils
disoient que Caïn étoit enfant du
premier , et Abel une production
du second. Ils soutenoient que
Judas étoit doué d'une connois-
sance et d'une sagesse supérieure ;
qu'il n'avoit livré Jésus-Christ aux
Juifs , que parce qu'il prévoyoil
le bien qui devoit en arriver aux
hommes ; conséquemment ils lui
rendoient des actions de grâces et
des honneurs, et avoient un Evan-
gile sous son nom ; ce qui leur fit
donner aussi le nom dejudaïtes.
Ils rejetoient l'ancienne loi et le
dogme de la résurrection future; ils
exhortoient les hommes à détruire
les ouvrages du Créateur, et à com-
mettre toutes sortes de crimes; sou-
tenoient que les mauvaises actions
conduisoient au salut. Ils suppo-
soient des anges qui président au
péché, et qui aident à le commettre ;
ils les invoquoient et leur rendoient
un culte. Enfin, ils faisoient consis-
ter la perfection à se dépouiller de
tout sentiment de pudeur, et à com-
mettre sans honte les actions les
plus infâmes, Tertullien nous ap-
prend qu'ils enseignoient encore
des erreurs sur le baptême.
La plupart de leurs opinions
étoient renfermées dans un livre
qu'ils nommoient VAscension de
saint Paul , où , sous prétexte des
révélations faites à cet apôtre , dans
son ravissement au ciel , ils ensei-
gnoient leurs impiétés et leurs blas-
phèmes.
Une femme de celte secte, nom-
mée Quintille, vint en Afrique du
temps de Tertullien , et y pervertil
plusieurs personnes ; on appela
quintillianistesles sectateurs qu'elle
forma : il paroît qu'elle ajoutoit en-
core d'horribles pratiques aux in,-
famies des caïni/es.
CAI.
Ou auroit peine à se persuader
«{u'une secte entière ait pu pousser
à cet excès la démence et la dépra-
vation , si ce fait n'étoit pas attesté
par les Pères de l'Eglise les plus
respectables ; mais saint Irénée ,
Tertullien, saint Epiphane, TIjgo-
doret, saint Augustin , en parlent
de' même ; et les deux premiers
étoient témoins contemporains.
Les égarements des fanatiques qui
ont paru dans les derniers siècles,
rendent croyables ceux que l'on
attribue aux anciens. Hornebec ,
Controo., pag. Sgo, parle d'un ana-
baptiste qui pensoit sur Judas
comme les cainUcs. Lorsque l'es-
prit est entraîné par la déprava-
tion du cœur, il n'est point d'erreur
ni d'impiété dont l'homme ne soit
capable.
CALCÉDOINE.
DOINE.
Voyez Chalcé-
GALICE , coupe , vase à boire ;
ce terme est souvent employé par
les écrivains sacrés dans un sens
métaphorique , fondé sur les an-
ciens usages. Comme on mettoit
dans une coupe les petites boules,
les fèves ou les billets dont on se
servoit pour tirer au sort , calice
signifie souvent le sort, la portion
d'héritage échue à quelqu'un par
le sort. Ps lo , ^. 7 , le feu , le
soufre , les vents orageux , seront
la portion du calice des impies.
Psaume i5 , jj?'. 5 , il est dit : Le
Seigneur est la portion de mon
héritage et de mon calice , c'est-à-
dire , la portion d'héritage qui
m'est échue par le sort.
Par une métaphore semblable ,
les écrivains hébreux emploient ,
pour désigner l'héritage ou la pos-
session d'un homme, le cordeau ou
la perche avec lesquels on mcsuroit
la portion de chacun des héritiers.
Dans le psaume io4 , T- x , 1^
aordeauàc votre héritage ; dans le
psaume 73 , V'. 2 , la verge ou la
CAL :^j3
perche de votre héritage signifient
votre portion , ce que vous pos-
sédez.
Dans un autre sens calice signifie
un breuvage, une potion bonne ou
mauvaise ; les bienfaits de Dieu
sont compares à une potion douce
et agréable , ses châtiments à un
breuvage amer qu'il faut avaler.
Psaume 74 , !>!^- 9 , il est dit que
le Seigneur tient dans sa main un
calice de vin mêlé d'amertume,
qu'il en verse de côté et d'autre ,
quelespécheursen boiront jusqu'à
la lie. Jérémie, c. 25, y. i5,dit:
Le calice du vin de la colère du
Seigneur, etc.
Jésus-Christ demanda à deux de
ses apôtres : Pouvez-vous boire le
calice que je dois avaler ? Mail. ,
c. 20 , y . 22 : Pouvez-vous sup-
porter les souffrances qui me sont
réservées?
L'usage étoit autrefois, et il sub-
siste encore parmi le peuple des
campagnes , à la fin des repas de
cérémonie , de verser aux conviés
du vin à la ronde , de boire à la
santé les uns des autres, de remer-
cier l'hôte, qui de son côté, leur
répond des choses obligeantes , de
se lever ensuite de table, et de ren-
dre grâces à Dieu. Chez les anciens
onbuvoit à la ronde dans la même
coupe en signe de fraternité. Con-
séquerament cette coupe étoit ap-
pelée la coupe de bénédiction ou de
souhaits heureux, la coupe d'actions
de grâces , la coupe de satiété , ca-
lix inebrians ; la coupe de santé ^
parce qu'on la prenoit encore pou r
faciliter la' digestion. Prendre la
coupe de santé, calicem salutaris .
et invoquer le nom du Seigneur ,
ps. ii5 , ^. i3 , c'étoit remercier
Dieu de ses bienfaits. Chez les per-
sonnes riches cette coupe étoit d'or,
et quelquefois garnie de pierreries ,
c'étoit une marque d'opulence. Le
psalmiste s'écrie : « Que ma coupe
» de satiété est belle ! » Calix meus
inebrians , quàrn prœdarus est!
394 CAL
ps. aa , ^. 5 ; que mou sort est
heureux !
Dans les repas destinés à cimen-
ler une alliance , ou à la fin d'un
sacrifice, on ne manquoit pas de
boire la coupe d'actions de grâces
et de bénédictions ; c'étoit alors
la coupe (ï alliance et d'amitié ; dans
ceux qui se faisoient après les ob-
sèques d'un mort, c'étoit la coupe
de consolation. Jerem. , c. x6, ^'. 7.
Jésus-Christ, après sa dernière
cène , daigna faire allusion à ces
divers usages : « Il prit une coupe
» pleine de vin, la bénit, rendit
» grâces à Dieu , en fit boire à tous
n ses apôtres , et leur dit : Ceci
» est la coupe de mon sang et d'une
M nouvelle alliance ; faites ceci en
» mémoire de moi, etc. » Matth.,
V. 26 , '^ . 28 ; Luc. , c. 22 , jd. 20.
Ainsi selon l'intention du Sauveur,
cette action est un symbole de re-
connoissance envers Dieu , et d'ac-
tion de grâces , d'alliance avec
Jésus-Christ , de participation à
son sacrifice , de fraternité entre
les hommes, de santé pour nos
âmes; Teucharistie ne rempliroit
pas parfaitement toutes ces signi-
fications, si ce n'étoit rien de plus
que la cérémonie faite par les an-
ciens; encore moins pourroit-cUe
produire les effets pour lesquels
Jésus-Christ l'a instituée.
Calice, se dit particulièrement
de la coupe ou du vase dans lequel
on consacre le vin de l'eucharis-
tie. Le vénérable Bcde pense que
]e calice dont Jésus-Christ se servit
dans la dernière cène , étoit une
coupe à deux anses , et contenoit
une chopine ; que ceux dont on
s'est servi dans les premiers siècles
etoient de la même forme. Plu-
sieurs étoient de bois ou de verre;
le pape Zéphirin, ou, selon d'au-
ties , Urbain I." ordonna qu'on
les fit d'or ou d'argent; Léon IV
défendit d'employer des calices
d'élain ou de verre ; le concile
de Calchut ou Ccicylh eu Angic-
CM
terre , renouvela la même défense
l'an 787.
Les calices des anciennes églises
pesoient au moins trois marcs ;
l'on en voit dans les trésors et les
sacristies de plusieurs églises qui
sont d'un poids encore plus con-
sidérable. 11 y en a même dont il
paroît que l'on n'a jamais pu se
servir, à cause de leur volume, et
qui sont probablement des dons
faits par les princes pour servir
d'ornement. Hornius , Lindan et
BeatusRhenanus disent qu'ils ont
vu, en Allemagne, d'anciens ca-
lices auxquels on avoit ajusté, avec
beaucoup d'art , un tuyau , qui
servoit aux laïques pour recevoir
l'eucharistie sous l'espèce du vin.
T^oyez V Ancien Sacranieniaire de
V Eglise , par Grandcolas , pag. 92
et 728 ; Bona , de Reb. liturg. , 1. i ,
c 25.
L'abbé Renaudot, dans sa Col-
lection des liturgies orientales, ob-
serve avec raison que l'ancienne
coutume de l'Eglise, de consacrer
par des prières et par des onctions
les calices et les autres vases des-
tinés à contenir l'eucharistie , le
soin de les renfermer et d'erape-
cher qu'ils ne servent à des usages
profanes, est une attt-slation assez
claire delà croyance générale tou-
chant la présence réelle de" Jésus-
Christ dans l'eucharistie. Si on
avoit regardé ce sacrement du mê-
me œil que les calvinistes, on au-
roit dit la messe comme ils font
la cène, avec des vases ordinaires,
sans y attacher aucune idée de
sainteté ni de respect ; mais on n'a
tenu cette conduite dans aucune
communion chrétienne. Il prouve
que de tout temps les Orientaux
ont eu beaucoup de respect pour
les calices cX. les autres vases sacrés;
qu'ils les ont faits d'or et d'argent,
autant qu'ils l'ont pu; qu'ils ont
des bénédictions et des prières
propres pour leur consécration.
Liturg. orient. Collect., t. i, p. loa-
CAL
(itllc Jiscipliiic n'est donc pas une
nouvelle institution faite par l'E-
glise romaine, comme les protes-
tants l'ont prétendu.
CALIXTINS , sectaires qui s'é-
levèrent en Bohême au commen-
cement du quinzième siècle. On
leur donna ce nom, parce qu'ils
soutenoient la nécessité du calice
ou de la communion sous les deux
espèces , pour participer à la sainte
eucharistie.
Immédiatementaprèsle supplice
de Jean Hus , dit M. Bossuet , on
vit deux sectes s'élever en Bohème
sous son nom , les calixiins sous
Roquesane, les iaborilcs sous Ziska.
La doctrine des premiers consistoit
d'abord en quatre articles. Le pre-
mier concernoit la coupe , ou la
communion sous l'espèce du vin ;
les trois autres regardoient la cor-
rection des péchés publics et par-
ticuliers, sur laquelle ils portoieiit
la sévérité à l'excès , la prédication
libre de la parole de Dieu, qu'ils
ne vouloienl pas que i'on pût dé-
fendre à personne, et les biens de
l'Eglise contre lesquels ils décla-
moient. Ces quatre articles furent
règles dans le concile de Bàle d'une
manière dont les calixtuis paru-
rent contents; la coupe leur fut
accordée sous certaines conditions
dont ils convinrent.
Cet accord s'appela compactum,
nom célèbre dans l'histoire de Bo-
hême. Mais une partie des hussites,
qui ne voulut pas s'y tenir, com-
mença , sous le nom de iaborites ,
les guerres sanglantes qui dévastè-
rent la Bohème. L'autre partie des
hussites, nommée des calixiins ,
qui avoit accepte l'accord, ne s'y
tint pas; au lieu de dèclai'er, com-
me on en étoit convenu à Bàle ,
que la coupe n'est pas nécessaire,
ni commandée par Jésus-Christ ,
ils en pressèrent la nécessité, mê-
me à l'égard des enfants nouvelle-
ment baptisés. A la réserve de ce
CAL 3^5
point , ils tonvenoient de tout le
dogme avec l'Eglise romaine, et ils
auroient reconnu l'autorité du
pape, si Roquesane, piqué de n'a-
voir pas obtenu l'archevêché de
Prague , ne les avoit entretenus
dans le schisme.
Dans la suite , une partie d'entre
eux jugea qu'ils avoient trop de
ressemblance avec l'Eglise romai-
ne ; ceux-ci voulurent pousser plus
loin la réforme, et firent en se sé-
parant des calixiins, une nouvelle
secte , qui fut nommée Ics/rércs de
Bohême. Hisi. des Variai., 1. ii ,
n. i68 et suiv.
Les calixiins paroissent avoir
subsisté jusqu'au temps de Luther,
auquel ils se réunirent la plupart;
et quoique cette secte n'ait jamais
été fort nombreuse , on prétend
qu'il s'en trouve encore quelques-
uns répandus en Pologne. Mosheim
pense que les taborites, devenus
moins furieux qu'ils ne l'avoient
été d'abord , se réunirent aussi à
Lutheret aux autres réformateurs,
membresbien dignes, sans doute,
de former ^inc nouvelle Eglise de
Jésus-Christ.
Cai.ixtins , est encore le nom
que l'on donne a quelques luthé-
riens mitigés qui suivent les opi-
nions de Georges Calixte ou CVi-
liste, théologien célèbre parmi eux,
qui mourut vers le milieu du dix-
septième siècle. Il combattoit le
sentiment de saint Augustin sur
la prédestination , la grâce et le
libre arbitre ; ses discipies sont
regardés comme semi-pélagiens.
Calixtesoutenoitqu'ily adansles
hommes un certain degré de con-
noissance naturelle et de bonne
volonté , et que quand ils usent
bien de ces facultés, Dieu ne man-
que pas de leur donner tous les
moyens nécessaires pour arriver à
la perfection de la vertu , dont la
révélation nous montre le chemin.
Selon le dogme catholique , au
contraire, l'homme ne peut laiie,
396 CAL
d^aucune faculté naturelle , un
usage utile au salut, que par le se-
cours d'une grâce qui nous pré-
vient, opère en nous et avec nous.
C'est une maxime universellement
reconnue, que le simple désir de
la grâce est déjà un commence-
ment de grâce. On prétend que les
ouvrages qu'il a laissés sont très-
médiocres, malgré les éloges pom-
peux que lui ont donnés les pro-
testants. Au reste , il étoit plus
modéré que la plupart de ses con-
frères ; il avoit formé le projet ,
sinon de réunir ensemble les ca-
tholiques, les luthériens et les
calvinistes, du moins de les enga-
ger à se traiter mutuellement avec
plus de douceur , et de se tolérer
les uns et les autres. Ce dessein
lui attira la haine d'un grand
nombre de théologiens de sa secte;
ils écrivirent contre lui avec la
plus grande chaleur , et lui repro-
chèrent plusieurs erreurs. On le
regarda comme un faux frère ,
qui , par amour pour la paix, tra-
hissoit la vérité. Mosheim, avec
beaucoup d'envie de le justifier ,
n'a pas osé le faire, ni approuver
le projet que Calixte avoit formé.
Hist. ecclés. du dix-septième siècle ,
sect. 2 , part. 2 , c. i , § aS. Pour
plaire aux protestants , il faut dé-
clamer contre l'Eglise romaine ,
et témoigner pour elle la plus
grande aversion. Voyez Syncré-
TITES •
CALOMNIE , fausse imputation
faite à quelqu'un d'un vice, d'une
mauvaise action ou d'une mau-
vaise intention dont il n'est réel-
lement pas coupable. Outre le pé-
ché du mensonge qui est la base de
ce crime, c'est une injustice qui
blesse le prochain dans ce qui lui
est le plus cher, dans sa réputation
et souvent nuit à sa fortune. Les
calomnies couchées par écrit, ren-
dues publiques par l'impression,
sont encore plus odieuses que celles
CAL
qui se bornent à des discours ; les
libelles diffamatoires contre, les
vivants et les morts , méritejil de»
peines afflictives , et ne peuvent
être punis trop sévèrement.
« Celui , dit TEccIésiaste , qui
» calomnie en secret, est un scr-
» pent qui mord dans le silence, 51
Ecoles., c. 10 , 5!^. II ; « c'est un
I) homme abominable avec lequel
» il ne faut point lier société. »
Proe., c. z^,"^. 9 et 21. « Vous
i> ne calomnierez point votre pro-
» chain , vous ne lui ferez point
» violence. » Levit., c. 19, y. i3.
C'est une loi de l'ancien Testament,
fojidée sur les notions naturelles
de la justice.
« Ke vous accusez point les uns
» les autres; celui qui juge ou noir-
» cit son frère manque de respect
» à la loi. » Jac. , cap. 24, y^- ix.
« Renoncez à la malignité, à l'im-
» posture, à la médisance ; ne ren-
i> dez point le mal pour le mal , ni
>) calomnie pour calomnie. » J. Pe-
iri , cap. 2, yj'. i; cap. 3, y. 9.
« Priez Dieu pour ceux qui vous
» persécutent et vous calomnient.»
Matth., cap. 5 , S- 44- Tels sont
les préceptes de l'Evangile.
Une accusation fausse est aisée
à former, mais très-difficile à ré-
parer : malgré la multitude de
calomnies dont tout le monde se
plaint, on ne voitpoint d'exemples
de réparations. Saint Paul accuse
de ce crime les anciens philoso-
phes. Rom., c. i , ^. 29 et 3o. Il
seroit à souhaiter que les modernes
fussent plus attentifs à s'en pré-
server; mais il n'arrive que trop
souvent que ceux qui déclament
avec le plus d'amertume contre la
calomnie, sont ceux qui se la per-
mettent le plus aisément. Bayle ,
dans sa lettre aux réfugiés, repro-
che aux calvinistes d'avoir intro-
duit en France les libelles diffa-
matoires; son Dictionnaire critique
n'est presque rien autre chose ;
mais il n'est aucune de ces calont-
nies qui n'ait été répcléc cl ampli-
fié« par les incrédules d'aujour-
d'hui.
CALOYER ou CALOGER, calo-
geri , moine, religieux et religieu
sesgrecs, qui suivent la règle de
saint Basile. Les caloyers habitent
particulièrement le mont Athos ;
mais ils desservent presque toutes
les Eglises d'Orient. Ils font des
vœux, comme les moines en Occi-
dent. Il n'a jamais été fait de ré-
forme chez eux; ils gardent exac-
tement leur premier institut , et
conservent leur ancien vêtement.
Tavernier observe qu'ils mènent
un genre de vie fort austère et fort
j retiré; ils ne mangent jamais de
viande , et outre cela ils ont qua-
tre carêmes, et observent plusieurs
autres jeilnes de l'Eglise grecque
avec une extrême régularité. Ils ne
mangent du pain qu'après l'avoir
gagné par le travail de leurs mains;
il y en a qui ne mangent qu'une
fois en trois jours , et d'autres deux
fois par semaine. Pendant leurs
sept semaines de carême , ils pas-
sent la plus grande partie de lanuit
à pleurer et à gémir pour leurs
péchés et pour ceux des autres.
Quelques auteurs observent
qu'on donne particulièrement ce
nom aux religieux qui sont véné-
rables par leur âge, leur retraite
et l'austérité de leur vie , et le dé-
rivent du grecxaXoç, ôeau, etyTîpaç,
rieillesse. Il est à remarquer que
quoiqu'en France on comprenne
tous les moines sous le nom de
caloyers , il n'en est pas de même
en Grèce; il n'y a que les frères
quia'appellentainsi : caron nomme
ceux qui sont prêtres Jéronoma-
gues , iioovo^axoi , sacrificateurs,
Lc3 Turcs donnent aussi quel-
quefois le nom de caloyer à leurs
dervis ou religieux.
Les religieuses caloyères sont
renfermées dans des monastères
où elles vivent séparément cha-
CAI. 397
cunc dans leur maison. Elles por-
tent toutes un habit de laine noire
et un manteau de même couleur ;
elles ont la tête rasée , les bras et
les mains couvertes jusqu'au bout
des doigts : chacune a une cellule
séparée , et toutes sont soumises
à une supérieure ou une abbesse.
Elles n'observent cependant pas
une clôture fort régulière, puisque
l'entrée de leur couvent, interdite
aux prêtres grecs , ne l'est pas aux
Turcs, qui y vont acheter de petits
ouvrages à l'aiguille faits par ces
religieuses. Celles qui vivent sans
être en communauté, sont pour
la plupart des veuves , qui n'ont
fait d'autre vœu que de mettre un
voile noir sur leur tête , et de dire
qu'elles ne veulent plus se marier.
Les unes et les autres vont partout
où il leur plaît, et jouissent d'une
assez grande liberté à la faveur de
l'habit religieux.
CALVAIRE , montagne située
hors des murs de Jérusalem, nom-
mée en hébreu Golgoiha , crâne
ou tête chauve , parce qu'elle étoit
sans verdure; c'est là que Jesus-
Christ fut crucifié. Sainte Hélène
y fit bâtir une église. Il est dit dans
l'Evangile, qu'à la mort du Sauveur
il se fit un tremblement de terre,
et que les rochers se fendirent. Des
voyageurs anglois et des historiens
très- instruits , Millar , Fleming ,
MaundrelljSchaw et d'autres attes-
tent que le rocher du Calvaire n'est
point fendu naturellement selon
les veines de la pierre, mais d'une
manière évidemment surnaturelle.
« Si j e voulois nier, dit saint Cyrille
» de Jérusalem , que Jésus-Christ
» ait été crucifié, cette montagne
» de Golgotha , sur laquelle nous
» sommes présentement assemblés,
» me l'apprendroit. » Catech., i.3.
Dans les premiers siècles de l'E^
glise on croyoit, sur la foi d'une
tradition des Juifs, qu'Adam avoit
été enterré sur le Calvaire, et que
398 CAL
Jésus-Christ avoit été crucifié sur
sa sépulture . afin que le sang; versé
pour la rédemption du monde pu-
rifiât les restes du premier pécheur.
Origène, saint Cyprien, saint Ba-
sile , saint Epiphane , saint Atha-
nase, saint Jean-Chrysostème, saint
Ambroise, et d'autres, citent cette
tradition; saint Jérôme, après l'a-
voir rejetée, semble y être revenu.
Epist. ad Marcellam. Qu'elle soit
vraie ou fausse , peu importe ; elle
atteste toujours l'opinion que l'on
avoit dans ce temps-là de l'effica-
cité et de l'universalité de la ré-
demption.
Calvaire , chez les chrétiens ,
est une chapelle de dévotion où se
trouve un crucifix , et qui est éle-
vée sur un tertre proche d'une
ville , à l'imitation du Calvaire où
Jésus-Christ fut mis en croix près
de Jérusalem. Tel est le Calvaire du
Mont- Valérien , près de Paris ;
dans chacune des sept chapelles
dont il est composé, est représenté
quelqu'un des mystères de la pas-
CALVIN (Jean) , fondateur de
la secte qui porte encore aujour-
d'hui son nom, naquit à Noyon
en iSog, et mourut à Genève en
i564- Il y a dans la conduite de ce
célèbre réformateur, des traits de
caractère qu'il importe de saisir
pour se faire une idée juste du cal-
vinisme.
Instruit par un des émissaires
que Luther et ses associés avoient
envoyés en France , il vit que ces
réformateurs de la religion n'a-
voientni principes suivis, ni corps
de doctrine, ni profession de foi,
ni aucun règlement ênc de disci-
pline. Il entreprit de former un
système complet de théologie con-
forme à leurs opinions , et il en
vint à bout dans son InsiUution
chrétienne, qu'il publia en i536.
Il y pose pour principe que la
seule règle de foi qu'un fidèle doive
CAL
consulter est l'Ecriture sainte, que
Dieu lui en fait connoître la vérité,
et le vrai sens par une inspiration
particulière du Saint -Esprit. La
question est de savoir comment on
peut distinguer sûrement cette in-
spiration prétendue d'avec le fana-
tisme d'un imposteur.
Calvin , retiré à Genève , où Fa-
rel etViret avoient établi les opi-
nions des réformateurs d'Allema-
gne, commença par s'élever contre
un décret du synode de Berne , qui
régloit la forme du culte ; il se crut
mieux inspiré que ce synode. Obli-
gé de se retirer à Strasbourg , et
ensuite rappelé à Genève , il y ac-
quit un empire absolu , fit un ca-
téchisme , établit un consistoire ,
régla la forme des prières et des
prédications, la. manière de célé-
brer la cène, etc.. et revêtit son
consistoire du pouvoir de porter ,
des censures et d'excommunier.
Ainsi ce prédicant , après avoir dé-
clamé contre l'autorité que les pas-
teurs de l'Eglise catholique s'attri-
buoient, usurpa lui-même une
autointé cent fois plus absolue , à
laquelle l'inspiration qu'il accor-
doit à chaque fidèle étoit obligée
de céder.
Le traducteur anglois de Mos-
heim, quiprétend que Calvin sur-
passa tous les autres réformateurs
en savoir et en talents , convient
qu'il poussa aussi plus loin que les
autres l'opiniâtreté , la sévérité et
l'esprit turbulent , tom. 4^ P- Qi 3
note. Quelles qualités pour un apô-
tre ! Il jugea lui-même que le pou-
voir qu'il s'étoit arrogé étoit exor-
bitant, puisqu'avant de mourir U
conseilla au clergé de Genève de ne
point lui donner de successeur.
Spon , Hist. de Genève , iorae a ,
p. 3. Les protestants, qui ne ces-
sent de déclamer contre l'ambition
et le despotisme des papes , par-
donnent à Calvin de l'avoir porté
beaucoup plus loin ; ils l'excusent
à cause f disent- ils, de ses services
CAL
et rfe SCS veilus. Où sont donc le*
vertus de oc fougueux réforma-
teur. (N'. XIII, p. xjcvii )
Bolsec, carme apostat, lui prou-
va que par sa doctrine il faisoit
Dieu auteur du péché ; Cali>in fit
bannir Bolsec , et il ne tint pas à
lui qu'on ne le punît par des peines
afllictives , comme pélagien et sé-
ditieux. Castalion, pour avoir aussi
attaqué la doctrinede Ca/w/, avoit
été de même obligé de sortir de
Genève. Ce n'étoit plus l'Ecriture
ni l'inspiration de chaque fidèle
qui étoit règle de foi dans cette
ville, c'étoit l'autorité despotique
de Calvin,
Michel Servet, qui avoit atta-
qué lemystère de la sainte Trinité,
et qui étoit poursuivi en France ,
se sauva à Genève ; Calvin le fit ar-
rêter, le fit condamner à être brû-
lé vif, et la senlen.ce fut exécutée.
Pour justifier sa conduite, Calvin
fit un traité, où il entreprit de
prouver qu'il falloit punir de mort
les hérétiques. Ainsi , ces ministre.-,
qui soutenoient que l'Ecriture est
seule règle de notre foi , que cha-
que particulier est juge du sens de
l'Ecriture , condamnoient comme
hérétique un écrivain , parce qu'il
ne voyoit pas dans l'Ecriture le
même sens et les mêmes dogmes
qu'ils prétendoiejit y voir : pen-
dant qu'ils se déchaînoient contre
les magistrats qui punissoient de
mort les hérétiques en France, ils
faisoient eux-mêmes brûler Servet,
parce qu'ils le jugeoient hérétique.
Genlilis , Okin , Blandrat , qui
voulurent renouveler à Genève les
opinions de Servet, faillirent à être
traités de même. Gentilis fut mis en
prison et obligé de se rétracter ;
Okin fut chassé ; Blandrat , pour-
suivi en justice, forcé à signer une
profession de foi , et à s'évader.
Il ne faut pas croire que cette
contradiction entre les principes
des réformateurs et leur conduite
a i t cessé dans le calvinisme. Sts par-
CAL 3y9
tisans ont toujours coulinué d'en-
seigner que l'Ecriture sainte est I.i
seule règle de notre foi, que Difii
éclaire chaque fidèle pour juger du
vrai sens de l'Ecriture, que le sen-
timent des Pères , les décrets des
conciles , les décisions de l'Eglise ,
ne sont qu'une autorité humaine a
laquelle personne n'est obligé de
déférer , et en même temps ils n'ont
pas cessé de tenir des synodes, de
dresser des professions de foi , de
condamner des erreurs , d'excom-
munier ceux qui les soutenoient ;
ils ont ainsi traité les sociniens ,
les anabaptistes, les arminiens.
Un déiste de nos jours, élevé
parmi les calvinistes, leur a repro-
ché avec beaucoup de véhémence
cette contradiction." Votre histoi-
» re, leur dit-il, est pleine de faits
» qui montrent de votre part une
» inquisition très-sévère , et que ,
» de persécutés , les réformateurs
« devinrent bientôt persécuteurs.
n A force de disputer contre le cler-
» gé catholique , le clergé protes-
» tant prit l'esprit disputeur et
» pointilleux. Il vouloit tout déci-
» der, tout régler , prononcer sur
» tout ; chacun proposoit impé-
» rieusement son opinion pour loi
» suprême à tous les autres ; ce n'é-
» toit pas le moyen de vivre en paix.
» Calvin avoit tout l'orgueil du
» génie qui sent sa supériorité et
» qui s'indigne qu'on la lui dispute.
» Quelhommefut jamaisplus tran-
» chant, plus impérieux, plus dé-
» cisif, pl'us divinement infaillible
)> à son gré ? La moindre objection
)) qu'on osoit lui faire, étoit tou-
n jours une œuvre de Satan , un
» crime digne du feu. Ce n'est pas
» au seul Servet qu'il en a coiité la
» vie pour avoir osé penser autre-
» ment que lui.
» La plupart de ses collègues
» étoient dans le même cas, tous
» en cela d'autant plus coupables
» qu'ils étoient plus inconséquents;
j> leur dure orthodoxie étoit elle-
/^oo
CAL
»> même une hérésie selon leurs
» principes. » Deuxième lettre écrite
de la Montagne, p. 49» ^o > ^8.
(N.-^XIV, p.xxvm.)
Il faut d'ailleurs qu'un protestant
ait l'esprit étraïigement préoccupé,
pour s'imaginer que c'est l'Ecriture
sainte qui est la règle de sa foi.
Avant de lire ce livre, un jeune cal-
viniste est déjà prévenu des dogmes
qu'il doit y trouver, par les leçons
de son catéchisme , par les instruc-
tions des ministres , par le ton gé-
néral de la secte ; telle est l'inspi-
ration qui le guide dans cette lec-
ture. Aussi un luthérien ne manque
jamais de voir dans l'Ecriture les
sentiments de Luther, un socinien
ceux de Socin , un anglican ceux
des épiscopaux , tout comme un
calviniste y trouve ceux de Calvin.
Ce vice originel du calvinisme suf-
fit pour en démontrer l'absurdité.
Nous ne voyons pas ce qu'au-
roient pu répondre Calvin et ses
collègues, si un catholique instruit
leur avoit ainsi parlé : Vous pré-
tendez être suscités de Dieu pour
réformer l'Eglise ; mais vous n'êtes
envoyés ni par aucun pasteur lé-
gitime, ni par aucune Eglise chré-
tienne ; il faut donc que vous ayez
une mission extraordinaire et mi-
raculeuse. Commencez par la
prouver de la même manière que
Moïse, Jésus-Christ et les apôtres
ont prouvé la leur. Luther et d'au-
tres se donnent pour réformateurs
aussi-bien que vous ; vous ne vous
accordez point avec eux , vous
n'enseignez pas en toutes choses
la même doctrine, vous vous con-
damnez les uns les autres. Auxquels
d'entre vous dois-je croire par
préférence ?
Vous me donnez l'Ecriture sainte
pour unique règle de ma foi ; mais
vous ne reconnoissez pas pour l'E-
criture sainte plusieurs livres que
l'Eglise catholique me donne com-
me tels : comment tei'minerons-
nous celle contestation ? Sera-ce
CAL
l'Ecriture sainte qui m'apprendra
si tel livre est canonique ou non!*
Vous me présentez une traduction
françoise de la Bible. Donnez-moi
un garant de la fidélité de votre
traduction , de laquelle je ne suis
pas en état de juger par moi-
même. Vous dites que je ne dois
point déférer à l'autorité des hom-
mes ! donc je dois récuser la vôtr«
sur tout ce que vous trouverez bon
d'affirmer.
Puisque l'Ecriture sainte est la
seule régie de ma foi , vous avez
tort de prêcher et de vouloir expli-
quer l'Ecriture ; je sais lire aussi-
bien que vous ; c'est à moi d'y
trouver ce que Dieu a révélé , et
non à vous de me le montrer. Vous
me promettez l'inspiration du
Saint-Esprit pour prendre le vrai
sens de l'Ecriture ; je le veux: celte
inspiration me dicte que vous prê-
chez l'erreur, et que l'Eglise catho-
lique enseigne la vérité.
Pour toute réponse, Calvin au-
roit opiné à faire brûler ce raison-
neur : « Pareils monstres, disoit-il ,
doivent être étouffés ; comme fis ici
en Vexécution de Michel Servet , es-
pagnol. » Lettre de Calvin à M. du
Poët.
CALVINISME, doctrine de
Calvin et de ses .sectateurs en ma-
tière de religion.
L'on peut réduire à six chefs
principaux les dogmes essentiels du
calvinisme. i.° Que Jésus-Christ
n'est pas réellement présent dans
le sacrement de l'eucharistie, que
nous l'y recevons seulement par la
foi. 2.° Que la prédestination et la
réprobation sont absolues , indé-
pendantes de la prescience que Dieu
a des œuvres bonnes ou mauvaises
de chaque particulier ; que l'un et
l'autre de ces deux décrets dépend
de la pure volonté de Dieu , sans
égard au mérite ou au démérite des
hommes. 3." Que Dieu donne aux
orédestinés une foi et une justice
CAL
iimmissiblcs , ft ne leur impute
point leurs jitchcs. 4-° Qu'en con-
séquence du péché originel, la vo-
lonté de riioninie est tellement
afFoiblie qu'elle est incapable de
faire aucune bonne œuvre méri-
toire du salut, même aucune action
qui ne soit vicieuse et imputable
à péché. 5.°Qu'il lui est impossible
de résister à la concupiscence vi-
cieuse ; que tout le libre arbitre
consiste à être exempt de coaclion
et non de nécessité. 6.° Que les
hommes sont justifiés par la foi
seule , conséquemment que les
bonnes œuvres ne contribuent en
rien au salut ; que les sacrements
n'ont point d'autre efficacité que
d'exciter la foi. Calvin n'admet que
deux sacrements , le baptême et la
cène ; il rejette absolument le culte
extérieur et la discipline de l'Eglise
catholique.
On voit que , pour former son
système, cet hérésiarque a rassem-
blé les erreurs de presque toutes les
sectes connues, celles des prédes-
tinatiens, de Vigilance, des dona-
tistes , des iconoclastes , de Béren-
ger ; qu'il a répété ce qu'avoient
dit les albigeois , les vaudois , les
beggards , les frati'icelles , les wi-
clefites, Icshussites, Luther et les
anabaptistes.
Sur l'eucharistie , il n'enseigne
point , comme Zwicgle , que c'est
un simple signe du corps et du
sang de Jésus-Christ ; il dit que
nous y recevons véritablement
l'un et l'autre, mais seulement par
la foi; mais le corps et le sang de
Jésus-Christ n'y sont cependant
point avec le pain et le vin , ou par
impanatiou comme le veulent les
luthériens , ni par transsubstan-
tiation , comme ic soutiennent les
catholiques.
Ainsi depuis la naissance de la
réforme en iSiy, jusqu'en iSSa ,
voilà déjà trois systèmes différents
•<]ui s'ctoient formés sur ce que l'E-
crilure dit du sacrement de i'eu-
CAI j 4.0 1
charistie. Scloik Zwingle, les pa-
roles de Jésus-Christ , ceci estninri
cor/7.<î, signifient seulement, ceci e5//f
signe de rnon corps. Calvin soutient
qu'elles expriment quelque chose
de plus, puisque Jésus-Christ avoit
promis de nous donner sa chair à
manger. Jo«/?. , c. 6,]i?. 5d. Donc,
reprend Luther, le corps de Jésus-
Christ y est véritablement avec le
pain et le vin. Point du tout, dit
Calvin , si l'on admettoit une pré-
sence réelle, il faudroit nécessaire-
ment admettre la transsubstantia-
tion comme les catholiques, et le
sacrifice de la messe. Voilà comme
s'accordoient ces docteurs, tous sus-
ci tés de Dieu pour réformer l'Eglise,
et tous inspirés par le Saint-Esprit.
Si l'on compare ce qu'enseigne
Calvin sur la prédestination, avec
ce qu'il dit du défaut de liberté dans
l'homme , on sentira que Bolsec
avoit raison de lui reprocher qu'il
faisoit Dieu auteur du péché ; blas-
phème qui fait horreur. Toute la
différence qu'il y a entic les pré-
destinés et les réprouvés consiste
en ce ({ucDieu n'impute point les
péchés aux premiers, au lieu qu'il
les impute aux autres : un Dieu
juste peut-ii imputer aux hommes
des péchés qui ne sont pas libres,
damner les uns et sauver les au-
tres , précisément parce qu'il lui
plaît ainsi P L'abus que faisoit
Calvin de plusieurs passages de
l'Ecriture sainte, pour établir cette
doctrine odieuse , éloit une dé-
monstration de l'absurdité de sa
prétention, de vouloir que l'Ecri-
ture seule fut la règle de notre
croyance.
Aussi le prétendu déci-et absolu
de prédestination et de réprobation
causa-t-il , parmi les protestants,
les disputes les plus animées ; il
donna naissance à deux sectes ,
l'une des infralapsaires , l'autre
i]çs supralapsaires , et donna lieu
à une infinité d'écrits de port et
d'autre.
26
^02 CAL
Pour esquiver le sens des paroles
de Jésus-Christ, qui nous assurent
de sa présence réelle dans l'eucha-
ristie , Calvin opposoit d'autres
passages où il faut recourir au sens
figuré; et pour expliquer les pas-
sages qui semblent supposer que
Dieu est l'auteur du péché , il ne
vouloit pas faire usage de ceux dans
lesquels il est dit que Dieu hait ,
déteste , défend le péché , qu'il le
permet seulement, mais qu'il n'en
est pas l'auteur.
L'inamissibilité delajustice dans
les prédestinés, l'inutilité des bon-
nes œuvres pour le salut , étoient
deux autres dogmes qui entraî-
noient les plus pernicieuses consé-
quences. Calvin avoit beau les
pallier par toutes les subtilités
possibles, les simples fidèles ne sont
pas en état de saisir cette obscure
théologie ; elle est d'ailleurs direc-
tement opposée aux passages les
plus formels de l'Ecriture sainte ;
elle n'est bonne qu'à nourrir une
folle présomption et à détourner
le chrétien de faire des bonnes
œuvres,
Unenouvelle contradiction étoit
de soutenir que Dieu seul peut ins-
tituer les sacrements ; que , selon
l'Ecriture, il n'en a point institué
d'autres que le baptême et la cène,
et de prétendre que ces sacrements
n'ont point d'autre effet que d'ex-
citer la foi. L'institution de Dieu
est-elle nécessaire pour établir un
signe capable d'exciter la foi 1
C'étoit évidemment par nécessité
de système que Calvin nioit la pré-
sence réelle de Jésus-Christ dans
l'eucharistie. S'il avoit avoué qu'en
vertu de l'institution du Sauveur,
les paroles qu'il a prononcées ont
le pouvoir de rendre présents son
corps et son sang , comment dis-
convenir qu'en vertu de la même
institution, d'autres paroles ont la
force de produire la grâce dans
l'âme d'un fidèle disposé à la re-
cevoir ?
CAL
Mosheim et son traducteur con-
viennejit que sur ce point la doc-
trine de Calvin n'est pas intelli-
gible.
Dans la suite , les calvinistes ont
senti les inconvénients du système
de leur maître ; à peine ont-ils
conservé un seul de ces dogmes
en son entier ; ils ont changé les
uns , adouci et modifié les autres
Presque tous ont pris le sentiment
de Zwingle sur l'eucharistie, ils ne
l'envisagent que comme un signe.
Un très-grand nombre ont rejeté
les décrets absolus de prédestina-
tion , et sont devenus pélagiens.
Voyez, Arminiens et Gomaristes.
Les théologiens catholiques ont
attaqué en détail tous les dogmes
forgés par Calvin , même avec les
palliatifs que ses disciples y ont
apportés. Ils ont démontré l'oppo-
sition formelle de ces dogmes pré-
tendus avec l'Ecriture sainte , avec
la tradition ancienne et constante
de l'Eglise , avec les vérités que
tout chrétien est obligé d'admettre.
Ce réformateur accusoit l'Eglise
romaine d'avoir changé la doctrine
de Jésus-Christ établie par les apô-
tres ; on a prouvé jusqu'à l'évidence
que c'est lui-même qui a innové ,
qu'il n'y a dans l'univers entier
aucune secte qui ait professé \e. cal-
vinisme; qu'il est proscrit et détesté
dans des sociétés qui sesont séparées
de l'Eglise romaine depuis plus de
quatorze cents ans. Ce qui forme
déjà un préjugé terrible contre ce
système , c'est qu'il a fait éclore le
socinianisme et le déisme. Voyez
Protestants.
Depuis son établissement , il s'est
toujours maintenu à Genève , où il
a pris naissance ; des treize cantons
suisses, il y en a six qui le profes-
sent. Jusqu'en 1572, il a été la
religion dominante en Hollande;
quoique dès lors cette république
ait toléré toutes les sectes par raison
de politique, le ca/fmisTnc rigide y
est cependant toujours la religion
CAL
ilp l'état. Eu Angleterre, il est allé
«■(i décadence depuis le régne d'Eli-
sabeth, malgré les efforts qu'ont
laits les puritains ou presbytériens
pour le soutenir. Depuis que l'E-
glise anglicane a pris des sentiments
plus modérés, \c calvinisme est au
nombre des sectes non confor-
mistes et simplement tolérées. En
Ecosse et en Prusse , il est encore
dans toute sa vigueur. Dans quel-
ques parties de l'Allemagne , il est
mélangé avec le luthéranisme ; il
a été souffert en France jusqu'à la
révocation de l'édit de Nantes.
On demandera sans doute com-
ment un système si mal conçu et si
mal raisonné.,capable de désespérer
les âmes vertueuses et d'affermir
les pécheurs dans le crime, de l'aire
envisager Dieu comme un tyran
plutôt que comme un maîti'c aima-
ble , a pu trouver des sectateurs
dans presque toutes les parties de
l'Europe. Nous tâcherons d'expli-
quer ce phénomène dans l'article
suivant. Parmi nos conlro-versistcs
qui ont réfuté le caZyi/2i.s/rt<',Bossuet,
Arnaud, Nicole, Papin, Péiisson,
tiennent le premier rang , et sont
les plus estimés.
Mosheimréduità trois ou quatre
chefs les points de doctrine qui
divisent les calvinistes d'avec les
luthériens. i.° Touchant la cène,
ceux-ci disent que le corps et le
sang de Jésus-Christ y sont vérita-
blement donnés aux justes et aux
impies , quoique d'une manière
inexplicable; selon les calvinistes,
ce corps et ce sang n'y sont qu'en
figure, ou présents seulement par
la foi ; mais tous ne l'entendent
pas de même. Le traducteur de
Mosheima très-mal rendu ce point
de la croyance des luthériens , en
disant qu'ils assurent que le corps
et le sang de Jésus-Christ son/ ma-
iériellement présents dans le sacre-
ment; jamais les luthériens n'a-
voueront celle présence r/ialériellc:
ils disent que le corps et le sang du
CAL 4o3
Sauveur y sont donnés et reçus par
la communion, sans vouloir avouer
qu'ils y sont présents indépendam-
ment de l'action de communier.
2." Selon les calvinistes, le décret
par lequel Dieu , de toute éternité,
a prédestiné tel homme au bon-
heur du ciel et tel autre à la dam-
nation, est absolu, arbitraire, in-
dépendant de la prévision des
mérites ou démérites futurs de
l'homme ; selon les luthériens , ce
décret est conditionnel et dirige
par la prescience. 3.° Les calvi-
nistes rejettent toutes les cérémo-
nies comme des superstitions ; les
luthériens pensent qu'il y en a d'in-
différentes et que l'on peut conser-
ver, comme des peintures dans les
églises, des habits sacerdotaux, les
hosties pour consacrer l'eucha-
ristie, la confession auriculaire des
péchés, les exorcismes dans le bap-
tême , plusieurs fêtes , etc. Mais
Mosheim convient que ces divers
articles de croyance fournissent
matière à un grand nombre de
questions subsidiaires. 4-° Ni l'une
ni l'autre de ces deux sectes n'a
aucun principe certain touchant
le gouvernement de l'Eglise; dans
plusieurs endroits , les luthériens
ont conservé des évêques sous le
nom de surintendants ; ailleurs ils
n'ont qu'un simple consistoire ^
comme les calvinistes; chez les uns
et les autres , le pouvoir civil des
souverains et des magistrats a plus
ou moins d'influence dans les af-
faires ecclésiastiques, suivant les
lieux et les circonstances. A pro-
prement parler, leur seul point de
réunion est leur haine et leur ani-
mosité constante contre l'Eglise ro-
maine. Histoire ecclés. du seizième
siècle, sect. 3,2.^ partie , c. 2 ,
§• 29, 32.
CALVINISTES, sectateurs deCal-
vin ; on les nomme aussi proles-
tartts , prétendus réformés , sacra-
mentaires, huguenots. V. ces mots.
a6.
4o4 CAL
II est à propos de recherclier les
causes qui ont contribué aux pro-
grès que ces sectaires firent si rapi-
dement en France ; ce que nous en
dirons pourra servir avec propor-
tion à l'égard des autres contrées de
l'Europe.
On sentoit de toutes parts , au
commencement du seizième siècle,
le besoin d'une réforme ; les vœux
qu'avoient formés sur ce point les
conciles de Constance et de Bàle ,
les mesures qu'ils avoient prises
pour la procurer , tant dans le
chef que dans les membres de l'E-
glise, avoient été sans effet; on ne
voyoit aucun moyen d'y parvenir.
Tout le monde étoit mécontent
de l'état des choses; toutannonçoit
une révolution prochaine.
i.°Surlafin du quinzième siè-
cle, Alexandre VI avoit scandalisé
l'Eglise par ses mœurs et par son
ambition, Jules II, son successeur,
plus occupé de guerres et de con-
quêtes que du gouvernement de
l'Eglise , fut ennemi implacable de
Louis XII et de la France. Il sou-
leva contre ce roi toute l'Italie ,
lança contre lui une excommuni-
cation, mit le royaume en interdit,
dispensa les sujets du serment de
fidélité. Plus Louis XII étoit aimé
et méritoit de l'être , plus Jules II
fut détesté. Léon X, qui lui suc-
céda, ne montra pas plus de ver-
tus pontificales, ni de zèle pour
la réforme. Il étoit aisé de prévoir
que le mécontentement contre les
papes entraîneroit bientôt une
révolte contre Je joug de leur au-
torité. ^
2.° Les moines , surtout les men-
diants, soit par zèle , soit par in-
térêt , attiroient les fidèles dans
leurs églises par des dévotions sou-
vent assez mal réglées , multi-
plioienl les confréries , les indul-
gences , les reliques , les miracles ,
les histoires fausses ei apocryphes,
faisoient à cette occasion des quê-
tes lucratives, entrep renoient sur
CAL
les droits des curés et sur la juri-
diction des évêques , alléguoient
les privilèges qu'ils avoient obte-
nus du saint siège, etc. Quelques-
uns des théologiens qui écrivirent
contre ces abus , ne gardèrent pas
toute- la modération possible , et
firent retomber sur les pratiques
mêmes une partie du blâme que
méritoient les religieux.
3.° La juridiction ecclésiastique
n'étoit pas renfermée dans des bor-
nes aussi sages qu'elle devoit l'être,
les tribunaux laïques s'en plai-
gnoient. Il y avoit du désordre
dans la manière d'obtenir , de
posséder, d'adniinistrer les béné-
fices ; en général le clergé séculier
étoit moins instruit et moins ré-
glé qu'il ne l'est aujourd'hui, et
les peuples se ressenloient de ce
malheur. En un mot, tous les abus
qui ont été corrigés ou prévenus
par les décrets du concile de
Trente , étoient presque générale-
ment répandus.
4." Les théologiens , bornés à la
scolastlque , ne cultivoient ni l'é-
rudition sacréeni les belles-lettres,
l'egardoient même cette étude com-
me dangereuse pour la religion.
Les laïques qui , depuis le règne
de François I.", avoient acquis
des connoissances , méprisoient
les théologiens , et se croyolent
pour le moins aussi capables
qu'eux de juger des matières de
religion.
L^on ne doit pas être surpris si
les émissaires de Luther , de Mé-
lancthon, de Bucer, qui étoient
lettrés ,qui parlolentet ccri voient
bien, qui avoient étudié les lan-
gues et l'histoire , trouvèrent
parmi les littérateurs des disciples
totit prêts à être séduits. C'éloit
assez de déclamer contre le pape,
contre le clergé séculier et régu-
lier, contre les abus eu fait de re-
ligion , pour être écouté. La con-
fession , les jeilnes , les œuvres
satisfactoires , les vœux , les prati-
CAL
ques du culte public, les honoraires
des ministres de la religion , sont
un joug; l'on en éloit laligué , et
on voyoit un moyen de s^en débar-
rasser.
Le poison, répandu en secret ,
gagna de proche en proche, infecta
des hommes de tous les états ; ceux
qui l'avoient reçu furent eux-mê-
mes étonnés de se trouver d'abord
en si grand nombre. Les livres
de Luther, de Mélanclhon , de
Carlostad, de Zwinglc, se mulli-
plioient eu France , et en firent
naître d'autres : on vit éclore de
toutes parts des livres de pieté ,
des traités dogmatiques , des ou-
vrages polémiques ; ils inondèrent
le royaume et y allumèrent le fa-
natisme des décrets de la faculté
de théologie : les mandements des
éveques , les recherches de la
police , ne purent en arrêter le
cours. Peu iniportoit quelle doc-
trine on adopteroit, pourvu que
l'on changeât de religion. Ulnsii-
luiion de Calvin parut; cet ouvrage
etoit séduisant, il fut reçu avec
acclamation ; une grande partie
du royaume se trouva bientôt cal-
viniste sans l'avoir prévu.
Ce parti , qui sentit ses forces ,
éclata par des voies de fait , par
des placards, par des libelles inju-
rieux ; les magistrats et le gouver-
nement alarmes eurent recours aux
supplices : il étoit trop tard; ces
exécutions aigrirent les esprits,
et rendirent les calvinistes furieux.
N'oublions pas que sous les Va-
lois les peuples étoient aussi mé-
contents du gouvernement que de
l'état de la religion. François II ,
prince inappliqué, se déchargea
de l'adrainislralion du royaume
sur les princes de Guise ; ceux-ci
avoient gagné la faveur du clergé
par leur zèle pour la religion ca-
tholique ; les grands qui vouloicnt
leurenlever l'autorité, se rangèrent
du côté des calvinistes. La conju-
ration d'Amboise, qu'ils formèrent
CAL t^o^
dans ce dessein, éclata et fut dé-
concertée ; la punition des conju-
rés ne servit qu'a augmenter la
haine, et à faire concevoir de nou-
veaux projets de révolte.
Charles IX , en montant sur le
trône, voulut en vain calmer les
deux partis ; l'amnistie accordée
par sou édit aux protestants ne
prouve que trop les excès auxquels
ils s'étoient déjà portés. Un tu-
multe arrivé par hasard à Vassi ,
et dans lequel plusieurs protestants
furent tués , leur servit de prétexte
pour lever une armée et commen-
cer une guerre civile. Elle em\)rasa
bientôt tout le royaume, et elle
se fit de part et d'autre avec toute
les fureurs que le fanatisme peut
inspirer, Deux fois elle fut suspen-
due par des édits de pacification,
ou plutôt de pardon ; à la troisiè-
me , les protestants obtinrent de
leur souverain tout ce qu'ils de-
mandoient,et même des places de
sûreté.
Un roi réduit à traiter avec ses su-
jets devenus ses ennemis, leur par-
donne difficilement cette injure;
Charles IX, indigné des conditions
qu'on lui avoil fait subir , frappé
de ce qu'il avoit à redouter de
la part d'un parti toujours me-
naçant, conçut le funeste projet
de se défaire des chefs du parti
huguenot , et permit de les mas-
sacrer. Le peuple , une fois animé
au carnage , ne se borna pas à im-
moler les chefs; un nombre infini
de catholiques satisfirent leurs
haines particulières, poussèrent la
cruauté aux derniers excès , et don-
nèrent ainsi lieu à une nouvelle
guerre villes. K.Saint-Bartiiélemi.
Henri III , pour la faire cesser,
fut oblige d'accorder aux calvinistes
un cinquième édit encore plus fa-
vorable pour eux que les précé-
dents ; les catholiques mécontents
formèrent la ligue, qui fut nom-
mée très-mal à propos la sainte
union ; la crainte de voir passer la
4o6
CAL
couronne sur la tête d'un prince
hérétique rendit les catholiques
aussi intraitables que les hugue-
nots.
Henri IV avoit été malheureuse-
ment élevé dans le calvinisme ; il
fut obligé de conquérir son royau-
me sur les ligueurs. Enfin , victo-
rieux et universellement reconnu ,
il accorda aux calvinistes , qui l'a-
voient utilement servi , un nouvel
édit de pacification , semblable
aux précédents, avec des villes de
sûreté; c'est l'édit de Nantes.
Heureuse la France , si la paix
eût éteint le fanatisme ! mais il sub-
sistoit encore ; Henri IV en fut la
victime, et périt, comme Henri III,
par un assassinat.
Sous Louis XIII, les protestants
reprirentles armes; ils furentvain-
cus, et leursplaces fortes démolies.
Mais l'édit de Nantes fut confirmé
quantaux autres articles. LouisXIV,
plus puissant et plus absolu qu'au-
cun de ses prédécesseurs, révoqua
l'édit de Nantes en i685, et depuis
ce moment les cahinisles ont été
privés en France de l'exercice pu-
blic de leur religion. Nous n'ose-
rions examiner si cette révocation
a été injuste et illégitime, si elle a
porté au royaume un préjudice
aussi considérable que l'ont pré-
tendu quelques écrivains modernes.
Cette narration trcs-abrégée suf-
fit pour donner une idée des maux
«ju'a causés à la France une pré-
tendue réforme qui, loin de ren-
dre la foi plus pure et la morale
plus parfaite, renouvelle une foule
d'erreurs condamnées dans les dif-
férents siècles de l'Eglise; dont les
dogmes renversent les principes de
la morale fondés sur la liberté de
l'homme, jettent lésâmes timorées
dans le désespoir , et les méchants
dans une funeste sécurité , ôte
tout motif de pratiquer la vertu ,
et qui a inspiré dès l'origine à ses
sectateurs la même révolte contre
Jçs puissances séculières que contre
CAL
l'autorité ecclésiastique. Aujour-
d'hui revenus de leur ancien fana-
tisme , ses docteurs sont forcés de
convenir que l'Eglise romaine, de
laquelle ils se sont séparés, n'en-
seigne aucune erreur fondamen-
tale , ni sur le dogme , ni sur la
morale, ni sur le culte; qu'un bon
catholique peut faire son salut dans
sa religion. Qu'étoit-il donc né-
cessaire de bouleverser l'Europe
entière pour la détruire , et pour
établir le calvinisme sur ses ruines?
Quand on n'auroit à leur repro-
cher que l'incendie de plusieurs ri-
ches bibliothèques, tant en France
qu'en Angleterre , c'en seroit assez
pour faire délester l'esprit qui les
animoit.
Cependant une foule d'incrédu-
les , toujours prêts à soutenir le
parti des séditieux , veulent faire
retomber sur la religion catholi-
que les excès auxquels les calvinis-
tes se sont portés, et tous les maux
qui s'en sont ensuivis. Ils disent
que les défenseurs de la religion do-
minante se sont élevés avec fureur
contre les sectaires , ont armé con-
tre eux les puissances, en ont ar-
raché des édits sanglants, ont souf-
flé dans tous les cœurs la discorde
et le fanatisme , et ont rejeté sans
pudeur sur leurs victimes les dés-
ordres qu'eux seuls avoient pro-
duits. Cela est-il vrai "?
i.° L'on connoît les principes
des premiers réformateurs , de
Luther et de Calvin ; ils sont con-
signés dans leurs ouvrages. En iSao,
avant qu'il y eût aucun édit porté
contre Luther, il publia son livre
de la Liberté chrétienne, où il déci-
doit que le chrétien n'est sujet à
aucun homme, et déclamoit con-
tre tous les souverains; c'est ce
qui causa la guerre des anabaptis-
tes. Dans ses thèses il s'écria qu'il
falloit courre sus au pape , aux
rois et aux césars qui prendroienl
son parti. Dans son traité du Fiic
commun , il vouloit que l'on pillât
CAL
les églises , les monaslèrcs et les
cve.cliés. En consétjuencc, il fut
mis au Lan de l'empire eu iSai.
Est-ce le clergé qui dicta cet arrêt i*
La grande maxime de ce fougueux
réformateur, étoit que l'Evangile
a toujours causé du trouble, qu'il
faut du sang pour l'établir. Tel
est l'esprit dont éloient animés
ceux de ses disciples qui vinrent
prêcher en France.
Calvin écrivoit qu'il falloit ex-
terminer les zélés faquins quis'op-
posoient à l'établissement de la
réforme ; que pareils monstres
doivent être étouffés ; il appuya
celte doctrine par son exemple ,
lit uji traité exprés pour la prou-
ver. Voyez les Lettres de Calvin à
M. du Po'èt , Fidelis expnsitto , etc.
Nous demandons si des prédicants
qui s'annoncent ainsi doivent être
soufferts dans aucun état policé f
3.° Le premier édit porté en
France contre les calvinistes fut
publié en i534. Alors la réforme
avoit déjà mis en feu l'Afiemagne;
il y avoit eu en France des images
brisées , des libelles séditieux ré-
pandus , des placards injurieux af-
fichés jusqu'aux portes du Louvre ;
François I.*'' craignit pour ses états
les mêmes troubles qu'il avoit fo-
mentés lui-même en Allemagne.
Telle fut la cause des premières
exécutions faites en France. Lors-
que les princes protestants d'Al-
lemagne s'en plaignirent , Fran-
çois L"^'' répondit qu'il n'avoit fait
que punir des séditieux. Par l'édit
de i54o, il les proscrivit comme
perturbateurs de l'état et du repos
public ; personne n'a encore osé ac-
cuser le clergé d'avoir eu part à ces
édits. Un célèbre écrivain de nos
jours est convenu que l'esprit do-
minant du calvinisme étoit de s'é-
riger en république. Essais sur
r Histoire générale, etc.
3.° Nous défions les calomnia-
teurs du clergé de citer un seul pays,
une seule ville , où les calvinistes
CAL 407
devenus les maîtres aient souffert
l'exercice de la religion catholique.
En Suisse , en Hollande , en Suéde,
en Angleterre, ils l'ont proscrite,
souvent contre la foi des traités.
L'ont-ils jamais permise en France,
dans leurs villes de siireté ? Une
maxime sacrée de nos adversaires .
est qu'il ne faut pas tolérer les in-
tolérants : or, jamais religion ne fut
plus intolérante que le calvinisme ;
vingt auteurs, même protestants,
ont été forcés d'en convenir. Dès
l'origine , en France et ailleurs , les
catholiques ont eu à choisir , ou
d'exterminer les huguenots, ou d'ê-
tre eux-mêmes exterminés.
4-° Si , avec tout le flegme que
peuvent inspirer la charité chré-
tienne, l'amour de la vérité, le res-
pect pour les lois , le vrai zèle de
religion, les premiers réformateurs
s'étoient attachés à prouver que
l'Eglise romaine n'est point la vé-
ritable Eglise de Jésus-Christ, que
son chef visible n'a aucune auto-
rité de droit divin, que son culle
extérieur est contraire à l'Evangiu ,
que les souverains qui la protègent
entendentmal leurs intérêts et ceux
de leurs peuples, etc.; si, en de-
mandant la liberté de conscience,
ils avoient solennellement promis
de ne point molester les catholi-
ques, de ne point troubler leur
culte , de ne point injurier les prê-
tres , etc. , et qu'ils eussent tenu
parole, sommes-nous certains que
le gouvernement n'eîît point laissé
de sévir contre eux ? Quand même
le clergé eût sollicité des édits san-
glants , les auroit-ii obtenus ? On
sait si pour lors la cour étoit fort
chrétienne et fort zélée pour la xe-
ligion.
5.° En supposant que le massa-
cre de Vassi étoit un crime prémé-
dité, ce qui n'est point, c'étoit le
fait particulier du duc de Guise et
de ses gens; étoit-ce un sujet légi-
time de prendre les armes , au lien
de porter des plaintes au roi , et de
4o8 CAL
demander )uslice ? Mais les calt^i-
nistes 3iV oient déjà résolu la guerre,
ils n'altendoicnt qu'un prétexte
pour la déclarer. Des ce moment
ils n'ont plus rieji voulu obtenir
que par force et les armes à la
main. Le clerjjé n'a donc pas eu be-
soin desoufiler le feu de la discorde
pour animer les catholiques à la
vengeance ; les huguenots furieux
ne leur ont fourni (^ue trop de sujets
de représailles. Ceux-ci ont du s'at-
tendre à être traités en ennemis ,
toutes les fois que le gouvernement
auroitassez deforcepour lespunir.
C'e^t donc une calomnie gros-
sière d'attribuer au clergé et au
zèle fanatique de la religion les ex-
cès qui ont été commis pour lors ;
le foyer du fanatisme étoit chez les
calvinistes , et non chez les catho-
liques.
6.° Nous n'avons pas besoin de
chercher ailleurs que chez nos ad-
versaires les preuves de ce que nous
avançons. Bay le, qui ne doit pas
être suspect aux incrédules , qui vi-
voit parmi les caloinisies , et qui
les connoissoit très-bien, leur a re-
proché, dans son A.vis aux réfugiés,
en 1690, d'avoir poussé la licence
des écrits satiriques à un excès dont
on n'avoit point encore eu d'exem-
ple ; d'avoir , dès leur naissance ,
introduit en France l'usage des li-
belles diffamatoires , que l'on n'y
connoissoit presque pas ; il leur
rappelle les édlts par lesquels on
fut obligé de réprimer leur audace,
et la malignité, avec laquelle leurs
docteurs , l'Evangile à la main, ont
calomnié les vivants et les morts.
Il leur oppose la modération et la
patience que les catholiques, en
pareil cas , ont montrées en Angle-
terre. Il accuse les premiers d'avoir
enseigné constamment, que, quand
un souverain manque à ses promes-
ses , s,e% sujets sont déliés de leur
serment de fidélité , et d'avoir fon-
dé sur ce principe toutes les guerres
civiles dont ils ont été les auteurs.
CAL
Il leur représente que , quand il
a été question d'écrire contre le
pape , ils ont soutenu avec chaleur
les droits et l'indépendance des
souverains ; que lorsqu'ils ont été
mécontents de ceux-ci, ils outre-
rais les souverains dans la dépen-
dance à l'égard des peuples ; qu'ils
ont soufflé le froid et le chaud ,
suivant l'intérêt du lieu et du
moment. Il leur montre les consé-
quences affreuses de leurs princi-
pes touchant la prétendue souve-
raineté inaliénable du peuple ; et
aujourd'hui nos politiques incré-
dules osent nous vanter ces mêmes
principes, comme une découverte
précieuse et nouvelle qu'ils ont
faite ; ils ne saventpas que c'est une
doctrinerenouvelée des huguenots.
Il n'y a , continue Bay le , point de
fondement de la tranquillité pu-
blique que vous ne sapiez , point
de frein capable de retenir les peu-
ples dans l'obéissance que vous ne
brisiez. ..Vous avez ainsi vérifié les
craintes que l'on a conçues de vo-
tre parti , dès qu'il païut, et qui
firent dire que quiconque rejette
l'autorité de l'Eglise , n'est pas loin
de secouer celle des puissances sou-
veraines ; et qu'après avoirsoutenu
l'égalité entre le peuple et les pas-
teurs , il ne tardera pas de soute-
nir encore l'égalité entre le peuple
et les magisti^ats séculiers.
Bayle va plus loin ; il prouve
que les calvinistes d'Angleterre ont
autant contribué au supplice de
Charles I." que les indépendants ;
que leur secte est plus ennemie de
la puissance souveraine qu'aucune
autre secte protestante ; que c'est
ce qui les rend irréconciliables avec
les luthériens et les anglicans.il fait
voir que les païens ont enseigné
une doctrine plus pure que la leur,
touchant l'obéissance que l'on doit
aux lois et à la patrie ; il réfute
toutes les mauvaises raisons pai
lesquelles ils ont voulu justifier
leurs révoltes frcqucntcf. 11 démon-
CM.
treque la ligue ilcs catholKiiicspo ur
exclurc Henri IV du trône de Fran-
ce , parce qu'il cloit huj^uenot ,
a été beaucoup moins odieuse et
moins criminelle que la li{^ue des
protestants pour priver le duc
d'Yorck de la couronne d'Angle-
terre , parce qu'il étoit catholique.
Telle est l'analyse de VAvis aux ré-
fugiés , qu'aucun calviniste n'a osé
entreprendre de réfuter.
Déjà , dans sa Réponse à la lettre
d? un réfugié en 1688, il avoit mon-
tré que les calvinistes sont beau-
coup plus intolérants que les ca-
tholiques , qu'ils l'ont toujours été,
qu'ils le sont encore, qu'ils l'ont
prouvé par leurs livres et par leur
conduite ; que leur principe inva-
riable est qu'il n'y a point de sou-
verain légitime que celui qui est
orthodoxe à leur manière. 11 leur
avoit soutenu qu'eux-mêmes ont
toi'cé Louis XIV à révoquer l'édit
de Nantes ; qu'en cela il n'a lait
tout au plus que suivre l'exemple
des états de Hollande , qui n'ont
tenuaucun des traités qu'ils avoient
faits avec les catholiques. Il avoit
prouvé que toutes les lois des états
protestants ont été plus sévères
contre le catholicisme, que celles
de France contre le calvinisme. Il y
rappelle le souvenir des émissaires
que les huguenots envoyèrent à
Cromwel, en i65o, des offres qu'ils
lui firent, des résolutions séditieu-
ses qu'ils prirent dans leurs sy-
nodes de la Basse -Guienne. Il se
moque de leurs lamentations sur
la prétendue persécution qu'ils
éprouvent, et il leur déclare que
leur conduite justifie pleinement la
sévérité avec laquelle on les a trai-
tés en France. Œuvres de Bajle ,
tora. 2 , p. 544-
L'écrivain qui, en itSS, a fait
l'apologie de la révocation de l'cdil
de Nantes , n'a presque rien fait
autre chose que répéter les mêmes
reproches et les mêmes faits ([ue
IJ.-iyle avoit soutenus en face aux
CAM 409
cahu'nistes , en 1O88 et 1690. Ce-
pendant tous nos politiques anti-
chrétiens ont élevé la voix contre
lui ; ils ont voulu le faire passer
pour un boute-feu et pour un fa-
natique : qu'auroient-ils dit, si cet
auteur avoit déclaré hautement
quil copioit Bayle presque mol
pour mol ? Voy. Guerres de Reli-
gion, Protestant, Tolérance, etc.
CAMALDULES, ordre religieux,
fondé par saint Romuald , en loog,
ou , selon d'autres , en 960. Saint
Romuald envoya plusieurs de ses
religieux prêcher l'Evangile aux
peuples de la Hongrie, qui étoient
encore infidèles ; il y alloit lui-
même dans ce pieux dessein , lors-
qu'il fut surpris de la maladie dont
il mourut.
Le Père Ziégelbaur a donné la
notice des écrivains de cet ordre en
lySo , à Venise , in-folio.
La congrégation des ermites de
saint Romuald , ou du mont de la
Couronne , est unebranche de celle
de Camaldoli avec laquelle elle s'u-
nit en i532. Paul Justiniani , de
Venise , commença son établisse-
ment en iSao , et en fonda le prin-
cipal monastère dans l'Apennin, au
lieu nommé le mont de la Couron-
ne, à dix milles de Pérouse, Voy.
Baronius , Raynaldi , Sponde , ad
ann. iSao.
Les prolestants ont forgé une ca-
lomnie grossière contre saint Ro-
muald. Dans une histoire ecclésias-
tique imprimée à Berne en 1767,
il est dit que Serge son père s'étant
fait moine, et voulant c[uitter cet
état, duquel il étoit dégoûté , Ro-
muald accourut au monastère, mit
des entraves aux pieds de son père,
et ne cessa de le frapper , jusqu'à
ce qu'il eût promis de persévérer
dans l'état monastique. Fable ab-
surde s'il en fut jamais. Tous les
historiens déposent que saint Ro-
muald n'employa que les raisons,
les prières cl les larmes pour' en-
4io CAM
gager son père à la persévérance.
Comment auroit-il osé exercer une
violence dans un monastère où il
n'avoit aucune autorité , où il n'é-
loit ni supérieur ni religieux ? S'il
s'étoit cru la violence permise , il
î'auroit fait exercer par quelque
moine , plutôt que de s'en rendre
coupable lui-même. Pendant toute
sa vie il a donné des exemples d'une
douceur et d'une patience à toute
épreuve.
Les censeurs du ch ristianisme de-
mandent si, pour se sanctifier, il
est nécessaire de se retirer dans les
déserts ? Non , sans doute ; mais ce
goût que Dieu a inspiré à des per-
sonnages très-vertueux , n'a pas été
inutile au monde. Ils ont défriché
et rendu habitables des lieux qui
étoient sauvages ; la renommée de
leurs vertus a souvent tiré du dés-
ordre des hommes qui seroient
morts impénitents ; la solitude est
nécessaire à ceux pour lesquels le
monde est un séjour dangereux.
Mais si tous les hommes étoient
saisis de cet accès de mélancolie ,
la société se dissoudroit. Ne crai-
gnons point ce malheur. Dieu y a
pourvu ; il n'a donné le goût de la
solitude qu'à un très-petit nombre
d'hommes , et il y auroit de l'injus-
tice à gêner leur inclination.
CAMÉRONIENS. Dans le dix-
septième siècle , on a donné ce nom
en Ecosse à une secte qui avoit pour
chef un certain Archibal Caméron,
ministre presbytérien , d'un carac-
tère singulier. Il ne vouloit pas re-
cevoir la liberté de conscience que
Charles II , roi d'Angleterre , ac-
cordoit aux presbytériens ; parce
que, selon lui, c'étoit reconnoître
la suprématie du roi , et le regarder
comme chef de l'Eglise. A cette bi-
zarrerie on reconnoît le génie ca-
ractéristique du calvinisme. Ces
sectaires, non contents d'avoir fait
schisme avec les autres presbyté-
riens, poussèrent le fanatisme jus-
CAN
qu'à déclarer Charles II déchu de
la couronne , et se révoltèrent ; on
les réduisit aisément, et en 1690,
sous le règne de Guillaume III , ils
se réunirent aux autres presbyté-
riens. En 1706, ils recommencè-
rent à exciter du trouble en Ecosse;
ils se rassemblèrent en grand non^-
bre , et prirent les armes près d'E-
dimbourg ; mais ils furent dispersés
par des troupes réglées que l'on en-
voya contre eux. On prétend qu'ils
ont une haine encore plus forle
contre les presbytériens que contre
les épiscopaux.
Il ne faut pas .confondre le chef
de ces caméroniens avec Jean Ca- I
méron , autre calviniste écossois ,
qui passa en France , enseigna à
Sedan , à Saumur et à Montaubant
Celui-ci étoit un homnae ti'ès-mo- j
déré, qui désapprouva le fanatisme
de ceux qui se révoltèrent contre
Louis XIII , et essuya de mauvais
traitements de leur part. Il a laissé
des ouvrages estimables.
CANA , ville ou bourgade de la
Galilée, dans laqxielle Jésus-Christ
fut invité à des noces , et fit le pre-
mier de ses miracles en changeant
l'eau en vin. Plusieurs incrédules
ont fait des efforts pour rendre re
miracle suspect. Ils disent que Jé-
sus fit remplir d'eau deux cruches,
qu'il y mêla sans doute quelque
drogue pour donner à l'eau la cou-
leur et le {^oùt du vin. Ils ajoutent
que Jésus favorisa l'intempérance
des convives, en leur fournissant
du vin lorsqu'ils étoient déjà ivres.
Mais si Jésus -Christ ne fit rien
autre chose que de donner de la
couleur et du goût à l'eau , il ne
favorisa donc point l'intempéran-
ce ; l'un de ces reproches détruit
déjà l'autre.
13epuis que la chimie et l'histoire
naturelle sont poussées au plus haut
degré , a-t-on découvert quelque
drogue qui ait la vertu de donner à
l'eau la couleur et le goût d'un ex-
CAN
cellcnt vin ? Les Juifs n'étoient pas
des chimistes fort habiles , et Jé-
sus-Christ n'avoit fait en Judée ni
ailleurs aucune étude. Il ne toucha
point aux vases dans lesquels l'eau
fut changée en vin; tout passa par
les mains de ceux qui servoient à
table : saint Jean , qui rapporte ce
miracle, en fut témoin oculaire.
Le maître- d'hôtel , après avoir
goûté de ce vin miraculeux, dit à
l'époux : « Tout autre que vous
M sert d'abord le bon vin , et après
» que l'on a beaucoup bu , cinn
» înebriaii fuerinl, il en sert alors
» du moindre : pour vous , vous
» avez réservé le bon vin pour la
» fin du repas. )>Joa/?., c.2,y. lo.
Dans le style des écrivains sacrés ,
inebriari ne signifie pas toujours
s'enivrer, mais boire à sa soif,
abondamment. Au figuré , il signi-
fie recevoir en abondance des biens
ou des maux. On ne peut donc pas
conclure de ce passage que Jésus-
Christ favorisa l'intempérance des
conviés. Voyez Glassii Phîlolog.
sacra, liv. 5, tract, i, c. 12.
CANANÉEN. V. Chananéens.
CANON, terme grec qui signifie
règle ; il se prend en plusieurs sens.
On appelle ainsi , en premier
lieu , le catalogue des livres que
l'on doit reconnoître pour divins
ou inspirés de Dieu , et que l'Eglise
donne aux fidèles pour être la règle
de leur foi et de leurs mœurs.
Le canon de la Bible n'a pas tou-
jours été le naême dans tous les
temps, et il n'est pas uniforme non
plus dans toutes les sociétés chré-
tiennes; les catholiques sont en
contestation sur ce point avec les
protestants. Outre les livres du
nouveau Testament, que l'Eglise
reconnoît pour canoniques par
tradition , elle a aussi placé dans
le canon de l'ancien Testament ,
plusieurs livres que les Juifs ne re-
çoivent point comme divins. C'est
CAM ^,,
ce qui a donné lieu de distinguer
les livres saints en proto-cano-
niques, dculéro-canoniques et apo-
cryphes. Mais nous verrons dans
la suite que les livres sur la cano-
/?/'«■/« desquels on dispute, ne sont
pas en grand nombre. Sur ce sujet
l'on peut former plusieurs ques-
tions importantes; nous les pro-
poserons , non pour les décider
toutes avec confiance, mais pour
montrer la manière dont on doit
j)rocéder dans ces sortes de dis-
cussions.
L Y a-t-il eu chez les Juifs un
canon des livres sacrés ?0n ne peut
pas en douter, quand on sait que
les Juifs, d'un consentement una-
nime, ont reçu comme divins les
mêmes livres et le même nombre
de livres, et qu'ils n'ont pas re-
gardé comme tels d'autres livres ,
qui sont cependant respectables.
Il faut qu'ils y aient été déterminés
par une tradition constante, ou
par une autorité qui a entraîné
tous les suffrages. Cette unanimité
n'a pas pu être un effet du hasard.
Or nous sommes assures de ce con-
cert des Juifs ,
i.° Par le témoignage des an-
ciens Pères de l'Eglise. Toutes les
fois qu'ils ont eu occasion de faire
l'énumération des livres reconnus
comme divins ou canoniques par
les Juifs, ils se sont accordés à en
dresser le même catalogue ; nous
le verrons ci-après, lis ont doue
été très-bien informés du senti-
ment des Juifs , puisque tous l'at-
testent de même. S'ils avoient eux-
mêmes forgé cette liste ou ce canon,
il y auroit eu entre eux de la va-
riété : plusieurs y auroient placé
quelques-uns des livres que nous
nommons deuiéro - canoniques ,
puisqu'ils les regardoient comnie
divins, et les citoicnt comme tels.
Mais ils ont eu la bonne foi de
convenir que ces livres n'étoient
pas mis dans le canon par les Juifs.
7.'^ Par le témoignage de Jo-
4i2 CAN
sèphe. Cet historien, qui étoit de
race sacerdotale, et très - instruit
des sentiments de sa nation , dit
dans son premier livre contre Ap-
pion, c. 2, que les Juifs n'ont pas
comme les Grecs une multitude
de livres ; qu'ils n'en rcconnois-
sent comme divins que vingt-deux;
que ces livres contiennent tout ce
qui s'est passé depuis le commen-
cement du monde jusqu'au régne
d'Artaxercès : que, quoiqu'ils aient
d'autres écrits, ces derniers n'ont
pas chez eux la même autorité que
les livres divins. Il ajoute que tout
Juif est prêt à répandre son sang
pour la défense de ceux-ci.
3.° La persuasion des Juifs d'au-
jourd'hui. Ils ne comptent encore ,
entre les livres divins , que ceux
dont leurs pères ont, disent-ils,
dressé le canon dans le temps de
la grande synagogue. Ils nomment
ainsi l'assemblée de ceux de leurs
docteurs qui ont vécu après le re-
tour de la captivité. C'est ainsi
que s'exprime l'auteur du traité
Megillah , dans la Gémare , c. 3.
L'uniformité de toutes les bibles
hébraïf[ues, publiées par les Juifs,
ne laisse aucun doute sur ce point.
L'existence d'un canon des livres
saints , chez les Juifs , est donc
incontestable.
II. I^'y a-t-il eu chez les Juifs
qu'un seul et mêtae canon des
saintes Ecritures ?
Quel({ues auteurs ont supposé
qu'il y en avoit eu plusieurs , et
qu'ils n'étoient pas absolument
semblables. Génébrard , dans sa
chronologie , pense qu'il y en a eu
trois : le premier au temps d'Es-
dras, et dressé par la grande sy-
nagogue ; ce canon , selon lui , ne
renfermoit que vingt-deux livres :
le second , fait sous le pontife
Eléazar, dans un synode assemblé
pour délibérer sur la version des
livres saints que demandoit le roi
Ptolémée, et que nous appelons la
version des sept a nie Alors , -dit
CAN
Génébrard , on mit au nombre des
livres divins Tobie , Judith , la
Sagesse et l'Ecclésiastique. Le troi-
sième , au temps d'Hircan, dans le
septième synode , assemblé pour
confirmer la secte des pharisiens,
dont Hillel et Sammaï étoient les
chefs , et pour condamner Sadoc
et Barjetos, promoteurs de la secte
des sadducéens. Alors on mit dans
le canon les livres des Machabées,
et l'on confirma les deux canons
précédents , malgré les sadducéens,
qui, à l'exemple des samarilaijis,
ne vouloicnt reconnoître pour di-
vins que les cinq livres de Moïse.
Ce sentiment de Génébrard est une
pure imagination , qui n'est ap-
puyée sur aucune preuve.
Serrarius , plus moderne que
Génébrard, attribue aux Juifs deu.^
canons différents : l'un de vingt-
deux livres, fait par Esdras; l'autre
dressé au temps des Machabées ,
et augmenté des livres deutéro-
canoniques. Ce sentimeJit n'est pas
mieux fondé que le premier ; l'un
et l'autre sont contredits par les
Pères , qui nous assurent con-
stamment que les Juifs n'ont re-
connu pour divins que vingt-deux
livres.
Méliton dit à Onésime qu'il a
voyagé dans l'Orient pour savoir
quels étoient les livres canoniques,
et il n'en nomme que vingt-deux.
Saint Jérôme, dans son prologue
défensif , dit qu'il l'a composé afin
que l'on sache que tous les livres
qui ne sont pas parmi les vingt-
deux qu'il a nommés, doivent être
l'egardés comme apocryphes. On
comprend qu'ici apocryphe signifie
simplement non reconnu comme
divin ; saint Jérôme le fait assez
sentir : il ajoute que la Sagesse,
rEcc!ésiasti({ue, Tobie et Judith,
ne sont pas dans le canon. Dans
sa préface sur Tobie , il dit ([ue
les Hébreux excluent (e livre du
nombre des Ecritures divines, et
le rejettent entre les apocr)j)hes.
CAN
II le rcpclc à la tctc de son Cnni-
vwntaire sur le proplicle Jonas.
Origcnc écrit, dans sa lettre à
Africain, que les Hébreux ne coi»-
iioissenl ni Tobic ni Judith , mais
qu'ils les mettent au nombre des
livres apocryphes.
Saint Epiphane dit, dans son
livre des Poids et des Mesures , n.° 3
et 4, H"^ '^^ livres de la Sagesse
et de l'Ecclésiastique ne sont pas
chez les Juifs au rang des Ecritures
saintes.
L'auteur de la Synapse assure
que Tobie, Judith, la Sagesse et
l'Ecclésiastique , ne sont pas des
livres canoniques, quoiqu'on les
lise aux catéchumènes.
Aucun de ces anciens écrivains
ne parle de deux ni de trois canons
reçus chez les Juifs.
111. Combien de livres renfer-
moit le canon des Ecritures chez
les Juifs, et quels étoient ces livres i*
Il est constant que les Juifs en
ont toujours reconnu vingt-deux ,
autant qu'il y avoit de lettres dans
leur alphabet , et qu'ils les dé-
signoient par ces lettres mêmes ;
c'est la remarque de saint Jérôme
aans son prologue défcnsif. A la
vérité , quelques rabbins en ont
compté vingt-quatre , et d'autres
vingt-sept; mais ils divisoient cer-
tains livres en plusieurs parties ,
et n'augmentoient pas pour cela le
nombre réel de vingt-deux.
Ceux qui en comptoient vingt-
quatre , séparoient les Lamienta-
tions de Jérémie d'avec ses pro-
phéties, et le livre de Ruth d'avec
celui des Juges; au lieu qu'on les
laissoit ordinairement réunis. Pour
les désigner par vingt-quatre lettres
de l'alphabet, ils répétoient trois
fois la lettre jod à l'honneur du
nom de Dieu, Jéliovah , écrit en
chaldéen par trois jod. Ainsi font
encore les Juifs d'aujourd'hui. Saint
Jérôme pense que les vlngt-f{ualrc
vieillards de l'Apocalvpse font al-
lusion à ces vingt-quatre 'ivres.
CAN 4,3
Ceux qui en comptoient vingt-
sept, partageoient en six les livres
des Rois et des Paralipomènes
qui, dans les autres catalogues ,
n'en faisoienl que trois; et pour
les désigner , ils ajouloient aux
vingt -deux lettres hébraïques les
cinq finales; c'est ce que dit saint
Epiphane dans son livre des Poidc
et des Mesures.
Le canon étoit donc toujours
foncièrement le même , mais la
manière de compter par vingt-
deux étoit laplus ordinaire, comme
le suppose Josèphe ; Richard Si-
mon prétend, sans aucune preuve,
que la plus ancienne manière étoit
d'en compter vingt-quatre.
Quels étoient ces livres ? Saint
Jérôme , bon témoin dans cette
matière, en fait ainsi l'énuméra-
tion. La Genèse, l'Exode, le Lévi-
tique , les Nombres, le Deutéro-
nome , Josué , les Juges avec Ruth,
Samuel ou les deux premiers livres
des Rois , les Rois , qui sont les
deux derniers livres de ce nom ,
Isaïe , Jérémie avec ses Lamenta-
tions , Ezéchiel , les douze petits
Prophètes, Job, les Psaumes, les
Provei'bes , TEcclésiaste , le Can-
tique, Daniel, les Paralipomènes
en deux livres, Esdras, aussi dou-
ble , Esther.
Saint Epiphane fait la même
liste, Hceres. 8, n.° 6; De Pond.
eiMens., n.° 3, 4, 22, 23.
Saint Cyrille de . Jérusalem, C<z-
tecJi. 4, dit aux chrétiens de mé-
diter les vingt-deux livres de l'an-
cien Testament , et de se les mettre
dans la mémoire tels qu'il va les
nommer, et il les nomme comme
saint Jérôme et saint Epiphane.
Saint Hilaire , Prolog, in Psal. ,
le concile de Laodicée, cari. 60,
Origéne , cité par Eusèbc , Hisi.
liv. 6, c. 26, ont dressé le même
catalogue. Melitonvivoit au second
siècle; il avoit voyagé exprès dans
l'Orient pour s'instruire; les an-
ciens ont fait grand cas de ses ou-
4i4
CAN
vrages ; il ne parle pas tlu livre
d'Esther , ce qui peut être une
faute de copiste.
Bellarmin , dans son catalogue
des écrivains ecclésiastiques, s'est
trompé , en disant que Méliton
mettoit le livre de la Sagesse au
nombre des saintes Ecritures ; on
lit dans Eusébe , 2oXofiSvoç Hapoi/iiîa
r. xaù l.ofXa, Salomonis Proverbia quœ
et Sapieniia , parce que les Pro-
verbes étoient souvent appelés la
Sagesse de Salomon. Voyez la note
de Valois sur Eusèbe, liv. 4, c. 26.
Josèphe , liv. i , contre Appion ,
c. 2 , dit que sa nation ne recon-
hoît comme divins que vingt-deux
livres, cinq de Moïse, treize des
prophètes , et quatre autres qui
renferment ou des hymnes à la
louange de Dieu, ou des préceptes
pour les mœurs. Il ne paroît pas
qu'il en ait voulu désigner d'autres
que ceux que nous avons nommés.
Quoiqu'il ne dise rien des mal-
heurs de Job dans son Histoire
Juive, il ne s'ensuit pas qu'il ait
regardé le livre de Job comme
apocryphe ; l'histoire de Job ne
tenoit en rien à celle de la nation
iuive, et Josèphe a pu la regarder
comme une parabole ou comme
un poëme divin, plutôt que comme
une narration historique.
IV. En quel temps a été dressé
le canon des Juifs , et qui en est
l'auteur ? Celte question n'est pas
fort aisée à résoudre. C'est au-
jourd'hui une espèce de paradoxe,
d'avancer qu'Esdras ne fut jamais
l'autetir du canon des livres sacrés
des Juifs. Les écrivains , même les
plus judicieux , ont trouvé bon de
mettre sur le compte d'Esdras tout
ce qui concerne la Bible , et dont
on ignore l'inventeur et l'origine.
Ils l'ont fait correcteur et répara-
teur des livres perdus ou altérés,
réformateur de la manière d'écrire,
quelques-uns même, inventeur des
points voyelles , et tous , auteur
du canon des Ecritures.
CAN
Malgré l'unanimité des suffrages
sur ce dernier point , il nous pa -
roît qu'il n'y auroit aucune témé-
rité à en douter, et même à sou-
tenir le contraire. Soit que l'on
consulte les livres d'Esdras lui-
même et de Néhémie , soit que l'on
cherche des preuves ailleurs , on
n'en trouve aucune; ce qui est dit
dans le quatrième livre apocryphe
d'Esdras, c. i4,)^. 21 et suivants,
n'est d'aucune autorité.
Avant de prendre aucun parti
sur cette question , il y a plusieurs
difficultés à résoudre. 1.° Il faut
s'assurer du temps auquel Esdras
a vécu ; 2.° savoir sous quel prince
il est venu de Babylone à Jéru-
salem ; 3.° si tous les livres qui sont
dans le canon étoient écrits avant
lui ; 4-° s'il a écrit lui-même le livre
qui porte son nom .
Quand on s'accorderoit sur tou-
tes ces questions, nous ne voyons
pas par quelle autorité Esdras au-
roit fait les grandes opérations
qu'on lui attribue , ni comraeat
les Juifs , naturellement si indo-
ciles, se seroient soumis à s^s or-
donnances. Il n'étoit ni grand-
prêtre ni prophète, il n'avoit de
pouvoir qu'autant que la nation
vouloit bien lui en accorder.
Il est trcs-probable que la pro-
phétie de Malachie et les Paralipo-
mènes ont été écrits assez lojig-
temps après Esdras ; que Néhémie
lui est postérieur deprès d'un siè-
cle. Ce n'est donc pas Esdras qui
a pu mettre ces divers écrits dans
le canon.
Nous ne voyons aucun inconvé-
nient à supposer que le canon des
livres de l'ancien Testament a été
formé comme celui des écrits du
nouveau , par la tradition com-
mune , sans qu'aucun particulier
ni aucune assemblée ait dressé ce
catalogue et lui ait donné la sanc-
tion.
C'est r affaire des protestants de
voir si la tradition juive est une
i
CAN
autorité suffisante pour nous faire
recevoir îles livres comme divins,
inspirés , parole de Dieu et règle
de foi. Ils en ont senti la foiblessc,
puisr^u'ils ont eu recours à une
inspiration du Saint-Esprit accor-
dée à chaque particulier : ce n'est
pas ici le lieu de démontrer l'illu-
sion de ce système.
Pournous , nous avons un meil-
leur garant de notre croyance; c'est
l'autorité de Jésus-Christ même et
des apôtres , qui ont donné aux
fidèles les livres de l'ancien Testa-
ment comme la parole de Dieu, et
nous sommes assurés de ce fait par
le témoignage de l'Eglise. Nous ne
pouvons savoir par aucune autre
voie quels livres ils ont désignés
comme tels , puisque cela n'est
écrit dans aucun livre, ni attesté
par aucun monument.
Nous convenons que le canon
des Juifs a été suivi dans les pre-
miers siècles de l'Eglise ; les anciens
Pères ne pouvoient mieux faire ,
puisque alors l'Eglise n'avoit pas
encoi'e prononcé ; on n'avoit pas
encore pu comparer la tradition
des Eglises de l'Occident avec celle
des Eglises de l'Orient; cela ne s'est
fait que dans la suite. Mais les Pères
qui ont cité le canon des Juifs ,
î^'ont pas prétendu que l'Eglise
étoit privée de l'autorité nécessaire
pour y ajouter d'autres livres ; ils
ontsupposé le contraire, puisqu'ils
ont cité eux-mêmes comme livres
divins des ouvrages qui n'étoient
pas dans le canon des Juifs.
Les protestants leur en font un
crime ; mais c'est encore à eux de
nous dire pourquoi ils reçoivent le
canon des Juifs qui nous est trans-
mis par les Pères , en même temps
qu'ils accusent d'erreur ou de té-
mérité ces témoins vénérables.
Des l'année 897 , un concile de
Carthage a place dans le canon des
saintes Ecritures, des livres que le
concile de Laodicée n'y avoit pas
mis trente ans auparavant, les
CAN 4,5
Pères Je Carthage suivoient en
cela la tradition des Eglises de l'Oc-
cident, de laquelle ceux de Laodi-
cée n'avoient pas eu connoissance.
Lorsque le concile de Trente a fixé
le nombre des livres canoniques ,
et a prononcé l'anathème contre
ceux qui ne se soumettroient pas
à sa décision , il n'a fait ce décret
qu'après avoir consulté la tradi-
tion de toutes les Eglises et de tous
les siècles.
A l'article Canonique , nous
parlerons du canon des livres du
nouveau Testament. Dissert, sur la
canoniciié , etc. ; Bible (ï Avignon ,
tome I.*'', p. 54, etc.
V. A qui appartient-il de décider
si un livre est ou n'est pas canoni-
que ? Nous répondons hardiment
que c'est à l'Eglise, et que nous ne
pouvons le savoir certainement
par aucune autre voie. En voici les
preuves:
I ." Au mot Eglise , nous prou-
verons que Jésus-Christ a donné à
l'Eglise , c'est-à-dire, au corps des
pasteurs , la mission et l'autorité
pour perpétuer sa doctrine, pour
enseigner ies fidèles, pour diriger
et fixer leur croyance. Or, s'il y a
un article essentiel d'enseignement,
c'est de savoir quels sont les livres
que nous devons recevoir comme
parole de Dieu et comme règle de
notre foi : donc c'est à l'Eglise, et
non à aucun autre tribunal , de
nous l'apprendre.
2." Il faut distinguer la canoni-
cité d'un livre d'avec son authenti-
cité ; demander si un livre est au-
thentique, c'est demander s'il a été
véritablement écrit par l'auteur
dont il porte le nom, si cet auteur
est un des apôtres ou un de leurs
disciples , si ce livre n'a pas été
corrompu ou falsifié : mettre en
question s'il est canonique, c'est
examiner si l'auteur étoit inspire
de Dieu, si cet ouvrage doit être
reçu comme parole de Dieu et
comme règle de foi. Uji livre peut
^i6 CAN
ctre aulhentique sans être pour
ct\zi canonique ; ainsi Ton ne doute
pas que la Leiire de saint Barnabe,
les deux Lettres de saint Clément,
\e Pasteur d'Hcrmas, n'aient été
écrits par des disciples immédiats
des apôtres, tout comme les évan-
giles de saint Marc et de saint
Luc-; cependant ces deux évangiles
sont des ouvrages canoniques ; et
les écrits dont nous venons de par-
lerne le sont pas. Pourquoi cette
différence ? parce que l'Eglise a
reçu des apôti-es ces deux évangiles
comme parole de Dieu , et n'a pas
reçu de même les autres écrits.
Or c'est à l'Eglise seule qu'il appar-
tient de nous attester quels sont
les livres qu'elle a reçus de la nr\ain
des apôtres comme parole de Dieu,
ou qu'elle n'a pas reçus comme
tels ; donc c'est à elle seule à fixer
nos doutes sur ce point.
3.° De l'aveu même des protes-
tants , la question de savoir si un
livre est authentique, s'il a été fait
par tel auteur, s'il n'a été ni cor-
rompu,ni falsifié, est une question
de fait qui ne peut se décider que
par des témoignages et par la tra-
dition de l'Eglise des premiers
siècles. Or, de savoir s'il est cano-
nique, inspiré, parole de Dieu, c'est
aussi une question de fait ; puis-
qu'elle se réduit à savoir s'il a été
donné comme tel à rEgli."ce par les
apôtres : donc cette seconde ques-
tion se doit décider par des témoi-
gnages et par la tradition, comme
la première.
Pour esquiver celte conséquence
évidente, les protestants cherchent
à l'obscurcir ; ils disent que la
question de V authenticité d'un livre
est , à la vérité , une question de
fait, mais que la canonicité est une
question de droit ou de foi. Con-
séquemment ils ont déclaré , dans
leurs confessions de foi , qu'ils
Tcconnoisscnt les livres de l'Ecri-
ture pour canoniques , non tant
par le commun accord et consente-
CAN
nient de VEglise, que par le témoi-
l^nage et intérieure persuasion du
Saint-Esprit. Beausobre , Hist. du
Manich. , tome i."; Disc, sur les
livres apocryphes, § 6 , p . 444 •
Déjà nous venons de démontrer
que la canonicité d'un livre est une
pure question de fait; nous ajou-
tons que selon lîeausobre lui-même
rau///c«/<c//e' porte sur une question
de droit ou sur une discussion de
doctrine. Il dit que pour juger si
un livre étoit authent ique ou apo-
cryphe , les Pères ont eu pour
première règle d'en comparer la
doctrine avec celle qui avoit été
enseignée par les apôtres dans tou-
tes les Eglises ; pour deuxième
règle, d'en comparer encore la doc-
trine avec celle des ouvrages qui
étoient incontestablement des apô-
tres ou des hommes apostoliques,
ièid. , § 5 , p. 44^5 443- Or, voila
certainement un examen de foi et
de doctrine : donc ce n'est pas une
pure question de fait. Si les Pères
ont pu s'y tromper, quelle certi-
tude peut nous donner leur té-
moignage touchant Y authenticité
d'un livre ? Voy. Ecriture sainte^
§ 1 et 2,
4.» Il est évident que le pré-
tendu témoignage et intérieure per-
suasion du Saint-Esprit, à laquelle
recourent les protestants , est un
enthousiasme pur. Le Saint-Esprit,
sans doute , ne fera pas un mira-
cle à l'égard de chaque protestant
pour lui donner une capacité, des
lumières, un discernement qu'il
n'a pas naturellement. L'authenti-
cité de la première £e//re de saint
Clément est universellement re-
connue, et il est prouvé par l'his-
toire que ce saint pape a été
disciple de saintPierre aussi immé-
diat que saintMarc. Cette lettre ne
renferme aucun point de doctrine
contraire à celle que les apôtres
ont prêchée dans toutes les Eglises,
ni ti celle qui se trouve dans leurs
ou\ rages incontestables. Sur quoi
CAN
«lonc poiic l'inspiration lUi Saint-
Esprit qui lait connoîtrc à un pro-
testa n t que V Evangile de saint Marc
est canonique ou parole de Dieu ,
et que la Lettre de saint Clément ne
l'est pas?
Aussi l'inspiration du Saint-Es-
prit n'est point la même à l'égard
des différentes sectes protestantes.
Les calvinistes rejettent hautement
et constamment l'Apocalypse com-
me un livre apocryphe et sans au-
torité; les luthériens et les angli-
cans n'en jugent pas de même. Le
Saint-Esprit ne parle pas toujours
le même langage dans la même sec-
te : dans un temps VEpîire de saint
Jacques a été retranchée des bibles
luthériennes ; dans un autre , elle
y a été rétablie; Luther, dans sa
préface sur cette épîlre , laisse à
chacun la liberté d'en juger comme
il voudra ; elle se trouve dans
toutes les bibles calvinistes; Wal-
lembourg, Tract. IV, part. III,
sect. 2 , § 3. A laquelle de ces
différentes inspirations devons-
nous croire ?
Puisque c'est le Saint-Esprit qui
fait connoître aux protestants que
tel livre est canonique , et que tel
autre ne l'est pas ; c'est encore
lui , sans doute , qui leur dicte que
telle version est fidèle, et que telle
autre ne l'est pas; que tel passage
a tel sens, et non celui qui lui est
donné par les autres sectes. Si cela
est ainsi, les protestants n'ont plus
besoin d'érudition, de recherches,
de discussions, pour savoir si les
livres sont authentiques ou apo-
cryphes, s'ils sont entiers ou alté-
rés, s'ils ont été bien ou mal tra-
duits, etc. LcSaint-Espritsupplée
à tout, et décide souverainement
de tout. Tii'est-ce pas là un fanatis-
me pur ?
5." Dès son origine , l'Eglise s'est
attribué le droit et l'autorité de
décider quels sont les livres cano-
niques. Dans les canons des apô-
tres, dressés par les conciles dn
CAN 417
second et du troisième siècle, elle,
a dit aux fidèles, can. 76, aliàs. 85 :
Il Voici les livres que vous tous ,
)> clercs ou laïques, devez regarder
» comme saints et vénérables, sa-
» voir , pour l'ancien Testament ,
» etc. I) Elle a fait de même au con-
cile del^icée, l'an 325 ; au concile
de Laodicée, en 366 ou 367; au
troisième de Carthage , en 397.
Sou tiendra- t-on que dès le second
siècle, les pasteurs de l'Eglise, éta-
blis et instruits par les apôtres ,
ont oublié les leçons de leurs maî-
tres , se sont attribué une autorité
qui ne leur appartenoitpas , etune
inspiration du Saint-Esprit qui
étoit promise à tous les fidèles.
Les protestants nous objectent
que ces décisions des conciles n'ont
pas été uniformes ; qu'il n'y a point
eu , dans les premiers siècles , de
canon des iimVùrcs universellement
reçu et suivi ; que jusqu'au hui-
tième et au neuvième, les différen-
tes Eglises ont joui d'une entière
liberté d'admettre dans leur canon
ou d'en rejeter tels livres qu'elles
jugeoientà propos.
Si cela étoit vrai, il y auroit lieu
de s'étonner de ce quele Saint-Es-
prit , qui inspire aujourd'hui les
protestants sur cet article essentiel
de croyance , n'a pas daigné parler
à aucune Eglise pendant huit ou
neuf siècles ; mais le fait est faux ,
puisqu'aucune Eglise n'a formelle-
ment rejeté aucun des livres que
l'on norame. proie -canoniques ; le
canon est donc demeuré constam-
ment et universellement reçu ,
quant à ceux-là ; il n'étoit plus
question que de savoir si on devoit
y en ajouter d'autres , ou si on ne
le devoit pas. Pour le savoir, il a
fallu attendre que l'on piit compa-
rer ensemble la tradition des diffé-
rentes Eglises , tant de l'Orient que
de l'Occident. Une preuve que cette
comparaison a été faite, et que le
canon a été dressé uniformément
dès le cinquième siècle an plus tard,
37
/;i8 CAJS
c''est que les nestoriens el les eu-
tychiens ou jacobites , qui se sont
séparés de l'Église romaine à cette
époque, placent dans le canon les
mêmes livres que nous. Assemani,
Bibliolh. orient., tom. 4>*^* 7> § 7>
pag. 236.
Lesprotestantsnesontrien moins
que d'accord entr'euxsur le temps
auquel le canon des livres du nou-
veau Testament a été irrévocable-
ment fixé. Basnage prétend qu'il
ne l'a pas été avant le huitième ou
le neuvième siècle ; Mosheim sou-
tient qu'il l'a été dès le second; mais
il convient que l'on ne peut en ju-
ger que par conjecture. Après de
pareils aveux, nous ne concevons
pas comment l'on peut s'obstiner
à soutenir que les livres saints ont
toujours été regardés comme la
seule règle de loi. Quand nous
avouerions que la liste des livres
proto-canoniques a été faite et ar-
rêtée dès le second siècle, est-il
bien certain qu'il n'y a point d'au-
tres articles de foi que ce qui est
contenu dans ces livres , et que l'on
n'en peut tirer aucun des livres
«3eutéro-canoniques ? Voilà ce que
Jes protestants n'ont pas encore
démontré. Quand ils l'auroient
fait , nous demandons encore com-
ment la foi a pu être fixe et cer-
taine dans les sociétés qui ont de-
meuré long-temps sans avoir les
Jivres saints traduits dans leur lan-
gue. Il y auroit bien d'autres ques-
tions à faire. Fb/ci Ecriture-
sainte , DeUTÉRO - CANONIQUE , etc.
Canons des Apôtres. C'est un
recueil de règlements de disci -
plinede l'Eglise primitive; ils sont
au nombre de soixante-seize ou de
quatre-vingt-cinq, selon les diffé-
rentes manières de les partager.
Tout le inonde convient qu'ils
n'ont pas été dressés tels que nous
les avons, par les apôtres mêmes;
du moins il n'y en a aucune preuve;
mais leur autorité est incontesta-
ble. Dailléet qtielques autres pro-
CAJN
testants ont fait de vains efforts
pour prouver que ces canons sont
absolument supposés, qu'ils n'ont
commencé à être connus et cités
qu'au quatrième ou au cinquième
siècle. Le savant Bévéridge, évêque
de Saint-Asaph , théologien angli-
can , a fait voir que ces canons
ou règlements ont été faits par
les éveques et par les conciles
du second et du troisième siècle ,
qu'ils sont par conséquent anté-
rieurs au premier concile deNicée,
que ce concile les a suivis et s'y
est conformé. Voyez Codex Cano-
num Ecclesiœ primiU'vœ PP. Apost.
tom. I.",p. 44^» tom. II, part. 2,
p. I.
En effet , il n'est pas probable
que saint .Jean , qui a gouverné
l'Eglise d'Ephèse pendant un grand
nombre d'années , n'ait fait aucun
règlement de discipline pour cette
Eglise ; il en est de même à l'égard
de saint Jacques pour celle de Jé-
rusalem, de saint Marc pour celle
d'Alexandrie , de saint Pierre et de
ses premiers successeurs pour celle
de Rome. Dans ces différentes vil-
les , il s'est tenu des conciles pen-
dant le second et le troisième siè-
cles; il est naturel que les évêqurs
qui y ont assisté se soient fait un
devoir de suivre cette discipline
respectable, en aient fait des règles
générales, et les aient fait observer
dans leurs Eglises. On n'a pas eu
tort d'appeler ces règles Canons
des Apôtres , puisqu'elles ont été
dressées d'après ce que les apôtres
et les hommes apostoliques avoient
établi. La prétendue su/7;70si7ion de
ces canons n'est qu'une équivoque
sur laquelle les protestants ont joué
très-mal à propos; ils sont apocr/-
plies , dans ce sens qu'ils n'ont été
écrits ni par les apôtres, ni par
saint Clément , auquel ils sont at-
tribués ; mais ils sont vrais et au-
thentiques , dans ce sens qu'ils ren-
ferment véritablement la disci-
pline qui passoit, au second el au
CAIN
troisioiiie siècle, pour avoir él»f
établie par les apôlres.
Quoir^ue ces règlements regar-
dent directement la discipline, ils
ne sont pas indifTérenls à Tégard
du dogme, de la moi'ale, du culte
extérieur. On y voit la distinction
des éveques d'avec les simples prê-
tres, la prééminence des premiers,
leur autorité sur le clergé inférieur,
les mœurs et les devoirs prescrits
aux ministres de l'Eglise et aux
simples fidèles. On y trouve les
noms à'' autel el de sacrifice^ ce qui
étoit observé dans l'administration
du baptême, de l'eucharistie , de
la pénitence , de l'ordination , etc.
Il en résulte que la doctrine des
protestants est aussi opposée à
celle des temps apostoliques , que
leur cul te et leurdiscipline sont con-
traires à ce que l'on observoit pour
lors. Autant ils se sont trouves in-
téressés à en contester l'authenti-
cité , autant il importe aux catho-
liques de la soutenir. 11 est heu-
reux pour nous que les théologiens
anglicans aient pleinement éclairci,
et, pour ainsi dire, épuisé celte
question.
Canons d'un Concile. On ap-
pelle ainsi les décisions d'un con-
cile en matière de dogme ou de
discipline; parce que ce sont les
règles auxquelles les fidèles doivent
conformer leur croyance et leur
conduite. Les canons dogmatiques
sont ordinairement conçus en ces
termes : « Si quelqu' un dit telle
» chose, enseigne telle doctrine,
» qu'il soit anathême , » c'est-à-
dire, retranché du corps de l'E-
glise et de la société des fidèles.
Quant aux canons ou décisions
des conciles et des souverains pon-
tifes en matière de discipline , ils
tiennent moins à la théologie qu'au
droit canonique. Maisun ecclésias-
tique ne doit jamais oublier les
paroles suivantes du concile de
Trente : « Le concile a voulu que
» tout ce qui a clé salulairemenl
CAN 4, g
') ordonné par les souverains pon-
» tifes et par les sacrés conciles,
» touchant la vie des clercs , leur
» extérieur et leur doctrine, etc.,
» soit observé dorénavant , sous
» les mêmes peines que celles qui
» ont été statuées dans les conciles
» précédents. ))Sess. 22, deRefomi.
c. 12. C'est dans ce dessein que l'on
a mis dans les nouveaux bréviaires
les principaux canons qui concer-
nent la conduite des clercs. Il esl
absurde d'avoir part aux biens et
aux privilèges de l'Eglise sans vou-
loir être soumis à ses lois.
Canons Arabiques du concile
de Nicée. Voyez KicÉE.
Canon de la messe , règle ou
formule deprières et de cérémonies
que le prêtre doit suivre pour con-
sacrer l'eucharistie.
En comparant ensemble les dif-
férentes liturgies grecques el lati-
nes, on voit que la messe y est
toujours divisée en trois parties:
savoir , la préparation , Vaclion et
la conclusion. La première s'étend
depuis le commencement ou l'in-
troït jusqu'à la préface; la seconde,
qui est proprement le canon , de-
puis le sanclus jusqu'à la commu-
nion ; ia troisième est l'action de
grâces. Uaciion est la plus essen-
tielle , puisqu'elle renferme la con-
sécration ; les Grecs l'ont nommée
ava<popà , élévation , soit parce
qu'avant de la commencer le pré-
Ire exhorte les fidèles à élever leurs
cœurs vers le ciel, sursùm corda,
soit parce qu'après la consécration
il élève les symboles eucharistiques
pour faire adorer aux assistants Jé-
sus-Christ présent. Dans la liturgie
romaine, le canon commence par
ces mots : Te igitur , etc.
Quelques liturgisles ont écrit que
c'est saint Jérôme qui , par ordre
du pape Sirice , a mis le canon
dans la forme que nous avons ;
d'autres, que c'est le pape Sirire
lui-même, qui vivoit sur la fin du
quatrième siècle. Mais ou disoitla
27.
420 CAN
messe avant Sirice et avant saint
Jérôme; il y avoit donc déjà un
canon ou une règle que le prêtre
devoit suivre : jamais cette action
sainte n'a été abandonnée au goiàt
et à la discrétion des particuliers.
L'abbé Renaudot , dans la dis-
sertation qu'il a mise à la tête de
la Collection des liturgies orientales,
a fait voir que le canon vient des
apôti'es ; il le prouve par la con-
formité qui se trouve entre les
liturgies syriaques, cophtes , grec-
ques et latines : s'il y a de la variété
dans les prières , si quelques cé-
rémonies se font dans un ordre
différent, toutescependant revien-
nent au même pour le fond, toutes
renferment une invocation à Dieu ,
des prières pour les vivants et pour
les morts, l'invocation des saints ,
les paroles de Jésus-Christ pour
la consécration , l'élévation ou
Vosiension de l'eucharistie, et l'a-
doration; il conclut avec raison que
ce canon est d'institution aposto-
lique , que jamais personne n'a eu
la témérité d'y toucher ni de le
changer essentiellement. C'est la
profession la plus claire et la plus
éclatante que l'Eglise puisse faire
de sa foi touchant l'eucharistie.
De même le père Le Brun , dans
son Explication des cérém. de la
niesse,toia. 3, 1 3, p. 7, a fait voir que
le canon de la messe étoit écrit
avant l'an 44° i ^* 1^^ ^^ pape Gé-
lase l'inséra dans son sacramen-
taire, tel qu'on le suivoit pour lors,
sans y faire aucun changement :
que l'an 538 ce canon fut envoyé
par le pape Vigile aux Espagnols,
comme étant de tradition aposto-
lique ; que vers l'an 600 , saint
Grégoire le Grand y ajouta seule-
ment ces mots : diesque nostros in
iuâ pace disponas ; qu'il plaça l'o-
ra' son dominicale avant la fraction
de l'hostie, au lieu que dans les
autres liturgies elle ne se disoit
qu'après. Depuis ce temps-là , on
n'y a pas touché , sinon pour y
CAiN
ajouter le nom de quelques saints.
C'est dans cet état que le canon
delà messe fut porté en Angleterre
par le moine Augustin ; il y en a un
manuscrit fait avant l'an 700. Le
père Le Brun prouve que le pape
Gélase même n'y avoit fait aucun
changement , mais seulement des
additions au sacramentaire , au-
quel il mit des collectes ou orai-
sons pour lesjours qui n'en avoient
point de propres, en y laissant tou-
tes celles qui y étoientdéjà. Avant
lui , les papes Innocent I." et saint
Léon avoient fait de même. En ef-
fet , l'ancien canon de la messe ro-
maine, qui est celui du pape Gé-
lase , tel qu'il l'avoit trouvé en
usage , est entièrement conforme
à celui du sacramentaire de saint
Grégoire. Voy. Codices sacram,
Thomasii, p. 196.
Ainsi , quand nous lisons que le
pape Sirice au quatrièn;e siècle ,
Gclase au cinquième , saint Gré-
goire au septième , ont ajouté ou
changé quelque chose au sacramen-
taire, cela ne doit pas s'entendre du
canon, mais des autres parties de la
messe. C'est dans ce sens que Jean
diacre , dans la Vie de saint Gré-
goire, 1. 2 , c. 17 , dit que ce saint
pape renferma dans un seul volume
le sacramentaire de Gélase, qu'il
en retrancha plusieurs choses , en
changea quelques - unes , et y en
ajouta fort peu.
C'est donc avec raison que le
concile de Trente a dit que le canon
de la messe a été dressé par l'Eglise ,
qu'il est composé des paroles de
Jésus-Christ , de celles des apôtres
et des premiers pontifes qui ont
gouverné l'Eglise. Si les prétendus
réformateurs avoient été plus in.s-
truits, s'ils avoient comparé en-
semble toutes ces liturgies qui da-
tent des premiers siècles, ils n'au-
roient pas condamné avec tant de
hauteur le canon de la messe de
l'Eglise romaine. Voyez Litîjrgik.
Le concile de Trente prononce
CAN
l'analhème contre tous ceux qui
condannieronl la coutume établie
dans celte Eglise , de i-cciter à voix
basse une partie du canon et les
paroles de la consécration , ou qui
soutiendront que l'on doit célébrer
PU langue vulgaire. Sess. 22 , can. 9.
Croira-t-ou qu'au comniencement
de ce siècle quelques prêtres pro-
nonçoient à haute voix les paroles
du canon et de la consécration, afin
de persuader aux femmes qu'en
répétaiit ces paroles elles consa-
croient avec le prêtre ? Ils igno-
roient que la liturgie n'a été mise
par écrit qu'au quatrième siècle,
et qu'avant ce temps-là les prêtres
seuls savoient les prières au canon.
Voyez Langues vulgaires , Secrè-
tes , et Y ancien sacramentaire , par
Grandcolas , i/^part. , p. 786.
Canons Pénitentiaux. Ce sont
les règles qui fixoient la rigueur et
la durée de la pénitence que dé-
voient faire les pécheurs publics
qui désiroient être réconciliés à
l'Eglise , et reçus à la communion.
Nous sommes étonnés aujour-
d'hui de la sévérité de ces canons ,
qui furent dressés au quatrième
siècle ; mais il faut savoir que l'E-
glise se crut obligée de les établir,
1 .° pour fermer la bouche aux no-
vatiens et aux montanistes , qui
l'accusoient d'user d'une indul-
gence excessiveenvers les pécheurs,
et de fomenter ainsi leurs dérégle-
nicnts. 2.° Parce qu'alors les dé-
sordres d'un chrétien étoient ca-
pables de scandaliser les païens ,
et de les détourner d'embrasser le
christianisme ; c'étoit une espèce
d'apostasie. 3.° Parce que les per-
sécutions qui venoient de finir
avoient accoutumé les chrétiens à
une vie dure et à une pureté de
mœurs qu'il étoit essentiel de con-
server.
Au reste , ces canons n'ont été
rigoureusement observés que dans
l'Eglise grecque ; le concile de
M'renle , en corrigeant les abus qui
CAiN 421
pouvoicnl s'être glissés dans l'ad-
ministration de la pénitence, n'a
témoigné aucun désir de faire re-
vivre les anciens canons péniten-
tiaux, Sess. i4 , chap. 8. Il est
cependant très-à -propos d'en con-
server le souvenir, soit pour pré-
munir lesconfesscurs contre l'excès
du relâchement, soit pour réfuter
les calomnies que les incrédules se
sont permises contre les mœuri
des premiers chrétiens. Voyez Pé-
nitence , PÉNiTENTiEL , ancien Sa-
cramentaire , deux. part. , p 563,
Canons des Saints , catalogue
des saints reconnus ou canonisés
par l'Eglise. Fb/es Canonisation.
C'est un usage aussi ancien que
le christianisme, de recommander
à Dieu dans la liturgie les fidèles
vivants , nommément les évêques
et les pasteurs ; c'étoit autrefois un
témoignage de communion de foi
avec eux et de catholicité. Voyez
DiPTiQUES. On y a toujours prié
pour les morts , et on y a fait men-
tion des saints , surtout des mar-
tyrs , en demandant à Dieu la grâce
de participer à leurs mérites et à
leur intercession. Ainsi , le canon
de la messe s'est trouvé être aussi
le canon des saints , et leur nombre
a augmenté de jour en jour.
Certains critiques ont conclu mal
à propos que le canon de la messe
n'est pas fort ancien , parce que l'on
y voit le nom de quelques saints
qui ne sont pas des premiers siè-
cles: ils n'ont pas fait attention que
ces noms ont été ajoutés à mesure
que les saints sont venus à mourir.
CANONIQUE. Un livre est ap-
pelé canonique ^ lorsqu'il se trouve
dans le canon ou dans la liste des
saintes Ecritures. Au mot Canon ,
nous avons vu quels sont ceux
qui composent l'ancien Testament.
Quant à ceux du nouveau , l'on a
constamment reconnu pourcano-
niquee les quatre Evangiles , les
Actes de» apôtres , les quatorze
423 CAN
épîtres de saint Paul, cxceplc l'é-
pître aux Hébreux ; la première
epîti-e de saint Pierre, et la pre-
mière épître de saint Jean. Voilà,
dit Eusèbe , après les Pères plus
anciens , les livres qui sont reçus
il'un consentement unanime. Hist.
Ecclésiasi., 1. 3 , c. aS. C'est ce qui
ieur a fait donner le nom de proto-
canoniques.
Il y a eu d'abord quelques doutes
sur la canonicité de l'épître aux
Hébreux , des épîtres de saint Jac-
ques et de saint Jude, delà seconde
de saint Pierre , de la seconde et de
la troisième de saint Jean , et de
l'Apocalypse. Cependant ces écrits
ont été reçus de tout temps par
quelques Eglises , et ensuite par
l'Eglise universelle. Nous le voyons
par les anciens catalogues des livres
du nouveau Testara^ent , tel que ce-
lui des conciles de Laodicée , de
Carthage et de Rome , celui que
l'on trouve dans le dernier canon
des apôtres , etc. C'est ce qui a dé-
terminé le concile de Trente à les
mettre au même rang que les autres,
et ils sont appelés deutero-canoni-
ques.
Ce canon des livres du nouveau
Testament n'a point été dressé d'a-
bord par aucune assemblée ecclé-
.siastique, ni par aucun particulier;
il s'est formé peu à peu sur le con-
sentement unanime de toutes les
Eglises, et ce consentement n'a pu
devenir unanime que quand ces dif-
iërentes sociétés ont été à portée de
rendre témoignage de ce qu'elles
avoient ou n'avoient pas reçu des
apôtres.
Mais les épîtres dont la canoni-
cité a d'abord été contestée , n'a-
voient été adressées nommément à
aucune Eglise; celle de saint Paul
aux Hébreux étoit pour tous les juifs
convertis, quelques-unes étoient
pour de simples particuliers, et ne
paroissoient pas fort importantes;
elles n'ont pas pu être d'abord re-
vêtues d'une attestation aussi au-
GAIN
ihentique que celles qu'avoienl
reçues les Eglises de Rome , de
Corintbe , d'Éphèse, etc. Il en est
de même de l'Apocalypse.
Vainement quelques incrédules
ont cru fonder une grande objec-
tion sur la lenteur avec laquelle le
canon des livres du nouveau Tes-
tament a été formé. Cet argument
peut incommoder les protestants ,
qui ne veulent point d'autre règle
de foi que l'Ecriture sainte ; c'est
à eux de nous faire concevoir com-
ment l'Eglise chrétienne a pu de-
meurer si long-temps sans savoir
certainement quels livres elle de-
voit ou ne devoit pas regarder
comme Ecriture sainte. Pour nous,
qui soutenons , comme nos pères ,
que la principale règle de foi est
l'enseignenaent public , constant
et uniforme de l'Eglise, nous ne
voyons pas en quoi il étoit si im-
portant que le canon des Ecri-
tures fût promptement dressé et
universellement connu.
Eusèbe, Histoire eeclés., 1. III,
c. 25, distingue trois sortes de livres
du nouveau Testament, i.° ceux
qui ont été reçus d'abord d'un con-
sentement unanime ,. et dont nous
avons vu ci-devant l'énumération.
2.° Ceux qui n'ont point été recon-
nus d'abord par toutes les Eglises ,
mais seulement par quelques-unes;
ou qui ont été cités comme Ecritu-
re sainte par quelques auteurs ec-
clésiastiques. Mais cette seconde
classe se divise en deux , l'une des
livres qui dans la suite ont été re-
çus par toutes les Eglises , et ont
été nommés deuiéro - canoniques ;
nous les avons désignés : l'autre des
livres qui n'ont point été placés
dans le canon , mais que l'on a
conservés comme des livres utiles
et respectables. Tels sont les livres
du Pasteur, la Lettre de saint Bar-
nabe, les deux LeWres de saint Clé-
ment , etc. 3.° Les livres supposés
et forgés par les hérétiques pour
autoriser leurs erreur^, livresque
CAN
TEglise catholique a toujours rc-
jetés ; tels sont les faux évangiles
de saint Thomas , de saint Pierre ,
les fausses Apocalypses , etc.
De là il résulte que la seule rai-
son qui nous détermine à regarder
tel livre comme canonique , divin
ou inspiré, est la tradition ou l'au-
torité de l'Eglise. Quand nous se-
rions pleinement persuadés qu'un
livre a été véritablement écrit par
un apôtre ou par un disciple de
Jésus-Christ, qu'il est par consé-
quent authentique ; quand il ne
renfermeroit rien que de vrai et de
conforme à tous les articles de no-
tre croyance, cela ne suffîroit pas.
La divinité des livres saints ne porte
principalement ni sur la certitude
historique , ni sur les règles de cri-
tique , ni sur le témoignage d'aucun
particulier, mais sur l'autorité et
la garantie de l'Eglise ; et nous ne
voyons pas sur quel autre fonde-
ment on peut l'établir.
Lorsque les protestants font pro-
fession de ne recevoir pour divins
que les livres dont la canoniciié a
fté universellement reconnue dans
les premiers siècles, c'est d'abord
une fausseté ; l'cpître aux Hébreux
qu'ifs reçoivent, a été douteuse
pendant quelque temps. D'ailleurs,
si le sentiment unanime de l'an-
cienne Eglise suffit pour nous ap-
prendre que tel livre est divin ,
nous ne voyons pas pourquoi il ne
suffit plus pour nous enseigner
comment nous devons l'entendre,
ou pour nous convaincre que tels
et tels dogmes sont révélés.
Nous concevons encore moins
sur quel fondement les protestants
croient l'authenticité des livres
même proto-canoniques, comment
ils osent se fier au témoignage des
anciens auteurs ecclésiastiques ,
pendant qu'ils nous les représen-
tent comme deshommes d'unepro-
hité très-douteuse, qui ne se sont
jamais fait scrupule de commettre
des fraudes pieuses, ni de mentir
CAN ^23
pour la gloire de Dieu et pour la
propagation de la foi. Voyez Mos-
heim , Instit. Hist. C/trist. , 2." p.,
c. 2, § 23.
CANONISATION d'un saint ;
décret par lequel le souverain pon-
tife déclare que tel homme a pra-
tiqué les vertus chrétiennes dans
un degré héroïque , et que Dieu a
opéré des miracles par son inter-
cession, soit pendant sa vie, soit
après sa mort. Conséquemment il
juge que l'on doit l'honorer comme
un saint , il permet d'exposer ses
reliques à la vénération des fidèles,
de l'invoquer, de célébrer le saint
sacrifice de la messe et un office en
son honneur. La canonisation est
ordinairement précédée d'un dé-
cret de béatification. Voy. ce mot.
Dans les premiers siècles de l'E-
glise, les martyrs ont été les pre-
miers auxquels les fidèles ont ren-
du un culte solennel. On élevoit
un autel sur leur tombeau , et l'on
y célébroit les saints mystères; en
cela consistoit toute la cérémonie
de la canonisation. Nous en voyons
un exemple dans les actes du mar-
tyre de saint Ignace , et dans la let-
tre de l'Egl ise de Smyrne au suj et du
martyre de saint Polycarpe. Ce
so.it donc les peuples qui ont ét6
les premiersauteurs du culte rendu,
aux saints, et l'Eglise l'a approuvé
avec raison.
Les évêques jugèrent néanmoins
qu'il y falloit apporter beaucoup
de précaution , pour empêcher que
l'on ne rendît les honneurs dus à
la vertu, à des hommes qui ne les
auroienlpasmérités. SaintCyprien
ordonna de faire des informations
exactes de ceux qui étoient vérita-
blement morts pour la foi , de lui
envoyer leurs noms et les circons-
tances de leur martyre , afin de ne
pas confondre avec eux ceux dont
le zèle pouvoit paroître suspect.
Episl. , 37 et 79
Dans la suite on crut devoir ren-
l,i[^ CAN
«Ire le même culte aux personnages
vénérables qui , sans avoir souffert
le martyre , avoient édifié l'Eglise
par une vie exemplaire. Mais la pié-
té souvent imprudente des peu-
ples , les erreurs dans lesquelles on
cloit tombé à cet égard , la négli-
gence des évcques à constater les
vertus et les miracles de ceux aux-
quels on s'empressoit de rendre un
culte , obligèrent les souverains
pontifes à se réserver ce jugement.
Le premier exemple d'une canoni-
sation solennelle faite par le pape
est de la fin du onzième siècle.
Voyez \ ancien Sacranientaire , par
Grandcolas , i." partie , p. 385.
Les protestants se sont exercés à
l'envi à tourner en ridicule la ca-
nonisation des saints ; mais ils au-
roient dû nous apprendre ce que
devoit faire l'Eglise pour prévenir
les prétendus abus qu'ils lui repro-
chent. A-t-elle pu ou a-t-elle dû
empêcher les peuples de respecter
la mémoire des serviteurs de Dieu,
dont on avoit admiré les vertus
pendant leur vie Y Ce sentiment est
naturel ; il a toujours été et il sera
toujours le même ; il a régné chez
les juifs aussi-bien que chez les
chrétiens. Eccl. , c. 44 » etsuiv. Les
protestants disent qu'autre chose
est de respecter la mémoire des
saints , et autre chose de leur ren-
dre un culte ; nous leur soutenons
que, supposé la croyance de l'im-
mortalité des âmes et du bonheur
éternel des saints, il a été impos-
sible de les croire heureux dans le
ciel et pénétrés de l'amour divin ,
sans être persuadé qu'en eux la
charité n'est pas morte, qu'ils s'in-
téressent au salut de leurs frères ,
qu'ils intercèdent pour nous , et
qu'il est utile de les invoquer. Il a
fallu tout l'entêtement des protes-
tants pour leur faire rejeter une
conséquence aussi palpable. Voyez
Culte.
Cela pose les pasteurs de l'Eglise
ont-ils du laisser à la discrétion des
CAN
peuples le choix de^ personnages
qui méritoicnt ou ne méritoicnt
pas d'être réputés saints , plutôt
que de se réserver ce jugement ? \
Dès les premiers siècles il a fallu
faire le discernement des vrais
martyrs d'avec les faux. Les pro-
testants eux - mêmes soutiennent
que dans les neuvième , onzième
et douzième siècles de l'Eglise, les
peuples sont tombés dans des er-
reurs et des excès énormes tou-
chant les hommes réputés saints ;
il a donc fallu , pour prévenir les
abus , que les papes se réservas-
sent les procès de la canonisation
des saints, puisque c'est un objet
qui intéresse l'Eglise universelle.
Quand nos adversaires se récrient
sur le trop grand nombre des saints
canonisés , on croit qu'ils sont
fâchés de ce qu'il y a eu trop d'âmes
vertueuses dans le inonde, qui ont
mérité de servir d'exemple aux
antres.
Il n'est pas possible de pousser
plus loin l'exactitude de l'examen
qui se fait à Rome de la vie , des
actions, des miracles d'un person-
nage dont on poursuit la canonisa-
tion. Il est aisé de s'en convaincre
par l'ouvrage que le pape Benoît
XIV a fait sur ce sujet. Les catho-
liques pensent avec raison qu'un
jugement, porté avec tant de pré-
caution , ne peut pas être sujet à
l'erreur; que, dans une circon-
stance aussi importante , Dieu ac-
corde à son Eglise l'assistance qu'il
lui a promise jusqu'à la fin ded
siècles.
Un des reproches que les incré-
dules de nos jours ont répétés le
plus souvent , est que l'Eglise à
placé au rang des saints des hom-
mes inutiles qui n'ont rendu aucun
service au monde , et de faux zélés
qui en ont troublé la tranquillité;
des princes qui n'ont eu que les
vertus du cloître , ou qui ont été
les persécuteurs de ceux qui ne
pensoient.pas comme eux. Mais les
I
CAN
philosophes, «iiii connoifiscnl très-
iiial la vertu , sont mauvais juges
«lu mérite «les saiuLs. Uu homme
n'est poiut inutile au momie, lors-
que, «ians le silence et la solitude ,
il emploie son temps à louer Dieu,
à prier pour ses iVéres, à pratiquer
la mortification , l'obéissance , le
«iélachement «le toutes choses. Ces
exemples, qui sont connus tôt ou
tard , sont très-utiles pour faire
comprendre aux hommes en quoi
consiste le vrai bonheur ; celte le-
çon vaut mieux et produit plus
d'effet queles dissertations des phi-
losopVies.
Lorsque les saints sont revêtus
«l'une dignité qui leur donne un
rang dans la société, et leur impose
le devoir de veiller sur la conduite
des autres , il est impossible que
leurs leçons et leur conduite ne
déplaisent pas aux hommes vi-
cieux, et qu'ils n'éprouvent aucune
contradiction. Leur douceur seroit
blâmée comme une molle con-
descendance ; leur fermeté passe
pour ambition de dominer, pour
inquiétude ou dui'eté de caractère;
on leur fait un crime deleurs vertus
mêmes. « Tous ceux, dit saintPaul,
M qui veulent vivre pieusement se-
» Ion Jésus-Christ , souffriront
» persécution , pendant que les
» hommes méchants et séducteurs
« feront des progrès dans le mal ,
» et entraîneront les autres dans
» leurs erreurs. » JI Tim. , c. 3 ,
^'. 12 et i3. C'est l'histoire de tous
les siècles.
Lorsque «les princes ont employé
aux pratiques de piété le temps que
d'autres donnent à des plaisirs
bruyants , dispendieux et souvent
scandaleux, nous ne voyons pas ce
que les peuples y ont perdu. Quant
au nom de persécuteurs que l'on
donne aux souverains qui ont ré-
primé l'audace des hérétiques et
des incrédules, l'abus d'un mot ne
doit pas nous en imposer; ils ont
dû punir ceux quicorrompoientles
CAN
4^5
mœurs et délruisoient les principes
de vertu. Vofez. Saints.
CANTIQUE, y-oj: Chant ecclé-
siastique.
Cantique des Cantiques , livre
sacré , ainsi nommé par les Hé-
breux pour exprimer son excel-
lence. On l'attribue à Salomon ,
duquel il porte le nom dans le texte
hébreu et dans l'ancienne version
grecque. Les talmudistes ont pré-
tendu qu'il étoit d'Ezéchias ; mais
cette opinion n'a pas été suivie par
les autres rabbins. Il est dit dans
l'Ecriture que Salomon avoit com-
posé des cantiques aussi-bien que
David , et le nom de Salomon se
trouve dans plusieurs endroits de
celui-ci.
En examinant d'abord le sens
littéral, ou plutôt grammatical, de
ce cantique, les critiques en ont
porté des jugements fort différents.
Les uns ont prétendu que c'est un
ouvrage purement profane , dans
lequel Salomon a célébré ses
amours avec la fille de Pharaon ,
roi d'Egypte, qui étoit la plus chérie
de ses épouses. C'étoit le senti-
ment de Théodore de Mopsueste ,
qui regardoit cet ouvrage comme
dangereux pour les mœurs ; c'est
encore l'idée qu'en ont les ana-
baptistes. Les Juifs en avoient in-
terdit la lecture avant l'âge de
trente ans , quoique d'ailleurs ils
le regardassent comme un livre
inspiré. D'autres ont pensé que
c'étoit un épithalamc , un poëme
destiné à être chanté dans les noces;
ils ont cru y distinguer sept par-
ties d'églogue, qui répondent aux
sept jours pendant lesquels du-
roient les noces des anciens. C'a été
le sentiment de M. Bossuet , dans
le commentaire qu'il a fait sur ce
livre, et celui de Lowth , de sacra
poesi Hebrœor. , prœlect. 3o et Si.
Quelques commentateurs, pré-
venus de ces idées , ont fait de ce
caiiilque des traductions trop libres
426
CAN
et capables d'alarmer la pudeur,
comme Bèze, Castalion, Grotius ,
et un célèbre incrédule de nos
jours ; d'autres ont affecté de faire
remarquer les endroits qui , selon
nos mœui"s, paroissent trop licen-
cieux , et ils ont fait un crime à
TEglise catholique de ce qu'elle a
placé quelques morceaux de ce
poëme dans l'office divin. Tous ,
au reste , sont convenus qu'en
fait d'ouvrages profanes , il n'en
est point de plus agréable que
celui-ci ; que l'on y trouve un
feu , une délicatesse , une variété
d'images inimitables ; c'est une
peinture très-naïve des anciennes
mœurs de l'Orient. Cependant un
de nos littérateurs modernes n'y a
rien trouvé de merveilleux; suivant
son avis , si l'on excepte quelques
images champêtres assez agréables,
le reste n'a rien d'éloquent ni de
sublime.
Mais toutes ces opinions ont été
réfutées par un critique très-habile
dans les langues orientales. Le sa-
vant Michaëlis , dans ses Noies sur
Loivih , soutient et prouve que
l'objet duca/2//<7ue de Salomon n'est
de peindre ni l'amour licencieux
de deux personnes libres , ni celui
de deux jeunes époux au moment
de leurs noces, mais l'amour très-
rhaste de deux époux déjà unis de-
puis long-temps. A la vérité, cette
idée ne s'accorde point avec nos
mœurs, mais elle est très-analogue
a celles des Orientaux , chez les-
quels les femmes, toujours renfer-
mées , ne voyent point leurs maris
quand elles le veulent , et n'ont
aucune société avec les autres
hommes , où elles sont sujettes
d'ailleurs à toutes les passions
qu'inspirent le climat, la clôture
et la polygamie. Il observe que ce
<îétaut de société, entre les deux
sexes , est cause que les hommes
s'expriment avec beaucoup de li-
berté dans les conversations qu'ils
ont, soit cntr'eux , soit avec leurs
CAN
épouses ; que de leur côté les fem"
mes ne croient point blesser la
pudeur par la naïveté de leurs ex-
pressions : cette licence dans le
langage ne fait pas plus d'impres-
sion que la nudité presqu'cntière
des deux sexes si commune dans
ces mêmes climats.
Par là il démontre , d'un côté,
l'injustice du scandale que les cen-
seurs des livres saints ont voulu
tirer de cc^ cantique et de plusieurs
passages semblables du prophète
Ezéchiel ; de l'autre, la témérité
des traducteurs , qui ont voulu
rendre toute l'énergie du texte hé-
breu dans la langue de peuples dont
les mœurs ni les usages ne sont plus
les mêmes que ceux des anciens
Orientaux.
Ce judicieux critique prouve ce
qu'il avance par des exemples. Sur
le témoignage du voyageur Char-
din , il cite un poëte asiatique ,
très-grave d'ailleurs , qui a traité
les plus sublimes matières de la
théologie affective sous le voile de
l'allégorie, et dans un style qui pa-
roîtroit être celui du libertinage le
plus grossier. Les docteurs juifs et
les Pères de l'Eglise n'ont donc pas
eu tort de regarder le cantique de
Salomon comme un poëme allé-
gorique, et non comme un ouvrage
profane. I^es premiers, sous l'image
de l'union conjugale, ont entendu
l'alliance de Dieu avec la synago-
gue ; Ezéchiel et d'autres prophètes
l'ont représentée de même, et c'est
le sens qu'a saivi le paraphraste
Chaldécn. Les Pères ont été encore
mieux fondés à y découvrir l'al-
liance perpétuelle et indissoluble
de Dieu avec l'Eglise chrétienne ,
puisque , dans plusieurs endroits
du nouveau Testament, l'Eglise est
appelée l'épouse de Jésus-Christ ;
lui-même représente sous la figure
d'une noce l'établissement de cette
sainte société. Matth., c. 22, |)^'. 2 ;
c. 25, yi. I, Apnc, c. 19 ,5*. 7, etc.
C'est dans ce sens seulement que
CAN
Ton a placé dans rolTicc divin quel-
ques morceaux du cantique, et on
l'a lait avec tout le choix et les
précautions convenables. Les mi-
nistres de l'Eglise , accoutumés
à ne voir dans ce livre sacré
qu'un sens spirituel et allégori-
que, sont à l'abri de toute idée pro-
fane, contraire à la chasteté et à la
piété.
Si le littérateur moderne qui a
voulu déprimer la composition de
cet ancien pocme , avoit consulté
Lowth et Michaëlis , il en auroit
mieux senti l'énergie, les allusions
et les beautés, et peut-être qu'il
auroit réformé son jugement.
P'autre part, ceux qtii on t appliqué
aux sept âges de l'Eglise les sept
jours pendant lesquels se célé-
broient les noces, ont mal rencon-
tré , puisque dans le cantique il
n'est question ni de noces , ni de
distinction de jours. Bible d'Avi-
gnon, lom. 8, pag. 399 et suiv.
Les objections que l'on a faites
contre l'inspiration de ce livre ne
sont pas difficiles à résoudre. Ou est
d'abord étonné de ce qu'il n'est
point cité dans le nouveau Testa-
ment ; mais il y a d'autres livres
de l'ancien qui n'y sont pas cités
non plus. On ajoute que le nom de
Dieu nes'y trouve pas; qu'importe,
puisque c'est Dieu lui-même qui
est l'objet du poème.
Quoique nous fassions très-
grand cas de l'értidition et de la
.sagacité de Lowth et de Michaëlis ,
nous ne pouvons souscrire à la cen-
sure qu'ils ont faite des Pères et des
commentateurs, qui, non contents
de soutenir que le cantique tout
entier est mystique et allégorique,
ont encore tâché de donner à toutes
ies parties un sens suivi et ana-
logue à ce sens général. Nous con-
venons qu'aucune de ces expli-
cations ne peut faire autorité,
puisqu'il est libre à chacun de
donner la sienne ; aussi n'a-t-on
jamais fait usage de ce poème pour
CAP 427
prouver aucun article de foi. Mais
comme il est très-essentiel d'écarter
de l'esprit de tous ceux qui le lisent
toute idée profane , on ne doit pas
blâmer ceux qui ont cherché une
leçon de piété dans chaque cha-
pitre et dans chaciue verset. Par
la même raison, il y auroit de l'hu-
meur à censurer ceux qui en ont
fait l'application non-seulement à
Dieu et à l'Eglise , mais encore à
Jésus -Christ et à l'âme fidèle.
Quand ce ne seroit pas là le sens
le plus naturel du texte, c'est du
moins toujours une leçon utile à
la piété ; et quoi qu'en disent nos
savants critiques protestants, c'est
le meilleur fruit que nous puissions
tii'cr de la lecture des livres saints.
En tournant cette méthode en ri-
dicule, en se tenant scrupuleuse-
ment attachés aux règles de gram-
maire , de logique et de critique ,
les protestants ont presque travesti
l'Ecriture sainte en un livre pure-
ment profane , comme si Dieu nous
l'avoit donnée pour augmenter
nos connoissances curieuses et non
pour nous porter à la vertu. Ce
n'est pas ainsi que saint Paul nous
la fait envisager : « Toute Ecriture
» divinement inspirée , dit-jl, est
» utile pour enseigner , pour re-
» prendre , pour corriger , pour
>' instruire dans la justice , pour
» rendre un homme deDieu parfait
» et exercé z toute bonne œuvre. »
II. Tint. , c. 3 , J^'. 16. De quoi y
serviroitle ca/j/z^uedeSalomon, si
on se bornoit au sens qui paroît le
plus littéral r
CAPHARNAUM , ville de Ga-
lilée , dans laquelle Jésus-Christ
a fait sa demeure pendant c^uelques
années. Maith. , c. l^.,'^ i3. Il s'est
plaint plusisurs fois de l'incrédu-
lité des habitants de cette ville ,
et les incrédules modernes en ont
voulu tirer avantage pour rejidre
suspects les miracles et les vertus
du Sauveur 5 il ne pouvoit, disent-
428 CAP
ils , êlre mieux jugé que par ses
concitoyens.
Nous pensons au contraire qu'il
ne pouvoit l'être plus mal. Quand
on connoît par expérience les pré-
ventions , la jalousie, la malignité
naturelles des habitants des petites
villes , on sent la vérité de la ma-
xime que Jésus-Christ a prononcée
à cette occasion, que personne n^est
prophète dans son pays. Maith. ,
c. i3 , S • 57. Les Galiléens, imbus
du préjugé général de la nation
juive, que le Messie devoit être un
conquérant , pouvoient-ils aisé-
ment se persuader que le fils d'un
artisan, dont toute la famille étoit
connue , fût le Fils de Dieu des-
cendu du ciel et incarné pour le
salut des hommes ? Trois ans d'in-
structions, de miracles et de vertus,
n'étoient pas trop pour persuader
à des hommes très-grossiers une
vérité aussi étonnante , pour la-
quelle les incrédules de tous les
siècles ont eu tant de répugnance.
Ou ne doit pas être surpris si les
Capharnaïtes furent révoltés, lors-
que Jésus-Christ promit de donner
sa chair à manger et son sang à
boire, Joan. , c. 6 , ^. Sa. Il se
trouve encore aujourd'hui des sec-
tes de chrétiens qui n'en veulent
riencroire. Mais enfin Jésus-Christ
vint à bout de persuader ses con-
citoyens, puisque la plupart de
ses disciples étoient Galiléens , et
i[ne plusieurs de ses parents
même souffrirent la mort pour
iui après sa résurrection. Vojez
Parents.
CA.PISCOL , dignitaire de plu-
sieurs chapitres ou églises , soit ca-
thédrales, soit collégiales, en Pro-
vence et en Languedoc. Il paroît
que c'est la même dignité que celle
«le chantre, de celui qui préside au
chœur Capiscol se dit poiir capui
scholœ , le chef des chantres. Dans
le pontifical romain, les ecclésiasti-
ques dont l'évêque est accompagné
CAP
dans les cérémonies , sont appelés
schol.
CAPITAL. On nomme péchés
capitaux les vices habituels ou les
passions déréglées qui sont en nous
la source ordinaire de nos péchés.
Ce sont l'orgueil, l'avarice, l'envie,
la gourmandise , la luxure, la co-
lère et la paresse. Voyez ces divers
articles. Quelques iivterprètes pen-
sent que Jésus-Christ a voulu les
désigner, lorsqu'il a parlé des sept
démons qui s'emparent de l'hom-
me. Matlh. , c 12, S- ^^\ Luc,
c. 8 , >^. 2.
CAPITULE , petit chapitre. Ce
sont quelques versets tirés de l'E-
criture sainte , et relatifs à l'office
du jour, que l'on récite aprèjs les
psaumes et avant l'hymne. Le ca-
pitule des compiles se dit après^
l'hymne , et il est suivi d'un répont
comme dans les petites heures.
CAPTIVITÉ DE BABYLONE.
Moïse , de la part de Dieu , avoil
annoncé aux Israélites que s'ils n'é-
toient pas fidèles à observer sa loi ,
illestransporteroithorsde la terre
promise, et les livreroit au pouvoir
d'unenation étrangère. Dcî//., c.28^
y. 49 et 64 ; mais que s'ils reve-
noient à lui, il les rétabliroit, c. 3o,
y. I et suiv. Comme sous leurs rois
ils se livrèrent très-souvent à l'ido-
lâtrie , et contractèrent des mœurs
très-corrompues , Dieu leur décla-
ra par ses prophètes qu'il alloit
accomplir ses menaces , que toute
la nation seroit assujétie aux As-
syriens et transportée k Babylone :
mais il leur promit qu'après
soixante-dix ans ils seroient déli-
vrés et reconduits dans la Judée.
Jcrem. , c. 26 , S ' ^ ^ et 12 ; c. 26,
'f . 10 Tout cela fut vérifié par l'é-
vénement.
Il ne faut pas se persuader que
cette captivité ait été un dur escla-
vage ; que les Juifs sous la doroi-
CAP CAP 429
nation des rois Assyriens , Mcdcs nue du Messie. Ibid. , ^ . 24. Cela
ou Perses , aient été absolunienl est précis.
malheureux. A la réserve de l'exer-
cice public de leur religion , qui ne
leur éloit ni permis ni possible , ils
jouissoient de tous les droits de su-
jets; nous le voyons par les histoires
de Tobie , de Suzanne et d'Esther.
Ilspossédoient des terres et les cul-
tivoient ; plusieurs furent élevés
auxdignités et eurentun très-grand
crédit à la Cour. Un grand nombre
de Juifs se trouvèrent si bien en
Assyrie, qu'ils ne voulurent pas
revenir en Judée, lorsque Cyrus
leur en eut accordé la liberté.
Aujourd'hui, quand on demande
aux Juifs pourquoi Dieu , malgré
les promesses qu'il a faites à leurs
pères, les a réduits depuis dix-sept
cents ans dans un état beaucoup
plus fâcheux que la captivité de Ba-
bylone; pour quel crime Dieu les a
dispersés ethumiliés chez toutes les
nations de l'univers, si ce n'est pas
pour avoir mis à mort le Messie, ils
répondent que leur captivité pré-
sente est une continuation ou une
extension de la captivité de Baby-
lone , et qu'ils sont encore punis
aujourd'hui des anciennes prévari-
cations de leurs pères. C'est une
espèce de proverbe parmi eux, qu'il
ne leur arrive aucune calamité
dans laquelle il n'entre au moins
une. once de l'adoration du veau
d'or.
Indépendamment de l'absurdité
de ce préjugé , l'Ecriture sainte
fournit des preuves positives du
contraire.
I .° Les mêmes prophètes qui ont
annoncé la captivité de Babylone ,
en ont aussi prédit la fin ; Jérémie
déclareformellementqu'ellene du-
rera que soixante-dix ans, et Daniel
Je comprit ainsi en lisant ce pro-
phète. Jcr^m. , c. 25 et 29 ; Dan. ,
c. 9. Un ange révèle à Daniel que
ces soixante-dix ans sont l'abrégé
de soixante-dix semaines d'années
qui doivent s'écouler jusqu'à la ve-
2." L'édit de Cyrus permit à tous
les Juifs sans exception de retour-
ner dans leur patrie ; les termes
sont formels et illimités. I. Esdr.,
c. i y"^ . 3. L'auteur des Paralipo-
mènes reconnoît, dans les derniers
versets du second livre, que cet
édit mit fin à la captivité. Il y a
de l'opiniâtreté à soutenir le con-
traire.
3. "Daniel et Néhémiereconnoîs-
sent que les menaces de Moïse dans
le Deutéronomeont été accomplies
à Babylone. Dan., c. 9, J^. 11 et
12 ; II. Esdr. , c. i , >^. 8. En effet ,
Moïse dit aux Juifs qu'ils seront
transportés avec leur roi dans une
terre éloignée, qu'ils y serviront
des dieux étrangers , des dieux de
bois et de pierre. Deut., chap. 28 ,
y . 36. Cela ne peut pas être appli-
qué à leur captivité présente ; ils
n'ont plus de roi , ils ne sont forces
nulle part d'adorer des idoles.
4.°Lorsque les Juifs se plaignent
à Babylone de ce que Dieu leur a
lait porter la peine des prévarica-
tions de leurs pères, Ezéchiel leur
soutient que cela est faux , qu'ils
sont punis pour leurs propres cri-
mes. Ezéch., c. 18. Ceux d'aujour-
d'hui ont donc tort de répéter cette
plainte absurde de leurs aïeux.
De là nous concluons contre eux
que le crime pour lequel ils .sont
punis depuis dix-sept siècles , est
non-seulement un crime national ,
mais personnel à chacun des Juifs ;
et il n'en est aucun qui réunisse ces
deux caractères que le déicide qu'ils
ont commis dans la personne de Jé-
sus-Christ.C'estun crime national,
puisque les chefs de la nation l'ont
rejeté et condamné à mort ; le peu-
ple y a participé , puisqu'il a crié :
Que son sang soit sur nous et sur nos
enfants. C'est un crime personnel
à chaque Juif, puisque tous ceux
qui n'ont pas cru en Jésus-Christ ,
ont applaudi à la conduite de leurs
43o CAP
pères , et ont tâché de la justifier ;
aujourd'hui encore tous blasphè-
ment contre ce divin Sauveur.
Que le sort actuel ait été prédit
ou non par la prophétie du Deulé-
ronome , cela est indifférent ; celle
de Daniel est expresse ; il déclare
qu'après le meurtre du Messie , la
dévastation et la désolation des
iuifs dureront jusqu'à la fin. Dan.,
c. 9 , 'S''. 27. Jamais ils n'ont rien
opposé de solide à cette preuve ac-
cablante.
CAPUCIATI , encapuchonnés ;
on nomma ainsi, sur la fin du dou-
zièn[ie siècle , certains fanatiques
qui firent une espèce de schisme
civil et religieux avec les autres
liommes, et prirent pour marque
de leur association particulière un
capuchon blanc auquel pendoil
une petite lame de plomb ; leur
dessein étoit, disoient-ils , de for-
cer ceux qui se faisoicnt la guerre ,
à vivre en paix.
Cette idée vint dans la tête d'un
bûcheron vers l'an 1 186. Il publia
que la sainte Vierge lui avoit appa-
ru , lui avoit donné son image et
celle de son Filsavec cette inscrip-
tion : Agneau de U'ieu, qui effacez
les péchés du monde , donnez-nous
la paix; qu'elle lui avoit ordoiiné
de former une association dont les
membres porteroient cette image
avec un capuchon blccnc , symbole
de paix et d'innocence, s'oblige-
roient par serment à conserver la
paix entre eux , et forceroient les
autres à l'observer.
La lassitude et le mécontente-
ment qu'avoienlproduits dans tous
les esprits les divisions , les guerres
intestines , l'anarchie de ce mal-
heureux siéci , donna de la consis-
tance à la fantaisie bizarre des ca-
puciés ; ils trouvèrent des appro-
bateurs et firent des prosélytes dans
tous les états, surtout en Bourgo-
gne et dans le Berri. Malheureuse-
ment pour établir la paix ils com-
CA1\
mençoient par faire la guerre, et
vivoieut aux dépens de ceux qui ne
vouloient pas se joindre à eux. I,es
seigneurs et les évêques levèrent
des troupes , dissipèrent ces fana-
tiques , et firent cesser leur brigan-
dage.
Mais on en vit bientôt paroître
d'autres , les stadings , les circon-
cellions, les albigeois, les vau-
dois , etc. , qui étoieiit animés du
même esprit et commirent les mê-
mes désordres.
Dans le siècle suivant, l'an 1387,
il y eut en Angleterre des capuciés
d'une autre espèce ; c'étoient des
hérétiques sectateurs de Wiclef ,
qui ne vouloient pas se découvrir
et gardoient leur capuchon devant
le Saint-Sacrement ; ils prirent la
défense d'un nommé Pierre Pares-
hul , moine augustin , qui avoit
quitté le froc, et qui , pour justi-
fier son apostasie, accusoit son or-
dre de plusieurs crimes. Labbe ,
Nout>. bibl., tome i , p. 477- D'ar-
gentré, Collée. Judic. , t. i , p. laS.
Sponde, ad an. 1377.
CARACTERE. Ce terme en théo-
logie signifie une marque spiri-
tuelle et ineffaçable que Dieu im-
prime dans l'àme d'un chrétien par
quelques-uns des sacrements. Il n'y
en a que trois qui opèrent cet ef-
fet, le baptême,la confirmation et
l'ordre : aussi ne les réitère-t-on
jamais , même aux hérétiques ,
pourvu qu'en les administrant l'on
n'ait rien manqué d'essentiel dans
la matière ni dans la forme.
La réalité de ce caractère est
prouvée par des passages de saint •
Paul , dont le sens est à la vérité
contesté par les hérétiques , et
même par quelques théologiens ca-
tholiques ; mais dans cette ques-
tion , comme dans toute autre, la
tradition doitservir de guide. Saint
Augustin, en écrivant contre les
donatistes qui réitéroient le bap-
tême cl l'ordination , a supposé et
CAU
a soutenu que ces sacromeuls iin-
prirncnt un caraclcic ineffaçable.
Ij. contra Epist. J'armcn., n." 28.
Toute l'Eglise d'Afrique a confir-
mé cette vérité par son suffrage ,
et c'est le sentiment de l'Eglise ca-
tholique.
Un savant anglican, qui le com-
bat de toutes ses forces, soutient
qu'il n'en est question dans aucun
des anciens conciles. Il avoue ce-
Fendant que plusieurs Pères de
Eglise ont appelé le baptême le
sceau, le signe, la marque , le ca-
ractère de Jésus-Christ ; mais ils
n'ont rien conclu de là , sinon qu'il
ne faut pas réitérer ce sacrement.
Il ne s'ensuit pas, dit-il, qu'un
chrétien apostat , infidèle , excom-
munié , conserve encore quelque
droit ou quelque privilège en vertu
de son baptême. Bingham, On'g.
Ecoles. , tom. 1 1 , p- 256. Nous con-
venons que le seul droit qui lui
reste est de ne pas être rebaptisé
lorsqu'il fera pénitence et qu'il
rentrera dans le sein de l'Eglise.
De même, dit ce critique , lors-
que les anciens conciles ont excom-
munié ou dégradé un prêtre , ils
ont dit : Nous l'avons privé du sa-
cerdoce et de tout pouvoir sacer-
dotal ; nous déclarons qu'il n'est
plus prêtre, nous le privons même
de la communion laïque , etc. Que
reste-t-il donc à ce prêtre dégradé
en vertu de son ordination passée ?
Nous répondons qu'il lui reste le
pouvoir radical de l'ordre , et non
celui d'en faire les fonctions. Cela
est si vrai que , si ce prêtre par-
vient à se faire absoudre et réin-
tégier , on ne l'ordonnera pas de
nouveau; il recommencera d'exer-
cer validement et licitement les
fonctions du sacerdoce. Il n'est pas
de l'intérêt d'un anglican de soute-
nir le contraire , puisqu'il s'en-
suivroit que les évêqucs et les prê-
tres d'Angleterre , excommuniés
comme hérétiques par l'Eglise ro-
maine, ont perdu dès ce moment
CAI\ 4.3 1
leur caractère et tous leurs pou-
voirs, conséquemmenl qu'ils n'ont
pu donner aucune ordination va-
lide ; que le clergé de l'Eglise an-
glicane n'est composé que de purs
laïques , comme nous le préten-
dons.
Quant à la nature du caractcrf.
dont nous parlons, les théologiens
ne sont pas d'accord pour l'expli-
quer.Comme le mot carac/ère signi-
fie littéralement nne. gravure , il ne
peut être appliqué à notre iàme que
par métaphore.
Durand , in quartum , dist. /^ ,
q. 1 , dit que le caractère n'est point
une qualité absolue distincte de
l'àrae, mais une simple dénomi-
nation extérieure , par laquelle
l'homme baptisé , confirmé ou or-
donné , est disposé par la seule vo-
lonté de Dieu , et rendu propre a
exercer soit passivement, soit ac-
tivement, quelques fonctions. Si
quelqu'un peut comprendre ce
verbiage, il faut l'en féliciter.
D'autres soutiennent que le ca-
ractère c^si une qualité réelle et ab-
solue , une puissance d'exercer on
derecevoii des choses saintes , qui
réside dans l'entendement comme
dans son sujet immédiat. Tournély,
deSacram. in.gen., quest. 4, ar^.2.
Quand nons saurions lequel de ces
deux sentiments est le plus vrai ,
nous n'en serions pas plus instruits.
11 faut se borner à croire ce que
l'Eglise enseigne, renoncer à l'am-
bition de comprendre ce qui est
incompréhensible , et d'expliquer
ce qui est inexplicable.
Les protestants nient l'existence
du caractère sacramentel , et disent
qu'il a été imaginé par le pape In-
nocent III ; mais saint Augustin a
vécu près de huit cents ans avant
ce pape. Cependant les protestants
pensent qu'on ne doit point réité-
rer le baptême ; ils scroicnt bien
embarrassés d'en donner une autre
raison que la prati<iue de l'Eglise.
S'il étoil vraij comme ils le sou-
[^7. CAR
tiennent, que les sacrements n'ont
point d'autre effet que d'exciter la
loi , qui empêcheroit de réitérer le
baptême autant de fois qu'on le ju-
geroit à propres i'
Caractères hébraïques. Voyez
Hébreu.
Caractères magiques. Voyez
Magie.
CARAITES , secte de Juifs op-
posée à celle des rabhiuistes. Leur
nom paroît dérivé du chaldéen
hara, écrire ou écriture, parce
qu'ils prennent pour règle de leur
croyance le texte de l'Ecriture seul,
et font peu de cas des traditions
des rabbins , et de leur préten-
fpie loi orale renfermée dans le
Talmud.
Nous ne nous arrêterons point
à ce que les hébraïsants , juifs ou
autres, ont écrit au sujet des ca~
ra'Ues ; parce qu'ils ne s'accordent
point, et que leurs conjectures ne
sont fondées sur aucune preuve.
Ce qui paroît de plus probable,
est que la secte des cardites a com-
mencé au sixième siècle de notre
ère , peu de temps après la compi-
lation du Talmud. Les plus sensés
d'entre les juifs, rebutés des vi-
sions, des puérilités, des erreurs
rassemblées dans cet énorme re-
cueil, prirent le parti de s'en tenir
au texte des livres saints , et de
rejeter toutes ces traditions rab-
biniques. Du moins les plus mo-
dérés consentirent à les regarder
seulement comme un secours qui
pouvoit servir jusqu'à un certain
point à expliquer l'Ecriture sainte
et les divers usages de la loi de
Moïse , mais qui n'avoit d'autorité
qu'autant que l'on pouvoit juger
que les auteurs de ce commentaire
avoient bien rencontré.
De là les rabbinistes ou rabba-
nistes , partisans zélés du Talmud,
et qui lui attribuent autant d'au-
torité qu'au texte même de l'Ecri-
ture , regardent les cardt'ics comme
CAR
des schismatiques et des héréti-
ques, leur attribuent gratuitement
une infinité d'erreurs , et les dé-
testent presque autant que les
anciens Juifs abhorroient les Sa-
maritains Ou croit que ce fut un
juif babylonien , nommé Anan ,
qui, vers l'an ySo , se déclara ou-
vertement contre les traditions du
Talmud, et consomma le schisme
qui jusqu'alors n'avoit pas éclate.
Les rabbins , qui ont donné aux
cardiles le nom de sadducéens^ son t
évidemment injustes ; puisque les
cardiles admettent les dogmes que
nioient lessadduceens, l'existence
des esprits , l'immortalité de l'âme,
les peines et les récompenses de la
vie future, et les px'ouvent par le
texte des livres saints. Ils lisent
l'Ecriture et leur liturgie en pu-
blic et en particulier dans la lan-
gue du pays où ils vivent ; à Con-
stantinople en grec , à CafFa en
turc , en Perse en persan , et en
arabe dans tous les lieux où cette
langue est vulgaire.
On prétend qu'il y a Am cardites
en Pologne , en Russie , dans la
Crimée, au Caire, à Damas, dans
la Perse et à Constantinople , mais
en assez petit nombre, puisqu'on
ne peut pas les porter au-delà de
quatre à cinq mille en tout ; on
ajoute quece sont les plus honnêtes
gens parmi les Juifs. On connoît
peu de leurs livres en Europe ;
ils mériteroient cependant mieux
d'être connus que ceux des rabbins.
On y verroit que , dans l'explica-
tion d'une infinité de passages de
la loi et des prophètes , ils se rap-
prochent beaucoup du sens qu'y
donnent les chrétiens.
Mais s'il est permis d'élever ici
un soupçon , nous observerons que
les cardiles ne nous sont connus
que par des écrivains protestants;
il est dangereux que la confirmilé
que ces derniers ont trouvée entre
leurs principes et ceux des cardites,
ne les ait un peu prévenus en fa-
CAR
* veur dcceUiï secte juive; c'est par
les livres de ses docteurs qu'il fau-
droit en juger. Voyez Prideaux ,
Hist. des Juifs, liv. i3 , n.° 3 , l. 2,
in-4-°, pag. 162. Bruckcr, Hist.
crit. philos. , t. a , p. ySo et suiv.
CARDINALES (Vertus). La
prudence, la justice , la force, la
tempérance, sont nommées par les
théologiens vertus cardinales ou
principales ; parce queles philoso-
phes moralistes ont rapporté à ces
quatre chefs tous les actes de vertu.
On peut douter si cette division
est fort juste. Le nom de vertu si-
gnifie la force de l'âme ; dans ce
sens tout acte de vertu est une ac-
tion de force ; nous ne voyons pas
pourquoi la religion n'est pas au-
tant vertu cardinale que la pru-
dence ou la justice. Toute vertu
peut être pratiquée par un motif
de religion , et les actes de celle-ci
n'ont pas besoin d'un autre motif
que celui qui lui est propre.
CAREME , quadragesima , jeûne
de quarante jours, observé par les
chrétiens pour se préparer à célé-
brer la fête de Pâques.
Suivantsaint Jérôme, saintLéon,
saint Augustin et la plupart des
Pères du quatrième et du cinquième
siècle, le carêmes été institué par
les apôtres. Voici comment ils rai-
sonnent. Ce que l'on trouve établi
dans toute l'Eglise, sans que l'on
en voie l'institution dans aucun
concile, doit passer pour un éta-
blissement fait par les apôtres.
Saint Augustin, de Bapt. contra
Dnnat. , liv. 4» c- 24. Or, tel est
le jeûne du carême; le soixante-
neuvième canon des apôtres, le
concile de Nicée tenu en SaS , celui
de Laodicée de l'an 365 , les Pères
grecs et latins du second et du
troisième siècle, en parlent comme
d'un usage observé dans toute
l'Eglise.
Les prolestants ont prétendu que
CAll
433
le jeùnedu cflr<?V//eavoit été d'abord
institué par une espèce de super-
stition et par des hommes simples,
qui voulurent imiter le jeûne de
Jésus-Christ; qu'ensuite celte cou-
tume s'établit peu à peu , et devint
à peu près générale. Chemnilius,
Daillé , un Anglois nommé i/ooyscr,
ont disserté fort au long contre
cette institution , et n'ont rieu né-
gligé pour en rendre l'origine sus-
pecte. Mais ils ont été savamment
réfutés sur tous les points par Bé-
véridgc , évêque de Saint-Àsaph ,
théologien anglican, dans ses Notes
sur les Canons des apôtres, liv. 3.
VoyezPP. Apost. , tom. a , seconde
partie , p. i34 et suiv.
Mosheim s'est trouve forcé de
convenir que les preuves et les rai-
sonnements de cet auteur sont
très-forts. Après un pareil aveu ,
ilaeumauvaise grâce de prétendre,
comme Daillé , que la durée et la
forme du jeûne du carême n'ont
été déterminées qu'au quatrième,
siècle; puisque Bévéridge a fait
voir que selon le concile de Nicée ,
tenu l'an 325 , le carême étoit un
u&age déjà connu et observé dans
toute la chrétienté.
Leur plus fort argument est un
passage de saint Irénée , cité par
Eusèbe , liv. 5 , c. 24 , qui dit que
de son temps, c'est-à-dire, sur la
fin du second siècle , les uns
croyoient qu'ils dévoient jeûner
un jour, les autres deux, ceux-ci
plusieurs jours , ceux-là quarante.
Donc, disent-ils , il n'y avoit en-
core pour lors rien de constantni
d'uniforme sur ce point de disci-
pline. Mais, comme l'observe Bé-
véridge , saint Irénée n'en demeure
pas là; il ajoute que cela est venu
de ce que quelques anciens n'ont
pas été exacts à retenir la forme
du jeûne, et ont laissé passer en
coutume ce qui, venoit de simpli-
cité et d'ignorance. Ibid. , p. i56
et 157. Or, quelle étoit la forme
dujcûne au second sièclei" Origène^
a!J
43/t
CAR
qui a vécu cinquante ans après
saint Irénée, nous apprend qu'elle
étoit de quarante jours. Hom. lo
in Lei>it. , n.° 2. C'étoit donc par
simplicité et par ignorance que
quelques-uns ne l'observoient pas
ainsi. Bévéridge conclut que M. de
Valois et les autres critiques ont
mal pris le sens du passage de saint
Irénée, qui est assez obscur.
D'autres protestants ont dit que
ce fut le pape Télesphorequi insti-
tua le carême vers le milieu du se-
cond siècle , que ce jeûne étoit d'a-
bord volontaire, qu'il n'y eut de
loi que vers le milieu du troisième.
Il est fâcheux que les Pères de ces
temps-là aient ignoré cette anec-
dote. Lorsque saint Télesphorefut
placé sur le siège de Rome , il y
avoit trente ans au plus qxie saint
Jean étoit mort; cela nous rap-
proche beaucoup du temps des
apôtres. Maisles protestants y ont-
ils pensé, lorsqu'ils ont attribué à
un pape du second siècle le pou-
voir d'introduire un nouvel usage
dans toute l'Eglise ? "Victor, l'un
de ses successeurs, soixante ans
après, en avoit beaucoup moins ,
puisqu'une partie de l'Asie lui
résista au sujet de la célébration
de la pàque.
Quand l'institution du carême
jieremonteroit qu'au second siècle,
elle seroit assez ancienne pour que
les réformateurs eussent dû la res-
pecter, s'ils avoient eu envie de
perfectionner les mœurs , et non
de les relâcher.
Anciennement , dans l'Eglise
latine , le jeûne n'étoit que de
trente-six jours ; dans le cinquiè-
me siècle, pour imiter plus pré-
cisément le jeûne de quarante
jours observe par Notre-Seigneur,
quelques-uns ajoutèrent quatre
jours , et cet usage a été suivi dans
l'Occident, excepté dans l'Eglise
de Milan.
Les Grecs commencent le ca-
rême une semaine plus tô t quenous;
CAR
mais ils ne jeûnent point le sa-
medis , excepté le samedi de la se-
maine sainte.
Les anciens moines latins fai-
soient trois carêmes : le principal
avant Pâques, l'autre avant I^oél
(on l'appeloit le carême delaSainl-
Martin), le troisième, de saint
Jean-Baptiste , après la Pentecôte;
tous les trois de quarante jours.
Outre celui de Pâques, les Grecs
en observoient quatie autres ,
qu'ils nommoient des apôtres , de
l'Assomption, de îs'oël et de la
Transfiguration ; mais ils les ré-
duisoient à sept jours chacun. Les
jacobites en ïont un cinquième ,
qu'ils appellent de la pénitence
de Ninive, et les maronites un
sixième, qui est celui de l'Exalta-
tion de la Sainte Croix. De tous
temps les Orientaux ont été grands
jei\neurs.
Le huitième concile de Tolède,
de l'an 653 , ordonne que ceux qui,
sans nécessité, auront mangé delà
viande en carême, n'en mangeront
point pendant toute l'année, et ne
communieront point à Pâques.
Ceux que le grand âge ou la ma-
ladie obligent à en manger, ne le
feront que par permission de l'é-
vpque. Can. 8.
Insensiblement la discipline de
l'Eglise s'est relâchée sur la ri-
gueur du carême. Dans les premiers
temps, le jeûne, même dans l'Oc-
cident, consistoit à s'abstenir de
viande, d'œufs, de laitage, de vin,
et à ne faire qu'un seul repas après
les vêpres ou vers le soir ; cet usage
a duré jusqu'à l'an 1200. Mais avant
l'an 800, on s'étoil déjà permis
l'usage du vin , des œufs et du lai-
tage. Quelques intempérants pré-
tendirent que la volaille n'étoit
pas un mets défendu , et voulu-
rent en manger ; on réprima cet
abus
Dans l'Eglise d'Orient, le jeûne
a toujours été fort rigoureux ; pen-
dant lecarêmc la plupart des chré-
CAR
liens vivoienl de pain cl dVau , île
fruits secs et de légumes. LesGrccs
dînaient à midi , et faisoient colla-
tion d'herbes et de fruits verts , le
soir, dés le sixième siècle. Les La-
tins commencèrent dans le trei-
zième à prendre quelques conserves
pour soutenir l'estomac, ensuite
à faire collation le soir. Ce nom a
été. emprunté des religieux qui ,
après souper, écoutoient la lec-
ture des conférences des saints
Pères , appelées en latin collationes;
après quoi on leur permettoit aux
jours de jeûne de boire de l'eau
ou un peu de vin , et ce léger ra-
fraîchissement se nomma aussi
collation.
Le dîner des jours de jeûne ne
se fit cependant pas tout d'un coup
à midi. Le premier degré de ce
changement fut d'avancer le repas
à l'heure de none , c'est-à-dire , à
trois heures après midi. Alors on
disoit none, ensuite la messe et les
vêpres, après quoi on alloit man-
ger. Vers l'an i5oo, on avança les
vêpres à l'heure de midi, et Ton
crut observer l'abstinence pres-
crite en s'abstenant de viande
pendant la quarantaine , et en se
réduisant à deux repas, l'un plus
fort, l'autre trè^-léger, vers le
soir.
Nos historiens ont remarqué
que , pendant l'invasion que firent
en France les Anglois, l'an i36o,
leur armée et les troupes françoises
observoient l'abstinence et le jeûne
du carême. Froissart, 1. 2 , c. 210.
Dès l'origine, on joignit au jeûne
du carême la continence, l'absti-
nence des jeux, des divertissements
et des procès. Il n'est pas permis
de se marier pendant le carême,
sans une dispense de l'évêque.
Voyez Thomassin , Traité hisior.
et polit, du Jeûne.
Les épicuriens de notre siècle
ont disserté avec leur zèle ordi-
nairecoutre l'abstinence et le jeûne
du carême, et ils ont cherché à se
(:ai\
43S
parer d'un motif de bien public.
Ils disent qu'à Paris le maigre est
cher, mauvais et peu substantiel ;
que le peuple , obligé de travailler,
est hors d'état de faire abstinence
et de jciiner.
Mais dans les siècles passés le
maigre é toit- il moins cher ou meil-
leur qu'il n'est aujourd'hui , et le
peuple étoit-il moins assujéti au
travail ?Les politiques de ces temps-
là n'ont point jugé qu'il fallût abo-
lir le carême. Ils l'observoient
eux-mêmes , et trouvoient bon que
personne ne s'en dispensât. Ceux
qui violent aujourd'hui la loi,
voudroient que tout le monde sui-
vît leur exemple, afin que leur
turpitude fût moins remarquée.
Le taux des vivres à Paris n'est
pas la règle de l'univers entier.
Dans les provinces les pauvres
mangent rarement de la viande ,
le peuple vit de laitage et de lé-
gumes, et ne s'en porte pas plus
mal. Ce n'est pas lui qui se plaint
du carême , ce sont les riches fa-
tigués de la somptuosité de leur
table. Si à la pratique du jeûne
ils joigiioient celle de l'aumône,
comme l'Eglise le prescrit, les pau-
vres vivroient mieux et plus com-
modément en carême que pendant
le reste de l'année ; ils béniroient
Dieu de cette institution salutaire.
L'Eglise anglicane a conservé le
carême, non par un motif de poli-
tique , ni par un intérêt de com-
merce , comme quelques spécula-
teurs l'ont imaginé , mais parce
que c'est une institution des apô-
tres aussi ancienne que le christia-
nisme. Voyez VHisi. des Variât. ,
liv. y, n.° 90; Béoéridge , dans
l'endroit que nous avons cité; Tho-
massin, Traité du jeûne, etc.
CARLOSTADIENS. Voyez Lu-
thériens.
CARMEL. Il y a deux monta-
gnes qui ont porté ce nom dans la
ià(i CAR
Palestine , Tune au midi près d'Ué-
bron , l'autre plus au nord près de
Ptoléraaïde. Saint Jérôme dit que
c'étoit un lieu planté de vignes ,
très-fertile et fort agréable ; in
[sa'iam, c. i6, S- ïo. Souvent ce
nom est employé dans TEcriturc
pour exprimer la fertilité et l'a-
îiondance. C'est sur la seconde de
ces montagnes que le prophète
Elie et son disciple Elisée ont ha-
bité ; mais il n'y a aucune preuve
que c'ait été un lieu de dévotion.
La confrérie de Notre-Dame du
Mont-Carmel , ou du Scapulaire ,
est connue depuis la An du trei-
zième siècle. Voyez Scapulaire.
CAROLINS ( Livres ). Voyez
falAGR.
CARPOCRATIENS , secte d'hé-
rétiques du second siècle; c'étoit
une branche de gnostiques. Us eu-
rent pour chef Carpocrate d'A-
lexandrie, espèce de philosophe mal
instruit et mal converli, dont les
mœurs étoient très - corrompues ,
et qui voulut allier le christianis-
me avec les idées de la philosophie
païenne; à peu près contemporain
de Basilide et de Saturnin, il donna
dans les mêmes erreurs , et y en
ajouta de nouvelles.
Pour expliquer la trop célèbre
question de l'origine du mal , il
supposa , comme Platon , que le
monde n'avoit pas été créé par un
Dieu suprême infiniment puissant
et bon , mais par des génies infé-
rieurs très-peu soumis à Dieu. On
conçoit par là que tous ces raison-
neurs n'admettoientpas la création
prise dans la rigueur du terme ;
comment des êtres inférieurs à
Dieu pourroient-ils être doués du
pouvoir crcaieiir?
Pour rendre raison des imper-
fections, des misères , des foiblesses
de l'homme , Carpocrate supposa
la préexistence des ânies, prétendit
qu'elles avoient péché dans une vie
CAR
antérieure; qu'en punition de leur
crime elles avoient été condamnée»
à être renfermées dans les corps »
et soumises à l'empire des génies
créateurs du monde ; que, pour
plaire à ces génies, il falloit satis-
faire tous les désirs de la chair et
tous les mouvements des passions.
II conclaoit qu'aucune action n'est
bonne ou mauvaise , vertueuse ou
criminelle en soi , mais seulement
selon l'opinion des hommes. C'é-
toit aussi la morale des philosophes
de la secte cyrénaïque.
Toute âme , ajoutoient les car-
pocraiiens, qui n'a pas accompli en
cette vie toutes les œuvres de la
chair, est condamnée après la mort
à passer dans d'autres corps , jus-
qu'à ce qu'elle ait satisfait à toute
cette dette. La concupiscence est
cet ennemi dont parle l'Evangile ,
Matth., cap. 5 , ^'. 20, avec lequel
nous devons nous accorder pen-
dant que nous marchons avec lui,
de peur qu'il nous fasse payer jus-
qu'à la dernière obole. Conséquem-
ment ces hérétiques se livroient à
l'impudicité , établissoient la com-
munauté des femmes , blàmoient
les jeiines et les mortifications , ne
cherchoient que le plaisir, avoient
des mœurs très-licencieuses.
Us avoient de Jésus-Christ une
idée très-bizarre. Selon eux, l'àme
de Jésus-Christ , avant d'être in-
carnée, avoit été plus fidèle à Dieu
que les autres. C'est pour cela que
Dieu lui avoit conservé plus de con-
noissance qu'aux autres hommes ,
plus de force pour vaincre les gé-
nies ennemis de l'humanité, et
pour retourner au ciel nialgré
eux. Dieu, disoient-ils, accorde la
même grâce à ceux <[ui aiment Jé-
sus-Christ , et qui connoissent
comme lui la dignité de leur âme.
Les carpocratiens regardoient
donc Jésus-Christ comme un pur
homme , quoique plus parfait que
les autres, le croyoientfils de Jo-
seph et de Marie, avouoient ses
CAR
miracles et ses souffrances. On ne
les accuse point d'avoir nié. sa ré-
surrection, mais d'avoir nié la ré-
surrection générale, et d'avoir dit
que l'àme seule de Jésus -Christ
etoit remontée au ciel.
Conséquemraent ils prétendoient
que l'on pouvoit égaler Jésus -
Christ en connoissances , en vertus
et en miracles ; quelques - uns de
ces sectaires se flattoient même de
le surpasser; et, pour le persuader
aux ignorants , ils pratiquoient la
magie, absurdité très - commune
parmi les philosophes de ces
temps-là.
Tel est le tableau que saint Iré-
née a fait de ces hérétiques , li-
vre I,ch. aS ; personne ne pouvoit
les mieux connoître que lui, puis-
qu'il a vécu dans le même siècle ;
les autres Pères en ont parlé de
même.
Voilà une secte de prétendus
philosophes qui enseignoient une
doctrine très-opposée à celle, des
apôtres , qui n'étoient donc pas
subjugués par leur autorité, et qui
cependant convenoient des piin-
cipaux faits publiés par les apô-
tres, des vertus, des miracles, des
souffrances, de la résurrection de
Jésus-Christ ; selon saint Epiplia-
ne , les carpocraiiens et les cérin-
thiens admettoieut l'évangile de
saint Matthieu , Hœr. , 28 et 3o.
Comment les incrédules peuvent-
ils soutenir aujourd'hui que les
faits publiés par les apôtres, etl'his-
toire qui les rapporte , n'ont été
crus que par le peuple, par des
ignorants , par des imbéciles que
les apôtres avoient subjugués?
Mais les impudicités et les désor-
dres auxquels ces sectaires étoient
livrés, causoient au christianisme
le plus grand préjudice. Les païens
rtoient incapables de discerner les
vrais chrétiens d'avec les faux; ils
allribuoient à tous en général la
Eerversité des mœurs de quelques
érétiques , cl les prestiges de ces
CAS U^-j
derniers décréditoicnlles vrais mi-
racles opérés par les apôtres et par
leurs disciples. Les Pères de l'EglLsc
nous font remarquer cet inconvé-
nient. Saint Epiphane , Hœres,
34, etc. Celse s'en prévaloit contre
les chrétiens; il parle d'une secte
des carpocraticns qu'Origène fait
profession de ne pas connoître.
Contra. Cels. , liv. 5, n.° 62. Il
est probable qu'il vouloit parler
des carpocraiiens.
Mosheim, Hist. christ., sœc. a,
§ 9 , a parlé des carpocraiiens sur
le même ton que des autres héré-
tiques du second siècle; il ne peut
se persuader que Carpocrale ait
enseigné toutes les absurdités et
les infamies que les Pères de l'Eglise
lui ont attribuées; il soupçonne ou
qu'on l'a mal entendu , ou que l'on
a supprimé les correctifs par les-
quel.s il adoucissoit peut-être ce
que sa doctrine présentoit d'abord
de plus révoltant, etc. Par cette
méthode, il n'est point d'insensé ,
d'imposteur , de blasphémateur,
que l'on ne puisse excuser. Il est fâ-
cheux que cette charité de Mosheim
envers les hérétiques dégénère eji
malignité à l'égard des Pères de
l'Eglise; on diroit qu'il ne cherche
à excuser les premiers que pour
donner plus mauvaise opinion des
seconds : cette affectation est trop
marquée, pour ne pas êtreaperçue
par tous les lecteurs non prévenus;
par conséquent elle ne peut plus
faire impression sur aucun esprit
sensé. Le Clerc a été plus circon-
spect.
CAS DE CONSCIENCE , ques-
tion de morale relative aux devoirs
de l'homme et du chrétien , qui
consiste à savoir si telle action est
permise ou défendue , ou à quoi
peut être obligé un homme dans
telles circonstances. C'estaux théo-
logiens casu/s/cs qu'appartient cette
décision ; c'est à eux d'en juger se-
lon les lumières de la raison , les
438 CAS
lois de la société , les canons de
l'Eglise et les maximes de l'Evan-
gile : quatre grandes autorités qui
ne peuvent jamais être en contra-
diction, mais dont la dernière doit
l'emporter sur les autres ; parce
qu'il est beaucoup plus aisé devoir
si l'Evangile a prescrit ou défendu
telle action , que de )*iger si elle est
conforme ou contraire à la droite
raison et au bien de la société.
Pour savoir si une décision des
casuistes est vraie ou fausse, il faut
bien examiner les termes dans les-
quels la question leur a été propo-
sée : parce qu'une circonstance
omise ou changée dans l'exposition
du cas, doit souvent changer ab-
solument la décision : et il en est
de même à l'égard des consulta-
tions des avocats et des canonistes.
II seroit assez inutiled'examiner
lequel des deux porte le plus de
préjudice à la société, celui qui at-
taque les dogmes et les preuves de
la religion , ou celui qui , par des
principes trop relâchés, travaille
à corrompre la morale; l'un et
l'autre de ces abus sont pernicieux:
tous deux doivent être réprimés.
Déjà les censeurs les plus sévères
des casuistes conviennent que dans
la foule de ceux qui ont été con-
vaincus de relâchement dans les
principes, il en est à peine un seul
que l'on puisse accuser de relâche-
ment dans la conduite; que tous
semblentn'avoir été indulgents que
pour les autres ; que leurs mœurs
personnelles n'avoient rien de com-
mun avec leurs maximes. Est -il
bien sûr , au contraire, que les ca-
suistes les plus rigides suivent exac-
tement dans leur conduite la sévé-
rité de leurs décisions ? Les pre-
niiers peuvent être excusés par la
droiture de leurs intentions : ils
raisonnoient mal , mais sans aucun
intérêt; ils craignoient de rendre
la morale odieuse aux âmes foi-
bles: ils avoient tort, sans doute;
mais ils ne voyoient pas les suites
CAS
funestes de leurs décisions , et ils
n'avoient aucun dessein de s'y
conformer eux-mêmes
Peut-on en dire autant des in-
crédules qui attaquent la religion
par leurs écrits ? Peuvent-ils avoir
un dessein louable ? Ils n'ont reçu
d'aucune puissance la commission
d'inspirer des doutes aux croyants,
ni de troubler leur repos. Le ton
impérieux de leurs écrits , la témé-
rité de leurs assertions , la mali-
gnité de leurs reproches, l'infidélité
de leurs citations, ne sont pas des
moyens fort honnêtes de persuader
et de gagner la confiance. Les ca-
suistes ont écrit dans une langue
qui n'est pas celle du vulgaire ; il»
étoient moralement sîirs que leurs
ouvrages ne seroient consultés que
par des théologiens , que leurs gros
volumes demeureroient renfermés
dans les bibliothèques. Au con-
traire , nos incrédules modernes
écrivent pour le public et pour les
femmes, répandent des brochures ,
font tous leurs efforts pour que le
poison pénètre jusque dans les der-
niers états de la société.
Plusieurs d'entr'eux conviennent
que la corruption des mœurs s'en-
suit infailliblement de l'irréligion,
que Bourdaloue et d'autres l'onl
démontré ; et nous n'en sommes
que trop convaincus par l'expé-
rience. Est-il aussi certain que les
décisions des casuistes relâchés du
dernier siècle ont beaucoup inilué
sur la dépravation de nos mœurs?
Nous n'a vons point d'autres garants
de ce fait que des clameurs départi.
Ceux qui ont crié le plus haut, ont
peut-être contribué plus que per-
sonne , par l'absurdité de leurs
systèmes , à faire éclore l'irréligion .'
Cas de coNsasKcE. Voyez Jan-
sénisme.
CASSIEN, abbé du monastère
de Saint-Victor de Marseille, mort
peu après l'an 433 , a été célèbre
au commencement du cinquième
CAS
siècle, par ses vertus et par ses
écrits. Ou a de lui un livre de Vln-
carnation , contre Nestorius , les
Institutions de la vie monastique en
douze livres, un de Conférences
s/iirituelles. Dans le treizième, Cas-
sirn a paru enseigner Terreur des
semi-pelagiens; c'est pour le rélu-
1er que saint Prosper écrivit son
ouvrage intitulé Contra Collato-
rem. ISIais du temps de Cassien
l'Eglise n'avoit pas encore pronon-
cé sur ce point; il ne fut décidé
qu'au concile d'Orange en 829 ;
conséquemment la méprise de Cas-
sien n'a pas empêché que sa mé-
moire ne filt en vénération. Les
protestants le traitent d'ignorant
et de superstitieux , parce qu'il
introduisit dans les Gaules la ma-
nière de vivre des solitaires et des
moines de la Thébaïde ; mais la
f)révention des protestants contre
a vie monastique les rend très-
mauvais juges du mérite de ceux
qui Tout pratiquée. Voyez Moine,
CASUEL, àro'ilscasuels. On ap-
Eelle ainsi les honoraires ou rétri-
utions accordées aux curés , vi-
caires ou desservants des paroisses
pour les fonctions de leur minis-
tère, pour les baptêmes, mariages,
sépultures , etc.
Souvent on a cherché à rendre
ces droits odieux, parce qu'on en
ignoroit l'origine. Dans les pre-
miers siècles de l'Eglise, ses minis-
tres subsistoient des oblations vo-
lontaires des fidèles; ainsi, à pro-
prement parler, tout étoit casuel.
Les différentes révolutions causées
par les persécutions, par les hcré-
Bies , par les inondations des Bar-
bares , firent sentir que la subsis-
tance des ecclésiastiques seroit
moins précaire, si on leur assignoit
des fonds. Cclanecoùtoit rien dans
des temps où il y avoit une grande
quantité de terres incultes par le
défaut de propriétaires. Telle est l'o-
rigine derinstitution des bénéfices.
CAS 439
Sous Charlemagne , on accorda
ou l'on fit rendre aux pasteurs la
dîme, par le même motif. A la dé-
cadence de la race carlovingienne,
l'Eglise fut dépouillée par les sei-
gneurs, ils s'emparèrent des fonds
et des dîmes ; le clergé fut à peu
prés anéanti. Les peuples furent
obligés d'avoir recours aux moi-
nes pour recevoir les secours spi-
rituels , ou de faire subsister
des prêtres par des rétributions
manuel les;ainsi le casue/ s'est établi.
Si les pasteurs étoient les maître»
de choisir, ils préféreroient sans
hésiter une subsistance assurée sur
des fonds et sur les dîmes , à la
triste nécessité de recevoir des ho-
noraires pour leurs fonctions. Dans
plusieurs diocèses, il y a des pa-
roisses qui se sont trouvées suffi-
samment dotées par des fonds et
par la dîme ; le casuel y a été re-
tranché. Au contraire, les supé-
rieui's ecclésiastiques et les tribu-
naux séculiers se sont trouvés dans
la nécessité dérégler un c«sueZplus
fortdans Icsparoissesquin'avoient
ni des fonds ni des dîmes , et d'é-
tablir les portions congrues.
Plusieurs jurisconsultes, et mê-
me des auteursccclésiastiques, ont
dit que les prêtres recevoient ces
honoraires à titre à'aunwne , ils
nous paroissent s'être trompés.
Une aumône n'est due que par cha-
rité, elle n'engagea rien celui qui
la reçoit ; l'honoraire est àù par
justice, et il impose au ministre
des autels une nouvelle obligation
de remplir exactement ses fonc-
tions. 11 est de droit naturel de
fournir la subsistance à tout hom-
me qui est occupé pour nous, quel
que soit le genre de son occupa-
tion. De même qu'il est juste d'ac-
corder la solde à un militaire ,
l'honoraire à un magistrat , à un
médecin , à un avocat , il l'est de
faire subsister un ecclésiastique oc-
cupé du saint ministère; l'honorai-
re qui lui est assigné n'est pas plus
Uo CAS
une aumône que celui des hommes
utiles dont nous venons de parier.
Ce que reçoivent les uns et les
autres n'est pas non plus le prix
de leur travail; les divers services
qu'ils rendent ne sont point esti-
mables à prix d'argent, et ils ne
sont pas payés par proportion à
l'importance de leurs fonctions :
la diversité de leurs talents et du
mérite personnel de chaque parti-
culier n'en met aucune dans l'ho-
ïioraire qui leur est attribué.
Vainement, pour les avilir, l'on
affecte de se servir d'expressions
indécentes ; l'on dit qu'un ecclé-
siastique vend les choses saintes ,
qu'un militaire vend sa vie, un ma-
gistrat la justice, un médecin la san-
té, un professeur les sciences, etc.
La malignité des censeurs n'a pas
le pouvoir de rendre injuste et mé-
prisable ce qui est conforme dans
le fond à l'équité naturelle et à la
raison.
Lorsque Jésus-Christ a ordonné
à ses disciples de donner gratuite-
mient ce qu'ils avoient reçu par
pure grâce, il a eu soin d'ajouter
que tout ouvrier est digne de sa
nourriture. Ma//., c. io,>^.8et lo.
Si nous répétons plus d'une fois
ces principes , c'est qu'ils ont été
méconnus par des écrivains qui se
croyoient fort instruits , et qui
cependant ne l'étoient pas assez ,
qui ont censuré la discipline ac-
tuelle de l'Eglise sans raisons suf-
fisantes.
En 1757, lia paru une disserta-
tion sur l'honoraire des messes ,
dans laquelle l'auteur condamne
toute rétribution manuelle don-
née à un prêtre pour remplir une
fonction sainte, les droits curiaux-
et casuels , les fondations pour des
messes ou pour d'autres prières
à perpétuité , etc. Il regarde tout
cela comme une espèce de simonie
et comme une profanation.
Cette doctrine est certainement
fausse. On ne peut pas nier qu'il
CAS
ne se soit glissé souvent des abus
et des indécences dans cet usage ;
l'auteur de la dissertation les fait
très-bien sentir; il les déplore et
les réprouve avec raison : mais il
falloit imiter la sagesse des conci-
les , des souverains pontifes et des
éveques, qui, en condamnant les
abus et en les proscrivant , ont
laissé subsister un usage légitime
en lui-même.
Encore une fois , il faut distin-
guer entre un paiement, un hono-
raire et une aumône. Le paiement
ou le prix d'une chose est censé
être la compensation de sa valeur;
ainsi l'on achète une denrée , une
marchandise , un service merce-
naire , et l'on en paie le prix à
proportion de sa valeur. Uhono-
raire est une espèce de solde ou de
subsistance accordée à une person-
ne qui est occupée pour le public
ou pour nous en particulier, quelle
que soit d'ailleurs la valeur de son
occupation. On donne la solde ou
l'honoraire à un militaire , à un
magistrat, à un jurisconsulte, à un
médecin, à un professeur de scien-
ces , à un homme en charge quel-
conque, sans prétendre payer ou
compenser la valeur de leurs ser-
vices ou de leurs talents, ni met-
tre une proportion entre l'un
et l'autre. Qu'ils soient plus ou
moins habiles , plus ou moins
zélés ou appliqués, l'honoraire est
le même. Uaumône est due à un
pauvre par charité , l'honoraire est
du à titre de justice. Celui qui re-
fuse l'aumône à un pauvre , pèche
sans doute; mais il n'est pas tenu
à restitution : celui qui refuseroit
l'honoraire à un homme qui .1
rempli pour lui ses fonctions, se-
roit condamné à le lui restituer.
Que l'honoraire soitfixeou acci-
dentel , payé par le public ou par
les particuliers, accordé à titre d'
gage annuel ou de pension , qu'il
soit casuel, attaché à chaque fonc-
tion que l'on remplit ou à chaque
CAS
aervice (lue l'on rend, cela est égal;
il ne change pas de nature; le litre
de justice est toujours le même.
Il n'est donc pas vrai qu'un prê-
tre ou un clerc ne puisse rien re-
cevoir légitimement des fidèles , si
ce n'est à titre d'aumône. Dé^qu'il
prie, qu'il célèbre, qu'il remplit
une fonction sainte pour une per-
sonne ou pour plusieurs , et qu'il
est occupé pour elles, il a droit à
une subsistance , à une solde, à un
honoraire. Jésus -Christ l'a ainsi
décidé eu parlant de ses apôtres :
Vouvrier est digne de sa nourriture ,
Matth. y chap. lo, "^ . lo. Saint
Paul a parlé de même, J. Cor.,
c. 9 , y . 7 , etc. : « Qui porte les
♦> armes à ses dépens!'... Si nous
» vous distribuons les choses spi-
» rituelles , est-ce une grande ré-
» compense de recevoir de vous
» quelque rétribution temporelle?
» Ceux qui servent à l'autel ont
♦) leur part de l'autel ; ainsi le Sei-
» gneur a réglé que ceux qui an-
» noncent l'Evangile vivent de l'E-
» vangile. »
Que ces choses spirituelles soient
des instructions , des sacrifices ,
des (Sacrements , des prières , l'as-
sistance des malades , etc., le titre
à un honoraire est le même.
On sait que dans l'origine les
ministres des autels reçurent des
oÉFrandes en denrées ou en argent;
dans la suite, pour rendre leur
subsistance plus assurée et moins
précaire, on institua pour eux des
bénéfices ecclésiastiques , sembla-
bles aux bénéfices militaires. Ceux
d'entre les jurisconsultes qui ont
soutenu que les revenus des béné-
fices sont une pure aumône , au-
roient dii le décider de même à
l'égard des anciens militaires. Lors-
que le clergé a été ruiné par les
grands dans des temps d'anarchie,
il a fallu en revenir aux rétribu-
tions manuelles. C'a été un mal-
heur, sans doute; mais il ne faut
l'attribuer ni à l'Eglise, ni à ses
CA.S 44.
ministres, qui en ont été les pre-
mières victimes,
Eri général, défions -nous des
réformateurs trop hardis ; jamais
ils n'ont été en aussi grand nombre
qu'aujourd'hui. Qu'ils disent, s'ils
le veulent, qu'il seroit mieux que,
suivant l'ancienne discipline, au-
cun prêtre ne fiit ordonné- sans
cire pourvu d'un bénéfice, et sans
être attaché à une église pour
quelque fonction ; qu'il seroit
mieux que les fidèles eussent plus
de confiance à la communion des
saints et aux prières générales de
l'Eglise, et moins de vanité, moins
d'ambition d'obtenir des prêtres
des prières particulières pour eux
seuls. Il seroit mieux, en effet, que
les prêtres eux-mêmes préférassent
la qualité de ministres de VEglise
ou de la société commune des fi-
dèles , à celle de serviteur, domes-
tique d'un grand seigneur. II seroit
fort à souhaiter que les grands
fussent moins orgueilleux et moins
esclaves de leur mollesse , qu'ils
assistassent aux exercices publics
du culte divin, plutôt que d'exiger
pour eux un culte domestique et
des ministres qui sont à leurs
ordres. Mais, lors même que l'on
ne peut pas obtenir le mieux , il
ne faut pas condamner ce qui n'est
pas mauvais absolument et à tous
égards. Si l'Eglise entreprenoit la
réforme des abus qu'on lui re-
proche , toutes les puissances sé-
culières , tous les particuliers
intéressés à les conserver, s'y op-
poseroient de toutes leurs forces.
Il est très -permis de montrer
ces abus, d'en désirer la correc-
tion , de proposer les moyens de
les retrancher; mais il ne faut ja-
mais argumenter sur des principes
faux , ni attribuer le mal à ceux
qui n'en sont pas les auteurs. C'est
le moyen de décréditer un ouvrage
qui pourroit être utile d'ailleurs ,
de manquer le but auquel on
aspire , de fournir des armes aux
442 CAS
hérétiques et aux incrédules. N'a-
vons-nous pas vu ces derniers re-
procher à saint Paul les maximes
justes et sages que nous avons ci-
tées ci-dessus ? Us n'ont pas rougi
d'écrire que les ministres de l'E-
glise ont hérité des apôtres mêmes
l'esprit mercenaire et ambitieux
dont ils ont toujours été animés.
Voyez BÉNÉFICE, Simonie.
CASUISTE, théologien qui a fait
une étude particulière de la mo-
rale, des lois divines et humaines,
des devoirs de l'homme et du
chrétien , afin de se mettre en état
de lever les doutes que les fidèles
peuvent avoir sur leur conduite ,
de leur faire sentir la grièveté de
leurs fautes , de leur prescrire ce
qu'ils doivent faire pour les répa-
rer. Puisque la morale fait partie
essentielle de la théologie, il doit
nous être permis de donner quel-
ques réflexions sur ce sujet.
La fonction de casuiste est cer-
tainement une des plus difficiles
par l'étendue des lumières qu'elle
suppose , une des plus importantes
par la nature de son objet, une
des plus dangereuses à cause des
conséquences que peut entraîner
une fausse décision. Dans ce genre,
le rigorisme outré ne produit pas
des effets moins funestes que le
relâchement excessif. Un casuiste
fait la fonction de juge; il ne lui
est pas plus permis d'exagérer que
de diminuer les obligations que
Dieu nous impose. S'il lui arrivoit
d'exiger de celui qui le consulte
une restitution qui n'est pas due,
il ne pècheroit pas moins griève-
ment que s'il l'en dispensoit mal-
à-propos.
Lorsque les casuistes ont man-
qué de justesse d'esprit , ou se sont
laissé entraîner par le torrent de
ceux qui les avoient procédés, ils
ont eu tort, sans doute; mais on
ne peut guère les accuser d'avoir
péché volontairement. Où est
CAS
l'homme assez insensé pour vouloir
risquer son propre salutsans aucun
intérêt, en se rendant responsable
des péchés d'autrui r*
De nos jours les philosophes ont
élevé un cri général pour soutenir
que. la loi naturelle est évidente
par elle-même , que la raison nous
en découvre infailliblement tous
les devoirs. Cependant l'on a fait
un assez grand nombre de livres
pour savoir si le mensonge offi-
cieux est permis ou défendu par la
loi naturelle, si l'intérêt de l'ar-
gent perçu en vertu du simple prêt
est légitime ou usuraire. Où est
donc cette évidence prétendue , et
la botissole qu'un casuiste doit
suivre pour se décider sur ces
questions?
On ne doit cependant pas blâmer
l'exactitude et même la sévérité
des pasteurs de l'Eglise à réprimer,
lorsqu'il est nécessaire, la témérité
des casuistes; un de leurs princi-
paux devoirs est de veillera la con-
servation du dépôt de la foi et de
la morale.
Mais faut-il approuver de même
la chaleur avec laquelle Pascal et
d'autres ont poursuivi, vers le mi-
lieu du siècle dernier , la morale
relâchée de quelques casuistes obs-
curs ? Ils dévoient prévoir que les
principes de ces auteurs, recueillis
en un corps , et exposés en langue
vulgaire , ne manqueroient pas
d'enhardir les passions toujours
disposées à s'appuyer de l'autorité
la plus fragile. Le scandale que la
délation de ces maximes occasionna
dans l'Eglise , fut peut-être un plus
grand mal que celui qu'auroient
jamais fait des volumes poudreux
relégués dans les ténèbres de quel-
ques bibliothèques monastiques.
En effet, qui connoissoit Villa-
lobos, Connink, Llamas , Acho-
sier, Dealkoser, Squilanti , Bizo-
zéri , Iriharne , de Grassalis , de
Pitigianis,Strevesdorf et tant d'au-
tres ? Leurs principes étoient - ils
i
CAÏ
dangereux pour les ignorants el
les femme», ijui n'entendent pas la
langue dans laquelle ces auteurs
ont écrit, pour les gens du monde
qui ont oublié, le latin , et qui n'ont
pas le temps de lire, ou pour des
théologiens éclairés et décidés sur
ces matières Pu n'est pas nécessaire
d'être grand casuiste pour juger
lequel des deux est le plus coupa-
ble , celui à qui il échappe une
proposition absurde qui passeroit
dans conséquence, ou celui qui la
remarque et lui donne de l'impor-
tance.
Vainement les écrivains d'un au-
tre genre , les prédicateurs de l'ir-
réligion, voudroient-ils s'autoriser
de ces réflexions pour innocenter
leurs propres égarements , pour
rendre odieux les théologiens qui
les font remarquer et les réfutent.
Leurs erreurs, qu'ils publient eux-
mêmes , sont d'une tout autre
conséquence que celles des ca-
suistes ; on ne peut excuser les
premiers par aucun motif louable ;
les ouvrages des incrédules ont
fait plus de mal en dix ans que
tous le* casuistes de l'univers n'en
ont fait dans un siècle. Voyez Cas
DE CONSCIENCE.
CATABAPTISTES. Ou s'est
quelquefois servi de ce nom pour
désigner en général tous les héré-
tiques qui ont nié la nécessité du
baptême, surtout pour les enfants.
Il est formé dexa-rà, qui en com-
positionsignifie quelquefois contre,
et de PaTtToj, laver, baptiser; il si-
gnifie opposé au baptême, ennemi
du baptême.
Ceux qui ont soutenu cette er-
reur, sont tous partis à peu prés
du même principe ; ils ne croyoienl
pas le péché originel , et ils n'at-
tribuoient an baptême aucune
autre vertu que d'exciter la foi.
Selon eux, sans la foi actuelle du
baptisé le sacrement ne peut pro-
à^irt aucun efifet; les enfants qui
CAT
443
sont incapables de croire le re-
çoivent tres-inutilement. C'est l'o-
pinion des sociniens. D'autres ont
posé pour maxime générale que la
grâce ne peut pas être produite
dans une âme par un signe exté-
rieur qui n'afTccte que le corps,
que Dieu n'a pas pu faire dépendre
le salut d'un pareil moyen. Cette
doctrine, qui attaque l'eificacité
de tous les sacrements , est une
conséquence naturelle de la pré-
cédente.
Quoique Pelage niât le péché
originel , il ne contestoit pas la
nécessité ou du moins l'utilité du
baptême , pour donner à un enfant
la grâce d'adoption ; dans un en-
fant , disoit-il , la grâce trouve une
adoption à faire , mais l'eau ne
trouve rien à laver : Habei graiia
quod adoptet , non habet iinda quod
abluat. La notion seule de baptême,
qui emporte celle de purification ,
suffit pour réfuter Pelage; jamais
cet hérétique n'a expliqué nette-
ment en quoi il faisoit consister
la grâce d'adoption.
CATACOMBE, dugrecxarà,
dans, et xufASoç creux, désigne une
cave souterraine pratiquée pour
servir à la sépulture des morts.
Les catacombes se nommoient aussi
cryptœ , cavernes , et cœmeieria,
dortoirs.
Selon quelques auteurs , ce nom
ne s'est donné autrefois à Rome
qu'aux tombeaux de saint Pierre
et de saint Paul , ou à une cha-
pelle de saint Sébastien , dans la-
quelle, suivant l'ancien calendrier
romain , a été mis le corps de saint
Pierre, l'an 258, sous le consulat
de Tuscus et de Bassus.
Aujourd'hui l'on appelle en
Italie catacombes de vastes amas
de sépulcres souterrains qui sont
dans les environs de Rome, prin-
cipalement à trois milles de cette
ville , près de la voie Appienne.
On croit <jue ce sont les tombeaux
U4
CAT
des martyrs; on va les visiter par
dévotion , et l'on en lire des re-
liques qui sont envoyées dans les
divers pays catholiques, après que
lepapeles a reconnues sous le nom
de quelque saint.
Ces catacombes sont de la lar-
geur de deux ou trois pieds , et
ordinairement de la hauteur de
huit à dix pieds , en forme de ga-
leries qui se communiquent les
unes aux autres, et s'étendent sou-
vent jusqu'à une lieue de Rome.
Il n'y a ni maçonnerie ni voiite ,
la terre se soutient d'elle - même.
Les deux côtés de ces rues , qui en
sont comme les murailles , ser-
voient , de haut en bas , à mettre
les corps des morts. On les y pla-
çoit en long , à trois ou quatre
rangs les uns sur les autres, et pa-
rallèlement à la rue ; on les en-
fermoit avec des tuiles fort larges
et fort épaisses, quelquefois avec
des monceaux de mai-bre , cimentés
d'une manière que l'on auroit peine
à imiter aujourd'hui. Le nom du
mort se trouve quelquefois , mais
rarement, sur les tuiles ; on voit
aussi quelquefois une branche de
palmier , symbole du martyre ,
avec ce chiffre , peint ou gravé
XP, que l'on interprète ^oro Christo.
Pour rendre suspectes les re-
liques tirées des catacombes , plu-
sieurs protestants ont soutenu que
ces caveaux étoient destinés à la
sépulture des païens; que quoique
les Romains fussent dans l'usage
de brûler leurs morts, ils enter-
roient cependant les esclaves pour
é-viter la dépense. Les Romains de-
venus chrétiens, disent-ils, voyant
la vénération que l'on avoit pour
les reliques, et voulant en avoir à
leur disposition , entrèrent dans
les catacombes , mirent à côté des
tombeaux les chiffres ou les in-
scriptions qu'il leur plut , et les
fermèrent pour les rouvrir dans la
suite quand ils en trouveroient
l'occasion favorable. Cette super-
CAT
chérie fut ensuite oubliée, jusqu'à
ce que le hasard fît ouvrir les ca-
tacombes.
Avant d'accuser les Romains
chrétiens d'un crime aussi grave,
il faudroit avoir des preuves : non-
seulement les protestants n'en ont
point, mais leurs conjectures sont
absurdes. Tous les habitants d'une
ville ont-ils pu convenir ensemble
de commettre une fourberie et une
impiété , pour procurer à leurs
descendants la satisfaction de dis-
tribuer de fausses reliques, sans y
avoir aucun intérêt, et sans qu'il
se soit trouvé personne qui ait eu
assez de probité pour réclamer
contre cette supercherie ? On ne
commet pas des crimes pour le seul
plaisir de les commettre.
Il est prouvé , au contraire ,
i.° que l'usage des Romains païens
n'étoit point d'enterrer dans des
catacombes les criminels, les es-
claves , le bas peuple , mais de les
jeter dans de grandes fosses nom-
mées puiiculi, et d'y en brûler un
grand nombre à la fois ; au lieu
qu'on brûloit en particulier le
corps des personnes considérables,
et qu'on renfermoit leurs cendres
dans des urnes. Les Romains , qui
laissoient mourir de faim dans une
île du Tibre leurs esclaves vieux ou
malades, se sont-ils donné la peine
de leur accorder une sépulture
honorable dans les catacombes?
2.° Les chrétiens évitoient avec
soin d'enterrer leurs morts dans
le même lieu que les païens , nous
le voyons par l'histoire que le
martyr Lucien a faite de la décou-»
verte des reliques de saint Etienne.
Saint Cyprien fait un crime à Mar-
tial , évêque espagnol , d'avoir fait
enterrer des enfants dans des tom-
beaux profanes , et de les avoir
mêlés avec des étrangers. Nous
sommes donc certains qu'il n'y a
eu aucun païen enterré dans un
cimetière destiné à la sépulture
des chrétiens.
CAT
3." Il pst incoiileslable que lo3
catacombes ont servi aux assem-
blées chrétiennes dans les temps
de persécution , et par la même
raison à la sépulture des martyrs,
que l'on éloit obligé d'enterrer avec
le plus grand secret. L'usage con-
stant a été de célébrer les saints
mystères sur les reliques des mar-
tyrs, et les fidèles, par dévotion,
désiroient d'être inhumés à côté
de ces précieux dépôts. L'histoire
ecclésiastique et les actes dos mar-
tyrs font mention des défenses
faites aux chrétiens par les persé-
cuteurs de tenir leurs assemblées
dans les cimetières. Ils n'auroient
pas voulu les tenir parmi les tom-
beaux des païens.
4.° Prudence, saint Paulin , et
d'autres , attestent que les cata-
combes de Rome renfermoient les
corps de plusieurs milliers de mar-
tyrs ; ce fait est encore attesté par
des inscriptions , dont l'une fait
mention de cinq cent cinquante
martyrs enterrés ensemble , une
autre de cent cinquante. Saint Jé-
rôme dit que dans sa jeunesse il
avoit coutume de visiter les cata-
combes le dimanche , in Ezech. ,
c. 4°. Ces saints lieux n'ont donc
jamais été oubliés ni perdus de
vue , et l'on savoit au quatrième
siècle qu'ils renfermoient des mar-
tyrs et non des païens
5.° Un grand nombre de ces
tombeaux de martyrs sont recon-
noissablcs par des inscriptions et
par d'autres symboles , par le mo-
nogramme de Jésus-Christ XP, par
la figure du bon pasteur, par des
palmes , par les fioles ou gobelets
de sang mis avec leurs corps, etc.
6. "L'on ne peut assigner le temps
auquel on suppose que les catacom-
bes ont été malicieusement fermées
par les Romains, pour donner lieu
à une erreur dans la suite. Pendant
les persécutions, les chrétiens s'en
sont servis pour leurs assemblées
et pour les sépultures \ lorsoue la
CAT 445
paix a été rendue à l'Eglise, elles
ont été visitées par dévotion. Si
on les a fermées lorsque les bar-
bares ont saccagé Rome, ce n'a pas
été par fourberie, mais pour pré-
venir les profanations. Lorsr[ue la
tranquillité a été rétablie, on n'a-
voitpas oublié ce que les auteurs
ecclésiastiques en avoieiit dit au
quatrième siècle.
Les conjectures des prolestants,
deBurnet,deMisson,deSpanheim,
deBasnage, etc. sont donc fausses
à tous égards.
De ces observations l'on peut
conclure , avec toute la certitude
possible, que les os tirés des ca/a-
combes , sont des reliques, ou des
martyrs , lorsque cela est ainsi at-
testé, ou des premiers fidèles. Quoi-
que ceux-ci n'aient pas tous été des
saints, quand on connoît les mœurs
de l'Eglise primitive, et la dispo-
sition dans laquelle étoient les pre-
miers chrétiens de mourir pour
leur foi, on ne peut pas disconve-
nir que leurs reliques ne soient
dignes de vénération.
Si quelques lecteurs catholiques
se sont laissé séduire par les soup-
çons, et par les conjectures mali-
gnes des protestants sur ce sujet,
c'est qu'ils n'ont pas examiné la
question d'aussi près que l'ont fait
les critiques et les antiquaires de
Rome. On peut voir dans les Vies
des Pères , des Martyrs , etc. ,
tome IX , pag. 68S et suiv. , les
preuves détaillées des faits que noua
avons allégués.
Les catacombes de îïaples peu-
ventêtreuu objet de curiosité pour
les voyageurs , mais elles ne four-
nissent aucune nouvelle réllexion
à faire sur les reliques que l'on tire
de celles de Rome.
CATAPHRYGES ou CA-
TAPHRYGIENS. Voye^ Mon-
TANISTES.
CATARACTE. Vo/ei Délcgb-
446 CAT
CATÉCHÈSE, du grec )caO>,V.»=<.
instruction ; catéchisme a la même
étyraologie et le même sens. C'est
l'instruction que l'on donnoit à
ceux qui vouloient embrasser le
christianisme et recevoir le bap-
tême : le catéchiste est celui qui étoit
charge de cette fonction.
Dans les premiers siècles, l'usage
n'étoit point de mettre par écrit
les dogmes et les pi-a tiques du chris-
tianisme , il auroit été à craindre
que ces écrits ne vinssent à tomber
entre les mains des païens qui en
auroient abusé et les auroient tour-
nés en ridicule , parce qu'ils n'y
auroient rien compris. Mais on
n'eut jamais l'imprudence de don-
ner le baptême aux juifs ni aux
païens, sans leuravoir enseigné au-
paravant les dogmes qu'il falloit
croire, et la morale qu'il falloit
pratiquer.
Ainsi l'avoit ordonné Jésus-
Christ ; il dit à ses apôtres d'en-
seigner toutes les nations, et de les
baptiser ensuite , Matth., c. 28 ,
"^ . 19. Il en avoit donné l'exemple ,
les apôtres l'ont suivi ; les Pères de
l'Eglise , les évêques , les pasteurs ,
ont rempli ce devoir dans tous les
siècles, avec plus ou moins d'exac-
titude et de succès. Dans tous les
temps les conciles ont exhorté les
ecclésiastiques à le remplir, et leur
en ont fait un devoir rigoureux :1e
concile de Trente en a renouvelé
les lois , sess. 24 , de Reform. , c. 7.
Mais il n'est prouvé par aucun
ancien monument , que l'instruc-
tion des néophytes ait consisté à
leur faire lire l'Ecriture sainte ,
comme Mosheim et d'autres pro-
testants l'imaginent, selon le pré-
jugé de leur secte. Les incrédules ,
au contraire, accusent les premiers
chrétiens d'avoir caché leurs livres
avec le plus grand soin ; autre
prévention qui n'est pas mieux
fondée
C'est donc une injustice de la
part des incrédules , de vouloir
CAT
persuader que le christianisme s'cs\
établi dans les ténèbres , par sé-
duction et par artifice , que le»
premiers fidèles ont cru sans preu-
ves et sans motifs , ont reçu le
baptême sans savoir à quoi ils s'en-
gageoient.La rigueur des épreuves
auxquelles on les soumettoit , n'é-
toit certainement pas un piège
tendu pour les séduire. Aucune re-
ligion n'a imposé à ses ministrej
une obligation aussi étroite d'in-
struire les ignorants , et ils n'ont
néglige ce devoir dans aucun
temps. Leurs anciens ennemis ,
Celse et d'autres , leur ont repro-
ché la passion du prosélytisme ,
ceux d'aujourd'hui leur en font
encore un crime , ils n'en rougi-
ront jamais. Vojfez Ecoles Chré-
tiennes.
CATÉCHISME , c'est non-seu-
lement l'instruction que l'on donne
aux enfants ou aux adultes pour
leur apprendre la croyance et la
morale du christianisme, mais en-
core le livre qui renferme cette
instruction. Comme les évêques
ont été établis par Jésus-Christ
pour enseigner les fidèles , c'est à
eux de dresser et de donner à leurs
diocésains le livre que nous appe-
lons catéchisme. Celui qui a été fait
par ordre du concile de Trente,
a été le modèle sur lequel on a
formé la plupart de ceux dont on
se sert aujourd'hui dans l'Eglise
catholique. L'uniformité de la doc-
trine enseignée dans tous ces livre*
élémentaires, est une preuve irré-
cusable de l'unité de foi qui règne
dans toute cette Eglise. Si quel-
quefois des évêques ont essayé d'y
émettre des opinions qui n'appar-
tiennent point à la foi catholique ,
ordinairement cette témérité a été
mal accueillie ; ils ont trouvé , de
la part de leur clergé et de leurs
ouailles , une résistance à laquelle
ils ne s'attendoient pas. Preuve
qu'ils ne sont pas les maîtres de
CAT
changer, quand ils voudroiciit, la
foi de leur troupeau.
Dans la plupart des catéchismes
faits par les protestants, ils ont eu
soin d'y mettre des accusations
contre l'Eglise romaine, afin d'in-
spirer aux enfants des le berceau,
des préventions et de la haine con-
tre le catholicisme. Plus modérés
qu'eux , nous n'apprenons point
aux enfants à détester ceux <iui sont
dans l'erreur ; nous voudrions
pouvoir leur laisser ignorer qu'il
y a des hérétiques au monde.
De tous les livres, le plus difficile
à faire est peut-être un bon caté-
chisme; c'tsl un abrégé de théolo-
gie ; plus un homme est instruit ,
mieux il sent cette difficulté.
CATÉCHISTE , ecclésiastique
chargé d'enseigner aux catéchu-
mènes les premiers éléments de la
religion , et de les disposer à rece-
voir le baptême et les autres sacre-
ments.
Comme il est rare aujourd'hui
débaptiser les adultes, la fonction
de catéchiste se. borne à instruire les
enfants des vérités de la religion ,
à les disposer ainsi à recevoir les
sacrements de confirmation, de pé-
nitence et à faire leur première
communion.
Si cette fonction est communé-
ment confiée à de jeunes ecclésias-
tiques , ce n'est pas qu'elle soit
très-aisée à bien remplir ; elle exige
une netteté d'esprit, une prudence
et une patience singulières : mais
c'est que les moyens d'instruction
sont si multipliés parmi nous ,
que l'un peut toujours suppléer à
l'autre.
CATÉCHUMÉNAT; CATÉ-
CHUMÈNE. Un catéchumène est
une personne qui désire de recevoir
le baptême, et qui se fait instruire
dans ce dessein. Dans l'Eglise primi-
tive, cela se faisoit avec beaucoup
de précaution et avec cérémonie.
CAT 447
u Celui qui étoit jugé capable de
» devenir chrétien , dit M. Fleury,
» étoit fait catécliumène par l'im-
» position des mains. L'évcque ou
» le prêtre le manjuoit au front du
» signe de la croix, en priant Diea
» qu'il profitât des instructions
» qu'il alloit recevoir, et qu'il se
» rendîtdigne de parvenir au saint
» baptême. Il assistoit aux sermons
» publics , auxquels les infidèles
» même étoient admis. Le temps
» du catéchuménat étoit ordinai-
» rement de deux ans, mais on le
» prolongeoit ou on l'abrégeoit
» suivant les progrès et les dispo-
» sitions du catéchumène. On ne
•> regardoit pas seulement s'il ap-
» prenoit la doctrine , mais s'il
» corrigeoit ses mœurs , et on le
» laissoit en cet état , jusqu'à ce
» qu'il fiit entièrement converti. »
Mœurs des Chrét. , tit. 2.
Les catéchumènes étoient distin-
gués des fidèles, non-seulement par
le no'.n qu'ils portoient , mais par
la place qu'ils occupoient dans
l'église. Ils étoient avec les péni-
tents , sous le portique ou dans la
galerie intérieure de la basilique.
On ne leur permettoit point d'as-
sister à la célébration des saints
mystères , mais immédiatement
après l'évangile et l'instruction ,
le diacre leur crioit à haute voix:
Ite, catechumeni, missa est ; retirez-
vous , catéchumènes , on vous or-
donne de sortir. Cette partie même
de la messe s'appeloit la messe desca-
téchurnènes-W paroît, par un canon
du concile d'Orange, qu'on ne leur
permettoit pas de faire la prière
avec les fidèles ; on leur donnoit
du pain bénit , nommé par cette
raison le pain des catéchumènes ,
comme un symbole de la commu-
nion à laquelle ils pourroient un
jour être admis.
Il y avoit plusieurs ordres ou
degrés de catéchumènes ; mais le
nombre et la distinction de ces or-
dres n'ont pas été constants ni les
^8 CÀT
mêmes par tout. Les auteurs grecs
en distinguent deux classes , l'une
de catéchumènes imparfaits, l'autre
de parfaits ou capables d'être ad-
mis au baptême ; ils nomment les
premiers écoutants, audientes, les
seconds, agenouillés, g'c/2jy/Zec/e/?/es;
ils disent que ces derniers assis-
toient aux prières et lléchissoient
les genoux avec les fidèles , mais
que les premiers ne restoient dans
l'église que pour assister à la lec-
ture de l'évangile et au sermon.
Le cardinal Bona en distingue
quatre degrés , les écoutants , les
agenouillés , les compétents et les
élus, audientes, genujiectenies, com-
pétentes, clecti. M. Fleury n'en con-
noît que deux , les auditeurs et les
compétents ; d'autres les réduisent
à trois; preuve que cette discipline
n'étoit pas conforme.
On recevoit les catéchumènes par
l'inciposition des mains et par le
signe de la croix ; dans plusieurs
églises on y joignoit les exorcis-
mes, les cérémonies de souffler sur
le visage , d'appliquer de la salive
aux oreilles et aux narines, de faire
une onction sur la poitrine et sur
les épaules, de mettre du sel dans
la bouche. Ces cérémonies dont le
sens est expliqué dans nos caté-
chismes, sont encore observées au-
jourd'hui dans l'administration du
baptême, même pour les enfants;
autrefois elles le précédoient de
quelques jours , lorsqu'on ne bap-
tisoit qu'aux fêtes solennelles.
Selon Terlullien, on donnoit aussi
du lait et du miel aux catéchumènes
avant de les baptiser , symbole de
leur renaissance en Jésus-Christ ,
et de leur enfance dans la foi ; c'est
dans ce sens que saint Augustin a
nommé sacrement ou mystère cette
cérémonie ', on la nommoit aussi
le scrutin. Voyez ce mot.
On a fait ohserver le catéchumé-
nat dans les Eglises de l'Orient et
de l'Occident , aussi long-temps
qu'il y a eu des infidèles à conver-
CAT
tir, par conséquent dans rOccideul
jusqu'au huitième siècle. Dans la
suite on n'a plus observé cette dis-
cipline aussi exactement à l'égard
des adultes qui demandoient le
baptême , parce que l'on n'avoil
plus les mêmes dangers à craindre
que dans les siècles précédents.
Mais il n'est pas inutile d'en con-
server la mémoire ; il en résulte
non-seulement que l'on a toujours
eu grand soin d'instruire ceux qui
vouloient embrasser le christianis-
me, mais qucl'on a toujours craint
qu'après avoir été baptisés , ils ne
déshonorassent par une vie païen-
ne , la sainteté de notre religion.
C'est une preuve de plus pour
réfuter les incrédules anciens ou
modernes, qui ont osé dire que les
premiers fidèles étoient un amas
d'ignorants ou d'hommes flétri»
par de mauvaises mœurs.
Le caiéchuménai ctoit donc une
épreuve et une précaution que l'on
avoit jugée nécessaire pour ne
point admettre , dans la société
chrétienne, de sujets mal instruits,
vicieux , mal affermis , capables
d'abandonner leur foi et de la re-
nier au moindre péril ; peut-être de
calomnier l'Eglise auprès des per-
sécuteurs.
La durée de cette épreuve ne fut
pas la même dans tous les temps ni
dans tous les lieux ; le concile d'El-
vire , en Espagne , tenu vers l'an
3oo , décida qu'elle dureroit deux
ans ; Justinien ordonna la même
chose pour les juifs qui voudroient
se convertir. Le concile d'Agde ,
l'an 5o6, n'exige pour eux que huit
mois d'instruction. Les constitu-
tions apostoliques, plus anciennes
que ce concile, avoient demandé
trois ans de préparation avant de re-
cevoir le baptême, liv. 8 , c. Sa.
Quelques-uns ont cru que le temps
du carême suffisoit. Dans des cir-
constances pressantes on abrégeoit
encore ce terme. Socrate , parlant
de la conversion des Bourguignons,
CAT
dit qu'un éve<(iic Jos Gaules se.
conleula de les instruire pendant
sept jours. Si un caiéchumcne se
trouvoit subitement en danger de
mort, on le baptisoit sur-le-champ.
En ftc'néral , on laissoit à la pru-
dence des éveques de prolonger ou
d'abréger le temps de l'instruction
et des épreuves, selon le besoin et
les dispositions qu'ils voyoient
dans les catéchumènes. Bingham ,
Orig. Eccïés. t. 4 ) 1- lo , c. 1 , § 5 ;
Morin, dePœnit. Laubépine, Obser-
vations sur les anciens rites de VE-
glise; Fleury; Mœurs des chrétiens et
hist. ecclés .; Ane. Sacrant ., 2.^ part,
t. 3 , p. 2. etc.
CATHARES, du grec xaOapo?,
pur ; nom que se sont attribué plu-
sieurs sectes d'hérétiques , surtout
les apotactiques ou renonçants, qui
étoient une branche des cncralites.
Quelques montanistes se pai'èrent
ensuite du nom de cathares, pour
témoigner qu'ils n'avoient point de
part au crime de ceux qui nioienl
la foi dans les tourments; qu'au
contraire ils refusoient de les rece-
voir à pénitence : sévérité injuste
et outrée. Pour la justifier , ils
nioié'nt que l'Eglise eût le pouvoir
de remettre les péchés; ilsportoient
des robes blanches, pour montrer,
disoient- ils , par leur habit , la
pureté de leur conscience. Nova
tien , prévenu de la même erreur que
les montanistes, donna aussi le me
me nom à sa secte, et quelques an
ciens ne la nomment pas autrement
Par ironie, l'on a nommé ca/Aares
différentes sectes d'hérétiques qui
firent du bruit dans le douzième
siècle ; les albigeois, les vaudois ,
les patarins , les cotereaux et au-
tres , descendants des henriciens ,
de Marsille, de Tendème , etc. Ils
furent condamnés dans le troisième
concile de Latran , tenu l'an 1 1 79 ,
sous Alexandre III. Les puritains
d'Angleterre se sont enfin décorés
du même titre.
CAT 449
C'est ord inairemcnt sous un mas-
que de réforme et de vertu , que
les Viérésiarques ont séduit les sini -
pies , et se sont fait des partisans ;
mais une affectation c.e régularité ,
qui a pour base l'esprit de révolte
et l'opiniâtreté, n'est pas ordinai-
rement de longue durée ; souvent
ce n'est qu'un voile pour cacher de
véritables désordres: les novateurs,
devenus les maîtres, ne sont plus
les mêmes que lorsqu'ils étoient en
core foibles. Tant d'exemples de
cette hypocrisie,' qui se sont re
nouvelés depuis la naissance de
l'Eglise , auroient du détromper les
peuples; mais ils sont toujours prêt s
à se laisser prendre au même piège.
CATHARISTES ou purifica-
teurs , secte de manichéens , sur
laquelle les autres rejetoient les ot-
duresetles impiétés quisecommet-
toientdansla prétendue consécra-
tion de leur eucharistie. Saint
Augustin , ifccr. 46. ; Saint Léon ,
Episi. 8.
CATHÉDRALE , église épisco-
pale d'un diocèse ; ce nom a été tiré
du mol cathedra, siège d'un éveque.
Dès l'origine de l'Eglise , pendant
la célébration des saints mystères,
l'évêque présidoit au presbytère ou
à l'assemblée des prêtres ; il étoit
assis sur une espèce de trône ou de
siège plus élevé que les leurs ; c'est
ainsi que saint Jean , dans l'Apo-
calypse , représente une assemblée
chrétienne , c. 4- J^- 2. De là est
venu l'usage de désigner la dignité
d'un éveque par le nom de chaire
ou de siège , cathedra ; de célébrer
même les fêtes de la chaire de saint
Pierre à Antioche et à Rome ; d'ap-
peler église cathédrale, l'église ou
l'assemblée principale à laquelle
l'évêque préside.
Mais ce nom employé pour dé-
signer un édifice ou un temple,
dans lequel un éveque célèbre ordi
nairemcnt, n'est pas fort ancien ;
39
45o CAT
il n'a été usité en ce sens que dans
l'Occident, et depuis le dixième
siècle. Quoique les chrétiens aient
eu la liberté de bâtir quelques lieux
d'assemblée dès la fin du troisième,
sous le règne de Dioclétien , il pa-
roît que l'on commença seulement
à bâtir de grandes églises sous
Constantin , lorsqu'il eut permis
le libre exercice du christianisme;
et dans tout l'Orient ces églises ,
dans lesquelles l'évêque célébroit ,
étoient appelées la grande église ,
V église épiscopale , V église de la ville,
ou simplement l'eg-Zise; et l'onnom-
moit basilique , les églises particu-
lières érigées à l'honneur des mar-
tyrs ou d'autres saints.
Plusieurs auteurs espagnols, qui
ont écrit sur l'antiquité de leurs
églises cathédrales , ont prétendu
qu'il y en a eu qui datoient du
temps des apôtres ; mais cette pré-
tention n'est fondée sur aucune
preuve solide.
CATHOLIQXJE ; ce terme déri-
vé du grec xaQôXov, paHout , si-
gnifie universel. L'Eglise est nom-
mée catholique , non - seulement
pour marquer qu'elle est répandue
par toute la terre , chez toutes les
nations , mais pour exprimer la
profession qu'elle fait de croire et
d'enseigner partout la même doc-
trine , de prendre pour règle de sa
foi V universalité de croyance, qui
est suivie dans toutes les sociétés
particulières dont elle est compo-
sée. Tel est le caractère qui distin-
gue la véritable Eglise de Jésus-
Christ , d'avec les sectes qui se sont
séparées d'elle.
C'est l'idée qu'en donnoit saint
Irénée dès la fin du second siècle
« L'Eglise, dit-il, quoique disper-
» sée par tout le inonde , conserve
i> avec le plus grand soin la foi et
» la doctrine qu'elle a reçues des
» apôtresetde leurs disciples. Sem-
■») blable à une seule famille qui n'a
» qu'un cœur, qu'une âme , qu'une
CAT
»• mèmç voix, elle croit, enseigne
» etpreche partout de même, d'un
» consentement unanime. Malgré
» la distance des lieux et la diver-
» site des langues, la tradition est
» uniforme partout , etc. » Adv.
Hœr. , liv. i, c. lo, n.o» i et 2.
Saint Augustin n'a fait que copier
celte notion , en écrivant contre
les donatisles, liv. de Unit. Ecoles.
n.° 56 ; Tract. 3, in Epist. Joan.
Tertullien et saint Cyprien s'en
étoient servis avant lui pour réfu-
ter les hérétiques. Tel est aussi le
sens que M. Bossuet donne au mot
catholique ; Première Inst. past. sur
les promesses de V Eglise , n.° 29.
Quelques auteurs ont prétendit
que Théodose le Grand étoit le
premier auteur de cette dénomina-
tion , qu'il y avoit donné lieu en
ordonnant, parun édit, que le titre
de catholique fût attribué par pré-
férence aux Eglises qui suivoient les
décisions du concile de Nicée. Vos-
sius pensé que ce mot n'a été mis
dans le symbole qu'au troisième
siècle. Mais ces deux opinions sont
insoutenables. Dans la lettre des fi-
dèles de Smyrne, touchant le mar-
tyre de saint Polycarpe, qui est de
l'an 169, il est parlé de l'Eglise
catholique ; dans Eusèbe , liv. 4 ^
c. i5. Valois, dans ses notes sur
VHist. ecclés. d'Eusèbe , liv. 8 ,
observe que le nom de catholique
a été donné à l'Eglise dès le temps
le plus voisin des apôtres, pour la
distinguer des sociétés hérétiques
qui s'étoient séparées d'elle. En ef-
fet , saint Ignace , plus ancien que
saint Polycarpe, a dit, dans sa let-
tre aux fidèles de Smyrne , n." 8 :
« Où est Jésus-Christ , là se trouve
» l'Eglise catholique. » Au commen-
cement du second siècle , Celse
nommoit déjà l'Eglise ca/Ao//'yufi la
grande Eglise, pour la distinguer
des sectes hérétiques. Orig., contra
Celse, 1. 5, n.° 69. Saint Cyrille et
saint Augustin observent que les
hérétiques mêmes elles schismati-
CAr
i|ncs donnoienl ce nom à la véri-
table Ef^lisc dont ils s'cloienl sépa-
rés, cl les orthodoxes la désignoicnt
l)ar le nom àe. catholique tout seul ,
rat/iolim.
En effet, aucune secte hérétique
n'a jamais voulu s'astreindreà pro-
fesser la doctrine catholique ou uni-
verselle, la doctrine uniformément
enseignée par toutes les sociétés
particulières qui composent la
grande Eglise. Loin de se soumet-
tre à celte condition commune
comme à une règle de foi , elles ont
toujours fait un crime de cette mé-
thode à l'Eglise romaine; hérésie et
catholicité sont deux termes contra-
dictoires : le premier désigne une
doctrine dont on a fait un choix
particulier ; le second , une doc-
trine professée partout. Bossuet ,
première Instruction pastorale sur
les promesses de V Eglise , n.»» aS, 29.
Ainsi, lorsque nous disons dans
le symbole : Je crois la sainte Eglise
catholique, nous entendons: Je crois
que la véritable Eglise de Jésus-
Christ est celle qui fait profession
d'enseigner la doctrine universelle-
ment reçue depuis les apôtres dans
toutes ses sociétés particulières qui
foi-ment cette grande société. Ce
caractère n'est pas difficile à discer-
ner ; l'Eglise romaine est ia seule
qui se l'attribue ; toutes les sectes
d'hérétiques , loin d'y prétendre ,
ie lui reprochent comme une er-
reur. Dans l'article Catholicisme ,
nous prouverons que ce caractère
est essentiel à la religion de Jésus-
Christ , et Bossuet l'a démontré.
Jbid.
Nous ne savons pas ce que peut
entendre un protestant , lorsqu'il
dit , en récitant le symbole des apô-
tres : Je crois la sainte Eglise ca-
tholique, ni en quel sens il peut
attribuer ce titre à la société par-
ticulière dont il est membre. Celte
société n'est ni la plus étendue de
toutes les communions chrétien-
nes , ni la plus ancienne 5 elle n'a
CAT 4.11
aucune relation ni avec l'Eglise
grecque schismatiqup , ni avec au-
cune des autres Eglises orientales:
toutes ces sociétés s'accordent avec
l'Eglise ca/^o/Z^MC à condamner les
protestants.
M. Bossuet observe très -bien
que quand on dit : Je crois la sainte
Eglise catholique, cela ne signifie
pas seulement ,ye c/'ois qu'elle existe,
mais je crois ce qu^elle croit ; autre-
ment cène seroit plus croire qu'elle
est , puisque le fond , et pour ainsi
dire la substance de son être, est
la foi qu'elle déclare à tout l'uni-
vers. Esprit de Z<eibnitz , tom. 2,
pag. ICI.
On nous fait cependant une ob-
jection. Au quatrième siècle, lors-
que les ariens se prévaloient de
leur grand nombre , les Pères leur
ont répondu que la multitude des
errants ne prouve rien. Au cinquiè-
me , les catholiques reprochèrent
aux nestoriens leur petit nombre ,
et ces hérétiques, à leur tour,
répétèrent la réponse que l'on
avoil donnée aux ariens. Il en fut
de même des eutychiens. Ces sectes
sont-elles devenues plus catholiques
en devenant plus étendues ?
Réponse, l!i on ^ sans doute ; mais,
i.° il est faux que les ariens aient ja-
mais été en plus grand nombre que
les catholiques. 2.°I1 n'y a jamais eu
entre eux aucune unité, puisqu'ils
n'ont jamais pu convenir d'une
même profession de foi. 3.° Ils
n'ont jamais voulu prendre pour
règle le consentement universel et
l'uniformité de croyance. En quel
sens pouvoient-ils s'attribuer la
catholicité ? Nous convenons que
l'étendue d'une secte et la multi-
tude de ses partisans , considérée
absolument , ne prouve rien , puis-
qu'elle a toujours commencé par
un petit nombre; mais puisqu'en--
fin Jésus - Christ a promis à son
Eglise de lui réunir toutes les na-
tions, il est absurde de vouloir
que le schisme d'une partie de scv
2^52 CAT
membres l'emporte sur le corps
entier.
Les patriarches ou primats d'O-
rient ont pris le ixlrtAe catholiques;
on disoit le catholique d'Arménie ,
pour désigner le primat ou le prin-
cipal évêque d'Arménie , titi-e à
peu près semblable à celui à^œcu-
w^/îi^tfcqu'avoient pris les patriar-
ches de Constantinople. 11 paroîl
cependant que le titre de catholique
étoit moindre que celui àç. patriar-
che ; les nestoriens , obligés de se
réfugier dans la Perse, nommèrent
leur principal évêque catholique ;
ils n'osèrent pas l'appeler /^a/n'ar-
che, quoique Nestorius l'eût été de
Constantinople. Ce nouveau titre
ne fut institué que sous Juslinien
au sixième siècle. Voy. Renaudot ,
JJissert. sur le patriarche d'Alexan-
drie, n.°4«
CATHOLICITÉ , universalité ,
extension à tous les lieux , à tous les
temps , à toutes les personnes. La
catholicité d'une doctrine consiste
en ce qu'elle a été la même depuis
lesapôtres jusqu'à nous, dans tou-
tes les sociétés chrétiennes qu'ils
ont fondées , dans tous les siècles,
dans le corps des pasteurs comme
dans celui des fidèles. La ca/Ao//c/7e
de l'Eglise est la profession qu'elle
fait de regarder cette uniformité
générale et constante comme un
signe infaillible de vérité. La ca/Ao-
licité d'un fidèle est sa soumission
à cette méthode d'enseignement.
(N.^ XV, p. XXXI.)
Si par Ja catholicité de l'Eglise
on entendoit seulement son étendue
dans toutes les parties du monde ,
il seroit impossible à un fidèle igno-
rant de savoir certainement qu'il
est membre de l'Eglise catholique.
Il peut très-bien ignorer si elle est
plus étendue qu'aucune des autres
sectes ; mais il ne peut pas ignorer
que l'Eglise , dont il est membre ,
Ini propose pour règle de foi l'uni-
formité de doctrine entre toutes les
CAT
sociétés particulières dont elle est
composée ; uniformité attestée par
l'union et la soumission à un seul
chef, qui est le vicaire de Jésus-
Christ. C'est ce qu'un catholique
fait profession de croire em-écitant
le symbole. Pour être convaincu de
la ca//io//a!Vde l'Eglise, il lui suffit de
l'être de sa catholicité personnelle.
L'étendue de l'Eg^lise n'a pas exis-
té d'abord , et n'a pas toujours été
la même ; la catfiolicité , dans le
sens que nous expliquons , est
aussi ancienne qu'elle, et n'a ja-
mais varié.
Aujourd'hui quelques protes-
tants ne font pas difficulté de dire
qu'ils sont catholiques, c'est-à-dire,
membres de l'Eglise universelle ,
composée de tous ceux qui croient
en Jésus-Christ ; mais c'est un abus
grossier du terme. Comment peut-
on appeler Eglise l'amas de plu-
sieurs sectes, qui n'ont entre elles
aucune union, qui se regardent les
unes comme hérétiques, les autres
comme idolâtres, qui se disent mu-
tuellement anatheme i* Pour être
catholique, il faut prendre pour
règle de foi le consentement una-
nime de toutes les sociétés chré-
tiennes qui reconnoisscnt un seul
chef". Nous avons prouvé ailleurs
qu'un des caractères essentiels à la
véritable Eglise est V unité dans
la foi , dans le culte , dans la
soumission à un chef. Voyez Egli-
se , § i et 2. Or, ce caractère se
trouve dans l'Eglise romaine seule :
elle est donc la seule catholique.
CATHOLICISME, système dans
lequel on soutient que la catholi-
cité de la doctrine est la règle de
foi à laquelle tout homme qui croit
en Jésus - Christ doit se confor-
mer. Comme toutes les sectes qui
ont paru depuis les apôtres se sont
élevées contre ce système, nous ne
pouvons nous dispenser de prouver
que c'est le seul vrai , le seul que
puisse suivre un homme qui se pi-
CAT
que de savoir raisonnor. Bossucl
et nos autres cimtrovcrsistes l'ont
«lémontré contre les protestants :
voici à peu près le sommaire de
leurs réilexions.
i.° Dans la reiifçion primitive ,
la règle de foi étoit la tradition do-
mestique ; les patriarches n'en
avoient point d'autre. Sous la loi
de Moïse, la règle de foi étoit la
tradition nationale ; Dieu l'avoit
ainsi ordonné. DeuL, c. 17, y. 10;
c. 32 , y. 7. Donc sous l'Evangile ,
destiné à êXve prêché à ioute créa-
ture , et jusqiià la cnnsormnaiion
des siècles, la règle de foi est la tra-
dition générale. Cette uniformité
du plan de la Providence en dé-
montre la sagesse; il est absurde
de penser que Dieu en ait cîiangé.
Sous la première époque de la l'é-
vélation , tous ceux qui ont perdu
de vue la tradition des leçons don-
nées à Adam, sont tombés dans le
polythéisme. Sous la seconde, tou-
tes les fols que les Juifs se sont
écartés des préceptes de leur reli-
gion nationale, ils se sont précipi-
tés dans l'idolâtrie et dans les su-
perstitions de leurs voisins. Sous
la troisième, quiconque refuse de
consuJter la tradition universelle,
sç livre au délire d'une fausse phi-
losophie. 11 y en a autant d'exem-
ples qu'il y a eu d'erreurs depuis
les apôtres jusqu'à nous.
2." L'unité est essentielle à l'E-
glise de Jésus-Christ; il a dit lui-
même de ses ouailles : « J'en ferai
un même troupeau sous un seul
pasteur. » Joan. , c. 1 1 , y . 6. Se-
lon saint Paul, les fidèles sont un
seul corps, qui a un seul Seigneur ,
une seule foi , un seul baptême.
JLphes., c. 4 5^-4 ^^ 5* Quicon-
que se sépare de cette unité n'ap-
partient donc plus au troupeau de
Jésus-Christ. Or cette xinité ne peut
se conserver qu'autant que les di-
verses sociétés qui composent l'E-
glise se servent mutuellement de
témoins, deg.irants et de survcil-
CAT 4i;3
lants; demanièrc que si l'une venoit
à s'égarer, toutes lesautres pussent
la redresser. L'unité ne peut se
trouver dans l'erreur , chacun se
trompe à sa manière ; l'unité est
donc un signe infaillible de vérité.
3.° De savoir si Jésus-Christ a
révélé telle doctrine, ou xine doc-
trine contraire, c'est un fait. Or,
pour constater un fait quelconque
on ne se borne point à consulter
l'histoire, l'on interroge la tradi-
tion oraleet lesmonuments. La tra-
dition est du plus grand poids, lors-
que les témoins sont en très-grand
nombre ; que tous ont intérêt
a être informés du fait et à le pu-
blier tel qu'il est ; que ce ne sont
point de simples particuliers, mais
des sociétés entières. Récuser la
certitude morale ainsi portée au
plus haut point de notoriété, c'est
vouloir évidemment se tromper.
4.° Depuis la naissance de l'E-
glise, on s'est servi de celte règle
pour juger si une doctrine étoit
vraie ou fausse, orthodoxe ou hé-
rétique. Les conciles ont été as-
semblés pour que les évêques des
difTérentes parties du monde pus-
sent y rendre témoignage de ce qui
étoit cru, enseigné et professé dans
leurs Eglises. Lorsque tous , ou le
très - grand nombre, ont atteste
que telle étoit la croyance qu'ils
avoient trouvée établie, on n'a pas
hésité de juger que c'étoit la doc-
trine de Jésus-Christ, et que l'o-
pinion contraire étoit hérétique.
Est-il croyable que dès l'origine
l'Eglise se soit trompée sur la règle
qu'elle devoitsuivre pour enseigner
les fidèles sans aucun danger d'er-
reur? II faudroit que Jésus-Christ
l'eût abandonnée au moment mê-
me qu'il veijoit de la former.
5.° Ou il faut suivrecette règle,
ou il faut s'en tenir à l'Ecriture
seule, comme le veulent les pro-
testants ; il n'y a pas de milieu.
Mais quand il s'agit de fixer le vrai
sens di' l'Ecriture, et de savoir com-
454
CAT
ment l'on doit l'entendre, c'est une
absurdité de nous renvoyer à l'E-
criture. D'un côté. , une poignée de
docteurs soutiennent que ces paro-
lesdeJésus-Christ,cecje5/7no/îcor^s,
doivent être prises dans le sens fi-
guré; de l'autre, toutes les Eglises de
l'univers attestent qu'elles les ont
toujours entendues dans le sens
littéral. Faut- il préférer à cette
croyance générale et constante l'o-
pini on particul iére d'un petit nom-
bre de novateurs ?
6.'' Toutes les sectes qui ont abju-
ré \t catholicisme n'ont plus trouvé
entr'elles aucun centre de réunion,
elles sont successivement tom-
bées d'une erreur dans une autre.
V. à l'article Erreur, l'enchaîne-
ment de celles des protestants. Ils
sont divisés en luthériens, calvinis-
tes, arminiens, gomaristes, angli-
cans , quakers , hernhutes , frères
moraves, piétistes, sociniens, coc-
céiens,etc. Le désordre auroil en-
core été plus grand , et les ruptures
plus fréquentes , si la rivalité en-
tre ces sectes et l'Eglise catholique
ne leur avoit pas souvent servi de
Irein ; elles ne sont unies que par
la haine qui les anime contre elle.
Après avoir secoué le joug de la
tradition universelle, elles ont été
forcées de s'en tenir à leur tradi-
tion particulière, aux décisions de
leurs synodes , à des confessions
de foi , aux ordonnances des ma-
gistrats , même d'employer les cen-
sures et les peines pour maintenir
dans leur sein une unité du moins
extérieure.
Depuis plus de dix-sept cents ans
l'Eglise catholique n'a varié ni dans
ses dogmes, ni dans sa règle de foi,
cela seroit impossible. Comment
les différentes Eglises qui la com-
posent, dont les unes sont très-
eloignées des autres , qui se croient
toutes obligées de conserver la doc-
trine reçue de Jésus-Christ par les
apôtres , qui ne peuvent avoir au-
cun intérêt ni aucun motif de la
CAU
changer, pourroient-elles former
une conspiration générale, un des-
sein uniforme de l'altérer.'' Un mê-
me esprit de vertige ne peut pas
les saisir toutes à la fois ; l'une
d'entre elles ne peu t pas s'écarter de
la tradition , sans que les autres
s'en aperçoivent. Toutes les fois
qu'un ou plusieurs particuliers ,
éveques ou autres, ont voulu in-
nover, le scandale a éclaté d'abord,
et ils ont été condamnés. Le ca-
Iholicisnne est donc un principe
infaillible d'unité, de perpétuité,
d'immutabilité dans la doctrine.
Voyez Eglise.
CAUCAUBARDITES , branche
d'eutychiens qui , au sixième siè-
cle , suivirent le parti de Sévère
d'Antioche et des acéphales. Ils
rejetoient le concile de Chalcédoi-
ne , et soutenoient , comme Euty-
chès , qu'il n'y a qu'une seule na-
ture en Jésus -Christ. Le nom de
caucaubardiles leur fut donné d'un
lieu dans lequel ils tinrent leurs
premières assemblées. Nicéphore^
1. i8, c. 49 ■• Baronius, ann. 335.
Quelques-uns les ont nommés co/i-
lobabdiies , et d'autres condabau-
dites. Voyez Eutychiens.
CAUSE. Les théologiens , aussi-
bien que les philosophes, sont
forcés de distinguer plusieurs es-
pèces de causes. Non - seulement
nous connoissons une cause pre-
mière, qui est Dieu, mais des caw- a
ses secondes, qui sont les créatures. ^
Parmi celles-ci une cause peut être
matérielle ou formelle, efficiente,
ou occasionnelle, finale ou instru-
mentale , physique ou morale, to-
tale ou partielle , prochaine ou
éloienée, etc. Le détail de toutes
ces notions appartient a la méta-
physique , et il peut fournir la
matière à un traité fort étendu.
Les athées nous disent grave-
ment qu'il n'est pas nécessaire que
l'univers ait une cause première,
CAU
qu'il esta lui-mt-me sa cause, qu'il
a toujours existe et sera toujours,
que tout ce qui arrive est un effet
nécessaire des combinaisons et du
mouvement de la matière.
Selon cette sublime philosophie,
tout est nécessaire dans l'univers
et tout change , tout s'y fait de
toute éternité et tout se succède ;
les combinaisons de la matière
sont nécessaires en général , et au-
cune n'est nécessaire en particu-
lier; puisqu'il dépend souvent de
nous de les changer à notre gré.
Quand nous n'aurions pas pour
nous le sentiment intérieur et in-
vincible de cettevérité, l'absurdité
et les contradictions du langage des
athées suffiroient pour nous con-
vaincre de la nécessité et de l'exis-
tence d'une cause première , intel-
ligente et libre , qui a fait le monde
tel qu'il est, et qui auroit pu le
faire autrement si elle l'avoit vou-
lu. Voyez Dieu.
Ce même sentiment intérieur ,
qui est le souverain degré de l'évi-
dence , nous convainc que nous
sommes véritablement actifs et non
purement passifs comme la ma-
tière, que nous sommes par con-
séquent la cause efficiente et pro-
prement dite de nos actions. Mais
comme la foi nous enseigne que
nous ne pouvons faire aucune ac-
tion méritoire pour le salut sans
Je secours de la grâce, c'est une
grande question de savoir si la
grâce divine est la cause physique
de nos actions méritoires, ou si
elle en est seulement la cause mo-
rale, dans le même sens que les
motifs qui nous déterminent sont
censés être cause de nos actions or-
dinaires.
Nous appelons cause physique,
un être quelconque à la présence
duquel arrive toujours tel événe-
ment qui n'arrive jamais dans son
absence; ainsi le feu est censé être
cause physique de la lumière, de la
chaleur, de la brûlure , parce que
SCS effets se font toujours sentir
plus ou moins, lorsque le feu est
pi-ésent, et non lorsqu'il est ab-
sent ; la coexistence constante de
ces phénomènes nous fait conclure
que l'un est la cause de l'autre,
qu'il y a une connexion nécessaire
entre l'un et l'autre ; nous n'avons
point d'autre signe pour en juger ;
nous ignorons la raison à priori
pour laquelle le feu produit la lu-
mière, la chaleur et la brûlure.
Mais cette causalité physique n'a
lieu qu'entre un corps et un autre
corps, elle ne peut nous donner
aucune idée de la manière dont la
grâce agit sur nous.
Une cause morale se connoît par
le signe contraire ; elle ne produit
pas toujours le même effet, et sou-
vent un même effet est produit par
des causes différentes. Ainsi un mê-
me motif peut nous faire faire plu-
sieurs actions qui ne se ressemblent
point , et une même action peut
être faite par plusieurs motifs di-
vers ; ceux-ci ne peuvent donc être
que cause morale de nos actions;
il n'y a entre celte cause et ses ef-
fets qu'une connexion contingente.
Cependant un homme qui suggère
des motifs à un autre, qui comi-
mande, qui conseille , qui excite a
faire une action , est aussi censé en
être la cause morale; elle lui estim-
putée aussi-bien qu'à celui qui l'a
faite.
En est-il de même de la grâce ?
A proprement parler, un motif qui
nous détermine à agir , ne nou.s
donne point de force nouvelle; la
force est censée être en nous indé-
pendamment du motif. Or, la grâce
nous donne une force que nous
n'avons pas naturellement. Il n'y a
donc pas nonplus une ressemblance
exacte entre la causalité morale et
celle de la grâce. Faut-il s'étonner
si la manière dont la grâce agit sur
nous est un mystère, dont nous ne
pouvons avoir aucune idée par ce
qui se passe d'ailleurs en nous , et
456
CAU
si les disputes louchanirefficacité
de la grâce sont interminables ?
Voyez Grâce , § IV.
II y a plus : souvent l'Ecriture
sainte semble nous donner pour
cause d'un événement ce qui n'en
acte que Voccasion ; cette équivo-
que fournit aux incrédules une
ample matière de reproches et de
déclamations. S'ils étoient moins
préoccupés , ils verroient que ce
défaut, si c'en est un, est commun
à tous les peuples et à toutes les
langues , il est très-fréquent dans
la nôtre.
Nous disons : Cet homme me
donne de l'humeur , il est cause de
ma damnation ; il n'en a peut-être
aucune envie, sa conduite est seu-
lement l'occasion et non la cause
des passions qui nous dominent.
On dit à un jeune homme que les
attraits d'une femme le rendent
fou , à un bienfaiteur qu'il fait des
ingrats , à un père que par sa ten-
dresse il gâte et perd ses enfants ,
à un maître qu'il rend son valet in-
solent ; etc. Est-ce leur intention ?
Non , sans doute, personne ne s'y
trompe: on conçoit que dans tou-
tes ces façons de parler l'occasion
est prise pour la cause; et il ne s'en-
suit rien. Pourquoi serions-nous
scandalisés de trouver le même
style dans l'Ecriture sainte.
Nous demandons à un homme
ingrat et brutal : « Faut-il me mal-
>» traiter pour avoir voulu vous
» rendre service f » Nous disons
d'un écolier qui a mal profité des
leçons qu'on lui a données : « Il est
» bien mal instruit , pour avoir étu-
» dié sous d'atissi habiles maîtres.»
Dans ces façons de parler , pour
n'exprime certainement pas la cau-
se, mais l'événement.
Jésus-Christ dit dans l'Evangile:
- Je ne suis pas venu apporter la
» paix , mais le glaive. » Maith. ,
c. lo , y. 34. Son intention n'étoit
pas de diviser les hommes , puis-
qu'il leur a constamment prêché
CAU
la douceur et la paix ; mais il pré>
voyoit que , par la malice et l'in-
crédulité de plusieurs , sa doctrine
seroitparmi eux une cai^e acciden-
telle , ou plutôt une occasion et un
sujet de division ; il avertissoit ses
apôtres des obstacles qu'ils auroienl
à vaincre pour l'établir. Dans la
même sens , il est dit de lui qu'il a
été établi pour la ruine et la résur-
rection de plusieurs dans Israël.
Luc, c. 2, y. 34. Que l'Evangile et
ses ministres sont pour les uns une
odeur mortelle qui les tue , et pour
les autres une odeur de vie qui les
ranime. I. Cor. , c. 2 , j)!^. 6. Ce ne
sont pas là deshébraïsmes , comme
plusieurs l'ont prétendu, mais des
gallicismes purs. Encore une fois ,
cesfaçons de parler sont communes
à toutes les langues.
Conséquemment, la conjonction
ut àt la version latine ne doit pas
toujours .se rendre en françois par
afin que, comme si elle exprimoit
l'intention de celui qui agit; mais
par de manière que, expression qui
désigne seulement ce qui s'est en-
suivi , même contre le gré de celui
qui agissoit. Dans VExode, c. 11 ,
yj'. 9 , Dieu semble dire à Moïse :
Pharaon ne vous écoutera pas, afn
quil se fasse des prodiges en Egyp-
te. Etoit-ce l'intention de Pharaon?
Il faut nécessairement traduire de
manière quil se fera , ou je ferai
des prodiges, etc. Jésus-Christ dit
aux Juifs : « Vous attesterez vous-
» mêmes que vous êtes /es enfants
» de ceux qui ont mis à mort les
» prophètes. » Maith. , c. 23 , ^.
3i. Les Juifs n'avoient aucune en-
vie de l'attester ; mais c'est une
conséquence qui s'ensuivoit de leur
conduite. Les apôtres leur disent:
« Puisque vous rejetez la parole de
» Dieu, et que vous vous jugez in-
» dignes de la vie éternelle, nous
» nous tournerons du côté des
» païens. » Act. , c. i3 , ^f. 46.
Les Juifs n'en jugeoicnt pas ainsi ;
mais leur indignité étoit une con-
CAU
eéqiie.nce de leur incrédulilc. Jé-
sus-Christ avoit ajouté : « Vous
» poursuivrez et mettrez à mort
n mes disciples, a/in de Taire tom-
» ber sur vous tout le sang des
» justes, etc. » Mailh., cap. 23,
"S ' 34 et 35 ; afin ne désigne point
ici l'intention , mais l'évérienient.
Nous taisons encore la même
équivoque en françois , lorsque
nous disons à un honime avec hu-
meur : C'étoit bien la peine d'aller
là pour faire nnç pareille sottise,
ou , ce n'ctoit pas la peine de tant
ti-availler pour réussir aussi mal.
Nous ne prétendons pas lui repro-
cher qu'il avoit cette intention.
Ainsi , lorsque saint Paul dit :
«< La loi est survenuey^our augmen-
» 1er le péché , » Rom., c. 5, ^ 20,
nous ne sommes pas tentés de con-
clure que c'étoit là l'intention de
rjicu ; nous pensons qu'il faut tra-
duire : La loi est survenue de ma-
nière que le péché s'est augmenté,
et c'est la remarque de saint Jean-
Chrysostôme.
A la vérité , saint Augustin a
donné à ce passage un sens plus
rigoureux ; il prétend que Dieu a
donné exprès la loi aux Juifs pour
augmenter le péché ; afin que, con-
vaincus de la nécessité de la grâce
par la multitude de leurs transgres-
sions , ils implorassent le secours
de Dieu. L. 3 , contra duas episi.
Pelag. , c, 4 j n. 7 , etc. Mais cette
explication ne paroît pas assez con-
forme au principe posé par saint
Paul , qu'il ne faut pas faire le mal
afin qu'il en arrive du bien , Rom. ,
c. 3 , y. 8 ; et à ce que dit l'Ecclé-
siastique , c. i5, y/. 21, que Dieu
n'a donné lieu à personne de pé-
cher. Le saint docteur a entendu ,
comme saint Jean-Chrysostome ,
le passage de saint Paul , touchant
la loi ancienne. L. i , ad Simplic. ,
q. a , n. 17 , et 1. 2 , contra adoers.
legisetprophet. , c. 11 , n. 36. L'au-
tre explication n'est donc pas in-
contestable.
CAU 457
De même lorsque l'Ecriture sem-
ble attribuer à Dieu l'aveuglement,
les erreurs, l'incrédulité, i'endur-
cissement «les pécheurs , nous ne
conclurons pas, comnte Calvin,
comme les manichéens , comme les
incrédules, que Dieu a donc mis
lui-même ces mauvaises disposi-
tions dans leur cœur, mais que sa
patience, ses bienfaits, ses menaces
ou ses châtiments , n'ont abouti
qu'à ce funeste efiet; qu'il l'a per-
mis , qu'il n'a point fait usage de sa
toute-puissance pour l'empêcher.
Dans ce sens il est écrit (jue Dieu
suscita un ennemi à Salomon, ITI.
Reg. , c. 1 1 , ^. 23; que Dieu avoit
commandé à Séniéi demaudire Da-
vid , JI. Reg. , c. 16 , ^. 10 ; qu'il
a envoyé un esprit de mensonge
dans la bouche des faux prophètes ,
///. Reg. , c. 22 , y/. 22 ; qu'il leur
a donné un esprit de vertige, Isa'i.,
c. ig , ^^ 14 ; qu'il les a séduits ,
c. 63 , ^. 17 ; Jcrcm. , c. 20, S • 7 ;
qu'il les a trompés, Ezech. , c. 14,
X'.g; qu'il a livré les philosophes
à un sens réprouvé , Rom , c. i ,
yi . 28 ; qu'il a envoyé un esprit
d'obstination , ibid. ,^ 8 ; qu'il a
tendu un piège d'eri-eur , J. Thess. ,
c. 2 , y. II ; qu'il aveugle les pé-
cheurs , les endurcit , les rend
sourds aux remontrances , Exod. ,
c. 4 ? 3^- 21 ; Rom., c. 9 , y. 17 ,
18, etc
Sans cesse l'Ecriture répète que
Dieu est saint, ennemi du crime,
qu'il ne le commande point , mais
qu'il le défend et le punit ; qu'il
déteste l'impiété, qu'il ne trompe,
ne séduit, ne tente personne; elle
dit que les pécheurs s'aveuglent et
s'endurcissent eux-mêmes : Dieu
n'y a point de part. Nous ne cite-
rons à ce propos qu'un seul passage.
« Ne dites pas : Dieu me manque'
» ne laites point ce qu'il défend.
» N'ajoutez pas : Cest lui qui nid
» égaré ; car il n'a pas besoin de.s
» impies Le Seigneur n'a tom-
» mantlé à personne de mal faire,
458
CAU
» il ne donne lieu rie pécher à au-
j» cun homme , il ne veut point
>» augmenter le nombre de ses en-
I* fants infidèles et pervers. » JEc-
cli. , c. i5 , y. II.
Cent eiipressions équivoques ne
peuvent obscurcir une vérité aussi
claire ; celles que nous avons citées
ne pouvoient pas plus tromper les
Juifs que nos discours ordinaires
ne trompent nos concitoyens. Si
les incrédules y trouvent un piège
d'erreur et un motif d'opiniâtreté,
c'est qu'ils le veulent; Dieu n'est pas
plus l'auteur de leur entêtement
que de l'endurcissement de tous
les pécheurs.
Dans Isàie , c. 4^ , 5^. 24 » Di<^u
dit aux Juifs : Vous m avez fait ser-
tira vos péchés. Les Juifs avoient-
ils donc le pouvoir de faire contri-
buer Dieu à leurs péchés ? Non ,
sans doute ; mais par leur obstina-
tion , les bienfaits de Dieu ne
servoient qu'à les rendre plus
méchants et plus ingrats.
Au contraire, ce qui est la vraie
cause d'un événement est quelque-
fois exprimé dans l'Ecriture sainte,
comme s'il n'y avoit pas contribué.
Dans Jerern., Thren. , c. 5 , ^. 16,
les Juifs disent : <( Malheur à nous,
» ei nous avons péché, c'est-à-
dire , car ou parce que nous avons
péché : la conjonction hébraïque
n'indique pas seulement la suite
accidentelle, mais TefFet du péché.
Saint Augustin, dira-t-on, s'est
servi de tous les passages objectés
par les incrédules, pour prouver
que Dieu est véritablement la cause
de la malice et de l'endurcissement
des pécheurs. Lorsque Julien lui
répoiîid. que les pécheurs ont été
abandonnés à eux-mêmes par la
patience divine , saint Augustin
soutient que , selon saint Paul , il
y a eu un acte de patience et un
acte de pu-'ssance ; et il le prouve
par CCS mêmes passages : Contra
Juî. , \ 5 , c. 3 , n ° i3 ; c. 4 ,
n."i5, etc.
CAU
Il n'est pas vrai que saint Au^ns-
tin ait soutenu cette doctrine ; il
s'est servi lui-même du passage de
l'Ecclésiastique que nous venons
de citer, pour réfuter ceux qui re-
jetoient sur Dieu la cause de leurs
péchés. X.. de grai. et lib. arà. ,
c. 2, n." 3. Il dit que Dieu endurcit,
non en donnant de la malice au pé-
cheur , mais en ne lui faisant pas
miséricorde. Epist. ig4 adSixtum,
c. 3, n. i4- Que s'il endurcit en ne
faisant pas miséricorde , ce n'est
pas qu'il donne à l'homme ce qui
le rend plus méchant , mais c'est
qu'il ne lui donne pas ce qui le
rendroit meilleur, adSimplic, 1. 1,
q. 2, n.° i5 , c'est-à-dire, une grâce
aussi forte qu'il la faudroit pour
vaincre son obstination. Tract. 53
in Joan. , n.° 6 et suiv. En cela
même consiste Xacte de puissance
que Dieu exerce pour lors : cette
puissance ne brille nulle part avec
plus d'éclat que dans la distribution
qu'elle fait des grâces comme il lui
plaît ; mais les pélagiens ne vou-
1 oient pas que le pécheur eût besoin
de grâce.
Le saint docteur dit que Pharaon
endurcit lui-même son propre
cœur , et que la patience de Dieu
en fut Y occasion. L. de grat. et lib,
arb. , n.°45 ; Serm. , 67 , n.° 8 ; in
PS. i4o, n.° 1 7. Il soutient que Dieu
ne nous aide jamais à pécher, d<;
pecc. nierit. et remiss., l. 2, n.° 5 ;
que quand nous disons à Dieu de
ne pas nous induire en tentation,
nous demandons de ne pas nous.y
laisser tomber en nous abandon-
nant. Epist. 157 , n.° 16 , Dedono
persev., n." 9 et 12, etc.
Origène , saint Basile , saint
Grégoire de Nazianze , saint Jean-
Chrysostôme , saint Jérôme , ont
expliqué de même les passages de
l'Ecriture qui regardent l'endur-
cissement , et qui semblent attri-
buer à Dieu la cause du péché. C'eat
donc très-mal à propos que Calvin,
Jansénius cl tant d'autres ont pré-
CAU
ieiidii avoir puise dans saint Au-
(;tistin les inij)iélés qu'ils onl sou'
tenues ; et c'est une injustice de la
part des incrédules, d'aifirmer cjue
saint Augustin a été dans les mêmes
Opinions que Janséiiius et Calvin.
Voyez Grâce, § III.
Causes finales. La question des
causes finales semble regarder de
plus près les philosophes que les
théologiens ; mais l'Ecriture sainte,
dans l'histoire de la création, attri-
bue à l'Auteur de la nature un but,
un dessein, dans la production des
différents êtres ; elle nous enseigne
que Dieu a fait l'un pour servir
l'autre ; qu'après avoir achevé son
ouvrage, il vit que tout éloii bien.
Elle suppose donc qu'il y a des
causes finales : il s'agit de savoir si
les raisonnements et les hypothèses
des matérialistes peuvent renverser
cette doctrine.
Ou le monde, tel qu'il est, vient
du hasard et d'une nécessité aveu-
gle, ou c'est l'ouvrage d'une cause
intelligente : il n'y a pas de milieu.
Tout pourroit être autrement qu'il
n'est, sans qu'il en résultât aucune
contradiction ; il n'y a donc point
là de nécessité. Or , certains êtres
dépendent des autres et ne peuvent
subsister sans eux : cette relation
de dépendance est constante et in-
variable ; elle ne vient donc pas du
hasard, c'a été le dessein d'une cause
intelligente et libre.
Lorsqu'une intelligence agit ,
elle sait ce qu'elle fait ; elle connoît
son action , et veut l'effet qui doit
s'ensuivre : quand elle produit une
cause physique, elle prévoit et veut
l'effet qui en résultera : autrement
elle agiroit tout à la fois en cause
intelligente et en cause aveugle ; ce
qui est absurde. L'effet est donc le
but immédiat ou la fin prochaine
qu'un être intelligent se propose
en produisant une cause physique,
et cette cause est le moyen. Ainsi,
la recherche des causes finales n'est
autre chose que la rc hcrche des
CAU </;9
effets produits par les causes phy-
si(|ues.
Puisque certains êtres contri-
buent comme causes physiques à la
conservation et avi bien-être des
autres, c'est l'intelligeiice du Créa-
teur qui a établi cette relation; elle
n'est ni fortuite, ni imprévue, ni
nécessaire à son égard; il auroit
pu faire autrement , et il a voulu
faire ce qui est : donc les êtres qui
servent à l'utilité et au besoin des
autres, sont destinés par le Créa-
teur à cet usage ou à cette fin : donc
les derniers sont la cause finale des
premiers. Nous ne voyons pas en
quoi pèche cette démonstration.
Or, entre les êtres vivants , celui
auquel Dieu a donné plus de fa-
cultés et plus de talent pour faire
servir à son bien-être les autres
créatures, est évidemment l'hom-
me ; donc Dieu a formé ces créa-
tures pour l'avantage et le bien-
être de rhom.me, malgré l'abus que
celui-ci peut en faire contre l'in-
tention du Créateur. Cette doctrine
de l'Ecriture sainte tend à rendre
l'homme attentif, reconnoissant ,
religieux; les sophismes par les-
(juels on l'attaque , ne peuvent
aboutir qu'à nous rendre stupides
et abrutis.
On dit qu'en attribuant à Dieu
des desseins et un but , nous le fai-
sons agir à la manière de l'homme ;
celui-ci se propose une fin, parce
qu'il en a besoin , Dieu n'a besoin
ni de fins, ni de moyens.
En nous accusant d'un sophisme
et d'une comparaison fausse , ne
sont-ce pas nos adversaires qui
font l'un et l'autre ? Voici leur
raisonnement : lorsque l'homme
se propose une fin et prend des
moyens , c'est qu'il en a besoin ;
donc si Dieu fait de même , c'est
aussi par le besoin. Nous rejetons
cette conséquence. Dieu n'avoît pas
besoin de créer le monde, cepen-
dant il l'afait ; il n'avoit pas besoin
de produire tel effet physique par
46o CAU
le moyen de telle cause, mais il a
voulu que cela fût ainsi ; il n'avoit
pas besoin d'aliments pour conser-
ver les êtres vivants , ceux-ci néan-
moins ne peuvent se conserver
autrement. Agir pour une fin n'est
donc pas pour lui un besoin , mais
une perfection; il agit ainsi , non
parce qu'il est indigent , mais
parce qu'il est intelligent, sage et
bon. Nous demandons si agir à l'a-
veugle , sans savoir ce qu'on fait et
sans le vouloir, est une plus grande
perfection <[ue d'agir pour une fin.
A la vérité. , il y a encore plu-
sieurs êtres dont nous ne voyons
pas l'utilité ou la cause finale , de
même qu'il y a des phénomènes
dont nous ignorons la cause pby-
siqi.ie ; mais de ce que nous ne con-
noissons pas toutes les causes , il
ne s'ensuit point que nous n'en
connoissions aucune. Une étude as-
sidue de la natoire nous fait décou-
vrir tous les jours de nouveaux
phénomènes et de nouvelles causes
physiques ; donc elle peut nous
montrer aussi des causesjinalcs qui
nous étoient inconnues.
On réplique : Si Dieu a destiné à
notre conservation et à notre bien-
être ce qui y contribue en effet, il
a donc aussi destiné à notre mal-
heur et à notre destruction ce qui
nous blesse et nous tue ; où est le
motif de bénir la bonté et la sa-
gesse du Créateur ?
S'il avoit été de celte bonté et de
cette sagesse infinie de nous accor-
der sur la terre un bonheur com-
plet et constant, \ine vie exempte
de tout mal physique, Diei l'auroit
fait, sans doute ; il auroit disposé
les êtres de manière qu'aucun ne
piît nous nuire; mais cela devoit-
il être ainsi ? Depuis que l'on ar-
gumente sur l'origine du mal , et
que l'on eai fait la base de mille
objections , est-on parvenu à dé-
montrer que le bien-être accordé
aux créatures vivantes par une bon-
lé infinie ne doit être mélangé d'au-
CAU
cun degré de mal , que le bien est
un rnal , à moins qu'il ne soit ab-
solu et augmenté à l'infini ? On ne
le prouvera jamais , puisque c'est
une absurdité. Conséquemment ,
sans dérogera la bonté divine, nous
croyons , conformément à l'Ecri-
ture sainte et à la droite raison ,
que Dieu seul , principe du bien ,
est aussi l'auteur des maux , Jsaïe,
c. 45 , y. 7 ; Amos , yi. 6. etc. , et
qu'il ne s'ensuit rien contre les
causes finales. Voyez Mai.
Les philosophes modernes qui se
sont élevés avec chaleur contre les
causes finales , ne nous semblent
pas avoir saisi le vrai point de la
question ; elle se réduit à savoir si
l'univers est le résultat d'une néces-
sité aveugle , que nous nommons le
hasard, ou si c'est l'ouvrage d'un
être intelligent et libre qui opère
avec connoissance et avec choix.
Diront-ils que la constitution de
l'univers ne dénote pas certaine-
ment Topération d'une cause intel-
ligente ? Dans ce cas , nous leur
demanderons quel est le signe par
lequel nous pouvons distinguer le
procédé d'une cause intelligente,
d'avec celui d'une cause aveugle ;
mais nous attendrons long -temps
la réponse.
Dès que l'on perd de vue les'
causes finales , et que l'on mécon-
noît dans la marche de l'univers la
main d'un Dieu bon , sage et puis-
sant , l'étude de la nature devient
sèche, insipide , morte, sans fruit
et sans attraits ; la physique , l'his-
toire naturelle, la cosmogonie , la
botanique , etc., se réduisent pres-
que à une simple nomenclature et
à un niécanisme aveugle dont on
ne voit ni le principe ni l'utilité. Si
au contraire l'on rapporte tout à
une providenie attentive et bien-
faisante, le cœur est touché et l'es-
prit satisfait ; l'homme sent alors
qu'il tient un rang dans l'univers,
il bénit l'auteur de son être, et ei^
devient meilleur.
CAD
Agir pour nue cause, finale à dos-
sfin et avec nue intention , est le
caractère des êtres intelligents et
libres, et lesactions ainsi faites sont
les seules capables tic inoralilé , les
seules qui nous soient imputables.
Mais nous avons déjà remarqué
dans l'article précédent que sou-
vent l'Ecriture sainte semble attri-
buer à une intention , à un dessein
formé, à une cause finale , ce qui
arrive contre l'intention ou sans
l'intention de celui qui agit ; elle
s'exprime ainsi , soit à l'égard de
Dieu , soit à l'égard des hommes.
Saint Matthieu , par exemple, fait
aux circonstances de la vie du Sau-
veur l'application de plusieurs pro-
phéties qui , selon le sens d'un pro-
phète, paroissentavoireuun autre
objet ; il dit , c. 2 , y . i5 , que Jé-
sus enfant demeura en Egypte jus-
qu'à la mort d'Iiérode , pour ac-
complir , ou afn d'accomplir ce
qui avoit été dit par un prophète :
J^ai appelé mon fils de VEgypIe:
c'est en parlant des Israélites qu'O-
sée avoit dit ces paroles , c. 2 ,
y. I , et probablement les parents
de Jésus n'avoient aucun dessein
d'accomplir cette prédiction. Il dit,
y . 23 , que Jésus demeura à Naza-
reth pour accomplir ce qui avoit
été dit par les prophètes : Jl sera
nommé Nazaréen ; il est vraisem-
l)lable que les prophètes ne fai-
soient , par ces paroles , aucune
allusion à la ville de Nazareth. L'é-
vangéliste entend donc seulement
que ces paroles et les précédentes
se trouvèrent accomplies une se-
conde fois et dans un sens différent
de celui qui, peut-être , avoit été
le seul qu'eiit le prophète en écri-
vant.
Saint Paul , Galat. , c. 2, "^ . i4,
dit à saint Pierre: « Vous forcez les
»> Gentils à judaïser. » Ce n'étoif
pas le dessein de saint Pierre ; mais
sa conduite pouvoit donner lieu
aux Gentils de conclure qu'ils
étoicnt obliges de judaïser, ou
GEL 4G«
d'observer les cérémonies de la loi
de Moïse. Tous les jours nous di-
sons de même dans les discours
familiers : Vous m'avez forcé de
laîre telle chose; c'csl-à-dirc, votre
conduite a été pour moi un motif
de faire ce que j'ai fait.
On ne peut pas trop répéter ces
réllexiojis ; parce que les incrédu-
les, et même quelques théologiens,
ont fait un abus énorme des équi-
voques semblables qu'ils ont trou-
vées , soit dans l'Ecriture sainte ,
soit dans les Pères de l'Eglise. Ils
veulent nous persuader que l'hé-
breu est une langue extraordinaire,
inintelligible , qui ne ressemble à
aucune autre , qui signifie tout ce
que l'on veut , parce qu'ils n'ont
pas pris !a peine de la comparer à
aucune autre, pas même avec leur
langue maternelle, dans laquelle
ils auroient trouvé les mêmes pré-
tendus contre -sens et les mêmes
inconvénients. Voyez Hébraïsme.
CÉLÉBRANT. L'on appelle ainsi
dans l'Eglise romaine l'evêque ou
!e prêtre qui offre le saint sacrifice
de la messe , pour le distinguer du
diacre, du sous - diacre , et des
autres ministres qui as.sistent à
l'autel.
L'abbé Renaudot , dans sa Col-
lection des liturgies orientales , le
P. Lebrun , dans son Explication
des cérémonies de la messe, t. i , etc.,
ont fait voir que dans toutes les
communions chrétiennes il est d'u-
sage que le célébrant se prépare à
offrir le saint sacrifice par la con-
fession de ses péchés , s'il en a
besoin, par la retraite, par des
veilles , par des prières , par la plus
grande pureté intérieure et exté-
rieure. L'office de la nuit et du ma-
tin est une partie de cette prépa-
ration ; mais il y a encore d'autres
prières qu i doivent précéder la cé-
lébration ; il en est que le prêtre
doit réciter en prenant les habits
sacerdotaux , et tout ce qui précède
iC62
CEL
le canon n'est censé qn'unc prépa-
ration à la consécration de l'eu-
charistie. L'on a toujours été per-
suadé que le cc/eéranf doit apporter
à cette grande action des disposi-
tions plus saintes et plus parfaites
que le simple fidèle n'est obligé
d'en avoir pour recevoir la com-
munion.
De cette conduite de l'Eglise
chrétienne , il est aisé de conclure
quedans tous les siècles elle a eu du
sacrifice de la messe une idée bien
différente de celles que les sectes
hétérodoxes ont conçues de la cé-
rémonie qu'elles nomment la cène.
Le dogme de la présence réelle
qu'elle admet , a dû mettre entre
son culte et le leur la différence
énorme que nous y voyons, et l'ap-
pareil de son culte est aussi ancien
qu'elle. Voyez Liturgie.
Lorsqu'un prêtre se souvient que
ce que l'on nomme aujourd'hui
messe solennelle , est la messe des
premieis siècles, c'en est assez pour
lui faire comprendre que l'habi-
tude d'offrir tous les jours ce saint
sacrifice , ne le dispense pas de la
préparation.
Dans le voyage que le souverain
pontife Pie VI a fait en Allemagne ,
en 1782, les protestants, aussi-
bien que les catholiques , ont été
frappes de la majesté , du respect,
de la piété avec lesquels ils lui ont
vu célébrer le saint sacrifice de la
CÉLIBAT, CONTINENCE, état
de ceux qui ont renoncé au mariage
par motif de religion.
L'histoire du célibat, considéré
en lui-même , l'idée qu'en ont eue
les peuples anciens , les lois qui ont
été faites pour l'abolir, les incon-
vénients qui peuvent en résulter
dans les circonstances où nous ne
sommes point, sont des spécula-
tions étrangères à l'objet de la
théologie. Nous devons nous bor-
ner à examiner si l'Eglise chré-
CEL
tienne a eu de bonnes raisons d'y
assujélir ses ministres , et d'en au-
toriser le vœu dans l'état monas-
tique, si les prétendus avantages"
qui résuUeroient du mariage des
prêtres et des religieux sont aussi
certains et aussi solides qu'on a
voulu le persuader de nos jours.
Déjà les censeurs de cette disci-
pline de l'Eglise conviennent que le
célibat, considéré en lui-même ,
n'est point illégitime , lorsqu'il est
établi par une autorité divine; que
Dieu , sans doute, peut témoigner
que la pratique de la continence lui
est agréable : or il l'a témoigné en
effet.
Jésus -Christ , après avoir dit :
« Heureux les cœurs purs , parce
» qu'ils verront Dieu , » Maith ,
c. 5 , X^. 8 , ajoute ailleurs : « Il y
» a des eunuques qui ont renoncé
» au mariage pour le royaume des
» cieux; que celui qui peut le con-
» cevoir y fasse attention Qui-
» conque aura quitté sa famille ,
» son épouse , ses enfants , ses pos-
n sessions , .^ cause de mon nom ,
» recevra le centuple , et aura la
» vie éternelle. » Malth., c. ig,
y^. 12 , 2g. « Si celui qui vient à
» moi n'est pas disposé à quitter
» son père, sa mère, son épouse,
» ses enfants , ses frères et sœurs ,
» sa propre vie , il ne peut être
» mon disciple. » Luc , c. \l^,^ 26-
Tel est , en effet , le sacrifice que
les apôtres ont été obligés défaire;
ou ils ont demeuré dans le célibat ,
ou ils ont tout quitté pour se livrer
à la prédication de l'Evangile et aux
travaux de l'apostolat Cependant
certains critiques ont affirmé avec
une entière confiance que Jésus-
Christ n'a imposé à personne l'ob-
ligation de la continence , pas
même aux apôtres. Barbeyrac ,
Traité de la Morale des Pères , c 8,
§ 4, et suivants.
Saint Paul dit aux fidèles : « Ce
» n'est point un ordre que je vous
» donne mais un conseil : je vou-
CFI.
» (Irois (ju(* vous ("lissiez tons coiu-
» me moi ; mais cliaciiii reçoit de
» Dieu le clou qui lui convient. Je
» dis <lonc à ceux (jtii sont dans le
» cclibnt ou datis le vcuvaj^e , qu'il
» leur est bon d'y demeurer comme
» moi. S'ils ne peuvent garder la
» continence , <|u'ils se marient ;
» cela vaut mieux que de brûler
» d'un feu impur. » I. Cor. , c. 7 ,
y. 6. Il avoit commencé par poser
pour maxime qu'il est bon à l'hom-
me de ne pas toucher une femme.
Ibid. , y. I. Pour détourner le sens
de ce passage , Barbeyrac dit que
saint Paul parloit ainsi, à cause
des persécutions , et non pour tous
les temps ; mais le texte même ré-
fute cette explication. La raison que
donne saint Paul , est que celui
qui est marié est occupé des choses
de ce monde et du soin de plaire à
son épouse ; au lieu que celui qui
vit dans le célibat, n'a d'autre soin
que de servir Dieu et de lui plaire.
Ibid., "f . 32. Cette l'aison est certai-
nement pour tous les temps. Il ex-
horte Timothée à se conserver chas-
te. J. Tim., c. S , y/. 22. Entre les
qualités d'un évêque, il demande
qu'il n'ait eu qu'une femme, et qu'il
soit continent. Tit. , c. i , ^. 8. Par
continence , jamais saint Paul n'a
entendu l'usage modéré du mariage,
mais l'abstinence absolue ; cela est
clair par le premier passage que
nous venons de citer.
Mosheim convient que dès l'ori-
gine du christianisme, les paroles
de Jésus-Christ et celles de saint
Paul ont été prises à la lettre, et
que c'est ce qui a inspiré aux pre-
miers chrétiens tant d'estime pour
le célibat ; il le prouve par des pas-
sages d'A.thénagore et de Tertul-
lieii. Mist. christ. , sec. 2 , § 35 ,
note I.
Saint Jean représente devant le
trône de Dieu une foule de bien-
heureux plus élevés en gloire que
les autres: « Voilà, dit-il, ceux
» qui ne se sont point souillés avec
CRI. 463
» les femmes; ils sont vierges, ils
» suivent l'Agneau partout où il
» va ; ce sont les prémices de ceux
» qu'il a rachetés à Dieu parmi les
» hommes. » Apoc. , c. i4, S- 4-
Et l'on ose encore décider que l'E-
criture n'attache aucune idée de
sainteté ou de perfection à la con-
tinence. Barbeyrac , ibid.
Vainement queUjues incrédules
ont conclu de là que le cliristianis-
me avilit le mariage, et en détourne
les hommes ; au contraire , c'est
Jésus - Christ qui lui a rendu sa
sai/iteté et sa dignité primitives :
les apôtres ont condamné les héré-
tiques qui l-e regardoient comme
HP état impur; mais ils nous repré-
sentent la continence comme un état
plus pariait , par conséquent com-
me plus convenable aux ministres
du Seigneur. Un état moins parfait
qu'un autre n'est pas pour cela cri-
minel ou impur.
Les mêmes critiques avouent ,
en second lieu, que tous les peuples
anciens ont attaché une idée de per-
fection à l'état de continence, et
ont jugé que cet état convenoit sur-
tout aux hommes consacrés au cul te
de la Divinité. Juifs , Egyptiens ,
Perses, Indiens, Grecs, Thraces ,
Romains , Gaulois , Péruviens ,
philosophes, disciples dePythagore
et de Platon, Cicéron. et Socrate ,
tous se sont accordés sur ce point.
On sait l'excès des prérogatives que
les Romains avoient accordées aux
vestales. Il n'est donc pas étonnant
que les fondateurs du christianisme
aient rectifié et consacré cette même
idée. Malgré la haute sagesse dont
se flattent nospolitiques modernes,
nous présumons que l'opinion des
anciens pouvoit être mieux fondée
que la leur.
En troisième lieu, ils convien-
nent que l'esprit et un vœu de l'E-
glise ont toujours été que ses prin-
cipaux ministres vécussent dans la
continence, et qu'elle a toujours
travaillé à en établir la loi. En
464
CEL
effet , le concile de Néocésaréo, ,
tenuen3i5 , dix ans avant celui de
Nicée , ordonne de déposer un
prêtre qui se serolt marié, après
son ordination. Celui d'Ancyre ,
deux ans auparavant, n'avoit per-
mis le mariage qu'aux diacres qui
avoient protesté contre l'obliga-
tion du célibat en recevant l'ordi-
nalion.
Le 26."^ canon des apôtres ne
permettoit qu'aux lecteurs et aux
chantres de prendre des épouses.
Selon Socrate , liv. i , chap. 11 ,
etSozoméne, liv. i, chap. 23,
c'étoit l'ancienne tradition de l'E-
glise , à laquelle le concile de Ni-
cée trouva bon de se fixer , et qui
est encore observée aujourd'hui
dans les différentes sectes orien-
tales.
Nous convenons que ces conci-
les n'obligèrent point les évcques,
les prêtres ni les diacres , à quitter
les épouses qu'ils avoient prises
avant d'être ordonnés; mais on ne
peut montrer par aucun exemple
qu'il leur ait jamais été permis de
se marier après leur ordination ,
ni de vivre conjugalement avec les
femmes qu'ils avoient épousées au-
paravant. Saint Jérôme , adv. Vi-
gilant. , pag. 281 , et saint Epipha-
ne, hccr. , Sg , n. 4^ attestent que
les canons le défendoient.
Nos adversaires sont-ils en état
de prouver que saint Jérôme et
saint Epiphane en ont imposé i*
Dodwel , ÎJissert. Cyprian. 3 , n. 1 5 ,
cite l'exemple de plusieurs ecclé-
siastiques qui vivoient avec leurs
épouses comme avec leurs sœui's.
Eusèbe . liv. i , Démonst. évang. ,
chap. 9 , en donne pour raison
que les prêtres de la loi nouvelle
sont entièrement occupés du ser-
vice de Dieu, et du soin d'élever
une famille spirituelle.
En Occident la loi du célibat est
plus ancienne ; elle se trouve dans
le trente-troisième canon du con-
cile d'EIvire, que l'on croit avoir
CEL
été tenu l'an 3oo. Elle fut confir-
mée par le pape Sirice l'an 385,
par Innocent I." en 4o4 > P^'
le concile de Tolède l'an 4oo ,
par ceux de Carthage , d'Orange ,
d'Arles , de Tours , d'Agde , d'Or-
léans , etc. , et par les capltulaires
de nos rois.
Cette loi n'est que de discipline:
qu'importe ? elle est fondée sur les
maximes de Jésus-Christ et des
apôtres , sur le vœu de l'Eglise
primitive, sur la sainteté des de-
voirs' d'un ecclésiastique , sur des
raisons même d'une sage politique;
nous le verrons dans un moment.
Que faut-il de plus pour la rendre
inviolable ?
Les devoirs d'un ecclésiastique,
surtout d'un pasteur , ne se bor-
nent point à la prière et au culte
des autels; il doit administrer les
sacrements , surtout la pénitence,
instruire par ses discours et par
ses exemples, assister les malades.
Il est le père des y)auvres, des
veuves , des orphelins , des en-
fants abandonnés ; son troupeau
est sa famille ; il est le distributeur
des aumônes , l'administrateur des
établissements de charité , la res-
source de tous les malheureux.
Cette multitude de fonctions pé-
nibles et difficiles est incompatible
avec les soins, les embarras, les
ennuis de l'état du mariage. Un
prêtre qui y seroit engagé , ne
pourroitplus se concilier le degré
de respect et de confiance néces-
saire au succès de son ministère ;
nous en sommes convaincus par
la conduite des Grecs envers leurs
papas mariés , et des protestant»
envers leurs ministres.
L'Eglise ne force personne à en-
trer dans les ordres sacrés; au con-
traire , elle exige des épreuves, et
prend toutes les précautions pos-
sibles pour s'assurer de la vocation
et de la vertu de ceux qui y aspi-
rent; ceux qui s'y engagent le font
par choix et de leur plein gré, à
CEL
tin Spc auquel tout liomme est
« eusé connoître ses forces et son
tempérament , long - temps après
l'époque à laquelle il est habile
à contracter le mariage. S'il y a
de fausses vocations , elles vien-
nent de la cupidité et de l'ambi-
lion des séculiers , et non de la
discipline ecclésiastique.
A qui la continence est-elle péni-
ble ? A ceux qui n'ont pas tou-
jours été chastes, à ceux qu'in-
fecte la dépravation actuelle des
mœurs publiques. Il faut retran-
cher la cause, et la vertu rentrera
dans tousses droits. Lorsqu'il ar-
rive des scandales, ils ne viennent
point de la part des ouvriers acca-
blés du poids des fonctions ecclé-
siastiques , mais des intrus que
rintérêt et l'ambition des familles
font entrer dans l'Eglise malgré
elle.
On nous oppose Tintérêt politi-
que de la société, les avantages qui
résulteroientdumariagc des clercs,
surtout l'accroissementde lapopu-
lation. Cette discussion 'ne devroit
pas nous regarder; il faut cepen-
dant y satisfaire.
i.° Il est faux , toutes choses
égales d'ailleurs, que la popula-
tion soit plus nombreuse dans les
pays où le célibat est proscrit. L'I-
talie , malgré le nombre des ecclé-
siastiques et des moines , est plus
peuplée qu'elle n'étoit sous le gou-
vernement des Romains; on peut
le prouver non-seulement par un
passage de saint Ambroise , qui
l'assuroit déjà de son temps , mais
parPlinelenaturaliste, quiavouoit
que sans les espèces de prisons qui
rcnfermoient les esclaves, une par-
tie de l'Italie auroit été déserte.
S'il y a donc encore aujourd'hui
des parties dépeuplées, elles le sont
par la tyrannie du gouvernement
féodal , et non par l'influence du
r.élibat religieux. Lorsque la Suède
^loit catholique, elle éloit plus
peuplée «lu'clle n'est depuis <iu'elle
I.
est devenue protestante. Les can-
tons catholiques de l'Allemagne
ont autant d'iiabitants, à propor-
tion, que les pays protestants. II en
est de même des cantons de la
Suisse, et de l'Irlande en compa-
raison de l'Angleterre. On prétend
que la France étoit plus peuplée il
y a deux siècles qu'elle n'est aujour-
d'hui ; nous n'en croyons rien :
cependant il y avoit alors un plus
grand nombre d'ecclésiastiques ei
de religieux qu'il n'y en a de nos
jours.
2.° Il est absurde d'attribuer le
mal à une cause innocente, lors-
qu'il y en a d'autres qui sont odieu-
ses , et sur lesquelles il faudroit
frapper. Dans les grandes villes
on compte plus de célibataires vo-
luptueux et libertins que de prê-
tres et de moines, et le nombre des
prostituées excède de beaucoup ce-
lui des religieuses : faut-il épar-
gner le vice pour bannir la vertu:'
Dans les campagnes , le défaut de
subsistance éloigne du mariage Ici
deux sexes ; ce n'est pas au célibat
des prêtres que l'on doit s^im
prendre.
Le luxe qui rend les mariages
ruineux , la corruption des mœur^
qui y porte l'amertume et l'igno-
minie, le faste, l'oisiveté, les pré-
tentions des femmes , le préjugé
de naissance qui fait éviter les al-
liances inégales , la multitude
des domestiques et des artisans
dont la subsistance est incertaine ,
le libertinage des enfants qui fait
redouter la paternité , l'irréligion
et l'égoïsme qui ne veulent souffrir
aucun joug, etc. : voilà les désor-
dres qui , de tout temps , ont dé-
peuplé l'univers , contre lesquels
il faut sévir avant de toucher a
ce que la religion a sagement
établi.
3.° Les politiques qui se sont
élevés contre le mariage des sol-
dats , ont dit que l'état seroit .sur-
charge des veuves et des enfants
3o
4G6 CEL
qu'ils laisseroieal dans la misère ;
il Je seroit encore davantage par
les veuves et les enfants des ecclé-
siastiques. La plupart des paroisses
de la campagne ont bien de la
peine à faire subsister un curé
seul , et on veut les charger de la
subsistance d'une famille entière.
Les pères qui ont un nombre d'en-
fants, conviennent que, sans la
ressource de l'clat ecclésiastique
et religieux, ils ne sauroient com-
ment placer leurs enfants , et on
veut la leur ôter.
Il y auroit bien d'autres ré-
ilexions à faire sur les dissertations
politiques des détracteurs du cé-
libat; mais nous y répondrons ci-
après.
Un théologien anglois , nommé
Tf^arthon , qui a traité celte ques-
tion , a voulu prouver , i ."^ que le
célibat du clergé n'a été institué ni
par Jésus-Christ , ni par les apô-
tres ; 2.° qu'il n'a rien d'excellent
en soi , et ne procure aucun avan-
tage à l'Eglise ni à la religion chré-
tienne; 3.0 que la loi qui l'impose
au clergé est injuste et contraire à
la loi de Dieu ; 4-° fju'il n'a jamais
été prescrit ni pratiqué univer-
sellement dans l'ancienne Eglise.
Voilà de grandes prétentions ;
l'auteur les a-t-il bien établies.''
Sur le premier chef, nous avons
cilé les paroles de Jésus-Christ et
celles des apôtres , qui prouvent
l'estime qu'ils ont faite de la con-
tinence , la préférence qu'ils lui
ont donnée sur Tétat du mariage,
la disposition dans laquelle doit
être un ministre de l'Evangile , de
renoncer à tout pour se livrer en-
tièrement à ses fonctions. Ils n'ont
pas prescrit le célibat par une loi
expresse et formelle, parce qu'elle
n'auroit pas été praticable pour
lors. Pour les fonctions aposto-
liques , il falloit des hommes d'un
âge mûr ; il s'en trouvoit très-peu
qui ne fussent mariés Mais ils ont
suffisamment témoigné que, toutes
CKL
clioses égales d'ailleurs, des céli-
bataires seroient préférables. Il est
plus aisé de renoncer au mariage,
que de quitter une épouse et une
famille , comme Jésus -Christ
l'exige. L'Eglise l'a compris , et
s'est conformée à l'intention de
son divin maître, dès qu'elle a pu
le faire.
"Warthon dit que le célibat du
clergé tire son origine du zcle im-
modéré pour la virginité , qui ré-
gnoit dans l'ancienne Eglise; que
cette estime n'étoit ni raisonnable,
ni universelle, ni juste, ni sensée.
Cependant elle étoit fondée sur les
leçons de Jésus-Christ et des apô-
tres ; c'est la prévention des pro-
testants contre la virginité et le
célibat, qui n'est ni raisonnable nî
sensée : elle vient d'un fond de
corruption et d'éprcuréisme, qui
est l'opposé du christianisme.
11 entreprend de prouver , par
saint Clément d'Alexandrie , que
plusieurs apôtres ont été manés
Ce Père , disputant contre les hé-
rétiques qui condamnoient le ma-
riage , dit: « Condamneront- ils
» les apôtres ? Pierre et Philippe
» ont eu des enfants, et ce dernier
» a marié ses filles. Paul, dans une
» de ses épîtres , ne fait point dif-
» ficulté de parler de son épouse;
» il ne la menoit pas avec lui ,
» parce qu'il n'avoit pas besoin
» de beaucoup de services ; il dit
» dans cette lettre : N'aoons-nous
» pas le pouvoir de mener avec nous
» une femme noire sœur , comme ,
n font les autres apôtres ? Mais É
» comme ils donnoient toute leur
» attention à la prédication, mi-
» nistère qui ne veut point de dis-
» traction, ilsmenoient ces femmes,
» non comme leurs épouses, mais
» comme leurs sœurs, afin qu'elles
» pussent entrer sans reproche et
» sans mauvais soupçon dans l'ap-
» parlement des femmes, et y por-
» ter la doctrine du Seigneur. »
Slrom.f 1, 3, c. 6, p. 535, édit.
Ae Pollel. Warlhon a supprimé
ces dernières paroles , el a tronqué
la moitié du passage.
Nous avons prouvé par saint
Paul lui-même qu'il n'étoil pas
marié. Le Philippe qui avoit deux
filles, étoit l'un des sept diacres,
et non l'apôtre saint Philippe. Ces
deux méprises de saint Clément
d'Alexandrie ont été remarquées
par les anciens et par les modernes.
Voyez les Noies des critiques sur cet
endroit des Sironiates , et sur Eu-
sébe , Hist. ecclés. , liv. 3, c. 3o
et '6i. Il résulte du passage même
de saint Clément d'Alexandrie, que
les apôtres ne vivoient point con-
jugalement avec ces prétendues
épouses. Saint Pierre est donc le
seul dont le mariage soit incon-
testable ; mais il l'avoit contracté
avant sa vocation à l'apostolat, et
il dit lui-même à Jésus-Christ :
« Nous avons tout quitté pour
» vous suivre. » Matih. , c. 19,
Au 3.* siècle, on étoit si per-
suadé que les apôtres n'avoient
pas été mariés , que la secte des
apostoliques renonçoit au mariage
atin d'imiter les apôtres.
Sur le second chef, ce n'est pas
assezide prouver, comme fait War-
lhon , que l'usage chrétien du ma-
riage n'a rien en soi d'impur ni
d'indécent , c'est la doctrine for-
melle de saint Paul ; il faut encore
démontrer , contre l'Evangile et
contre saint Paul lui-même, que
la continence n'est pas un état plus
parfait et plus agréable à Dieu ,
lorsqu'on y demeure afin de mieux
servir Dieu. Elle renferme en soi
le mérite de dompter une passion
Ires-impérieuse ; et si le noni de
vertu, synonyme de celui Ae force,
signifie quelque chose , la conti-
nence est certainement une vertu.
Le livre de VExodc, c. 19,^. i5,
et saint Paul , J. Cor. , c. 7 , y . 5 ,
attachent une idée de sainteté et
dcraériteàla continence passagère;
CEL 467
coiiuuenl celle cjui dure toujours
peut-elle être moins louable !*
Le c^7i6«/ des ccclésiasticjues pro-
cure à l'Eglise et à la religion chré-
tienne un avantage très-réel , qui
est d'avoir des ministres unique-
ment livrés aux fonctions saintes
de leur état et aux devoirs de cha-
rité , des ministres aussi libres
que les apôtres, toujours prêts à
porter comme eux la lumière de
l'Evangile aux extrémités du mon-
de. Les hommes engagés dans l'é-
tat du mariage ne se consacrent
pointa servir les malades, à se-
courir les pauvres , à élever et a
instruire les enfants, etc. Il en est
de même des femmes ; cette gloire
est réservée aux célibataires de
l'Eglise catholique. Il n'est pas
étonnant que les protestants, après
avoir retranché le saint sacrifice ,
cinq des sacrements, l'office divin
de tous les jours, etc., aient trouve
bor d'avoir des ministres mariés;
on sait comment ils ont réussi à
en faire des missionnaires et des
saints.
Sur le troisième chef, Warthon
n'a pas prouvé, selon sa promesse,
que la loi du célibat imposée aux
clercs est injuste et contraire à la
loi de Dieu. Elle pourroit paroître
injuste , si l'Eglise forçoit quel-
qu'un , comme elle l'a fait autre-
fois à entrer dans le clergé, et à se
charger du saint ministère. Lors-
qu'un homme marié avoit d'ail-
leurs toutes les lumières, les ta-
lents et les vertus nécessaires pour
être un excellent pasteur, l'Eglise,
en lui faisant une espèce de vio-
lence pour se l'attacher, ne croyoit
point devoir pousser la rigueur
jusqu'à le séparoi de son épouse;
celte femme auroit eu droit d'alic-
guer la sentence de Jésus-Christ :
que l'homme ne sépare point ce
que Dieu a uni. Matth. , c. 19,
J. 6.
Pendant les persécutions des
trois premiers siècles , les prclrcs
3o-
468
CEL
étoieiit les principaux objets de
la haine des païens ; ils étoienl for-
cés de prendre des précautions
pour ne pas être connus , et de
vivre , à l'extérieur , comme les
laïques : il n'y auroit donc pas eu
de prudence a leur imposer pour
lors la loi du célibat, ou à les obli-
ger d'abandonner leurs épouses.
Mais on ne peut pas citer un
seul exemple d'évéques jii de prê-
tres qui , après leur ordination ,
aient continué à vivre conjugale-
ment avec leurs épouses , et en
aient eu des enfants. Les protes-
tants ont vainement fouillé dans
tous les monuments de l'antiquité
pour en trouver ; celui de S) né-
sius , dont ils triomphent , prouve
contre eux. Ce saint personnage,
pour éviter l'épiscopat, protestoit
qu'il ne vouloit quitter ni son
épouse , ni ses opinions philoso-
phiques ; on ne laissa pas de l'or-
donner.
« Je ne veux , disoit-il , ni me
>) séparer de mon épouse, ni l'aller
» voir en secret , et déshonorer
» un amour légitime par des ma-
i> niéres qui ne conviennent qu'à
» des adultères. » Ce fait même
prouve que les évéques ne vivoient
plus conjugalement avec leurs
épouses après leur ordination.
Evagre, Hisi. ecclés. , liv. i , c. i5.
Beausobre, qui a senti cette con-
séquence, dit que c'étoit une
discipline particulière au diocèse
d'Alexandrie ; mais où en est la
preuve ?
Sur le quatrième chef allégué
par "Warthon , il ne sert à rien de
citer un grand nombre d'évêques
mariés et qui avoient des enfants ,
à moins que l'on ne fasse voir
qu'ils les avoient eus depuis leur
épiscopat , et non auparavant.
Voilà ce dont les ennemis du cé-
Jibai ecclésiastique ne fournissent
encore aucune preuve. Ils citent
l'exemple du père de saint Grégoire
de î^azianzej nous éclaircirons ce
CEI.
fait dans l'article de ce saint doc-
leur.
Socratc , liv. i , c. 1 1 , et Soio-
mène , liv. i , c. 24 , rapporleiit
qu'au concile général de Nicée , les
éveques étoient d'avis de défendre,
par une loi expresse, aux évéque.s,
aux prêtres eL aux diacres qui s'é-
toient mariés avant leur ordina-
tion, d'habiter conjugalement avec
leurs épouses ; que l'évêquePaph-
nuce , quoique célibataire lui-
même et d'une chasteté reconnue,
s'y opposa ; qu'il insista sur la
sainteté du mariage , sur la rigueur
de la loi proposée , et sur les in-
convénients qui en résulleroient ;
que, sur ses représentations, les
Pères du colicile jugèrent qu'il fal-
loit s'en tenir à Vancie.nne tradition
de l'Eglise, selon laquelle il étoit
défendu aux éveques , aux prêtres
et aux diacres, de se marier , des
qu'une fois ils avoient été or-
donnés.
Pour comprendre la sagesse des
réflexions de Paphnuce et de la
conduite du concile de Nicée , il
faut savoir que , pendant les trois
premiers siècles de l'Eglise , il y
avoit eu plusieurs sectes d'héré-
tiques qui avoient condamné le
mariage et la procréation des en-
fants comme un crime. Outre ceux
dont parle saint Paul , 2'im. , c. 4 .
}?'. 3 , les doceles , les marcionites,
les cncratites , les manichéens ,
étoient de ce nombre. Sous l'em-
pire de Gallien , mort l'an 268,
plusieurs éveques furent mis à
mort comme manichéens , parce
que l'on supposa qu'ils gardoient
le célibat par le même principe que
ces hérétiques. Renaudot , Hisi.
Patriarch. Alexand. , p. 47- Si la
loi proposée au concile de Nicée
avoit eu lieu , elle auroit paru fa-
voriser ces sectaires , et ils n'au-
roient pas manqué de s'en préva-
loir; Paphnuce avoit donc raison
d'insister sur la sainteté du ma-
riage et sur l'innocence du com-
I
merce conjufçal , et les cvt'fiucs
ii'oiircnt pas tort d'y avoir égard
dans CCS circonstances ; c'est pour
cela que le 43.*^ canon des apôtres
<oiidamnc les ecclésiastiques qiri
s'abstiennent du mariage en haine
de la cràaiinn.
Malgré ces faits , Beausobre af-
firme que les Pères de l'Eglise
avoient puisé leur estime pour le
c<.'/i6a/dans les erreurs des docétes,
des encratiles, des marcionites et
(les manichéens ; mais , par une
rontradiction grossière , il avoue
que plusieurs chrétiens donnèrent
«lans ce fanatisme dès le commen-
cement, par conséquent avant la
naissance des hérésies dont nous
parlons. Hist. du Manich. , liv. 2,
c. 6 , § 2 et 7 : preuve certaine
qu'ils avoient puisé ce prétendu
fanatisme dans les leçons de Jésus-
Christ et des apôtres. En effet ,
Beausobre avoue encore ailleurs ,
qu'il venoît d'une fausse idée du
])ien et du mieux, dont saint Paul
a parlé , I. Cor. ,0.7; ibid. , 1. 7 ,
c. 4> § 12. Mosheim plus judicieux
fait le même aveu , Hist... Christ.,
aœc. 2 , § 35 , not. ; il prouve la
l'éalité du fait par le témoignage
d'Âthénagore et de Tertullien ; il
n'a pas osé blâmer cette estime
pour le célibat , aussi ancienne que
le christianisme.
Ces mêmes faits prouvent que
les Pères de Nicée attachoient une
idée de perfection et de sainteté au
célibat ecclésiastique et religieux ;
qu'ils le regardoient comme l'état
le plus convenable aux ministres
des autels ; qu'ils auroient désiré
dès -lors pouvoir y assujélir le
clergé. En effet, les inconvénients
<{ui s'ensuivoient du mariage des
rrclésiastiques firent bientôt sentir
la nécessité d'en venir là , ou de
prendre des moines obligés par
vœu à la continence, pour les éle-
ver à l'épiscopat et au sacerdoce ;
et si cette loi n'existoit pas déjà
dejxiis (quinze cents ans, on seroit
CEL 469
bientôt forcé de l'établir. Sans cela
l'on verroit renaître les mêmes
désordres qui arrivèrent au neu-
vième siècle et dans les suivants,
lorsque les grands s'emparèrent
des évcchés , des abbayes et des
cures, en firent le patrimoine de
leurs enfants , déshonorèrent l'E-
glise par les vices des intrus, et
anéantirent enfin le clergé séculier
par leurs rapines.
S'il étoit vrai , comme le pré-
tendent nos adversaires , que la
loi du célibat est injuste en elle-
même , et contraire à la loi de
Dieu, il ne seroit pas moins injuste
d'empêcher les clercs de se marier
après leur ordination qu'aupara-
vant. Cependant nous voyons, par
tous les monuments ecclésiasti-
([ues , que ni dans l'Orient , ni
dans l'Occident , on ne leur a ja-
mais laissé cette liberté. Quel avan-
tage ces censeurs imprudents peu-
ve.it-ils donc tirer de l'ancienne
discipline, et de la prudence avec
laquelle se conduisirent les Pères
de Nicée .?Eusèbe, qui avoit assisté
à ce concile , dit que les prêtres de
l'ancienne loi vivoient dans l'état
du mariage et désiroient d'avoir
des enfants, au lieu que les prêtres
de la loi nouvelle s'en abstiennent,
parce qu'ils sont entièrement oc-
cupés à servir Dieu et à élever une
famille spirituelle. X>emo/Js/. Jîc^an-
gélique ,1. i , c. 9.
Aussi la loi du célibat pour les
évêques, les prêtres et les diacres,
après leur ordination , a continué
d'être observée par les jacobites et
par les nestoriens après leur schis-
iHC. Elle fut interrompue chez ces
derniers l'an 4^5 et en 496 , mais
•/établie par un de leurs patriar-
ches , l'an 544- Assémani , Biblio-
thèque orient., tome 4, c. 4 et c. i4,
pag. 857.
En i549, '^ parlement d'Angle-
terre , quoique réformateur , fut
plus raisonnable que les écrivains
modernes de cette nation ; dans la
47 o CEL CEL
loi même ({u'il porta pour pei*met- i prouver que les mœurs sont plus
Ire le mariage aux ecclésiastiques, pures dans les lieux où le clergén'ob-
il dit : « Qu'il conveuoit mieux aux serve point le ce'/jôrt/? Quand il a dit:
» prêtres et aux ministres de l'E-
» glisede vivre chastes et sans ma-
» riaçe , et qu'il seroit à souhaiter
j) qu'ils voulussent d'eux-mêmes
» s'abstenir de cet engagement. »
D. Hume , Hist. de la maison de
Tudor, tome 3, p. 204.
Un nouveau dissertateur vient
encore de réveiller celte question ,
dans une brochure intitulée les In-
convénients du Célibat des prêtres ,
imprimée à Genève en 1781. Il a
rassemblé tous les sophismes , les
reproches, les impostures des pro-
testants sur ce sujet ; il n'y a rien
ajouté que quelques passages qu'il
a falsifiés , d'autres qu'il a forgés
en citant des auteurs inconnus, et
quelques phrases impudiques co-
piées dans nos philosophes épicu-
riens ; nous ne relèverons de cet
ouvrage que les endroits les plus
absurdes.
L'auteur , i." partie, c. 2 , pré-
tend que le célibat peut nuire à la
santé et abréger la vie ; il exagère
l'extrême difficulté de garder la
continence. Si cette vertu est si
pénible et si meurtrière , il est de
l'humanité de nos censeurs de per-
mettre l'adultère aux personnes
mariées , qui se trouvent séparées
pour long-temps, ou dont l'une est
tombée dans un état d'infirmité qui
lui rend la vie conjugale impossi-
ble. Il faudroit encore permettre
la fornication aux particuliers des
deux sexes qui ne peuvent pas trou-
ver à se marier , malgré le désir
qu'ils en ont. Y a-t-il moins de
vieillards , parmi les célibataires
ecclésiastiques ou religieux , que
parmi les gens mariési'
Selon lui , le célibat est un signe
certain de la décadence et de la
corruption des mœurs. S'il entend
parler du célibat voluptueux et li-
bertin des laïques , nous pensons
comme lui ; mais est-il en état de
Multipliez les mariages , et les mœurs
deviendront meilleures ; il dcvoil
changer la phrase et dire : Purifiez
les mœurs , et les mariages se mul-
tiplieront, sans qu'il soit besoin de
changer l'état des ecclésiastiques
ni des religieux, c. 3 et 4
A l'exemple des protestants , il
soutient, ch. 8, que les paroles de
Dieu adressées à nos premiers pa-
rents : Croissez , multipliez , peuplet
la terre, renferment une loi. Ce-
pendant le texte dépose que c'est
une bénédiction et non une loi.
Quand c'en auroit été une pour les
premiers hommes, elle n'a plus lieu
depuis que le monde est peuplé.
Soutiendra-t-on que tout homme
qui ne se marie point pèche contre
la loi de Dieu ? On dit que si le cé-
libat devenoit général , le genre
humain périroit. Nous répondons
que si le mariage étoit général, la
terre ne pourroit plus nourrir ses
habitants;la population ne consiste
pas seulementàmeltre des hommes
aumonde, maisàlesfairesubsister.
Dans la 2." partie , ch. 2 , notre
grand critique prétend que le c^//-
ôa/, loi 11 d'être loué ou recommandé
dans l'Evangile, y est formellement
condamné par ces mots : Que
rjiomme ne sépare point ce que
Dieu a uni ; saint Clémen t d'Alexan-
drie , dit-il , l'a ainsi entendu ,
Stromat. , 1. 3 , p. 544- C'est une
citation fausse. Saint Clément
prouve seulement par ces paroles
que le mariage n'est point un état
criminel , comme l'cntendoient cer-
tains hérétiques. Mais autre chose
est de vouloir séparer ceux que
Dieu a unis par le mariage, et autre
chose de trouver bon que ceux qui
ne sont pas mariés continuent à
vivre ainsi , lorsque cela peut être
utile pour eux et pour les autres;
saint Paul lui-même a fait celte
distinction.
CEIi
Apres a\oir rciisiirc tous les
comnicnlaleurs de l'Evaiiç^ile , ce
iiiciHC écrivain s'érige en inler-
prcte des paroles du Sauveur.
Mailh. , c. 19, S • 12. « 11 y a des
» eunuques qui ont renonce au
n mariage pour le royaume des
» cieux ; que celui qui peut le con-
» cevoir y fasse attention. » Si ces
paroles, dit-il, signifient que cette
sentence est obscure, elle ne prouve
rien; si cela veut dire qu'il faut
une grâce particulière pour pra-
tic[uer cette maxime , ce ne peut
pas être une loi ; le sens le plus na-
turel de ce passage , est que ceux
qui se trouvent séparés par un di-
vorce, feront fort bien de s'abste-
nir d'un second mariage.
Cette découverte Ji'est pas heu-
reuse. Une preuve que la maxime
du Sauveur n'est pas obscure, c'est
que tout le monde l'entend très-
bien , à l'exception des anticéliba-
taires qui font la sourde oreille.
Jésus-Christ fait entendre qu'il
faut une grâce et une vocation par-
ticulière pour bien comprendre ce
qu'il dit ; par conséquent ce n'est
pas une loi pour tous , mais pour
«eux à qui Dieu donne cette grâce
et cette vocation. Mais après que
le Sauveur a déclaré formellement
que ceux qui se remarient après
lin divorce commettent un adul-
tère, il est absurde de lui faire dire
simplement que ceux qui ont fait
divorce/cron/ très-bien de ne pas
se marier. 11 est d'ailleurs évident
que ceux qui avoient renoncé au
mariage pour le royaume des deux,
étoient Jean-Baptiste et les apôtres,
puisque ceux-ci disoient à leur
maître : Seigneur nous avons lotit
t/uitté pour vous suivre.
Le passage de saint Paul, J. Cor.,
cap. 7 , est clair : « 11 est bon à
» l'homme, dit-il, de ne pas tou-
» cher une femme.... Je désire que
» vous soyez tous comme moi ;
i> mais chacun a reçu de Dieu un
H don particulier, l'un d'une ma-
CEL 471
» nière , l'autre d'une autre. Mais
» je dis à ceux qui sont dans le c<^-
» libat ou dans le veuvage , qu'il
» leur est bon de demeurer dans
» cet état comme moi. Que s'ils ne
» sont pas continents , qu'ils se
» marient : il est mieux de se ma-
» rier que de briiler d'un feu im-
>• pur. » Notre censeur, fidèle éco-
lier des protestants, dit, c. 3, que
saint Paul parle ainsi à cause des
persécutions; faux commentaire :
l'apôtre ajoute qu'il donne ce con-
seil , parce que ceux qui ne sont
pas mariés s'occupent du service
de Dieu et des moyens de lui plaire,
au lieu que ceux qui le sont s'oc-
cupent des affaires de ce monde,
^ . 32. Ensuite notre critique pré-
tend que saint Paul parle seule-
ment des veufs, et les exhorte à ne
pas passer à de secondes noces.
Nouvel le falsification; l'apôtre s'ex-
prime clairement .Je dis aux veufs
et à ceux qui ne sont pas mariés :
Dico autem non nupiis et viduis ,
^. 8 ; il parle même des vierges ,
y. 25. 11 dit que celui qui marie sa
fille fait bien , et que celui qui ne
la marie pas fait mieux , y . 38.
Si c'étoit une loi et un devoir de
se marier, comme nos adversaires
le soutiennent, de quel front saint
Paul auroit-il pu y donner atteinte
d'une manière aussi formellei"
TVlais nous avons affaire à ûes
disputeurs fertiles en ressources ;
saint Paul, disent-ils, étoit marié,
ou du moins l'avoil été ; c'est le
sentiment de saint Ignace, dans sou
épîlreauxPhiladelphiens ; de saint
Clément d'Alexandrie , Siromat. ,
1. 3 , c. 6 , p. 533 ; d'Origène , in
Epist. ad Boni. 1. i, n. i ; de saint
Tîasile, de abdic. Serm. ; d'Eusébe ,
Hisi. ecclés. , 1. 3, c. 3o, et de plu-
sieurs autres Pères. Saint Paul lui-
même le témoigne assez dans sa
lettre aux Philippiens, c. 4i !^ • ^-
Donc il a seulement voulu détour-
ner les fidèles des secondes noces,
et encore ce conseil est-il contraire
7,72 CEL
à celui qu'il donne aux jeunes veu-
ves, I. Tim., c. 5 : Je veux, dit-il ,
qu'elles se marient.
Si nos censeurs étoient moins
aveugles , ils auroient vu que saint
Paul , qui , suivant eux, éloit veuf
lorsqu'il écrivit aux Corinthiens,
n'a pas pu parler de son épouse
comme vivante, dans sa lettre aux
Philippiens , qui ne lut écrite que
cinq ou six ans après ; mais la pré-
vention leur a ôté la présence d'es-
prit. La plupart des citations qu'ils
nous opposent sont infidèles ; il
n'est parlé du prétendu mariage
de saint Paul que dans la lettre in-
terpolée ou falsifiée de saint Ignace
aux Philadelphiens, et non dans le
texte grec authentique. Il n'est pas
vrai qu'Origène soit de ce senti-
ment ; il dit que , selon l'opinion
de quelques-uns , saint Paul étoit
marié lorsqu'il fut appelé à l'apo-
stolat; que, suivant cT autres , il ne
l'étoit pas. Nous n'avons rien
trouvé dans saintBasile de ce qu'on
lui attribue ; saint Clément d'A-
lexandrie est le seul des Pères qui
ait cru le mariage de saint Paul.
Eusèbe , à la vérité , cite ce qu'a
dit saintClément, mais il n'y donne
aucune marque d'approbation ; et
cette opinion n'est fondée que sur
Tin passage de saint Paul mal en-
tendu.
Aussi Tertullien, L. i ad uxor.
c. 3 ; Z». de Tdonagam. , c. 3 et 8 ;
saint Hilaire, ï>2 JPs. 127; saintEpi-
phane , Hœr. 58 ; saint Ambroise ,
in exhortât, ad Virgines ; Saint Jé-
rôme, X. I contra Jovin. eiJEpist.
22 ad Eustochium ; saint Augustin,
L. de Grat. et lib. Arb., c. 4; L.
de bono Conjug. , c. 10 ; L. 1 de
AduU. conjug. , c. J^; L. de Opère
Monach., c. 4, affirment unanime-
ment que saint Paul ne fut jamais
marié. L'opinion particulière de
saint Clémen t d'Alexandrie ne peut
pas prévaloir à cette tradition con-
stante.
II n'y a aucune opposition entre
CEL
les divers avis que donne saint
Paul; il veut que les jeunes veuves
se remarient, parce qu'elles en ont
le désir, quia... nubere volunt , et
parce que plusieurs ont manqué à
la foi qu'elles avoient jurée. J. Ti-
niot., c. 5, y. II et 12. Sans doute
il étoit mieux pour elles de se re-
marier que de briller d'un feu im-
pur. J. Cor., c. 7, y!'. 9.
Quant au passage de saint Paul,
tiré de la même lettre aux Corin-
thiens , c. 9 , ^. 5 , qui a trompé
saint Clément , et sur lequel nos
adversaires insistent, il ne lait au-
cune difficulté. « N'avons-nous
» pas , dit l'apôtre , le pouvoir de
» mener avec nous une femme ,
» comme notre sœur , comme font
» les autres apôtres , et les frères
1) du Seigneur, et Céphas ? » Saint
Clément, disent ces critiques,-*ous
le nom de femme a entendu une
épouse; cette traduction est fautive.
Mais nos censeurs , toujours frap-
pés du même vertige, veulent ({ue
saint Paul,après avoir parlé comme
veuf dans le chapitre 7 , ait fait
mention de son épouse dans le cha-
pitre 9.
Suivant leur coutume ordinaire,
lorsqu'un Père de l'Eglise a dit
quelque chose qui leur est favo-
rable, ils en fontun élogepompeux;
pour tous ceux qui ne sont pas de
leur avis , ils les dépriment et en
parlent avec dédain.
A force de spéculations, ils ont
deviné l'origine de l'estime que l'on
a eue dès les premiers siècles pour
la virginité et pour le célibat; elle
est venue, disent-ils, de la croyance
dans laquelle étoient les premiers
chrétiens que le monde finiroit
bientôt , de la mélancolie qu'in-
spire le climat de l'Egypte et des
Indes , des idées chimériques de
perfection puisées dans la philoso-
phie de Pythagorc et de Platon ;
et cette superstition s'est répandue
partout.
Nous voilà doue réduits à croire
que Jcsus-Chrisl i-l ses i]isci[)l''s ,
sailli Paul cl raulcur «le. l'Apoca-
lypse, quionlfait cas <lo la virginité
il du célibat, éloicnl ilans ro[)inion
delà fin prochainedu monde ; qu'ils
i'ioienl atlaqucs de la mélancolie
lie l'Egyple et des Indes; (pi'ils
iloienl prévenus des idées de Py-
(hagorc et de Platon. A l'article
Monde, nous fei^ons voir qu'il n'est
pas vrai qu'ils en aient prédit la fin
prochaine.
Qui n'admireroit l'entêtement
de nos adversaires P Ils disent que
l'estime pour la virginité et pour
le célibat est absurde, injurieuse à
la nature, contraire aux desseins du
Créateur, aux intérêts de l'huma-
nité, aux plus pures lumières du
l)on s,Qns ; et par une contagion dé-
])lorable, ce lie supcrsti lion s'est ré-
pandue partout; elle a passé de
l'Egypte aux Indes et à la Chine ,
file a infecté les ignorants et les
philosophes. Avec le christianis-
me, elle a pénétré en Italie et dans
les Gaules , en Angleterre et dans
les climats glacés du Kord ; elle est
allée jusqu'au Pérou faire établir
les vierges du soleil. lisse flattent
néanmoins , par la supériorité de
leurs lumières, de guérir enfin l'u-
nivers entier de cette maladie, et
de lui rendre le bon sens qu'eux
seuls croient posséder exclusive-
ment. Ils disent que cette estime
aveugle pour la continence a été
poussée à l'excès par les Pères de
l'Eglise, et ils s'efforcent de prou-
ver que les Pères n'ont jamais
pensé à en faire une loi au clergé.
ils disent que les Pères ont eu le
même mépris pour l'état du ma-
riage que les docètes , les marcio-
nites et les manichéens ; et à peine
ces hérétiques ont-ils paru, qu'ils
ont été réfutés et condamnés par
les Père^.
Mais c'est ici un fait dont la dis-
cussion est importante. Ivoire nou-
veau disscrtateur , instruit proba-
ulemenl p?.r Bcausobre , soutient
que CCS anciens hérétiques, détrac-
teurs du mariage , ne le condam-
noienl pas comme absolument
mauvais et criminel, qu'ils le rc-
gardoient comme un état moins
parfait que le célibat, doctrine qui
est à présent celle de l'Eglise ro-
maine , mais qui a été condamnée
par les Pères.
Heureusement le maître et le dis-
ciple se contredisent et se réfutent
chacun de son côté. Le premier,
après avoir lait tous ses efforts
pour prouver que les manichéens
ne pensoient pas, touchant le ma-
riage, autrement que les Pères, est
forcé de convenir que ces héréti-
ques ne pouvoient , suivant leurs
principes, ni approuver le maria-
ge, ni le regarder comme une ins-
titution sainte , puisqu'ils ensei-
gnoient que c'est le démon ou le
mauvais principe qui a construit
le corps humain , et qu'il s'est pro-
posé de perpétuer , tant (^u'il le
peut, par la propagation, la capti-
vité des âmes; c'etoit aussi l'erreur
de plusieurs sectes de gnostiques.
Histoire du ManicJi. , livre 7 ,
c. 3, § i3 ; G. 5 , § 9. I>e second n'a
pu s'empêcher d'avouer que les
encratites et les apostoliques reje-
toient le mariage comme absolu-
ment mauvais , qu'Eustate de Sé-
baste en Arménie fut condamné au
concile de Gangres, vers ranp.41 ,
parce qu'il inlerdisoil la cohabita-
lion aux gens mariés. Inconv. du
célib. , seconde pari. , c. 6 , 10 et i3.
Voila ce que les Pères ni l'Eglise
romaine n'ont jamais enseigné, mais
ce qu'ils ont toujours proscrit et
censuré.
Nous ne suivrons pas cet auteur
dans SCS déclamations contre les
vœux, contre l'état monastique,
contre les couvents de religieuses,
contre les superstitions portées
dans le Nord par les missionnaires
dans le neuvième siècle et les sui-
vants ; ces invectives , copiées d'a-
près les protestants , et rebattues
it74 GEL
par les incrédules , seront réfutées
chacune dans leur place. Quant
aux mœurs du clergé dans les bas
siècles, et aux scandales qui ont
affligé l'Eglise , ces désordres n'ont
eu lieu qu'après la chute de la mai-
son de Charlemagne, et après la
révolution qui bouleversa les gou-
vernements dans nos contrées. Les
seigneurs, toujours armés, s'em-
f tarèrent des bénéfices , en firent
cur patrimoine , y placèrent leurs
enfants etleurs protégés, ces intrus
ne pouvoient manquer d'avoir tous
les vices de leurs patrons ; la simo-
nie et le concubinage allèrent tou-
jours de compagnie; Mosheim et
d'autres protestants l'ont remar-
qué aussi-bien que nous. En géné-
ral , qui sont les prélats qui ont
le plus déshonoré l'Eglise .'' Ceux
qui avoîent eu des enfants légiti-
mes avant leur ordination, ou qui
avoient eu des enfants naturels.
Faut-il renouveler aujourd'hui les
desordres qu'ils ont causés? Il est
faux que le mariage permis aux
ministres de la religion , dans les
pays du Nord , y ait rendu les
mœurs plus pures; Bayle a prouvé
le contraire, Uict. Crit. , Ermite,
rem. i , § 3.
Pour ne rien laisser à désirer sur
cette question tant rebattue , il
nous reste à examiner si le change-
ment de discipline sur ce point
produiroit des effets aussi avan-
tageux qu'on le prétend.
Dans les Annales politiques de
1782, n.^ai , il y aune lettre dont
l'auteur se propose de démontrer,
par le calcul , que la suppression
du célibat ecclésiastique et reli-
gieux seroit une fausse politique ,
une puérilité indigne de l'attention
d'un grand législateur , et une in-
novation sans fruit pour la popu-
lation.
La haine, dit-il, la jalousie, la
crédulité , l'enthousiasme réfor-
mateur, la rivalité des philosophes
avec le clergé , ont esagéré jus-
CEL
qu'au ridicule le nombre des ec-
clésiastiques et des moines ; mais
voici le résultat des dénombre-
ments les plus exacts.
Sur plus de dix millions d'habi-
tants , l'Espagne compte cent soi-
xante raille célibataires religieux,
dont un tiers forme le clergé sé-
culier ; c'est un et demi pour cent
de la génération complète. En
Italie, il y a quatorze millions et
demi d'individus , et deux cent
quatre-vingt mille ecclésiastiques;
ce sont deux hommes par cent sur
la totalité des habitants : mais
plus de la moitié d'entre eux se
trouvent dans le royaume de Na-
ples et dans les états du pape ; le
reste de l'Italie ne suppose qu'un
soixante- quinzième ou environ
de sujets voués à la religion.
Il faut observer que l'Italie a peu
de grandes villes qui absorbent la
population ; elle n'entretient point
d'armées ni de marine militaire.
Un climat doux , un sol fertile , en
dimijiuant les besoins, augmentent
les subsistances.
Les derxiiei's calculs faits sous
l'administration de M. Necker ont
porté la population de la France
à vingt-trois millions cinq cent
mille habitants ; en y supposant
deux cent mille célibataires reli-
gieux , comme l'ont fait les plus
grands exagérateurs, c'est moins
d'un centième de la nation.
Il y a plus. Sur le total de six
millions et plus de deux cent mille
femmes propres au mariage , il y
en a un million et quarante mille
qui ne sont pas mariées , et on ne
peut compter que soixante et dix
mille religieuses, c'est le quinzième
des femmes célibataires. Sur la to-
talité des hommes, on doit en com-
pter au moins un million qui pour-
roientêtremariés et ne le sont pas;
sur ce million il n'y en a qu'envi-
ron cent trente mille ecclésiasti-
ques ou religieux , ce n'est que le
dixième.
ci:i.
Rendez au nioiulc , coiiliiiuc
rauteiir, tous les hommes ciiler-
«lés dans les nioiiaslcres , ce sera
floixanle niillelcélibalaires de moins
sur un million. Mais tous n'auront
pas les facultés , le penchant , la
fortune , la vocation , nécessaires
au lien conjugal. Les cadets de la-
mille , les vieillards, les infirmes,
ceux qui préféreront la liberté et
l'indépendance du célibat au joug
du mariage , etc. , sont à retran-
cher, et c'est au moins une moi-
tié. Vous gagnerez donc , sur un
million d'habitants, environ trente
mille sujets , sur lesquels la mort ,
la pauvreté, l'abstinence forcée,
prendront leurs tributs : voilà à
quoi se réduisent les romanesques
visions des déclamateurs.
La seule capitale renferme plus
de domestiques qu'il n'y a de re-
ligieux dans tout le royaume ; le
nombre de ces esclaves du luxe ,
dans toute l'étendue de laFrance, est
un douzième de la population.
Aux serviteurs, le mariage est in-
terdit comme nuisible à l'intérêt
des maîtres : dans les femmes, on
tolère le libertinage , et non la fé-
condité légitime. Le célibat forcé
des domestiques est un foyer de
désordres, celui des ecclésiastiques
est contraint dans ses penchants
par la sainteté de son institut, par
la crainte de la honte, par l'hon-
neur du corps : un religieux a de-
vant lui dix exemples de vertu pour
un de dépravation.
Deux cent cinquante mille sol-
dats ou matelots sont enlevés sur
la population , et l'on choisit les
individus les plus capables des
services civils. La débauche, les
maladies honteuses, empoisonnent
les armées , tandis que la désertion
les diminue.
Comptez les mendiants, les em-
ployés des fermes, les rentiers, les
journaliers , la nuée des gens de
lettres, mais surtout les pViiloso-
phcs : i'e.<prit philosopliique, <iui
CEL ^75
n'est autre chose «[ue l'esprit il'é-
goïsme , fut toujours antipathique
du mariage. Voyez nos mœurs, nos
capitales , nos ménages , observez
le luxe dans ses gigantesques pro-
grès, le concubinage impossible à
réprimer, la puissance maritale et
paternellede jour en jour plus re-
lâchée et plus insupportable, le
ton et la conduite des femmes ;
llattez-vous ensuite que la propa-
gation de l'espèce va couvrii* la
terre , lorsque cinquante mille
moines auront renoncé au vœu du
célibat.
Il existe dans le royaume deux
fois autant de prostituées que de
religieuses : lesquelles sont les plus
funestes à la population ? Depuis
1766 jusqu'en lyyS , le nombre des
enfants trouvés à Paris est aug-
menté d'un tiers.
La noblesse des villes produit
peu de mariages , et encore moins
d'enfants ; nos lois et nos usages
ont condamné les cadets à l'indi-
gence et au célibat: les monastères
ou les ordres sont donc une res-
source pour la noblesse des deux
sexes; ils reci'eillent les célibatai-
res produits par le désordre de la
société , mais ils ne les engendrent
pas.
11 vaudroit donc mieux réduire
notre état militaire , renvoyer la
moitié des gens de livrée dans les
campagnes, avoir deux tiers moins
d'avocats, de procurcui's , d'offi-
ces de finance , d'huissiers, d'au-
teurs , etc. , et conserver les moi-
nes.
Cela est impraticable, sans dou-
te: et c'est là le mot de tous les
beaux plans de réforme qu'on nous
étale dans les livres , et que l'on
prône dans les nouvelles publi-
ques. Nous chérissons nos vices ,
et nous en indiquons le remède.
On déclame contre le luxe , lors-
que le luxe ne peut plus être ré-
primé; on disserte sur l'éducation
lorsque l'abus de la société efface
476 CKL
tle plus en plus les caractères ; on
peuple les états dans des brochu-
res, sans observer l'action irrésis-
tible des mœurs et des usaf;es sur
les vraies sources de la population.
L'auteur dos RccJierches philoso-
phiques sur le célibat , s'écrie :
« Voyez les états protestants , ils
» f'otirmillent de bras , et la calho-
» licite de déserts. » Vingt autres
ont lait celle comparaison.
Mais enSuisse, lepluspeuplédes
cantons est celui de Soleure,et il
est catholique ; il a des ecclésiasti-
ques , des moines etdesreligieuses;
si la Sicile est pleine de masures,
c'cstl'efFet du gouvernement féodal,
le plus atroce et le plus destructeur
qu'ait inventé l'usurpation. Les
Pays-Bas catholiques , les riches
républiques d'Italie, ctoient- elles
dépeuplées dans le quinzième et le
seizième siècle ?A voient-elles moins
de prospérité que la Hollande! La
Prusse est-elle plus féconde en ha-
bitants que le Palatinat, et la Suède
que la Lombardie? La fertilité du
sol, la position topographique et
le gouvernement , ont une toute
autre force que les couvents.
Réformer et non pas détruire,
telle doit être la maxime de tout
homme qui spécule en politique.
Changez des asiles inutiles en hos-
pices de la pauvreté, de l'âge , de
la douleur , du repentir et de l'ab-
négation , la société pourra y ga-
gner, maisnonsa population. L'a-
, mour du paradoxe n'inspire point
cette opinion ; quand on se défend
avec des chiffres, on ne peut guère
être soupçonné d'imposture.
Il nousparoît que cet auteur ne
craint pas d'être réfuté ; s'il se
trompe , il est très à propos de
démontrer son erreur.
I/auteur de l'article célibat dans
le Dictionnaire de Jurisprudence , a
copié les diatribes de l'abbé de
Saint-Pierre , placées dans l'an-
cienne Encyclopédie ^ et il y a joint
ce que les protestants ont dit dans
CEL
celle d'Yvcrdun. Nous ne pouvons
nous dispenser de révéler quel-
ques-unes des contradictions de cet
article.
Après avoir soutenu que le céli-
bat étoit proscrit chez les Juifs en
vertu de la prétendue loi , croisses
et multipliez , on nous assure qu'E-
lie, Elisée, Daniel et ses trois com-
pagnons , vécurent dans la conti-
nence. Voilà donc des prophètes,
des amis de Dieu , qui ont violé
publiquement la loi de Dieu por-
tée dès la création. L'on nous
vante les lois que les Grecs et les
Romains avoient faites contre h
célibat, l'espèce d'infamie dont ils
l'avoient noté, les privilèges qu'ils
accordoientaux personnes mariées;
cependant l'on nous fait observei
que tous les peuples ont attaché unt
idée de sainteté et de perfection
la continence observée par niotil
de religion; il n'est donc pas vra
que toute espèce de célibat ait ét<
notée d'infamie. D'un côté l'ondi
qu'il n'y a guère d'hommes à qu
le célibat ne soit difficile à obser-
ver, que les célibataires doiven
être trrs,les et mélancoliques ; di
l'autre, on cite une harangue di
Métellus Numidicus, adi-essée ai
peuple romain , dans laquelle i
avoue que c'est un malheur de n
pouvoir se passer des femmes; (jui
la nature a établi qu'on ne peu
guère vivre heureux avec elles
Pour être heureux, il faudroitdom
n'être ni marié ni célibataire. Ui
de ces oracles dit que , dans L
christianisme, la loi du célibat
pour les ecclésiastiques , est auss
ancienne que l'Eglise, que Dieu 1';
jugé nécessaire pour approche
plus dignement de ses autels ; ui
autre prétend que le célibat n'étoi
que de conseil , et <jue , malgré ci
qu'en a pensé le concile de Trente
la qiiestion «[ue nous examinon
est purement politique. Dans 1;
même page on lit qu'en Occiden
\c célibat étoit prescrit aux clerc»
CFJ.
»l qu'il éloil libre dans TF^lisp la-
tine; il laul donc que celle-ci ne
soit pas la même que l'Eglise d'Oc-
cident.
Ce que disoit l'aLbé de Saint-
Pierre, que les ministres protes-
tants sont aussi respectés du peu-
ple que les prêtres catholiques*
est absolument faux. Il est cer-
tain, par cent exemples , que les
protestants sensés , même les
souverains , ont toujours témoi-
gné, plus de respect pour les prê-
tres catholiques, dont ils connois-
soient les mœurs, que pour leurs
propres Tninistres ; on sait d'ail-
leurs qu'en Angleterre le bas cler-
gé est très-méprisé. Londres^ t. 2,
p. 241.
Nous n'avons garde de blâmer
ce qui est dit dans cet article con-
tre le célibat volontaire ou forcé
des séculiers ; mais les moyens nue
l'on propose pour y remédier sont
à peu prés impraticables, et ceux
que l'abbé de Saint-Pierre avoil
rêvés pour prévenir les inconvé-
nients du mariage des prêtres, sont
absurdes.
Les ennemis du célibat ecclésias-
tique et religieux n'ont donc épar-
gné, pour l'atlacjuer, ni les con-
tradictions, ni les impostures; en
voici encore un exemple récent.
Dans le Journal Encyclopédique
du i5 mars 1786 , pag. Bog , on a
placé une lettre d'^Enéas Sylvius ,
qui devint pape sous le nom de
Pie II, l'an i458, dans laquelle on
prétend qu'il a justifié le liberti-
nage de sa jeunesse , et dans la-
quelle il s'élève con re le célibat des
prêtres ; c'est la i5.* du recueil
de ses lettres. Mais dans T Année
littéraire de cette même année ,
n.° 1 5 , un savant a prouvé, i ." que
le journaliste a traduit infidèle-
ment la lettre d'JLnéas Sylvius, et
qu'il y a mis du sien les deux phra-
ses les plus fortes contre \c célibat
des prêtres. 2.° Que celle i5.* let-
tre a été écrite dans la jeunesse de
Fauteur, long- temps avant qu'il
fût engagé dans les ordres sacrés.
3.^ Que pendant son pontifient il
a désavoue et rétracté ce qu'il avoit
écrit autrefois dans reffervescence
des passions Dans sa lettre 3cj5 ,
adressée à Charles Cyprianus , il
dit : Méprisez et rejetez , n mortels ,
ce que nous avons écrit dans notre
jeunesse au sujet deV amour profane;
suivez, ce que nous vous disons à pré-
sent. Croyez-en un vieillard plutôt
qu un jeune homme , un pontife plu-
tôt quun simple particulier , Pie II
plutôt quMnéas Sylvius. 4-° Que
Flaccus Illyricus , sur la foi de
Platine et de Sabellicus, attribue
mal à propos à ce pape la maxime
suivante , savoir : que le mariage
a été interdit aux prêtres pour de
bonnes raisons, mais quil y en a
de meilleures pour le leur rendre.
11 est démontré au contraire qu'il
n'y en a aucune de toucher à l'an-
cienne discipline , et que toutes
sortes de raisons engagent a la con-
server. Voyez Virginité.
CÉLICOLES. Voyez Cœlicoles.
CELLITES , nom d'une congré-
gation de religieux hospitaliers ,
qui ont des maisons en Alleniagne
et dans les Pays-Bas. Leur fonda-
teur est un nommé Meccio ; c'est
ce qui les a fait appeler mecciens
en Italie. Ils suivent la règle de
saint Augustin ; leur institut lut
approuvé par Pie II, vers l'an 1 460 ;
mais ils existoient déjà depuis plus
d'un siècle. Ils sont occupés à soi-
gner les malades, particulièrement
ceux qui sont alta([ués de mala-
dies contagieuses , telles que la
peste ; ils gardent et servent les
insensés , enterrent les morts, etc.
Us ont beaucoup de rapport aux
frères de la charité.
Ainsi l'on n'a pas atlendu au
dix-septième siècle pour faire , par
motif de religion , des établisse-
ments utiles à l'humanilé. Parmi
it78 GEL
un grand nombre d'insliluls, dont
nous ne voyons plus la nécessité,
parce que les raisons qui les ont
fait établir ne subsistent plus , il
en est dont les services continuent
toujours, et dureront aussi long-
temps que l'on voudra se donner
la peine de les proléger et de les
favoriser.
C'a été un trait de malignité de
la part de Mosheim , de dire que
l'institut des celliies se forma, parce
que les ecclésiastiques du quator-
zième siècle ne prenoient aucun
soin des malades ni des moribonds;
il n'a pu prouver cette accusation
par aucun fait ni par aucun mo-
nument. Les vrais motifs de cette
institution furent les ravages énor-
mes de la maladie contagieuse qui
régna l'an i348 et les années sui-
vantes , qui désola l'Italie, l'Es-
pagne , la France , l'Angleterre ,
l'Allemagne et les pays du Nord ,
et qui fut appelée la peste noire ,
et les indulgences que Clément VI
accorda à tous ceux qui donne-
roient aux pestiférés les secours
spirituels ou temporels. Mais pen-
dant que les celliies leur procu-
roient les seconds , qui leur don-
noit les premiers, sinon les prêtres
et les religieux ? C'est comme .si
l'on disoit que les frères de la
charité ont été institués l'an iSao
pour soulager les corps, parce que
le^s prêtres négligeoient les âmes,
Mosheim observe que les celliies
furent aussi nommés lollards ; mais
il ne faut pas les confondre avec
plusieurs sectes d'hypocrites , qui
furent ainsi appelés dans la suite.
Voyez Lollards.
CELLULE , diminutif du mot
celle, qui a siguifié autrefois un
lieu lermé, et conséquemment un
monastère. C'est une petite cham-
bre habituée par un religieux ou
par une religieuse , et qui fait
partie d'un couvent. Elle renferme
ordinairement un lit ou un grabat.
GEL
une chaise , une tal>le , quelquej
images et quelques livres de piété:
le reste seroit superflu.
Un religieux qui sait s'occuper
dans sa cellule à prier , à lire , à
méditer, à écrire, à faire quelques
ouvrages des mains, est plus heu-
teux qu'un grand seigneur dans un
vaste appartement. S'il lui arrive
d'entrer dans un de ces palais qui
renl'erment les chefs-d'œuvre des
arts , et des meubles précieux dont
le maître ne se sert jamais, il peut
dire , comme un ancien philo-
sophe : combien de choses dont je
n'ai pas besoin !
Dans la Thébaïde, i! yavoit trois
déserts habités par des solitaires
ou anachorètes , l'un appelé des
cellules , l'autre de la moniagne de
Nitrie, le troisième de S celé ; c'étoit
le plus éloigné du centre de l'E-
gypte il confinoit à la Lybie.
CELSE , philosophe du second
siècle , est célèbre par son ouvrage
contre la religion chrétienne, écrit
vers l'an 170. De nos jours on a
pris la peine de recueillir , dans
saint Cyrille , les fragments des
1 ivres de Julien sur ce même sujet,
et d'en faire un discours suivi ;
nous ne connoissons aucun ou-
vrage de nos adversaires dans le-
quel ils aient fait la même chose à
l'égard de celui de Celse. C'a été
sans doute un tiait de prudence
de leur part ; celui-ci renferme
plusieurs aveux très-favorables au
christianisme , et ils ne peuvent
être suspects. La réfutation qu'O-
rigène a faite des calomnies de
Celse, est le plus important des
ouvrages de ce Père. Il semble sup-^
poser que son adversaire étoit épi-
curien; mais il est plus probable
que c'étoitun éclectique ou nou-
veau platonicien, qui faisoit pro-
fession de n'épouser aucun sys-
tème , et de ne tenir à aucune
école.
Cclsc regarde com.mc une folie lo
»rojet formé par les clirclicns de
oiivcrlir tous les peuples et de les
anger sous Ja iiiènie loi ; il veut
[uc chaque nation conserve sa re-
igion, quelle qu'elle soit. Or\'^. cou-
re Crise, 1. 5,n." ^5 ; 1. 8,n." 72.
klais si la religion «les Egyptiens et
;elle des Juifs étoicnl lausses et
ibsurdes , comme il le soutient,
■es deux peuples auroient-ils eu
ort d'en embrasser une meilleure ;'
î'il avoit vécu plus long-temps,
I auroit vu le projet des cVirétiens
t peu prés exécute ; il auroit été
;onvaincu que chez tous les peu-
)les et dans tous les climats , le
hristiaiiisme a produit les mêmes
ffels et la même révolution dans
es mœurs, comme Origéne le fait
ibserver.
Ce philosophe connoissoit nos
vangiles : il paroît même avoir
u sous les yeux celui de saint
lallhieu ; il en suit sommaire-
lent l'histoire, et il avoit com-
aré les deux généalogies du Sau-
éur, 1. II , n.° 32. Il avoit lu l'an-
icn Testament, du moins le livre
e la Genèse tout entier ,1.4,
." 36 et suiv. II est le premier qui
it accusé Jésus-Christ d'être né
'un commerce illégitime , et il
let ce reproche dans la bouche
'un juif , 1. I , n.° 28. Si cette ca-
)mnie avoit eu quelque fonde-
lent, les Juifs contemporains ne
auroient pas passée sous silence;
s n'auroient pas souffert que Jé-
is enseignât, et se donnât pour
cscendant de David. Cérinthe ,
arpocrate , les ëbionites , ne se
îroient pas obstinés à soutenir
ue Jésus étoi^ né de Joseph et de
[arie; les évangélistes n'auroient
as osé tracer et publier sa généa-
)gie, et Jésus n'auroit trouvé au-
an disciple parmi les Juifs.
Il ne conteste point le massacre
es Innocents, ordonné par Hé-
ade , pour faire périr Jésus en-
int; il n'y oppose qu'un raison-
ement qui ne signifie rien 1 i ,
n.o 58. Si ce fait éclatant et public
n'étoit pas vrai, toute la Judée
auroit pu déposer du contraire.
Qu'oppose-l-il aux miracles de
Jésus -Ch ris t j* C'étoit l'article le
plus important. Il dit que per-
sonne ne les a vus , si ce n'est ses
disciples, et qu'ils les ont beau-
coup exagérés, 1. i , n ° 68. Mais
si Jésus-Christ a laissé sur la terre
au moins cinq cents disciples ,
comme saint Paul nous l'apprend,
ce nombre de témoins nous paroît
assez considérable. I. Cor., c. i5,
f. 6.
II dit que Jésus a opéré ses mi-
racles par la magie, par des en-
chantements, par l'invocation des
démons ou génies; il lui reproche
d'avoir appris la magie en Egypte,
et d'avoir eu ensuite l'orgueil de
se faire passer pour un Dieu, 1. i ,
n.° 6, 28. Il ajoute que plusieurs
autres imposteurs ont fait des mi-
racles semblables; (\ue. Jésus lui-
même a défendu d'y ajouter foi ,
n.° 68. Il accuse aussi en général
les chrétiens de faire usage de la
magie, n.° 6. Mais si les miracles
de Jésus-Christ et de ses disciples
n'étoient pas vrais et incontes-
tables , pourquoi recourir à la
magie i* Il lalloit les nier ferme ,
et s'en tenir là. Il faut que Celse ait
senti que cela n'étoit pas possible ;
que le témoignage constant et uni-
forme des disciples de Jésus, l'aveu
des Juifs, la révolution quis'étoit
ensuivie , étoient des preuves in-
vincibles de la réalité des mi-
racles.
Contre la résurrection du Sau-
veur, il objecte que plusieurs au-
tres imposteurs avoient promis de
ressusciter, ou avoient prétendu
être revenus des enfers ; que Jésus
ressuscité n'avoit été vu de per-
sonne, excepté d'une femme et de
quelques disciples ; qu'ils avoient
rêvé, n'avoient vu qu'un fantôme,
ou avoient forgé ce mensonge. Si
Jésus, njoutoit-il , étoit ressuscité,
iSo
CEL
il devoil se montrer à ses ennemis,
à ses juges , à tout le monde : il
eût encore mieux valu qu'il ne se
laissât pas crucifier, ou qu'il des-
cendît de la croix en présence des
Juifs, 1. 2, n.° 54 et suiv.
Mais Celse pouvoit-il citer l'exem-
ple d'un imposteur , duquel un
grand nombre d'iiommes eussent
jamais dit : Nous l'avons vu mou-
rir, une ville entière l'a vu comme
nous: ensuite nous l'avons vu vi-
vant, nous l'avons touché, nous
avons bu et mangé avec lui, après
sa résurrection , pendant quarante
jours. Où est l'homme , excepté
Jésus, duquel on ait jamais rendu
un pareil témoignage?
Il devoit ne pas se laisser cru-
cifier, ou descendre de la croix ,
ou se montrer à tout le monde ?
Pourquoi le devoit-il? où sont les
raisons qui prouvent ce devoir
prétendu ! Nous soutenons qu'il
ne le devoit pas ; que quand il
l'auroit fait, les incrédules n'en
seroient pas plus touchés que du
miracle de sa résurrection, prouvé
comme il l'est.
Cette résurrection a été publiée,
crue et professée par des milliers
de Juifs , cinquante jours après ,
sur le lieu même où elle est arri-
vée ; Celse n'a pas osé en discon-
venir : donc ses disciples ont so-
lidement prouvé qu'ils n'avoient
ni rêvé , ni menti.
Rien n'est plus absurde que de
rejeter un miracle, parce que Dieu
pouvoit en faire un autre , et de
contester une preuve , parce que
Dieu pouvoit en donner d'autres.
Quoi que Dieu fasse , les incré-
dules sont bien résolus de n'avouer
jamais qu'il a bien fait; et quelques
preuves qu'on leur allègiie, elles
ne suffiront jamais pour vaincre
leur opiniàti^eté. Plusieurs ont dé-
claré que quand ils verroient de
leurs yeux un mort sortir du tom-
beau, ils ne le croiroient pas.
Celse convient que le christia-
CEL
nisme a été prêché , s'est établi , cl
a fait des progrès très - peu de
temps après la mort de Jésus-
Christ,!. 2, n.° 2 et 4 ; que ceux
qui publient sa doctrine lui font
une infinité de disciples, n.° 4*^-
Il avoue qu'il y a parmi les chré-
tiens des hommes vertueux, sages
et intelligents, 1. i , n.° 27. Il ne
leur repioche point d'autre crime
que de s'assembler en secret, contre
la défense des magistrats , de dé-
tester les simulacres et les autels ,
et de blasphémer contre les dieux.
Nous prions les incrédules mo-
dernes d'y faire attention , et de
ne pas pou.sser les calomnies plus
loin que lui.
Tantôt il approuve, et tantôt il
blâme la fermeté des martyrs ; mais
il convient de la cruauté des sup-
plices qu'on leur fait subir, 1. 8,
n.° 39, 43, 4^7 ^^^- C'est cepen-
dant un fait que Ton a osé con-
tester de nos jours. Il distingue la
grande Eglise d'avec les autres
sectes qui se disoient chrétiennes :
il ajoute que ces différentes sectes
se haïssent et se déchirent, 1. 5
n.o 69 et suiv.
C'est justement ce qui prouv*
qu'il n'a pas pu y avoir de collu-
sion entre les premiers sectateui."
du christianisme pour forger de;
faits , pour les publier , pour ci
imposer aux hommes incrédules
Les divisions ont commencé dès îi
temps des apôtres; ils s'en plai-
gnent, et démasquent les faux doc-
teurs ; ils ont donc toujours et»
surveillés par des ennemis atten-
tifs et jaloux, soit juifs, soit païens
même par des philosophes ma
conA'ertis, Mais parnfî ceux qui on
levé l'étendard contre les apôtres
aucun ne les a jamais accusés d'à
voir forgé , déguisé , dénaturé le
faits de l'Evangile. Si les faits son
vrais, le christianisme est invin
ciblement prouvé.
Il n'est pas aisé de démêler quel;
éloient les sentiments de Celse tou
CEL
chant la Divinité ; sa philosophie
est un chaos inintelligible , et son
ouvrage un tissu de contradictions.
Quelquefois il semble admettre la
providence, d'autres fois il la nie;
il joint à l'épicuréismc le dogme <lc
la fatalité ; il croit que les animaux
sont d'une nature supérieure à
colle de l'homme. Il n'exige point
que l'on rende un culte à Dieu ,
créateur et gouverneur du monde,
mais seulement aux génies ou aux
dieux des païens; il vante les ora-
cles, la divination, les prétendus
prodiges du paganisme. Tantôt il
semble approuver , et tantôt il
blâme le culte des simulacres ou
des idoles. A proprement parler,
il ne savoit pas lui-même ce qu'il
croyoit ou ne croyoit pas. C'est
assez la philosophie de la plupart
des incrédules ; ils se ressemblent
dans tous les siècles.
La plupart des reproches qu'il
fait aux chrétiens en général , ne
pouvoient tomber que sur lesgnos-
tiques , qu'il confondoitmal à pro-
pos avec les véritables chrétiens.
L'exactitude avec laquelle Ori-
géne rapporte les propres paroles
de Celse, prouve que nos anciens
apologistes n'ont cherché ni àsup-
primer les ouvrages de leurs ad-
versaires, ni à déguiser leurs ob-
jections, ni à les rendre odieux.
Sans les livres d'Origénc, qui sau-
roit aujourd'hui ce que Celse a
écrit 1* Ce philosophe étoit très-
voisin des faits , puisqu'il a vécu
au milieu du second siècle, cin-
quante ou soixante ans seulement
après la mort du dernier des apô-
tres. Il pouvoit consulter les juifs ,
vérifier si les disciples de Jésus-
Christ avoient été des imposteurs.
11 dit qu'il connoît parfaitement
le christianisme , qu'il s'est infor-
mé de tout; il fait même parler un
jiiif; cependant il n'oppose aux
chrétiens, ni aucun fait décisif,
ni, aucun témoignage contradic-
toire au leur, ni aucun argument
I.
CEN 48 1
fort redoutable. S'il y avoitcu de
l'imposture de leur part, il scroit
incroyable que Cclsc ne l'eût pas
démasquée. Tout considéré , sou
ouvrage est un des monuments les
plus honorables et les plus avan-
tageux à notre religion. Si l'on
veut voir un extrait plus exact des
objections de Cclsc. et des répon-
ses d'Origène , on le trouvera dans
le Traité liistorique ci dogmatique de
la vraie Religion , t. lO, 2.^ édit.
CÉNACLE. Notre Sauveur , la
veille de sa passion, dit à ses dis-
ciples d'aller préparer le souper
de la pâque à Jérusalem ; qu'ils y
trouveroient un ce/2ac/e tout prêt ,
c'est-à-dire, une salle à manger ,
avec les tables et les lits sur les-
quels on se plaçoit pour manger.
Dans les siècles postérieurs, on a
montré à Jérusalem une salle qui
fut changée en église par l'impé-
ratrice Hélène , où l'on préten-
doit que notre Sauveur avoit fait
son dernier souper, et avoit insti-
tué l'eucharistie ; mais il y a lieu de
douter que cette salle ait été ga-
rantie de la ruine de Jérusalem ,
lorsque cette ville fut prise par
les Romains; on pouvait tout au
plus connoître, par tradition , le
sol sur lequel le cénacle avoit été
placé.
Mais le respect que l'on eut pour
le lieu dans lequel on croyoit que
Jésus-Christ avoit institué l'eu-
charistie, prouve assez la haute
idée que l'on avoit conçue de cette
action de Notre-Seigneur. Si Ton
avoit envisagé pour lors la der-
nière cène du même œil que les
protestants , on ne se seroit pas
avisé de changer le cénacle en
église.
CENDRE. Le mercredi des Cen-
dres est actuellement le premier
jour de carême. II est probable
qu'il a été ainsi nommé , à cause
de l'usage dans lequel étoient lespé-
3i
^8a CEN
nitents , dans les premiers siècles ,
de se présenter ce jour-là à la
porte de l'église, revêtus de cilices
et couverts de cendres.
Mais quel rapport y a-t-il entre
la cendre et la pénitence? C'est un
monument des anciennes mœurs.
Se laver le corps et les habits , se
parfumer la tête, étoit le symbole
de la joie et de la prospérité : au
contraire, la marque d'une dou-
leur profonde étoit de se rouler
dans la poussière, et d'y demeurer
couché. Cela se voit encore quel-
<juefois parmi le peuple des cam-
pagnes, qui se livre violemment
aux impulsions de la nature. Un
homme qui se montroit avec le
corps, les cheveux et les habits
couverts de poussière, annonçoit,
par cet extérieur négligé, le deuil
et l'afiliction. I^es exemples en sont
fréquents dans l'Ecriture sainte;
Job, l'histoire des rois, les pro-
phètes, l'Evangile même en parlent.
David, pour exprimer une dou-
leur amère , dit qu'il mangeoit la
cendre comme le pain , ou plutôt
avec le pain. Psaïin. loi , y' lo.
Gomme les anciens cuisnient leur
pain sous la cendre, ne pas se
donner la peine de secouer la cen-
dre dont le pain étoit couvert,
étoit une marque d'aflliction.
Aujourd'hui, dans l'Eglise ro-
maine, le jour des Cendres, le cé-
lébrant , après avoir récité les
psaumes pénitentiaux et d'autres
prières , bénit des cendres , en ira-
pose sur la tête du clergé et du
peuple, qui les reçoit à genoux,
et à chaque personne à laquelle il
en donne, il adresse ces paroles :
Homme , souviens - toi que tu es
l'oussicre, et que tu y retourneras.
C'est la sentence terrible que Dieu
prononça contre le premier pé-
cheur. Gen., c. 3, "^ . 19. Lorsque
la coutume de brûler les morts
subsistoit , un peu de cendre ti-
rée du bûcher et appliquée sur
le front d'un homme, étoit un
CEN
sytnbolc encore plus énergique;
c'étoit un arrêt de mort encore
plus sensible.
Superstition! disent les protes-
tants; nionierie des préires ! s'écrient
les philosophes. Nous leur répli-
quons : Vous ne savez pas seule-
ment ce que signifie le rit que
vous blâmez. Dans la bénédiction
des cendres, l'Eglise prie Dieu d'in-
spirer des sentiments de pénitence
à ceux qui les recevront , et de
leur pardonner leurs péchés ; le
fidèle qui se présente , vient rati-
fier pour lui-même cette prière de
l'Eglise, se frapper de l'image de
la mort , afin de se détacher du pé-
ché. Où est la superstition ? Re-
trancher du culte religieux les
symboles les plus naturels et les
plus expressifs, c'est étouffer tout
à la fois la religion et la nature.
CENE, souper, du latin cœna,
et du grecxocvïj, repas commun
d'une famille rassemblée. Pourquoi
les anciens ont-ils donné ce nom
au repas du soir, plutôt qu'à celui
du matin, ou à celui du milieu du
jour? Parce que la famille d'un
laboureur est dispersée pendant
tout le jour pour les travaux de l'a-
griculture , elle prend ses repas au
hasard et dans la campagne, elle
ne se rassemble que le soir : c'est
le souper qiii la réunit.
Le nom de cène a été spéciale-'
ment donné au dernier souper que
fit Jé^us-Christ avec ses apôtres
rassemblés la veille de sa mort,
dans lequel il mangea la pàque avec
eux ,et après lequel il institua l'eu-
charistie ; l'Eglise en célèbre la mé-
moire le jeudi-saint. Pour nous
remettre sous les yeux l'humilité
de Jésus-Christ qui , après la cène,
lava les pieds kses apôtres, il est
d'usage dans chaque église de laver
les pieds à douze pauvres. Nos
rois renouvellent aussi celte cé.ré>
monie touchante et majestueuse ,
et c'est ce que l'on appelle/âire/a
cène. Après un sermon convenaMc
:iu sujet, et après l'absoute faite
[)3r un évcque , le roi , accompagne
(les princes «lu sang et des grands
officiers de la couronne, lave et
l«aise les pieds à douze pauvres,
les sert à table, et leur fait une
aumône. Après midi la reine fait
de même à douze pauvres filles.
C'est une question parmi les
théologiens et les commentateurs
de l'Ecriture sainte , de savoir si
dans la dernière cène Jésus-Christ
mangea la pàque avec ses apôtres;
quelques auteurs modernes ont
.soutenu qu'il ne la mangea point:
nous prouverons le contraire au
mot Paque.
Lorsque les protestants ont
donné le nom de cène à la manière
dont ils célèbrent l'institution de
l'eucharistie , ils se sont écartes de
l'ancien usage de l'Eglise , et ont
abusé du terme par nécessité de
système. Ils ont voulu donner à
t'n tendre par-là que toute l'essence
du sacrement consiste dans le re-
])as religieux que font les fidèles
en communiant ; mais toute l'an-
tiquité dépose contre eux. Dès le
premier siècle de l'Eglise , l'usage
a été de nommer cucharisiie l'ac-
tion de consacrer le pain et le vin ,
«l d'en faire le corps et le sang du
Seigneur. Aucun des anciens Pères
de l'Eglise ne s'est avisé d'appeler
cette action la cène ou le souper
du Seigneur. Cette cène étoit finie,
lorsque Jésus-Christ consacra l'eu-
«haristie pour la donner aux apô-
tres. Luc, c. 22,y. 20; I. Cor.,
c. 11,^. 25. Il est absurde de re-
garder l'action des apôtres , et non
telle de Jésus-Christ , comme la
partie essentielle et principale de
la cérémonie. Voyez Eucharistie ,
CÉNOBITE , religieux qui vit
d.ins une communauté, sous une
règle commune, avec d'autres re-
ligieux ; ce mot vient de xoivo; ,
ClilN
483
commun ; et defî5oç, vie. Un céno-
bite est ainsi distingué d'un ermite
ou d'un anachorète qui vit dans
la solituJe.
L'abbé Piammon parle de trois
espècesde moines qui sctrouvoient
en Egypte dans la Thébaïde; sa-
voir , les cénobites qui vivoient
rassemblés en communauté ; les
anachorètes, quideraeuroientseuls,
et les sarabàites , qui étoicnt va-
gabonds; ces derniers ont tou-
jours été regardés comme de faux
moines. 11 rapporte au temps des
apôtres l'institution des cénobites:
c'est, selon lui, une imitation de
la vie commune des fidèles de Jé-
rusalem ; mais ces fidèles étoient
des gens mariés qui n'avoient pas
renoncé au monde. Saint Pacôrae
passe pour le premier instituteur
delà vie cénobitique, parce qu'il
est le premier qui ait formé des
communautés réglées. Avant lui ,
les moines étoient anachorètes ou
solitaires. On prétend cependant
que saint Antoine avoit bâti un
monastère vingt ans plus tôt que
saint Pacôme ; mais celui-ci est le
premier qui ait écrit une règle mo-
nastique.
Dans le code théodosien ,1. 11 ,
tit. 3o, De Appellat. Leg., 87, les
cénobites sont appelés synoditœ , à
la lettre , gens qui marchent en-
semble, qui suivent le même che-
min; ce ne sont donc pas les do-
mestiques des moines, comme i'ojit
imaginé quelques glossatcurs,mais
les cénobites. Bingham , Orig. eccl. ,
tom. 3 , 1. 7 , c. 2 , § 3,
Quelques écrivains modernes ,
qui ont considéré les cénobites sous
un aspect purement politique, ont
conclu qu'il est de l'intérêt public
de faire subsister un grand nombre
d'hommes à moins de frais qu'il
est possible, que la vie commune
est beauco\ip moins dispendieuse
pour chaque individu, que la vie
particulière ; qu'à cet égard les
couvents sont un moyen d'écono-
3i.
4S4
CEN
mie : rexpérieiice confirme cette
observation. Pour nous, qui ne
devons envisager cet objet que du
côté des mœurs, nous pensons que
plusieurs hommes rasseniblés, qui
vivent sous une règle commune et
sont assujctis aux mêmes devoirs,
ont dans l'exemple de leurs frères
un puissant moyen de plus pour
se soutenir dans la vertu ; que
malgré les censures lancées par la
malignité contre ce genre de vie ,
il est utile et louable à tous égards.
Fb/ea Moine , état monastioue.
CENSURES ECCLÉSIAS-
TIQUES. Ce sont les peines que
l'Eglise inflige à ceux qui ont dés-
obéi à ses lois. Puisqu'en vertu de
l'institution de Jésus-Christ , les
pasteurs de l'Eglise ont droit de
faire des lois , ils ont aussi le pou-
voir d'infliger des peines , de re-
trancher aux chrétiens réfractaires
les biens spirituels , qui sont ac-
cordés aux fidèles soumis et do-
ciles. Voyez Lois ecclésiastiques.
Mais comme l'autorité de l'Eglise
est celle d'une mère tendre , elle
ne se ré.<!Out à punir que pour des
cas graves , et après avoir taché
d'intimider par des menaces ses
enfants désobéissants.
On distingue trois espèces de
censures , Y excommunication , la
suspense, V interdit. Voyez ces mois
en particulier. Il y a des censures
réservées, et d'autres non réser-
vées ; tout prêtre approuvé peut
absoudre des secondes , et non des
premières , pour lesquelles il faut
un pouvoir spécial du supérieur
ecclésiastique qui les a portées.
Dans le tribunal de la pénitence,
le prêtre, avant d'absoudre le pé-
nitent de ses péchés , l'absout des
tensures non réservées qu'il pour-
roit avoir encourues. Voyez Van-
cien Sacramentaire^iiTGranàcolas,
i." partie, p. 554-
Il se peut faire que dans les siè-
cleâ peu éclairés , lorsque les peu-
CEN
pics ne pouvoient être retenus que
par la crainte, les supérieurs ec-
clésiastiques aient quelquefois abu-
sé des censures , surtout en les
employant pour des intérêts pure-
ment civils , ou pour des cas qui
n'étoient pas assez graves ; mais
cet abus n'est pas une raison de
contester à l'Eglise le pouvoir que
Jésus-Christ lui a donné , pouvoir
nécessaire pour conserver la dis-
cipline ecclésiastique.
Censure be livres ou de doc-
trine. L'Eglise, qui a reçu de Jé-
sus-Christ la commission et l'au-
torité d'enseigner les fidèles , a
conséquemmcnt le droit de con-
damner tout ce qui est contraire
à la vérité et à la doctrine de son
divin maître. Si elle se bornoit à
donner à ses enfants les livres
propres à les instruire , sans leur
ôter ceux qui peuvent les égarer,
elle ne rempliroit que la moitié de
son objet. Tout homme qui publie
des écrits est donc soumis à la
censure de l'Eglise , et s'il refuse de
s'y conformer, il est coupable de
désobéissance à l'autorité légitime.
Dès qu'un ouvrage quelconque est
condamne comme pernicieux , il
n'est plus permis de le lire, ni de
le garder; s'obstiner à en faire l'a-
pologie, c'est se révolter sans raison
contre l'autorité de Jésus -Christ
même.
Depuis que les livres sont mul-
tipliés à l'infini , aucun ouvrage
particulier de doctrine, de morale
ou de piété, n'est absolument né-
cessaire aux fidèles ; dès qu'il est
condamné , il ne peut plus leur
être utile.
Sous le nom de censure , on n'en-
tend pas ordinairement la con-
damnation d'une doctrine portée
dans un concile , mais celle qui a
été faite , soit par le souverain
pontife, so't par un ou plusieurs
évêques, soit par des théologiens;
l'on appelle quall/ications les notes
qu'ils ont imprimées aux propo-
CEN
sitions qui leur ont paru réprc-
liensiblcs, soit qu'ilsaiciit appliqué
lUstiuctemcnt ces notes à chaque
proposition en particulier , soit
«ju'ils les aient censurées seulement
iMî général ou in globo.
Une proposition peut être con-
ilamnée comme impie , blasphéma-
toire, hérétique, sentant l'hérésie,
erronée, fausse, scandaleuse, cap-
tieuse, téméraire, danf^ereuse, mal
sonnante , offensive des oreilles
j»ieuses ; il est à propos de donner
une idée nette et précise de chacune
de ces qualifications.
Une doctrine ou une proposition
est impie et blasphématoire , lors-
qu'elle attribue à Dieu des qualités
ou une conduite qui déroge à ses
infinies perfections : telle est celle
qui exprime que Dieu est l'auteur
du péché, conduite contraire à la
sainteté de Dieu et à sa justice.
Cette note est la plus flétrissante
que l'on puisse imprimer à une pro-
position ; elle donne lieu de juger
que l'auteur a méconnu une vérité
non-seulement révélée, mais dictée
par la droite raison , et qu'il a per-
du tout sentiment de respect pour
la Divinité.
La doctrine hérétique est celle
qui est directement contraire à une
«lécision formelle de l'Eglise. II peut
arriver à un écrivain quelconque
de contredire une vérité révélée ,
sans tomber dans l'hérésie , lorsque
l'Eglise n'a pas encore expressé-
ment décidé que tel est le sens de
la révélation ; mais lorsque l'Eglise
a prononcé, il y a de l'opiniâtreté,
et c'est une hérésie de résister à sa
décision.
Quandon dit qu'une proposition
sertt Vhérésie , ou approche de V hé-
résie, on entend qu'elle donne lieu
de juger que l'auteur nie et veut
combattre un dogme décidé par
l'Eglise. Si un théologien soutenoit
que l'eucharistie n'est que la figure
<lu corpsetdu sang de Jésus-Christ,
cette proposition scroit hérétique ,
CT:N 485
puisque l'Eglise a solennellement
décidé la présence réelle de Jésus-
Christ dans l'eucharistie. S'il se
bornoità dire que c'est la figure ou
le signe du corps et du sang de Jé-
sus-Christ, sans faire entendre que
c'est quelque chose de plus, cette
laçon de parler scntiroit l'hérésie;
elle feroit soupçonner que l'auteur
n'admet pas la présence réelle , a
moins que dans le reste de son ou-
vrage il n'eut professé distincte-
ment cet article de notre foi.
Lorsqu'une proposition est flé-
trie comme erronée, il semble que
c'est quelque chose de plus que si
elle étoit condamnée comme/aiisse.
Une fausseté peut être sans consé-
quence, lorsqu'il n'en résulte rien
contre la foi ni contre les mœurs ;
mais on appelle erreur une fausseté
qui attaque l'une ou l'autre. Cepen-
dant toute erreur n'est pas une hé-
résie formelle. Il est faux , par
exemple , que saint Pierre n'ait pas
été à Rome : mais on ne taxeroit pas
d'hérésie un homme qui se borne-
roit à contester ce fait. S'il affir-
moit que le souverain pontife n'est
pas le successeur de saint Pierre ,
ce seroit une doctrine erronée , de
laquelle il s'ensuivroit que le sou-
verain pontife n'est pas le chef vi-
sible de l'Eglise. Or cette dernière
proposition sentiroit l'hérésie ,
parce que c'en est une de soutenir
qu'il n'a pas un pouvoir de juridic-
tion sur toute l'Eglise ; le contraire
estformellement décidé par le con-
cile de Trente.
Une doctrine est scandaleuse ou
pernicieuse au salut des âmes, lors-
qu'elle tend à diminuer dans les
fidèles l'horreur du péché, le res-
pect pour les choses saintes , la sou-
mission à l'Eglise; une proposition
fausse en fait de morale est ordi-
nairement dans ce cas. On doit
regarder comme scandaleux des
éloges prodigués par certains écri-
vains aux hérétiques et aux enne-
mis de l'Eglise, dons le dessein de
485 CEN
persuader qu'ils ont été condam-
nés mal à propos , que leur doc-
trine étoit vraie et innocente; af-
fectation très-commune chez nos
auteurs modernes.
Lorsqu'une opinion est contraire
a u sen ti men t du très-grand nombre
des théologiens, et à la croyance
commune des fidèles , qu'elle n'est
fondée que sur des conjectures et
sur des raisonnements tres-peu so-
lides elle est téméraire ; c'est la
note que mériteroit un écrivain qui
otlaqueroit la conception immacu-
lée de la sainte Vierge. Sa doctrine
ofenseroit encore les oreilles pieu-
ses , parce que tout chrétien qui
fait' profession de piété , honore
singulièrement la mère de Dieu ,
et ne peut souffrir que l'on attaque
ses augustes privilèges.
On appelle doctrine dangereuse
celle dont les hérétiques peuvent
abuser pour soutenir leurs erreurs:
mais ce qui est dangereux dans un
temps peut cesser de l'être ; ainsi
le mot consubstanitel fut rejeté par
un concile d'Anliochc , parce que
les partisans de Sabellius en abu-
soient pour confondre les Person-
nes divines et les réduire à une
seule;maislorsquece danger n'exis-
ta plus, le concile deNicée consa-
cra ce même terme pour exprimer
la divinité de Jésus-Christ.
Si une proposition exprime une
▼érité en termes durs, indécents ,
capables de la rendre odieuse, elle
est notée comme mal sonnante.
Lorsqu'un théologien dit que la
^râce a manqué à saint Pierre, il
donne à entendre que toute grâce
lui a manqué , ce qui est faux. Saint
Pierre a manqué d'une grâce effi-
cace, et non d'une grâce suffisante;
autrement sa chute n'auroit été ni
libre , ni imputable à péché. Par la
même raison , cette même proposi-
tion est captieuse , parce que, sous
des termes que l'on peut prendre
en bonne part, elle cache le venin
de l'erreur. Holdcn , de résolut.
CEN 1
fidei , 1- 2 , c. 8 , lect. i ; Canus ,
de locis Theol. , 1. i2 , c. lo.
Dans notre siècle , on a sérieu-
sement mis en question si le sou-
verain pontife et l'Eglise peuvent
condamner un nombre de propo-
sitions in globo , comme respective-
ment fausses , scandaleuses , héré-
tiques , etc. , sans appliquer à
chacune en particulier la note ou
la qualification qui lui convient.
On disoit, Que nous apprend une
pareille condamnation ? Elle nous
apprend qu'il n'est aucune des pro-
positions comprises dans la censure
qui ne mérite quelqu'une des notes
ou qualifications qui leur sont don-
nées en général ; par conséquent ,
qu'il n'est permis d'en soutenir au-
cune telle qu'elle se trouve dans le
livre condamné ; elle nous apprend
que la lecture de ce livre est per-
nicieuse aux fidèles, et n'est plus
permise à aucun. Qu'importe au
simple fidèle de savoir si telle pro-
position est hérétique , ou seule-
ment erronée et fausse ? Quand elle
ne seroit que mal sonnante ou cap-
lieuse, n'en est-ce pas assez pour
qu'il faille s'en abstenir? C'est l'af-
faire des théologiens de voir en
quels termes chacune doit être,
notée.
Il est très à propos sans doute de
recommander l'équité, la modé-
ration , le désintéressement, l'in-
dulgence, la timidité même , aux
théologiens chargés de censurer
des livres ; il faut les prier de se ,
souvenir que dans cette circon-
stance ils sont juges et non dispu-
teurs ; qu'ils doivent renoncer à
tout système , à toute prévention
contre un auteur et contre le corps
dont il est membre , à tout esprit
de parti ; qu'une censure infectée
de l'un de ces défauts est nulle et
sans autorité. Mais il ne faut pas
oublier non plus de prêcher aux
écrivains la sagesse et la docililé.
Lorsqu'un auteur n'a point écrit
dans le dessein de dogmatiser , de^
CEN
faire du bruit, d'inquiéter le9 pas-
teurs et les théologiens, il mérite
de l'indulgence , il consent volon-
tiers à s'expliquer ou à se rétracter;
s'il avoit des intentions contraires,
il n'a droit d'exiger aucun ména-
gement. La censure à laquelle un
auteur se soumet sans résistance ,
ne le flétrit point aux yeux de ses
contemporains ni de la postérité :
Fénélon s'est acquis plus de gloire
par sa soumission qu'il n'auroitpu
faire par une apologie complète.
Celui qui résiste et déclame contre
ses juges est un plaideur de mau-
vaise foi.
Dans un siècle, où la plupart des
écrivains semblentsaisis de l'esprit
de vertige , ne respectent aucune
religion ni aucune autorité , s'ex-
citent les uns les autres à braver
toute censure , ce n'est pas le cas
de les ménager. L'intrépidité dont
ils se parent ne les mettra point à
couvert de l'ignominie qu'ils mé-
ritent; leurs ouvrages tomberont
dans l'oubli, la censure subsistera.
Cent auteurs qui ont fait autrefois
du bruit, ne sont plus connus au-
jourd'hui que par la flétrissure
dont leur nom est chargé ; les at-
tentats de nos premiers incrédules
ont été effacés par ceux de leurs
successeurs, et déjà on ne se sou-
vient plus de ceux quiontprécédé;
il en sera de même dans tous les
temps. Voyez Livres défendus.
CENTURIES DE MAGDE-
BOURG , corps d'histoire ecclé-
siastique , composé par quatre lu-
thériens de Magdebourg , qui le
commencèrent l'an i56o. Ces qua-
tre auteurs sont Mathias Flaccius,
surnommé Illyricus,Jean"W"igand,
!Vialthieu Lejudin, Basile Fabert ,
• uxquels qxielques-unsajoutentlSi-
rolas Gallus, et d'autres André
(,orvin. Iliyricus conduisoit l'ou-
vrage , les autres travailloicnt sous
lui. On l'a continué jusqu'au treî-
licme «ièclc.
CEP l,%j
Chaque ccn/uric contient les cho-
ses remarquables qui se sont pas-
sées dans un siècle. Celte compi-
lation a demandé beaucoup de
travail; mais ce n'est une histoire
ni fidèle, ni exacte, ni bien écrite.
Le but des centuriateurs étoit d'at-
taquer l'Eglise romaine, d'établir
la doctrine de Luther, de décrier
les Pères et les théologiens catholi-
ques. Le cardinal Baronius entre-
prit ses Annales ecclésiastiques
pour les opposer aux centuries.
On a reproché à Baronius d'a-
voir été trop crédule, et d'avoir
manqué de critique : ceux qu'il
réfute avoicnt péché par l'excès
contraire ; ils avoient rejeté et
censuré tout ce qui les incommo-
doit. Le P. Pagi , cordelier, Isaac
Casaubon , le cardinal Noris,Til-
Icmont, le cardinal Orsi , etc., ont
relevé les fautes de Baronius , et on
a réuni leurs remarques dans une
édition des Annales ecclésiastiques
données à Lucques. Au contraire,
les erreurs et les calomnies des
centuriateurs ont été répétées, com-
mentées, amplifiées parla plupart
des écrivains protestants et par les
incrédules leurs copistes ; on a beau
les réfuter par des preuves invin-
cibles, ceux qui ont intérêt de les
accréditer ne se rebutent point, et
à force de renouveler les mêmes
impostures , ils parviennent à les
persuader aux ignorants. Voyez
Histoire ecclésiastique.
CÉPHAS, nom que Jésus-Christ
donna à Simon fils de Jean, lors-
que son frère André le lui amena.
Joan. , c. I , S • 4^'
Céphas en syriaque signifieP/'er-
re , comme l'explique saint Jean.
De là les apôtres qui ont écrit en
grec, ontappelé saint Pierre lÏETpoî,
et les Latins Petrus ; ils ont ce-
pendant retenu en quelques en-
droits le nom de Céphas. Telle
est l'élymologie qu'ont donnée de
' ce nom Teriullien , saint Jérôme,
4.88 CEP
saint Augustin , et la plupart des
commentateurs. Quelques-uns ont
cru que Céphas venoit du grec
xtipaVî), tête, mais Jésus - Christ
ne parloit pas grec , et saint Mat-
thieu avoit écrit en syriaque ; il
avoit dit , c. i6, ^. 17 : Tu es
Cépha , et sur cette cépha je bâtirai
mon Eglise. Dans les versions grec-
que et latine , on a changé le nom
peira en celui de Pcirus , pour le
faire convenir à saint Pierre; mais
en françois il n'y a rien à changer:
Tu es Pierre , et sur cette pierre je
bâtirai mon Eglise.
Jésus-Christ a donc voulu faire
comprendre qu'en élevant saint
Pierre à la dignité de chef des apô-
tres , il en faisoit la pierre fonda-
mentale de son Eglise. Puisqu'il
ajoute que cet édifice ne sera point
renversé , mais subsistera jusqu'à
la fin des siècles , il faut que l'au-
lorité de saint Pierre ait passé à
ses successeurs , et que son siège
soit toujours le centre d'unité au-
quel les fidèles doivent tenir pour
être membres de l'Eglise. Ainsi
ont raisonné les Pères , et après
eux les théologiens ; les hérétiques
et les incrédules font de vains ef-
forts pour obscurcir cette vérité.
Un passage de l'épître de saintPaul
aux Galates , c. a , ^. i et suiv. , a
donnélieuàunedispute sur le nom
de Céphas. L'apôtre dit que qua-
torze ans après sa conversion , ou
après un voyage qu'il avoit fait à
Jérusalem , il y en fit un autre pen-
dant lequel il conféra sur l'Evan-
gile avec les apôtres , et en parti-
culier avec ceux qui paroissoient
cire quelque chose ; que Jacques ,
Céphas et JesLU, qui paroissoient être
les colonnes de cette Eglise , trou-
vèrent bon qu'avec Barnabe il prê-
chât aux gentils, comme eux-mêmes
I)rechoient aux circoncis. « Mais,
» ajoute saint Paul , Céphas étant
»> venu à Antioche , je lui résistai
» en face, parce qu'il étoit répré-
u hensible. Avanirarrivce deqûel-
CEP
» ques juifs , venus de la part de
♦> Jacques , il mangeoit avec les
» gentils; depuis leur arrivée, il
» se retiroit et se tenoit à l'écart,
» depeurdedéplaireauxcirconcis;
» et il en entraîna plusieurs dans
» cette dissimulation. Comme je vis
» qu'ils n'agissoient pas selon la
« droiture de l'Evangile, je dis à
» Céphas devant tout le monde :
» Si vous , qui êtes juif , vivez
» comme les gentils , pourquoi
n voulez-vous les obliger à judaï-
)> ser ; etc. »
La question est de savoir si ce j
Ce;o^as,reprisparsainlPaul,estra-
pôtresaintPierre,ouun disciple de
cenom. Lesanciensontété partagés
sur cette question :Origène, Didy- ,
me, Apollinaire, Eusèbe d'Edesse, ,'
Théodore dTiéraclce , saint Jean
Chrysostôme , Théodoret , parmi
lesGrecs;Tertullien,saintCyprien,
saint Jérôme, saint Augustin , l'au-
teur nommé Ambrosiaster , saint
Grégoire le Grand, saint Thomas,
parmi les Latins , et le plus grand
nombre des commentateurs , ont
pensé que ceCé^Aasestl'apôtresaint
Pierre. On cite pour le sentiment
contraire saint Clément d'Alexan-
drie dans ses hypotyposes , Eusebe
qui en rapporte le passage sans le
contredire, Dorothée de Tyr dans
une chronique pascale , plusieurs
écrivains dont parlent saint Jean
Chrysostôme, saint Jérôme , saint
Grégoire, et qui vivoient de leur
temps, l'auteur delà CAro/îi'^ued'^-
lexandric , qui écrivoit au septième
siècle , et Œcuraénius, qui est mort
dans le onzième.
Comme il s'agit , non pas d'un
point de dogme , mais d'histoire et
de critique, le Père Hardouin a
pensé '^u'il devoit se décider par
des raisons plutôt que par des au-
torités , puisqu'il n'y a point ici de
témoins contemporains; il a fait
en 1709 une dissertation pour prou-
ver que Céphas n'est point l'apôtre
saint Pierre. L'abbé Boileau l'a rc-
CEP
fuie dans une autre dissertation en
1713. Dom Calmet a rapporté les
Taisons pour et contre dans une
dissertation sur ce même sujet ,
Bible (ÏAi>îgnon, t. i5, paf;. yoS.
Il s'est décidé pour le sentiment de
l'abbé Boileau.
Chacun de ces auteurs arrange
la chronologie d'une manière favo-
rable à son opinion ; mais comme
c'est une pure conjecture de part
et d'autre , nous ne nous y arrêtons
point. La principale difficulté est de
savoir si la dispute de saint Paul
avec Céphas arriva avant ou après
le concile de Jérusalem , dans le-
quel il avoit été décidé que les
gentils n'étoientpoint obligés d'ob-
server la loi de Moïse , comme le
prétendoient les juifs.
Le P. Hardouin soutient que ce
fut avant le concile , parce que , si
saint Pierre avoit commis la faute
dont on l'accuse, après avoir jugé
lui-même la cause contre les juifs
et en faveur des gentils , sa con-
duite à Antioche seroit inexcusa-
ble. Dom Calmet ne semble pas
avoir suffisamment satisfait à cette
première objection du Père Har-
douin.
Celui-ci observe, en second lieu,
que saint Paul dans l'épître même
aux Galates, appelle trois fois saint
Pierre, n/Tpoç, c. 1 ^'^. 18; c. a ,
j!^. 7 et 8 ; qu^il n'est pas probable
qu'au S • 9 il '^ nomme Céphas ;
la manière dont il parle de celui-ci
seroit très -indécente à l'égard de
«aint Pierre. A'-t-il pu dire de lui :
Je conférai avec ceux qui parois-
soient être quelque chose, y. 2 ; ceux
qui paroissoient être quelque chose ,
ne m'ont rien donné, ^. 6, après
avoir dit , cap. i , ^". 18 : Je vins
à Jérusalem voir Pierre , et je de-
meurai chez lui pendant quinze
jours? Est-il probable que pendant
ces quinze jours saint Paul n'avoit
profité en rien des instructions de
saint Pierre ? Il est beaucoup plus
naturel de cioire que Jacques , Ce-
ci:i» 489
pTias et Jean , desquels il parle
S ■ f> et 9 , avec une espèce de mé-
pris , n'étoient pas trois apôtres ,
mais trois disciples desquels saint
Paul u'étoit pas content.
Dom Calmet répond que puisque
saint Pierre avoit deux noms, saint
Paul a pu s'en servir indifférem-
ment ; mais il ne satisfait pas à la
seconde partie de l'objection.
En troisième lieu, dans la pre-
mière épître aux Corinthiens, ci,
^. 12 , saint Paul leur reproche
que parmi eux les uns disoient , Je
sais à Paul , les autres , Je suis à
Apollo ; ceux-ci , Je suis à Céphas,
ceux-là, Je suis à Jésus -Christ.
Outre qu'il est fort douteux que
saint Pierre ait jamais prêché à Co-
rinthe, y ait eu des disciples parti-
culiers , y ait été nommé Céphas ,
etnon IltTpoî, peut-on se persuader
que saint Paul ne l'ait placé qu'au
troisième rang, et après un simple
disciple Ml fait de même, c. 9,
Ji!^. 5 , en parlant des autres apôtres,
des frères du Seigneur et de Céphas.
Il y auroit en cela une affectation
trop marquée.
On a beau dire qu'il nes'agissoit
pas là de régler les rangs ; la place
que tenoit saint Pierre parmi les
apôtres, exigeoit plus de ménage-
ment que saint Paul n'en témoigne
pour Céphas.
Les autres raisons qu'allègue le
P. Hardouin ne paroissent pas fort
solides, et l'on ne peut pas approu-
ver son affectation de préférer la
leçon de la vulgate à celle du texte
grec.
Dans le fond , cette contestation
ne nous paroît pas fort importante.
Quand le Céphas repris par saint
Paul seroit l'apôtre saint Pierre,
quand celui-ci auroit ménagé à l'ex-
cès le préjugé des juifs , sa faute ne
nous paroîtroit pas fort grave.
Saint Paul lui-même, par ménage-
ment pour les juifs, fit circoncire
son disciple Timothée , se purifia
dans le temple, et fit les oblalions
490 CEP
prescritespar la loi,^c/.,c. 16,^. 3;
c. ai ^. 21. II jugeoit donc, aussi-
bien que saint Pierre , qu'il éloit à
propos d'avoir quelque condescen-
dance pour la prévention des juifs,
qu'il ne falloit pas la heurter de
front. Quand saint Pierre n'auroit
pas d'abord fait attention aux con-
séquences qui pouvoient en résul-
ter , ce ne seroit pas un crime.
C'est très-injustement que les hé-
rétiques et les incrédules ont pris
occasion de ce fait pour calomnier
cps deai apôtres ; il n'y a dans la
CEP
conduite de l'un ni de l'autre au-
cun trait d'hypocrisie ni de niau-
vaise foi. Ceux d'entre les protes-
tants qui ont conclu de là que saint
Pierre n'étoit pas infaillible, se sont
joués du terme ; ils dévoient con-
clure tout au plus que saint Pierre
n'étoit pas impeccable. Tenir une
conduite de laquelle on peut tirer
une fausse conséquence et une er-
reur , ce n'est pas enseigner pour
cela l'erreur. Saint Pierre pourroit
donc avoir péché dans sa conduite,
sans avoir failli dans sa doctrine.
FIN DU TOMEPREMIER.
CMOOO«OO*OOO0«OOOÛ()OOOt>MOOOOOOOOOOaoOUOUOUUOOUJOUOOOrOOOOO*noOOu* IOt»lu»«OOUU«OM(>a«
NOTES.
NOTE PREMIÈRE.— ABRAHAM.
(Page 17.)
«Dieu dit à Abraham, Gen. c. i'i,y. i5 : Je donnerai à vous et à votre
pPite'rite tout ce pays que vous voyez.
La promesse que Dieu fait ici à Abraham, de lui donner personnellement la
terre de Chanaan, a été sans effet, disent les incrédules; puisque ce patriarche n'y
posséda jamais en propre qu'un champ et une caverne qu'il avoit achetés quatre
cents sicles.
Les interprètes répondent que la particule et signifie en cet endroit c'est-à-dire ;
de sorte que le sens de ce verset est que Dieu promet la terre de Chanaan à Abraham ,
c'est-à-dire à sa postérité.
Parmi plusieurs significations que renferme la particule hébraïque VAO, qui est
rendue dariWe passage que nousexaminons , par et, celle de c'est-à-dire en françois ,
id est en latin, en est une; c'est ce que nous allons démontrer par divers exemples.
Genèse, c. 2, y . 3. Dieu bénit le septième jour, VAU, c'est-à-dire, le sanctifia.
Exode , c. 4i y • 12. Je serai dans votre bouche, VAU, c^ est-à-dire , je vous
apprendrai ce que vous aurez à dire. C. 7, Jf. H. Pharaon fit venir les sages,
VAU, c'est-à-dire , les magiciens.
Nombres, c. 3i , y. 6. Moïse les envoya à la guerre, leur confiant les instru-
ments sacrés, VAU, c'est-à-dire , les trompettes d'un son éclatant.
Juffes, c. 8, y. 27. Cet éphod devint un piège qui causa la ruine de Gédéon ,
VAU, c'est-à-dire, de sa maison.
2. Rois, c. II, y. II. Je jure par votre vie, vau, c'est-à-dire, par votre
conservation. » Bullet, Re'p. cril. , tom. I, pag. 37, édit. de Besançon , 1819.
NOTE IL— ADAM.
(Page 33.)
Les matérialistes prétendent que l'homme est une production de la nature ; ce
qui , dans le sens qu'ils attachent à ce mot , veut dire qu'il a été formé sans dessein
par les différentes combinaisons de la matière en mouvement.
«La nature, dénuée de sentiment et d'intelligence, a donc produit cet êt:-e
merveilleux dont la constitution étonne également l'anatomiste et le philosophe 1 la
terre a donc fait l'homme comme le bourgeois-gentilhomme fait de la prose , c'est-à-
dire , sans le savoir ! ces millions de parties qui forment le corps humain ont donc
ëté dispersées jadis sur le globe, se sont rencontrées on ne sait quand ni comment,
te sont entre-heurtées, attirées, repoussées; puis, après bien des essais, se sont
rangées tout juste dans le bel ordre où nous les voyons; ordre qui surpasse tout ce
que l'art a pu produire et tout ce que l'esprit peut concevoir ! Mais ce n'est pas là le
plus étonnant. Ces mêmes atomes , de bruts et de morts qu'ils étoicnt , ont produit,
par leurs combinaisons fortuites, la vie, le sentiment et ta faculté de raisonner.
Pour s'épargner la peine de former à si grands frais chaque individu , ils se sont
arrangés en mâle et femelle , de manière à pouvoir désormais étendre leur espèce par
la vote de la génération. C'est enfin à leurs impulsions réciproques , à leur gravitation
mutuelle, que l'on doit l'inve-ntion de la parole, des sciences et des aris. Si ce
système paroit monstrueux à la raison, il faut avouer qu'il plaît moins à l'imagi-
ualion que les brillantes illusions de la mythologie....»
I. a
j, JNOTES.
« Si Id nature ou la matière a produit tous ces corps organises, plantes, anima^.iï
et hommes, d'où vient que, depuis qu'on l'observe, elle ne produit plus rien de
pareil ? la nature a-t-elle donc changé ? pourquoi cette même rencontre d'atomes ,
qui fit jadis tant de merveilles, n' a-t-elle plus lieu, et pourquoi s'obstine-t-elle à
laisser aux ctres organises le soin de se reproduire eux-mêmes ? »
« Les anciens, qui étoient aussi ignorants en histoire naturelle qu'en physique,
pouvoient croire qu'un animal se formoit comme le sel , par la jux ta- position de
différentes molécules réunies en vertu de certaines /orcf s de rapport. Il leur étoit
permis de conjecturer qu'une masse de boue, imprégnée et échauffée par le* rayons
flu soleil, peut s'animaliscr, tout comme ils se persuadoient que les insectes, les
âjrenouillcs , les crapauds et les lézards qu'ils trouvoicnt dans la fange du îsil , éfrienl
de ia boue animée par la chaleur. Mais il est inconcevable que , dans le dix-huitisme
si'rle, après toutes les découvertes des modernes, on n'ait pas honte de parler
t-ncore comme les anciens, et d'etayer un système de philosophie sur des erreur»
dont le peuple même commence à se moquer. Un animal ne naît que de son sem-
blable: c'est la loi uniforme et invariable de la nature. Rien de ce qui est organise
ne se forme par opposition , pas même le champignon ni la mousse. La raison s'unit
à l'expérience pour rejeter les générations équivoques. Elle nous dit qu'un corps
organisé est un tout qui n'a pu se former successivement, puisque chaque partie
suppose l'existence des autres. C'est un système d'un nombre infini de machines qui
correspondent directement, qui ont entre elles des rapports intimes, qui sont faites
les unes pour les autres, et dont les forces concourent à un but génér^ Ce tout se
développe et augmente de volume; mais, en tant que machine, il est toujours en
pel i t c-e qu'il sera en grand , de sorte que toutes les matières alimentaires ne sauraient
y ajouter une fibre. »
« Lnaginons pour un moment que l'aveugle concours des molécules de la matière
inanimée ait réussi à produire un homme, à l'aide des lois de l'impubion et de
l'attraction. Supposons, contre toute vraisemblance, que dis-je? contre toute cer-
titude , que la nature ne sait plus faire aujourd'hui ce qu'elle a su faire en des temps
plus reculés. Dévorons enfin toutes les absurdités qui entourent et accablent le
système de l'athée, soumettons le bon sens au préjugé et l'évidence à l'erreur; qui
est-ce qui animera cet androïde , cette matière organiquement disposée par les main&
du hasard ? qui est-ce qui lui donnera la faculté de sentir, de penser, de juger et
de faire des abstractions? comment est-ce que la natuFe donnera l'intelligence et le
sentiment, n'ayant ni sentiment ni intelligence? Hélas ! elle n'est qu'impulsion et
gravitation: et il lui est aussi impossible de produire par-là une seule pensée, qu'il
l'est au néant de créer un seul atome. »
« Les matérialistes croient, en toute simplicité de cœur, que le sol delà Laponie
a produit le renne , parce que cet animal est indigène à ce pays et qu'il ne peut vivre
dans un climat plus doux. Que dites-vous de l'argument? Voyez- vous ces vers qui
fourmillent dans les cavités d'un vieux fromage? Ils y trouvent une nourriture et
une chaleur qui leur convient; donc c'est ce fromage qui les a produits. Une telle
conclusion est fort bonne pour l'enfant qui a mangé le fromage sans se soucier du
•ver; mais elle étonne dans un philosophe qui se donne pour capable de creuser lei
idées , et d'interpréter la nature. » Holland , Réflexions philosophiques sur k
Système de la nature, c. 6.
NOTEEL — AME.
(Page 84.)
La philosophie ou la raison individuelle est bien foible, puisque, comme le dit
très-bien Bergier, elle n'a jamais pu par elle-même démontrer invinciblement
les dogmes essentiels de la spiritualité et de l'immortalité de l'àme.
Descartes lui-même l'a reconnu : « car laissant à part , dit-il , ce que la foi nous
» enseigne , je confesse que , par la seule raison naturelle , nous pouvons bien faire
NOTES. u\
I» beaucoup de colljt;clur^s à notre avaiitaj^c, cl avoir tic flallcusc.'i espérances, mais
» non point aucune assurance. » (Lettre à la princesse EliiuLelh. )
Saint Justin parlant de roriglnc du monde, de la création de l'homme et de
l'immortalité de l'àme, dit qu'il n'est pas possibieà l'homme de connoîire ces vr^riloj
sublimes par les seules forces de la nature ou de l'esprit humain; que nous devons
nous en rapporter à la tradition de nos pères qui, n'enseignant rien d'eux-milmes ,
nous ont transmis la véritable doctrine qu'ils ont reçue de Dieu. Qui omni con-
tentivnis studio, et factionuni dissidio liberi, sicuti à Deo acceperanl, ila nobis
doctritiain tradiderunt. Neque enini vel naturd , vel ingenio hutnano, res tarn
sublimes et divinas honnnihus cognitione asseijui est possibile ; sed eu quod tù/n
cœlitùs in viros sanctos descendit, gratuito opus est dono. (Ad Grœcos Cohort. ,
pag. 9, édit. de Paris, i6iS.)
« Si les hommes, dit Leland, n'avoîent d'autre certitude d'un ctal futur, que
celle qu'ils peuvent tirer des seules lumières de leur raison , ce dogme se trouveroit
combattu par des objections et des difficultés qui élèvcroient dans leur esprit des
doutes auxquels il seroit difficile de répondre d'une manière satisfaisante. Leur foi
en seroit troublée et affoiblie. Les arguments métaphysiques, pris de la nature
différente du corps et de l'esprit, quoique justes en eux-mêmes, ne prennent que
sur des âmes vraiment philosophiques, accoutumées aux spéculations abstraites : ils
ne sont point à la portée du commun des hommes qui , accoutumés aux objets sen-
sibles et matériels, ne sauroicnt se former une notion distincte d'un être qui n'es!
point matière.... Ceux qui croient le plus fermement l'immortalité de l'âme, ont
bien de la peine à concevoir comment elle agit lorsqu'elle est séparée du corps. La
vie future ne nous est point sensible : c'est un état dont nous n'avons naturellement
aucune connoissance , et dont nous ne saurions nous former aucune idée claire et
satisfaisante, si nous n'avions sur cela d'autres lumières que celles de la raison.
Cette vie future est l'objet propre de la révélation divine et de l'exercice de la foi
qui est l'évidence des choses invisibles. Comme l'âme humaine n'existe point par la
nécessité de sa nature , mais que la continuation de son existence dépend de la volonté
de Dieu, nous ne pouvons être assurés de son immortalité qu'autant que nous
sommes sûrs que Dieu veut qu'elle soit immortelle. Plusieurs raisons nous portent à
croire que Dieu l'a ainsi ordonné; mais il falloit, pour que nous en eussions une
certitude entière, que Dieu nous le révélât expressément. Les preuves morales d'un
état futur sont aussi d'un grand poids ; mais les voies de la providence nous sont
cachées ; c'est un abîme que nous ne devons pas espérer de sonder. Notre vue est
trop courte , nous connoissons trop peu les desseins de Dieu et les lois qu'il suit
dans le gouvernement du monde , pour en tirer des lumières propres à dissiper en-
tièrement nos doutes et nos incertitudes sur un objet aussi délicat. La révélation
Mule pouvoit fixer nos idées et notre croyance. » JS^ouvelle démonsir. évang. , part.
3, chap. I.
Bonnet prouve, dans sts Recherches philosophiques sur le christianisme, chap.
a, que l'on ne peut s'assurer, par les seules lumières de sa raison, de la certitudt
d'un état futur. Voyez les articles CERTITUDE, RAISON, Loi NATURELLE, RÉ-
VÉLATION , etc.
NOTE IV. - AME.
(Page 84.)
I, La spiritualité de l'âme aussi-bien que l'existence de Dieu est une croyance
nniversclie, un témoignage constant que l'humanité se rend clle-mômc; c'est la
foi du genre humain. Qu'elle soit -venue de la tradition primitive, du sentiment
inférieur ou de la réflexion sur nos opérations, cela esteï^al ; pouiquoi ncscroU-cUe
pas venue de ces trois sources? Avant qu'il y cijt des philosophes, aucun peuple,
aucun être raisonnable ne s'cloil persuade que la matière pût penser, aucun mènie
n'avoil imaginé qu'elle pût se mouvoir. Malgré lei sophismes d'Epicure, ia spiri-
IV NOTES.
tualité de l'clre pensant est un dogme aussi gcndralcment r(^pandu que dani le*
premiers âges du monde. S'il y a une ve'riie' que la nature et la conscience dictent
à tous les hommes, c'est la différence entre l'esprit et la matière; aucun peuple qui
n'ait des termes divers pour les designer; tous entendent, sous le nom d'' esprit , un
être qui connoîl , qui se sent exister, qui a la conscience du moi individuel, qui a
le pouvoir d'agir et de mouvoir la matière.
Rien n'est plus risible que de voir des philosophes sVverluer pour trouver dans
l'antiquilo le premier peuple qui a cru la spiritualité et l'ininiorlalitc' de l'âme. Le»
uns s'arrèlent aux Egyptiens, d'autres aux Thraces ou aux Gaulois, quelques-uns
aux Indiens, et font gravement la généalogie de ce dogme. Il auroit été p!us court
de citer une nation qui eut professé la croyance contraire: jusqu'à présent l'on n'en
a connu aucune. Mais c'est justement parce que cette opinion est générale, que nos
raisonneurs se font gloire de lutter contre elle, et jugent qu'il est digne d'eux de
l'étouffer; ils parviendront plutôt à dépouiller l'homme de sa propre nature.
Les matérialistes prétendent que tous les philosophes anciens laisoient de l'âme
humaine une substance matérielle; mais cette assertion est absolument fausse.
Voyez l'article EsPRiT, où Bergier rapporte la doctrine des philosophes sur la
spiritualité de l'âme.
IL Le sentiment intérieur : il suffit à tout homme raisonnable. Je sens ma propre
existence, et je me sens distingué de tout être qui n'est p;is moi : or, je ne sens ni
l'existence, ni la figure, ni la structure, ni le jeu de mon cerveau, ni d'aucune
partie intérieure de mon corps ; donc chacune de ces parties , et toutes prises en-
semble, ne sont pas moi.
Je sens que je suis le même individu qui, depuis soixante ans, éprouve des sen-
sations, des pensées, des vouloirs, du plaisir, de la douleur, etc. ; je sens donc
que je suis une substance , puisque sous ce nom l'on entend un être qui reçoit
successivement différentes modifications, et les perd sans cesser d'exister, sans rien
perdre de son être.
Ce sentiment du moi individuel et permanent n'est point un accident qui me
survienne, c'est mon essence même, l'essence de mon âme; il ne peut cesser sans
que je sois anéanti , je ne serois plus si je ne me sentois pas exister : il ne resteroit
de moi que l'idée abstraite à^ètre, sans attributs et sans aucune modification quel-
conque : un tel être n'est qu'une chimère. Si j'esistois sans sentir mon existence,
comment pourrois-je recevoir ce sentiment ? Dieu même ne pourroit , sans contra-^
diction, me donner le sentiment à'' avoir e te , puisque, selon la supposition, je
recevrois le sentiment d'être pour la première fois. Un matérialiste, un sceptique ,
ne s'entend pas lui-même quand il dit : je sens en moi je ne sais quel être , je ne
sais quelle substance, qui est le sujet de mes modifications. Il détache par abstrac-
tion l'existence d'avec sa substance, il fait de lui-même un être abstrait, il pictend
sentir l'existence hors de la substance qui existe. Y a-t-il une absurdité plus
complète ?
Donc il est démontré que le sentiment du moi individuel et permanent est
l'essence même de l'âme. Or, ce sentiment n'est point l'essence de la matière,
autrement toute matière se sentiroit. Il est impossible qu'elle le reçoive, puisque ce
n'est point un accident de l'être qui se sent ; donc il est évident que l'esprit et la
matière sont deux êtres essentiellement différents , et que mon âme n'est point
matière.
Lorsque les philosophes disent que nous n'avons point d'idée de l'âme ni d'au»
cune substance : si par idce ils entendent une image, cela est vrai; mais il est
absurde que l'esprit ait une image. S'ils entendent une idée abstraite, cela est
encore vrai; mais faut-il que l'esprit fasse une abstraction de lui-même, qu'il
se voie hors de soi-même comme nous nous voyons dans un miroir? Ces raisonneurs
■veulent voir leur âme en dehors et du dehors; ils disent qu'un terme auquel ne
correspond aucun objet sensible , ne signifie rien. C'est le comble de l'absurdité
de substituer des idées abstraites au sentiment intérieur; ce sentiment est supérieui*
À toute évidence d'idées possibles.
NOTES. V
Four connoîire à foinl deux substances, il faut les comparer. Nous connoiMons
notre âme par le sentiment de ses opérations, et la matir-re par ses qualités sen-
sibles; les opérations de l'âme font sentir, penser, réfléchir, vouloir, mouvoir !<•
corps : voyons si la matière en est capable.
III. La matière est incapable de sensation. Il est ddmonirc' que IVtre sensitif
est un être simple : or, la matière n'est point un être simple; donc l'être sensitif
n'est point matière.
Un cire privalivement afFeclè de sensations bornées a lui, et qui ne sont senties
que par lui, est réellement distingué de tout autre èlrc sensitif. Un être qui se sent
soi-même ne peut se sentir hors de lui-même ; il ne peut se sentir dans un autre ,
il n'y a que lui qui puisse se sentir : donc chaque être sensitif est simple et réelle-
ment distingué de tout autre être sensitif.
Vous êtes assuré que vous ignorez ce que je sens, et je suis assuré aussi que j'î-
gnore ce que vous sentez; nous coimoissons donc avec certitude que nous sentons
séparément, que votre sensation n'est pas la mienne, que votre être sensitif et le
mien sont réellement et individuelîemeni distincts l'un de l'autre.
Nous pouvons , il est vrai , nous communiquer nos sentiments et nos pensées par
des paroles et par d'autres signes convenus ; mais il n'y a aucune liaison nécessaire
entre ces signes et les sensations ; l'on peut s'en servir également pour mentir et
pour dire la vérité. Nous n'y avons recours que parce que nous savons que nos
sensations sont incommunicables par elles-mêmes ; l'usage de ces signes est un aveu
continuel de l'incommunicabiiitede nos sensations et de l'individualité de nos âmes.
Puisque l'être sensitif est nécessairement simple, il s'ensuit qu'on ne peut sup-
foser un assemblage d'êtres qui aient la faculté de sentir, sans reconnoitre qu'ils
ont chacun en particulier, et que chacun d'eux doit sentir à part ; que leurs sen-
sations ne peuvent par elles-mêmes se commun ;qiier de l'un à l'autre. Il s'ensuit qu'un
tout composé de parties sensilives ne peut pas former une âme ou un être sensitif
individuel, parce que chacune de ces parties sentiroit privalivement et séparément
de l'autre. Il ne pourroil donc y avoir entre elles aucune réunion ni combinai-
son intime d'idées; l'idcede chacune d'elles seroit inconnue aux autres.
Il est donc évident qu'une portion de matière organisée, composée de parties
réellement distinctes, placées les unes hors des autres, quoique contigucs, ne peut
pas former une âme ou un principe sensitif : or , toute matière est composée de parties
réellement distinctes; donc lesêtressensitifs individuels ne peuvent être des substances
matérielles.
Dansunearméede vingt mille hommes, chaque soldat sent son existence indivi-
duelle : mais il est impossible que, de tous ces sentiments particuliers et incommu-
nicables , il résulte un sentiment général par lequel toute l'année se sente exister
comme armée , ait la conscience des sensations de chaque soldat ; donc dans un
composp de matière quelconque , quand même chaque atome sentiroit sa propre
existence, il seroit impossible qu'en vertu de ces sentiments individuels , le tout ou
le composé se sentît exister, eiît la conscience des sensations de chaque atome ; donc
le sentiment que j'ai de mon existence individuelle et des sensations qui affectent
chacun de mes organes , n'est point et ne peut être le résultat du sentiment de
plusieurs atomes de matière. Voilà une démonstration à laquelle les matérialistes
n'ont jamais essayé de répondre.
IV. Je puis , au même instant, éprouver plusieurs sensations différentes v îe sens
tout à la fois lu chaleur du feu , l'odeur et la saveur d'un fruit , le plaisir de la mu-
sique, la beauté d'un tableau ou d'un paysage ; je juge laquelle de ces sensations
iii'aît la plus agréable, je la choisis et la préfère: il y a donc un /«o/iadivisible qui
reçoit au même moment ces différentes affections. Puisque toute matière organisée
est étendue et divisible , il est impossible que le /no/ soit matière. La même parti-
cule de mon cerveau n'a pu recevoir au même instant cinq mouvements divers, encore
moins les comparer et en j'Jger. Bayle , après avoir pesé la force de ce raisonnement,
ne craint point de conclure ainsi : On peut dire, sans hyperbole, que c'est une dii-
nionstration aussi assurée que celles de géométrie. (JSowei/es de la répnb.des lettres^
aoiît l6b4) art. 6, p. iio.)
VI NOTES.
De même je puis sentir , au même instant , de la douleur dans les différentes par-
ties de mon corps , distinguer et comparer ces divers sentiments simultanés , ju-
ger quel est le plus vif et le plus incommode ; est-ce un atome indivisible de ma-
tière qui est mu en quatre ou cinq directions différentes , ou plusieurs atomes ^j^alllés
chacun de son côté ? La première supposition est impossible; dans la seconde, le
mouvement ou l'ébranlement de l'atome A n'est point celui de l'atome B ; celui-ci
ne peut avoir la conscience du mouvement de son voisin et la conscience cie son
propre mouvement : il ne peut donc les comparer ni en juger. Lorsque je porte ma
main à mon visage , le sentiment est double ; mon visage sent nia main , et ma
main sent mon visage ; si une autre personne me toucboit.le sentiment seroit dif-
férent. Je dislingue si j'applique sur mon visage un seul doigt , deux ou plusieurs ; si
ces doigts sont courbés ou étendus, si l'un appuie plus fort que l'autre , etc., est-ce
ane molécule de matière qui se sent elle-même de plusieurs côtés , ou dans plusieurs
parties diiTérentes , qui ala conscience de cinq ou six attouchements divers?
V. La nature de la pensée répugne par elle-même à k nature de la matière : que
l'on subtilise celle-ci tant que l'on voudra, elle sera toujours étendue et divisible,
Jes matérialistes en conviennent. La pensée, au contraire, est un acte sirnple , in-
divisible , instantané , que l'on ne peut mesurer ni décomposer. Qui a jamais osé dire
la moitié ou le quart de ma pensée, le premier ou le secondinstant de mon juf^e-
inent, la lenteur ou la vitesse de mon raisonnement, un morceau ou une fraction
de doute , de choix , devolonte? Penser, juger, douter, raisonner, vouloir, dé-
sirer, choisir, ne sont point des actes susceptibles d'étendue , de durée ou de par-
ties : ces actes simples peuvent-ils naître d'un principe double ou divisible ? un être
composé ou étendu peut-il en être le sujet? Selon un matérialiste célèbre, la pensée
est divisible. Dans une pcche , dit-il , j'aperçois la couleur , la rondeur , la mollesse,
la fraîcheur, la pesanteur , l'odeur, la saveur; l'idée de pêche est composée de ces
différentes perceptions, elle est donc divisible. (iSjs/. de la nat. , 1. 1, c. 8 , p. ii3.)
Fausse conséquence. Une idée qui résulte de plusieurs idées successives n'en est pas
pour cela composée. Quand j'aperçois d'abord la couleur, c'est une idée; quand
je remarque la rondeur , c'est une autre idée , etc. Lorsqu'à la suite de ces idées
simples, je forme l'idée complexe de pêche, les idées précédentes ne sont point des
parties de celle-ci ; de même que la première ne fait point partie de la seconde , ni la
seconde de la troisième. Ce sont autant d'idées abstraites et distinctes. Une idée
complexe n'a 'paiS plus de parties qu'une idée simple, l'objet est complexe ou com-
posé , et non l'idée ; c'est par métaphore que l'on attribue à l'idée un terme qui ne
convient qu'à son objet.
Un principe pensant , susceptible d'idées simples, nesauroit être lui-même com-
posé ni divisible; une seule idée abstraite et simple est une démonstration invincible
contre le matérialisme.
« Quoi! dit un déiste célèbre , je puis observer , connoîtreles êtres et leurs rap-
» ports; je puis sentir ce que c'est qu'ordre , beauté, vertu; je puis contempler l'u-
)i nivers , m' élever à la main qui le gouverne ; je puis aimer le bien , le faire , et je
» me comparerois aux bêtes? âme abjecte , c'est la triste philosophie qui te rend sem-
» blable à elles , ou plutôt tu veux en vain t'avilir ; ton génie dépose contre tes
» principes , ton cœur bienfaisant dément ta doctrine , et l'abus même de tes fa-
» cultes prouve leur excellence en dépit de toi.» (^Emile, t. III , p. 6o.)
VL Ceux qui attribuent à la matière la faculté de penser , confondent la pensée
avec le mouvement : l'on n'a jamais imaginé que la pensée et le repos fussent la
mem« chose; mais on distingue aussi clairement la pensée d'avec le mouvement que
d'avec le repos. Le mouvement est le passage du corps d'un point de l'espace à un
autre point: concevons-nous la pensée par cette définition? la pensée est-elle na
mouvement plus ou moins vite, en ligne droite, eu ligne courbe , la rotation d'un
atome sur lui-même , un choc , une secousse ou une combinaison de mouvements
divers? Quand on prcuvcroit que la pensée ne peut naître sans un mouvement des
fibres du cerveau , celui-ci n'est ni la cause, m l'instrument, ni le «njet , ni la pensée
même; il n'y a aucun rapport, aucune analogie entre l'une et l'autre. Tant qua
NOTES. vit
vous ue sujiposerer, point un principe pcnsuiil , flistinfjuc de la matiVrp , rapahie
«l'en apercevoir les cliaiigemenls ou les mouvements, vous n'aurcE ni la pensée,
ni rien qui en approche.
i.e mouvement est divisible conime la matière; il peut se mesurer , il est suscep-
tible (le plus et <le moins, nous en calculons les instants, les degrés de f'ircc et da
viiesse; il peut être accéléré ou retarde , recevoir telle ou telle direction et en clianeer;
plusieurs forces distinctes peuvent y concourir, une seule force peut l'imprimera
deux corps parla même action. Le mouvement se communique et se divise; le corps
qui l'imprime en perd à proportion de ce qu'il en donne. Kien de tout cela ne con-
vient à la pensée : elle n'a ni instant ni degios, elle ne peut être soumise au calcul ,
clic ne se communique point : ma pensée ne peut être celle d'un autre , clic ne peut
passer de mon cerveau dans le sien , elle est individuelle cl identifiée avec moi. Deux
esprits ne peuvent concourir à la même pensée, ils ne peuvent la partager entre eux. Il
en est de même du sentiment , du jugement, du raisonnement, du vouloir, du clioix
et de toutes les opérations de l'ànie»
Un matérialiste s'entend-il lui-même lorsqu'il dit que le mouvement n'est point
matériel , non plus que le sentiment et la pensée, mais que ce sont des accidents
d'êtres matériels ? Un accident divisible est certainement matériel, à moins que la
divisibilité ne soit une propriété de l'esprit.
VII. Toutes les propri tes , les attributs, les accidents, les qualités de la matière
sans exception , sont divisibles comme le mouvement , sont susceptibles de plus
ou de moins ; l'étendue , la solidité , la figure , la gravité , l'attraction , la prétendue
force d'inertie , et telle autre qualité que l'on voudra , peuvent être divisées , se
«llvisent en effet; lorsqu'on scpare les parties de la masse, toutes les propriétés de
ia masse se retrouvent à un moindre degré dans chacune des parties ; il n'est si petit
atome de matière qui n'en soit doué. En est-il de même de la pensée ? Si le cerveau
pense , il faudra dire que chacune des parties du cerveau pense aussi dans un moincLe
degré, a une pensce moindre que le cerveau entier. Il y aura donc autant de pen-
sées distinctes qu'il y a d'atomes dans le cerveau? de deux atomes pensans , l'un ne
peut pas savoir si son voisin pense ou ne pense pas.
îSous ne connoissons pas, disent nos adversaires, toutes les propriétés delà ma-
tière ; il peut y avoir en elle une qualité inconnue, dont la pensée soit le résultat.
Vain subterfuge. Il est contre la raison de supposer dans la n)atièie aucune qualité
connue ou inconnue qui soit incompatible avec sa nature. Scion les matérialistes
mêmes, la matière, par sa nature, est étendue et divisible; il est donc impossible
qu'il y ait en elle aucune qualité inétendue et indivisible; il est impossible qu'au-
cune qualité divisible soit le fondement ou la cause de la pensée, ait aucune ana-
logie, aucun rapport avec elle. La divisibilité de la substance exclut nécessairement
toute qualité, tout accident, toute modification indivisible. Les possibilités, les
feut-élre , auxquels les matérialistes ont recours pour éluder un argument qui les
écrase , sont autant d'absurdités.
A quoi pensoit donc le fameux Locke lorsqu'il a dit : Il nous est impossible de dé-
couvrir, par la contemplation de nos propres idées , si la toute-puissance de Dieu
n'a point donné « ijuelijue compose de matière bien dispose la faculté d'apercevoir
et de penser. Ce doute , recueilli avec tant d'empressement par nos philosophe» , ne
leur sera pas d'un grand secours. Quelque disposition que l'on suppose dans nu
composé de matière, il est divisible puisqu'il est composé. Or, il y a contradiction
qu'un composé divisible soit le principe et le sujet d'une modification indivisible,
telle qu'une pensée ou une perception. Ce n'est point borner la puissance divine
d'assurer que Dieu ne peut pas faire ce qui est contradictoire; douter s'il le pci;t
est une absurdité. Locke , avant de proposer son doute, devoit détruire les démon-
strations que nous venons d'alléguer.
Admettrons-nous qu'un atome simple et indivisible de matière peut penser ? Nou-
velles contradictions à dévorer. Ou cet atome pense par lui-mêr'ie, et alors la faculté
dr, penser lui est es.sentielle , il est par lui-même indestructible et immortel; à mems
(juc Dieu l'ancanlisse , il pensera pendant toute l'éternité; nous retrouverons dans
VIII JNOIVES.
cet atome prétendu Vespril dont les matérialistes ont peur. Si la pensét luî est acci-
dentelle , il la reçoit donc d'un autre comme il reçoit le mouvement ; il y aura coin,
munication de pensées comme de mouvement , mais la pensée est incommunicable ;
un atome pensant ne peut transmettre sa pensée à un autre ; un atome non pensant
Je peut encore moins.
Mais aucun matérialiste n'attribue la pensée à un atome particulier ; tous disent
qu'elle est un résultat de l'organisation : or l'organisation suppose un composé de
plusieurs parties de matière.
VIII. Le pouvoir de réfléchir répugne à la nature de la matière, rson-seulemenl
l'homme pense , mais il réfléchit sur ses pensées ; il les compare pour former ses juge-
ments, il raisonne en tirant la conséquence de deux jugements comparés. La pensée
réfléchie est donc essentiellement accompagnée de la conscience ou du sentiment
de la pensée même; c'est un acte é\-idemrnent spontané. Je suis actif et non passif
quand je juge , je compare et je raisonne. Or , la matière est incapable d'un acte spon-
tané ; les matérialistes en conviennent. D'ailleurs un mouvement ne peut se replier
sur lui-même, être la conscience de sol-même; le mouvement direct et le mou-
vement rétrograde sont deux mouvements différents, la pensée directe et réfléchie
est une seule et unique pensée simple et indivisible : penser et sentir que l'on pense
ne sont point deux actes différents ; il est impossible , dit Loc¥e , d'apercevoir sans
se sentir apercevant.
IX. L'âme est douée de la force motrice , propriété incompatible avec l'inertie
de la matière. Celle-ci peut communiquer le mouvement qu'elle a reçu et non le
commencer : se mettre en mouvement est un acte spontané contraire à la nature d'une
substance passive.
Ici nous partons encore du sentiment intérieur : je sens que Je remue mon bras ,
ce mouvement lui est imprimé par un corps ou par un esprit , il n'y a pas de mi-
lieu. Un corps ne peut se mouvoir s'il n'a reçu le mouvement d'un autre , celui-ci
d'un troisième , et ainsi à l'infini : or , ce progrés à l'infini est absurde , nous l'avons
démontré ailleurs. Je sens d'autre part que c'est ici un mouvement commencé et
non acquis ou communiqué : donc il ne vient pas d'un corps , mais d'un esprit.
Lorsqu'un corps donne le mouvement à un autre , il en perd autant qu'il en
communique , loin de pouvoir en augmenter la quantité ; c'est une loi générale et
constante connue par expérience. Je sens au contraire que la puissance qui remue
mon bras ne perd rien de son activité, que je puis continuer ou finir , augmenter
ou diminuer ce mouvement à mon gré; donc le principe de ce mouvement n'est pas
un corps.
Si un corps meut un autre corps , aucun des deux ne peut changer la direction
qu'il a reçue; autre loi générale du mouvement: or , je sens que je puis changer à
volonté la direction du mouvement de mon bras , lui faire décrire une ligne droite
ou une ligne courbe , le porter en haut , en bas , à droite, à gauche, dans tous les
sens imagmables ; donc ma force n'apparticait pas à un corps , mais à un esprit.
Cette force est entièrement différente de toute force supposée dans les corps. Lors-
que deux corps sont en équilibre , ils y restent constamment à moins qu'une cause
extérieure n'augmente ou ne diminue le poids de l'un des deux.
Cet équilibre consiste dans un point indivisible , le moindre excès de gravitéd'un
coté le détruit. Au contraire , quand je tiens par ma propre force un corps en équi-
libre , l'effort que je fais est susceptible de plus et de moins ; on pourroit augmenter
de quelque chose le poids que je soutiens , et je l'emporterois encore. Je puis em-
ployer plus ou moins de force à mon gré , quoique je ne puisse passer une certaine
mesure. En employant toute ma force, je me fatigue, elle diminue; après une
longue résistance, le poids l'emporteroit enfin sur moi. Bien de tout cela n'auroit
heu dans l'équilibre des corps; donc le principe de ma force n'est pas un corps.
Un matérialiste qui pose pour principe que l'âme agit et se meut suivant des lois,
comme tous les autres êtres de la nature , avance une fausseté palpable.
Quand un organiste emploie tout à la fois ses doigts sur le clavier, ses pieds sur
Ifes pédales , ses yeux sur la note , sa voix pour accompagner , sa langue pour arli-
NOTES. j^
culer des mots , son oreille pour sentir si tout est d'accord; est-ce une molécule de
matière qui fait intérieurement la fonction de maître de musique , qui bat la me-
sure , qui combine et marie ensemble les sensations, les idées, la force motrice,
qui fait , de ces différentes pièces disparates , un seul tout ou un seul concert ? Quel-
ques matérialistes ont essayé d'expliquer, par le mécanisme, une sensation simple;
nous verrons s'ils y ont réussi : je voudrois que , dans une dissertation savanic , ils
entreprissent d'expliquer, par les lois du mécanisme , l'opération compliquée d'un
oreanisic ou d'un joueur de liarjje ; qu'ils nous fissent sentir, au doif^t et à l'œil ,
qu une portion de cerveau peut faire au même moment autant de fonctions dif-
féientes.
Ces preuves de la spiritualité de l'âme ne sont ni du sophisme , ni de simples pro-
babilités , ni des réflexions nouvelles; il est étonnant que les matérialistes n'aient
pas encore pris la peine de les réfuter l'une après l'autre; plaignons-les de leur aveu-
glement. « L'homme , dit le Psalmiste, a méconnu sa propre gloire ei la dignité de
I' son être, il s'est comparé aux animaux slupides, et s'est rendu semblable à eux. »
Psalm. 48, y . iZ. Traité historique et dogmatique de la vraie Religion, tom.I],
edit. de Besançon , 1820.
NOTE V. — AME,
(Page 87.)
I. Nous avons plusieurs preuves de l'immortalité de l'âme. La première est tîrée
de la croyance générale.
L L'immortalité de l'âme a toujours été une croyance universelle du genre hti-
inain , de l'aveu même des plus ardents ennemis du cViristiarn'sme. Voltaire cl
Bolingbrote en conviennent expressément. Selon ce dernier , <i la doctrine de l'im-
»> mortalité de l'âme et d'un état futur de récompenses et de châtiments paroît se
» perdre dans les ténèbres de l'antiquité : elle précède tout ce que nous avons de
i> certain. Dès que nous commençons à débrouiller le chaos de l'histoire ancienne ,
)) nous trouvons cette croyance établie de la manière la plus solide dans l'esprit des
» premières nations que nous coruioissions. »
L'idolâtrie elle-même est fondée en grande partie sur ce dogme. Comment au-
roit-on partout rendu un culte à certains hommes, si Ton avoit cru que l'homme
tout entier périssoit à la mort? La métempsycose, la nécromancie, et mille autres
superstitions pareilles , supposent également la croyance de l'immortalité de l'âme.
C'éloit la doctrine des Egyptiens , des Chaldéens, des Perses , des Indiens , des
Chinois , des Japonois , des Grecs , des Romains , des habitants de la Thrace, des
Gètes, des Gaulois, des Germains, des Sarmates, des Scjthes, des Bretons , des
Ibères , des peuples de l'Amérique ; en un mot, la doctrine de toutes les nations.
Elles ont cru également qu'après la mort l'âme subissoit un jugement irrévO"
cable , suivi de récompenses ou de châtiments éternels , et elles ont admis de plus
l'existence d'un état intermédiaire, d'un \éT\\a\Ae purgatoire , ainsi que Voltaire,
'Warburlhon , le reconnoissent formellement.
Les Egyptiens meltoicnt dans la bouche des mourants une prière pour demander
d'être reçus dans le séjour des immortels. Ils prioient pour les morts , comme l'a
prouvé W. Morin par un passage de leur liturgie ; ils appeloient l'enfer ameu'
thés. C'est Yadés des Grecs qui , à ce qu'il paroît , empruntèrent d'eux jusqu'au
nom du Tarlare, mot qui , dans la langue égyptienne, s\^ni[\e habi/ation éternelle.
«Plusieurs philosophes, dit Leiand , ont enscigtié l'immortalité de l'âme et
» un état futur de récompenses et de peines. Mais ils n'ont point enseigné ce dogme
» comme une opinion qu'ils eussent inventre, une production de leur raison , une
» découverte de leur génie philosophique , mais comme une ancienne tradition qu'ilj
» avoient adoptée, et qu'ils appuyoient des meilleurs arguments que leur fournis-
M soit la philosophie. » {Nouvelle demonstr, évang., tome IV, page 12g et i3o.)
Quelle étoit cette tradition? que disoil-elle! Platon va nous l'apprendre.
X NOTES.
« Celui qui r^gne sur nou5 ayant vu que toutes les actions humaines ont pour
t> âme , soit la vertu, soit le vice, il nous a préparé différentes demeures selon la
» nature denos actions, laissant à notre volonté le choix entre ces demeurcsdi\ erses...
» Ainsi les âmes portent en elles-mi-mes la cause du changement qu'elles doivent
» éprouver selon l'ordre et la loi du destin. Celles qui n'ont commis que des fautes
V légères descendent moins bas que les âmes plus coupables; elles errent sur la
» surface de la terre. Celles qui ont commis plus de crimes, et des crimes plua
N grands , sont précipitées dans l'abîme qu'on appelle l'enlir ou d'un nom sem-
» blablc, lieu redoute des vivants et des moris -, et dont la pensée trouble encore
» l'homme pendant son sommeil. Mais l'àme qui, par de continuels efforts de sa
• volonté , avance dans la vertu et se corrige du vice , est transportée dans un séjour
» d'autant plus heureux et plus saint , qu'elle s'est plus rapprochée de la perfection
» divine ; et le contraire arrive à l'àme qui , au lieu de se corriger, s'est pervertie.
» Jeune homme , tel est le jugement des dieux qui habitent le ciel , des dieux que
» tu t'imagines ne pas s'occuper de toi. Les bons seront réunis aux âmes des bous ,
» et les méchants aux âmes des méchants. Chacun rejoindra ceux qui lui ressemblent,
>. pour agir et souffrir selon ce qu'il est. Que ni toi , ni aucun autre ne se flatte
>> d'éviter ce jugement des dieux. Quand tu pénétrerois dans les profondeurs de la
>> terre , quand prenant ton vol , tu l'clèverois dans les hauteurs des cieux, le sup-
» plice que tu as mérité t'atteindra, soit ici-bas, soit dans les enfers, soit dans un
» lieu plus terrible encore. « ( X*? /egib., lib. lO.)
Socrale enseignoit « Qu'il y a deux chemins différents pour les âmes lorsqu'elles
)) sortent du corps. Celles qui , entraînées et aveuglées par les passions , se sont
» souillées de vices cachés, ou de crimes publics, prennent un chemin détourné
» qui les conduit loin de l'assemblée des dieux ; mais celles qui , demeurant chastes
>) et pures , se sont préservées de la contagion du vice , et ont eu dans un corps
» mortel une vie toute divine, retournent vers les dieux dont elles deviennent.
» Telle est , ajoute Cicéron , la doctrine des anciens et des Grecs. » (^Tuscvlan. ,
lib. I , c. 3o.^
Qui n'admireroit l'immuable uniformité de cette doctrine , et l'universalité de
l'antique tradition , qui , instruisant également les peuples policés ou barbares ,
dans tous les temps, dans tous les lieux, mettoit, à dix-huit siècles de distance, les
mêmes paroles dans la bouche d'un philosophe d'Athènes, et dans celle d'un sau-
vage américain! Pierre-Martyr, dans son Sommaire , rapporte qu'un vieux Indien
dit à Christophe Colomb : « Tu nous as effrayés par ta hardiesse : mais souviens-toi
)» que nos âmes ont deux routes, après la sortie du corps : l'une est obscure et ténc-
» breuse; c'est celle que prennent les âmes de ceux qui ont molesté les autres hom-
» VD&s. L'autre est claire , brillante , et destinée aux âmes de ceux qui ont donne la
» paix et le lepos. » La doctrine des Incas etoit d'accord avec celle de ce vieux in-
sulaire. Ils enteignoient que les bons jouissent d'une vie heureuse après cette vie , et
que les méchants souffrent toutes sortes de tourments. (Carli , Lettres umeric.y 1. 1,
paç. io6.)
La même croyance étoit répandue dans tout le Nouveau Monde, lïhid. ,p. laS.)
Plusieurs sectes philosophiques avoient conservé chez les Grecs et chez les Bo-
mains ce dogme de l'antique tradition , que d'autres sectes tentoient d'ébranler.
Suivant Zf'non et les stoïciens , il existe des enfers et des demeures différentes pour
les gens de bien et pour les impies: les premiers habitent des régions délicieuses et
tranquilles, les autres expient leurs crimes dans un séjour ténébreux et dans d'hor-
ribles gouffres. ( Lactant., Divin. Institut. , lib. 7, c. 7. )
Gelse, quoique épicurien, n'ose s'élever contre cette doctrine. « Les chrétiens,
»> dit-il, ont raison de penser que ceux qui vivent saintement seront récompensés
« après la mort, et que les méchants subiront des supplices éternels. Du reste, ce
i> sentiment leur est commun avec tout le monde. » ( Orig. contra Cehum , lib. 8.)
Et c'est aussi ce qu'avoue SextusEmpiricus. ( Lib. 8. )
On a des preuves qne c'étolt un dogme des Etrusques; et les marbres, les bas-
reliefs, les inscriptions des tombeaux, et beaucoup d'autres monuments, attestent
NOTES. XI
qu'il n'y eut jamais de croyance plus universelle. Extrait de l'Essai sur fmàiffé-
veiice en matière de Religion, toin. lll, c. 87.
Or , comme le dit Lcland , « on ne voit point de conclusion plus Ic'f^itimc à tirer
de la grande antiquité de cette doctrine que celle-ci ; savoir, qu'elle faisoit partie de
la rclif^ioii primitive communiquée par ime révélation expresse de Dieu aux pre-
miers pères du genre humain , afin qu'ds la transmissent a leur postérité'. C'est la
pensée de Grotius, qui dit que la tradition de Timmortalito de Tame passa de nos
premiers pères aux nations les plus civilisées : Q/yrc antiijiùssiind trudillo à primis
(^unde enirnalioatii? ) parentibus ad populos nioratiorcs pêne oinnes nianavit,
c. 21 . Il est en effet difficile de concevoir que , dans ces premiers âges où les hommes
grossiers et ignorants ctoient incapables de faire des raisonnements abstraits et sub-
tils , ils fussent parvenus eux-mêmes à se former des notions de la nature d'un être
immatériel qui devoit survivre à la mort du corps, et continuer de penser après la
destruction des organes corporels. Comment purent-ils alors s'élever aux spécula-
tions sublimes et pénibles de la nature et des qualités de l'âme, qui ont embarrassé
depuis les philosophes, les plus grands génies, dans le bel âge de la science? Toutes
les connoissances des hommes se boinoient à ce qu'ils pouvoient apprendre par
l'observation et l'expérience, ou par la voie de l'instruction. Ils voyoient leurs sem-
blables mourir après avoir vécu un certain nombre d'années. Voilà à quoi se rédui-
soit l'expérience sur la fin de l'homme ; elle n'étoit guère propre à leur donner l'i-
dée d'une vie future où chacun seroit puni ou récompensé selon qu'il auroit bien ou
mal vécu dans celle-ci. Ce ne fut donc ni par un raisonnement scientifique dont ils
n'étoient pas capables , ni par l'expérience et l'observation , que les hommes par-
vinrent à la connoissance de l'immortalité de l'âme et d'un état futur. Il ne reste
plus qu'un moyen, celui de l'instruction di\ine, ou de la révélation. C'est à la
re'vélation qu'il faut rapporter l'origine de cette tradition universelle. Plusieurs
auteurs païens déjà cités lui donnent une origine divine, et l'Ecriture sainte ne
nous permet pas d'en douter. » Nouvelle démonstration évangéli(jue , page 1 1 1 1
chap. 2.
II. Les biens de cette \ie sont communs aux bons et aux méchants, indifférem-
ment distribués aux uns et aux autres. On peut même dire qu'à cet égard les scélé-
rats sont mieux traités que les honnêtes gens. La raison en est que, n ayant en vue
que ces sortes de biens, ils emploient, pour se les procurer , toutes sortes de moyens
honnêtes ou malhonnêtes que les hommes vertueux ne se permettent pas. Je n'ai
pas besoin de prouver cette vérité que fait voir évidemment et continuellement
l'expérience. Nos adx-ersaires ne la contestent pas. Au contraire , ils se font de la
prospérité des méchants un de leurs principaux arguments contre la providence, ar-
gument qui véritablement auroit de la force , si le dogme de la vie future n'en don»
noit pas la solution.
D'après cette répartition des biens et des maux de la vie , égale entre les justes et
i£S malfaiteurs , si même elle n'est pas plus favorable à ceux-ci , nous faisons le rai-
sonnement contraire à celui des incrédules , et bien mieux fondé que le leur. Nous
disons que Dieu ne récompensant pas dans celte vie les vertus , et n'y punissant pas
les vices , c'est une conséquence nécessaire qu'il y ait , après la mort , un autre état
où la récompense sera accordé» et le châl-iment infligé ; qu'il se doit à lui-même
cette sanction ; et qu'il manqueroit à sa sagesse , à sa bonté et à sa justice, s'il man-
quoit à l'exercer.
I. Il est contraire à la sagesse de vouloir une fin , sans en vouloir les moyens.
Dieu veut que l'homme fasse le bien et évite le ma! , et il lui en donne le précepte.
11 est donc de sa sagesse de pourvoir à l'observation de ce précepte, en donnant à
l'homme un motif puissant , universel et toujours subsistant , de suivre la vertu et de
s'éloigner du vice. Les motifs qui déterminent l'homme , sont le désir du bonheur
et la crainte du malheur : la sagesse divine exige donc qu'il soit pourvu à l'observa-
lion du précepte , en attachant le bonheur à la vertu et le malheur au vice. Mais
daas la vie présente cette sanction n'est pas effectuée; il doit donc y avoir , après
cette vie, un autre état où elle se réalise.
xii JNOTES. ^
Dan£ l'hypothèse des incrcJules, quel motif assez fort pourra d^teriniier l'homme
aux sacrifices que souvent exige la pratique de la vertu? S'il n'a d'autres biens à es-
pe'rer que ceux de la vie actuelle , son unique intérêt sera de se les procurer par
toutes sortes de voies; et comme le vice apporte souvent plus d'avantages présents
que la vertu, il aura, dans une multitude d'occasions, plus d'intcrct à commettre,
le mal qu'à opérer le bien. Ainsi , la sagesse infinie se conlrediroit elle-même ; elle
donneroit à la fois le précepte de l'observation et le motif de l'infraction ; elle met-
troit le moyen en opposition avec la fin.
2. S'il n y a de bonheur que dans cette vie, la bonté divine est évidemment en dé-
faut; l'existence qu'elle adonnée à l'homme n'est qu'un don funeste; les souffrances
n'ont plus de dédommagement; les combats contre les passions, plus de palmes:
les travaux , plus de salaires; les douleurs , plus de consolations. Les incrédules qui
relèvent, qui exaltent , qui quelquefois même exagèrent les maux que souffrent les
justes sur la terre , font sentir bien claiiement la nécessité d'une vie différente sous
l'empire d'un Dieu bienfaisant. Un maître bon doit faire le bonheur de ceux qui
suivent ses ordres. Ole?, la vie future, quel est le bonheur que Dieu procure aux ob-
servateurs de ses commandements?
Est-il conforme a la bonté du Créateur , que sa créature , par l'acte le plus parfait
d'obéissance et de vertu qu'elle puisse faire, détruise son bonheur. Le comble de la
perfection est de mourir pour la vertu. Si cet acte héroïque ne mène pas au bonheur,
il anéantit tout celui que l'homme peut espérer.
3. Est-il juste à un supérieur qui a donné des ordres , de traiter également et
indifféremment ceux qui les enfreignent et ceux qui les remplissent? C'est cependant
ce qu'imputent à Dieu ceux qui prétendent qu'il a borné l'existence de l'homme à
cette vie. Il faut même qu'ils aillent plus loin : comme le vice jouit plus souvent des
agréments et des avantages de ce monde que la vertu , ils doivent, conséquemment à
ieur système, soutenir que la justice divine a voulu et a établi un ordre de choses
dans lequel c'est à l'infraction de ses commandements qu'elle a attaché le bonheur,
et c'est à cause de l'observation quelle rend misérable. Voici le raisonnement qu'ils
attribuent au dominateur essentiellement et infiniment juste : En créant un être
libre, je lui ai donné des préceptes; je lui ai ordonné de les observer, en n'épar-
çnant ni efforts ni travaux; je lui ai défendu de les violer, quelque satisfaction,
quelque avantage qu'il pût y trouver; et celui qui m'aura obéi aura, pour tout prix
de ses sacrifices, les peines qu'elles lui auront causées; celui au contraire qui m'aura
désobéi aura , pour unique punition , la jouissance des plaisirs qu'il se sera procure's.
Malheur aux observateurs du commandement, bonheur aux infractaires ; sage celui
qui se rend heureux aux dcpenls de ses semblables , insensé celui qui fait Je bon-
iieur public par ses privations. Voilà le système de justice divine de nos adver-
saires.
Concluons en trois mots. Ou le précepte divin de faire le bien et d'éviter le mal
n'est muni d'aucune sanction , ou il a sa sanction dans la vie présente, ou, comme
nous le soutenons, sa sanction est réservée à une vie future. De ces trois choses la
première répugne manifestement aux attributs divins ; la seconde est formellement
démentie par une expérience constante et évidente; reste donc la troisième.
J'oserai donc le dire à ia suite des docteurs de l'Eglise : S'il n'y a pas de sanc-
tion dans une autre vie , il n'y a pas de veHu sur la terre , il n'y a pas de Dieu dans
'eciel. C'est bannir la vertu que de lui ôler ses motils ; c'est anéantir Dieu que de le
priver de ses attributs. ( M. de la Luztrut^ Dissertation sur la loi naturelle, cha-
pitre 3. )
« Plus je rentre en moi , dit Rousseau , plus je me consulte , et plus je lis cts mots
gravés dans mon âme : Sois juste et tu seras heureux. ïl n'en est rien pourtant à
eoiLsidérer l'état présent des choses. Le méchant prospère et le juste reste opprimé.
Voyez aussi quelle indignation s'allume eh nous quand cette attente est frustrée!.
r.a conscience s'élève et murmure contre son auteur; elle lui crie en gémissant :
Tu m'as trompé. Je t'ai trompé, téméraire , et qui îe l'a dit ? Ton âme est-elle
aacanlie? As-tu cessé d'exister? OBrutus ! ô mon fils! ne souille point ta noble vie"
NOTES. xm
en la finiMant ; ne laisse fioint ton espoir et ta gloire aux champs de Pliilippes.
Pourquoi dis-tu : sa vertu n'est rien , quand tu vas jouir du prix de la tienne; 'J'u
vas mourir, penses-tu. Non tu vas vivre; et c'estalors que je tiendrai tout ce que je
t'ai promis.
M Si rame est immati^rielle, elle peut survivre au corps ; et sî elle lui survit , la
Providence est justifiée. Quand je n'aurois d'autres preuves de l'immorlalilé de l'âme
que le triomphe du méchant et l'oppression du juste en ce monde , cela seul m'em-
pècheroit d'en douter. Une si choquante dissonance dans l'harmonie universelle me
îeroit chercher à la résoudre. Je me dirois : tout ne finit pas pour nous avec la vie,
tout rentre dans l'ordre à la mort.
» Quand l'union du corps et de l'âme est rompue, je conçois que l'un peut se
dissoudre et l'autre se conserver. Pourquoi la destruction de l'un cntraîneroit-ello
la destruction de l'autre ? Au contraire, étant de natures! différente , ils etoicnt , par
leur union, dans un ctat violent; et quand cette union cesse, ils rentrent tous deux
dans leur état naturel, l^a substance active regagne toute la force qu'elle employoïtà
mouvoir la substance passive et morte. Hélas ! je le sens trop par mes vices : l'homme
ne vit qu'à moitié durant sa vie; et la vie de l'âme ne se commence qu'à la mort du
corps. » (Esprit el maximes de J. J. Runsseuii.)
III. Les philosophes , ceux même qui ont osé attaqtier le dogme de l'immortalité de
l'âme , ont été forcés d'avouer qu'il est nécessaire à la société. Epicure n'a jamais osé
prétendre que sa doctrine pût être utile à la société , si elle dcvenoit commune ; il la
donnoit comme un mystère desiiné seulement à faire la félicité d'un philosophe:
comme si un philosophe n'étoit plus un homme!
Pline , qui ne croyoit ni Dieu ni Providence , a cependant reconnu l'utilité de cette
doctrine. « Il est avantageux , dit-il , que l'on croie que les dieux font attention aux
« choses humaines ; que si les malfaiteurs tardent si souvent à être punis à cause de la
» multitude des soins dont Dieu est occupé, ils n'échappent jamais au châtiment;
» que l'homme n'a point été créé semblable à Dieu pour se rapprocher des brutes par
» ses inclinations. » ( Hist. nat. , 1. 2, c. 7. )
Pomponace , qui ne s'est rendu que trop suspect d'athéisme , dit que , si tous les
hommes étoient nés avec un excellent caractère , la beauté de la vertu et ses avantages
suffiroitnt pour les engager tous à bien faire ; mais que ., comme le très-grand nombre
a de mauvaises inclinations , il a fallu , pour le bien commun , imaginer lei peines et
les récompenses de l'autre vie, parce que cette croyance peut être utile à tous les
hommes. ( De immortalilate animœ , p. ia3. "Voyez i." Dissertation tirée de
Warburlhon , p. 53 , Sy. )
Spinosa parle de même. « Si tous les hommes, dit-il , dloient d'un tempérament
j» à ne rien souhaiter que de raisonnable , il est certain que , pour vivre ensemble , ils
» n'auroient pas besoin de lois; il suffiroit de les instruire d'une bonne morale...
» Mais la nature humaine est bien éloignée de cette modération ; tous courent à leur
t> intérêt,... et vont aveuglément où leur appétit les entraîne. De là vient que I auto-
m rite et la violence sont le maintien des sociétés , et qu'il y faut absolument des lois
» qui tiennent en bride la licence effrénée des hommes et répriment leur insolence. »
Après avoir remarqué que la crainte est un état violent et un joug que les hommes sont
toujours tentés de secouer , il ajoute : « Voilà la raison qui obligea Moïse divinement
» inspiré, à introduire dans sa république la religion, afin que le peuple fil son
» devoir plus par dévotion que par crainte. » Enfin il dit que celui qui n'a aucune
idée de Dieu , ni par l'histoire de la révélation , ni par la lumière naturelle , s'il n est
impie et réfractai re, est un brutal qui n'a que le nom d'homme, et que Dieu n a
doué d'aucune bonne qualité. (Trait. théoL polit. ,c. 5, traduction, page i34,
ï37.i44-)
Bayle, quia employé toutes les subtilités possibles pour prouver qu une société
d'athées pourroit subsister, rend quelquefois hommage aux effets salutaires de la
religion , et en avoue la nécessité. « On a reconnu de tout temps , dit-il , que la re-
» ligiun étoit un des liens de la société, et que les sujets n'étoient jamais m»e<ix rete-
» niudans l'obéissance que lorsqu'on savoit à propos faire intervenir le ministère d«»
XIV NOTES.
V dieux.... N'en dëplaise à Cardan, une sociëtd d'athëeâ, incapable qu'elle «croit
» de se servir des motifs de la religion pour se donner du courage, seroit bien plus
i> facile à dissiper qu'une société de sens qui servent les dieux; et, quoiqu'ilait quelque
» raison de dire que la croyance de l'immortalité de l'âme a causé de grands désordres
t> dans le monde par les guerres de religion qu'elle a excitées de tout temps, il est
M faux , même à ne regarder les choses que par des vues de politique , qu'elle ait ap-
» porté plus de mal que de bien , comme il voudroit le faire accroire. >» ( Pensées sur
fcf tvi/nrte , § io8 et 1 3i . )
Bayle cite le traité dans lequel Plutarque a démontré aux épicuriens que la doc-
trine, qui rejette la providence de Dieu et l'immortalité de l'âme, ôte à l'homme une
infinité de consolations pendant sa vie, et le réduit au désespoir quand il faut mourir ;
et il avoue que Plutarque a prouvé ce point très-solidement. ( Dict. crit. Epi-
cure. R. )
Il le confirme ailleurs par l'exemple de Brutus qui termina sa vie en injuriant la
vertu et en se repentant de l'avoir pratiquée. Ce Romain , dit-il , n'avoit pas tout le
tort que l'on s'imagine. «Si l'on ne joignoit pas à l'exercice de la vertu ces biens à
» venir que l'Ecriture promet aux fidèles , on pourroit mettre la vertu et l'innocence
» au nombre des choses sur lesquelles Salomon a prononcé son arrêt définitif: Vanité
» des vanités , et tout est vanité. S'appuyer sur son innocence seroit s appuyer sur
» le roseau cassé qui perce la main de celui qui veut s'en servir. » ( Dict. crit. , Brutus
Marc. Jun. CD.)
En parlant des saducéens, il observe qu'en ruinant le dogme de l'immortalité de
l'âme on ôte à la religion toute sa force, par rapport à la pratique de la vertu; il le
prouve par deux remarques : « L'une , qu'il n'est presque pas possible de persuader
» aux gens qu'ils prospéreront sur la terre en vivant bien , et qu'ils seront accablés de
>> la mauvaise fortune en vivant mal ; parce que l'expérience paroît contraire : l'autre ,
» que les orthodoxes peuvent se flatter de cette espérance tout comme les saducéens, et
» qu'ayant de plus la ressource de l'éternité ils seront plus en état de faire influer la
» religion sur leur morale pratique.» (JJict.crit., saducéens. £. Con/«/i. des pens.
rf/V. ,^i5î. )
Bolingbroke avoue que la doctrine des récompenses et des peines futures est propre
à donner de la force aux lois civiles, et à réprimer les vices des particuliers. La rai-
son , dit-il , qui ne peut pas l'admettre sur les principes de la théologie naturelle , ne
doit pas la rejeter dans les principes de la bonne politique. ( Œuvres , tom. V , page
322-489. ) « L'utilité de maintenir la religion , et le danger de la négliger , ont été
» extrêmement visibles dans toute la durée du gouvernement romain.... Quoique la
» religion établie par Nu ma fût absurde, cependant la crainte du pouvoir suprême ,
» la croyance d'une Providence qui régloit toutes choses , produisirent les merveil-
» leux effets que Polybe , Cicéron , Plutarque et Machiavel leur attribuent. . . L'ou-
» bli et le mépris de la religion furent la cause principale des maux que Rome éprouva
» dans la suite : la religion«t l'état déchurent dans la même proportion. » (Tome IV ,
p. 328. )
Shaftsbury, après avoir' soutenu que , sans la croyance d'un Dieu , l'homme peut
sentir les avantages de la vertu et en avoir une haute idée , ajoute : « Néanmoins il
» faut avouer que la pente naturelle de l'athéisme est très-différente ; il tend à re-
I» trancher toute affection à ce qu'il y a de plus aimable et de plus digne de l'bommc.
» Peut-on être porté à aimer ou à admirer quelque chose, comme ayant rapport à
» l'ordre de l'univers, quand on regarde l'univers comme un chaos de désordre?....
» Rien n'est plus capable d'exciter à la vertu et de détourner du vice que la présence
» d un Etre suprême , témoin et juge de ce qui se passe dans l'univers ; et c'est un
»• grand défaut dans l'athéisme de retrancher ce motif... Croire que les mauvaises ac-
>» tiens , auxquelles nous sommes entraînés par des passions violentes , sont punies
» par la justice divine , est le meilleur remède contre le vice et le plus grand encou-
j> rarement à }a vertu. » ( Recherches sur te mérite de la vertu, 1. 1 , 3. Part. , § 3. )
David Hume s'est expliqué d'une manière encore plus forte. « Ceux qui s'effor-
•» cent , dit-il , de désabtaer le genre humain de ces sortes de préjugés ( de religion ),
NOTES. XV
11 eunl iicnt-rlic de bons raisonneurs ; mais je ne saiirois les rcronnoîlre pour lions
>• cituyciisni pour bons pol il iqiies, puisqu'ils afTranrliissenl les liomnics «l'un des
» freins de leurs passions, et qu'ils rendent Pinlradion des loisde l'rquité cl de la
» soti<-te, et plus aisi-c , et plus sûre à cet égard. » (^JLssai, Œuvres, tonielli.
L'auteur de la Lettrede Thrasibule à Leudppe soutient, dans un endroit, que l'o-
pinion de l'existence de Dieu ne sert de rien pour rendre les hommes meilleurs;
mais dans la suite il se rétracte et convient que les Cctions de la vie à venir sont très-
avantageuses au genre humain. « Le commun des hommes, dit-il, est trop corrompu
» et trop insensé pour n'avoir pas besoin d'être conduit à la pratique des actions ver-
•> tueuses, c'esl-à-dirc à la société, par l'espoir de la récompense, et détourné des ac-
» tions criminelles par ia crainte des châtiments. C'est là ce qui a donné naissance
B aux lois; mais, comme ces lois ne punissent ni ne récompensent les actions secrètes,
» et que dans les sociétés les mieux réglées les coupables puissants et accrédites trou-
» vent le secret de les éluder , il a fallu imaginer un tribunal plus redoutable que
i> celui du magistrat. On a supposé qu'à la mort nous entrions dans une nouvelle
» vie, etc.... Cette opinion , sans doute , est le plus ferme fondement des sociétés ;
w c'est elle qui porte les hommes à la vertu et les détourne du crime, u (Lettre de
Thrasibule , p. 169 et 282. ) Toland, àziisse.% Lettres philosophiques dit la même
chose. (^Seconde lettre, § i3, p. 80. )
DaQs\ts ]S^ou{/elles libertés de penser (^^. i5oet i5i), un philosophe, aprèsavoir
attaqué l'existence de l'âme et l'existence de Dieu , soutient que la morale n'est fon-
dée que stir l'amour-propre, et finit par ces mots : « Ce n est pas que cette morale ne
» fût dangereuse en général ; elle n'est bonne à prêcher qu'aux honnêtes gens , et le
» peuple neseroitpas arrêté par ce sentiment dclicat de l'amour-propre: mais est-ce
» la faute de la morale?» Et quelle morale plus fautive que celle qui ne convient
pas au peuple et qui est dangereuse en général?
L'auteur du Système de la Nature observe que, « dans une société nombreuse ,
» fixée et civilisée, les besoins venant à sii multiplier et les intérêts à se croiser. Von
» est obligé de recourir à des gouvernements , à des lois , à des cultes publics , à des
» systèmes uniformes de religion, pour maintenir la concorde;... qu'ainsi peu à peu
» la morale et la politique se trouvent liées au système religieux. » ( Sjst. de la
Nat., t. IL, ch. i3, pag. Syy-Syg. )
On demandera peut-être comment , après de pareils aveux , de prétendus zélaleiirs
des intérêts de l'humanité osent écrire contre la croyance d'une autre vie. Ce n est
point à nous de répondre ; c'est aux lecteurs judicieux de leur rendre la justice qui
leur est due. Extrait du Traité de la Religion , tom. l,p. aag, édition de Besançon,
1820. V. l'art. Athéisme.
NOTE VL — AMÉRICAINS.
(Page 98.)
Les incrédules prétendent que l'Amérique n'a pu être peuplée par les descendants
deNoë.
« M. de Guignes , Mémoires de l'Académie des Inscriptions , etc. , a solidement
répondu à cette obiection . dans une dissertation qui a pour titre : Recherches sur
ks navigations des Chinois du côté de l'Amérique. Cet illustre savant qui , par
son érudition dans les langues orientales, a si fort étendu nos connoissances his-
toriques , a indiqué dans cet ouvrage plusieurs manières dont l'Amérique a pu être
peuplée par les nations de notre continent ; et il en a si bien prouvé la possibilité,
et même pour quelques-unes la facilité, qu'il ne doit rester aucune difficulté sur
ce sujet pour ceux qui cherchent la vérité de bonne foi. Nous ajouterons à ces
preuves , déjà si solides , une observation qui leur donne une nouvelle force , et qui
n'a pu être connue de cet habile académicien, parce qu'elle n'avoit pas encore été?
faîte lorsqu'il écrivoit. Kracheninnikotv a démontré que le continent de l'Arr,é-
XVI NOTES.
rique teno'it autrefois à l'Asie par le Kamtschatka. Voici U note que Téditeur fait j
•ur ces paroles de son discours préliminaire. ^
« Suivant le récit de ce savant étranger , le continent de rAménque s étend du
» sud-ouest au nord-cit , presque partout à une égale distance des côtes du
i> Kamtschatta , et les deux rôles semblent parallèles , surtout depuis la pointe do*
» Kovmles , jusqu'au cap de Tchoukotsa. 11 n'y a que deux degrés et demi entre c«
» dernier cap et le rivage de l'Amérique correspondant. On voit, par l'aspect des
w côtes , qu'elles ont été séparées avec violence , et les îles qui sont entre deux
M forment une espèce de chaîne comme les Maldives. Les habitants de l'Amérique
» correspondant à l'extrémité orientale de l'Asie «ont de petite taille, basanés et
i> peu barbus, comme les Kamtschadales , etc. Voyet les preuves de cette opinion
M dans l'ouvrage même de Krachcninnlkow , traduit au second volume in-4.« du
» voyage en Sibérie de l'abbc Chappe. Ces preuves sont trop fortes pour ne servir
» qu'à l'appui d'un système.
» Loî lions , les tigres, et les autres bêtes sauvages que les Espagnols ont trouvées
dans le continent de l'Amérique , sont encore une preuve qu'il étoit anciennement
contigu au nôtre; car ils n'ont trouvé aucun de ces animaux dans aucune île éloignée
de la terre feme.
» Un savant russe , professeur de l'académie de Pétersbourg , nommé M. Krache-
ninnikow^, profitant des connoissances qu'il a acquises par un lon^ séjour dans le
Kamtschatka, Histoire du Kamtschatka , tom. I, pag. 898, et des observations
de M. Steller qui y a aussi demeure plusieurs années , estime que cette presqu'île de
l'Asie étolt autrefois contiguë à l'Amérique , d'où elle a étti séparée par quelque
grand tremblement de terre. Voici les preuves qu'il en apporte : •<»
» i.oLe continent de l'Amérique s'étend du sud-ouest au nord-est presque par-
tout à une égale distance des côtes du Kamtschatka , et les deux côtes semblent pa-
rallèles , surtout depuis la pointe des Kowriles jusqu'au cap Tchoukotsa.
» a.» On voit par l'aspect des côtes qu'elles ont été séparées avec violence, et les
îles qui sont entre deux forment une espèce de chaîne comme les Maldives. Les
ticmblemenls de terre sont très-fréquents dans le Kamtschatka.
» 3.0 Quantité de caps s'avancent dans la mer jusqu'à l'espace de quinze lieues.
» 4'° 1-cs habitants de l'Amérique correspondant à l'extrémité orientale de l'Asie ,
mû est vis-à-vis le Kamtschatka , ressemblent aux Kamtschadales. Ils sont épais ,
trapus et robustes ; ils ont les épaules larges ; leur taille est moyenne ; leurs che-
veux sont noirs et pendants , ils les portent épars ; leur visage est i)Iat et basané ;
leurs nez sont écrasés sans être fort larges ; ils ont les yeux noirs comme du char*
bon , les lèvres épaisses , peu de barbe et le cou court. Ils se nourrissent de poissons ,
de betes marines et d'herbe douce , qu'ils apprêtent comme les Kamtschadales....
Ds regardent comme un ornement particulier de se faire des trous dans les joues et
d'y mettre des pierres de différentes couleurs ou des morceaux d'Ivoire. Quelques-
uns se mettent dans les narines des crayons d'ardoise de la longueur d'environ
deux verchoks ; quelques autres portent des os d'une égale grandeur sous la lèvre
inférieure ; il y en a qui en portent de semblables sur leur front ; les naturels des îles
qui sont aux environs du cap Tchoukotsa , et qui ont communication avec les
Tchouktchi, sont vraisemblablement de la même origine que ces peuples de l'A-
mérique, puisqu'ils regardent aussi comme un ornement de se mettre des os au
visage.
» 5.» Les Américains et les KamtscliadaJes ont les mêmes traits de visage.
» 6.0 Ils gardent et préparent l'herbe douce de la même manière , ce que 1 on
n^a jamais remarqué ailleurs.
» 7.0 Ils se servent les uns et les autres du même instrument de bois pour alln->
mer du feu.
» 8.» Leurs îiaches sont de cailloux ou d'os ; ce qui fait croire avec juste raison
à M. Steller que les Américains ont eu autrefois communication avec les Kamt-
schadales.
» 9.0 Leurs habitt et \txai chapeaux «ont fait^ comme ceiu des Kamtscbada
NOTES. xvti
u 10.» Ils teifjncnl , denicnie que lesKaintscliadalcs , leur jieau avec Je l'i-corn:
tVauiie.
» Toutes CCS preuves réunies semblenl ne pas laisser lieu de douter que le Kamt-
xlialka n'ait elc aiicienneinciit cor.ligu à l'Amérique, et que les Américains qui
.sont vis-à-vis le Kamtscliatka ne soient une colonie de Kamtschadales , en svipposaiit
même que le continent de l'Amérique n'ait jamais été joint à celui de l'Asie. Ces
deux parties du monde sont si voisines, que personne ne disconviendra qu'il ne soit
très-possible que les habitants de l'Asie soient passes en Amérique pour s'y établir;
ce qui est d'autant plus vraisemblable que, dans l'espace peu tilendu qui sépare ces
lieux continents , il se trouve une asseï grande quantité d'îles qui ont pu favoriser
celte transmigration.
» Plusieurs parties de l'Europe ont éprouvé des révolutions semblables à celle du
Kamtscliatka. La Sicile a été séparée de l'Italie, l'Espagne de l'Afrique, la Grande-
IJretagne de la France , l'île de Finlande du Groenland. x
» On a mis avec raison les tempêtes au nombre des moyens par lesquels le Nou-
veau Monde a pu se peupler. 11 faut ajouter que ce ne sont pas seulement les vais-
seaux qui peuvent être jetés par les vents , des côtes d'Afrique jusqu'en Amérique,
comme l'éprouva la flotte de Cabrai , mais encore de simples barques , ainsi qu'il
arriva à celle dont le père Gumilla raconte l'histoire.
» M'étant trouvé en iy3i (Histoire de l'Orenoque, i , 1 1 , c. 3i .) , au mois de
» décembre, dans la ville de Saint-Joseph de Oruna, capitale du gouvernement de
» la Trinité de Bar/own/o, située à douze lieues de l'embouchure de l'Orénoque ,
» j'appris des habitants qu'il étoit arrivé dans leur port un bateau deTénériffe chargé
:» de vin , lequel étoit conduit par cinq ou six hommes maigres et décharnés , les-
» quels ayant fait provision de pain et de viande pour quatre jours , passoient de
•» Ténériife dans une autre île des Canaries. La tempête les ayant surpris , ils furent
1» obligés de s'abandonner à la fureur des vents et des flots pendant plusieurs jours ;
» de sorte qu ayant consommé le peu de vivres qu'ils avoient pris ,. ils se virent ré-
» duîts à boire du vin pour toute ressource. Ils attendoient la mort à tout moment ,
Il lorsque par une grâce spéciale du Ciel , il» découvrirent l'île de la Trinité t qui est
» vis-à-vis de VOre'noque : ils rendirent grâces à Dieu de ce succès inespéré. Us arri-
11 vèrent et prirent fond dans le port d'Espagne , au grand étonnement de la garnison
n et des habitants , qui accoururent tous pour être témoins de ce prodige.
u Que ce passage ait été occasionné par le hasard plutôt que par la volonté de ces
» pauvres insulaires , je n'en veux d'autres preuves que leur déclaration, l'état ml-
» sérable où. ils étoient réduits , et le passe-port de la douane de Ténériffe , qui mar-
)i quoit leur destination pour l'île de Palme ou celle de Gomere qui appartient aux
Il Canaries. Ce fait ainsi attesté , qui pourra nier que ce qui s'est passé de nos jours
•I ne puisse être arrivé dans les siècles passés, vu que ces faits sont attestés par des aii-
)• tcurs classiques? » Bullet, Réponses critiques, t. II , édit. de Besançon, 1819.
NOTE VII. — ANGE.
(Page 121.)
Cdtoît un des points de la doctrine ancienne, que Dieu gouvernoit le monde ,
même matériel , par le ministère des esprits', à chacun desquels il lui avoit plu d'at-'
tribuer certaines fonctions. Il se servoit des bons pour maintenir l'ordre général,
pour veiller aux empires , protéger les hommes et répandre sur eux ses bienfaits : «l
fiermettoi taux mauvais de les éprouver , comme on le volt dans l'histoire de Job , ou
es chargeoit d'exécuter les arrêts de sa justice. Partout l'Ecriture rappelle ce mer-
veilleux ministère des anges , et , à quelque époque qu'on veuille remonter , on ne
trouvera point sur la terre de tradition plus constante. L'Evangile nous montre Jc-
»is-Chrlst lui-même tente par Satan , et guérissant des hommes soumis à la puissance
<lc6 esprits de malice. U nous enseigne que les petits enfants, tendre objet des soins
d'une providence maternelle , ont des anges préposés à leur garde , Malth. , c. 28 ,
1. b
xviir JNOTES.
^. 10 ; tant est grand le prix Je noire âme aux yeux de Dieu ! Tous les esprits cè~
lesles sont ses ministres, selon saint Paul, elilles envoie pournous aider à recneiUii'
l'héritage du salut, Heb. , c. i , ^. i4; pournous défendre contre celui qui a e'Ii
homicide dès le commencement , Joan. , c. 8 , ^. 44 » ^"^ 9"' tourne sans cesse autour
de nous comme un lion pour nous dévorer, 1. Ep. Petr. , c. 5, > . 8 ; nous n'avons
pas à lutter seulement contre la chair el le sang, mais contre les principautés et les
puissances , contre ceux qui ont pouvoir dans ce monde de ténèbres, contre les
esprits méchants répandus dans Pair. Ephes. , c. 6 , y'. 12.
Dépositaires fidèles de l'antique tradition confirmée par l'enseignement de Jésus-
Christ et des apôtres , les saints Pères, d'une voix unanime, nous apprennent que la
providence du Très-Haut s'étend à tout ce qui existe , et qu'il se sert, pour l'exécu-
tion de ses/desseins, du ministère des anges. Ilsgouvernent l'univers et le conservent,
lis président à toutes les choses visibles , aux astres du ciel , à la terre et à ses produc-
tions, au feu , aux vents , à la mer, aux fleuves , aux fontaines , aux êtres vivants. Ils
présentent à Dieu les prières des hommes ; associés à sa vaste administration, ils ne
dédaignent aucune des fonctions que le Tout-Puissant leur confie , et chacun d'eux
se renferme dans l'emploi qui lui est prescrit. Ainsi parlent saint Justin, Athéna-
gore, Théodoret, Clément d'Alexandrie, saint Grégoire de Nazianze, Origéne ,
Ëusèbetle Césarée , saint Jérôme, saint Augustin , saint Hilaire , saint Ambroise ,
saint Jean-Chrysostôme, saint Cyrille et saint Thomas.
Ecoutons maintenant Bossuet expliquant la même doctrine : « Nous voyons avant
» toutes choses, dans ce livre divin ( V Apocalypse ) , le ministère des anges. On les
>> voit aller sans cesse du ciel à la terre , et de la terre au ciel ; ils portent , ils iuter-
» prêtent, ils exécutent les ordres de Dieu , elles ordres pour le salut, comme les
» ordres pour le châtiment.... Tout cela n'est autre chose que l'exécution de ce qui
» est dit, que les anges sont esprits administrateurs envoyés pour le ministère de
« notre salut. Tous les anciens ont cru , dès les premiers siècles , que les anges s'en-
» tremettoient dans toutes les actions de l'Eglise ; ils ont reconnu un ange qui in-
» tervenoit dans l'oblalion , et la porloit sur l'autel sublime de Jésus-Christ; un
» ange qu'on appeloit Y ange de l'oraison , qui présentoit à Dieu les vœux des fidèles.
» ( 'Tert. , de Orat. ) Les anciens étoient si touchés de ce ministère des anges , qu'Ori-
» gène , rangé avec raison au nombre des théologiens les plus sublimes , invoque
>) publiquement et directement l'ange du Baptême, et lui recommande un vieillard
» qui alloit devenir enfant en Jésus-Christ. Il ne faut point hésiter à reconnoitre saint
>> Michel pour défenseur de l'Eglise, comme il l'étoit de l'ancien peuple , après le
>> témoignage de saint Jean ( Apocalypse , c. 12 ) , conforme à celui de Daniel,
w c. 10, i3, 21 et22. Les protestants qui, par une grossière imagination, croient
» toujours ctcrà Dieu tout ce qu'il donne à ses saints et à ses anges dansrarcompiis-
» sèment de ses oavrages, veulent que saint Michel soit dans \. Apocalypse Jésus-
« Christ même le prince des anges, et apparemment dans Daniel le Verbe conçu
>> éternellement dans le sein de Dieu ; mais ne prendront-ils jamais le droit esprit de
» l'Ecriture? Ne voient-ils pas que Daniel nous parle du prince des Grecs, du
» prince des Perses, c, 10, c'est-à-dire, sans difficulté, des anges qui présidoient
3> par l'ordre de Dieu à ces nations , et que saint Michel est appelé dans le même sens
» le prince de la synagogue , ou comme l'archange Gabriel l'explique à Daniel ,
» ]\lichel votre prince , Ibid. Et ailleurs plus expressément : Michel un grand
>. prince qui est établi pour les enfants de votre peuple. Ibid.
» Quand je vols dans les prophètes et l'Apocalypse , et dans l'Evangile même , cet
I» ange des Perses, cet ange des Grecs, cet ange des Juifs , l'ange des petits enfants ,
w qui en prend la défense devant Dieu contre ceux qui les scandalisent, l'ange des
» eaux , l'ange du feu et ainsi des autres ; et quand je vois parmi tous ces anges ,
«> celui qui met sur l'autel le céleste encens des prières, jeconnois dans ces paroles
» une espèce de médiation des saints anges, je vois même le fondement qui a pu
u donner occasion aux païens de distribuer leurs divinités dans les éléments et dans
»> les royaumes pour y présider ; car toute erreur est fondée sur quelques vérités dont
" on abuse.
WOTES. xfK
» Je VOIS aussi Jans l'Apocalypse , non-sculcmcnt une grande {gloire, mais en-
» core une grande puissance dans les saints. » ( Préface de l'Apocalypse , c. 27. )
1^'cxislence des bons et des mauvais esprits qui concourent, quoique d'une manioie
diflin-enlc , à l'exécution des desseins de Dieu, et sont comme les instruments de la
Providence dans le gouvernement de l'univers, même matériel (Cicer., de uat.
Deor. , lib. i , c. 2 ) ; l'immortalité de l'ame et l'clat de gloire et de puissance où
les justes sont c'Ievc's après cette vie; ces croyances, aussi anciennes que ie genre hu-
main, appartiennent donc à la tradition universelle ; et voilà pourquoi , consacrées
par le christianisme , elles font partie de la doctrine de la société universelle ou ca-
tholique.
Un homme d'un vaste savoir (Huet, Aliiet. quœst., lib. 2, c. i4), a prouvd
qu'elles se trouvoicnt chez tous les peuples de la terre; que les Grecs les avoient
reçues Aa Egyptiens et des Phéniciens; que l'antiquité entière a reconnu l'exis-
tence d'esprits inférieurs au Dieu suprême, et créés pour présider .à l'ordre de la na-
ture, aux astres, aux éléments, .\ la génération des animaux. Le monde, selon Thaïes
cl Pythagore, est plein de ces substances spirituelles. On les croyoit répandues dans
leseicux et dans l'air. Elles se divisoient en deux classes, l'une des esprits bons ,
l'autre des esprits mauvais, inférieurs aux premiers. Platon parle même d'un prince
d'une' nature malfaisante , préposé à ces esprits chassés par les dieux et tombés dit
ciel , dit Plutarque. La croyance des anges gardiens ou des génies destinés à veiller
sur l'homme , depuis sa naissance jusqu'à sa mort , n'étoit ni moins ancienne, i\\
moins générale. M. delà Mennais , Essai, etc. , tom. III, c. S^.
NOTE VIII. — APOSTOLIQUE,
(Page 182.)
On dislingue deux sortes d'aposlolicité immédiatement essentielles, et formanl
comme deux parties intégrantes de l'apostolicité de l'Eglise; savoir, celle de la
iloctrinc et celle du ministère. Les hérétiques et les. schismatiques qui prétendent
avoir conservé tous les dogmes de la foi , conviennent sans peine que l'apostolicité
de la doctrine est une qualité essentielle à l'Eglise, et l'un des caractères qui la dis-
tÎDguent des sociétés qui se sont séparées d'elle.
Mais si l'apostolicité de la doctrine est nécessaire à la vraie société des fidèles,
celle du ministère ne lui est pas moins essentielle. En effet, le légitime ministère est
Intimement uni à la saine doctrine, puisque c'est par le ministère que la doctrine
est répandue et assurée. Si le canal par lequel nous sont transmis les dogmes sacrés
pouvoit être interrompu, comment pourrions-nous être certains qu'ils découlent
de la vraie source? On marqueroit dans tous les temps le point oii la communica-
tion fut interceptée. Mais Jésus-Christ, voulant que les vérités saintes qu'il appor-
loit au monde ne périssent jamais, les a confiées à un ministère impérissable , à un
ministère qui, se renouvelant sans cesse, reste toujours le même. Ainsi ce dépôt
sacré ne change pas de main. Comme c'est au corps entier des pasteurs qu'il a été
commis , leur succession ne le déplace pas; au contraire cette succession non inter-
rompue forme la continuité du corps. Chacun de ces pasteurs reçoit à la fois, et de
son prédécesseur , et de tous ses collègues, la tradition précieuse qu'il transmet con-
jointement avec eux à ses successeurs. C'est une chaîne non interrompue, dont le
premier anneau remonte à Jésus-Christ, et qui se prolonge dans tous les siècles, pour
les réunir tous dans la même foi. Ainsi le ministère qui s'exerce dans l'Eglise, est
le même que les apôtres ont reçu fîe Jésus-Christ , comme la doctrine qui s'y prêche
est la même que Jésus-Christ a enseignée à ses apôtres. L'apostolicité du ministère
est l'appui et le garant de l'apostolicité de la doctrine, et l'on ne peut porter at-
teinte à l'une sans ébranler l'autre.
On distingue deux choses dans le ministère ecclésiastique : le pouvoir d'ordre et
le pouvoir de jurid^iction. Tous les deux émanent des apôtres qui les avoient reçus
•Je Jésus-Christ. C'est dans la continuité de ces deux pouvoirs , depuis les apôtres
xx NOÏES.^
(]ui les premiers oi.l exerce' ce ministère sacré, jusqu ;tLix cvéques qui j exercent au^
jourd'hui , que consiste l'apostolicilé du ministère. Le premier, c'est-à-dire, le pou-
voir d'ordre, s'est perpe'tué sans interruption par l'ordination canonique. Les apô-
tres ont ordonne' les premiers cvèques ; ceux-là en ont consacré d'autres : et ainsi
les évêques de nos jours ont reçu le même caractère épiscopal qu'avoient les premiers
successeurs des apôtres. Si, dans le cours des siècles, il s'est rencontré quelque
homme assez téméraire pour entreprendre de faire uue ordination d'éveques , sans
avoir reçu lui-même des successeurs des apôtres le caractère épiscopal , cette ordi-
nation a été non-seulement illégitime, mais encore invalide. Un tel épiscopat,
n'étant pas le même qu'avoient les apôtres, n'est pas apostolique; il est nul.
Le second pouvoir, qui est le pouvoir de juridiction, ayant été dès l'origine
de l'Eglise fixé à des sièges et circonscrit dans des territoires , c'est la succession con-
tinue des évêques sur ces sièges qui forme l'apostolicité de la juridiction. Chaquv,-
successeur a reçu la juridiction qu'avoit son prédécesseur, et cette tradition non
interrompue remonte jusqu'aux apôtres. Les érections nouvelles d'évêchés ayant été
faites par l'autorité des successeurs des apôtres, sont de même dans la succession
apostolique. Les uns sont établis dans les régions récemment acquises à la foi, et
sont aussi apostoliques que ceux qu'établissoient les apôtres à mesure qu'ils éten-
doient leurs prédications : ils sont fondés , comme le» premiers , par la puissance
apostolique. Les autres sont des démembrements d'évêcbés que l'on juge trop éten-
dus. Les évêques qu'on y installe , succèdent légitimement en cette partie à ceux
dont on a démembré le territoire, lesquels les reconnoissent comme leurs succes-
seurs. Tous ces établissements récents sont denouveaux rameaux, mais qui sortent
de la tige sacrée, et qui tirent leur substance de la racine apostolique. Au contraire,
qu'un évêque prétende se faire un siège à lui-même, ou ce qui reN-ient au même,
qu'une puissance qui n'est pas celle des apôtres, entreprenne d'en établir un , ce ne
sera point un siège apostolique , parce qu'il ne sera pas dans l'ordre de la succes-
sion. Celui qu'on y aura élevé pourra avoir l'ordination apostolique, mais il n'aura
pas la juridiction apostolique ; il n'exercera donc pas un ministère apostolique.
Ainsi la succession des évêques sur les mêmes sièges , depuis les apôires jusqu'à
nous, ne constitue pas moins l'apostolicité du ministère, que la tradition successive
de l'ordination. L'apostolicité du ministère a , comme nous l'avons déjà observé , un
rapport immédiat et nécessaire à l'apostolicité de la doctrine. C'est pour maintenir
la perpétuité de la doctrine qu'il confioil à ses apôtres, que Jésus-Christ les a revêtus
d'un ministère perpétuel qui devoit se continuer après eux jusqu'à la consomma-
tion des siècles. Or, ce n'est pas la succession de l'ordination , mais la succession de
la juridiction qui transmet la doctrine. En vertu de l'ordination les évêques portent
au ciel les vœux des peuples , offrent le saint sacrifice , administrent le saint Sacre-
ment ; mais c'est en vertu de la mission et de la juridiction qu'ils annoncent les vé-
rités saintes , et qu'ils jugent les matières de foi ; en un mot , qu'ils apprennent aux
peuples chrétiens ce qu'ils doivent croire. C'est donc la succession de la juridiction, et
non celle de l'ordination, qui perpétue la doctrine. Supposons unc.^uile d'éveques
légitimement ordonnés , mais n'ayant point de sièges qui leur donnent la juridic-
tion , tels à peu près que sont parmi nous les évêques in pariibits, K'ayant pas le
pouvoir d'annoncer la doctrine , comment pourront-ils la perpétuer ? Rcconnoissons
donc la nécessité d'une succession de juridiction dans l'Eglise, c'est-à-dire, d'une
continuité d'éveques se renouvelant sur les mêmes sièges, pour transmettre la
doctrine apostolique.
Telle a été en effet la doctrine des Pères de l'Eglise : ils regardent comme le prin-
cipal fondement de la tradition apostolique la succession des évêques. Ce seroit un
travail trop long et superflu de citer tous les saints docteurs qui ont enseigné cette
vérité fondamentale ; nous nous contenterons de rapporter la doctrine des premiers
siècles de l'Eglise.
L'autorité de saint Irénce est du plus grand poids, par sa proximité de l'origine d-e
l'Eglise , par ses liaisons intimes avec les disciples immédiats des apôtres , par l'objet
même de son grand ouvrage lequel étant la réfutation des hércsies , l'avoit mis dans
NOTES. XXI
le cas cVdludicr plus prolonddment la constitution de l'Eglise et ses caractères. Or
il est impossible d'établir plus positivement qu'il le fait le principe de l'apostolicil^
du ministère.
w La connoissancc , dit-il, de la doctrine apostolique, de l'anliquilc de l'Eglise,
» du caractère du corps de Je'sus-Christ , est dans la succession des évoques, à qui
» les apôtres , dans cbaque pays , l'ont transmise , et qui est parvenue sans fiction
» jusqu'à nous.... Où sont les grâces du Seigneur, c'est là qu'il faut apprendre l.i
« vdritd , c'est-à-dire, auprès de ceux dans qui est la succession ecclésiastique des
» apôtres, et avec elle la parole saine, irréprochable et incorruptible Par cet
» ordre et cette succession , la tradition qui est dans l'Eglise depuis les apôtres , et la
» pre'conisation de la vérité arrive jusqu'à nous, et c'est la marque certaine que noua
» avons la même foi vivificatrice , qui s'est conservée, et qui a été véritablement trans-
» mise dans les Eglises jusqu'à présent.... Il faut écouler ceux des éveques qui sont
» dans l'Eglise , qui ont, comme nous l'avons montré, la succession depuis les apô-
» 1res ; et qui , avec cette succession d'épiscopat , ont reçu certainement , selon la
» volonté divine , la grâce delà vérité. Quant aux autres, qui se séparent delà suc-
» cession principale, et qui amasient en quelque lieu que ce soit, on doit les tenir
» pour suspects ou comme hérétiques et de doctrine dépravée ; ou comme schisma-
>> tiques, pleins d'orgueil et de complaisance pour eux-mêmes; ou comme liypo-
» crites , agissant dans la vue du gain et de la vaine gloire. Tous ceux-là se sont écartés
» de la vérité.... La tradition des apôtres manifestée dans tout le monde , est facile
i> à connoître dans toutes les Eglises par quiconque a le désir de voir la vérité ; et
» nous pouvons compter sur ceux qui ont été institués, par les apôtres, éveques
» dans les Eglises , et leurs successeurs jusqu'à nous , qui n'ont rien connu ni ensei-
» gné de ce que les hérétiques avancent dans leur délire. Mais , comme il seroit trop
» long de rapporter dans cet ouvrage toutes les successions des diverses Eglises ,
» prenons cette grande, antique, renommée Eglise fondée à Rome parles glorieux
fc apôtres Pierre et Paul. En montrant la tradition qu'elle tient des apôtres, otla foi
» annoncée à tous les hommes, et parvenue jusqu'à nous par la succession des évê-
» ques, nous confondons tous ceux qui , de quelque manière que ce soit , ou par une
» complaisance coupable pour eux-mêmes, ou par une vaine gloire, ou par aveu-
» glement et opinion corrompue, amassent où ils ne doivent pas. » Le saint docteur
reprend ensuite la succession des éveques de Rome , depuis saint Pierre jusqu à Eleu-
thère son douzième successeur, qui occupoit alors le saint siège. (i5'. Irœn.^ contrit
Jiœres., lib. 3, c. 3 ; lib. 4> c- 20, 26, 33. )
TertuUien , postérieur de peu de temps à saint Irénée (dans son Traite des Pres-
criptions , c. ao, 21 , 32, 36) , établit la même doctrine avec son énergie ordinaire,
n Les apôtres fondèrent dans chaque ville des Eglises. De là les autres Eglises ont
» tiré la communication de la foi et les semences de la doctrine , et ils les en tirent
» tous les jours, pour devenir des Eglises. C'est pour cela qu'elles sont réputées ca-
> tholiques , comme étant la descendance des Eglises apostoliques ; toute race parti-
)) cipeàla nature de son origine.... Ce qu'ont prêché les apôtres , ce que Jésus-Christ
» leur avoit révélé, j'établis cette prescription , qu'il n'est pas nécessaire de le prou-
» ver autrement que par ces mêmes Eglises que les apôtres ont fondées en y prêchant
u d'abord de vive voix et ensuite par écrit. S'il en est ainsi , il est constant que toute
î> doctrine qui s'accorde avec ces Eglises, mères et origines de la foi, doit être re-
> gardée comme la vérité, puisqu'elle contient sans aucun doute ce que l'Eglise a
» reçu des apôtres, les apôtres de Jésus-Christ, Jésus-Christ de Dieu : toute autre
» doctrine doit être jugée d'avance mensongère, comme étant contre la vérité des
» Eglises, des apôtres, du Christ, de Dieu. 11 reste donc à démontrcj que notre
» doctrine vient delà tradition des apôtres , et que toutes Ici autres sont fausses. Nou*î
u communiquons avec les Eglises apostoliques, en ce que notre doctrine ne diffî-re
1» en rien de la leur. Voilà le témoignage de la vérité Si quelques hérésies osent
•» «e rapporter au temps apostolique, pour paroîlre transmises par les apôtres, pré-
«tendant qu'elles ont existé sous eux, nous pouvons leur dire, qu'elles produisent
i> donc l'origine de leurs Eglises , qu'elles déploient l'ordre de leurs évcqncs desccn-
.\Mr NOTES.
.. tldiit par une îucccssion continue , de manière que leurs premiers ëvôqucs aitnl
>< pour auteur ou pour prédécesseur un des apôtres ou des bommes apostoliques qui
w ont vécu avec eux. Car c'est airvsi que les Eglises apostoliques établissent leur filia-
>» tion. Ainsi l'Eglise de Smyrne rapporte que Polycarpc y a e'té placé par saint Jean.
» Ainsi l'Eglise de Rome produit Clément ordonné par saint Pierre. Ainsi toutes
>> les autres Eglises montrent ceux qui , établis par les apôtres dans l'('piscopat , leur
>• ont transmis la semence apostolique. Que les hérétiques inventent quelque chose de
» semblable.... Vous qui voulez, sur l'affaire de votre salut, satisfaire une curiosité
« légitime, parcourez les Eglises apostoliques, dans lesquelles président encore lea
>) chaires des apôtres aux lieux qu'ils occupèrent ; dans lesquelles on récite encore
» leurs lettres authentiques , qui rappellent leurs voix et représentent leurs personnes.
■» Etes-vous voisin de l'Achaïc? Vous avez Corinthe. Si vous n'êtes pas éloigné de
M la Macédoine, vous avez Philippes , vous avez Thcssalonique. Si vous allez en Asie,
a vous avez Ephèse. Si vous êtes près de l'Italie, vous avez Rome dont l'autorité est
» près de nous.... On peut dire avec raison aux hérétiques : Qui ctes-vous? Quand
» et d'oii etes-vous venus ? Que faites-vous dans mon bien , vous qui n'êtes pas à
w moi ? De quel droit, Marcion, coupez-vous ma forêt? Qui vous a permis, Valentin,
» dé troubler ma source ? Par quelle autorité , Apelles , cbraulez-vous mes limites ?
>» La possession est à moi ; je possède anciennement , je possède le premier. Je
M tire mon origine indubitable des auteurs à qui la chose- appartient. Je suis l'héritier
« des apôtres. »
Ce que TertuUicn disoït aux hérétiques de sou temps , tout catholique peut le dire
aux protestants. Il n'y a que les noms à changer; les raisonnements sont les mêmes.
Il peut, comme Tertullien , exiger que ceux qui prétendent tirer leur doctrine des
apôtres , montrent la succession d'évêques par qui elle leur est parvenue ; qu'ils dé-
clarent quel est l'apôtre ou l'homme apostolique de qui cette succession descend:
qu'ils nomment les Eglises dans lesquelles cette doctrine leur a été transmise ; qu'ils
disent de qui vient le droit qu'ils s'arrogent de prêcher leurs dogmes. Il peut , de
même que ce docteur , défier toutes les communions protestantes de produire rien dp
semblable. U peut , au contraire, se vanter avec lui de cette succession que les^ pro-
testants n'ont pas , et par-là se déclarer l'héritier des apôtres.
Saint Clément d'Alexandrie, contemporain de TerUilVien. (^Slromat. lib. ), dit
que ceux qui conservoient la vraie tradition de la sainte dqctrlne reçue des apôtres,
comme un fils la rcccvroit de son père, sont , par la volonté de Dieu , parvenus jus-
qu'à son temps, pour y déposer les semences apostoliques reçues des anciens. Voilà
la succession apostolique très-bien marquée. Saint Clément qui vivoit à la fin du se-
cond et au commencement du troisième siècle , n'entendoit pas certainement que les
disciples immédiats des apôtres eussent vécu jusqu'à son temps. Il y a voit entre les
apôtres et lui au moins trois ou quatre générations. Ce sont ces diverses générations
qui conservent la tradition de la doctrine , qui ont reçu des apôtres , comme un fils
de son père, la semence apostolique , et qui sont parvenues jusqu'à sou temps.
Origéne, successeur de saint Clément dans l'école d'Alexandrie (//» i^fa//A. ,
tract. XXIX. ) , ca réfutant les hérétiques de son temps , semble avoir prévu le grand
argument des protestants , qui prétendent avoir pour eux les saintes Ecritures et la
parole de vérité. « Mais , leur répond-il , nous ue devons pas les croire et nous éloi-
« gncr de la primitive tradition de l'Eglise : au contraire , nous ne devons croire
» que conformément à ce que les Eglises de Dieu nous ont transmis par succession. »
Voilà encore la succession dans les Eglises donnée pour la note de la saine doctrine,
La doctrine protestante peut-elle s'attribuer ce caractère?
Saint Cjprien (Ep. LXXXVI ad Triagn.) , pour combattre le schisme que No-
valien avoit introduit dar^s l'Eglise de Rome, lui déclare « qu'il n'est point évcque,
i> et ne peut être regardé comme tel , lui qui , au mépris de la tradition évangélique
« et apostolique , ne succédant à personne , est né de lui-même... Peut-il être tenu
>» pour pasteur celui qui, tandis qu'il existe un véritable pasteur, lequel préside
11 dans l'Eglise en vertu d'une ordination divine et d'une succession légitime , ne
V succédant lui-même à personne et commençant par lui , se montre l'ennemi de b
ISOTKS. xxji
>• paix du Seigneur cl de l'utiilc divine. » Le saint dvcqtic de Cailhagc donne cvi-
«einment ici, pour sigrie de la véritable l''glise, la succession episcopale , et pour
iTiarquc du scliisme , le défaut de celte succession.
Saint Kpiphane, après avoir rapporté la suite des pontifes romains, ajoute
{Hceres. XXVIl, c. 6,) qne, « personne ne doit s'e'lonner qu'il ait parcouru avec
» tant de soin tous ces noms , puisque par-là se montre la vérité certaine et exacte...
» Lesquels, dit-il ailleurs (irf. LXXV, c.6.), sont les plus habiles , ou ce petit
» homme déçu par l'erreur, qui a paru depuis peu et qui vit encore, ou les témoins
» qui nous ont précédés , qui avant nous ont tenu dans l'Eglise la même tradition
« qa ils avoicnt reçue de leurs porcs, que leurs pcrcs avoient apprise de leurs an-
» cc'tres , de même que l'Eglise conserve jusqu'à ce jour, avec les traditions , la foi
i> véritable et pure qu'elle a reçue de ses pères ? » Dès que c'est par la succession des
éveques que se montre la vérité , cette succession est donc une note de la vraie Eglise.
Saint Optât, écrivant contre les donatistes, leur dit qu'ils ne peuvent pas ignorer
que saint Pierre a fondé à Rome une chaire episcopale où il a siégé le premier. Il
rapporte la suite des évoques depuis saint Pierre , et finit par les sommer de rendre
compte de l'origine de leur chaire, eux qui veulent s'arroger le titre de sainte Eglise.
(De sc/iism. iJonat. , lib. IV , c. 2(3.) C'est donc , selon ce saint docteur , l'origine
de la chaire , prouvée par la succession des évoques qui l'ont occupée , qui marque
la sainte Eglise.
Comme saint Augustin est un des Pores, et même celui de tous qui a le plus écrit
contre les hérésies et les schismes , son autorité est une des plus imposantes. Elle
est en même temps une des plus claires et des plus précises.
Combattant les donatistes , il parcourt , comme saint Irénés, saint Epiphane et saint
Optât, la suite des évoques de Rome jusqu'à son temps, et observe que parmi eux il n'y
a pas un donatistc. Il dit que l'ordre des évoques, se succédant continuellement , mé-
rite considération : la succession des pontifes de celte Eglise apporte encore une cer-
titude plus grande... (Ep. CLXV, a!. LUI, ad Gfnems.yC. i , n. 6.), nous, dit-il
ailleurs, c'est-à-dire La foi catholique qui vient de la doctrine des apôtres, qui a
été plantée parmi nous , que nous avons reçue par une suite de succession, que nous
devons transmettre pure à nos successeurs... (in Joan. , tract. XJfXlV, n. 6.) Hé-
siterons-nous , demande-t-il dans un autre endroit , à nous renfermer dans le sein de
cette Eglise qui , malgré les vains aboiements des hérétiques , a obtenu, par la suc-
cession de ses éveques sur la chaire apostolique , la suprême majesté. . . ( De util, cre-
liertdi, c. XVII, n. 35.) Rapportant les diverses raisons qui le retiennent dans
] i-glise catholique, une des principales qu'il donne est la succession des éveques jus-
qu'au pontife actuel, depuis saintPierre, à qui Jésus-Christ a recommandé de paître
ses brebis (contra Epist.fundarn. , c. 4» n. 5. ) Ces passages prouvent bien claire-
ment que saint Augustin regardoit , de même que nous, la succession épiscopalc
comme essentielle à l'Eglise, et comme une marque distinctive delà vraie Eglise
d'avec les sectes qui en sont privées.
Ce saint docteur fait, dans d'autres endroits , l'application de ce principe à l'au-
tlienticitc des livres saints, et il donne contre les manichéens , pour moyen, certain de
diseerner les livres authentiques des apocryphes , d'examiner quels sont ceux qui ont
(té ou n'ont pas été transmis par les successions des évoques. « Si les livres, dit-il ,
w qui portent en tête les noms d'André, de Jean, étoient véritablement d'eus, ils
» scroient reçus par l'Eglise qui , depuis leur temps jusqu'au nôtre, persévère dans
« les successions certaines des éveques... (Con/ra ad\>. le^. et prophet. ,1. i , c. 20,
» n. 36.) On distingue des livres plus récents, l'excellente autorité de l'ancien et du
» nouveau Testament , laquelle , confirmée du temps des apôtres , est placée comme
n sur un trône élevé par les successions des évoques et la propagation des Eglises ,
» et à laquelle doit se soumettre tout esprit fidèle et pieux... ( Contra Faustum ,
» ]. 1 1 . c. 5.) Je vous avertis en peu de mots , vous qui êtes retenus dans cette cri-
t minelle et exécrable erreur , si vous voulez suivre l'autorité des Ecritures préféra-
» ble à toutes les autres , de suivre celle qui , depuis le temps de la présence de Jésu.*-
» Christ , conservée , recommandée , glorifiée sur toute la Icrrc , cri parvenue jusqiià
XXIV NOTES
>• noi jours par la publication qu'en enl faite les apôtres , et par les successions ccr-
» taines des évêques. » (Ibifl. , lib. 23, cap. g.) — Extrait de M. de la Luzerne,
Instruction pastorale sur le. schisme de France , tom. I, et Dissertation sur les
Eglises catholi(jues et protestantes, tom. II.
NOTE IX. — APPROBATION.
(Page 198.)
«Puisque la nature et l'ordre du jugement exigent qu'une sentence ne puisse être
» portée par un juge que sur ceux qui lui sont sujets , on a toujours été persuade dans
I» l'Eglise de Dieu , et le concile con&rme cette vérité , que l'absolution prononcée
» par un prêtre sur celui sur qui il n'a pas de juridiction, soit ordinaire, soit subdé-
t> léguée , doit otre de nul poids. ( Concile de Trente, sess. XIV , chap. 7.) Quoique
» les prêtres , dans leur ordination , reçoivent la puissance d'absoudre les péchés, le
» saint concile décrète qu'aucun prêtre , même régulier , ne peut entendre les con-
» fessions des séculiers , même des prêtres, ni être regardé comme idoine à ce minis-
>> tère, a moins qu'il ne possède un bénéfice paroissial» ou que l'évêque ne lui
» donne gratuitement après l'avoir examiné, s'il le juge nécessaire, une approbation,
» nonobstant tous les privilèges ou coutumes même immémoriales « {^Sess. X2i.IIl,
de la réform.., c. i5.)
NOTE X. — ATHÉE.
(Page 344.)
L'oubli de toute religion conduit à l'oubli de tous les devoirs de l'iioonme.
De combien de douceurs n'est pas privé celui à qui la religion manque? Quel
sentiment peut le consoler dans ses peines? quel spectateur anime les bonnes actions
qu'il fait en secret ? quelle voix peut parler au fond de son âme ? quel prix peut-il
attendre de sa vertu ? comment doit-il envisager la mort?...
Ah ! quel argument contre l'incrédule que la vie du vrai chrétien ! Y a-t-il quel-
que âme à l'épreuve de celui-là ? quel tableau pour son cœur , quand ses amis , ses
enfants , sa femme concourront tous à l'instruire en l'édifiant ; quand , sans lui prê-
cher Dieu dans leurs discours , ils le lui montreront dans les actions qu'il inspire ,
dans les vertus dont il est l'auteur , dans le charme qu'on trouve a. lui plaire. ; quand
il verra briller l'image du ciel dans sa maison; quand une fois le jour il sera forcé de
se dire : Non , l'homme n'est pas ainsi par lui-même ; quelque chose de plus qu'hu-
main règne ici ?
On ne sauj-oit se passer de la religion. En vain un heureux instinct porte au bien,
une passion violente s'élève ; elle a sa racine dans le même instinct : que fera-t-on
pour la détruire? En vain tire-t-on , de la considération de l'ordre , la beauté de la
vertu ; et sa bonté, de l'utilité commune : que fait tout cela contre l'intérêt particu-
lier ? En vain la crainte de la honte ou du châtiment empêche de faire du mal pour
son profit : il n'y a qu'à faire mal en secret ; la vertu n'a plus rien à dire, et l'on pu-
nira, comme à Sparte, non le délit, mais la maladresse. En vain, enfin , le carac-
tère et l'amour du beau sont empreints par la nature au fond de l'âme ; la règle sub-
sistera aussi long-temps qu'il ne sera point défiguré : mais comment s'assurer de
conserver toujours dans sa pureté cette effigie intérieure qui n'a point, parmi les
êtres sensibles, de modèle auquel on puisse la comparer? Ne sait-on pas que les af-
fections desordonnées corrompent le jugement ainsi que la volonté , et que la con-
fiance s'altère et se modifie insensiblement dans chaque siècle, dans chaque peuple,
daus chaque individu , selon l'inconstance et la variété des préjugés?
Fuyez ceux qui , sous prétexte d'expliquer la nature, sèment dans les cœurs des
nommes de désolantes doctrines , et dont le sophisme apparent est une fois plus af-
ftrm.'itif et plus dogmatique , que le ton décidé de leurs adverjairrs. Sous le hautai.n
NOTES XXV
prétexte qu'eux seuls sont eclaii<!s , vrais , de l)oiinc foi , iU nous soumcUenl inine-
riouscment à leurs décisions tranchantes, et prétendent nous donner pour les vrais
principes des clioscs, les ininlelligibles systèmes qu'ils ont bâtis dans leur imagina-
lion. Du reste , renversant , détruisant , foulant aux pieds tout ce que les boiumea
respectent, ils ôtent aux affliges la dernière consolation de leur misère, aux puis-
sant» et aux riches le seul freiii de leurs passions; ils arrachent du fond des cœurs N
remords du crime, l'espoir de la vertu, et se vantent encore d'être les bienfaitcur.i
du genre humain. Jamais, disent-ils, la vérité n'est nuisible aux hommes; je le
crois comme eux , et c'est , à mon avis, une grande preuve que ce qu'ils enseignent
n'est pas la vérité.
Par les principes , la philosophie ne peut faire aucun bien , que la religion ne
le fasse encore mieux; et la religion en fait beaucoup que la philosophie ne sauroit
faire.
Il est indubitable que des motifs de religion empêchent souvent de mal faire ceux-
incmes qui ne la suivent qu'en partie, et obtiennent d'eux des vertus , des actions
louables , qui n'auroient point eu lieu sans ces motifs.
Le spectacle de la nature, si vivant, si animé pour ceux qui reconnoissent un Dici ,
est mort aux yeux de l'athée ; et, dans cette grande harmonie des êtres où tout parle
de Dieu d'une voix si douce, il n'aperçoit qu'un silence éternel.... L'irréligion, et
en général l'esprit raisonneur et philosophique, attachent à la vie , efFéminent, avi-
lissent les âmes, concentrent toutes les passions dans la bassesse de l'intérêt particu-
lier, dans l'abjection du /no: humain , et sapent ainsi, à petit bruit, les vrais fon-
dements de toute société; car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si
peu de chose qu'il ne balancera jamais ce qu'ils ont d'opposé.
Si l'athéisme ne fait pas verser le sang des hommes, c'est moins par amour pour la
paix que par indifférence pour le bien. Comme que tout aille , peu importe au
prétendu sage , pourvu qu'il reste en repos dans .«■on cabinet. Ses principes ne-font
pas tuer les nommes, mais ils les empêchent de naître, en détruisant les mœurs qui
les multiplient, en les détachant de leur espèce, en réduisant toutes leurs action'^ a
un secret égoïsme , aussi funeste à la population qu'à la vertu. L'indifférence phi!!>-
sophique ressemble à la tranquillité de l'état sous le despotisme : c'est la tranquillité
de la mort; elle est plus destructive que la guerre même. — Esprit, maximes, etc.,
de J. J. Rousseau.
NOTE XL — BAPTiÈME .
(I»age3i5.)
Eramus naturâ filii trœ. Plusieurs interprètes pensent qu'il s'agit ici des
bdultes, et que l'apôtre parle principalement des péchés actuels. Ils se fondent sur
le contexte , qui paroît en effet favoriser cette interprétation. Car il est ainsi conçu :
Et vos cùm essetis mortui delictis et peccatis vestris , in quitus aliquando ambu-
Ifîstis secundùm seculum niundi huj'us, secundùm principem potestatis aeris fiuj'iis
Spiritiis , qui nunc operatur infilios dijfidentiœ. — In quitus et nos omnes ait-
uiiando eonversati sumus , in desideriis camis nostrœ facientes voluntatem carnis
rt cogitationum ; et eramus fî ATVV.A ^lii irœ , sicut et cœteri, etc. Eph. , r. a,^. i,
2,3. Voyez Ménochius , Cornélius à Lapide ^ et surtout la Triple Explication
des épîtres de saint Paul par Bernardin de Péquigny.
Au reste, de quelque manière qu'on entende les paroles de l'apôtre, elles ne
Prouvent pas que les enfants morts sans baptême sont condamnés aux supplices de
enfer; car on peut absolument les concilier avec le sentiment des docteurs qui
n'admettent point d'autre peine éternelle du péché originel que la privation du
royaume des cieux. On reconnoîl dans l'un et l'autre système que l'homme en nais-
(ant est enfant décolère , et que, parce qu'il est enfant de colère, iJ e«t exclu de la
vision intuitive, s'il n'est régénéré parle baptême.
XXVI NOTES.
NOTE XK. — BAPTÊME.
( Page 3i6.)
U est vrai que , dans un sermon plein de véhémeace , saint Augustin enseigne
que les enfants morts sans baptême sont condamnés aux peines de l'enfer et aux leux
éternels ; mais il a beaucoup adouci cette doctrine dans le cinquième de ses livres
contre Julien , ouvrage des mieux réfléchis et des mieux travaillés entre tous ceux
du saint docteur. Voici ses propres expressions : « Won, je ne dis pas que les enfants
morts sans baptême doivent subir une si grande peine qu'il leur eût été plus avan-
tageux de n'être point nés. Je n'oserois dire qu'il eût été plus ezpédient pour eux de
n'être point du tout que d'être là où ils sont. On ne doit point douter, ajoute-t-il,
que, n'ayant point d'autre péché que celui qu'on appelle originel , la peine à la-
quelle ils sont condamnés ne soit la plus légère de toutes. » Il ne les condamne donc
point aux flammes éternelles , comme les adultes réprouvés , pour qui le Sauveur dit
qu'il seroit plus avantageux de n'avoir jamais existé. Ego autem non dko parvulos,
sine Christi baptismale morientes , tuntâ pœnn esse plectendos , ut eis non nasci
poiiùs expediret ; cùm hoc Dominas non de quibuslibet peccatorihus , sed de sce~
lestissimk et impiis dixerit. Si enim quod de Sodomis ait , et utique non de solis
intelligi volait , alias alio tolerabiliùs in die judicii puniretur ; quis dubitaverit par-
vulos non baptizatos , qui solum habcnt originale peccatum , ncc ullis propriis ag-
gravantur , in damnatione omnium levissimâ futures? Qua qualis et quanta erit,
quamvis definire non possint, non tamen audeo dicere quod eis ut nulli essent,
<fmm ut ihi essent, putiàs expediret. Contra Julianum , lib. 5, cap. a.
Saint Augustin reconnoît même pour ces enfants la possibilité d'un état mitoyen
entre la récompense et le châtiment : Non enim metuendum est, nevila esse potue-
rit média quœdam inter rectefactum et peccatum , et sententia Judicis média esse
non possit inter prœmium atque supplicium. De lib. arb. , lib. 3, c. aS.
Saint Grégoire de Nar-ian/^ exempte ces enfants de douleur et de tristesse. Nec cœ-
lesti glorid, nec suppliciis , à justo judice afficientur ; utpot'e qui licèt non signati
nonfuerint, improbitate tamen careant... ISfeque quis honore indignas est, statirn
eiiam pœnatn promeretur. Orat. ^o. Saint Grégoire de Nysso pense comme saint
Grégoire de Nazianze : Immatura mors infantium , neque in doloribus ac mœsti-
titi esse eum qui sic vivere desiit , intelligendùm esse suggerit. Orat. de Infan-
tibus , etc.
Innocent III fait consister la peine du péché originel dans la privation de la
vision de Dieu, et la peine du péché actuçl dans les supplices éternels : Pœna ori-
ginalis peccati est carentia visionis Dei; actualis verb peccati est gehennœ perpétuée
cruciatus. Ex cap. Majores debaptismo. Ad illud qubd parvuli multas pœnalila-
tes sustinent in hdc vitâ , dit saint Bonaventure , dicendum qubd etsi temporaliter
punire pro peccato originali sit justum , non tamen sequitur qubd œternaliter.ln 2.
dist. 33, a 3 , q. I , suivant saint Thomas, nihil omninb dolebunt de carentia vi-
sionis intuitives; imb magis gaudebunt de hoc qubd participabunt multùm de di-
vinn bonitate, et perfectionibusnaturalibus. In a. dist. 33 , q. 2, art. 2.
Voyez ce Dictionnaire , au mot Originel.
L'auteur de /a Foi justifiée de tout reproche de contradiction avec la raison,
pag. 60, édit. de Paris 1776, s'exprime ainsi : « Pour ce qui est du dogme du
» péché originel, il n'y a ni injustice ni défaut de bonté dans Dieu de refuser, à la
)• postérité d'un père coupable , des privilèges purement gratuits , qui n'étoient dus
» ni au père ni aux enfants , et qui n'étoient assurés aux uns et aux autres que sous
» la condition d'une obéissance fidèle à la loi du Créateur. Un sujet comblé des
I» grâces et des faveurs de son prince se révolte contre lui, et le prince en consé-
>» quence lui retire et à sa postérité des privilèges qui ne dévoient être héréditaires
» que sous des conditions justes qui n'ont pas été remplies , et auxquelles même on a
M manqué formellement. Y a-t-il en cela quelque injustice ou un défaut de bonté?
w Mais voilà au vrai à quoi se réduisent les suites du péché originel. «
INOTES. xxvii
NOTE XIII. - CALVIN .
( Page 399. )
Oblige de quitter la France pour se soustraire à des poursuites juridiques, Calvia
passa en Allemagne, y rechercha la plupart de ceux qui remuoient alors les con-
science« et agitoient les esprits. ABàle il fut présenté par Buccr à Erasme, qui se
tenoit auv écoutes , sans se laisser emporter aux opinions des novateurs. Erasme ,
après s'être entretenu avec lui sur quelques-uns des points de la religion , fort étonné
de ce qu'il avoit découvert dans cette âme, se tourna vers Bucer, et lui dit, en lui
montrant le jeune Calvin : « Je vois un grand fléau s'élever dans l'Eglise contre
» l'Eglise : « Video magnant pestem oriri in Ecclesiu contra Ecciesiam.
L'esprit intolérant et sanguinaire de cet homme devenu trop célèbre, se montre
dans une de ses lettres au marquis du Poët , son ami : « Ne faites faute , lui dit-il ,
a de défaire le pays de ces zélés fanatiques, qui exhortent les peuples par leurs dis-
» cours à se roidir contre nous, noircissent notre conduite , et veulent faire passer
» pour rêverie notre croyance. Pareils monstres doivent être étouffés , comme fit
» en l'exécution de Michel Servet , espagnol. »
Les mauvais sentiments de Calvin sur la Tiinîté excitèrent contre lui le zèle d'un
homme qui , d'ailleurs , partageoit ses opinions sacramentaires : « Quel démon t'a
» poussé , ô Calvin , à déclamer avec Arius contre le Fils de Dieu ?... C'est cet an-
» techrist du Septentrion que tu as l'imprudence d'adorer , ce grammairien Mé-
» lancthon... Garde-toi , lecteur chrétien , et vous surtout , ministres de la parole,
» gardez-vous des livres de Calvin... Ils contiennent une doctrine impie, les blas-
» phèmes de l'arianisme, comme si l'esprit de Michel Servet , en s' échappant du
» bûcher, avoit à la platonicienne transmigré tout entier dans Calvin. » (Stancha-
rus, de Médiat, in Calvin. Instit. , n. 3 et 4-) En enseignant que Dieu étoit l'au-
teur de tous les pochés, Calvin révolta contre lui tous les partis de la réforme. Les
luthériens de l'Allemagne se réunirent pour rJfuter un si horrible blasphème:
« Cette opinion, disent-ils, doit être partout en horreur, en exécration : c'est une
« fureur stoïcienne, fatale aux mœurs, monstrueuse et blasai Kématoire. » ( Corpus
doclrinœ christianœ.^
« Cette erreur calvinistique est horriblement injurieuse à Dieu, et de toutes les er-
» reursla plus funeste au genre humain; selon cette théologie calvinienne Dieu seroit
» le phis injuste des tyrans... et ce n'est plus le démon, mais Dieu lui-même qui
» sera le père du mensonge. » (ConradusSchlussemb., Calvin. Theolog., fol. 4é'}
Le même auteur, qui étoit surintendant inspecteur général des églises luthériennes
en Allemagne, dans les trois livres qu'il publia contre la théologie calvinienne
(Francfort, 1592), n'y nomme jamais les calvinistes sans leur donner les épithctes
d'infidèles, d'impies, de blasphémateurs, charlatans , hérétiques , incrédules, gens
frappés d'un esprit d'aveuglement et de vertige, gens sans front et sans pudeur ,
ministres turbulents et brouillons de Satan , etc.
Heshusius , après avoir exposé la doctrine des calvinistes , déclare avec indigna-
tion , « que non-seulement ils transforment Dieu en démon, ce dont la seule pcn-
» sée fait horreur, mais qu'ils anéantissent le mérite de Jésus-Christ à tel point
» qu'ils sont dignes d'être relégués au fond des enfers. » (Lib. de Prœsentiâ cor-
paris Christi.)
Les partisans de Calvin ont essayé de le justifier sur le crime et la flétrissure dont
on l'accusoit hautement de porter la marque à l'épaule ; mais « ce qui doit passer
» pour une conviction indubitable des crimes imputés à Calvin, est que depuis qu'il
" a été chargé de cette accusation , l'Eglise de Genève non-seulement n'a pas jus-
» tifié le contraire, mais même n'a pas nié l'information que Berthelicr, envoyé
» par ceux de la même ville, fitàNoyon. Celte information étoit signée des jjlua
i> apparents de la ville deNoyon, et avoit été faite avec toutes les formes ordinaires
i> de la justice j et, dans la même information, l'on voit que cet hérésiarque aya
xxvm NOTES.
s été convaincu d'un pcch<? abominable, que l'on ne punît que par le feu , la peine
» qu'il avcit méritée fut, à ia prière de son c'vêquc, modérée à la fleur-de-lis....
» Ajoutez à cela que Bolsec ayvit rapporté la tnrwc information , Berthclier qui
» vivoit encore au temps de Bolsec ne le démentit point; ce qu'il eût fait, sans
» doute , s'il eiît pu le faire sans trahir le sentiment de sa conscience et sans s'opptv
» ser à la créance publique. Ainsi le silence et de toute une ville intéressée et de son
» secrétaire , est , en cette occasion , une preuve infaillible des dérèglements imputés
» à Calvin. » (Le cardinal de Richelieu , liv. a.)
Ces dérèglements étoient alors si peu contestes qu'un auteur catholique ( Com-
pian, dans la troisième raison, an i58i), parlant de la vie infâme de Calvin,
avance comme un fait connu en Angleterre , que « le chef des calvinistes avoit été
» fleurdelisé et fugitif, et que son antagoniste Wittaker , avouant le fait , n'y ré-
» pond que par cet indigne parallèle : Calvin a été stigmatisé, mais saint Paul l'a
» été, d'autres l'ont été aussi. »
Stapleton , fort à portée d'en être instruit , puisqu'il avoit passé sa vie dans le voi-
sinage de Noyon , parle de l'aventure de Calvin dans les termes d'un homme très-sûr
de son fait : Inspiciuntur eliam adhùc hodiè civitatis Noviodunensis in Picardid
scrinia et rerum gestarum monamenta : in illis adhùc hodiè legitur Joannem hune
Calvinum, sodomiœ convictum , ex episcopi et magistratûs indulgentiâ , solostig'
mate in tergo notatum , urbe excessisse ; nec ejus familice honestissimi viri , adhuc
superstites , inipelrare hactenùs potuerunt ut hujiis facti memoria , tjuce totifa-
Tuiliœ notam aliquam inurit, è civicis illis monumentis ac scriniis eraderetur,
(Promptuarium catholicum , part. 3.)
Les luthériens d'Allemagne en parloient également alors comme d'un fait certain ;
De Calvini variis fiagitiis et sodomiticis Ubidinibus , ob quas stigma JoannisCal-
i'ini dorso impressum fuit à magistratu sub quo vixit, ( C. Schlussembefg , in Cal-'
vin. theolog., lib. 2 , fol. 72.)
Enfin , si l'on en croit un de ses disciples, témoin oculaire, il mourut dans le
désespoir et d'une maladie horrible. Calvinus in desperutione finiens vitam , obiit
turpissimo etfœdisiimo morbo, quem Veus rebellibus et maledictis comminatus
est , priùs excniciatus et consumptus. Quod ego verissimè aitesturi audeo , quijn-
nestum et tragicnm illius exiium et exitiuin his meis oculis prccsens aspexi-
( Joan. Haren , apud Petrum Cutzemium.^
Les luthériens attestent le même fait": Veus etiam in hoc sœculo judicium in
Calvinum patefecit , quem in virgâ furoris visitavit , atque horribiliter punivit ante
mortis infelicis horam. Deus enim manu sua potenti adeb hune hœreiieum per-
cussit , ut desperatâ salute, dœmonibus invocatis , furans , exsecrans et blasphe-
mans, miserrimè animam malignam exhalant ; vermibus cirva pudenda in apos-
themate seu ulcère fœtentissimo crescentibus , ita ut nullus assistentiuni Jœtorem
umpliùs ferre posset. (Conrad. Schlussemberg , in Theolog. Calvin., 1. 2. fol. 72.)
— Cette notice est extraite de la Discussion amicale, tom. 1 , lettre 2 , Append. 2.
rsOTE XIV. — CALVIN.
(Page 400.)
Rousseau justifie son déisme par l'esprit de la prétendue réforme, et confond les
ministres de Genève, qui s'étoient élevés contre sa doctrine. «Qu'est-ce que la reli-
gion de l'état,, leur dit-il? C'est la sainte réformation évangclique. Voilà sans con-
tredit des mots bien sonnants. Mais qu'est-ce à Genève aujourd'hui que la sainte ré-
formation évangélique? Le saiiriez-vous , monsieur, par hasard ? En ce cas je vous
en félicite. Quant à moi ie l'ignore. J'avois cru le savoir ci-devant ; mais je me trom-
• 1 • ni "l • •
pois ainsi que bien d autres plus savants que moi sur tout autre point, et non moins
ignorants sur celui-là.
» Quand les réformateurs se détachèrent de l'Eglise romaine, ils l'accusèrent d'er-
reur, et, pour corriger cette erreur dans sa source, ils donnèrent à l'Ecriture un autre
sens que «lui que l'Eglùie lui donnoit. On leur demanda de quelle autorité ils s'ccar-
JNOTES. xxiK
loicnt ainsi de la doctrine reçue. Ils dirent que c'etoil de leur autorilt' propre, de cello
de leitr raison. Us dirent que le sens de la lîible étant intelligible et clair à tous le«
hoinnnes en ce qui cloit du salut , chacun ctoit juge compétent de la doctrine, et pou-
voit interpréter la Bible qui en est la règle , selon son esprit particulier; que tous s'ac-
cordoient ainsi sur les choses essentielles, et que celles sur lesquelles ils ne pourroicnt
s'accorder ne l'ëtoient point.
» Voilà donc l'esprit particulier e'tabli pour unique interprète de l'Ecriture ; voilà
l'autorité de l'Eglise rejetée ; voilà chacun mis pour la doctrine sous sa propre juri-
diction. Tels sont lesdeux points fondamentaux de la réforme. Rcconnoître la Bible
pour rôgle de sa croyance , et n'admettre d'autre interprète du sens de la Bible que
soi. Ces deux points combines forment le principe sur lequel les chrétiens réformés se
sont séparés de l'Eglise romaine, et ils ne poavoient moins faire sans tomber en con-
tradiction : car quelle autorité interprétative auroient-iis pu se réserver, après avoir
rejeté celle du corps de l'Eglise ?
» Mais , dira-t-on , comment sur un tel principe les réformés ont-ils pu se réu-
nir? Comment, voulant avoir chacun leur façon de penser, ont-ils fait corps contre
l'Église catholique? Ils le dévoient faire : ils se réunissoient en ceci, que tous recon-
noissoient chacun d'eux comme juge compétent pour lui-même. Ils toléroient , et
ils dévoient tolérer toutes les interprétations hors une , savoir celle qui ôte la liberté
des interprétations. Or cette unique interprétation qu'ils rejetoient étoit celle des ca-
tholiques. Us dévoient donc proscrire de concert Kome seule , qui les proscrivoit
également tous. La diversité même de leurs façons de penser sur tout le reste étoit
le lien commun qui les unissoit. C'étoicnt autant de petits états ligués contre une
grande puissance , et dont la confédération générale n'ôtoit rien à l'indépendance
de chacun.
» Voilà comment la réformation évangs'lique s'est établie , et voilà comment elle
doit se conserver. Il est bien vrai que la doctrine du plus grand nombre peut être
proposée à tous, comme la plus probable et la plus autorisée. Le souverain peut même
la rédiger en formule et la prescrire à ceux qu'il charge d'enseigner, parce qu'il faut
quelque ordre , quelque règle dans les instructions publiques , et qu'au fond l'on
ne gène en ceci la liberté de personne, puisque nul n'est forcé d'enseigner malgré
lui ; mais il ne s'ensuit pas de là que les particuliers soieat obligés d'admettre préci-
sément ces interprétations qu'on leur donne et cette doctrine qu'on leur enseigne.
Chacun en demeure seul juge pour lui-même , et ne reconnoît en cela d'autre au-
torité que la sienne propre. Les bonnes instructions doivent moins fir.er le choix que
nous devons faire que nous mettre en état de bien choisir. Tel est le véritable esprit
de la réformation, tel en est le vrai fondement. La raison particulière y prononce , en
tirant la foi de la règle commune qu'elle établit , savoir l'Evangile ; et il est tellement
de l'essence de la raison d'être libre, que quand elle voudroit s'asservir à l'autorité ,
cela ne dépendroit pas d'elle. Portez la moindre atteinte à ce principe, et tout l'é-
vangélisme croule à l'instant. Qu'on me prouve aujourd'hui qu'en matière de foi je
suis obligé de me soumettre aux décisions de quelqu'un , dès demain je me fais ca-
tholique , et tout homme conséquent et vrai fera comme moi.
» Or , la libre interprétation de l'Ecriture emporte non-seulement le droit d'en
expliquer les passages, chacun selon son sens particulier , mais celui de rester dans
le doute sur ceux qu'on trouve douteux , et celui de ne pas comprendre ceux qu'on
trouve incompréhensibles. Voilà le droit de chaque fidèle, droit sur lequel ni les pas-
leurs ni les magistrats n'ont rien à voir. Pourvu qu'on respecte toute laBible et qu'on
r accorde sur les points capitaux , on vit selon la reformation évangéliquc. Le serment
des bourgeois de Genève n'emporte rien de plus que cela.
» Or , ]e vois déjà vos docteurs triompher sur ces points capitaux , et prétendre
que je m'en écarte. Doucement, messieurs , de grâce ; ce n'est pas encore de moi
qu'il s'agit, c'est de vous : sachons d'abord quels sont, selon vous, ces points capi-
taux , sachons quel droit vous avez de me contraindre à les voir où je ne les vois pas,
el où peut-être vous ne les voyez pas vous-mêmes. N'oubliez point, s'il vous plaît ,
que me donner vos décisions pour lois c'est vou* <karter de la sainte réformation
x:sx NOTES.
c'varigéliquc, c'est en ébranler les vrais fondements ; c'est vous qui par laloîmAi-
tez punition.
» La religion protestante est lolc'ranle par principe, elle est tolérante essentielle-
ment, elle l'est autant qu'il est possible de l'être, puisque le seul dogme qu'elle ne
tolère pas est celui de l'intolcrance. Voilà l'insurmontable barrière qui nous sépare
des catholiques, et qui réunitles autres comnaunions entre elles : chacune regarde bien
les autres conjmc étant dans Terreur, mais nulle ne regarde ou ne doit regarder cette
erreur comme un obstacle au salut.
Les réformés de nos jours , du moins les ministres , ne connoissent pas ou n'ai-
ment plus leur religion. S'ils l'avoicnt connue et aimée , à la publication de mon
livre ils aurcient poussé de concert un cri de joie, ils se seroient tous unis avec moi
qui n'attaquois que leurs adversaires ; mais ils aiment mieux abandonner leur propre
cause que de soutenir la mienne ; avec leur ton risiblement arrogant , avec leur rage
de chicane et d'intolérance , ils ne savent plus ce qu'ils croient , ni ce qu'ils veulent ,
ni ce qu'ils disent. Je ne les vois plus que comme de mauvais valets de prêtres , qui
les servent moins par amour pour eux que par haine contre moi. Quand ils auront
bien disputé , bien chamaillé, bien ergoté, bien prononcé, tout au fort de leur petit
triomphe , le clergé romain , qui maintenant rit et les laisse faire , viendra les chasser
armé d'arguments ad hominem sans réplique, et les battant de leurs propres armes ,
il leur dira : Cela va bien , mais à présent oiez-vous de là,, méchants intrus que
vous êtes , vous n'avez travaillé que pour nous. Je reviens à mon sujet.
» L'Église de Genève n'a donc et ne doit avoir , comme reformée, aucune pro-
fession de foi précise , articulée , et commune à tous ses membres. Si l'on vouloit en
avoir une, en cela même on blesseroit lalibertéévangélique, on renonceroit au prin-
cipe de la réformation, on violcroit la loi de l'état. Toutes les Eglises protestantes
qui ont dressé des formules de profession de foi , tous les synodes qui ont déterminé
des points de doctrine , n'ont voulu que prescrire aux pasteurs celle qu'ils dévoient
enseigner, et cela étoit bon et convenable. Mais si Ces Eglises et ces synodes ont pré-
tendu faire plus par ces formules , et prescrire aux fidèles ce qu'ils dévoient croire ;
alors par de telles décisions ces assemblées n'ont prouvé autre chose sinon qu'elles
ignoroient leur propre religion.
» L'Église de Genève paroissoit depuis long-temps s'c'cartcr moins que les autres
du véritable esprit du christianisme , et c'est sur celte trompeuse apparence que j'ho-
norois ses pasteurs d'éloges dont je les croyois dignes; car mon intention n'étoit as-
surément pas d'abuser le public. Mais qui peut voir aujourd'hui ces ministres, jadis
si coulants et devenus tout à coup si rigides , chicaner sur l'orthodoxie d'un laïque ,
et laisser la leur dans une si scandaleuse incertitude ? On leur demande si Jésus-
Christ est Dieu , ils n'osent répondre ; on leur demande quels mystères ils admettent,
ils n'osent répondre. Surquoi donc répondront-ils, et quels seront lesarticles fonda-
mentaux , différents des miens , sur lesquels ils veulent qu'on se décide , si ceux-là
n'y sont pas compris?
» Un philosophe jette sur eux un coup d œil rapide: il les pénètre, il les voit aiieus,
sociniens; il le dit, et pense leur faire honneur ; mais il ne voit pas qu'il expose
leur intérêt temporel , la seule chose qui généralement décide ici-bas de la foi des
hommes.
» Aussitôt alarmes, effrayés, ils s'assemblent, ils discutent, ils s'agitent , ils ne
savent à quel saint se vouer ; et après force consultations , délibérations ,~ conférences,
le tout aboutit à un amphigouri où l'on ne dit ni oui ni non , et auquel il est aussi
peu possible de rien comprendre qu'aux deux plaidoyers de Rabelais. La doctrine
orthodoxe n'est-elle pas bien claire, et ne la voilà-t-il pas en de sûres mains i
» Cependant, parce qu'un d'entre eux compilant force plaisanteries scolastiques
aussi bénignes qu'élégantes, pour juger iBon christianisme, ne craignit pas d'abjurer
le sien; tout charmés du savoir de leur confrère, et surtout de sa logique, ilsa'ouent
son docte ouvrage , et l'en remercient par une députation. Ce sont, en vérité., de
sinjnilières gens que messieurs vos ministres ! On ne sait ni ce qu'ils croient ni cô
,V, "1 . ^ l'i r l 1 J • 1
qu ils ne croient pas ; on ne sait pas même ce qu ils lont semr)lant de rroire ; leur
NOTES. xxxr
seule inanînrc (l'établir leur foi est d'attaquer celle des autres... Au lieu de s'expli-
quer sur la doctrine qu'où leur im|)ulc , ils pensent donner le change aux autres
Efjiiscs en cherchant querelle à leur propre défenseur; ils veulent prouver par leur
ingratitude qu'ils n'avoicnt pas besoin de mes soins , et croient se montrer assez or-
thodoxes en se montrant persécuteurs.
» De tout ceci je conclus qu'il n'est pas aise' de dire en quoi consiste à Genève au-
jourd'hui la sainte réfornnation. Tout ce qu'on peut avancer de certain sur cet ar-
ticle est qu'elle doit consister principalement .H rejeter les points contestes à l'Egliso
romaine par les premiers reformateurs, et surtout par Calvin. C'est là l'esprit de
voire institution ; c'est par-là que vous êtes un peuple libre, et c'est par ce côleseul
que la religion fait chez vous partie de la loi de l'ëtat. » — Seconde lettre de l>t
Montagne.
NOTE XV. — CATHOLICITÉ.
(Page 452).
La catholicité' de l'Eglise est son universalité. Plusieurs saints Pères, traitant de
la catholicité , distinguent une triple universalité : universalité de temps , en ce que
l'Eglise a toujours subsisté et qu'elle subsistera toujours jusqu'à la lin des siècles;
universalité de doctrine , en ce que l'Eglise enseigne toutes les vérités que Jésus-
Christ a apportées à la terre ; universalité de lieux , en ce que l'Eglise est répandue
par tout le monde.... C'est de cette troisième espèce d'universalité qu'il s'agit ici...
11 y a plusieurs distinctions à faire sur l'universalité ou catholicité de l'Eglise
Nous distinguons d'abord l'universalité physique et l'universalité morale. La pre-
mière est celle qui comprend tous les psys de la terre sans exception ; la seconde ,
celle qui s'étend dans la plus grande partie des régions connues. Ce n'est que de
celte seconde qu'il est question ici. C'est l'établissement de notre Eglis*: dans la plus
grande part ie des régions connues , qui forme , selon nous , sa catholicité , et qui est
une preuve de sa divine origine. Nous ne croyons pas non plus, et en ce point nous
suivons la doctrine de saint Augustin , qu'il soit nécessaire à la catholicité de l'Eglise
que la totalité des habitants des pays où elle a été introduite s'y soit soumise. Il suf-
fit qu'il y ait dans ces régions un nombre notable de catholiques, pour qu'elles fas-
sent partie de la catholicité. ( Saint Augustin contra Crescon,, lib. 4, c. 6l, j^. )
D'après cette observation, il est nécessaire d'entendre les oracles sacrés qui annoncent
la dilfusion de l'Eglise sur toute la terre dans un sens moral ; et cette interprétation
est conforme à la manière ordinaire de s'exprimer des auteurs sacrés. Ainsi nous li-
sons dans Jérémie , que tous les royaumes de la terre étoient sous la puissance du
Nabuchodonosor ( c. 34 , ^ • l- ) > <1''d* Daniel , que le troisième royaume , qui de-
volt être celui d'Alexandre, commanderoit à toute la terre ( c. 11,3^. Sg. ) ; dans
saint Luc , qu'il fut publié un édit de l'empereur Auguste , pour faire le dénombre-
ment de tout l'univers ( c. ii , ^'. i. ) ; dans saint Paul, que la foi de l'Eglise de
Kome est célèbre dans tout le monde. ( Rom. , c. i , ^ . 8. )
Une autre distinction essentielle à faire est entre l'universalité successive et l'uni-
versalité actuelle. Nous croyons que l'Eglise de Jésus-Christ doit avoir successive-
ment la catholicité physique et totale; c'est-à-dire que, dans tout le cours des siècles,
il n'y aura pas un pays habité sur la terre oii la vraie foi n'ait été annoncée , et oii
Dieu n'ait eu ses adorateurs en vérité , et conformément au culte qu'il a prescrit.
C'est ainsi que nous entendons l'oracle de Jésus-Christ que je rapporterai incessam--
ment, sur la prédication de son Evangile dans tout l'univers. Mais ce n'est pas parmi
nous un point de doctrine certain , que l'Eglise de Jésus-Christ doive être dans au-
cun temps physiquement et totalement universelle, en sorte qu'il n'y ait plus sur la
terre que des catholiques. Nous ne voyons pas que ce genre d'universalité lui ait elé
prorais par Jésus-Christ. Ce peut être l'objet de nos désirs , même de nos espérances,
nviis non de notre foi. Au reste , la catholicité successivement totale , que nou« re-
gardons comme devant ctre une qualité de la vraie Eglise, no peut pas être présentée
xxxn NOTES.
comme une de ses notes, puisqu elle n'est pas actuellement visible. Ainsi ce n est
pas «le celle-là que je parlerai ici ; je ne donnerai comme note distinctive de l'Eglise
que son universalité actuelle , telle que nous la voyons, telle que l'ont vue toua les
a<Tcs ; c'est-à-dire, Je le répète , son universalité morale.
Regardant la catholicité comme un caractère accordé à la véritable Eglise , pour
la discerner des autres communions chrétiennes, nous distinguons encore sa catho-
licité absolue et sa catholicité relative; c'est-à-dire, la diffusion , l'étendue de l'E-
clise de Jésus-Christ considérée en elle-même , et son étendue, sa diffusion, com-
parée à celle des sectes séparées d'elle. Nous pensons que, quoiqu'il puisse y avoir
des pays où la vraie foi n'ait pas pénétré, et même quelques-uns dont elle soit po-
sitivement bannie, cependant elle est et elle doit être en tout temps plus répandue
que chacune des Eglises fausses , et que cette diffusion plus grande est un des carac-
tères auxquels on doit la rcconnoître et la distinguer d'elles.
D'après ces observations, je réduis à deux points principaux la notion de la catho-
licité, considérée comme cai-aclèrc de l'Eglise véritable. Elle consiste en ce que
1 . l'Eglise de Jésus-Christ soit répandue actuellement dans la plus grande partie des
régions connues ; 2. qu'elle soit constamment plus répandue que chacune des com-
munions qui la combattent. Telle est notre doctrine
Les preuves de la catholicité , telle que nous l'entendons , se tirent de l'Ecriture ,
que les protestants prétendent être la règle de leur foi , et des Pères des premiers
siècles , dont ils reconnoissent que la doctrine a été pure.
Dans l'ancien Testament , la propagation de l'Eglise de Jésus-Christ sur toute
la terre est prédite par une multitude d'oracles des plus clairs. Je me borne à en
rapporter quelques-uns.
Les protestants professent comme nous que c'étoit de Jésus-Christ et de sa religion
que Dieu disoit à Abraham : Toutes les nations de la terre seront bénies dans voire
race. ( Gen. , c. 12, S- 3 et 18; c. 26, S-^'i c 38, S- i4- )0'", ils conviennent
aussi avec nous que les bénédictions de Dieu ne sont que pour ceux qui sont dans
son Eglise; et qu'il ne les accorde point aux membres d'Eglises qu'il réprouve.
Toutes les nations doivent donc , selon la prophétie de Dieu même , entrer dans son
Eglise.
Les protestants appliquent aussi , de même que nous , an Messie, ces paroles des
psaumes ; Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage, et les
extrémités de la terre pour possession Il dominera d'une mer Jusqu'à l'autre,
et du fleuve jusqu'aux bornes de l'univers. Tous les rois de la terre l'adoreront :
toutes les nations lui obéiront Tous les confins de la terre se convertiront au
Seigneur: toutes les familles des nations seront en adoration devant lui. ( Ps. 2 ,
^. 8 ; ps. 71 , ^. 8, 21 ; ps. 21. y . 18. ) Peut-on dire que les Eglises fausses, qui
professent une doctrine contraire à celle de Jésus-Christ , soient sa possession et son
héritage, tandis qu'il les rejette; qu'elles lui obéissent, elles qui sont en révolte
contre lui ; qu'elles se convertissent à lui , en s'éloignant et en l'offensant ? Il n'y a
que de la vraie Eglise de Jésus-Christ dont tout cela peut être dit. C'est elle qui est
8on royaume sur la terre, qui qbéit à ses préceptes, qui est convertie à lui. Or, d'a-
près ces prophéties, cette Eglise doit comprendre toutes les nations, se soumettre
tous les rois , s'étendre jusqu'aux bornes de l'univers.
C'est encore, selon les protestants , Jésus-Christ qu'Isaïe avoiten vue, lorsqu'in-
spiré de l'Esprit saint il disoit : C'est peu que tu sois mon serviteur, pour ranimer
les tribus de Jacob et convertir la lie d'Israël; voilà que je t'ai établi la lumière
des nations , pour que tu portes le salut qui vient de moi jusqu'aux extrémités de
la terre.... île Seigneur a préparé son saint bras aux yeux de toutes les nations .
et toutes les bornes de la terre verront le salut de notre Dieu. ( Is. , c. 49 < S- 6;
c. 52 , y . 10. ) Le prophète annonce que le salut doit être porté jusqu'aux extrémi-
tés de la terre ; donc , d'après ses oracles , l'Eglise dans laquelle seule peut se trouver
le salut doit y être étendue : or, les protestants admettent comme nous le principe
qu'il n'y a de salut que dans la véritable Eglise ; donc la véritable Eglise doils'd^
tendre jusqu'aux confins de la terre.
JNOTES. xxxin
Noiisliions dans Malachic unccélèlirc prophétie que les prolesl.inlsentendeiit ainsi
que nous de la religion de Jésus-Christ. Je ne mets pins en vom ma volonté , dit Ir
Seigneur des armées, et je ne recevrai plus de dons par vos mains; car du tei^ant
jusqu'au couchant , mon nom est glorifie parmi les nations, et dans tous les lieux
on offre et on sacrifie en mon nom une offrande pure. (C. i ,y. lo, 1 1 . ) C'est du
levant au couchant que doit être glorifié le nom du Seigneur; c'est àins tous les
lieux que doit lui être présentée une offrande pure ; donc son Eglise doit , du levant
au couchant , s'étendre en tous lieux ; car je n'imagine pas qu'où soutienne que Dieu
tienne son nom glorifié par les Eglises ennemies de la foi , et qu'il accepte comme
pures les offrande* qu'elles lui font.
Ces prophéties de l'ancien Testament , si claires et si positives en elles-mSai» ,
pour annoncer la future diffusion de l'Eglise dans tontes les nations, deviennent plus
démonstratives encore par l'application que Jésus-Christ en a faite à cet objet , et
parce qu'il a déclare' qpie c'est dans ce sens qu'elles doivent être entendues. Ce fut
dans une des apparîtïons qui suivirent sa résurrection, et que rapporte saint Luc ,
que montrant à ses apôtres l'accomplissement dans sa personne des oracles de la loi
de Moïse, des prophètes et des psaumes , il ajouta : Ainsi il a été écrit , et ainsi il a
fallu que le Christ souffrit et ressuscitât le troisième jour d'entre les morts, et qu'en
son nom la pénitence et la rémission des péchés fussent préchees dans toutes les na-
tions , en commençant par Jérusalem. ( Luc. , c. a4 . X • 44 » 4^ > 4^» 47- ) C'pst
donc Jésus-Christ lui-même qui nous apprend que , si nous voyons son Eglise éten-
due sur toute latf^rre , c'est une suite des oracles qui l'avoient annoncé ; c'est lui-
même qui nous fournit contre les protestants ce raisonnement. Son Eglise est où la
placent les prophètes, et où après eux il la place lui-même , dans toutes les nations
de la terre. Donc toute Eglise qui n'existe que dans quelques nations n'est pas l'E-
glise de Jésus-Christ.
Le nouveau Testament n'est pas moins positif que l'ancien. Outre les parolesde
Jésns-Christ que je viens de rapporter d'après saint Luc , nous le voyons dire à ses
apôtres , tantôt : Cet Evangile du royaume sera prêché dans tout l'univers , pour
servir de témoignage à toutes les nations : et alors viendra la consommation; tantôt :
toute puissance m'a été donnée dans le cielet sur la terre. Allez donc, enseignez
dans toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-
Esprit ; leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé; tantôt : Al^
lez dans le monde entier : prêchez l'Evangile à toute créature; tantôt : Kous rece-
vrez la vertu de l'Esprit saint qui descendra sur vous , et vous me servirez du
témoins dans Jérusalem, dans la Judée, dans la Samarie , et jusqu'aux extrémi-
tés de la terre. ( Matth., c. :i^,S' i4'i c 28, S- 18, 19, 20. Marc., c. 16, >^. i3.
Act., c. I , S • 8. ) D'après ces passages, réunissons quelques principes qui porte-
ront jusqu'à l'évidence notre dogme de la catholicité.
I. Il est évidemment prescrit aux apôtres , dans ces textes, de prêcher l'Evangile
il toutes les nations du monde. Cette vérité est si évidente à la seule inspection des
paroles du Sauveur qu'il seroit ridicule d'entreprendre de la prouver.
a. En ordonnant à ses apôtres de prêcher sa loi à toutes les nations , Josus-Chriit
les chargeoit d'y établir son Eglise. Cette vérité est la conséquence immédiate de la
précédente, et est également claire. L'Eglise étant composée de ceux qui font pro-
fession de la vraie foi ; donner aux apôtres la mission de planter dans tous les pays la
vraie foi , c'étoit leur ordonner d'y établir l'Eglise. Ils ne pouvoient pas faire l'un
sans l'autre.
3. Les apôtres ont formé l'Eglise comme leur divin maître leur avoit ordonné.
Jamais les protestants ne les ont accusés d'avoir manqué à sts préceptes. Ils font pro-
fession de les révérer comme de saints personnages. Ils leur attribuent même la préro-
gative de l'infaillibilité.
4. Les apôtres ont donc fondé l'Eglise dans toutes les nations , du moins autant
j'ils l'ont pu de leur vivant ; et certes ils l'avoient établie dans un très-grand no(
qu Ils 1 ont pu 1
no>n-
bre de contrées. L'histoire de leur prédication en est la preuve. Nous lisons dans l'E-
Marc qu'ils prêchèrent partout, (c 26 , S ' ?y) Saint Piul dit aux
vangile de saint
I.
XXXIV JNOTES.
Romains que lui et sts collègues ont reçu la grâce de l'apostolat , pour faire obéir à
(a foi toutes les nations au nomde Jésus-Christ ; (^c. i , }f . 5.) aux Colossiens, que
la parole véritable de l'Evangile est parveriue, non-seulement à eux , mais dans
tout le monde; qu'elle fructifie et y croît chaque jour ; et que l'Evangile qu'ils ont
entendu a étë prêché à toute créature qui est dans le ciel, (ci, fj , 5,6, 23.}
5. La véritable Eglise est celle que les apôtres ont fondée d'après le précepte de leur
maître. Les protestants ne contesteront pas non plus cette vérité.
6. Donc la vraie Eglise est celle que l'on voit universellement étendue. Je ne con-
çois pas comment , forcés de convenir de toutes les autres propositions , nos adver-
saires pourront nier celle-là.
Ainsi nous voyons la catholicité, c'est-à-dire , la diffusion aniverselle de l'Eglise,
{crédite par les prophéties, prescrite par Jésus-Christ, effectuée par les apôtres. Que
àut-il de plus pour y croire ?...
Ce qui confirme notre doctrine sur la catholicité, c'est que le sens que nous donnons
aux passages de l'Ecriture est £xé par la manière dont les ont entendus les Pères des
premiers temps, les uns disciples immédiats ou presque immédiats des apôtres , les
autres, disciples de ceux-là, et qui ont fleuri dans les siècles dont, de l'aveu des pro~
testants , la foi étoit pure et la doctrine saine.
Nous ne voyons pas dans les livres saints le mot catholique employé ; mais nous
le trouvons appliqué à l'Eglise de Jésus— Christ dès le temps qui a immédiatement
suivi les apôtres. Le symbole qui porte leur nom atteste la croyance à la sainte Eglise
catholique. Saint Ignace , évoque d'Antioche et martyr , qui avoit été disciple de
saint Jean, et qui avoit vu Jésus— Christ dans sa chaire, dit que là est l'Eglise catho-
lique où est Jésus-Christ. (^Ep. ad Smymenses, n. 8.) L'épître de PEglise de
Snayrne , au sujet du martyre de saint Polycarpe , son évêque , est adressée à l'Eglise
de Dieu qui est à Philomèle , et à tous les diocèsesde la sainte Eglise catholique dans
tous les lieux , et on y lit que ce saint évêque recommande dans ses prières l'Eglise
catholique répandue d ans tout l'univers, totiusque Ecclesiœ catholicœ per universum
orbemdiffuscemeniionemfecerit.(^usth.Iiist. ecclcs,, lib. 4> cap- i5.) Nous
voyons dans cette dpître deux choses réunies: la catholicité de l'Eglise, et son étendue
sur toute la terre ; ce qui montre que dès lors , c'est-à-dire, 'dans le temps qui a
immédiatement suivi les apôtres , non-seulement on distinguoit l'Eglise de Dieu
par le titre de catholique, mais qu'on lui donnoit ce nom à raison de la diffusion
universelle.
Saint Justin suit immédiatement les disciples des apôtres , qui lui avoient enseigné
la doctrine de leur maître. Argumentant contre Try phon qui étoit juif, il lui prou\-e,
par le texte de Malachie que )'ai rapporté, que les juifs ne sont plus le peuple de
Dieu. D'abord, lui dit-il , votre nation n'est point répandue du levant au couchant,
et il y a des pays où l'on ne voit habiter aucun des vôtres. Mais ensuite , ajonte-t-il,
il n'y a aucun peuple , soit Grec , soit barbare , quel que soit son nom , quelles que
soient ses mœurs et ses coutumes , dans lequel il ne soit adressé des prières à Dieu le
Père, au nom de Jésus crucifié. (D/a/. cum Tryph. , n. 117.) C'est à un juif, il tst
vrai , et non à un hérétique , que Justin propose ce raisonnement ; mais le principe
de son raisonnement est applicable aux hérétiques comme aux juifs. Ce principe est
que, d'après l'oracle de Malachie , la vraie doctrine , le vrai peuple de Dieu, doi-
vent être répandus dans tous les pays. Ainsi , selon ce Père , toute doctrine qui n'a
pas cette diffusion , toute société qui n'a pas cette étendue , ne sont pas la doctrine et
l'Eglise de Dieu.
Saint Lrénée étoit , comme saint Justin , disciple des Pères apostoliques , ayant été
instruit par saint Polycarpe. Il dit, dans plusieurs endroits de son ouvrage contre les
hérésies, que l'Eglise est répandue par toute la terre et y conserve la foi. (Lib. i, cap.
I , n. I et a ; lib. 3 , cap. 2 , n. 8 ; lib. 4 , cap. 26 , n. i .) Ce n'étoit certainement pas
des sectes hérétiques que parloit ce saint docteur; il les excluoit même certainement,
puisque c'étoit contre elles qu'il écrivoit , et qu'il faisoit valoir l'universelle diffusion
de l'Eglise , conservatrice de la vraie foi.
Saint Cyprien, dans son umé de l'Unité de l'Eglise, établit awsi $a calholicitd
NOTES XXXV
dans 1c sens que nous cnlcnJons, en disant qu'elle conserve son unitc^, quoiqu'elle
soil répandue dans tous les pays. 11 la représente éclairée de la lumière du Seigneur,
répandant ses rayons dans tout l'univers. 11 la compare à un arbre qui ctcnd ses ra-
meaux sur toute la terre. Il pensoit donc, comme les Pères qui l'avoient pre'codé,
qu'une prérogative de l'Eglise de Jésus-Christ est de s'étendre dans toutes les ré-
gions : et, par une conséquence nécessaire , il n'auroit pas reconnu comme l'Eglise
de Jésus-Christ celle dans qui il n'auroit pas vu cette dilFusion.
Saint Pacien qui , dans le même temps que saint Cyprion , combattoit comme lui
Jes novatiens, dit que « l'Eglise est un corps plein , solide, déjà répandu, dans tout
» l'univers. » ( Epht. 3. )
Dans le siècle suivant, saint Cyrille de Jérusalem , dans une de ses catéchèses, ex-
pliquant ces paroles du symbole : Je crois la sainte Eglise catholique, dit : « l'Eglise
« est appelée catholique ou universelle , parce qu'elle est répandue dans tout l'uni-
» vers , depuis une extrémité de la terre jusqu'à l'autre. » Voilà une déBnItion de la
catholicité précise et absolument conforme à la nôtre. Et il faut observer que c'est
dans un ouvrage fait pour l'instruction des simples fîdèles , où les expressions doivent
être simples et très-exactes. Un peu plus bas, ce même Père comparant l'autorité
temporelle à celle de l'Eglise , y met cette diflférence , que les souverains, distribués
en différents lieux , trouvent dans les limites de leurs états des bornes à leur puis-
sance, mais que la sainte Eglise catholique seu'.e jouit d'une puissance illimitée, et
dans tout l'univers. ( Catechesi i8, n. 23 et 27.)
Quelque temps auparavant , au concile de Nicée, Arius et Euzocius avoient pré-
senté une profession de foi. « Nous croyons, y est-il dit , une Eglise catholique de
>> Dieu, qui s'étend des premiers fondements jusqu'aux dernières extrémités de la
» terre. Nous avons reçu cette foi des saints Evangiles, le Seigneur ayant dit à ses
» disciples : Allez , et enseignez toutes les nations. » ( Socrates , Hist. Ecoles. ,
1. I , G. 26c ) Ainsi , catholiques et hérétiques, tous, dans ces premiers siècles , pro-
fcssoient comme un article de foi que l'Eglise a reçu de Jésus-Christ la prérogative
de l'universelle diffusion.
A la fin du même siècle, deux grandes lumières de l'Eglise d'Afrique, saint
Optât et saint Augustin, prouvoient aux donatistes que leur secte n'étcit pas la
véritable Eglise , parce qu'elle n'étoit pas catholique, c'est-à-dire, universellement
répandue.
«Nous avons, leur dit saint Optât , ?i démontrer ce que nous avons promis
V que nous établirions : quelle est cette Eglise que Jésus-Christ appelle sa colombe
» et son épouse. Vous dites qu'elle est en vous seuls. Apparemment que, dans votre
i> orgueil, vous vous a ttribuez spécialemen t lasaint été ; en sorte que l'Eglise soit où vous
M voulez, et ne soit point où vous ne voulez pas. Ainsi, pour qu'elle puisse être cher
» vous , dans une petite partie de l'Afrique, dans le coin d'une petile région, elle ne
X sera pas avec nous dans une autre partie de l'Afrique, elle ne sera pas dans les
» Espagnes, dans les Gaules, dans l'Italie, où vous n'êtes point. » Le saint docteur
fait encore l'c'numération d'un grand nombre de pays, où il n'y a point de donatis-
tes, et d'où ils excluent l'Eglise , et il poursuit ainsi : « Où sera donc la propriété du
» nom de catholique , puisque l'Eglise est appelée catholique parce qu'elle est raison-
» nable et répandue partout ? car, si vous la resserrez ainsi à votre volonté dans un
a lieu étroit , si vous lui ôtez toutes les nations, où sera ce que le Fils de Dieu a mé-
n rite? Où sera ce que lui a promis volontairement son Père, lui disant dans le psoumc
» second : Je vous donnerai les nations en héritage, et les bornes de la terre pour
» vo/rf^oss^ss/on? Pourquoi enfreignez-vous une telle promesse, en sorte que l'é-
w tendue de tous les roy^aumes soit mise par vous comme dans une prison ? Pourquoi
» voulez-vous opposera cette libéralité? pourquoi combattez-vous les mérites du Sau-
» veux ? Permettez au Fils de posséder ce qui lui a été accordé. Permettez au Père
» d'acroroplir ses promesses. De quel droit posez-vous des borner, tracez-vous des
» limites? Quand Dieu le Père accordeau Sauveur toute la terre, rien n'est excepté
ji dans aucune partie de îa terre. Toute la terre avec ses nations est la possession du
11 Christ. » Saint Ojptat répète ensuite le texte du psaume second, et rapporte
xxxvi JNOTES.
relui quei'ai cité du psaume soixame-onie. (DeSc/iisrn. Donat., lib. ii. c. i. ) H
x.c peut nen y avoir de phis formel que ce texte pour établir que la vraie Eglise est
celle que l'on voit répandue sur toute la terre; que cette prérogative lui a éié accordée
par son divin fondateur , et qu'elle lui est essentielle. La clarté évidente de ce passage
me dispense d'en rapporter d'autres où saint Optât établit le même principe.
Saint Augustin, dans son traité de l'Unité de l'Eglise, contre les donatistes, traite
ex professa la question de la catholicité , et démontre, par beaucoup de textes de la
sainte Ecriture, que l'Eglise de Jésus-Christ est celle qui s'étend sur toute la terre.
11 commence par la Genèse, rapporte la promesse faite à Abraham, que toutes les
nations seront bénies dans son rejeton ; prouve que ce rejeton est Jésus-Christ ; mon-
tre que la promesse a été renouvelée à Isaac et à Jacob : «Donnez-nous, conclut-il,
>» cette Eglise , si elle est parmi vous; montrez que vous êtes en communion avec tou-
•» tes les nations que nous voyons maintenant bénies dans ce rejeton. Donnez-la , ou ,
•j déposant votre erreur , recevez-la , non pas de moi , mais de celui-là même dans
•> qui toutes les nations sont bénies. » ( C. 6, n. i4' )
« Que lit-on dans les prophètes? ajoute-t-il. Combien sont nombreux , combien
"'» sont évidents leurs témoignages ausujet de l'Eglise répandue dans toutes les nations,
» sur toute la terie ! Qu'Isaïe nous dise où, par une révélation divine, il a vu d'avance
» l'Kglisa , afin que , dans les paroles de celui qui prédisoit l'avenir, nous voyions ce
» qui maintenant est devenu présent. >> Il produit plusieurs textes de ce prophète, et
il fait voir combien ils prouvent clairement l'étendue universelle de l'Eglise. « Que
») celui qui l'osera , reprend-il , contredise ; mais que celui qui ne l'osera pas, espère
•» en Jésus-Christ avec toutes les nations , et ne se sépare pas de l'unité des peuples
» qui espèrent en lui : ou, s'il s'en est écarté , qu'il revienne, afin de ne pas périr...,
■» Qui e5t-ce qui est assez sourd, assez insensé, assez aveugle d'esprit, pour oser par-
» 1er contre des témoignages si évidents?.. Que peut-on exiger de plus clair ? Voyez
» dans un seul prophète combien d'oracles , quelle est leur clarté : et cependant on
» résiste, on contredit, non un homme , mais l'Esprit de Dieu, et la plus évidente
» vérité. Et cependant , ceux qui se glorifient du titre de chrétiens envient la gloire
» du Christ, et ne veulent pas qu'on croie accomplies les choses qui , si long-temps
» avant , «voient été prédites de lui , lorsqu'elles sont , non plus prédites mais inon-
» trées , mais vues, mais possédées. » ( JÂ/V/., c. y, n. i5, 16, 19. )
Saint Augustin oppose ensuite aux donatistes les psaumes, et spécialement le
second et le soixante-onzième. Après en avoir rapporté les passages : « Voilà, dit-il,
j> que dans les psaumes est manifestée l'Eglise répandue dans tout l'univers , sur la-
« quelle repose la gloire de son souverain... Que répondront à ce que Je viens de rap-
« porter des prophètes et des psaumes au sujet de l'Eglise de Jésus-Christ qui est
» répandue dans tout l'univers, ceux qui aiment mieux la combattre avec perver-
>) site, que de communiquer avec elle en se corrigeant? » ( C. 8 et g, n. 22
et 23. ^
De 1 ancien Testament le saint docteur passe au nouveau. Il en cite des passages
que j'ai rapportés. Sur celui de saint Luc, il oppose aux donatistes le raisonnement
quej'ai fait plus haut , que Jésus-Christ lui-même a appliqué à l'universelle difFu-
sion de son Eglise les passages de la loi , des prophètes et des psaumes. Sur le pas-
sage des actes des apôtres , il dit que l'on y voit le commencement de l'Eglise dans
Jérusalem , dans la Samarie , et sa propagation successive dans toutes les nations. Il
prouve par les faits et par l'énumération de beaucoup de pays, où la vraie foi étoil
ïiéjà portée de son temps , et il résume ainsi : « 11 nous a été annoncé que l'Eglise
» seroit sur toute la terre. Le Seigneur lui-même a attesté que cela étoit prédit dans
» la loi, dans les prophètes et dans les psaumes. Il a prophétisé qu'elle commenceroit
» par Jérusalem , et qu'elle se répandroit sur toutes les nations. Il a prédit à ses
» apôtres , lorsqu'il est remonté dans les cieux, qu'ils seroient ses témoins dans Jé-
» rusalem , dans toute la Judée et la Samarie , et jusque dans toute la terre. Les
» faits se sont conformés à ses paroles. Comment , ayant commencé par Jérusalem ,
»> et delà s'étant accrue dans la Judée et la Samarie, et ensuite sur toute la terre,
" l'Eglise s'y agrandit-elle maintenant , jusqu'à ce qu'enfin elle possède le reste des
rsOlES. xxxvri
H nations où elle n'existe pas encore? Le témoignage des saintes Ecritures le montre
u positivement. Quiconque ëvangclisc autrement, qu'il soit anathi-me. Or, celui-là
» ovangclise autrement , qui dit que l'Eglise a péri dans le reste du monde , et sub-
» siste dans la seule Afrique, et dans le parti de Donat. » ( Ibid. , cap. lo , n. 25,
et c. II , n. 27 , etseq. )
Il résulte évidemment de tous ces passages tirés du seul traite' </e l'Unité de /'JE-
glise , que non-seulement ce saint docteur étoit dans les mêmes principes que nous
sur la catholicité, mais que, pour les prouver, il empioyoil les mêmes raisonnements
que nous. Les preuves dont nous combattons les protestants sont celles dont il réfu-
toit les donatistes. Les hérétiques modernes, pour voir leur condamnation, n'ont
qu'à voir ce qui a été opposé aux hérétiques anciens.
Et nous voyons de plus que , dans la célèbre conférence de Carthage , entre les
catholiques et les donatistes , les donatistes faisoient consister la catholicité , non dans
la réunion de l'universalité des nations, mais dans la plénitude des sacrements (Brw.T
cuil. cum Donat. , dies 3 , c. 3 , n. 3 ) : ce qui ne s'éloigne pas beaucoup du système
f protestant. Mais ils furent combattus par les évêques catholiques , qui produisirent
es textes convaincants de l'Ecriture sur la diffusion universelle de l'Eglise. Les do-
natistes non-seulement ne voulurent pas discuter celte question , mais ils n'osèrent
pas l'aborder. 11 se rabattirent à soutenir que l'Eglise de Jésus-Christ n'est composée
que des hommes vertueux , et ne comprend pas le« pécheurs : ( Ibid., c. 8 , "^ . I.o. )
ce qui est encore une prétention des protestants.
Voilà une chaîne d'autorités qui embrasse et qui unit ensemble tous les temps
e'coulés depuis la promesse faite à Abraham. Il en résulte évidemment que la vraie
Eglise de Jésus-Christ doit, par son institution, s'étendre sur toute la terre. ]Nous
voyons cette étendue universelle prédite dans l'ancienne loi , par une multitude d'o-
racles , commandée par Jesus-Christ à plusieurs reprises, exécutée par ses apôtres
aut.'^nt qu'ils l'ont pu, réalisée peu après eux , et dès les premiers temps du chris-
tianisme , revendiquée par les saints docteurs comme un signe de la vérité de leur
Eglise et de la fausseté des communions séparées. Comment , en admettant toutes
ces autorités , peuvent-ils refuser d'v croire? Selon eux, l'Ecriture est infaillible : de
leur aveu , les Pères des premiers siècles n'étoient point dans l'erreur. Comment
donc peu*, ent-iis se soustraire a l'enseignement unanime de tous les livres sacrés et
de tous ces saints personnages ? — Le cardinal de la Luicme. Dissertations sur les
incises catholiques et protestantes , lom. 2 , ch. 8.
FIN DES ^OTES.
4
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottawa
Date Due
' JAN 1 9 19B7
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BERCIERi NICOLOS SYLVE
DICTIONIMfiIRE DE THEOLO
CE BR 0095
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COO BERGIER, NIC
ACC# 1419642
DICTIONNAI